culture et histoire - Page 1658
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Main basse sur la mémoire, les pièges de la loi Gayssot
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Lisez Rébellion !
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Lire, pour réfléchir et pour penser l’action.
La période des vacances est toujours l’occasion pour moi de me plonger dans les nombreux ouvrages que j’achète au cours de l’année ou que l’on m’offre à la période des fêtes : il n’est pas dit, pour autant, que j’arrive à tout lire, tant le nombre de livres qui s’entassent dans mon appartement, mais aussi dans ma voiture, est élevé ! Néanmoins, c’est une activité à laquelle je consacre, même en temps normal et au-delà des nombreux journaux et revues que je me procure quotidiennement (y compris le dimanche, au grand dam de mon épargne…), quelques heures chaque jour, et je n’ai pas vraiment l’impression de perdre mon temps.
La lecture d’un essai ou d’un document d’histoire, par exemple, n’est pas qu’un loisir divertissant, c’est parfois aussi l’abord de nouvelles pistes idéologiques ou de nouveaux chantiers intellectuels, et la réflexion s’en trouve encore plus stimulée, y compris par l’agacement que je puis éprouver à certaines pages : ainsi, ces livres rédigés par les néo-robespierristes, nombreux autour de M. Mélenchon, et qui voient en Lorànt Deutsch ou en Jean Sévillia d’ignobles réactionnaires à chasser des bibliothèques et des plateaux télévisés, mais qui ont, en même temps et parfois a contrario, le mérite de montrer que la recherche et le débat historiques sont toujours d’actualité en notre pays et que ce sont des enjeux diablement importants ! Que certains veuillent faire taire ou marginaliser ceux qui ne sont pas « dans la ligne » de l’Education nationale officielle est révélateur des tentations permanentes de la censure qui s’exprimèrent (et pas toujours du même côté politique) avec tant de hargne aux heures sombres de notre histoire, des années de la Terreur républicaine à celles de l’Occupation : tentations bien vaines aujourd’hui si l’on veut bien se donner la peine d’ouvrir les livres et, de plus en plus, d’allumer l’écran d’ordinateur qui, lui-même, ouvre tant de voies bibliophiliques nouvelles pour qui est curieux et pas seulement opportuniste.
Mais, au-delà des cris d’orfraie des amoureux de Maximilien et des murmures plus insidieux des Girondins et du Marais, la Révolution française, car c’est le plus souvent autour d’elle que se crispent le plus les attitudes et les postures, n’est plus ce « temple des principes et des valeurs » que la IIIe république a voulu ériger et que l’école issue de Jules Ferry avait pour tâche de faire vénérer à tous les élèves de France, y compris, comme le faisait remarquer Marcel Pagnol avec justesse, au détriment de la simple vérité historique ! Les livres de Gaxotte jadis, de Furet hier, ou de Sécher et Deutsch aujourd’hui, ne sont pas pour rien dans la ruine du temple des illusions « francorévolutionnaires »… Le livre est une arme de papier parfois terrible !
Je ne lis évidemment pas que des ouvrages sur la période ouverte par 1789, et je me suis penché, sans doute influencé par l’actualité récente de ma province natale, sur les livres et revues consacrés à Anne de Bretagne, dont on commémore cette année le 500e anniversaire de la mort comme reine de France et duchesse de Bretagne, et sur ceux posant la question de l’identité bretonne, comme « être Breton ? », de Jean-Michel Le Boulanger, et d’autres encore évoquant les révoltes bretonnes dans l’histoire, jusqu’aux tentations nationalistes (ou européistes…) des années 30 à nos jours… De quoi alimenter de prochaines notes sur mon site personnel !
La lecture n’est pas un simple acte intellectuel, elle doit mener, d’une manière ou d’une autre, à l’action : « On a raison de se révolter », cet ouvrage écrit à trois mains par Sartre, Gavi et Pierre Victor (devenu ensuite Benny Lévy, passé « de Mao à Moïse », selon sa propre expression), rappelle, d’une certaine manière, le texte court et acéré de Maurras « Si le coup de force est possible », véritable « bible » des militants monarchistes des années post-68, et, dans les deux cas, la lecture promeut (certains diraient « promet », ce qui semble moins mobilisateur…) l’action politique, réfléchie, stratégique, déterminée, celle qui doit faire l’histoire ou qui en est le moteur, pensent Sartre comme Maurras… J’avoue avoir puisé quelques éléments extrêmement intéressants (malgré un fatras de théories difficilement soutenables sur le plan intellectuel) dans le texte des trois fondateurs de Libération, en particulier autour de la grande question de la légitimité et de l’illégalité, question qui est déjà celle que Sophocle pose dans son « Antigone ».
Combien de livres ouverts en cette période de vacances qui s’achève ? Peut-être une vingtaine… sans doute un peu plus ! Ce sont ces lectures nombreuses, variées, parfois antagonistes, qui nourrissent ma réflexion et enrichissent mon action, et inversement… Je ne lis pas pour lire ou seulement pour lire : je lis pour me provoquer, et agir !
Et j’y retourne, l’ordinateur à peine éteint !
J.P. Chauvin
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In Memoriam - Persona Non Grata [FULL ALBUM]
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L'opinion publique n'existe pas
Exposé fait à Noroit (Arras) en janvier 1972 et paru dans Les temps modernes, 318, janvier 1973, pp. 1292-1309. Repris in Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, pp. 222-235.
Je voudrais préciser d'abord que mon propos n'est pas de dénoncer de façon mécanique et facile les sondages d'opinion, mais de procéder à une analyse rigoureuse de leur fonctionnement et de leurs fonctions. Ce qui suppose que l'on mette en question les trois postulats qu'ils engagent implicitement. Toute enquête d'opinion suppose que tout le monde peut avoir une opinion ; ou, autrement dit, que la production d'une opinion est à la portée de tous. Quitte à heurter un sentiment naïvement démocratique, je contesterai ce premier postulat. Deuxième postulat : on suppose que toutes les opinions se valent. Je pense que l'on peut démontrer qu'il n'en est rien et que le fait de cumuler des opinions qui n'ont pas du tout la même force réelle conduit à produire des artefacts dépourvus de sens. Troisième postulat implicite : dans le simple fait de poser la même question à tout le monde se trouve impliquée l'hypothèse qu'il y a un consensus sur les problèmes, autrement dit qu'il y a un accord sur les questions qui méritent d'être posées. Ces trois postulats impliquent, me semble-t-il, toute une série de distorsions qui s'observent lors même que toutes les conditions de la rigueur méthodologique sont remplies dans la recollection et l'analyse des données.
On fait très souvent aux sondages d'opinion des reproches techniques. Par exemple, on met en question la représentativité des échantillons. Je pense que dans l'état actuel des moyens utilisés par les offices de production de sondages, l'objection n'est guère fondée. On leur reproche aussi de poser des questions biaisées ou plutôt de biaiser les questions dans leur formulation : cela est déjà plus vrai et il arrive souvent que l'on induise la réponse à travers la façon de poser la question. Ainsi, par exemple, transgressant le précepte élémentaire de la construction d'un questionnaire qui exige qu'on « laisse leurs chances » à toutes les réponses possibles, on omet fréquemment dans les questions ou dans les réponses proposées une des options possibles, ou encore on propose plusieurs fois la même option sous des formulations différentes. Il y a toutes sortes de biais de ce type et il serait intéressant de s'interroger sur les conditions sociales d'apparition de ces biais. La plupart du temps ils tiennent aux conditions dans lesquelles travaillent les gens qui produisent les questionnaires. Mais ils tiennent surtout au fait que les problématiques que fabriquent les instituts de sondages d'opinion sont subordonnées à une demande d'un type particulier. Ainsi, ayant entrepris l'analyse d'une grande enquête nationale sur l'opinion des Français concernant le système d'enseignement, nous avons relevé, dans les archives d'un certain nombre de bureaux d'études, toutes les questions concernant l'enseignement. Ceci nous a fait voir que plus de deux cents questions sur le système d'enseignement ont été posées depuis Mai 1968, contre moins d'une vingtaine entre 1960 et 1968. Cela signifie que les problématiques qui s'imposent à ce type d'organisme sont profondément liées à la conjoncture et dominées par un certain type de demande sociale. La question de l'enseignement par exemple ne peut être posée par un institut d'opinion publique que lorsqu'elle devient un problème politique. On voit tout de suite la différence qui sépare ces institutions des centres de recherches qui engendrent leurs problématiques, sinon dans un ciel pur, en tout cas avec une distance beaucoup plus grande à l'égard de la demande sociale sous sa forme directe et immédiate.
Une analyse statistique sommaire des questions posées nous a fait voir que la grande majorité d'entre elles étaient directement liées aux préoccupations politiques du « personnel politique ». Si nous nous amusions ce soir à jouer aux petits papiers et si je vous disais d'écrire les cinq questions qui vous paraissent les plus importantes en matière d'enseignement, nous obtiendrions sûrement une liste très différente de celle que nous obtenons en relevant les questions qui ont été effectivement posées par les enquêtes d'opinion. La question : « Faut-il introduire la politique dans les lycées ? » (ou des variantes) a été posée très souvent, tandis que la question : « Faut-il modifier les programmes ? » ou « Faut-il modifier le mode de transmission des contenus ? » n'a que très rarement été posée. De même : « Faut-il recycler les enseignants ? ». Autant de questions qui sont très importantes, du moins dans une autre perspective.
Les problématiques qui sont proposées par les sondages d'opinion sont subordonnées à des intérêts politiques, et cela commande très fortement à la fois la signification des réponses et la signification qui est donnée à la publication des résultats. Le sondage d'opinion est, dans l'état actuel, un instrument d'action politique ; sa fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l'illusion qu'il existe une opinion publique comme sommation purement additive d'opinions individuelles ; à imposer l'idée qu'il existe quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou l'opinion moyenne. L'« opinion publique » qui est manifestée dans les premières pages de journaux sous la forme de pourcentages (60 % des Français sont favorables à...), cette opinion publique est un artefact pur et simple dont la fonction est de dissimuler que l'état de l'opinion à un moment donné du temps est un système de forces, de tensions et qu’il n’est rien de plus inadéquat pour représenter l'état de l'opinion qu'un pourcentage.
On sait que tout exercice de la force s'accompagne d'un discours visant à légitimer la force de celui qui l'exerce ; on peut même dire que le propre de tout rapport de force, c'est de n'avoir toute sa force que dans la mesure où il se dissimule comme tel. Bref, pour parler simplement, l'homme politique est celui qui dit : « Dieu est avec nous ». L'équivalent de « Dieu est avec nous », c'est aujourd'hui « l'opinion publique est avec nous ». Tel est l'effet fondamental de l'enquête d'opinion : constituer l'idée qu'il existe une opinion publique unanime, donc légitimer une politique et renforcer les rapports de force qui la fondent ou la rendent possible.
Ayant dit au commencement ce que je voulais dire à la fin, je vais essayer d'indiquer très rapidement quelles sont les opérations par lesquelles on produit cet effet de consensus. La première opération, qui a pour point de départ le postulat selon lequel tout le monde doit avoir une opinion, consiste à ignorer les non-réponses. Par exemple vous demandez aux gens : « Êtes-vous favorable au gouvernement Pompidou ? » Vous enregistrez 30 % de non-réponses, 20 % de oui, 50 % de non. Vous pouvez dire : la part des gens défavorables est supérieure à la part des gens favorables et puis il y a ce résidu de 30 %. Vous pouvez aussi recalculer les pourcentages favorables et défavorables en excluant les non-réponses. Ce simple choix est une opération théorique d'une importance fantastique sur laquelle je voudrais réfléchir avec vous.
Éliminer les non-réponses, c'est faire ce qu'on fait dans une consultation électorale où il y a des bulletins blancs ou nuls ; c'est imposer à l'enquête d'opinion la philosophie implicite de l'enquête électorale. Si l'on regarde de plus près, on observe que le taux des non-réponses est plus élevé d'une façon générale chez les femmes que chez les hommes, que l'écart entre les femmes et les hommes est d'autant plus élevé que les problèmes posés sont d'ordre plus proprement politique. Autre observation : plus une question porte sur des problèmes de savoir, de connaissance, plus l'écart est grand entre les taux de non-réponses des plus instruits et des moins instruits. À l'inverse, quand les questions portent sur les problèmes éthiques, les variations des non-réponses selon le niveau d'instruction sont faibles (exemple : « Faut-il être sévère avec les enfants ? »). Autre observation : plus une question pose des problèmes conflictuels, porte sur un nœud de contradictions (soit une question sur la situation en Tchécoslovaquie pour les gens qui votent communiste), plus une question est génératrice de tensions pour une catégorie déterminée, plus les non-réponses sont fréquentes dans cette catégorie. En conséquence, la simple analyse statistique des non-réponses apporte une information sur ce que signifie la question et aussi sur la catégorie considérée, celle-ci étant définie autant par la probabilité qui lui est attachée d'avoir une opinion que par la probabilité conditionnelle d'avoir une opinion favorable ou défavorable.
L'analyse scientifique des sondages d'opinion montre qu'il n'existe pratiquement pas de problème omnibus ; pas de question qui ne soit réinterprétée en fonction des intérêts des gens à qui elle est posée, le premier impératif étant de se demander à quelle question les différentes catégories de répondants ont cru répondre. Un des effets les plus pernicieux de l'enquête d'opinion consiste précisément à mettre les gens en demeure de répondre à des questions qu'ils ne se sont pas posées. Soit par exemple les questions qui tournent autour des problèmes de morale, qu'il s'agisse des questions sur la sévérité des parents, les rapports entre les maîtres et les élèves, la pédagogie directive ou non directive, etc., problèmes qui sont d'autant plus perçus comme des problèmes éthiques qu'on descend davantage dans la hiérarchie sociale, mais qui peuvent être des problèmes politiques pour les classes supérieures : un des effets de l'enquête consiste à transformer des réponses éthiques en réponses politiques par le simple effet d'imposition de problématique.
En fait, il y a plusieurs principes à partir desquels on peut engendrer une réponse. Il y a d'abord ce qu'on peut appeler la compétence politique par référence à une définition à la fois arbitraire et légitime, c'est-à-dire dominante et dissimulée comme telle, de la politique. Cette compétence politique n'est pas universellement répandue. Elle varie grosso modo comme le niveau d'instruction. Autrement dit, la probabilité d'avoir une opinion sur toutes les questions supposant un savoir politique est assez comparable à la probabilité d'aller au musée. On observe des écarts fantastiques : là où tel étudiant engagé dans un mouvement gauchiste perçoit quinze divisions à gauche du PSU, pour un cadre moyen il n'y a rien. Dans l'échelle politique (extrême-gauche, gauche, centre-gauche, centre, centre-droit, droite, extrême-droite, etc.) que les enquêtes de « science politique » emploient comme allant de soi, certaines catégories sociales utilisent intensément un petit coin de l'extrême-gauche ; d'autres utilisent uniquement le centre, d'autres utilisent toute l'échelle. Finalement une élection est l'agrégation d'espaces tout à fait différents ; on additionne des gens qui mesurent en centimètres avec des gens qui mesurent en kilomètres, ou, mieux, des gens qui notent de 0 à 20 et des gens qui notent entre 9 et 11. La compétence se mesure entre autres choses au degré de finesse de perception (c'est la même chose en esthétique, certains pouvant distinguer les cinq ou six manières successives d'un seul peintre).
Cette comparaison peut être poussée plus loin. En matière de perception esthétique, il y a d'abord une condition permissive : il faut que les gens pensent l'œuvre d'art comme une œuvre d'art ; ensuite, l'ayant perçue comme œuvre d'art, il faut qu'ils aient des catégories de perception pour la construire, la structurer, etc. Supposons une question formulée ainsi : « Êtes-vous pour une éducation directive ou une éducation non directive ? » Pour certains, elle peut être constituée comme politique, la représentation des rapports parents-enfants s'intégrant dans une vision systématique de la société ; pour d'autres, c'est une pure question de morale. Ainsi le questionnaire que nous avons élaboré et dans lequel nous demandons aux gens si, pour eux, c'est de la politique ou non de faire la grève, d'avoir les cheveux longs, de participer à un festival pop, etc., fait apparaître des variations très grandes selon les classes sociales. La première condition pour répondre adéquatement à une question politique est donc d'être capable de la constituer comme politique ; la deuxième, l'ayant constituée comme politique, est d'être capable de lui appliquer des catégories proprement politiques qui peuvent être plus ou moins adéquates, plus ou moins raffinées, etc. Telles sont les conditions spécifiques de production des opinions, celles que l'enquête d'opinion suppose universellement et uniformément remplies avec le premier postulat selon lequel tout le monde peut produire une opinion.
Deuxième principe à partir duquel les gens peuvent produire une opinion, ce que j'appelle l'« ethos de classe » (pour ne pas dire « éthique de classe »), c'est-à-dire un système de valeurs implicites que les gens ont intériorisées depuis l'enfance et à partir duquel ils engendrent des réponses à des problèmes extrêmement différents. Les opinions que les gens peuvent échanger à la sortie d'un match de football entre Roubaix et Valenciennes doivent une grande partie de leur cohérence, de leur logique, à l’ethos de classe. Une foule de réponses qui sont considérées comme des réponses politiques, sont en réalité produites à partir de l'ethos de classe et du même coup peuvent revêtir une signification tout à fait différente quand elles sont interprétées sur le terrain politique. Là, je dois faire référence à une tradition sociologique, répandue surtout parmi certains sociologues de la politique aux États-Unis, qui parlent très communément d'un conservatisme et d'un autoritarisme des classes populaires. Ces thèses sont fondées sur la comparaison internationale d'enquêtes ou d'élections qui tendent à montrer que chaque fois que l'on interroge les classes populaires, dans quelque pays que ce soit, sur des problèmes concernant les rapports d'autorité, la liberté individuelle, la liberté de la presse, etc., elles font des réponses plus « autoritaires » que les autres classes ; et on en conclut globalement qu'il y a un conflit entre les valeurs démocratiques (chez l'auteur auquel je pense, Lipset, il s'agit des valeurs démocratiques américaines) et les valeurs qu'ont intériorisées les classes populaires, valeurs de type autoritaire et répressif. De là, on tire une sorte de vision eschatologique : élevons le niveau de vie, élevons le niveau d'instruction et, puisque la propension à la répression, à l'autoritarisme, etc., est liée aux bas revenus, aux bas niveaux d'instruction, etc., nous produirons ainsi de bons citoyens de la démocratie américaine. À mon sens ce qui est en question, c'est la signification des réponses à certaines questions. Supposons un ensemble de questions du type suivant : Êtes-vous favorable à l'égalité entre les sexes ? Êtes-vous favorable à la liberté sexuelle des conjoints ? Êtes-vous favorable à une éducation non répressive ? Êtes-vous favorable à la nouvelle société ? etc. Supposons un autre ensemble de questions du type : Est-ce que les professeurs doivent faire la grève lorsque leur situation est menacée? Les enseignants doivent-ils être solidaires avec les autres fonctionnaires dans les périodes de conflit social ? etc. Ces deux ensembles de questions donnent des réponses de structure strictement inverse sous le rapport de la classe sociale : le premier ensemble de questions, qui concerne un certain type de novation dans les rapports sociaux, dans la forme symbolique des relations sociales, suscite des réponses d'autant plus favorables que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale et dans la hiérarchie selon le niveau d'instruction ; inversement, les questions qui portent sur les transformations réelles des rapports de force entre les classes suscitent des réponses de plus en plus défavorables à mesure qu'on s'élève dans la hiérarchie sociale.
Bref, la proposition « Les classes populaires sont répressives » n'est ni vraie ni fausse. Elle est vraie dans la mesure où, devant tout un ensemble de problèmes comme ceux qui touchent à la morale domestique, aux relations entre les générations ou entre les sexes, les classes populaires ont tendance à se montrer beaucoup plus rigoristes que les autres classes sociales. Au contraire, sur les questions de structure politique, qui mettent en jeu la conservation ou la transformation de l'ordre social, et non plus seulement la conservation ou la transformation des modes de relation entre les individus, les classes populaires sont beaucoup plus favorables à la novation, c'est-à-dire à une transformation des structures sociales. Vous voyez comment certains des problèmes posés en Mai 1968, et souvent mal posés, dans le conflit entre le parti communiste et les gauchistes, se rattachent très directement au problème central que j'ai essayé de poser ce soir, celui de la nature des réponses, c'est-à-dire du principe à partir duquel elles sont produites. L'opposition que j'ai faite entre ces deux groupes de questions se ramène en effet à l'opposition entre deux principes de production des opinions : un principe proprement politique et un principe éthique, le problème du conservatisme des classes populaires étant le produit de l'ignorance de cette distinction.
L'effet d'imposition de problématique, effet exercé par toute enquête d'opinion et par toute interrogation politique (à commencer par l'électorale), résulte du fait que les questions posées dans une enquête d'opinion ne sont pas des questions qui se posent réellement à toutes les personnes interrogées et que les réponses ne sont pas interprétées en fonction de la problématique par rapport à laquelle les différentes catégories de répondants ont effectivement répondu. Ainsi la problématique dominante, dont la liste des questions posées depuis deux ans par les instituts de sondage fournit une image, c'est-à-dire la problématique qui intéresse essentiellement les gens qui détiennent le pouvoir et qui entendent être informés sur les moyens d'organiser leur action politique, est très inégalement maîtrisée par les différentes classes sociales. Et, chose importante, celles-ci sont plus ou moins aptes à produire une contre-problématique. À propos du débat télévisé entre Servan-Schreiber et Giscard d'Estaing, un institut de sondages d'opinion avait posé des questions du type : « Est-ce que la réussite scolaire est fonction des dons, de l'intelligence, du travail, du mérite ? » Les réponses recueillies livrent en fait une information (ignorée de ceux qui les produisaient) sur le degré auquel les différentes classes sociales ont conscience des lois de la transmission héréditaire du capital culturel : l'adhésion au mythe du don et de l'ascension par l'école, de la justice scolaire, de l'équité de la distribution des postes en fonction des titres, etc., est très forte dans les classes populaires. La contre-problématique peut exister pour quelques intellectuels mais elle n'a pas de force sociale bien qu'elle ait été reprise par un certain nombre de partis, de groupes. La vérité scientifique est soumise aux mêmes lois de diffusion que l'idéologie. Une proposition scientifique, c'est comme une bulle du pape sur la régulation des naissances, ça ne prêche que les convertis.
On associe l'idée d'objectivité dans une enquête d'opinion au fait de poser la question dans les termes les plus neutres afin de donner toutes les chances à toutes les réponses. En réalité, l'enquête d'opinion serait sans doute plus proche de ce qui se passe dans la réalité si, transgressant complètement les règles de l'« objectivité », on donnait aux gens les moyens de se situer comme ils se situent réellement dans la pratique réelle, c'est-à-dire par rapport à des opinions déjà formulées ; si, au lieu de dire par exemple « II y a des gens favorables à la régulation des naissances, d'autres qui sont défavorables ; et vous ?... », on énonçait une série de prises de positions explicites de groupes mandatés pour constituer les opinions et les diffuser, de façon que les gens puissent se situer par rapport à des réponses déjà constituées. On parle communément de « prises de position » ; il y a des positions qui sont déjà prévues et on les prend. Mais on ne les prend pas au hasard. On prend les positions que l'on est prédisposé à prendre en fonction de la position que l'on occupe dans un certain champ. Une analyse rigoureuse vise à expliquer les relations entre la structure des positions à prendre et la structure du champ des positions objectivement occupées.
Si les enquêtes d'opinion saisissent très mal les états virtuels de l'opinion et plus exactement les mouvements d'opinion, c'est, entre autres raisons, que la situation dans laquelle elles appréhendent les opinions est tout à fait artificielle. Dans les situations où se constitue l'opinion, en particulier les situations de crise, les gens sont devant des opinions constituées, des opinions soutenues par des groupes, en sorte que choisir entre des opinions, c'est très évidemment choisir entre des groupes. Tel est le principe de l'effet de politisation que produit la crise : il faut choisir entre des groupes qui se définissent politiquement et définir de plus en plus de prises de position en fonction de principes explicitement politiques. En fait, ce qui me paraît important, c'est que l'enquête d'opinion traite l'opinion publique comme une simple somme d'opinions individuelles, recueillies dans une situation qui est au fond celle de l'isoloir, où l'individu va furtivement exprimer dans l'isolement une opinion isolée. Dans les situations réelles, les opinions sont des forces et les rapports d'opinions sont des conflits de force entre des groupes.
Une autre loi se dégage de ces analyses : on a d'autant plus d'opinions sur un problème que l'on est plus intéressé par ce problème, c'est-à-dire que l'on a plus intérêt à ce problème. Par exemple sur le système d'enseignement, le taux de réponses est très intimement lié au degré de proximité par rapport au système d'enseignement, et la probabilité d'avoir une opinion varie en fonction de la probabilité d'avoir du pouvoir sur ce à propos de quoi on opine. L'opinion qui s'affirme comme telle, spontanément, c'est l'opinion des gens dont l'opinion a du poids, comme on dit. Si un ministre de l'Éducation nationale agissait en fonction d'un sondage d'opinion (ou au moins à partir d'une lecture superficielle du sondage), il ne ferait pas ce qu'il fait lorsqu'il agit réellement comme un homme politique, c'est-à-dire à partir des coups de téléphone qu'il reçoit, de la visite de tel responsable syndical, de tel doyen, etc. En fait, il agit en fonction de ces forces d'opinion réellement constituées qui n'affleurent à sa perception que dans la mesure où elles ont de la force et où elles ont de la force parce qu'elles sont mobilisées.
S'agissant de prévoir ce que va devenir l'Université dans les dix années prochaines, je pense que l'opinion mobilisée constitue la meilleure base. Toutefois, le fait, attesté par les non-réponses, que les dispositions de certaines catégories n'accèdent pas au statut d'opinion, c'est-à-dire de discours constitué prétendant à la cohérence, prétendant à être entendu, à s'imposer, etc., ne doit pas faire conclure que, dans des situations de crise, les gens qui n'avaient aucune opinion choisiront au hasard : si le problème est politiquement constitué pour eux (problèmes de salaire, de cadence de travail pour les ouvriers), ils choisiront en termes de compétence politique ; s'il s'agit d'un problème qui n'est pas constitué politiquement pour eux (répressivité dans les rapports à l'intérieur de l'entreprise) ou s'il est en voie de constitution, ils seront guidés par le système de dispositions profondément inconscient qui oriente leurs choix dans les domaines les plus différents, depuis l'esthétique ou le sport jusqu'aux préférences économiques. L'enquête d'opinion traditionnelle ignore à la fois les groupes de pression et les dispositions virtuelles qui peuvent ne pas s'exprimer sous forme de discours explicite. C'est pourquoi elle est incapable d'engendrer la moindre prévision raisonnable sur ce qui se passerait en situation de crise.
Supposons un problème comme celui du système d'enseignement. On peut demander : « Que pensez-vous de la politique d'Edgar Faure ? » C'est une question très voisine d'une enquête électorale, en ce sens que c'est la nuit où toutes les vaches sont noires : tout le monde est d'accord grosso modo sans savoir sur quoi ; on sait ce que signifiait le vote à l'unanimité de la loi Faure à l'Assemblée nationale. On demande ensuite : « Êtes-vous favorable à l'introduction de la politique dans les lycées ? » Là, on observe un clivage très net. Il en va de même lorsqu'on demande : « Les professeurs peuvent-ils faire grève ? » Dans ce cas, les membres des classes populaires, par un transfert de leur compétence politique spécifique, savent quoi répondre. On peut encore demander : « Faut-il transformer les programmes ? Êtes-vous favorable au contrôle continu ? Êtes-vous favorable à l'introduction des parents d'élèves dans les conseils des professeurs ? Êtes-vous favorable à la suppression de l'agrégation ? etc. » Sous la question « êtes-vous favorable à Edgar Faure ? », il y avait toutes ces questions et les gens ont pris position d'un coup sur un ensemble de problèmes qu'un bon questionnaire ne pourrait poser qu'au moyen d'au moins soixante questions à propos desquelles on observerait des variations dans tous les sens. Dans un cas les opinions seraient positivement liées à la position dans la hiérarchie sociale, dans l'autre, négativement, dans certains cas très fortement, dans d'autres cas faiblement, ou même pas du tout. Il suffit de penser qu'une consultation électorale représente la limite d'une question comme « êtes-vous favorable à Edgar Faure ? » pour comprendre que les spécialistes de sociologie politique puissent noter que la relation qui s'observe habituellement, dans presque tous les domaines de la pratique sociale, entre la classe sociale et les pratiques ou les opinions, est très faible quand il s'agit de phénomènes électoraux, à tel point que certains n'hésitent pas à conclure qu'il n'y a aucune relation entre la classe sociale et le fait de voter pour la droite ou pour la gauche. Si vous avez à l'esprit qu'une consultation électorale pose en une seule question syncrétique ce qu'on ne pourrait raisonnablement saisir qu'en deux cents questions, que les uns mesurent en centimètres, les autres en kilomètres, que la stratégie des candidats consiste à mal poser les questions et à jouer au maximum sur la dissimulation des clivages pour gagner les voix qui flottent, et tant d'autres effets, vous concluerez qu'il faut peut-être poser à l'envers la question traditionnelle de la relation entre le vote et la classe sociale et se demander comment il se fait que l'on constate malgré tout une relation, même faible ; et s'interroger sur la fonction du système électoral, instrument qui, par sa logique même, tend à atténuer les conflits et les clivages. Ce qui est certain, c'est qu'en étudiant le fonctionnement du sondage d'opinion, on peut se faire une idée de la manière dont fonctionne ce type particulier d'enquête d'opinion qu'est la consultation électorale et de l'effet qu'elle produit.
Bref, j'ai bien voulu dire que l'opinion publique n'existe pas, sous la forme en tout cas que lui prêtent ceux qui ont intérêt à affirmer son existence. J'ai dit qu'il y avait d'une part des opinions constituées, mobilisées, des groupes de pression mobilisés autour d'un système d'intérêts explicitement formulés ; et d'autre part, des dispositions qui, par définition, ne sont pas opinion si l'on entend par là, comme je l'ai fait tout au long de cette analyse, quelque chose qui peut se formuler en discours avec une certaine prétention à la cohérence. Cette définition de l'opinion n'est pas mon opinion sur l'opinion. C'est simplement l'explicitation de la définition que mettent en œuvre les sondages d'opinion en demandant aux gens de prendre position sur des opinions formulées et en produisant, par simple agrégation statistique d'opinions ainsi produites, cet artefact qu'est l'opinion publique. Je dis simplement que l'opinion publique dans l'acception implicitement admise par ceux qui font des sondages d'opinion ou ceux qui en utilisent les résultats, je dis simplement que cette opinion-là n'existe pas.
Pierre Bourdieu http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EFlApkVEZFJKDnDBKx.shtml -
Les revenants de l'Allemagne de l'est relèvent la tête
L’une des difficultés de l'exercice politique européen résulte du décalage des calendriers. Les différents États-Membres de l’Union à 28 sont convenus, tous, de professer la démocratie, tous, de prendre en commun un certain nombre de grandes décisions. Mais ils font voter les citoyens en pagaille. Pis encore : ils ne considèrent pas de la même manière l’échéance électorale qu'on nous présente pour centrale de la vie institutionnelle du Continent : la désignation des eurodéputés.
Et cela change avec les années : ainsi les Français ont-ils élu en mai 2012 le président que le monde leur envie, cependant que les Allemands n’ont renouvelé leur Bundestag qu’en septembre 2013. De la sorte l’élection européenne de l’année 2014 donnera lieu en France à une sorte de vote de confiance, ou plutôt de défiance à l’égard du gouvernement et du chef de l’État. En même temps, on considérera l'épisode comme celui du vote défouloir. On ne se préoccupe guère, à Paris, d’une assemblée dont les débats restent ignorés de l’opinion. Cette élection servira de voiture-balai de la classe politique.
Outre-Rhin, en revanche la formation de gouvernement de grande coalition déporte en partie le débat vers les forces marginales. Ceux de nos cousins germains qui se détournent des deux gros partis associés, plus ou moins aseptisés, opteront pour les forces les plus marquées, écartées du pouvoir. Les unes se situent à droite : or, elles n'accèdent pas au parlement du fait de la barre des 5 %. L'autre siège à gauche, point de vue d'où elle critique de façon radicale le gouvernement. Avec 63 députés il s'agit du troisième parti siégeant au Bundestag : Die Linke. Ce parti a été constitué à partir des survivants impunis du parti communiste est-allemand. Et au fil des ans s'y sont agrégés quelques mécontents de la social-démocratie.
Un mot pour souligner que l’addition du parti libéral FDP et du parti souverainiste AfD représentait 9,3 % des voix en septembre. Or, cette force virtuelle ne cherche pas à s’unir. Leurs états-majors demeurent profondément divisés sur la question de la monnaie européenne. Les déclarations du nouveau chef du FDP Christian Lindner (1)⇓ ne laissent à ce sujet aucun doute. La défaite du 22 septembre est considérée comme accidentelle, liée à la fois aux personnalités dirigeantes du parti MM. Rössler et Westerwelle et à la poussée historique de l’allié CDU-CSU, tiré par la personnalité de la chancelière. La perspective de reconquête des 0,3 % qui ont manqué en 2013 ne paraît pas insurmontable. Idem chez les souverainistes de l’AfD. Ils pensent, eux aussi, profiter du vote défouloir. À ce détail près, que la crise de l’euro s’est, au moins provisoirement, calmée.
C’est donc bien à l’autre bout du spectre politique allemand que se jouera la partie décisive.
En mai 2012, alors au printemps de son ascension en Grèce, Alexis Tsipras faisait, entre deux baisemains à Michelle Obama, un déplacement à Paris chez son "ami" Mélenchon, et surtout à Berlin. Le 22 mai il développait son propre programme en 6 points dans la capitale allemande. Il était exhibé aux côtés du Néerlandais Tiny Kox, président du groupe de la "gauche unitaire européenne" et de Klaus Ernst ancien socialiste rallié à Die Linke pour s’être opposé aux programmes de réformes Agenda 2010 de Gerhard Schröder. Le processus était lancé sur toute l'Europe.
Tsipras, rassembleur dans son pays de tous les groupes gauchistes, maoïstes, trotskistes, etc. va servir en mai 2014 de tête d'affiche. Et le drame serait qu'il dépasse en nombre de voix, à l'occasion de ce scrutin, la droite locale, rendant intenable la situation du gouvernement, créant une nouvelle crise, etc.
Or, le personnage central du dispositif se révélait en la personne de Gregor Gysi.
Gysi avait été désigné comme dernier président du parti est-allemand en décembre 1989. Il apparut ainsi au moment de l’effondrement du régime communiste, et à la suite de la démission d’Egon Krenz. Il prétendait alors construire une nouvelle forme de socialisme.
Par la suite, plusieurs procédures, et notamment une commission d’enquête du Bundestag en 1998, établirent qu’il avait collaboré avec la Stasi sous le nom de code de Notar, ayant reçu à ce titre une rémunération, etc. Mais, pas plus que d’autres dirigeants de l’extrême gauche allemande, aucune de ces polémiques accablantes n’aboutirent à l’écarter de la vie politique ni même à le priver de son siège parlementaire.
Il y 20 ans en dépit de quelques manifestations sur le thème "Berlin reste rouge" “Berlin bleibt rot” les premiers scores du parti semblaient présager d’une mort certaine : 2,4 % des voix aux premières élections de l'Allemagne unifiée.
Au plan régional, les scores demeurent très contrastés. Ils restent inexistants dans des Länder tels que la Bavière, le Bade-Wurtemberg ou le Schleswig-Holstein, autour de 2 %. Les chiffres significatifs se réalisent en Sarre (2)⇓ avec 16,1 % et, surtout dans les Länder de l’est: Brandebourg 27,2 % Saxe-Anhalt 23,7 % Saxe 20,6 % Thuringe Mecklembourg 18,4 % ; dans le Land réunifié de Berlin il atteint tout de même encore 11,6 % en 2011.
Au plan national Die Linke avait atteint une pique de 11,9 % en 2009, au plus fort de la crise. Puis il a relativement reculé en 2013, passant à 8,6 % soit quatre fois son score initial. Le parti conserve 64 sièges sur les 630 du parlement.
En janvier Gregor Gyzi infléchira encore la plateforme de Die Linke dans un sens plus néo-communiste encore, à l'échelle de l'Europe.
Les élections européennes lui ont offert l'occasion d'une progression constante. En 1994 : 4,7 %, 1999 : 5,8 %, 2004 : 6,1 % 2009 : 7,5%.
Les anciens de Berlin-est, correctement nettoyés, ripolinés, restaurés, se relèvent ainsi lentement, presque sûrement, effaçant les souvenirs compromettants, jouant sur la simple pusillanimité de leurs adversaires conformistes et sur la naïveté de leurs partenaires.
Au printemps prochain, les revenants impunis de l'Allemagne de l'est entendent encore redresser la tête. Ils se serviront du gauchiste grec Tsipras comme tête d’affiche, avec Gregor Gysi comme tête pensante.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/2014/01/les-revenants-de-lallemagne-de-lest-relevent-la-tete.html
Apostilles
1) publiées dans Die Welt le 4 janvier 2014.⇑
2) Le petit Land de Sarre était l'ancien fief d'Oskar Lafontaine qui se rallia au parti est-allemand pour constituer "Die Linke" selon la recette bien connue du pâté d'alouette composé désormais d'un cheval est-allemand et d'une alouette sarroise.⇑ -
Les faux prophètes guidant le peuple
Parmi les intellectuels critiques convoqués par les médias, révérés à l’université, considérés comme éminemment subversifs dans le monde militant, ne figurent aucun, ou très peu, de ceux qui le sont vraiment pour beaucoup des lecteurs de La Décroissance. Au mieux, comme c’est le cas pour certaines de ces stars de la contestation, leurs analyses se révèlent inopérantes, car incapables de saisir les spécificités de la phase actuelle du capitalisme. Au pire, et c’est le cas de la majorité d’entre eux, leurs théories participent pleinement du déploiement du capitalisme en favorisant les mutations sociales et culturelles exigées par le marché.
La French Theory, comme l’ont appelée les universitaires américains, regroupe beaucoup de ces intellectuels qui continuent d’être considérés comme le cœur de la pensée rebelle : Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jean-François Lyotard... Présents dans les champs de la philosophie, des sciences sociales et de la théorie littéraire, leurs héritiers actuels sont désignés la plupart du temps par ces termes en post- qui ont tendance à proliférer depuis les années 1980 : postmodernes, poststructuralistes, postmarxistes, postféministes, etc. Il arrive aussi qu’ils appartiennent aux cultural studies, ces « antidisciplines » très en vogue dans les universités françaises après avoir suscité quelque méfiance, et qui ont proliféré en gender studies, subaltern studies, disability studies, etc. Aux yeux de beaucoup de commentateurs, mais aussi de personnes sincèrement révoltées par le monde qui nous entoure, tous ces courants incarnent les nouvelles pensées critiques susceptibles de fournir des armes aux luttes sociales. Le livre Hémisphère gauche, qui a rencontré un certain écho en 2010, en a fait la cartographie et permet ainsi d’en définir les contours. Sa quatrième de couverture annonce : « La bataille des idées fait rage [...]. Développée par des auteurs comme Tomi Negri, Slavoj Zizek, Alain Badiou, Judith Butler, Giorgio Agamben, Fredric Jameson, Gayatri Spivak ou Axel Honneth, la pensée radicale est de retour. » Le problème est que ces nouvelles pensées, quelle que soit l’appellation qu’on leur donne – « théorie ‘queer’, marxisme et postmarxisme, théorie postcoloniale, théorie de la reconnaissance, poststructuralisme, néospinozisme, etc. » – ne nous apparaissent pas du tout radicales, contrairement à celles développées par d’autres penseurs, pour la plupart moins connus, parfois oubliés, et surtout nettement moins à la mode : Günther Anders, Zygmunt Bauman, Cornelius Castoriadis, Bernard Charbonneau, Dany-Robert Dufour, Jacques Ellul, Ivan Illich, Christopher Lasch, Herbert Marcuse, Michela Marzano, Jean-Claude Michéa, Lewis Mumford, George Orwell, François Partant, Pier Paolo Pasolini, Moishe Postone, Richard Sennett, Lucien Sfez, Vandana Shiva, Simone Weil...
Toutes les dimensionsRadicales au sens littéral : qui veulent prendre les choses à la racine. Plus précisément : qui visent à agir sur les causes profondes des phénomènes et des structures que l’on veut modifier. Dans ce système, des causes, de différente nature, se succèdent, s’enchevêtrent, s’alimentent, se renforcent, parfois se télescopent. Pour en faciliter l’analyse, elles peuvent être classées en quatre dimensions : économique, technologique, culturelle et politique.Sur le plan économique, le système social actuel est foncièrement capitaliste. Son optique est celle de l’accumulation infinie d’argent et d’objets, à travers une dynamique expansionniste qui s’observe aussi bien dans le culte de la croissance que dans la marchandisation de toutes les activités humaines. La suprématie du capitalisme se traduit aussi par une exploitation accrue des travailleurs. Qu’il s’agisse de la terre et des semences pour le paysan, ou des outils pour l’artisan et l’ouvrier, à chaque fois le capitalisme leur retire les moyens de vivre par eux-mêmes et les rend dépendants de sa machinerie économique, les obligeant à vendre leur force de travail sur le marché. Dans un monde où l’activité productive est privée de sens, on travaille désormais pour la paie, et non plus pour le sentiment d’accomplissement que l’on retire d’une œuvre achevée.Le système social dans lequel nous sommes enfermés doit aussi être caractérisé sur le plan technologique en tant que société industrielle. Le primat donné dans la production à la quantité sur la qualité y a conduit à un appauvrissement général des objets ordinaires du point de vue de leur utilité réelle, de leur robustesse comme de leur aspect esthétique. Mais qu’importe puisque c’est l’innovation qui compte : là-dessus tous les gouvernants, de gauche comme de droite, élites économiques, décideurs politiques comme scientifiques de renom sont d’accord. Économie, science et technique forment maintenant un « bloc », un assemblage compact dont toutes les parties sont interdépendantes. Ce qui signifie que le mode de production et de consommation industriel, avec ses formes de pensée et son appareillage, est consubstantiel au capitalisme : il est apparu avec lui, et il ne pourra y avoir de sortie du capitalisme sans mise à bas de la société industrielle.La réussite du capitalisme industriel n’aurait toutefois pas été possible s’il n’avait été capable de créer l’Homo oeconomicus, calculateur rationnel, toujours lancé à la poursuite de ses intérêts privés. On aurait d’ailleurs tort de limiter la portée de ce modèle en le restreignant à la figure du grand patron à la française ou du golden boy à l’américaine : au contraire, il est aujourd’hui reproduit en série sur toute la planète, qu’il s’agisse de l’adolescent en quête de reconnaissance gérant son capital de relations amicales sur les réseaux sociaux, ou de l’universitaire multipliant les articles dans des revues scientifiques afin de maximiser ses chances promotion.Mais le système qui est à la racine des maux affectant nos sociétés possède une dernière facette, qui est de nature politique. Ou plutôt faudrait-il parler de dépérissement du politique, car elles dépendent de plus en plus de bureaucraties de toutes sortes, d’un entrelacs kafkaïen d’organismes d’évaluation, de décision, d’expertise, de communication... Le parti et le syndicat, de même que l’État moderne, s’était déjà vus gagnés au XXe siècle par cette loi d’expansion des logiques d’administration, au détriment des formes de délibération démocratique et de décision politique. Mais de ces monstres froids on est passé à des mastodontes tels que l’Union européenne, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale de la santé, etc., qui, tout en étant aussi peu contrôlables par les populations, en sont venus à déterminer leurs conditions de vie dans les moindres détails – des normes fixant la taille des tomates standardisées jusqu’au droit du travail pratiqué dans les entreprises. Nulle conspiration derrière tout cela : simplement la domination ordinaire et anonyme de cohortes d’administrateurs, d’experts, de spécialistes, d’analystes, de managers, de communicants et autres, tous préoccupés d’assurer la bonne marche du système sans se poser la question des fins qui sont poursuivies.La Décroissance N°105
http://www.oragesdacier.info/2014/01/les-faux-prophetes-guidant-le-peuple.html
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In Memoriam - Le spleen de Paris
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Vendredi 10 janvier, conférence de Pierre-Louis Mériguet : “L’engagement par l’enracinement”
PARIS (NOVOpress) - Vendredi 10 janvier, Dextra recevra Pierre-Louis Mériguet, responsable de Vox Populi, qui parlera de L’engagement par l’enracinement. Rendez-vous à partir de 19h30 au bar El Siete, 283 rue Saint-Jacques, Paris (5ème). RER : Port-Royal.
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In Memoriam en concert à Prague en Avril !