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culture et histoire - Page 1635

  • La famille nombreuse fait rêver les Français

    Ils sont incorrigibles malgré la propagande ambiante :

    "49 % des Français se seraient bien vus avec un petit troisième et pourquoi pas un quatrième, selon une étude de l'Unaf (Union nationale des associations familiales) en partenariat avec la Cnaf (Caisse nationale des associations familiales) auprès de 11 000 familles en situation d'avoir des enfants. La famille nombreuse séduit donc toujours les Français? Avant de devenir parents, 30 % des sondés désiraient trois enfants, 14 % en espéraient quatre et 5 % se seraient laissés tenter par plus. [...]

    22 % des familles disent se heurter à la difficile conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. [...] 71 % des sondés désespèrent d'un contexte socio-économique peu favorable pour avoir des enfants. [...]"

    Michel Janva

  • Charlemagne (742 - 814) L'empereur du renouveau occidental

    Charlemagne est l'héritier d'une illustre famille franque originaire des environs de Liège (Belgique actuelle), les Pippinides. Il va consolider et porter à son apogée le royaume quelque peu barbare reçu de son père Pépin le Bref, lui-même fils de Charles Martel et petit-fils de Pépin de Herstal.

    Ce royaume, qui s'étend des Pyrénées à la Rhénanie correspond à peu de chose près au royaume fondé trois siècles plus tôt par Clovis, sur les ruines de l'empire romain d'Occident. Pour cette raison, on l'appelle royaume des Francs (en latin, regnum Francorum).

    En près d'un demi-siècle de règne, dont la moitié consacré à la guerre, Charlemagne, assisté par des clercs passionnés, va creuser les fondations d'un nouveau monde, le nôtre. À ce titre, il fait partie des rares personnalités qui ont pesé sur le cours de l'Histoire universelle. 

    André Larané
    La formation de l'empire carolingien

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    De Pépin le Bref à CharlemagneCharlemagne restaure un semblant d'État sur un territoire d'environ un million de km2, peuplé d'une quinzaine de millions d'habitants, de l'Èbre (Espagne) à l'Elbe (Allemagne) et au Tibre (Italie).

    De cette construction éminemment fragile, simplement unie par la foi catholique et l'allégeance au pape, vont surgir les grands États qui vont faire la grandeur de la civilisation européenne au millénaire suivant...

    «Carolus, Magnus Rex»

    À la mort de leur père, en 768, Charles et son jeune frère Carloman héritent chacun d'une part du royaume, selon la tradition germanique du partage des héritages, qui sera fatale à la dynastie. Heureusement, si l'on peut dire, la mort prématurée de Carloman, trois ans plus tard, permet à Charles (29 ans) de refaire l'unité du royaume des Francs.

    Le nouveau roi des Francs est un Barbare qui ne parle que le francique, la langue des Francs. Intelligent et énergique, il n'a de cesse de s'instruire. Il apprend le latin auprès des meilleurs clercs de son temps, dont le plus connu est le moine anglais Alcuin. Ce moine sera à l'origine de la «renaissance carolingienne» et du retour en force du latin dans la culture occidentale.

    Du fait qu'il n'y a plus depuis longtemps d'administration fiscale ni d'impôts, Charles subvient à ses besoins et à ceux de sa cour en se déplaçant de l'une de ses résidences à la suivante et en vivant sur les ressources locales.

    À la fin de sa vie, comme il souffre de rhumatismes, le roi établit sa résidence principale près d'une source thérapeutique, en Rhénanie, au coeur de son royaume, en un lieu qui s'appellera Aix-la-Chapelle (Aachen en allemand).

    Son palais s'inspire de celui des rois lombards, à Pavie, avec une chapelle palatine à une extrémité, une grande salle de réunion à l'autre et un tribunal royal au milieu. L'ensemble est proprement grandiose mais le roi n'en profite pas beaucoup. Il voyage sans arrêt pour inspecter ses représentants et combattre ses ennemis.

    Charles restaure un semblant d'administration dans l'Occident européen ravagé par les guerres intestines. Il unifie le système monétaire autour du denier d'argent qui concurrence dès lors le sou d'or byzantin.

    Il divise son royaume en comtés, sous l'autorité d'un compagnon du roi (du latin comes, comitis, dont nous avons fait comte) et en 250 entités de base du nom de «pagi», d'après le mot latin pagus qui désigne une circonscription rurale (en France, beaucoup de ces pagi sont devenus à la Révolution des départements).

    Les régions périphériques, soumises à la pression des ennemis, sont appelées Marches (du francique marken, frontière). Elles sont confiées à des comtes de la Marche (en francique, markgraf, dont nous avons fait marquis). Dotés des pleins pouvoirs civils et militaires, ils sont parfois aussi appelés ducs (du latin dux, général).

    Les habitants des pagi, surtout des travailleurs de la terre, sont désignés sous le terme pagenses, d'où nous viennent les mots paysan... et païen, car ces ruraux ont généralement tardé à adopter la foi chrétienne des citadins et des élites. 

    Pour éviter les abus de pouvoir des seigneurs locaux, Charles délègue fréquemment ses proches dans les pagi. Ces représentants, ou missi dominici (en latin, envoyés du maître) vont deux par deux et se surveillent l'un l'autre ! L'un est un comte et l'autre un évêque.

    Le roi légifère beaucoup, pour améliorer la gestion quotidienne des domaines agricoles, pour imposer les réformes ecclésiastiques et conformer les moeurs - en particulier le mariage - aux canons chrétiens.

    En rupture avec la tradition orale antérieure, il a soin de mettre par écrit les lois et ordonnances pour mieux en assurer l'application. Ses textes juridiques sont appelé «capitulaires» parce qu'ils sont divisés en articles ou chapitres - comme les lois actuelles -. 

    Ainsi publie-t-il près de cinquante capitulaires après l'an 800, parmi lesquels le capitulaire De villis dans lequel il rappelle avec une précision maniaque les principes de gestion d'un domaine rural.

    Afin de garder un semblant de lien avec le peuple, le roi réunit tous les ans, avant de partir à la guerre, une assemblée ou «plaid» (du latin placere, plaire) censée réunir tous les hommes libres, en fait seulement les personnages principaux du royaume.

    Au service de Dieu

    Attentif aux affaires religieuses, Charles, très pieux, s'honore de soutenir l'évêque de Rome, autrement dit le pape, qu'il va ériger définitivement en chef spirituel de l'Église d'Occident, autrement dit de la catholicité.

    Les papes qui se succèdent à Rome pendant son règne répondent avec faveur à ses avances car ils ont besoin d'être protégés contre les Lombards, des Germains christianisés établis au siècle précédent dans la plaine du Pô.

    Or, ils ne peuvent compter sur leur protecteur habituel, le basileus qui règne à Constinople sur l'empire romain d'Orient, car celui-ci a bien d'autres préoccupations en tête (agressions arabes, querelles autour de l'iconoclasme, luttes de palais...). D'ailleurs, depuis les années 770, les papes ne prennent même plus la peine de faire valider par le basileus leur élection par le peuple de Rome.

    Lecteur assidu de La Cité de Dieu, l'ouvrage majeur de saint Augustin (Ve siècle), le roi des Francs constitue une vingtaine d'archevêchés pour favoriser l'évangélisation de l'Occident.

    Il encourage saint Benoît d'Aniane, de son vrai nom Witiza, qui a entrepris de rénover et étendre la règle bénédictine dans les monastères.

    En 809, il réunit dans sa résidence d'Aix-la-Chapelle un concile qui introduit le «Filioque», une subtilité théologique qui participera au malentendu religieux entre Grecs et Latins : selon les premiers, le Saint Esprit procède «du Père par le Fils» ; selon les seconds, il procède «du Père et du Fils»  !

    Des guerres sans fin

    Le règne personnel de Charles 1er, très long (44 ans), est une suite incessante de guerres, en premier lieu contre les fils de son frère Carloman et leurs partisans, en second lieu contre les Saxons païens de Germanie, les Bretons et les musulmans d'Espagne, qui menacent son royaume sur ses frontières, ainsi que contre les Lombards qui menacent le pape. Le roi ne passe pratiquement pas un été sans combattre et ce, dans toutes les directions.

    De l'Aquitaine, peu sûre, il fait un royaume vassal confié à son fils Louis. C'en est fini de l'antique supériorité du Midi gallo-romain sur le Nord barbare... Beaucoup plus tard, vers 790, le roi constitue une Marche de Bretagne confiée à son fils Charles le Jeune pour protéger le royaume contre les agressions des Bretons de la péninsule. 

    - Charles fait la guerre aux Lombards :

     À l'appel du pape Adrien 1er, menacé par ses voisins lombards, il franchit les cols alpins et, le 16 juin 774, après un très long siège, entre dans Pavie, la capitale des rois lombards (près de Milan).

    Il dépose le roi Didier - dont on lui avait fait épouser la fille ! - et ceint la «couronne de fer» des rois lombards (ainsi appelée parce que son armature intérieure viendrait d'un clou en fer de la croix du Christ).

    Il prend dès lors le titre de «roi des Francs et des Lombards» et donne à l'un de ses fils, Pépin, le titre inédit de roi d'Italie.

    Il profite de l'occasion pour effectuer son premier pèlerinage à Rome, histoire d'entretenir les bonnes relations entre sa dynastie et le Saint Siège. Bien entendu, il est reçu avec tous les égards par le pape dans son palais du Latran.

    - Charles fait la guerre aux Saxons :

    Comme le roi des Francs dispose d'une armée redoutable mais peu nombreuse, au maximum 50.000 à 100.000 combattants pour tenir un territoire grand comme deux fois la France actuelle, il se montre impitoyable avec ceux qui lui tiennent tête, pour leur ôter l'envie de continuer, et conciliant avec ceux qui se soumettent. 

    En 772, Charles se jette sur les Saxons, redoutables guerriers germains - et païens - qui, depuis l'époque de Clovis, n'en finissent pas de harceler le royaume des Francs. Ils peuplent les forêts qui s'étendent entre la mer du Nord et l'Elbe (ce qui correspond au Land actuel de Basse-Saxe).

    Dès sa première campagne, il détruit l'Irminsud, un arbre sacré que vénèrent les Saxons. Une deuxième campagne en 775 aboutit à un baptême de masse à Paderborn, au coeur de la Saxe, où le roi des Francs établit l'une de ses résidences. 

    Mais cela n'y fait rien. Un chef prestigieux, Widukind (le Vercingétorix saxon !), soulève son peuple en 778. 

    Les Francs reprennent le chemin de la guerre. Pour ne pas perdre leur avantage, ils restent sur place certains hivers au lieu de se démobiliser comme de coutume, profitant de ce que les marais sont pris par les glaces et les forêts dénudés et impropres à cacher les ennemis.

    Surtout, ils pratiquent des méthodes de plus en plus brutales. En 782, après qu'une armée franque eut été écrasée au pied du Süntelgebirge, sur la rive orientale de la Weser, Charles fait décapiter 4.500 prisonniers saxons à Verden, au sud de Brême.

    En dépit de la reddition de Widukind en 785, les rébellions continuent. Elles ne prendront fin qu'en 804 après plusieurs campagnes supplémentaires et des déportations de populations.

    Par un capitulaire publié en 785, après le baptême de Widukind (Capitulatio de partibus Saxoniae), le roi des Francs annonce : «(...) Tout Saxon non baptisé qui cherchera à se dissimuler parmi ses compatriotes et refusera de se faire administrer le baptême sera mis à mort». Dont acte.

    Mais Charles manifeste parallèlement le souci de développer la Saxe. Il multiplie les fondations urbaines et publie en 793 un édit de pacification. Pour consolider l'intégration de la Saxe à son royaume, il annexe aussi en 775 la Frise voisine, une région pauvre qui a l'avantage d'être en liaison étroite avec les îles britanniques.

    - Charles fait la guerre aux Arabes d'Espagne :

    Au sud des Pyrénées, Charlemagne intervient contre l'émir de Cordoue Abd al-Rahman à l'appel de son rival, le gouverneur de Barcelone. Mais après la prise de Pampelune et un échec devant Saragosse, en 778, il doit rentrer dare-dare en raison d'une nouvelle sédition saxonne. Son arrière-garde essuie un revers dans le col de Roncevaux

    Le roi des Francs arrive néanmoins à constituer une Marche d'Espagne tout au long des Pyrénées, afin de simplement protéger son royaume contre les agressions musulmanes. C'est le début de la «Reconquista» espagnole.

    - Charles fait la guerre aux Avars :

    Le roi des Francs se confronte à la sédition du duc de Bavière Tassilon III, fils d'une fille naturelle de Charles Martel et cousin de Charlemagne. Il finit par le déposer en 788. Tassilon continue cependant de comploter avec les Avars, des nomades d'origine turque établis dans la plaine du Danube.

    En 796, l'armée franque fond sur le «Ring», la résidence de leur chef, le Khagan. Cela leur vaut de récupérer de fabuleux trésors : quinze chariots remplis d'objets en métal précieux qui vont décorer Saint-Pierre de Rome et d'autres grandes églises, et surtout rémunérer les compagnons du roi.

    La consécration

    Lors d'un nouveau voyage en Italie, à la Noël 800, le pape confère à Charles le titre inédit d'«Empereur des Romains». Pour les contemporains, il s'agit rien moins que de restaurer l'empire romain, après une longue parenthèse (en Occident) et à un moment où (en Orient) le trône de Constantinople est vacant ou tout comme. N'est-il pas occupé par une femme, une usurpatrice, l'impératrice Irène ?

    Les clercs de la cour de Charles 1er prennent dès 773 l'habitude de désigner le roi des Francs du qualificatif latin de Carolus Magnus. Il s'agirait d'une abréviation de «Carolus, Magnus Rex» (Charles, le grand Roi), devenue «Charlemagne» dans la langue populaire et, en allemand, Karl der Grosse (*).

    Mais en dépit de son prestige et de la reconnaissance par ses pairs, le calife de Bagdad et le basileus de Constantinople, l'empire carolingien laisse déjà entrevoir des signes de faiblesse.

    Avec la pacification des frontières et l'arrêt des conquêtes, il n'y a plus de butin pour assurer la fidélité des seigneurs. Qui plus est se font jour de nouvelles menaces avec les premières incursions de Vikings sur les côtes de la mer du Nord.

    Charlemagne meurt dans son palais d'Aix-la-Chapelle le 28 janvier 814, à 71 ans. Il est inhumé dans la chapelle palatine le jour même. Sous ses successeurs, dépourvus de poigne et de charisme, les seigneurs prennent très vite leurs distances vis-à-vis du pouvoir central, n'ayant pas de plus pressant souci que de protéger leurs domaines, leur unique source de revenus.

    L'embryon d'État qu'a fondé Charlemagne disparaît peu après sa mort. De ses cendres va surgir la société féodale... et une légende épique qui s'est prolongée jusqu'à nous.

    Charlemagne, père de l'Europe ?

    De la fin du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale, Français et Allemands  tentent chacun de leur côté de «naturaliser» à leur profit l'empereur, pour s'approprier une page glorieuse de l'Histoire européenne et justifier aussi la possession de la Rhénanie et de la rive gauche du Rhin.

    Le mythe de Charlemagne, père de l'Europe, est né au XIXe siècle, notamment à l'initiative de Victor Hugo (La Légende des Siècles). Après la Seconde Guerre mondiale, les fondateurs de la Communauté européenne tentent de le relancer. Il est à noter que l'empire carolingien coïncide assez exactement avec les six pays signataires du traité de Rome : Allemagne, Belgique, France, Hollande, Italie et Luxembourg.

    C'est le constat que fait l'historien Emmanuel Berl : «L'Europe carolingienne commence vers Brême. Elle suit l'Elbe, puis la Saale ; elle rejoint le Danube ; elle le descend jusqu'aux premiers contreforts des Carpathes ; elle suit les Alpes jusqu'à Venise, s'arrête au sud de Rome et longe ensuite la côte méditerranéenne jusqu'à Barcelone. Cette ligne a longtemps tracé, elle trace encore, une frontière culturelle. Au Nord et à l'Est, elle coïncide à peu près avec les limites de la catholicité ; sur la rive droite de l'Elbe et en Angleterre, le protestantisme a vaincu» (*).

    Faut-il pour autant voir en Charlemagne le père de l'Europe ? Ce n'est pas l'avis du grand historien médiéviste Jacques Le Goff : «L'empire fondé par Charlemagne est d'abord un empire franc. Et c'est un véritable esprit patriotique qui le fonde. Charlemagne envisagea même, par exemple, de donner des noms francs aux mois du calendrier. Cet aspect est rarement mis en valeur par les historiens. Il est important de le souligner, parce que c'est le premier échec de toutes les tentatives de construire une Europe dominée par un peuple ou un empire. L'Europe de Charles Quint, celle de Napoléon et celle de Hitler, étaient en fait des anti-Europe, et il y a déjà quelque chose de ce dessein contraire à la véritable idée d'Europe dans la tentative de Charlemagne» (*).

    http://www.herodote.net/Charlemagne_742_814_-synthese-1891.php

  • Biologie de synthèse : Les multinationales veulent industrialiser la vie

    Thérapies plus efficaces, bactéries anti-pollution, carburants synthétiques… La biologie de synthèse nous réserverait un futur plein de promesses. Et attire les investissements des plus grands groupes mondiaux de biotechnologies, de l’énergie ou de l’agroalimentaire. Mais fabriquer artificiellement la vie, à partir d’ADN construit en laboratoire et d’usines à gènes brevetés, suscite de nombreuses interrogations.

    Alors que les premiers organismes intégralement conçus par ordinateur commencent à prendre vie, des ingénieurs rêvent déjà de planifier l’évolution et de corriger les « imperfections » de la nature. Enquête.

    « Fabriquer la vie ». Ainsi pourrait se résumer l’ambition de la biologie de synthèse. Cette branche des biotechnologies veut créer de toutes pièces des organismes vivants, inconnus à l’état naturel. Et aller plus loin encore que les OGM, qui modifient le code génétique d’un organisme pour lui donner une nouvelle fonctionnalité – croître plus vite ou résister à un pesticide.

    Avec la biologie de synthèse, nous entrons dans une autre dimension: on quitte le bricolage des gènes, pour aller vers une fabrication à grande échelle d’organismes artificiels, après modélisation et simulation informatique.

    « Un nouveau monde s’ouvre à nous », décrit le site de présentation du ministère de l’Économie. La biologie de synthèse, nouvel eldorado techno-scientifique, « pourrait apporter des thérapies plus efficaces, des médicaments moins chers, de nouveaux matériaux facilement recyclables, des biocarburants, des bactéries capables de dégrader les substances toxiques de l’environnement », s’enthousiasment les pouvoirs publics.

    Les géants de la chimie, de l’énergie, de l’agrobusiness et de la pharmacie – comme BP, Exxon Mobil, BASF ou Cargill – sont sur les rangs, mais aussi ceux de l’informatique, comme Microsoft ou Google [1]. La biologie de synthèse apporterait, selon ses promoteurs, la promesse de remplacer à terme le secteur de la chimie, avec des recettes miracles pour faire face aux pollutions et à l’épuisement des ressources.

    Briques d’ADN pour lego vivant

    Le développement de la discipline est pourtant récent. En 2010, après 15 ans de travail, une équipe de l’institut Craig Venter aux États-Unis crée une bactérie d’un genre nouveau : son unique chromosome est composé d’ADN entièrement fabriqué par les chercheurs.

    C’est le premier organisme vivant construit artificiellement. « Voici sur cette planète la première espèce capable de se reproduire ayant pour parent un ordinateur », s’enflamme son créateur, Craig Venter [2]. Même si, pour le moment, il s’agit surtout de recopier la vie, en recréant en laboratoire les composants de base du code génétique.

    Comment ça marche ? Des séquences d’ADN sont fabriquées « sur mesure », après modélisation informatique, puis reliées ensemble via des enzymes et bactéries. L’ADN ainsi synthétisé est inséré dans un châssis biologique – une bactérie ou une levure par exemple – pour pouvoir « fonctionner ».

    L’ADN synthétique est comme un logiciel, inséré dans un châssis-ordinateur. « Les gènes, les protéines, entre autres, sont à la cellule ce que les transistors, les condensateurs et les résistances sont à l’ordinateur », expliquent les chercheurs de l’université de Princeton [3]. Une sorte de lego du vivant, à base de « bio-briques » d’ADN standardisées, originales ou recopiant des briques d’ADN déjà existantes dans la nature.

    Des usines à gènes

    Les crédits de recherche dans ce domaine connaissent une croissance exponentielle depuis quelques années. Car les applications possibles seraient innombrables. Des produits arrivent déjà sur le marché : des bioplastiques issus du maïs, des tissus synthétiques à base de sucre céréalier, une saveur biosynthétique de pamplemousse ou du biodiésel.

    Les investissements se concentrent notamment sur le secteur de l’énergie, avec la production de micro-organismes ou d’algues modifiées capables de transformer de la biomasse en carburant. Les recettes de l’après-pétrole sortiront-elles des laboratoires de biologie de synthèse ?

    Le groupe pétrolier Exxon a déjà investi 100 millions de dollars pour développer un carburant à partir d’algues, en partenariat avec l’entreprise Synthetics Genomics, dirigé par Craig Venter. BP a consacré 500 millions de dollars pour le développement d’agrocarburants synthétiques, au sein de l’Energy Biosciences Institute.

    Quant à la Fondation Bill & Melinda Gates, elle finance la recherche d’applications médicales à hauteur de 43 millions de dollars… Deux types d’entreprises se partagent actuellement le marché. Celles qui fabriquent les composants de base, les gènes synthétiques : les « fonderies à gènes » comme Tech Dragon à Hong-Kong et Gene Art en Allemagne, dont le catalogue comprend des séquences génétiques du cerveau, du foie ou du cœur humain, ou DNA 2.0 aux États-Unis, qui propose aussi un logiciel gratuit pour « concevoir des séquences [d’ADN] sans être limité par ce que la nature peut offrir ».

    Ensuite, des entreprises de biotechnologies créent et commercialisent des organismes à partir de ces gènes, comme Synthetic Genomics aux États-Unis. 3000 chercheurs d’une quarantaine de pays travailleraient dans le secteur de la biologie de synthèse.

    Privatisation des ressources naturelles

    En France, quelques équipes de recherche, du Génopole d’Évry, se sont attelés à la biologie de synthèse, ainsi que sept entreprises de biotechnologie [4], selon un recensement du ministère de la Recherche. Celui-ci ambitionne de passer à la vitesse supérieure : « Il existe en France un gisement de compétences à mobiliser, permettant de viser une position mondiale de second ou troisième » [5]. En 2007 a été créé l’Institut de biologie systémique et synthétique (iSBB), qui comprend notamment la plate-forme abSYNTH, dont les équipements sont mis à disposition des entreprises et universités.

    Total a créé un département Biotech avec un axe sur la biologie de synthèse en 2009. Le groupe pétrolier est devenu un important actionnaire de la société de biotechnologie Amyris (États-Unis). Celle-ci dispose d’une plateforme de biologie de synthèse de pointe, permettant de construire très rapidement des levures, qui deviennent de « véritables usines vivantes, optimisées pour fermenter des sucres et pour produire des molécules », qui sont ensuite transformées en agrocarburants [6].

    Dans le secteur de la santé, c’est le groupe français Sanofi qui mène la danse. En 2013, Sanofi a annoncé la production à grande échelle d’artémisinine semi-synthétique, un principe actif utilisé contre le paludisme. Après dix années de recherche, financées par la Fondation Bill et Melinda Gates, un procédé a été breveté par Amyris [7], et une licence est octroyée à Sanofi.

    Vers la fin de l’agriculture « naturelle » ?

    Problème : cette production entre en concurrence avec celle d’artémisinine naturelle, dont vivent aujourd’hui des milliers d’agriculteurs. Un cas d’école concernant la biologie de synthèse, estime la Fondation Sciences citoyennes: un projet en apparence inattaquable car répondant à des enjeux de santé publique, des collusions entre scientifiques et entrepreneurs qui innovent dans les universités mais déposent des brevets via leurs start-up, puis cèdent les licences à des grandes entreprises. Avec le risque de captation de profits par des multinationales, pour des ressources génétiques également disponibles à l’état naturel [8].

    La concurrence entre production agricole et production industrielle biosynthétique pourrait concerner demain le réglisse, la vanille ou le caoutchouc : des produits de substitution, issus de la biologie de synthèse, sont déjà au point. Le fabricant de pneumatique Goodyear et le groupe DuPont ont lancé des recherches sur un micro-organisme synthétique produisant de l’isoprène utilisé pour la fabrication de pneus.

    Ce qui pourrait mettre en péril l’économie des vingt millions de familles qui dépendent aujourd’hui de la production de caoutchouc naturel. Michelin travaille sur des projets similaires avec Amyris. La biologie de synthèse permet de produire à moindre coût des produits à haute valeur ajoutée – huiles essentielles, saveurs et fragrances, composés médicinaux ou ingrédients pour cosmétiques. 

    « Des solutions de rechange synthétiques moins coûteuses qui ne dépendent pas de zones de culture, de conditions ou de producteurs spécifiques », décrit l’ONG canadienne ETC, qui a publié de nombreux rapports sur le sujet. Son émergence marquera-t-elle le début de la fin pour l’agriculture ?

    Car les brevets se multiplient. Amyris déploie beaucoup d’énergie pour faire breveter la biosynthèse des isoprénoïdes: cette classe compte plus de 55.000 composés naturels, dont le caoutchouc, l’huile de neem, l’huile de palme, le parfum de patchouli et l’huile de pin.

    Biologie de synthèse : une technologie miracle ?

    Les profits attendus sont immenses. La biologie de synthèse « apparaît comme la solution miracle qui devrait permettre de relancer la croissance, tout en préservant l’environnement, décrivent la chercheuse Bernadette Bensaude-Vincent et la journaliste Dorothée Benoit-Browaeys [9]. 

    Tout comme les nanotechnologies, ou comme la géoingénierie, elle fonctionne sur l’espoir de résoudre les problèmes posés par les technologies d’hier grâce aux technologies de demain ».

    Crise énergétique, maladies de civilisation, pollutions… La biologie de synthèse aurait réponse à tout. Après la bulle internet, voici donc la bulle « synbio » : « Mêmes mécanismes d’investissement sous-tendus par une économie de la promesse, mêmes prévisions de croissance exponentielle. »

    Les applications dans les secteurs de la santé et de l’énergie se diffusent déjà. Sans débat public sur les enjeux, sans contrôle par les autorités, sans réflexion sur l’impact sanitaire de la dissémination de ces molécules synthétisées, ou les risques pour l’environnement.

    Des organismes vivants, même artificiels, ça se reproduit. Donc ça se diffuse ! Et si la biologie de synthèse permet de produire des vaccins beaucoup plus rapidement, ces techniques peuvent aussi servir à fabriquer des virus, avec tous les risques possibles de détournements d’usage et de bioterrorisme. La législation, comme souvent, est en retard. Voire inexistante.

    Des scientifiques recommandent que les activités de recherche en biologie de synthèse se déroulent uniquement dans des laboratoires très sécurisés, de niveau de biosécurité P3 ou P4 (pour pathogène de classe 3 ou 4) où virus et bactéries sont manipulés sous haute-protection. En 2012, plus d’une centaines d’organisations internationales ont demandé un moratoire sur les usages commerciaux de la biologie de synthèse.

    Dispositif-suicide pour gérer l’incertitude

    En France, qu’en pensent les pouvoirs publics ? « La Délégation générale pour l’Armement (DGA) a réalisé une base des données des acteurs de la biologie de synthèse et a identifié les options biosécuritaires », décrit de manière lapidaire unrapport du ministère de la Recherche. Une veille sur la biologie de synthèse est organisée, ainsi qu’une « réunion interministérielle annuelle de concertation ».

    Mais, précise le rapport, « afin de ne pas pénaliser les avancées de la recherche dans ce domaine, il faut intégrer le risque nouveau avec une attitude d’incertitude positive ». Impossible de savoir ce que signifie ce principe de précaution version « positive attitude ».

    Les chercheurs planchent sur des solutions pour limiter la dissémination. Comme la possibilité que les organismes synthétiques s’autodétruisent quand ils ont terminé leur travail, grâce à un « dispositif-suicide ». Ou qu’ils ne puissent pas se reproduire, à l’image du gène « Terminator », qui rend stériles les graines OGM de seconde génération. Mais les organismes peuvent évoluer et s’adapter, suite au croisement avec d’autres organismes naturels ou modifiés, ou à des mutations spontanées.

    « On peut faire en sorte que la bestiole dépende de l’homme pour se nourrir. Mais elle peut évoluer. Dans 10-15 ans, elle aura trouvé un autre moyen de s’alimenter, par symbiose par exemple, » explique le chercheur François Kepès, de l’ISSB [10].

    Vers un nouvel « alphabet du vivant » : la xénobiologie

    Le nombre limité d’entreprises qui fabriquent les gènes synthétiques laisse penser que le secteur peut être réglementé. Les banques de séquences ADN standardisées comme BioBricks ou GenBank peuvent être soumises à des réglementations. Une autre solution est avancées par des chercheurs : le « confinement sémantique ». Pour éviter les contaminations d’ADN artificiel, il suffirait d’utiliser d’autres bases que celles existantes – les bases A (adénine), T (thymine), G (guanine) et C (cytosine), qui composent le « squelette » de l’ADN.

    Changer « l’alphabet du vivant » en quelque sorte, le langage génétique qui sous-tend toute forme de vie sur la planète. C’est ce que propose le projet Xenome, piloté par le biologiste Philippe Marlière au Génopole d’Evry, auquel participe le Commissariat à l’énergie atomique. Cette nouvelle branche de la biologie de synthèse – la xénobiologie – vise à créer, à côté de l’ADN qui existe depuis trois milliards d’années, un autre code. Plus les créatures artificielles sont éloignées de la biodiversité terrestre, moins les risques d’interférences seront importants.

    La xénobiologie empêcherait donc la contamination d’ADN. Et permettrait le développement de la biodiversité, estime Philippe Marlière [11] : « La biodiversité terrestre est étriquée et imparfaite. Elle pourra être élargie et dépassée en inventant des mondes vivants parallèles »« La biosphère rafistole ses dispositifs au fil de l’eau et bricole pour en créer de nouveaux », poursuit Philippe Marlière.

    Cette évolution par bricolage et rafistolage « révèle l’impasse faite sur une multitude d’autres assemblages chimiques qui auraient conduit à des organismes radicalement différents de ceux que nous connaissons aujourd’hui. La xénobiologie n’est rien d’autre que le projet d’engendrer cette biodiversité inédite en vue de l’explorer scientifiquement et de l’exploiter industriellement. » Une biodiversité artificielle, construite par des ingénieurs dans des labos. Des ingénieurs qui planifient la vie et son évolution…

    Biohackers et bidouille génétique « open source »

    Face aux risques de privatisation du vivant par la biologie de synthèse, un autre courant émerge, cette fois inspiré de l’open source et de l’accès libre au savoir. Le principe : pas de brevet sur les gènes. Les « biobriques », bases de la biologie de synthèse, seraient accessibles à tous, et non privatisées par des entreprises ou des labos de recherche.

    La biologie de synthèse à la portée de tous. C’est ce que défendent les « biohackers », qui bricolent du code génétique à partir d’informations disponibles sur internet et de matériel d’occasion acheté pour trois fois rien. Avec la baisse des coûts du séquençage de l’ADN, il est désormais possible de bidouiller de la génétique dans son garage.

    On peut commander à un laboratoire, qui le fabrique sur mesure, un segment d’ADN de synthèse conçu sur son ordinateur. En France, cette biologie de synthèse « Do-it-Yourself » se développe notamment autour du biohackerspace La Paillasse, un « laboratoire communautaire pour les biotechnologies citoyennes », à Vitry-sur-Seine. Des collectifs de passionnés fleurissent aux États-Unis.

    Comme le groupe DIYbio – Do-it-Yourself Biology, à San Francisco, où on apprend à extraire l’ADN de sa salive avec une pincée de sel, du liquide vaisselle, du jus de pamplemousse et du rhum. Vous vous voulez synthétiser de l’ADN humain ? Pas de panique, la recette est en ligne : il est possible de télécharger sur internet des séquences de génome humain (ici), aussi facilement qu’un film !

    Que deviennent les organismes trafiqués ?

    « Les débats sur l’open source en matière de biologie de synthèse semblent plus une diversion sur des recherches sans grand enjeu industriel ; les séquences d’ADN stratégiques sont, elles, privatisées »tranche Dorothée Benoit-Browaeys. Le bricolage d’ADN dans la chambre d’ami n’augure rien de bon du point de vue dissémination.

    Le témoignage de Josh, informaticien et biohacker californien est éloquent : « Quand je modifie mes bactéries pour qu’elles produisent de l’éthanol, j’introduis également une seconde modification qui les rend résistantes aux antibiotiques. Puis j’injecte des antibiotiques dans leur bocal pour faire le tri : seules celles sur lesquelles la modification a réussi survivent. »

    Que fait Josh avec ces stocks de bactéries génétiquement modifiées résistantes aux antibiotiques, qui« pourraient transmettre leur résistance à d’autres bactéries pathogènes, dangereuses pour l’homme » ? Mystère.

    La diffusion de la biologie de synthèse auprès d’un large public est aussi favorisée par la grande compétition IGEM (International Genetically Engineered Machine). Plus de 200 équipes étudiantes du monde entier sont invitées chaque année à inventer de nouvelles constructions en biologie de synthèse, à partir d’un répertoire d’environ 12 000 bio-briques standardisées et open source.

    Parmi les créations 2013 : la première machine à calculer bactérienne, par des étudiants de Toulouse [12], une version biologique du jeu Démineur par l’équipe de Zurich, ou une pile bactérienne que l’on peut imprimer soi-même avec une imprimante 3D… Chaque équipe étant sponsorisée par des entreprises, ici EADS, Sanofi, Novartis, Syngenta ou Sofiprotéol.

    Devenir soi-même un châssis pour ADN artificiel

    Novembre 2012. Dans l’amphithéâtre d’une école de chimie de Paris, une équipe d’étudiants présentent son projet pour le concours IGEM. De l’ADN a été injecté dans un têtard, devenu « châssis » pour biologie de synthèse. Le public interroge : quelles limites à la modification du vivant ? Quel statut pour les organismes créés ? « Un têtard, ce n’est pas vraiment un truc vivant », lâche un des étudiants.

    Certains d’entre eux portent un bracelet en plastique vert, remis lors d’un rassemblement IGEM : « Ça veut dire qu’on est d’accord pour devenir nous-mêmes des châssis », précisent-ils. De faire des tests sur eux-mêmes, donc. « Je suis étonnée de la candeur des étudiants IGEM. On les forme en leur disant que « tout est possible », dans une atmosphère joyeuse et bon enfant, décrit Catherine Bourgain, chercheuse, présidente de la Fondation sciences citoyennes et membre de l’Observatoire national de la biologie de synthèseBeaucoup de jeunes n’ont pas de recul critique, sont d’une naïveté confondante. La règle, c’est « libère ta créativité ». C’est flippant. »

    Vers où ces étudiants, futurs chercheurs en biologie de synthèse, feront-ils avancer la discipline? Quel contrôle les autorités publiques auront-elles sur les futurs développements ? Quelle formation des citoyens pour comprendre les enjeux ? « Le défi crucial est de créer les conditions pour que les avancées de la biologie de synthèse s’opèrent résolument dans un climat de confiance citoyenne et d’innovation manifestement responsable »avance le ministère de la Recherche.

    Un débat responsable, préconisé par Geneviève Fioraso, ministre de la Recherche, dans un rapport pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en 2012. Notamment pour « empêcher les dérives qui ont marqué les débats sur les OGM et les nanotechnologies » (sic). Pour le moment, le « dialogue public » est au point mort. Le débat semble déjà tranché.

    Notes:

    [1] Une enquête réalisée en 2012 par l’ONG canadienne ETC Group a révélé qu’à l’échelle planétaire, « les principaux investisseurs et promoteurs reliés au domaine de la biologie synthétique comprennent six des dix plus grandes entreprises chimiques, six des dix plus grandes entreprises productrices d’énergie, six des dix plus importants négociants en grains et sept des plus grandes entreprises pharmaceutiques ».

    [2] Cette bactérie est composée d’un seul chromosome, contenant 1,155 million de paires de base. Une molécule d’ADN est formée de deux brins en forme d’hélice sur lesquels sont placés quatre types de bases complémentaires, liées deux à deux : adénine (A) et thymine (T), cytosine (C) et guanine (G).

    [3] Cités par Frédéric Gaillard, Innovation scientifreak : la biologie de synthèse, Editions L’échappée, 2013. A lire également sur le site du collectif Pièces et main d’oeuvre.

    [4] Une à Clermont-Ferrand, une à Nîmes, et cinq en Île-de-France. Source.

    [5] Ministère de la Recherche, Stratégie nationale de recherche et d’innovation, 2011. Lire ici.

    [6] Source : Total.

    [7] L’entreprise a conçu une souche de levure modifiée qui produit de l’acide artémisinique à partir du glucose. Ce composé permet ensuite la production d’artémisinine.

    [8] L’objectif de Sanofi est de « produire 35 tonnes d’artémisinine en 2013 et 50-60 tonnes en moyenne en 2014. Il permettra de satisfaire en bonne partie la demande du marché ». Source : Sanofi. Voir également la synthèse réalisée par la Fondation Sciences citoyennes sur l’artémisinine.

    [9] Bernadette Bensaude-Vincent et Dorothée Benoit-Browaeys, Fabriquer la vie, Où va la biologie de synthèse ?, Éditions du Seuil, 2011.

    [10] Intervention lors des Assises du vivant, le 30 novembre 2012, à l’Unesco.

    [11] Lire ici.

  • Amour et Guerre, par Denis de Rougemont

    Parallélisme des formes

    Du désir à la mort par la passion, telle est la voie du romantisme occidental ; et nous y sommes tous engagés pour autant que nous sommes tributaires – inconsciemment bien entendu – d’un ensemble de moeurs et de coutumes dont la mystique courtoise a créé les symboles. Or passion signifie souffrance.

    Notre notion de l’amour, enveloppant celle que nous avons de la femme, se trouve donc liée à une notion de la souffrance féconde qui flatte ou légitime obscurément, au plus secret de la conscience occidentale, le goût de la guerre.

    Cette liaison singulière d’une certaine idée de la femme et d’une idée correspondante de la guerre, en Occident, entraîne, de profondes conséquences pour la morale, l’éducation, la politique. Un fort gros livre ne serait pas de trop pour en démêler les aspects. On doit souhaiter que ce livre soit écrit, mais sans se dissimuler l’extrême difficulté de la tâche. Car en effet, pour la mener à bien, il s’agirait de posséder à fond la matière rapidement explorée dans les pages qui précèdent, puis une solide culture militaire, enfin la somme des recherches psychologiques entreprises depuis le XIXè siècle sur la question de « l’instinct combatif » dans ses relations avec l’instinct sexuel. Faute de quoi, je me bornerai à soulever un certain nombre de questions, et surtout à les situer dans la logique du mythe, qui est mon vrai sujet.

    On peut penser d’ailleurs que l’examen des formes n’est pas moins instructif, en ce domaine, que la recherche des causes, et qu’il est certainement moins trompeur. Il n’est pas nécessaire par exemple de recourir aux théories de Freud pour constater que l’instinct de guerre et l’érotisme sont fondamentalement liés: les figures courantes du langage le font voir avec plus d’évidence. Laissant donc de côté les hypothèses multiples et changeantes relatives à la genèse des instincts, je m’en tiendrai à quelques rapprochements formels entre les arts d’aimer et de guerroyer du XIIè siècle jusqu’à nos jours. Mon propos étant simplement de marquer un parallélisme entre l’évolution du mythe et l’évolution de la guerre, sans préjuger d’ailleurs de la priorité de l’une ou de l’autre.

    Langage guerrier de l’amour 

    Dès l’Antiquité, les poètes ont usé de métaphores guerrières pour décrire les effets de l’amour naturel. Le dieu d’amour est un archer qui décoche des flèches mortelles. La femme se rend à l’homme qui la conquiert parce qu’il est le meilleur guerrier. L’enjeu de la guerre de Troie est la possession d’une femme. Et l’un des plus anciens romans que nous possédions, le Théagène et Chariclée d’Héliodore (IIIè siècle) parle déjà des « luttes d’amour » et de la « délicieuse défaite » de celui « qui tombe sous les traits inévitables d’Eros ». Plutarque fait voir que la morale sexuelle des Spartiates s’ordonnait au rendement militaire de ce peuple. L’eugénisme de Lycurgue, et ses lois minutieuses réglant les relations des époux, n’ont d’autre but que d’augmenter l’agressivité des soldats.

    Tout cela confirme la liaison naturelle, c’est-à-dire physiologique, de l’instinct sexuel et de l’instinct combatif. Mais il serait vain de chercher des ressemblances entre la tactique des Anciens et leur conception de l’amour. Les deux domaines restent soumis à des lois tout à fait distinctes, et privées de commune mesure.

    Il n’en va plus de même dans notre histoire à partir des XIIè et XIIIè siècles. On voit alors le langage amoureux s’enrichir de tournures qui ne désignent plus seulement les gestes élémentaires du guerrier, mais qui sont empruntés d’une façon très précise à l’art des batailles, à la tactique militaire de l’époque. Il ne s’agit plus, désormais, d’une origine commune plus ou moins obscurément ressentie, mais bien d’un minutieux parallélisme.

    L’amant fait le siège de sa Dame. Il livre d’amoureux assauts à sa vertu. Il la serre de près, il la poursuit, il cherche à vaincre les dernières défenses de sa pudeur, et à les tourner par surprise; enfin la dame se rend à sa merci. Mais alors, par une curieuse inversion bien typique de la courtoisie, c’est l’amant qui sera son prisonnier en même temps que son vainqueur. Il deviendra le vassal de cette suzeraine, selon la règle des guerres féodales, tout comme si c’était lui qui avait subi la défaite (1). Il ne lui reste qu’à faire la preuve de sa vaillance, etc. Tout ceci pour le beau langage. Mais l’argot soldatesque et civil nous fournirait une profusion d’exemples  d’une verdeur encore plus significative. Et plus tard, l’introduction des armes à feu devait donner lieu à d’innombrables plaisanteries à double sens.

    Ce parallélisme d’ailleurs est complaisamment exploité par les écrivains. C’est un thème rhétorique inépuisable. « O ! trop heureux capitaine, écrit Brantôme, qui avez combattu et tué tant d’hommes ennemis de Dieu dans les armées et dans les villes ! O! trop heureux encore une fois, et plus, qui avez combattu et vaincu à tant d’autres assauts et de reprises une si belle Dame entre les pavillons de votre lit! » Il ne faudra pas s’étonner si les auteurs mystiques reprennent ces métaphores devenues banales, et les transposent selon le processus décrit plus haut, dans le domaine de l’amour divin. Francisco de Ossuna (l’un des maîtres de sainte Thérèse les plus imbus de rhétorique courtoise) écrit dans son Ley de Amor: « Ne pense pas que le combat de l’amour soit comme les autres batailles où la fureur et le fracas d’une guerre épouvantable sévit des deux cotés, car l’amour ne combat qu’à force de caresses et n’a d’autres menaces que ses tendres paroles. Ses flèches et ses coups sont les bienfaits et les dons. Sa rencontre est une offre de grande efficacité. Les soupirs composent son artillerie. Sa tuerie est de donner la vie pour l’aimé ».

    ***

    On a vu que la rhétorique courtoise traduit, à l’origine, la lutte du Jour et de la Nuit. La mort y joue un rôle central: elle est la défaite du monde et la victoire de la vie lumineuse. Amour et mort sont reliés par l’ascèse, comme par l’instinct sont reliés désir et guerre. Mais ni cette origine religieuse, ni cette complicité physiologique des instincts de combat et de procréation ne suffisent à déterminer l’usage précis des expressions guerrières dans la littérature érotique d’Occident. Ce qui explique tout, c’est l’existence au Moyen Age d’une règle effectivement commune à l’art d’aimer et à l’art militaire, et qui s’appelle la chevalerie.

    La chevalerie, loi de l’amour et de la guerre

    « Donner un style à l’amour », telle est, selon J. Huizinga, l’aspiration suprême de la société médiévale dans l’ordre éthique. « C’est une nécessité sociale, un besoin d’autant plus impérieux que les moeurs sont plus féroces. Il faut élever l’amour à la hauteur d’un rite, la violence débordante de la passion l’exige. A moins que les émotions ne se laissent encadrer dans des formes et des règles, c’est la barbarie. L’Eglise avait pour tâche de réprimer la brutalité et la licence du peuple, mais elle n’y suffisait pas. L’aristocratie, en dehors des préceptes de la religion, avait sa culture à elle, à savoir la courtoisie, et elle y puisait les normes de sa conduite. » (Nous savons en effet que la courtoisie non seulement ne devait rien à l’Eglise, mais s’opposait à sa morale. Voilà qui peut nous inciter à réviser bien des jugements sur l’unité spirituelle de la société médiévale!) Or s’il est vrai que cette morale courtoise ne parvint guère à transformer les moeurs privées des hautes classes, qui demeuraient d’une « rudesse étonnante », du moins joua-t-elle le rôle d’un idéal créateur de belles apparences. Elle triompha dans la littérature. Et par ailleurs, elle réussit à s’imposer à la réalité la plus violente du temps, celle de la guerre. Exemple unique d’un ars amandi, qui donne naissance à un ars bellandi.

     Ce n’est pas seulement dans le détail des règles de combat individuel que se fait sentir l’action de l’idéal chevaleresque, mais dans la conduite même des batailles, et jusque dans la politique. Le formalisme militaire revêt à cette époque une valeur d’absolu religieux. Il est fréquent qu’on se laisse tuer pour respecter des conventions d’une merveilleuse extravagance. « Les chevaliers de l’ordre de l’Etoile jurent que dans le combat ils ne reculeront jamais de plus de quatre arpents; sinon ils devront mourir ou se rendre » Et, cette règle étrange, si l’on en croit Froissart, coûta la vie, dès le début de l’ordre, à plus de quatre-vingts d’entre eux ». De même, les nécessités de la stratégie sont  sacrifiées à celles de l’esthétique ou de l’honneur courtois. « En 1415, Henri V d’Angleterre va à la rencontre des Français avant la bataille d’Azincourt. Par erreur, le soir, il dépasse le village que les fourrageurs lui ont assigné pour y dormir cette nuit-là. Or le roi « comme celuy qui gardoit le plus les cérémonies d’honneur très loables » vient hustement d’ordonner que les chevaliers en reconnaissance abandonnent la cotte d’armes afin de ne pas être, en revenant, obligés de reculer en vêtements guerriers. Maintenant, revêtu de sa cotte d’armes, il ne peut donc revenir sur ses pas; il passe la nuit dans l’endroit où il est, et fait ranger l’avant-garde conformément à ce nouveau plan. » Les exemples abondent de carnages inutiles provoqués par des voeux d’une folle outrecuidance et que l’on tente d’accomplir au plus grand des périls possibles. C’est bien le péril qu’on recherche pour lui-même, car on n’est pas inapte en d’autres cas à trouver des prétextes pour esquiver ses engagements. La casuistique courtoise en offre d’excellents. Cette casuistique « ne régit pas seulement la morale et le droit; elle s’étend à tous les domaines où le style et la forme sont choses essentielles: les cérémonies, l’étiquette, les tournois, la chasse et surtout l’amour ». Elle a même exercé une influence déterminante sur le droit des gens à sa naissance. « Droit de butin, droit d’attaque – fidélité à la parole donnée sont régis par des règles semblables à celles qui gouvernent le tournoi et la chasse. » L’Arbre des Batailles d’Honoré Bonet est un traité sur le droit de guerre où l’on trouve discutées pêle-mêle à coups de textes bibliques et d’articles de droit canonique des questions de ce genre : « Si l’on perd dans la mêlée une armure empruntée, est-on tenu de la rendre? – Est-il permis de livrer bataille un jour de fête? – Vaut-il mieux se battre après les repas ou à jeun ? – Dans quels cas peut-on s’évader de captivité ? » Dans un autre ouvrage, on voit deux capitaines se disputer un prisonnier devant le chef : « C’est moi qui l’ai saisi le premier dit l’un, par le bras et par la main droite, et lui ai arraché le gant. – Mais à moi, dit l’autre, il a donné cette même main avec sa parole ».

    Quant aux idées politiques inspirées au Moyen Age par la conception chevaleresque, ce sont essentiellement selon Huizinga : la lutte pour la paix universelle basée sur l’union des rois, la conquête de Jérusalem et l’expulsion des Turcs. Idées chimériques mais dont l’empire ne cessera de s’exercer sur les princes jusqu’au XVè siècle, en dépit des transformations de tous ordres survenues entre-temps en Europe, et à l’encontre des intérêts réels les plus urgents.

    C’est ici que se marque le mieux le caractère particulier de l’idéal courtois, radicalement contradictoire avec la « dure réalité » de l’époque: il représente un pôle d’attraction pour les aspirations spirituelles brimées. C’est une forme d’évasion romantique, en même temps qu’un frein aux instincts. Le formalisme minutieux de la guerre s’oppose aux violences du sang féodal comme le culte de la chasteté, chez les troubadours, s’oppose à l’exaltation héroïque du XIIè siècle. « Dans la conscience du Moyen Age, se forment pour ainsi dire l’une à côté de l’autre deux conceptions de la vie: le conception pieuse, ascétique, attire à elle tous les sentiments moraux; la sensualité, abandonnée au diable, se venge terriblement. Que l’un ou l’autre de ces penchants prédomine, nous avons le saint ou le pécheur; mais en général, ils se tiennent en équilibre instable avec d’énormes écarts de la balance ».

    Les tournois, ou le mythe en acte

    Il est pourtant un domaine où s’opère la synthèse à peu près parfaite des instincts érotiques e guerriers et de la règle courtoise idéale : c’est le terrain nettement circonscrit de la lice où se jouent les tournois.

    Là, les fureurs du sang se donnent libre cours mais sous l’égide et dans les cadres symboliques d’une cérémonie sacrale. C’est un équivalent sportif de la fonction mythique du Tristan telle que nous la définissions: exprimer la passion dans toute sa force, mais en la voilant religieusement de manière à la rendre acceptable au jugement de la société. Le tournoi « joue » le mythe, physiquement : – « Les transports de l’amour romanesque ne devaient pas seulement être présentés sous forme de lecture, mais surtout donnés en spectacle. Ce jeu peut revêtir deux formes: la représentation dramatique et le sport. Celui-ci est, au Moyen Age, de beaucoup le plus important. Le drame ne traitait encore, en général, que la matière sacrée; l’aventure amoureuse n’y était qu’exceptionnelle. Le sport médiéval, au contraire, et surtout le tournoi, était lui-même dramatique au plus haut point et contenait, en outre, une forte dose d’érotisme. Partout et toujours, le sport a associé ces deux facteurs: dramatique et amoureux; mais tandis que les sports modernes sont presque retournés à la simplicité grecque, le tournoi de la fin du Moyen Age, avec ses riches ornements et sa mise en scène, pouvait remplir les fonctions du drame lui-même ».

    Rien ne me paraît plus propre à restituer l’atmosphère de rève du Roman de Tristan que les descriptions de tournois qu’on peut lire dans les oeuvres de Chastellain et les Mémoires d’Ollivier de la Marche, tous deux historiographes du fastueux et chevaleresque duché de Bourgogne au XVè siècle.

    L’amour et la mort s’y marient dans un paysage artificiel et symbolique de très haute mélancolie. « L’héroïsme par amour – voilà le motif romanesque qui doit apparaître partout et toujours. C’est la transformation immédiate du désir sensuel en un sacrifice de soi-même qui semble faire partie du domaine de l’éthique… L’expression et la satisfaction du désir, qui paraissent tous deux impossibles se transforment en une chose plus élevée: l’action entreprise par amour. La mort devient alors la seule alternative à l’accomplissement du désir, et la délivrance est donc de toute manière assurée ».

    La mise en scène des tournois emprunte ses idées aux Romans de la Table Ronde. Ainsi, au XVè siècle, le Pas d’Armes dit de la Fontaine des Pleurs est basé sur une aventure romanesque imaginaire. « La Fontaine est construite à cet effet. Pendant une année entière, tous les premiers du mois, un chevalier anonyme viendra déployer, devant la fontaine, une tente dans laquelle est assise une dame (en effigie naturellement); celle-ci tient une licorne qui porte qui porte trois écus. Tout chevalier qui touche l’écu s’engage à un combat dans les conditions décrites par les « chapitres » du pas d’armes. C’est à cheval qu’il faut toucher les boucliers : les chevaliers trouveront toujours des chevaux prêts à cet usage ».

    Denis de Rougemont In L’amour et l’Occident (1938)

    http://theatrum-belli.org/amour-et-guerre-par-denis-de-rougemont/

  • Jean-François Mattéi : "Nous sommes dans une civilisation mortifère"

    Philosophe et membre de l'Institut Universitaire de France, Jean-François Mattéi réagit à la légalisation de l'euthanasie des enfants en Belgique et à l'affaire Vincent Lambert. Extraits de Figarovox :

    "Nous sommes dans une civilisation mortifère, qui sous couvert d'humanisme, voire d'humanitarisme, veut éliminer les personnes dérangeantes, faibles ou malades, qui ne correspondent pas aux critères de l'individu libéral. Derrière tout cela se cache une perspective utilitariste, notamment développée dans les travaux du philosophe australien Peter Singer, qui parle de «non-personnes» à propos des nouveaux nés, et justifie l'euthanasie et même l'infanticide de ces «surnuméraires». Jacques Monod l'avait prédit lorsqu'il reçut son prix Nobel de Biologie en 1965 «le monde moderne n'échappera pas à l'eugénisme»."

    "Nous sommes dans une civilisation de type scientifique, technique, froide et informatique, et en même temps, on essaie de compenser cette froideur par un déluge d'affectivité permanent. On demande au citoyen moyen son avis sur toutes les questions, et la parole des experts (philosophes, médecins, juristes) est mise sur le même plan que celle de l'individu lambda.

    Dans nos sociétés sans transcendance, c'est l'homme qui doit décider en dernière instance des questions existentielles. Mais quel homme doit décider ? L'expert, le journaliste, le politique, l'homme de la rue ? C'est le grand défaut de nos sociétés démocratiques et c'est ce qui rend les débats sociétaux insolubles. (...) On ne peut rien faire. C'est la règle du jeu de la démocratie. Celle qui, je vous le rappelle, a porté Hitler à la tête de l'Etat en 1933 et fait voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940."

    Louise Tudy

  • La démocratie d'apparence - 2

    I - Sommes nous en démocratie ?

    La question est d’une affligeante banalité car on la pose presque à tous les coins de rues. Et pourtant on peut lui apporter des réponses contradictoires. Tout dépend en effet de la manière dont on a défini préalablement la démocratie, car le terme est aujourd’hui si vague qu’il peut englober des choses très différentes.

    Première définition possible, la démocratie serait synonyme « d’Etat de droit ». C’est la conception la plus large, celle que l’on retrouve souvent dans les Etats anglo-saxons. La démocratie est ici entendue dans son aspect juridique, à savoir la défense des libertés fondamentales et des droits de l’homme. On est tenté alors de répondre par l’affirmative : nous vivons biens dans une démocratie puisque nous pouvons organiser librement des réunions politiques, que nous ne pouvons être arbitrairement incarcérés, que nos propriétés sont reconnues et protégées, etc… Mais une analyse un peu plus approfondie conduit à relativiser cette affirmation :

    - Tout d’abord le système démocratique ne protége pas toujours l’Etat de droit ; il recèle parfois même des tentations totalitaires. On l’a vu dans le passé, les débordements de la Révolution française en constituent l’illustration. Plus récemment la prise du pouvoir par Hitler résultait d’un processus parfaitement démocratique. Et même de nos jours, ce qu’il est convenu en France d’appeler « notre démocratie » manifeste depuis quelques temps des dérives éminemment fâcheuses. Par exemple en 1990, la loi « Gayssot » a décidé de frapper de sanctions correctionnelles tous ceux qui contestaient publiquement les crimes reconnus comme tels par le Tribunal International de Nuremberg à la fin de la seconde guerre mondiale. Puis en janvier 2005 une autre loi a été votée qui punit désormais de peine correctionnelle les personnes qui tiennent en public des propos « homophobes », autrement dit hostiles à l’homosexualité, sans que l’on sache très bien comment définir ce terme…
    Enfin fin 2006 l’Assemblée Nationale a voté en première lecture une proposition de loi qui vise à punir de peine de prison ceux qui remettent en question la réalité du génocide arménien…

    Cette manière de légiférer n’a rien à envier aux Etats totalitaires qui imposent une vérité officielle qu’il est interdit de contester. Beaucoup s’en sont émus, même à gauche puisqu’à l’initiative du journal « Libération » un certain nombre d’historiens de renom ont signé une pétition intitulée « Liberté pour l’histoire » qui a recueilli plus de 500 signatures. De leur coté, de nombreux professeurs de droit ont également signé une pétition pour réclamer l’abrogation des lois « mémorielles » qui créent en fait des délits d’opinion… On imagine aisément en effet les excès auxquels peuvent donner lieu de tels précédents législatifs : dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans le Parlement décidera-t-il de punir des même peines correctionnelles ceux qui critiqueront ouvertement l’immigration, la construction européenne ou encore la démocratie elle-même, ce qui placerait la présente contribution hors la loi ?... On n’en est pas là évidemment, mais on parle déjà d’interdire tout propos qui serait susceptible de justifier la colonisation…Il n’y a que le premier pas qui coûte dit-on, et ce premier pas a été franchi en 1990 avec la loi « Gayssot » qui a vu le premier accroc à la liberté d’expression et à la libre recherche scientifique. C’est un exemple qui montre que la démocratie ne se confond pas nécessairement avec la liberté et la défense de l’Etat de droit.

    - Une seconde observation vient étayer cette analyse. L’histoire montre que les libertés publiques et les droits subjectifs ont également été défendus par d’autres formes d’Etats de droit que les Etats démocratiques, puisque tout au long de leur histoire les monarchies européennes ont offert des garanties politiques et juridiques à leurs sujets. Ainsi en France sous l’Ancien Régime, même si les libertés publiques n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui, on protégeait la liberté d’association, le droit de propriété, la liberté d’aller et venir, la liberté contractuelle, la liberté de se marier et de fonder une famille, etc.…

    De même au XIXeme siècle, des Etats aristo-monarchiques comme l’Empire allemand ou l’Empire Austro-Hongrois ont défendu très efficacement les principales libertés publiques, et n’ont pas hésité à introduire le suffrage universel. Ils ont en outre été les premiers à mettre en place un système de protection sociale inexistant chez nous à cette époque…Enfin, on pourrait faire observer qu’en Angleterre la défense des droits de l’individu avec notamment « l’habeas corpus » est bien antérieure à l’avènement de la démocratie politique.

    - Plus fondamentalement enfin, la démocratie ne se confond pas avec le libéralisme ou l’esprit de tolérance car rien n’interdit à la majorité d’opprimer la minorité dès lors que cette majorité est détentrice de la souveraineté politique. Certes, les démocraties libérales s’efforcent d’empêcher ces abus et posent des garde-fous notamment sur plan juridique et institutionnel, mais ceux-ci constituent précisément une limitation du principe démocratique au nom d’autres impératifs jugés prioritaires : la liberté individuelle, le droit des minorités, la tolérance, le respect de la personne humaine, etc...

    Or ces impératifs auxquels se soumet le régime ne sont pas nécessairement eux-mêmes liés au concept de « démocratie », mais à une conception plus large de la Civilisation. Bref, l’Etat démocratique n’est qu’une forme d’Etat de droit parmi d’autres. Comme d’autres il peut aussi dériver vers des atteintes aux libertés et l’histoire montre qu’il suffit d’une crise et d’un concours de circonstances économiques, sociales, militaires, voire simplement électorales pour qu’un parti révolutionnaire puisse être porté au pouvoir. La démocratie n’est donc pas toujours synonyme d’Etat de droit et nos libertés sont peut être davantage liées à notre tradition historique qu’à la forme actuelle du gouvernement. Dans une telle perspective, la question de savoir si l’on est ou non en démocratie est assez secondaire… Deuxième définition possible, la démocratie serait « le gouvernement du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple ». Cette seconde définition est issue de la Révolution française et de l’idéologie égalitaire et on la retrouve d’ailleurs dans la Constitution de la Ve République ; elle est plus étroite que la précédente et correspond à l’aspect politique du régime démocratique. Elle est souvent mise en avant par les politiciens de droite comme de gauche qui aiment à se replonger dans la mystique révolutionnaire, source présumée de légitimité électorale. Une telle définition conduit à donner à la question qui nous occupe une réponse brutale, mais que nous croyons lucide. Pour le philosophe René Guénon, « le gouvernement du Peuple par lui-même est une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à une autre ».

    Autrement dit, nous ne sommes pas en démocratie puisque le Peuple est un corps impuissant qui sera toujours gouverné en fait par des élites. On pourrait même ajouter que non seulement nous ne sommes pas en démocratie, mais que nous n’y serons jamais compte tenu de l’impossibilité absolue pour ce Peuple de se gouverner de manière autonome, faute de disposer comme un individu de conscience, de volonté et de réflexion. L’affirmation est sans doute cruelle pour nos contemporains et ne peut de prime abord que heurter leur sensibilité égalitaire. Mais on ne manquera pas d’être frappé par le caractère artificiel de la théorie de la volonté générale qui constitue un des principaux piliers de la doctrine démocratique. En réalité la volonté générale supposerait l’unanimité ce qui est impossible en pratique et cette prétendue volonté générale n’est autre qu’une volonté majoritaire, ce qui n’est pas du tout la même chose.

    En outre, cette volonté majoritaire est elle-même fictive puisque désormais dans les grandes démocraties ce sont parfois les abstentionnistes et les protestataires qui sont en réalité majoritaires ! Dès lors, la « volonté générale » n’est rien d’autre que la volonté de la minorité la plus forte et la mieux organisée, ce qui nous renvoie à l’analyse de Mosca, évoquée au début de cette contribution. Ce n’est que de manière exceptionnelle et dans des périodes de crise extrêmement graves que le Peuple peut manifester une volonté à peu près claire: c’est par exemple le ralliement massif des français au Général De Gaulle à la fin des année 1950 ; ou celui au Maréchal Pétain en 1940… Ce qui montre d’ailleurs que pour être claire dans certaines circonstances, la volonté populaire n’est pas pour autant systématiquement clairvoyante…

    Cette seconde définition, utopique, de la démocratie conduit inéluctablement à une réponse négative à la question posée : nous ne sommes pas en démocratie parce que celle-ci n’existe pas. Elle n’est rien d’autre qu’une fiction idéologique à l’usage des peuples, un habile appareil psychologique et idéologique au service des oligarchies au pouvoir. En outre on sait avec Aristote et Montesquieu que la démocratie tend à se corrompre de deux manières, soit en dérivant vers l’anarchie, c'est-à-dire la lutte de tous contre tous, soit en dérivant vers la ploutocratie, c'est-à-dire vers la dictature des riches. Dans les deux cas, le régime se dégrade et aboutit à la loi du plus fort, du plus rusé et du plus cynique. Or l’évolution des régimes démocratiques contemporains révèle hélas que ces deux corruptions sont toujours d’actualité : le lien social s’est altéré et la société tend à être dominée par la violence et les rapports de force (anarchie). Parallèlement le monde occidental est désormais dirigé par des puissances économiques et financières (ploutocratie) bien visibles à travers la mondialisation. Ainsi dans un article paru dans le journal « Le Monde » le 16 novembre 2001, notre éminente collègue Mireille Delmas-Marty n’hésitait pas à écrire : « Le monde est gouverné par une ploutocratie cosmopolite suffisamment flexible et mobile pour marginaliser à la fois les Etats, les citoyens et les juges ». Dès lors, face à la réalité de ces dérives les pessimistes auront tendance à répondre : « nous sommes bien en démocratie puisque nous baignons dans un climat d’anarchie et de ploutocratie ». Enfin les cyniques « in peto » ajouteront peut-être «…et c’est fort bien comme cela puisque nous y trouvons notre compte…».

    Nous ne sommes plus loin du « dernier homme » dont parlait Nietzsche. Décidément la question naïve « sommes nous en démocratie » conduit déjà à des réponses bien embarrassantes…

    Mais tout n’est pas encore dit car il est une troisième manière de définir la démocratie. Troisième définition possible, la démocratie serait la participation des individus à la vie politique. Cette troisième définition renvoie à l’aspect sociologique de la démocratie, compris comme la volonté de chaque individu de participer aux processus décisionnels. La question revient alors à s’interroger sur la possibilité pour l’homme de maîtriser son destin à travers le destin collectif. A cette question, la réponse est pour le moins surprenante pour ne pas dire paradoxale.

    - Dans l’état actuel des choses, c'est-à-dire dans les régimes de démocratie représentative comme le sont les grands pays industriels, la possibilité pour un homme ordinaire d’influer sur l’évolution de la société est extrêmement faible pour ne pas dire inexistante. Cela explique en grande partie l’abstention fréquente d’une bonne partie du corps électoral, celle qui est résignée à son impuissance ; de même que le vote protestataire d’une autre partie, celle qui ne l’est pas encore et dont l’exaspération va grandissante à l’endroit des maîtres du jeu, à savoir les oligarques qui détiennent en fait les leviers de commande. Cette impuissance a depuis longtemps été dénoncée. Rousseau disait que dans les régimes de démocratie parlementaire « le Peuple est libre un jour (celui des élections) et esclave cinq ans (entre les échéances électorales) ». Charles Péguy quant à lui parlait « du droit de vote cette fraction impuissante du pouvoir ». Pourquoi cette impuissance ? Elle est inéluctable et liée à la nature même des choses : à la différence des sociétés aristocratiques dans lesquelles la liberté est conçue comme une prérogative ou un droit que tel individu ou telle communauté peut opposer à l’Etat, dans les sociétés démocratiques elle est conçue comme la participation à la décision politique. Or les choses étant ce qu’elles sont, cette liberté se réduit mathématiquement avec le nombre des participants. La fraction de la souveraineté qui était d’environ 1/400e pour les membres de l’Aréopage, l’assemblée politique d’Athènes, ne sera plus évidemment que de 1/500 000 000e dans le cadre d’un empire comme la Communauté européenne. Autant dire qu’elle sera purement verbale et laissera le champ libre aux puissantes oligarchies médiatiques, financières et bureaucratiques que nous évoquions précédemment. Dans un système qui postule la liberté et l’égalité de ses membres, l’influence de l’individu se dilue inexorablement dans le nombre. Elle est comme un faisceau de lumière qui se perd dans l’immensité des ténèbres...

    Certes ce pouvoir dilué à l’extrême a-t-il néanmoins son utilité puisque de temps à autres un sentiment commun soulève ce corps électoral et met en échec les grandes visées des oligarchies au pouvoir ; on l’a vu il n’y a pas si longtemps avec certains référendums ou certaines élections…Mais ces démentis électoraux, pour cinglants qu’ils soient, n’influent que partiellement sur le cours des choses : ils interviennent souvent trop tard, de manière ponctuelle et leur effet est considérablement amorti par la collusion de fait des grands partis au pouvoir. Tout au mieux est-on en présence d’une soupape de sûreté ; en aucun cas d’une implication du citoyen dans la décision politique. En définitive, le prétendu « déficit démocratique » dont on nous rebat les oreilles est beaucoup plus structurel que fonctionnel ; il tient paradoxalement à la conception démocratique elle-même, c’est à dire quantitative et égalitariste de la société.

    - Il n’est possible de remédier à cette impuissance que de deux manières : soit en limitant le mécanisme démocratique à de très petites entités politiques comme les cantons suisses dans lesquelles l’influence de l’électeur retrouve son poids ; soit en abandonnant les postulats de liberté et d’égalité chers aux régimes occidentaux modernes au profit d’une conception inégalitaire et aristocratique qui fait dépendre l’influence des individus dans la vie publique d’un multiplicité de facteurs : la profession, la compétence, la condition sociale, la famille, la culture, la motivation personnelle, etc.…En admettant que tous ne peuvent gouverner on peut alors permettre à certains d’avoir sur la vie publique une influence notable et parfois décisive. On peut aussi combiner les deux remèdes en organisant de petites entités politiques à caractère démocratique où tout individu dispose d’une certaine influence, à l’intérieur d’un système aristocratique où le rôle des individus est inégalitaire. C’est un peu l’idée du régime mixte d’Aristote qui a pu fonctionner avec profit dans certains Etats : la République romaine, l’Empire allemand, l’Empire Austro-Hongrois, et bien sûr aussi la Monarchie française à certaines époques de son histoire. Maurras lui-même, ce grand pourfendeur de la démocratie, n’y était pas hostile lorsqu’il préconisait « la monarchie en haut, les républiques en bas » !

    A la réponse à la question « sommes nous en démocratie ? », la réponse est donc comme nous l’avons dit paradoxale : ce qui entrave la possibilité des individus d’influer sur leur destin collectif, donc ce qui paralyse l’accès réel à la vie politique et le pouvoir concret des citoyens, ce sont précisément les dogmes universalistes et égalitaristes de la démocratie ! Ce qui nous amène à nous demander à quoi sert la démocratie.

    Olivier Tournafond

    http://www.actionroyaliste.com/articles/republique-et-democratie/1321-la-democratie-dapparence-2

  • [Marseille] Le colloque national en Provence sur le 6 février 1934

    Pour les 80 ans de la journée du 6 février 1934, il n’était pas question pour l’Action Française-Provence de réaliser une commémoration nostalgique. Cet anniversaire était l’occasion de réfléchir sur la stratégie du royalisme, non pas pour prendre le pouvoir immédiatement mais pour faire l’analyse de la société française actuelle et éclairer la ligne que nous devons suivre.

    Une vieille bastide perdue dans la campagne aixoise a donc été le lieu choisi pour tenir un colloque d’importance nationale samedi 8 février 2014. Le succès a été au rendez-vous avec une bonne centaine de participants, jeunes en très grosse majorité. La préparation matérielle a été excellente (et il faut en féliciter les militants marseillais qui y ont durement travaillé) et l’ambiance à la fois très sympathique et travailleuse.

    On pouvait noter la présence, entre autres, de François BEL-KER, secrétaire général adjoint du CRAF (Centre Royaliste d’Action Française), d’Antoine DESONAY, responsable national étudiant, et de Jean GUGLIOTTA, président de la FRP.

    L’après-midi commença par un rappel historique de Michel FRANCESCHETTI, président de l’AF-Provence, qui décrivit les causes et le déroulement du 6 février 1934. Il rappela le rôle important tenu par l’AF dans la protestation contre le scandale Stavisky et insista sur la volonté du Comte de Paris d’en profiter alors que Charles MAURRAS et Maurice PUJO considéraient que les conditions n’étaient pas réunies pour une prise du pouvoir.

    Le jeune militant marseillais Jérémy présenta comment MALAPARTE explique la technique du coup d’Etat, ses diverses formes, ses conditions et ses étapes.

    La conception qu’avait Charles MAURRAS de la façon de renverser la république fut présentée par Philippe LALLEMENT, spécialiste de l’histoire du royalisme, qui montra ensuite comment ces idées furent actualisées par Pierre DEBRAY à la suite de la guerre d’Algérie (avec la revue "L’Ordre Français" et ses articles dans "Aspects de la France" et "JSF"), puis par Michel MICHEL dans la période post-soixante-huitarde (revue "Cohérences" et diverses brochures).

    La suite et d’autres photos sur le blog de l’Action française Provence

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Marseille-Le-colloque-national-en