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culture et histoire - Page 1632

  • Amour et Guerre, par Denis de Rougemont

    Parallélisme des formes

    Du désir à la mort par la passion, telle est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires – inconsciemment bien entendu – d’un ensemble de moeurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion signifie souffrance.

    Notre notion de l’amour, enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus secret de la conscience occidentale, le goût de la guerre.

    Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne, de profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui précèdent, puis une solide culture militaire, enfin la somme des recherches psychologiques entreprises depuis le XIXè siècle sur la question de « l’instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel. Faute de quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est mon vrai sujet.

    On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’est pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés: les figures courantes du langage le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse des instincts, je m’en tiendrai à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerroyer du XIIè siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre.

    Langage guerrier de l’amour 

    Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Théagène et Chariclée d’Héliodore (IIIè siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Eros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’ont d’autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats.

    Tout cela confirme la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique, de l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conception de l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait distinctes, et privées de commune mesure.

    Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir des XIIè et XIIIè siècles. On voit alors le langage amoureux s’enrichir de tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du guerrier, mais qui sont empruntés d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’un minutieux parallélisme.

    L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de sa pudeur, et à les tourner par surprise; enfin la dame se rend à sa merci. Mais alors, par une curieuse inversion bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal de cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c’était lui qui avait subi la défaite (1). Il ne lui reste qu’à faire la preuve de sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot soldatesque et civil nous fournirait une profusion d’exemples  d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction des armes à feu devait donner lieu à d’innombrables plaisanteries à double sens.

    Ce parallélisme d’ailleurs est complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème rhétorique inépuisable. « O ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme, qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! O! trop heureux encore une fois, et plus, qui avez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et de reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques reprennent ces métaphores devenues banales, et les transposent selon le processus décrit plus haut, dans le domaine de l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor: « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épouvantable sévit des deux cotés, car l’amour ne combat qu’à force de caresses et n’a d’autres menaces que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé ».

    ***

    On a vu que la rhétorique courtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et de la Nuit. La mort y joue un rôle central: elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette complicité physiologique des instincts de combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions guerrières dans la littérature érotique d’Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Age d’une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie.

    La chevalerie, loi de l’amour et de la guerre

    « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême de la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin d’autant plus impérieux que les moeurs sont plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la violence débordante de la passion l’exige. A moins que les émotions ne se laissent encadrer dans des formes et des règles, c’est la barbarie. L’Eglise avait pour tâche de réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes de la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle y puisait les normes de sa conduite. » (Nous savons en effet que la courtoisie non seulement ne devait rien à l’Eglise, mais s’opposait à sa morale. Voilà qui peut nous inciter à réviser bien des jugements sur l’unité spirituelle de la société médiévale!) Or s’il est vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les moeurs privées des hautes classes, qui demeuraient d’une « rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs, elle réussit à s’imposer à la réalité la plus violente du temps, celle de la guerre. Exemple unique d’un ars amandi, qui donne naissance à un ars bellandi.

     Ce n’est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et jusque dans la politique. Le formalisme militaire revêt à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Etoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus de quatre arpents; sinon ils devront mourir ou se rendre » Et, cette règle étrange, si l’on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux ». De même, les nécessités de la stratégie sont  sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre des Français avant la bataille d’Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrageurs lui ont assigné pour y dormir cette nuit-là. Or le roi « comme celuy qui gardoit le plus les cérémonies d’honneur très loables » vient hustement d’ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas; il passe la nuit dans l’endroit où il est, et fait ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent de carnages inutiles provoqués par des voeux d’une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’est pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses engagements. La casuistique courtoise en offre d’excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le droit; elle s’étend à tous les domaines où le style et la forme sont choses essentielles: les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la chasse et surtout l’amour ». Elle a même exercé une influence déterminante sur le droit des gens à sa naissance. « Droit de butin, droit d’attaque – fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et la chasse. » L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre? – Est-il permis de livrer bataille un jour de fête? – Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? – Dans quels cas peut-on s’évader de captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se disputer un prisonnier devant le chef : « C’est moi qui l’ai saisi le premier dit l’un, par le bras et par la main droite, et lui ai arraché le gant. – Mais à moi, dit l’autre, il a donné cette même main avec sa parole ».

    Quant aux idées politiques inspirées au Moyen Age par la conception chevaleresque, ce sont essentiellement selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle basée sur l’union des rois, la conquête de Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera de s’exercer sur les princes jusqu’au XVè siècle, en dépit des transformations de tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des intérêts réels les plus urgents.

    C’est ici que se marque le mieux le caractère particulier de l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité » de l’époque: il représente un pôle d’attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme d’évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux de la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation héroïque du XIIè siècle. « Dans la conscience du Moyen Age, se forment pour ainsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions de la vie: le conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sentiments moraux; la sensualité, abandonnée au diable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre de ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur; mais en général, ils se tiennent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance ».

    Les tournois, ou le mythe en acte

    Il est pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques e guerriers et de la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de la lice où se jouent les tournois.

    Là, les fureurs du sang se donnent libre cours mais sous l’égide et dans les cadres symboliques d’une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions: exprimer la passion dans toute sa force, mais en la voilant religieusement de manière à la rendre acceptable au jugement de la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : – « Les transports de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce jeu peut revêtir deux formes: la représentation dramatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Age, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général, que la matière sacrée; l’aventure amoureuse n’y était qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tournoi, était lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une forte dose d’érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs: dramatique et amoureux; mais tandis que les sports modernes sont presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Moyen Age, avec ses riches ornements et sa mise en scène, pouvait remplir les fonctions du drame lui-même ».

    Rien ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère de rève du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les oeuvres de Chastellain et les Mémoires d’Ollivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevaleresque duché de Bourgogne au XVè siècle.

    L’amour et la mort s’y marient dans un paysage artificiel et symbolique de très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour – voilà le motif romanesque qui doit apparaître partout et toujours. C’est la transformation immédiate du désir sensuel en un sacrifice de soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent tous deux impossibles se transforment en une chose plus élevée: l’action entreprise par amour. La mort devient alors la seule alternative à l’accomplissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée ».

    La mise en scène des tournois emprunte ses idées aux Romans de la Table Ronde. Ainsi, au XVè siècle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La Fontaine est construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers du mois, un chevalier anonyme viendra déployer, devant la fontaine, une tente dans laquelle est assise une dame (en effigie naturellement); celle-ci tient une licorne qui porte qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’engage à un combat dans les conditions décrites par les « chapitres » du pas d’armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevaliers trouveront toujours des chevaux prêts à cet usage ».

    Denis de Rougemont In L’amour et l’Occident (1938)

    http://theatrum-belli.org/amour-et-guerre-par-denis-de-rougemont/

  • Jean-François Mattéi : "Nous sommes dans une civilisation mortifère"

    Philosophe et membre de l'Institut Universitaire de France, Jean-François Mattéi réagit à la légalisation de l'euthanasie des enfants en Belgique et à l'affaire Vincent Lambert. Extraits de Figarovox :

    "Nous sommes dans une civilisation mortifère, qui sous couvert d'humanisme, voire d'humanitarisme, veut éliminer les personnes dérangeantes, faibles ou malades, qui ne correspondent pas aux critères de l'individu libéral. Derrière tout cela se cache une perspective utilitariste, notamment développée dans les travaux du philosophe australien Peter Singer, qui parle de «non-personnes» à propos des nouveaux nés, et justifie l'euthanasie et même l'infanticide de ces «surnuméraires». Jacques Monod l'avait prédit lorsqu'il reçut son prix Nobel de Biologie en 1965 «le monde moderne n'échappera pas à l'eugénisme»."

    "Nous sommes dans une civilisation de type scientifique, technique, froide et informatique, et en même temps, on essaie de compenser cette froideur par un déluge d'affectivité permanent. On demande au citoyen moyen son avis sur toutes les questions, et la parole des experts (philosophes, médecins, juristes) est mise sur le même plan que celle de l'individu lambda.

    Dans nos sociétés sans transcendance, c'est l'homme qui doit décider en dernière instance des questions existentielles. Mais quel homme doit décider ? L'expert, le journaliste, le politique, l'homme de la rue ? C'est le grand défaut de nos sociétés démocratiques et c'est ce qui rend les débats sociétaux insolubles. (...) On ne peut rien faire. C'est la règle du jeu de la démocratie. Celle qui, je vous le rappelle, a porté Hitler à la tête de l'Etat en 1933 et fait voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940."

    Louise Tudy

  • La démocratie d'apparence - 2

    I - Sommes nous en démocratie ?

    La question est d’une affligeante banalité car on la pose presque à tous les coins de rues. Et pourtant on peut lui apporter des réponses contradictoires. Tout dépend en effet de la manière dont on a défini préalablement la démocratie, car le terme est aujourd’hui si vague qu’il peut englober des choses très différentes.

    Première définition possible, la démocratie serait synonyme « d’Etat de droit ». C’est la conception la plus large, celle que l’on retrouve souvent dans les Etats anglo-saxons. La démocratie est ici entendue dans son aspect juridique, à savoir la défense des libertés fondamentales et des droits de l’homme. On est tenté alors de répondre par l’affirmative : nous vivons biens dans une démocratie puisque nous pouvons organiser librement des réunions politiques, que nous ne pouvons être arbitrairement incarcérés, que nos propriétés sont reconnues et protégées, etc… Mais une analyse un peu plus approfondie conduit à relativiser cette affirmation :

    - Tout d’abord le système démocratique ne protége pas toujours l’Etat de droit ; il recèle parfois même des tentations totalitaires. On l’a vu dans le passé, les débordements de la Révolution française en constituent l’illustration. Plus récemment la prise du pouvoir par Hitler résultait d’un processus parfaitement démocratique. Et même de nos jours, ce qu’il est convenu en France d’appeler « notre démocratie » manifeste depuis quelques temps des dérives éminemment fâcheuses. Par exemple en 1990, la loi « Gayssot » a décidé de frapper de sanctions correctionnelles tous ceux qui contestaient publiquement les crimes reconnus comme tels par le Tribunal International de Nuremberg à la fin de la seconde guerre mondiale. Puis en janvier 2005 une autre loi a été votée qui punit désormais de peine correctionnelle les personnes qui tiennent en public des propos « homophobes », autrement dit hostiles à l’homosexualité, sans que l’on sache très bien comment définir ce terme…
    Enfin fin 2006 l’Assemblée Nationale a voté en première lecture une proposition de loi qui vise à punir de peine de prison ceux qui remettent en question la réalité du génocide arménien…

    Cette manière de légiférer n’a rien à envier aux Etats totalitaires qui imposent une vérité officielle qu’il est interdit de contester. Beaucoup s’en sont émus, même à gauche puisqu’à l’initiative du journal « Libération » un certain nombre d’historiens de renom ont signé une pétition intitulée « Liberté pour l’histoire » qui a recueilli plus de 500 signatures. De leur coté, de nombreux professeurs de droit ont également signé une pétition pour réclamer l’abrogation des lois « mémorielles » qui créent en fait des délits d’opinion… On imagine aisément en effet les excès auxquels peuvent donner lieu de tels précédents législatifs : dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans le Parlement décidera-t-il de punir des même peines correctionnelles ceux qui critiqueront ouvertement l’immigration, la construction européenne ou encore la démocratie elle-même, ce qui placerait la présente contribution hors la loi ?... On n’en est pas là évidemment, mais on parle déjà d’interdire tout propos qui serait susceptible de justifier la colonisation…Il n’y a que le premier pas qui coûte dit-on, et ce premier pas a été franchi en 1990 avec la loi « Gayssot » qui a vu le premier accroc à la liberté d’expression et à la libre recherche scientifique. C’est un exemple qui montre que la démocratie ne se confond pas nécessairement avec la liberté et la défense de l’Etat de droit.

    - Une seconde observation vient étayer cette analyse. L’histoire montre que les libertés publiques et les droits subjectifs ont également été défendus par d’autres formes d’Etats de droit que les Etats démocratiques, puisque tout au long de leur histoire les monarchies européennes ont offert des garanties politiques et juridiques à leurs sujets. Ainsi en France sous l’Ancien Régime, même si les libertés publiques n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, on protégeait la liberté d’association, le droit de propriété, la liberté d’aller et venir, la liberté contractuelle, la liberté de se marier et de fonder une famille, etc.…

    De même au XIXeme siècle, des Etats aristo-monarchiques comme l’Empire allemand ou l’Empire Austro-Hongrois ont défendu très efficacement les principales libertés publiques, et n’ont pas hésité à introduire le suffrage universel. Ils ont en outre été les premiers à mettre en place un système de protection sociale inexistant chez nous à cette époque…Enfin, on pourrait faire observer qu’en Angleterre la défense des droits de l’individu avec notamment « l’habeas corpus » est bien antérieure à l’avènement de la démocratie politique.

    - Plus fondamentalement enfin, la démocratie ne se confond pas avec le libéralisme ou l’esprit de tolérance car rien n’interdit à la majorité d’opprimer la minorité dès lors que cette majorité est détentrice de la souveraineté politique. Certes, les démocraties libérales s’efforcent d’empêcher ces abus et posent des garde-fous notamment sur plan juridique et institutionnel, mais ceux-ci constituent précisément une limitation du principe démocratique au nom d’autres impératifs jugés prioritaires : la liberté individuelle, le droit des minorités, la tolérance, le respect de la personne humaine, etc...

    Or ces impératifs auxquels se soumet le régime ne sont pas nécessairement eux-mêmes liés au concept de « démocratie », mais à une conception plus large de la Civilisation. Bref, l’Etat démocratique n’est qu’une forme d’Etat de droit parmi d’autres. Comme d’autres il peut aussi dériver vers des atteintes aux libertés et l’histoire montre qu’il suffit d’une crise et d’un concours de circonstances économiques, sociales, militaires, voire simplement électorales pour qu’un parti révolutionnaire puisse être porté au pouvoir. La démocratie n’est donc pas toujours synonyme d’Etat de droit et nos libertés sont peut être davantage liées à notre tradition historique qu’à la forme actuelle du gouvernement. Dans une telle perspective, la question de savoir si l’on est ou non en démocratie est assez secondaire… Deuxième définition possible, la démocratie serait « le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple ». Cette seconde définition est issue de la Révolution française et de l’idéologie égalitaire et on la retrouve d’ailleurs dans la Constitution de la Ve République ; elle est plus étroite que la précédente et correspond à l’aspect politique du régime démocratique. Elle est souvent mise en avant par les politiciens de droite comme de gauche qui aiment à se replonger dans la mystique révolutionnaire, source présumée de légitimité électorale. Une telle définition conduit à donner à la question qui nous occupe une réponse brutale, mais que nous croyons lucide. Pour le philosophe René Guénon, « le gouvernement du Peuple par lui-même est une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à une autre ».

    Autrement dit, nous ne sommes pas en démocratie puisque le Peuple est un corps impuissant qui sera toujours gouverné en fait par des élites. On pourrait même ajouter que non seulement nous ne sommes pas en démocratie, mais que nous n’y serons jamais compte tenu de l’impossibilité absolue pour ce Peuple de se gouverner de manière autonome, faute de disposer comme un individu de conscience, de volonté et de réflexion. L’affirmation est sans doute cruelle pour nos contemporains et ne peut de prime abord que heurter leur sensibilité égalitaire. Mais on ne manquera pas d’être frappé par le caractère artificiel de la théorie de la volonté générale qui constitue un des principaux piliers de la doctrine démocratique. En réalité la volonté générale supposerait l’unanimité ce qui est impossible en pratique et cette prétendue volonté générale n’est autre qu’une volonté majoritaire, ce qui n’est pas du tout la même chose.

    En outre, cette volonté majoritaire est elle-même fictive puisque désormais dans les grandes démocraties ce sont parfois les abstentionnistes et les protestataires qui sont en réalité majoritaires ! Dès lors, la « volonté générale » n’est rien d’autre que la volonté de la minorité la plus forte et la mieux organisée, ce qui nous renvoie à l’analyse de Mosca, évoquée au début de cette contribution. Ce n’est que de manière exceptionnelle et dans des périodes de crise extrêmement graves que le Peuple peut manifester une volonté à peu près claire: c’est par exemple le ralliement massif des français au Général De Gaulle à la fin des année 1950 ; ou celui au Maréchal Pétain en 1940… Ce qui montre d’ailleurs que pour être claire dans certaines circonstances, la volonté populaire n’est pas pour autant systématiquement clairvoyante…

    Cette seconde définition, utopique, de la démocratie conduit inéluctablement à une réponse négative à la question posée : nous ne sommes pas en démocratie parce que celle-ci n’existe pas. Elle n’est rien d’autre qu’une fiction idéologique à l’usage des peuples, un habile appareil psychologique et idéologique au service des oligarchies au pouvoir. En outre on sait avec Aristote et Montesquieu que la démocratie tend à se corrompre de deux manières, soit en dérivant vers l’anarchie, c'est-à-dire la lutte de tous contre tous, soit en dérivant vers la ploutocratie, c'est-à-dire vers la dictature des riches. Dans les deux cas, le régime se dégrade et aboutit à la loi du plus fort, du plus rusé et du plus cynique. Or l’évolution des régimes démocratiques contemporains révèle hélas que ces deux corruptions sont toujours d’actualité : le lien social s’est altéré et la société tend à être dominée par la violence et les rapports de force (anarchie). Parallèlement le monde occidental est désormais dirigé par des puissances économiques et financières (ploutocratie) bien visibles à travers la mondialisation. Ainsi dans un article paru dans le journal « Le Monde » le 16 novembre 2001, notre éminente collègue Mireille Delmas-Marty n’hésitait pas à écrire : « Le monde est gouverné par une ploutocratie cosmopolite suffisamment flexible et mobile pour marginaliser à la fois les Etats, les citoyens et les juges ». Dès lors, face à la réalité de ces dérives les pessimistes auront tendance à répondre : « nous sommes bien en démocratie puisque nous baignons dans un climat d’anarchie et de ploutocratie ». Enfin les cyniques « in peto » ajouteront peut-être «…et c’est fort bien comme cela puisque nous y trouvons notre compte…».

    Nous ne sommes plus loin du « dernier homme » dont parlait Nietzsche. Décidément la question naïve « sommes nous en démocratie » conduit déjà à des réponses bien embarrassantes…

    Mais tout n’est pas encore dit car il est une troisième manière de définir la démocratie. Troisième définition possible, la démocratie serait la participation des individus à la vie politique. Cette troisième définition renvoie à l’aspect sociologique de la démocratie, compris comme la volonté de chaque individu de participer aux processus décisionnels. La question revient alors à s’interroger sur la possibilité pour l’homme de maîtriser son destin à travers le destin collectif. A cette question, la réponse est pour le moins surprenante pour ne pas dire paradoxale.

    - Dans l’état actuel des choses, c'est-à-dire dans les régimes de démocratie représentative comme le sont les grands pays industriels, la possibilité pour un homme ordinaire d’influer sur l’évolution de la société est extrêmement faible pour ne pas dire inexistante. Cela explique en grande partie l’abstention fréquente d’une bonne partie du corps électoral, celle qui est résignée à son impuissance ; de même que le vote protestataire d’une autre partie, celle qui ne l’est pas encore et dont l’exaspération va grandissante à l’endroit des maîtres du jeu, à savoir les oligarques qui détiennent en fait les leviers de commande. Cette impuissance a depuis longtemps été dénoncée. Rousseau disait que dans les régimes de démocratie parlementaire « le Peuple est libre un jour (celui des élections) et esclave cinq ans (entre les échéances électorales) ». Charles Péguy quant à lui parlait « du droit de vote cette fraction impuissante du pouvoir ». Pourquoi cette impuissance ? Elle est inéluctable et liée à la nature même des choses : à la différence des sociétés aristocratiques dans lesquelles la liberté est conçue comme une prérogative ou un droit que tel individu ou telle communauté peut opposer à l’Etat, dans les sociétés démocratiques elle est conçue comme la participation à la décision politique. Or les choses étant ce qu’elles sont, cette liberté se réduit mathématiquement avec le nombre des participants. La fraction de la souveraineté qui était d’environ 1/400e pour les membres de l’Aréopage, l’assemblée politique d’Athènes, ne sera plus évidemment que de 1/500 000 000e dans le cadre d’un empire comme la Communauté européenne. Autant dire qu’elle sera purement verbale et laissera le champ libre aux puissantes oligarchies médiatiques, financières et bureaucratiques que nous évoquions précédemment. Dans un système qui postule la liberté et l’égalité de ses membres, l’influence de l’individu se dilue inexorablement dans le nombre. Elle est comme un faisceau de lumière qui se perd dans l’immensité des ténèbres...

    Certes ce pouvoir dilué à l’extrême a-t-il néanmoins son utilité puisque de temps à autres un sentiment commun soulève ce corps électoral et met en échec les grandes visées des oligarchies au pouvoir ; on l’a vu il n’y a pas si longtemps avec certains référendums ou certaines élections…Mais ces démentis électoraux, pour cinglants qu’ils soient, n’influent que partiellement sur le cours des choses : ils interviennent souvent trop tard, de manière ponctuelle et leur effet est considérablement amorti par la collusion de fait des grands partis au pouvoir. Tout au mieux est-on en présence d’une soupape de sûreté ; en aucun cas d’une implication du citoyen dans la décision politique. En définitive, le prétendu « déficit démocratique » dont on nous rebat les oreilles est beaucoup plus structurel que fonctionnel ; il tient paradoxalement à la conception démocratique elle-même, c’est à dire quantitative et égalitariste de la société.

    - Il n’est possible de remédier à cette impuissance que de deux manières : soit en limitant le mécanisme démocratique à de très petites entités politiques comme les cantons suisses dans lesquelles l’influence de l’électeur retrouve son poids ; soit en abandonnant les postulats de liberté et d’égalité chers aux régimes occidentaux modernes au profit d’une conception inégalitaire et aristocratique qui fait dépendre l’influence des individus dans la vie publique d’un multiplicité de facteurs : la profession, la compétence, la condition sociale, la famille, la culture, la motivation personnelle, etc.…En admettant que tous ne peuvent gouverner on peut alors permettre à certains d’avoir sur la vie publique une influence notable et parfois décisive. On peut aussi combiner les deux remèdes en organisant de petites entités politiques à caractère démocratique où tout individu dispose d’une certaine influence, à l’intérieur d’un système aristocratique où le rôle des individus est inégalitaire. C’est un peu l’idée du régime mixte d’Aristote qui a pu fonctionner avec profit dans certains Etats : la République romaine, l’Empire allemand, l’Empire Austro-Hongrois, et bien sûr aussi la Monarchie française à certaines époques de son histoire. Maurras lui-même, ce grand pourfendeur de la démocratie, n’y était pas hostile lorsqu’il préconisait « la monarchie en haut, les républiques en bas » !

    A la réponse à la question « sommes nous en démocratie ? », la réponse est donc comme nous l’avons dit paradoxale : ce qui entrave la possibilité des individus d’influer sur leur destin collectif, donc ce qui paralyse l’accès réel à la vie politique et le pouvoir concret des citoyens, ce sont précisément les dogmes universalistes et égalitaristes de la démocratie ! Ce qui nous amène à nous demander à quoi sert la démocratie.

    Olivier Tournafond

    http://www.actionroyaliste.com/articles/republique-et-democratie/1321-la-democratie-dapparence-2

  • [Marseille] Le colloque national en Provence sur le 6 février 1934

    Pour les 80 ans de la journée du 6 février 1934, il n’était pas question pour l’Action Française-Provence de réaliser une commémoration nostalgique. Cet anniversaire était l’occasion de réfléchir sur la stratégie du royalisme, non pas pour prendre le pouvoir immédiatement mais pour faire l’analyse de la société française actuelle et éclairer la ligne que nous devons suivre.

    Une vieille bastide perdue dans la campagne aixoise a donc été le lieu choisi pour tenir un colloque d’importance nationale samedi 8 février 2014. Le succès a été au rendez-vous avec une bonne centaine de participants, jeunes en très grosse majorité. La préparation matérielle a été excellente (et il faut en féliciter les militants marseillais qui y ont durement travaillé) et l’ambiance à la fois très sympathique et travailleuse.

    On pouvait noter la présence, entre autres, de François BEL-KER, secrétaire général adjoint du CRAF (Centre Royaliste d’Action Française), d’Antoine DESONAY, responsable national étudiant, et de Jean GUGLIOTTA, président de la FRP.

    L’après-midi commença par un rappel historique de Michel FRANCESCHETTI, président de l’AF-Provence, qui décrivit les causes et le déroulement du 6 février 1934. Il rappela le rôle important tenu par l’AF dans la protestation contre le scandale Stavisky et insista sur la volonté du Comte de Paris d’en profiter alors que Charles MAURRAS et Maurice PUJO considéraient que les conditions n’étaient pas réunies pour une prise du pouvoir.

    Le jeune militant marseillais Jérémy présenta comment MALAPARTE explique la technique du coup d’Etat, ses diverses formes, ses conditions et ses étapes.

    La conception qu’avait Charles MAURRAS de la façon de renverser la république fut présentée par Philippe LALLEMENT, spécialiste de l’histoire du royalisme, qui montra ensuite comment ces idées furent actualisées par Pierre DEBRAY à la suite de la guerre d’Algérie (avec la revue "L’Ordre Français" et ses articles dans "Aspects de la France" et "JSF"), puis par Michel MICHEL dans la période post-soixante-huitarde (revue "Cohérences" et diverses brochures).

    La suite et d’autres photos sur le blog de l’Action française Provence

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Marseille-Le-colloque-national-en

  • Pour Aurélie Filippetti, donner son avis, c’est « exercer des pressions »…

    L’ubuesque gestion des opposants au mariage gay a tricoté un maillage de résistance sur la Toile. Fallait réfléchir avant.

     

     

     

     

    Selon Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, Jean-François Copé « s’est ridiculisé » par ses attaques, dimanche, contre le livre Tous à poil.

     

    Parce qu’elle, naturellement, elle ne s’est pas ridiculisée ? Elle ne s’est pas ridiculisée par son communiqué grave et solennel, mardi, sonnant le tocsin à travers toute la France pour une trentaine de bibliothèques publiques qui auraient fait l’objet, ces derniers jours, « de pressions croissantes de la part de groupuscules fédérés sur Internet par des mouvements extrémistes », des groupuscules qui « exercent des pressions sur les personnels, les somment de se justifier sur leur politique d’acquisition, fouillent dans les rayonnages avec une obsession particulière pour les sections jeunesse ».

     

    Ah oui, on imagine ça très bien. Deux mères de famille qui entrent avec leur poussette respective, cela fait déjà quatre individus, soit un petit groupe, donc un groupuscule. Quand elles « fouillent dans les rayonnages » — parce qu’évidemment, c’est bien connu, dans une bibliothèque, personne ne fouille dans les rayonnages, on prend au hasard le premier bouquin venu —, le personnel commence vraiment à se sentir « sous pression ». Et si, en plus, elles se permettent de donner leur avis sur un livre, avec une « obsession particulière pour les sections jeunesse » – parce qu’il faut le savoir, ces femmes-là sont de vraies obsédées -, là, c’est la cata.

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  • La philosophie médiévale

    À l'école de la République, l'enseignement de la philosophie passe directement d'Aristote à Descartes comme s'il n'y avait rien entre les deux. Les hommes ne se sont pourtant pas arrêtés de penser, mais la pensée occidentale a pris une orientation religieuse, et même chrétienne.
    Religion et philosophie, ou plutôt foi et savoir, se sont imbriqués. Pour certains philosophes comme l'anglais Russel, la philosophie devant se séparer de la religion et de la foi, cela constitue une incompatibilité.
    De plus, pendant le moyen-âge, l'Occident n'était pas dominant, la Chine et le monde musulman étant plus développés. Le moyen-âge n'est donc pas perçu comme une grande période pour les Occidentaux. La philosophie médiévale étant la rencontre du christianisme et de la philosophie, se trouve aussi être une construction du premier. La foi pourtant s'oppose à la philosophie. On obtient le salut par une ignorance et non par la sagesse ou la connaissance. Globalement, la philosophie médiévale sera la confrontation des Saintes Ecritures avec les textes des Pères de l'Eglise qui incorporeront la philosophie grecque (Platon, Aristote, Stoïciens,...)
    Benoit XVI à l'université de Ratisbonne avait souligné l'alliance entre la foi et la raison dans le christianisme à la différence de l'islam où la foi est première et exclusive. Le christianisme est aussi lié à son Histoire après la révélation contrairement à l'islam où l'interprétation consiste à sans cesse revenir au Coran.
    La Patristique
    La doctrine chrétienne fut élaborée par les Pères de l’Église à l'aide de la philosophie de l'Antiquité.
    Le plus important fut Saint Augustin qui fut essentiellement influencé par le néoplatonisme. Les Pères de l’Église ont possédé autant d'autorité que la Bible. Pour Clément d'Alexandrie (IIème siècle) l'usage de la philosophie est salutaire. Cette position s'oppose par exemple à celle de Tertullien pour qui « Jérusalem et Athènes n'ont rien à faire ensemble ». Mais la conception qui s'imposa fut « Fides quaerens intellectum » (la foi cherchant la compréhension). Mais la philosophie peut être aussi une réflexion sur la révélation.

    Saint Augustin (Vème siècle)
    Son œuvre majeure fut « Les Confessions ». Il raconte sa vie avant sa conversion. Il y développe des réflexions sur le temps qui deviendront célèbres et serviront dans les analyses de Descartes et Husserl sur le même thème. Pour connaître, l'homme doit croire, et réciproquement. « Crede ut intelligas, intellege ut credas » (Crois pour connaître, connais pour croire). Saint Augustin avait anticipé Descartes. Si je doute ou me trompe, j'existe : « Si enim fallor, sum » (Si en effet je me trompe, je suis). Dieu est en nous. Saint Augustin parle de notre intériorité. « Noli foras ire, in te ipsum redi, in interiore homine habitat véritas » (Rentre en toi-même, ne t'en vas pas au dehors, c'est au cœur de l'homme qu'habite la vérité).
    Saint Augustin fut aussi le théologien du péché originel et de la grâce. L'homme ne peut être sauvé que par la grâce. « C'est par la grâce, en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n'y êtes pour rien, c'est le don de Dieu. » (Saint Paul)
    On a aussi chez Saint Augustin une philosophie de l'Histoire. Il y a lutte entre le royaume de Dieu et le royaume terrestre : « Deux amours ont donc bâti deux cités, l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu, la cité de la terre ; l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi, la cité de Dieu. L'une se glorifie en soi et l'autre dans le Seigneur. » (La Cité de Dieu).
    La première scolastique
    Plusieurs théologiens, en général appartenant à la prêtrise, ont émergé. Nous allons étudier les plus importants.
    Pour Jean Scot Erigène (IXeme siècle), la raison doit expliquer la révélation. Il ne doit pas y avoir de contradiction entre foi et raison. On doit faire confiance à l'autorité des Pères de l’Église.
    Saint Anselme de Canterbury est connu pour sa fameuse preuve ontologique. Dieu existe de par son essence. L'existence appartient à son essence. Cette preuve ontologique de l'existence de Dieu sera critiquée par Kant.
    Ce théologien, père de la Scolastique, distinguera trois niveaux de vérité : les vérités éternelles en Dieu, la vérité concordance avec la vérité divine et la vérité de l'énoncé en concordance avec les choses.
    Au-delà de la théologie a eu lieu à cette époque la querelle des Universaux qui est un prolongement des idées de Platon.
    Les Universaux sont des concepts universels opposés aux choses singulières. Les nominalistes refusaient l'existence réelle aux universaux. Pour les réalistes, les universaux ont une existence réelle comme les idées de Platon. Pour Jean Roscelin (XIeme siècle), les universaux ne sont que des mots.
    La philosophie arabe
    Sur cette question, il existe une controverse avec des arrière-pensées idéologiques. Pour certains historiens, l'Europe devait ses savoirs à l'islam qui avait récupéré l'héritage grec. De plus, on mélange tous les termes « arabes », « musulmans », « musulmans non arabes ». L'historien Sylvain Gouguenheim a écrit un livre « Aristote au Mont Saint Michel, les racines grecques de l'Europe Chrétienne » où il contredit cette thèse. Pour lui, les liens avec Byzance subsistaient. La culture chrétienne n'avait pas coupé avec les grecs. Les Évangiles furent rédigés en grec. Les Pères de l’Église connaissaient Platon. Dans l'islam, la raison a toujours été seconde par rapport à la révélation. Ce livre en tout cas s'oppose à la phrase de Jacques Chirac qui avait voulu briller en répétant ce que lui avait dit un « intellectuel » : « Les racines de l'Europe sont musulmanes ». Sylvain Gouguenheim rappelle l'existence de Jacques de Venise (XIIeme siècle) qui traduisit au Mont Saint Michel les œuvres d'Aristote en latin.
    Citons les philosophes de l'islam comme Al Fârâbî qui fit une synthèse entre Aristote et le néoplatonisme. Avicenne fut aussi un néoplatonicien, proche de Plotin. Averroès a été le commentateur d'Aristote. Il a voulu réunir la philosophie et la religion islamique.
    La haute scolastique
    L'apogée de la scolastique se fera avec Saint Thomas d'Aquin, mais de nombreux philosophes ou théologiens comme Roger Bacon, Saint Bonaventure, Raymond Lulle (XIIIeme siècle) ont donné leur point de vue.
    Roger Bacon veut convertir la terre entière au catholicisme. Il a voulu remédier aux quatre causes fondamentales de l'ignorance : l'autorité, la coutume, le préjugé et la présomption. Le savoir est fondé sur l'expérience.
    Saint Bonaventure se tournera vers Saint Augustin et le néoplatonisme. Quant à Raymond Lulle, il fut un propagandiste de la catholicité. Son « Ars magna » auquel se réfère Descartes est apologétique. C'est un art de découvrir la vérité. C'est la première machine à penser de l'Histoire.
    Saint Thomas d'Aquin
    Il a été plusieurs années l'élève d'Albert le Grand. Il a relié l'aristotélisme à la pensée chrétienne héritée de Saint Augustin. Foi et raison ne peuvent se contredire, émanant de Dieu.
    La philosophie part des choses pour atteindre Dieu, alors que la théologie part de Dieu.
    Saint Thomas reprend la distinction entre acte et puissance. Il donne cinq preuves (quinque viae) de l'existence de Dieu :
        1.    Du mouvement dans les choses, il faut remonter à une cause première du mouvement : Dieu.
        2.    Tout effet a une cause. Mais comme rien ne peut être la cause de soi-même, il doit y avoir une cause première incausée : Dieu.
        3.    Nous trouvons des choses qui pourraient être ou ne pas être. Elles ne sont pas nécessaires. Il y a un être nécessaire d'où elles tirent leur existence.
        4.    Il y a en toutes choses un plus et un moins. Cela ne peut se dire que s'il y a un étalon de mesure qui possède la détermination de la perfection : Dieu.
        5.    Les corps naturels tendent vers une fin. Cela n'est possible que pour un être intelligent à l'origine de la finalité dans les choses : Dieu
    Saint Thomas a voulu faire une somme qui rend compatibles les Écritures Saintes, les écrits d'Aristote et ceux des Pères de l'Eglise.
    Maître Eckhart (XIIIème-XIVème siècles)
    C'est le représentant de l'association de la mystique avec la théologie. D'inspiration néoplatonicienne, il écrivit des traités théologiques en latin, des sermons en allemand. On trouve Dieu dans le Rien. On a une véritable spiritualité du vide et du rien : « Les nonnes mystiques, les recluses, les solitaires, tous ceux qui avaient soif d'anéantissement devant le divin ne pouvaient manquer de trouver leur joie dans un tel détachement. Ils rejoignaient Dieu dans le dépouillement extrême qui était à leurs yeux et selon la logique la plus stricte la vérité suprême de l'absolu ». (Alain Michel)
    Le pauvre renonce à lui-même en s'abandonnant à Dieu.
    La scolastique tardive
    Guillaume d'Ockham (XIIIème-XIVème siècles) fut un initiateur de la pensée moderne.
    On trouve deux principes dans sa pensée :
    Le principe d'omnipotence. Dieu aurait pu créer les choses autrement. Le monde créé apparaît pour l'homme comme un enchainement de faits. Mais aucun être n'implique l'existence nécessaire d'un autre.
    Le principe d'économie (le rasoir d'Ockham) n'est pas un principe religieux : « On ne doit jamais multiplier les êtres sans nécessité » (pluritas numquam est ponenda sine necessitate).
    Tous les principes qui ne sont pas nécessaires à l'explication d'une chose sont superflus et doivent être rejetés.
    Dans la querelle des universaux, Ockham est nominaliste.
    La pensée médiévale et sa perpétuelle réflexion sur la confrontation entre foi et savoir a abouti pendant la scolastique tardive à la mise en place de la pensée moderne. Pour Guillaume d'Ockham la science de Dieu et la science de la nature n'ont aucun rapport. Pour lui, sur le plan politique, le pouvoir temporel n'a rien en commun avec le pouvoir spirituel. Commence à se dessiner une pensée scientifique avec le principe du rasoir d'Ockham. Newton en fut le prolongement.
    « Non sunt multiplicanda entia praeter necessitatem ».
    La philosophie médiévale a aussi transmis la philosophie grecque jusqu'à nous, qui portait en elle l'explication du monde en dehors des mythes et de la religion.
    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Lévi-Strauss contre-révolutionnaire

    Magnifique synthèse de la situation par le grand anthropologue, rappelée par l'abbé de Tanouarn.

    "La Révolution a mis en circulation des idées et des valeurs qui ont fasciné l'Europe puis le monde, et qui procurèrent à la France, pendant plus d'un siècle, un prestige et un rayonnement exceptionnels. On peut toutefois se demander si les catastrophes qui se sont abattues sur l'Occident n'ont pas aussi là leur origine.
    En quel sens ?
    Parce qu'on a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu'elle est faite d'habitudes, d'usages, et qu'en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l'état d'atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu'un contenu concret : elle est faite d'équilibres entre des petites appartenances, des menues solidarités : ce contre quoi les idées théoriques qu'on proclame rationnelles s'acharnent; quand elles sont parvenues à leurs fins, il ne leur reste plus qu'à s'entre-détruire. Nous observons aujourd'hui le résultat."

    Paula Corbulon