culture et histoire - Page 1631
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Frakass - Solstice d'hiver
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Le cercle de Précy (Lyon) consacré aux légendes arthuriennes
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Joseph Barra ou le mythe d’un martyr de la Révolution
Un mois à peine après la mort de Joseph Barra, la convention décide de mettre son histoire à l’ordre du jour. Elle veut que, le 7 décembre 1793, la France ait perdu un de ses jeunes héros, un « parfait modèle pour exciter dans les jeunes cœurs l’amour de la gloire, de la Patrie et de la vertu », selon les propres mots de Robespierre. Cet hommage poignant, l’Incorruptible l’adresse à Joseph Barra, tombé près de Cholet sous les coups meurtriers des Chouans alors qu’il clamait « Vive la République ! » Le jeune tambour avait à peine treize ans... Le courage de Barra, sa générosité – ne faisait-il pas parvenir toute sa solde à sa pauvre mère ? – lui vaudront même, sur l’insistance de Robespierre, les honneurs du Panthéon (même s’il en fut retiré en 1795).Si le corps de Barra ne demeura que peu de temps parmi les « Français admirables », sa légende, par contre, fit long feu. Car c’est bien une légende que l’histoire du tambour de la Révolution... qui n’était pas tambour, ne cria jamais « Vive la République ! » et n’envoya pas le moindre argent à sa mère, pour la bonne et simple raison qu’il ne percevait aucune solde. Il s’agit d’une légende construite de toutes pièces autour d’un jeune mitron, homme à tout faire du régiment, et qui ne périt que parce qu’un groupe de Chouans voulait s’emparer des chevaux qu’il gardait.La véritable histoire sera rapportée à la convention par le général Desmaret, dans l’espoir d’attendrir sur le sort de la mère du garçon, veuve avec trois autres enfants à charge.En fait, le nom de Barra n’aurait jamais dû traverser les siècles, s’il n’avait pas rencontré le désir de l’Incorruptible de créer un héros à la mesure de son idéal révolutionnaire : un héros pur – car très jeune –, courageux, incorruptible – comme lui – et profondément désintéressé. Bref, une icône, un martyr de la République censé enflammer le cœur des modérés, affermir l’âme d’un peuple vacillant à l’heure où l’Europe entière menaçait le pays, où la Vendée n’en finissait pas de combattre, où la disette et le chômage étaient le lot commun. A tous ces maux, Robespierre opposera un mythe construit de toutes pièces.Alix Ducret, Mythes et polémiques de l’histoire
http://www.oragesdacier.info/2014/02/joseph-barra-ou-le-mythe-dun-martyr-de.html
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Des mémoires d’avenir enracinés et combattants par Georges FELTIN-TRACOL
Méconnu du plus grand nombre de nos compatriotes, Richard Roudier n’en est pas moins un activiste convaincu. Très tôt adhérent à Europe Action, il conduit aujourd’hui la Ligue du Midi, identitaire et régionaliste, et préside le Réseau Identités. Ce combattant politique – et culturel – a souvent porté le glaive sans pour autant renoncer à la charrue, lui qui s’impliqua fortement auprès des viticulteurs languedociens en tant que syndicaliste agricole
C’est d’ailleurs sous ce titre qui réunit une arme de poing et un instrument agraire que Richard Roudier publie ses mémoires. Mais cet « itinéraire identitaire » ne se veut pas pas que biographique. Résolument tourné vers l’avenir, l’ouvrage estime que « le temps de la réunification a sonné et que le temps des laboratoires devrait s’effacer devant celui de la préparation des conditions de la victoire (p. 10) ».
Richard Roudier retrace son parcours. Fils de petits paysans de Béziers, il suit enfant l’effervescence poujadiste. Plus tard, ses premiers émois militants concernent la lutte viticole et son implacable répression policière hexagonale encouragée par un pouvoir parisien centralisateur qui n’a jamais digéré le grand soulèvement fraternel et méridional de 1907 brisé par l’infâme Clemenceau, personnage le plus infect de l’histoire de France avec le retors Adolphe Thiers.
Lycéen à l’époque de la Guerre d’Algérie, il rejoint les rangs de la F.E.N. (Fédération des étudiants nationalistes) où il rencontre le jeune Pierre Krebs. Ils fondent ensemble un petit journal ronéotypé intitulé Spartiate, et lisent avec passion Europe Action. Souvent, dans le Midi, les distributions de tracts et l’organisation de réunions publiques s’achèvent par des bagarres avec les gauchistes. L’auteur ne cache pas le plaisir qu’il avait de s’y jeter… S’il passe ensuite au M.N.P. (Mouvement nationaliste de progrès), l’héritier politique d’Europe Action, il omet toute éventuelle participation au R.E.L. (Rassemblement européen de la liberté), sa version électoraliste, puis à l’I.E.O. (Institut des études occidentales) de Dominique Venner et de Thierry Maulnier, ne s’engage pas en revanche au G.R.E.C.E. dont le ton très nordiciste l’agace. Richard Roudier suit néanmoins avec intérêt ses recherches et approuve régulièrement les orientations prises par cette centrale d’idées.
Dans les années 1970, il préfère se rallier au combat « néo-poujadiste » de Gérard Nicoud en faveur des commerçants et des artisans. Il œuvre aussi en faveur du régionalisme politique, car son épouse et lui parlent occitan. Les décennies 1960 – 1970 voient le Languedoc, vieille terre occitane, connaître un renouveau culturel indéniable. La période est propice pour de multiples initiatives occitanistes, en particulier sous l’impulsion de Robert Lafont et de François Fontan. Mais l’occitanisme politique a le travers de reprendre des thématiques gauchistes qui feront son bref succès après 1968. En réponse à cette gauchisation contestable, Richard Roudier, sa future femme, Maryvonne, et Jean-Louis Lin fondent un mouvement nationaliste-révolutionnaire occitan : Poble d’Oc. On peut regretter que cette formation originale ne soit traitée qu’en quelques pages alors que son histoire intellectuelle mériterait d’être découverte. La gauchisation de l’occitanisme n’ont pas éteint son régionalisme. Bien au contraire. « Être identitaire, c’est vivre chaque jour son enracinement; se dire blanc, occidental, européen, français est vide de sens s’il n’y a pas à la base une identité locale forte. […] Aussi, le combat identitaire n’est pas le combat contre la France, mais contre une certaine France, celle du centralisme jacobin, de l’administration tatillonne, de la réduction des libertés publiques, celle de la bouillie “ métissarde ”, du nihilisme, du nivellement, celle de la décadence et du renoncement (pp. 164 – 165). » Il est indispensable de refaire une France européenne des régions renaissantes.
Richard Roudier relate aussi ses « travaux pratiques » en métapolitique. Désireux de déloger les communistes de la mairie de Béziers, il se met au service de notables droitiers d’obédience giscardienne et, une fois les municipales remportées en 1983, applique une « métapo » au quotidien, ce qui lui vaut de devenir un « homme à abattre » et de passer deux semaines en détention préventive, suite à une cabale. « Si la métapolitique recommandée par Alain de Benoist est bien un moyen suprême de combat, je me demande aujourd’hui si c’est le bon moyen de conquérir le pouvoir quand elle est employée seule ? Je me demande si la “ métapo ” n’attend pas plutôt que nous soyons d’abord au pouvoir pour donner tout son rendement en s’appelant alors “ propagande du régime ”, une science aussi vieille que la politique ? (pp. 64 – 65) » La question demeure pertinente. L’action métapolitique entreprise en 1977 – 1979 par le contrôle des rédactions de la presse écrite parisienne (Valeurs actuelles, Le Spectacle du Monde, Le Figaro-Magazine…) a échoué comme ont raté le travail municipal auprès des associations et l’entrisme dans des partis politiques (la droite institutionnelle avec le Club de l’Horloge ou le F.N. pour les grécistes). La solution viendrait-elle d’un « gramscisme technologique, internautique, cybernétique » ? On ne peut l’avancer. Sans des événements exceptionnels ou graves, la circulation des idées reste lente et aléatoire. D’où peut-être l’obligation de mener simultanément actions politiques ponctuelles et réflexions intellectuelles de fond. Or il existe une incompatibilité profonde entre ces deux modes opératoires…
Vers la fin du XXe siècle, Richard Roudier s’active au sein d’Unité radicale, puis dans le Bloc Identitaire avant de s’en séparer pour cause de divergences majeures. Avec des identitaires bretons et alsaciens, il lance le Réseau Identités qui va présenter des candidats aux législatives de 2012 parce qu’« aucun révolutionnaire ne peut récuser l’électoralisme par principe (p. 110) ». Lors de son passage au sein d’Unité radicale et du Bloc Identitaire, il défendit La nouvelle question juive de Guillaume Faye, fit écarter le slogan « À Paris comme à Gaza : intifada ! » et imposa une ligne neutraliste résumée par la formule lapidaire « Ni keffieh, ni kippa ». Très critique envers des mouvements qui se focalisent totalement sur les relations extérieures, il considère que « l’expression d’une radicalité en politique étrangère est une manière de faire du bruit sans avoir de fond. Depuis quarante ans, je suis averti par expérience que seule l’indigence de réflexion doctrinale sur les problèmes intérieurs et sociétaux amène un mouvement à disserter sans fin sur la géostratégie amenant chacun de ses militants à se transformer en mini-Clauswitz, cela sans se préoccuper de son voisin qui souffre de mille maux (p. 79) ». L’auteur affirme nettement que l’ennemi principal est « le responsable politique ou associatif qui n’a pas empêché le pauvre bougre subsaharien d’entrer ou celui qui l’a encouragé à venir et qui, pour cacher sa veulerie, me vante l’immigration comme une “ chance pour la France ”, alors que la fausseté du propos n’est plus à démontrer. Mon ennemi […] est surtout Français, gauchiste, halluciné, corrompu, jacobin, affairiste, républicain, démagogue, socialiste, libéral, que sais-je encore ? (pp. 81 – 82) ».
Richard Roudier évoque aussi la propriété qu’il a acquise en 1989 « dans les premiers contreforts des Cévennes (p. 71) » et qui constitue une véritable B.A.D. (base autonome durable). Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’un de ses fils, Olivier, soit « devenu un théoricien passionnant de la décroissance et de la nécessaire reconquête des terres par les néo-ruraux (p. 72) ». Agir métapolitiquement auprès des populations péri-urbaines ne serait-elle pas une réponse adaptée aux enjeux actuels ? Cela suppose au préalable l’élaboration d’une plate-forme programmatique. En effet, « outre qu’il participe de la dynamique initiale d’un groupe, l’esprit de plate-forme élargit le recrutement. En se fixant naturellement en priorité sur des accords déjà majoritairement acquis, il élargit la base de recrutement tout en augmentant la discipline intérieure par l’existence d’un embryon de doctrine écrite faisant loi (p. 125) ». Le Réseau Identités coopère ainsi avec la mouvance solidariste de Serge Ayoub et les royalistes non-conformistes, « militaro-décroissants » et « hyper-français » du Lys noir.
Dans les derniers chapitres de son livre, Richard Roudier propose une base commune de collaboration entre les différentes forces dissidentes afin d’alimenter un processus séparatiste latent et de susciter des communautés autochtones, fondements à venir d’une Alter-Europe eurosibérienne, libérée de l’emprise de l’O.T.A.N. Dans l’immédiat, cet Européen qui a voté non lors du référendum entend renouer avec la vision d’une « Europe nationale, libre et indépendante » naguère prônée par Maurice Bardèche. L’auteur en appelle finalement à une « grande conjuration des ruptures (p. 202) ». Mais, bien entendu, pour qu’adviennent ces ruptures nécessaires, « pour renverser un processus de mort, pour renverser la vapeur du déclin, pour renverser des valeurs mutantes et des lois putrides, pour renverser l’ordre des choses, il faut au moins renverser le gouvernement (p. 138) ». L’échec patent de l’opposition au mariage homosexuel témoigne de l’amateurisme petit-bourgeois et du légalisme naïf des organisateurs et de la majorité des manifestants. Préparer les esprits pour déclencher l’étincelle suppose par conséquent une intense formation d’activistes prêts à encadrer des colères surgies de la population. Et si, plutôt que sociétale, l’« insurrection qui vient » était finalement sociale, populaire et locale ?
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/?p=3521
• Richard Roudier, Le Glaive et la Charrue. Itinéraire identitaire, Éditions Identitor (B.P. 1 – 7114, 30 912 Nîmes C.E.D.E.X. 2), 2013, 205 p., 14,50 €.
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Dictature scolaire : quand l'UMP concurrence le PS
Le député-maire de Versailles en guerre contre les écoles hors-contrat ?
Décidément, la liberté éducative des parents - principe non négociable, rappelons-le, au même titre que la défense de la vie de la conception à la mort naturelle, ou la défense du mariage traditionnel et de la famille - est fortement menacée.
Nous savions que M. Peillon et ses affidés souhaitaient "arracher les enfants à leurs déterminismes familiaux". Mais il y a, si l’on peut dire, pire encore : l’opposition semble trouver que le PS ne va pas assez loin dans ce délire totalitaire. [...]
La suite sur Le Salon Beige
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Dictature-scolaire-quand-l-UMP
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Peillon veut renforcer l’enseignement de l’arabe : « C’est l’avenir de l’Europe et l’avenir de la France »
« L’enseignement de l’arabe était abandonné […] depuis des années, nous allons mettre les moyens nécessaires » à son renforcement, a déclaré à l’AFP le ministre français de l’Education, Vincent Peillon.
Cette orientation« est culturelle, mais elle est aussi, et ça chacun doit le comprendre, l’avenir de l’Europe et l’avenir de la France », a-t-il ajouté.
Comme ça, les choses sont claires !Et tant pis si la plupart des jeunes Français ne savent plus aujourd’hui écrire leur propre langue !
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La famille nombreuse fait rêver les Français
Ils sont incorrigibles malgré la propagande ambiante :
"49 % des Français se seraient bien vus avec un petit troisième et pourquoi pas un quatrième, selon une étude de l'Unaf (Union nationale des associations familiales) en partenariat avec la Cnaf (Caisse nationale des associations familiales) auprès de 11 000 familles en situation d'avoir des enfants. La famille nombreuse séduit donc toujours les Français? Avant de devenir parents, 30 % des sondés désiraient trois enfants, 14 % en espéraient quatre et 5 % se seraient laissés tenter par plus. [...]
22 % des familles disent se heurter à la difficile conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. [...] 71 % des sondés désespèrent d'un contexte socio-économique peu favorable pour avoir des enfants. [...]"
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Charlemagne (742 - 814) L'empereur du renouveau occidental
Charlemagne est l'héritier d'une illustre famille franque originaire des environs de Liège (Belgique actuelle), les Pippinides. Il va consolider et porter à son apogée le royaume quelque peu barbare reçu de son père Pépin le Bref, lui-même fils de Charles Martel et petit-fils de Pépin de Herstal.
Ce royaume, qui s'étend des Pyrénées à la Rhénanie correspond à peu de chose près au royaume fondé trois siècles plus tôt par Clovis, sur les ruines de l'empire romain d'Occident. Pour cette raison, on l'appelle royaume des Francs (en latin, regnum Francorum).
En près d'un demi-siècle de règne, dont la moitié consacré à la guerre, Charlemagne, assisté par des clercs passionnés, va creuser les fondations d'un nouveau monde, le nôtre. À ce titre, il fait partie des rares personnalités qui ont pesé sur le cours de l'Histoire universelle.
André LaranéLa formation de l'empire carolingienCliquez pour agrandir
Charlemagne restaure un semblant d'État sur un territoire d'environ un million de km2, peuplé d'une quinzaine de millions d'habitants, de l'Èbre (Espagne) à l'Elbe (Allemagne) et au Tibre (Italie).
De cette construction éminemment fragile, simplement unie par la foi catholique et l'allégeance au pape, vont surgir les grands États qui vont faire la grandeur de la civilisation européenne au millénaire suivant...
«Carolus, Magnus Rex»
À la mort de leur père, en 768, Charles et son jeune frère Carloman héritent chacun d'une part du royaume, selon la tradition germanique du partage des héritages, qui sera fatale à la dynastie. Heureusement, si l'on peut dire, la mort prématurée de Carloman, trois ans plus tard, permet à Charles (29 ans) de refaire l'unité du royaume des Francs.
Le nouveau roi des Francs est un Barbare qui ne parle que le francique, la langue des Francs. Intelligent et énergique, il n'a de cesse de s'instruire. Il apprend le latin auprès des meilleurs clercs de son temps, dont le plus connu est le moine anglais Alcuin. Ce moine sera à l'origine de la «renaissance carolingienne» et du retour en force du latin dans la culture occidentale.
Du fait qu'il n'y a plus depuis longtemps d'administration fiscale ni d'impôts, Charles subvient à ses besoins et à ceux de sa cour en se déplaçant de l'une de ses résidences à la suivante et en vivant sur les ressources locales.
À la fin de sa vie, comme il souffre de rhumatismes, le roi établit sa résidence principale près d'une source thérapeutique, en Rhénanie, au coeur de son royaume, en un lieu qui s'appellera Aix-la-Chapelle (Aachen en allemand).
Son palais s'inspire de celui des rois lombards, à Pavie, avec une chapelle palatine à une extrémité, une grande salle de réunion à l'autre et un tribunal royal au milieu. L'ensemble est proprement grandiose mais le roi n'en profite pas beaucoup. Il voyage sans arrêt pour inspecter ses représentants et combattre ses ennemis.
Charles restaure un semblant d'administration dans l'Occident européen ravagé par les guerres intestines. Il unifie le système monétaire autour du denier d'argent qui concurrence dès lors le sou d'or byzantin.
Il divise son royaume en comtés, sous l'autorité d'un compagnon du roi (du latin comes, comitis, dont nous avons fait comte) et en 250 entités de base du nom de «pagi», d'après le mot latin pagus qui désigne une circonscription rurale (en France, beaucoup de ces pagi sont devenus à la Révolution des départements).
Les régions périphériques, soumises à la pression des ennemis, sont appelées Marches (du francique marken, frontière). Elles sont confiées à des comtes de la Marche (en francique, markgraf, dont nous avons fait marquis). Dotés des pleins pouvoirs civils et militaires, ils sont parfois aussi appelés ducs (du latin dux, général).
Les habitants des pagi, surtout des travailleurs de la terre, sont désignés sous le terme pagenses, d'où nous viennent les mots paysan... et païen, car ces ruraux ont généralement tardé à adopter la foi chrétienne des citadins et des élites.
Pour éviter les abus de pouvoir des seigneurs locaux, Charles délègue fréquemment ses proches dans les pagi. Ces représentants, ou missi dominici (en latin, envoyés du maître) vont deux par deux et se surveillent l'un l'autre ! L'un est un comte et l'autre un évêque.
Le roi légifère beaucoup, pour améliorer la gestion quotidienne des domaines agricoles, pour imposer les réformes ecclésiastiques et conformer les moeurs - en particulier le mariage - aux canons chrétiens.
En rupture avec la tradition orale antérieure, il a soin de mettre par écrit les lois et ordonnances pour mieux en assurer l'application. Ses textes juridiques sont appelé «capitulaires» parce qu'ils sont divisés en articles ou chapitres - comme les lois actuelles -.
Ainsi publie-t-il près de cinquante capitulaires après l'an 800, parmi lesquels le capitulaire De villis dans lequel il rappelle avec une précision maniaque les principes de gestion d'un domaine rural.
Afin de garder un semblant de lien avec le peuple, le roi réunit tous les ans, avant de partir à la guerre, une assemblée ou «plaid» (du latin placere, plaire) censée réunir tous les hommes libres, en fait seulement les personnages principaux du royaume.
Au service de Dieu
Attentif aux affaires religieuses, Charles, très pieux, s'honore de soutenir l'évêque de Rome, autrement dit le pape, qu'il va ériger définitivement en chef spirituel de l'Église d'Occident, autrement dit de la catholicité.
Les papes qui se succèdent à Rome pendant son règne répondent avec faveur à ses avances car ils ont besoin d'être protégés contre les Lombards, des Germains christianisés établis au siècle précédent dans la plaine du Pô.
Or, ils ne peuvent compter sur leur protecteur habituel, le basileus qui règne à Constinople sur l'empire romain d'Orient, car celui-ci a bien d'autres préoccupations en tête (agressions arabes, querelles autour de l'iconoclasme, luttes de palais...). D'ailleurs, depuis les années 770, les papes ne prennent même plus la peine de faire valider par le basileus leur élection par le peuple de Rome.
Lecteur assidu de La Cité de Dieu, l'ouvrage majeur de saint Augustin (Ve siècle), le roi des Francs constitue une vingtaine d'archevêchés pour favoriser l'évangélisation de l'Occident.
Il encourage saint Benoît d'Aniane, de son vrai nom Witiza, qui a entrepris de rénover et étendre la règle bénédictine dans les monastères.
En 809, il réunit dans sa résidence d'Aix-la-Chapelle un concile qui introduit le «Filioque», une subtilité théologique qui participera au malentendu religieux entre Grecs et Latins : selon les premiers, le Saint Esprit procède «du Père par le Fils» ; selon les seconds, il procède «du Père et du Fils» !
Des guerres sans fin
Le règne personnel de Charles 1er, très long (44 ans), est une suite incessante de guerres, en premier lieu contre les fils de son frère Carloman et leurs partisans, en second lieu contre les Saxons païens de Germanie, les Bretons et les musulmans d'Espagne, qui menacent son royaume sur ses frontières, ainsi que contre les Lombards qui menacent le pape. Le roi ne passe pratiquement pas un été sans combattre et ce, dans toutes les directions.
De l'Aquitaine, peu sûre, il fait un royaume vassal confié à son fils Louis. C'en est fini de l'antique supériorité du Midi gallo-romain sur le Nord barbare... Beaucoup plus tard, vers 790, le roi constitue une Marche de Bretagne confiée à son fils Charles le Jeune pour protéger le royaume contre les agressions des Bretons de la péninsule.
- Charles fait la guerre aux Lombards :À l'appel du pape Adrien 1er, menacé par ses voisins lombards, il franchit les cols alpins et, le 16 juin 774, après un très long siège, entre dans Pavie, la capitale des rois lombards (près de Milan).
Il dépose le roi Didier - dont on lui avait fait épouser la fille ! - et ceint la «couronne de fer» des rois lombards (ainsi appelée parce que son armature intérieure viendrait d'un clou en fer de la croix du Christ).
Il prend dès lors le titre de «roi des Francs et des Lombards» et donne à l'un de ses fils, Pépin, le titre inédit de roi d'Italie.
Il profite de l'occasion pour effectuer son premier pèlerinage à Rome, histoire d'entretenir les bonnes relations entre sa dynastie et le Saint Siège. Bien entendu, il est reçu avec tous les égards par le pape dans son palais du Latran.
- Charles fait la guerre aux Saxons :Comme le roi des Francs dispose d'une armée redoutable mais peu nombreuse, au maximum 50.000 à 100.000 combattants pour tenir un territoire grand comme deux fois la France actuelle, il se montre impitoyable avec ceux qui lui tiennent tête, pour leur ôter l'envie de continuer, et conciliant avec ceux qui se soumettent.
En 772, Charles se jette sur les Saxons, redoutables guerriers germains - et païens - qui, depuis l'époque de Clovis, n'en finissent pas de harceler le royaume des Francs. Ils peuplent les forêts qui s'étendent entre la mer du Nord et l'Elbe (ce qui correspond au Land actuel de Basse-Saxe).
Dès sa première campagne, il détruit l'Irminsud, un arbre sacré que vénèrent les Saxons. Une deuxième campagne en 775 aboutit à un baptême de masse à Paderborn, au coeur de la Saxe, où le roi des Francs établit l'une de ses résidences.
Mais cela n'y fait rien. Un chef prestigieux, Widukind (le Vercingétorix saxon !), soulève son peuple en 778.
Les Francs reprennent le chemin de la guerre. Pour ne pas perdre leur avantage, ils restent sur place certains hivers au lieu de se démobiliser comme de coutume, profitant de ce que les marais sont pris par les glaces et les forêts dénudés et impropres à cacher les ennemis.
Surtout, ils pratiquent des méthodes de plus en plus brutales. En 782, après qu'une armée franque eut été écrasée au pied du Süntelgebirge, sur la rive orientale de la Weser, Charles fait décapiter 4.500 prisonniers saxons à Verden, au sud de Brême.
En dépit de la reddition de Widukind en 785, les rébellions continuent. Elles ne prendront fin qu'en 804 après plusieurs campagnes supplémentaires et des déportations de populations.
Par un capitulaire publié en 785, après le baptême de Widukind (Capitulatio de partibus Saxoniae), le roi des Francs annonce : «(...) Tout Saxon non baptisé qui cherchera à se dissimuler parmi ses compatriotes et refusera de se faire administrer le baptême sera mis à mort». Dont acte.
Mais Charles manifeste parallèlement le souci de développer la Saxe. Il multiplie les fondations urbaines et publie en 793 un édit de pacification. Pour consolider l'intégration de la Saxe à son royaume, il annexe aussi en 775 la Frise voisine, une région pauvre qui a l'avantage d'être en liaison étroite avec les îles britanniques.
- Charles fait la guerre aux Arabes d'Espagne :Au sud des Pyrénées, Charlemagne intervient contre l'émir de Cordoue Abd al-Rahman à l'appel de son rival, le gouverneur de Barcelone. Mais après la prise de Pampelune et un échec devant Saragosse, en 778, il doit rentrer dare-dare en raison d'une nouvelle sédition saxonne. Son arrière-garde essuie un revers dans le col de Roncevaux.
Le roi des Francs arrive néanmoins à constituer une Marche d'Espagne tout au long des Pyrénées, afin de simplement protéger son royaume contre les agressions musulmanes. C'est le début de la «Reconquista» espagnole.
- Charles fait la guerre aux Avars :Le roi des Francs se confronte à la sédition du duc de Bavière Tassilon III, fils d'une fille naturelle de Charles Martel et cousin de Charlemagne. Il finit par le déposer en 788. Tassilon continue cependant de comploter avec les Avars, des nomades d'origine turque établis dans la plaine du Danube.
En 796, l'armée franque fond sur le «Ring», la résidence de leur chef, le Khagan. Cela leur vaut de récupérer de fabuleux trésors : quinze chariots remplis d'objets en métal précieux qui vont décorer Saint-Pierre de Rome et d'autres grandes églises, et surtout rémunérer les compagnons du roi.
La consécration
Lors d'un nouveau voyage en Italie, à la Noël 800, le pape confère à Charles le titre inédit d'«Empereur des Romains». Pour les contemporains, il s'agit rien moins que de restaurer l'empire romain, après une longue parenthèse (en Occident) et à un moment où (en Orient) le trône de Constantinople est vacant ou tout comme. N'est-il pas occupé par une femme, une usurpatrice, l'impératrice Irène ?
Les clercs de la cour de Charles 1er prennent dès 773 l'habitude de désigner le roi des Francs du qualificatif latin de Carolus Magnus. Il s'agirait d'une abréviation de «Carolus, Magnus Rex» (Charles, le grand Roi), devenue «Charlemagne» dans la langue populaire et, en allemand, Karl der Grosse (*).
Mais en dépit de son prestige et de la reconnaissance par ses pairs, le calife de Bagdad et le basileus de Constantinople, l'empire carolingien laisse déjà entrevoir des signes de faiblesse.
Avec la pacification des frontières et l'arrêt des conquêtes, il n'y a plus de butin pour assurer la fidélité des seigneurs. Qui plus est se font jour de nouvelles menaces avec les premières incursions de Vikings sur les côtes de la mer du Nord.
Charlemagne meurt dans son palais d'Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814, à 71 ans. Il est inhumé dans la chapelle palatine le jour même. Sous ses successeurs, dépourvus de poigne et de charisme, les seigneurs prennent très vite leurs distances vis-à-vis du pouvoir central, n'ayant pas de plus pressant souci que de protéger leurs domaines, leur unique source de revenus.
L'embryon d'État qu'a fondé Charlemagne disparaît peu après sa mort. De ses cendres va surgir la société féodale... et une légende épique qui s'est prolongée jusqu'à nous.
De la fin du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale, Français et Allemands tentent chacun de leur côté de «naturaliser» à leur profit l'empereur, pour s'approprier une page glorieuse de l'Histoire européenne et justifier aussi la possession de la Rhénanie et de la rive gauche du Rhin.
Le mythe de Charlemagne, père de l'Europe, est né au XIXe siècle, notamment à l'initiative de Victor Hugo (La Légende des Siècles). Après la Seconde Guerre mondiale, les fondateurs de la Communauté européenne tentent de le relancer. Il est à noter que l'empire carolingien coïncide assez exactement avec les six pays signataires du traité de Rome : Allemagne, Belgique, France, Hollande, Italie et Luxembourg.
C'est le constat que fait l'historien Emmanuel Berl : «L'Europe carolingienne commence vers Brême. Elle suit l'Elbe, puis la Saale ; elle rejoint le Danube ; elle le descend jusqu'aux premiers contreforts des Carpathes ; elle suit les Alpes jusqu'à Venise, s'arrête au sud de Rome et longe ensuite la côte méditerranéenne jusqu'à Barcelone. Cette ligne a longtemps tracé, elle trace encore, une frontière culturelle. Au Nord et à l'Est, elle coïncide à peu près avec les limites de la catholicité ; sur la rive droite de l'Elbe et en Angleterre, le protestantisme a vaincu» (*).
Faut-il pour autant voir en Charlemagne le père de l'Europe ? Ce n'est pas l'avis du grand historien médiéviste Jacques Le Goff : «L'empire fondé par Charlemagne est d'abord un empire franc. Et c'est un véritable esprit patriotique qui le fonde. Charlemagne envisagea même, par exemple, de donner des noms francs aux mois du calendrier. Cet aspect est rarement mis en valeur par les historiens. Il est important de le souligner, parce que c'est le premier échec de toutes les tentatives de construire une Europe dominée par un peuple ou un empire. L'Europe de Charles Quint, celle de Napoléon et celle de Hitler, étaient en fait des anti-Europe, et il y a déjà quelque chose de ce dessein contraire à la véritable idée d'Europe dans la tentative de Charlemagne» (*).
http://www.herodote.net/Charlemagne_742_814_-synthese-1891.php
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Frakass - Avant qu'il ne vienne
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Biologie de synthèse : Les multinationales veulent industrialiser la vie
Thérapies plus efficaces, bactéries anti-pollution, carburants synthétiques… La biologie de synthèse nous réserverait un futur plein de promesses. Et attire les investissements des plus grands groupes mondiaux de biotechnologies, de l’énergie ou de l’agroalimentaire. Mais fabriquer artificiellement la vie, à partir d’ADN construit en laboratoire et d’usines à gènes brevetés, suscite de nombreuses interrogations.
Alors que les premiers organismes intégralement conçus par ordinateur commencent à prendre vie, des ingénieurs rêvent déjà de planifier l’évolution et de corriger les « imperfections » de la nature. Enquête.
« Fabriquer la vie ». Ainsi pourrait se résumer l’ambition de la biologie de synthèse. Cette branche des biotechnologies veut créer de toutes pièces des organismes vivants, inconnus à l’état naturel. Et aller plus loin encore que les OGM, qui modifient le code génétique d’un organisme pour lui donner une nouvelle fonctionnalité – croître plus vite ou résister à un pesticide.
Avec la biologie de synthèse, nous entrons dans une autre dimension: on quitte le bricolage des gènes, pour aller vers une fabrication à grande échelle d’organismes artificiels, après modélisation et simulation informatique.
« Un nouveau monde s’ouvre à nous », décrit le site de présentation du ministère de l’Économie. La biologie de synthèse, nouvel eldorado techno-scientifique, « pourrait apporter des thérapies plus efficaces, des médicaments moins chers, de nouveaux matériaux facilement recyclables, des biocarburants, des bactéries capables de dégrader les substances toxiques de l’environnement », s’enthousiasment les pouvoirs publics.
Les géants de la chimie, de l’énergie, de l’agrobusiness et de la pharmacie – comme BP, Exxon Mobil, BASF ou Cargill – sont sur les rangs, mais aussi ceux de l’informatique, comme Microsoft ou Google [1]. La biologie de synthèse apporterait, selon ses promoteurs, la promesse de remplacer à terme le secteur de la chimie, avec des recettes miracles pour faire face aux pollutions et à l’épuisement des ressources.
Briques d’ADN pour lego vivantLe développement de la discipline est pourtant récent. En 2010, après 15 ans de travail, une équipe de l’institut Craig Venter aux États-Unis crée une bactérie d’un genre nouveau : son unique chromosome est composé d’ADN entièrement fabriqué par les chercheurs.
C’est le premier organisme vivant construit artificiellement. « Voici sur cette planète la première espèce capable de se reproduire ayant pour parent un ordinateur », s’enflamme son créateur, Craig Venter [2]. Même si, pour le moment, il s’agit surtout de recopier la vie, en recréant en laboratoire les composants de base du code génétique.
Comment ça marche ? Des séquences d’ADN sont fabriquées « sur mesure », après modélisation informatique, puis reliées ensemble via des enzymes et bactéries. L’ADN ainsi synthétisé est inséré dans un châssis biologique – une bactérie ou une levure par exemple – pour pouvoir « fonctionner ».
L’ADN synthétique est comme un logiciel, inséré dans un châssis-ordinateur. « Les gènes, les protéines, entre autres, sont à la cellule ce que les transistors, les condensateurs et les résistances sont à l’ordinateur », expliquent les chercheurs de l’université de Princeton [3]. Une sorte de lego du vivant, à base de « bio-briques » d’ADN standardisées, originales ou recopiant des briques d’ADN déjà existantes dans la nature.
Des usines à gènes
Les crédits de recherche dans ce domaine connaissent une croissance exponentielle depuis quelques années. Car les applications possibles seraient innombrables. Des produits arrivent déjà sur le marché : des bioplastiques issus du maïs, des tissus synthétiques à base de sucre céréalier, une saveur biosynthétique de pamplemousse ou du biodiésel.
Les investissements se concentrent notamment sur le secteur de l’énergie, avec la production de micro-organismes ou d’algues modifiées capables de transformer de la biomasse en carburant. Les recettes de l’après-pétrole sortiront-elles des laboratoires de biologie de synthèse ?
Le groupe pétrolier Exxon a déjà investi 100 millions de dollars pour développer un carburant à partir d’algues, en partenariat avec l’entreprise Synthetics Genomics, dirigé par Craig Venter. BP a consacré 500 millions de dollars pour le développement d’agrocarburants synthétiques, au sein de l’Energy Biosciences Institute.
Quant à la Fondation Bill & Melinda Gates, elle finance la recherche d’applications médicales à hauteur de 43 millions de dollars… Deux types d’entreprises se partagent actuellement le marché. Celles qui fabriquent les composants de base, les gènes synthétiques : les « fonderies à gènes » comme Tech Dragon à Hong-Kong et Gene Art en Allemagne, dont le catalogue comprend des séquences génétiques du cerveau, du foie ou du cœur humain, ou DNA 2.0 aux États-Unis, qui propose aussi un logiciel gratuit pour « concevoir des séquences [d’ADN] sans être limité par ce que la nature peut offrir ».
Ensuite, des entreprises de biotechnologies créent et commercialisent des organismes à partir de ces gènes, comme Synthetic Genomics aux États-Unis. 3000 chercheurs d’une quarantaine de pays travailleraient dans le secteur de la biologie de synthèse.
Privatisation des ressources naturelles
En France, quelques équipes de recherche, du Génopole d’Évry, se sont attelés à la biologie de synthèse, ainsi que sept entreprises de biotechnologie [4], selon un recensement du ministère de la Recherche. Celui-ci ambitionne de passer à la vitesse supérieure : « Il existe en France un gisement de compétences à mobiliser, permettant de viser une position mondiale de second ou troisième » [5]. En 2007 a été créé l’Institut de biologie systémique et synthétique (iSBB), qui comprend notamment la plate-forme abSYNTH, dont les équipements sont mis à disposition des entreprises et universités.
Total a créé un département Biotech avec un axe sur la biologie de synthèse en 2009. Le groupe pétrolier est devenu un important actionnaire de la société de biotechnologie Amyris (États-Unis). Celle-ci dispose d’une plateforme de biologie de synthèse de pointe, permettant de construire très rapidement des levures, qui deviennent de « véritables usines vivantes, optimisées pour fermenter des sucres et pour produire des molécules », qui sont ensuite transformées en agrocarburants [6].
Dans le secteur de la santé, c’est le groupe français Sanofi qui mène la danse. En 2013, Sanofi a annoncé la production à grande échelle d’artémisinine semi-synthétique, un principe actif utilisé contre le paludisme. Après dix années de recherche, financées par la Fondation Bill et Melinda Gates, un procédé a été breveté par Amyris [7], et une licence est octroyée à Sanofi.
Vers la fin de l’agriculture « naturelle » ?
Problème : cette production entre en concurrence avec celle d’artémisinine naturelle, dont vivent aujourd’hui des milliers d’agriculteurs. Un cas d’école concernant la biologie de synthèse, estime la Fondation Sciences citoyennes: un projet en apparence inattaquable car répondant à des enjeux de santé publique, des collusions entre scientifiques et entrepreneurs qui innovent dans les universités mais déposent des brevets via leurs start-up, puis cèdent les licences à des grandes entreprises. Avec le risque de captation de profits par des multinationales, pour des ressources génétiques également disponibles à l’état naturel [8].
La concurrence entre production agricole et production industrielle biosynthétique pourrait concerner demain le réglisse, la vanille ou le caoutchouc : des produits de substitution, issus de la biologie de synthèse, sont déjà au point. Le fabricant de pneumatique Goodyear et le groupe DuPont ont lancé des recherches sur un micro-organisme synthétique produisant de l’isoprène utilisé pour la fabrication de pneus.
Ce qui pourrait mettre en péril l’économie des vingt millions de familles qui dépendent aujourd’hui de la production de caoutchouc naturel. Michelin travaille sur des projets similaires avec Amyris. La biologie de synthèse permet de produire à moindre coût des produits à haute valeur ajoutée – huiles essentielles, saveurs et fragrances, composés médicinaux ou ingrédients pour cosmétiques.
« Des solutions de rechange synthétiques moins coûteuses qui ne dépendent pas de zones de culture, de conditions ou de producteurs spécifiques », décrit l’ONG canadienne ETC, qui a publié de nombreux rapports sur le sujet. Son émergence marquera-t-elle le début de la fin pour l’agriculture ?
Car les brevets se multiplient. Amyris déploie beaucoup d’énergie pour faire breveter la biosynthèse des isoprénoïdes: cette classe compte plus de 55.000 composés naturels, dont le caoutchouc, l’huile de neem, l’huile de palme, le parfum de patchouli et l’huile de pin.
Biologie de synthèse : une technologie miracle ?
Les profits attendus sont immenses. La biologie de synthèse « apparaît comme la solution miracle qui devrait permettre de relancer la croissance, tout en préservant l’environnement, décrivent la chercheuse Bernadette Bensaude-Vincent et la journaliste Dorothée Benoit-Browaeys [9].
Tout comme les nanotechnologies, ou comme la géoingénierie, elle fonctionne sur l’espoir de résoudre les problèmes posés par les technologies d’hier grâce aux technologies de demain ».
Crise énergétique, maladies de civilisation, pollutions… La biologie de synthèse aurait réponse à tout. Après la bulle internet, voici donc la bulle « synbio » : « Mêmes mécanismes d’investissement sous-tendus par une économie de la promesse, mêmes prévisions de croissance exponentielle. »
Les applications dans les secteurs de la santé et de l’énergie se diffusent déjà. Sans débat public sur les enjeux, sans contrôle par les autorités, sans réflexion sur l’impact sanitaire de la dissémination de ces molécules synthétisées, ou les risques pour l’environnement.
Des organismes vivants, même artificiels, ça se reproduit. Donc ça se diffuse ! Et si la biologie de synthèse permet de produire des vaccins beaucoup plus rapidement, ces techniques peuvent aussi servir à fabriquer des virus, avec tous les risques possibles de détournements d’usage et de bioterrorisme. La législation, comme souvent, est en retard. Voire inexistante.
Des scientifiques recommandent que les activités de recherche en biologie de synthèse se déroulent uniquement dans des laboratoires très sécurisés, de niveau de biosécurité P3 ou P4 (pour pathogène de classe 3 ou 4) où virus et bactéries sont manipulés sous haute-protection. En 2012, plus d’une centaines d’organisations internationales ont demandé un moratoire sur les usages commerciaux de la biologie de synthèse.
Dispositif-suicide pour gérer l’incertitude
En France, qu’en pensent les pouvoirs publics ? « La Délégation générale pour l’Armement (DGA) a réalisé une base des données des acteurs de la biologie de synthèse et a identifié les options biosécuritaires », décrit de manière lapidaire unrapport du ministère de la Recherche. Une veille sur la biologie de synthèse est organisée, ainsi qu’une « réunion interministérielle annuelle de concertation ».
Mais, précise le rapport, « afin de ne pas pénaliser les avancées de la recherche dans ce domaine, il faut intégrer le risque nouveau avec une attitude d’incertitude positive ». Impossible de savoir ce que signifie ce principe de précaution version « positive attitude ».
Les chercheurs planchent sur des solutions pour limiter la dissémination. Comme la possibilité que les organismes synthétiques s’autodétruisent quand ils ont terminé leur travail, grâce à un « dispositif-suicide ». Ou qu’ils ne puissent pas se reproduire, à l’image du gène « Terminator », qui rend stériles les graines OGM de seconde génération. Mais les organismes peuvent évoluer et s’adapter, suite au croisement avec d’autres organismes naturels ou modifiés, ou à des mutations spontanées.
« On peut faire en sorte que la bestiole dépende de l’homme pour se nourrir. Mais elle peut évoluer. Dans 10-15 ans, elle aura trouvé un autre moyen de s’alimenter, par symbiose par exemple, » explique le chercheur François Kepès, de l’ISSB [10].
Vers un nouvel « alphabet du vivant » : la xénobiologieLe nombre limité d’entreprises qui fabriquent les gènes synthétiques laisse penser que le secteur peut être réglementé. Les banques de séquences ADN standardisées comme BioBricks ou GenBank peuvent être soumises à des réglementations. Une autre solution est avancées par des chercheurs : le « confinement sémantique ». Pour éviter les contaminations d’ADN artificiel, il suffirait d’utiliser d’autres bases que celles existantes – les bases A (adénine), T (thymine), G (guanine) et C (cytosine), qui composent le « squelette » de l’ADN.
Changer « l’alphabet du vivant » en quelque sorte, le langage génétique qui sous-tend toute forme de vie sur la planète. C’est ce que propose le projet Xenome, piloté par le biologiste Philippe Marlière au Génopole d’Evry, auquel participe le Commissariat à l’énergie atomique. Cette nouvelle branche de la biologie de synthèse – la xénobiologie – vise à créer, à côté de l’ADN qui existe depuis trois milliards d’années, un autre code. Plus les créatures artificielles sont éloignées de la biodiversité terrestre, moins les risques d’interférences seront importants.
La xénobiologie empêcherait donc la contamination d’ADN. Et permettrait le développement de la biodiversité, estime Philippe Marlière [11] : « La biodiversité terrestre est étriquée et imparfaite. Elle pourra être élargie et dépassée en inventant des mondes vivants parallèles ». « La biosphère rafistole ses dispositifs au fil de l’eau et bricole pour en créer de nouveaux », poursuit Philippe Marlière.
Cette évolution par bricolage et rafistolage « révèle l’impasse faite sur une multitude d’autres assemblages chimiques qui auraient conduit à des organismes radicalement différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. La xénobiologie n’est rien d’autre que le projet d’engendrer cette biodiversité inédite en vue de l’explorer scientifiquement et de l’exploiter industriellement. » Une biodiversité artificielle, construite par des ingénieurs dans des labos. Des ingénieurs qui planifient la vie et son évolution…
Biohackers et bidouille génétique « open source »Face aux risques de privatisation du vivant par la biologie de synthèse, un autre courant émerge, cette fois inspiré de l’open source et de l’accès libre au savoir. Le principe : pas de brevet sur les gènes. Les « biobriques », bases de la biologie de synthèse, seraient accessibles à tous, et non privatisées par des entreprises ou des labos de recherche.
La biologie de synthèse à la portée de tous. C’est ce que défendent les « biohackers », qui bricolent du code génétique à partir d’informations disponibles sur internet et de matériel d’occasion acheté pour trois fois rien. Avec la baisse des coûts du séquençage de l’ADN, il est désormais possible de bidouiller de la génétique dans son garage.
On peut commander à un laboratoire, qui le fabrique sur mesure, un segment d’ADN de synthèse conçu sur son ordinateur. En France, cette biologie de synthèse « Do-it-Yourself » se développe notamment autour du biohackerspace La Paillasse, un « laboratoire communautaire pour les biotechnologies citoyennes », à Vitry-sur-Seine. Des collectifs de passionnés fleurissent aux États-Unis.
Comme le groupe DIYbio – Do-it-Yourself Biology, à San Francisco, où on apprend à extraire l’ADN de sa salive avec une pincée de sel, du liquide vaisselle, du jus de pamplemousse et du rhum. Vous vous voulez synthétiser de l’ADN humain ? Pas de panique, la recette est en ligne : il est possible de télécharger sur internet des séquences de génome humain (ici), aussi facilement qu’un film !
Que deviennent les organismes trafiqués ?
« Les débats sur l’open source en matière de biologie de synthèse semblent plus une diversion sur des recherches sans grand enjeu industriel ; les séquences d’ADN stratégiques sont, elles, privatisées », tranche Dorothée Benoit-Browaeys. Le bricolage d’ADN dans la chambre d’ami n’augure rien de bon du point de vue dissémination.
Le témoignage de Josh, informaticien et biohacker californien est éloquent : « Quand je modifie mes bactéries pour qu’elles produisent de l’éthanol, j’introduis également une seconde modification qui les rend résistantes aux antibiotiques. Puis j’injecte des antibiotiques dans leur bocal pour faire le tri : seules celles sur lesquelles la modification a réussi survivent. »
Que fait Josh avec ces stocks de bactéries génétiquement modifiées résistantes aux antibiotiques, qui« pourraient transmettre leur résistance à d’autres bactéries pathogènes, dangereuses pour l’homme » ? Mystère.
La diffusion de la biologie de synthèse auprès d’un large public est aussi favorisée par la grande compétition IGEM (International Genetically Engineered Machine). Plus de 200 équipes étudiantes du monde entier sont invitées chaque année à inventer de nouvelles constructions en biologie de synthèse, à partir d’un répertoire d’environ 12 000 bio-briques standardisées et open source.
Parmi les créations 2013 : la première machine à calculer bactérienne, par des étudiants de Toulouse [12], une version biologique du jeu Démineur par l’équipe de Zurich, ou une pile bactérienne que l’on peut imprimer soi-même avec une imprimante 3D… Chaque équipe étant sponsorisée par des entreprises, ici EADS, Sanofi, Novartis, Syngenta ou Sofiprotéol.
Devenir soi-même un châssis pour ADN artificiel
Novembre 2012. Dans l’amphithéâtre d’une école de chimie de Paris, une équipe d’étudiants présentent son projet pour le concours IGEM. De l’ADN a été injecté dans un têtard, devenu « châssis » pour biologie de synthèse. Le public interroge : quelles limites à la modification du vivant ? Quel statut pour les organismes créés ? « Un têtard, ce n’est pas vraiment un truc vivant », lâche un des étudiants.
Certains d’entre eux portent un bracelet en plastique vert, remis lors d’un rassemblement IGEM : « Ça veut dire qu’on est d’accord pour devenir nous-mêmes des châssis », précisent-ils. De faire des tests sur eux-mêmes, donc. « Je suis étonnée de la candeur des étudiants IGEM. On les forme en leur disant que « tout est possible », dans une atmosphère joyeuse et bon enfant, décrit Catherine Bourgain, chercheuse, présidente de la Fondation sciences citoyennes et membre de l’Observatoire national de la biologie de synthèse. Beaucoup de jeunes n’ont pas de recul critique, sont d’une naïveté confondante. La règle, c’est « libère ta créativité ». C’est flippant. »
Vers où ces étudiants, futurs chercheurs en biologie de synthèse, feront-ils avancer la discipline? Quel contrôle les autorités publiques auront-elles sur les futurs développements ? Quelle formation des citoyens pour comprendre les enjeux ? « Le défi crucial est de créer les conditions pour que les avancées de la biologie de synthèse s’opèrent résolument dans un climat de confiance citoyenne et d’innovation manifestement responsable », avance le ministère de la Recherche.
Un débat responsable, préconisé par Geneviève Fioraso, ministre de la Recherche, dans un rapport pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en 2012. Notamment pour « empêcher les dérives qui ont marqué les débats sur les OGM et les nanotechnologies » (sic). Pour le moment, le « dialogue public » est au point mort. Le débat semble déjà tranché.
Notes:
[1] Une enquête réalisée en 2012 par l’ONG canadienne ETC Group a révélé qu’à l’échelle planétaire, « les principaux investisseurs et promoteurs reliés au domaine de la biologie synthétique comprennent six des dix plus grandes entreprises chimiques, six des dix plus grandes entreprises productrices d’énergie, six des dix plus importants négociants en grains et sept des plus grandes entreprises pharmaceutiques ».
[2] Cette bactérie est composée d’un seul chromosome, contenant 1,155 million de paires de base. Une molécule d’ADN est formée de deux brins en forme d’hélice sur lesquels sont placés quatre types de bases complémentaires, liées deux à deux : adénine (A) et thymine (T), cytosine (C) et guanine (G).
[3] Cités par Frédéric Gaillard, Innovation scientifreak : la biologie de synthèse, Editions L’échappée, 2013. A lire également sur le site du collectif Pièces et main d’oeuvre.
[7] L’entreprise a conçu une souche de levure modifiée qui produit de l’acide artémisinique à partir du glucose. Ce composé permet ensuite la production d’artémisinine.
[8] L’objectif de Sanofi est de « produire 35 tonnes d’artémisinine en 2013 et 50-60 tonnes en moyenne en 2014. Il permettra de satisfaire en bonne partie la demande du marché ». Source : Sanofi. Voir également la synthèse réalisée par la Fondation Sciences citoyennes sur l’artémisinine.
[9] Bernadette Bensaude-Vincent et Dorothée Benoit-Browaeys, Fabriquer la vie, Où va la biologie de synthèse ?, Éditions du Seuil, 2011.
[10] Intervention lors des Assises du vivant, le 30 novembre 2012, à l’Unesco.