
ÉLÉMENTS : La gauche semble avoir renoncé à changer de société. Réformiste, elle s’adapte à ce qu’elle ne peut plus ou ne veut plus endiguer, en se contentant de corriger à la marge des évolutions qui la dépassent, ce qui revient à gérer la fin de sa propre histoire. Une fatalité ?
JACQUES JULLIARD. La droite ne se préoccupe guère de l’évolution de la société. Elle croit que les sociétés sont autosuffisantes, que le libéralisme est la formule d’une société automatique, conforme à chaque instant à ce qu’elle doit être. De la gauche, qui a toujours été plus volontariste, on attend qu’elle propose des formes d’évolution de la société. On attend d’elle une conciliation de l’idéal collectif qui se dégageait de la société de classes et de l’individualisme qui est le fait des courants bourgeois libertaires, ce qui permettrait de réintégrer le peuple dans le jeu culturel d’abord, et dans le jeu politique ensuite. Mais le peuple se sent aujourd’hui exclu de la culture au sens le plus large, c’est-à-dire la manière dont on peut vivre son présent. Si la gauche ne prend pas en compte ce sentiment de déréliction, elle ne sert plus à rien. Or, malheureusement, les partis politiques de gauche en sont totalement incapables. Longtemps, j’ai cru que les syndicats pourraient le faire – la CFDT s’y efforce encore un peu –, mais il est clair qu’ils ont également perdu l’inventivité intellectuelle qui était la leur dans les années 1970 et 1980.
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