On rencontre de moins en moins de trisomiques dans les rues, et pour cause : 96 % des fœtus diagnostiqués trisomiques sont avortés, le dépistage devant obligatoirement être proposé depuis 2009 et pouvant passer par un test sanguin depuis avril 2013.
Comme le fait remarquer la sociologue Bénédicte Champenois-Rousseau, « la liaison implicite entre la détection d'une anomalie fœtale grave et l'interruption de grossesse est tellement automatique que, récemment, les organes de presse n 'ont pas hésité à reprendre sans sourciller, à propos de la grossesse d'une star française de la natation [ndlr: Laure Manaudou], qu 'elle avait été "contrainte d'avorter" suite à un diagnostic prénatal. » Par un raffinement légal dont on appréciera la monstruosité, la France considère qu'avorter d'un enfant atteint de trisomie 21 est thérapeutique, autrement dit peut être pratiqué à tout moment de la grossesse.
Pourquoi eux ?
La France a donc fait le choix d'investir lourdement dans le dépistage et l'élimination des déviants (une conception sur 700) plutôt que dans la recherche permettant de les soigner... C'est surprenant ou non selon qu'on considère la logique de ses choix éthiques publics ou ce que réclamerait un vrai respect de la vie humaine. Disons simplement qu'en matière d'élimination radicale, il y eut d'illustres devanciers : Hitler et son programme Aktion T4 - qui n'aboutit pas grâce à un évêque allemand Mgr von Galen -, l'icône féministe darwinienne, eugéniste et raciste Clémence Royer ou le Nobel franc-maçon, eugéniste et raciste Charles Richer (« Le premier pas dans la voie de la sélection, c'est l'élimination des anormaux. [...] C'est une barbarie que de forcer à vivre un sourd-muet, un idiot ou un rachitique. »). La compagnie est flatteuse.
Et pourtant, les trisomiques 21 sont de moins en moins un poids pour la société et leurs familles. Souvent atteints de pathologies multiples, leur espérance de vie a néanmoins triplé en 50 ans et ils ont conquis une relative autonomie, comme Éléonore, trisomique de 28 ans, qui vit seule et travaille à l'hôpital d'Arras. Sans idéaliser la naissance d'un enfant trisomique, on peut remarquer que leurs capacités relationnelles sont exceptionnelles. Ils sont porteurs d'une joie de vivre incroyable - pourvu que la société ne leur fasse pas lourdement sentir leur qualité « d'inadapté », en ce siècle avide de formatage.
L'association Le Collectif des amis d'Eléo-nore a donné la parole aux trisomiques 21, ce qui n'est que logique et juste à une heure où la parole de chacun est censée être entendue, surtout celles des minorités opprimées. Tous les trisomiques interrogés se déclarent heureux, le plus souvent quand ils sont en groupe (famille, amis), et déclarent que la véritable urgence est que « les gens nous aiment comme nous sommes ». N'est-ce pas la revendication la plus communément partagée? Et même élevée au rang d'impératif moral, de dogme social ?
Jusqu'au-boutistes...
Au nom de quoi ces enfants devraient-ils être exclus de la société et même de l'humanité, comme y tend l'eugénisme d'Etat actuellement à l'œuvre ? Car il y a bien eugénisme quand on favorise le diagnostic aux dépens de la recherche; quand les médecins conseillent l'avortement, orientent les choix - et jugent et condamnent ceux qui choisissent la vie ; quand le discours officiel est de mettre en avant le coût social de l'handicapé mental, de même que l'euthanasie est de plus en plus justifiée par une argumentation économique qui suppose que la seule utilité sociale humaine est celle du producteur-consommateur; quand les députés eux-mêmes s'émeuvent que l'avortement ne soit pas plus efficace !
Le PS Olivier Dussopt, le 25 janvier 2011,déclarait : « Quand j'entends que "malheureusement" 96 % des grossesses pour lesquelles latrisomie 21 est repérée se terminent par une interruption de grossesse, la vraie question que jeme pose c'est pourquoi il en reste 4 %. » EnFrance, en 2014, ce sont les anti-eugénistes,comme la Fondation Jérôme Lejeune, qui assument la Recherche et portent le poids des soupçons. Il y a peu de chances que les chercheursqu'elle soutient reçoivent le Nobel.
Hubert Champrun monde & vie 9 avril 2014