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culture et histoire - Page 1010

  • Souveraineté et désordre politique, un livre majeur de Guilhem Golfin

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    Cet article consacré à l’ouvrage Souveraineté et désordre politique, de Guilhem Golfin, a paru à la rubrique Livres de l’hebdomadaire Minute du mercredi 17 mai 2017 sous la signature de Charles du Geai. Il fait écho aux débats qui ont lieu, par exemple, entre Jacques Sapir et Jean-Yves Le Gallou. D’où le fait, peut-être, qu’il ait été repris également par la fondation Polémia.

    C’est un titre qui sonne comme une analyse de la présidentielle. Souveraineté et Désordre politique, premier essai du jeune docteur en philosophie Guilhem Golfin, est pourtant bien plus important que cela. Ses pages exigeantes plongeront les lecteurs dans une réflexion fondamentale pour l’avenir de la droite : suffit-il d’ânonner une défense de la souveraineté pour proposer le remède miracle aux souffrances intellectuelles et morales des Français ?

    L’auteur affirme la réalité d’un débat qui ne cesse de diviser les représentants politiques :

    « La configuration politique actuelle se présente effectivement, pour l’essentiel, sous la forme d’une opposition entre le supranationalisme mondialiste – ou le cosmopolitisme moderne – et le souverainisme, entendu de manière générale comme exigence d’un retour au principe de souveraineté classique et donc à un ordre international fondé sur les Etats. »

    Il s’empresse cependant de noter la stérilité d’une telle présentation du débat, dont les électeurs font constamment les frais.

    A force de gagner pour perdre, les électeurs perdent patience. Et si cela tenait à une panne du monde des idées ? C’est la thèse de ce membre de l’Institut Montalembert :

    « Croire résoudre le problème de l’unité du peuple par le recours au seul exercice du pouvoir compris comme imposition de l’obéissance, c’est-à-dire en ayant recours à la souveraineté, c’est se bercer d’illusion. »

    Et cette illusion ne date pas d’hier mais de Jean Bodin, philosophe angevin qui vécut de 1530 à 1596 et donna naissance à un renouvellement important de la philosophie politique. Dans ses Six Livres de la République, il affirme : « L’État souverain est plus fort que les lois civiles. »

    Cette proposition ne choquera plus personne, sauf qu’elle constitue une contradiction fondamentale avec la pensée classique. Soucieux de libérer le pouvoir civil du catholicisme, Jean Bodin fusionne les deux qualités du pouvoir : la potestas et l’auctoritas. Chez les Anciens, le pouvoir civil (législatif et militaire) différait de la dignité du pouvoir, fruit de la vertu et du mérite, qui concernait l’auctoritas. La souveraineté (auctoritas) n’était donc pas fonction d’une loi ou d’une constitution mais d’un état d’exception qui contraignait le pouvoir. Avec Bodin, la souveraineté se place du côté du pouvoir parce qu’il est pouvoir et réduit donc la primauté de la justice et de l’unité du peuple au profit de l’obéissance à la loi.

    C’est à cette source que les souverainistes contemporains puisent leurs justifications en prétendant que la question de la définition juridico-politique du pouvoir fut immuable des Grecs à François Hollande. Manipulation délétère pour l’auteur puisqu’elle permet de ne pas penser les impératifs de justice et d’unité comme des éléments préalables à la pratique politique sur un territoire donné.

    L’argumentaire de Guilhem Golfin est solide. Il précise que si la souveraineté est un attribut du politique, il ne peut en résumer le principe. En un mot : hurler contre l’Union européenne et les transferts de souverainetés est largement insuffisant pour s’opposer au mondialisme. L’esprit chagrin dirait que Florian Philippot est bien insuffisant pour affronter Emmanuel Macron.

    En termes philosophiques, notre auteur pointe le premier impensé du souverainisme contemporain : la communauté naturelle. Nous connaissons sa conséquence : le refus de tout discours défendant l’unité de notre peuple et son identité. A force de penser une nationalité définie par la loi, une liberté des gens établie en fonction de contrats abstraits, ces derniers voient leurs relations familiales et sociales fracassées par toutes les idéologies.

    Le souverainisme intégral est donc tout à fait moderne. Pire, il est à l’origine d’une rupture essentielle dans l’histoire de la droite : l’abandon d’une définition du peuple qui ne soit pas idéologique. Dès lors, toutes les vannes furent ouvertes pour que multiculturalisme et haine de soi s’imposent dans les discours. Comme nos lecteurs peuvent le constater chaque jour, la critique de l’Union européenne n’implique pas de réarmement législatif et intellectuel contre l’immigration massive. C’est ce que note l’auteur :

    « Comment imaginer qu’il puisse être à l’origine de la reformation du peuple quand il a historiquement été impuissant à contrer efficacement sa progressive dissolution, quand il n’a jamais joué en vérité ce rôle d’unification, mais a profité de l’unité du peuple et du territoire au bénéfice de l’Etat qui n’a cessé des lors de croître au fur et à mesure que le peuple s’affaiblissait ? »

    Il s’agit alors de proposer des alternatives. Le livre donne des pistes intéressantes. A la triple rupture avec Dieu, la Nature et la Tradition qui fonde la politique moderne, il répond par un retour à des familles autonomes, mises dans les conditions favorables à l’éducation et à la transmission. A l’oubli des finalités qui revient à soutenir le renforcement de l’Etat comme étant souhaitable en soi, il rétorque par la redécouverte du bien commun conçu comme la correspondance entre la vie collective des hommes et le perfectionnement de leur qualités.

    Guilhem Golfin participe donc de ce corpus en constitution autour de Guillaume Bernard, Philippe Pichot-Bravard, Frédéric Rouvillois ou encore Patrick Buisson, qui cherche à provoquer un renouvellement de notre définition du politique et in fine des assises philosophiques de la droite. Si le pari est osé, son urgence est quotidiennement posée alors que la droite est à la renverse, engoncée dans ses paradoxes sans lendemain.

    Charles du Geai

    Guilhem Golfin, Souveraineté et Désordre politique, éd. du Cerf, 208 p., 19 euros.

    https://fr.novopress.info/

  • Une nécropole gallo-romaine découverte dans le Pas-de-Calais (62)

    Ces fouilles entamées dans le Pas-de-Calais sur le chantier d’un magasin discount ont permis de découvrir six tombes du 1er siècle.

    Une nécropole datant du Ier siècle après JC a été mise au jour après des fouilles entamées il y a un mois sur une surface de 6000m², à l’emplacement d’un futur magasin discount. Et dès le départ, les archéologues avaient flairé le site riche en découvertes: «Nous savions que ce chantier était la prolongation des découvertes faites en 2008 car il y avait un muret en pierre qui se prolongeait dans la parcelle à côté de l’hôtel communautaire. Nous nous doutions que l’aire funéraire se poursuivait» décrypte l’archéologue Jérôme Maniez au journal local La Voix du Nord.

    (…)

    Le Figaro

    http://www.fdesouche.com/851315-une-necropole-gallo-romaine-decouverte-dans-le-pas-de-calais-62

  • Qu’est ce que le nationalisme-révolutionnaire ?

    Ce texte de Nicolas Lebourg a été publié début 2009 sur Fragments sur les Temps Présents, pour cause d’actualité nous le republions.

    Le nationalisme-révolutionnaire se veut l’un des phénomènes politiques les plus originaux de ces dernières décennies. Il équivaudrait à un néo-fascisme qui serait un fascisme de « gauche », économiquement socialiste, globalement pro-soviétique durant la Guerre froide, souvent philo-maoïste. Cela a mené à la production d’autres désignations, toutes basées sur l’attirance de l’oxymoron provocateur : « gauchistes de droite », « nationaux-communistes », « fascistes de gauche », « nazi-maoïstes », « rouges-bruns », entre autres. Il est en tous cas certain que le nationalisme-révolutionnaire se construit via une propagande sur le thème du fascisme de gauche et une stratégie qui se veut un léninisme de droite. L’histoire du nationalisme-révolutionnaire reste cependant indubitablement liée à l’humiliation de l’échec de l’Algérie française qui oblige les néo-fascistes à chercher une nouvelle voie tant en leurs pratiques qu’en leur idéologie.

    Oscillations

    Deux courants naissent de cet effort, la Nouvelle Droite et le nationalisme-révolutionnaire. Ils proviennent d’une matrice commune : Pour une Critique positive, publiée par Dominique Venner en juillet 1962. Parmi les idées qui découlent de cet opuscule, largement inspiré du Que faire ? de Lénine, se trouvent tout à la fois la nécessaire alliance internationale des nationalistes et l’abandon du nationalisme français au bénéfice d’un nationalisme européen.

    Il instaure la division de l’extrême droite en deux camps : d’une part les « nationaux », « conservateurs », de l’autre les « nationalistes », « révolutionnaires ». La querelle entre les nationalistes et les nationaux, c’est en fait un peu l’éternelle polémique entre les dissidents fascistes de l’Action Française et Maurras, entre les collaborationnistes et Vichy. Le distinguo existait en Allemagne dès 1928.

    Idéologiquement, les nationalistes-révolutionnaires (dits NR) ont pour autre événement fondateur la réunion à Venise le quatre mars 1962 de l’essentiel des forces néo-fascistes ouest-européennes. Elles s’y engagent à fonder un parti nationaliste européen intégré travaillant à l’édification d’une Europe unitaire, tout à la fois troisième force et troisième voie entre l’URSS et le communisme et les USA et le capitalisme. La première mise en forme de ce discours est le fait d’anciens d’Europe-Action, la revue fondée par Dominique Venner et Alain de Benoist. Au nom du « socialisme-européen », ils tentent d’opérer la jonction avec la gauche et la mouvance régionaliste, en fondant toute une nébuleuse de bulletins officiellement autonomes.

    Cette « oscillation idéologique » a été rendue possible par l’adoption de la représentation de l’espace politique par l’image du « fer à cheval » où les extrêmes se rapprochent (popularisée en france par Jean-Pierre Faye en 1972). Cette idée typique de la Révolution Conservatrice allemande de l’entre-deux-guerres témoigne du rôle de l’appropriation de cette mouvance, également assimilée grâce aux échanges avec la jeunesse de l’extrême droite allemande. Son acculturation achève le processus de mise en place d’un courant NR en France. Naissant les uns des autres, les principaux groupes qui se désignent ensuite comme « NR » sont : l’Organisation Lutte du Peuple (1972), les Groupes Nationalistes-Révolutionnaires de base (1976), le Mouvement Nationaliste Révolutionnaire (1979), Troisième Voie (1985), Nouvelle Résistance (1991), et Unité Radicale (1998).Les mouvances dites « socialiste-européenne », « solidariste », « nazi-maoïste » et « national-bolchevique » sont dénuées d’autonomie et sont à intégrer à l’histoire du nationalisme-révolutionnaire.

    Néanmoins, l’intérêt pour les gauchismes n’a jamais été jusqu’à l’imprégnation idéologique. La convergence droite/gauche touche en fait des aspects d’auto-représentation et des choix (économiques, de soutien à tel ou tel belligérant dans un conflit, de mode d’appréhension des modalités techniques de l’action partisane, etc.), non la culture politique. La vision du monde des NR est fasciste et le fascisme est d’extrême droite. Pour les NR, l’expérience fasciste fut un échec empirique critiquable mais se situant dans des conditions spatiales et temporelles spécifiques. Le contexte géopolitique ayant changé, ils promeuvent un néo-fascisme qui se veut un mouvement de libération nationale en lutte contre les pouvoirs colonisant l’Europe. Ils ont ainsi usé d’un binôme URSS-USA, puis après 1967 USA-Israël, et, suite à la Guerre du Kosovo, USA-Islam, afin d’en faire la figure de l’ennemi « colonialiste ». S’opposer à celui-ci serait donc œuvrer pour « un programme de libération nationale et sociale du peuple » européen, selon une formule du Parti Communiste Allemand (1930) qu’ils ne cessent de citer.

    Orientations

    La « troisième voie » NR, politique, économique, géopolitique, serait en fait l’équivalent européen des régimes populistes du Tiers-monde (en particulier le péronisme, le nasserisme, le baasisme et la Jamahiriya libyenne). Les NR mettent en avant une continuité entre les notions d’ethnie, de peuple, de nation, de construction européenne, de socialisme et d’Etat. Leur antisémitisme n’est pas d’ordre biologique ou religieux mais conspirationniste et politique. Le juif est conçu tel l’agent du cosmopolitisme, qui empêche l’édification du socialisme national, et du sionisme, qui vise à régenter le monde avec l’appui des USA via le processus de mondialisation.

    En définitive, le nationalisme-révolutionnaire puise autant dans les idées des fascismes que dans la Révolution Conservatrice allemande, dans les nationalismes du Tiers-monde que dans les propagandes soviétiques et gauchistes. Multipliant les groupuscules, il participe activement à la production des structures et discours nationaux-populistes mais s’affirme simultanément en opposition totale au système politique – ainsi de François Duprat, cheville ouvrière et stratège du Front National, mais qui recycle en France la propagande jusqu’au-boutiste du national-bolchevisme allemand. Ayant placé l’unité européenne en horizon d’attente, envisageant une révolution politique planétaire, les NR oeuvrent à une action et une idéologie internationales capables de réaliser leurs objectifs. Ils entreprennent dès lors des tactiques différentes au sein des nombreux champs politiques nationaux et internationaux auxquels ils participent.

    Leur opportunisme extrême est à lier au fait qu’ils ont plus développé une vision du monde qu’un corpus doctrinal monolithique. Alors qu’ils s’affirment intransigeants, les NR peuvent aussi bien : proclamer qu’ils sont les ennemis ultimes des nationaux et participer à l’encadrement et/ou à la marge d’un parti national-populiste ; appeler à la jonction avec les gauchistes et se rapprocher des néo-nazis ; exalter les notions raciales et être jacobins ; prôner l’action directe ou un patient travail de formation philosophique, etc. Malgré les références constantes à Lénine, il n’y a donc pas un dogme qui construit l’action, mais la recherche d’une action politique extrayant de l’impuissance et, finalement, c’est ici la propagande qui construit l’idéologie et non l’inverse.

    Nonobstant son caractère groupusculaire, le nationalisme-révolutionnaire permet donc de confronter l’étude de la mondialisation des biens culturels (ici idées et propagandes politiques) à celle du rejet politique de cette même mondialisation. Il permet de réévaluer la question du fascisme, tant sa nature (plus culturelle que politique), que son mode organisationnel (un réseau horizontal plus qu’un parti vertical), ou ses bornes spatiales et temporelles (en mettant en lumière la chrysalide du fascisme en néo-fascisme dès 1942 et la forme particulière du fascisme français).
    Prismes

    Il n’y a pas une zone d’influence simple du nationalisme-révolutionnaire mais des disséminations contradictoires. Sa structure de rhizome, tant culturel qu’organisationnel, lui a permis d’entrer en contact avec de nombreux espaces politiques, des partis de la droite parlementaire aux groupuscules d’extrême gauche, de formations islamistes à des sionistes radicaux en passant par des panarabistes.

    Le nationalisme-révolutionnaire se comprend donc par sa confrontation à une série de thèmes et permet de les éclairer en retour – les nationalismes français, allemand, arabe, les fascismes, la Révolution Conservatrice, l’extrême gauche et ses diverses chapelles, les transferts d’encadrement des droites sous la Ve République, le collaborationnisme, le sionisme et l’antisionisme radicaux, le néo-nazisme américain, l’islamisme, le colonialisme, l’anti-impérialisme, l’antisémitisme et le négationnisme.

    Pour parodier une célèbre formule, l’étude du nationalisme-révolutionnaire implique bien de confronter tout ensemble passés et présents qui ne passent pas. Ainsi, si l’analyse du politique tend parfois à mésestimer les enjeux liés aux groupuscules, il s’avère que considérer que l’ultra-nationalisme n’a d’impact que s’il aboutit sur un parti de masse ou de cadres, revient simplement à limiter son analyse aux schémas du national-socialisme allemand et du fascisme italien Le milieu groupusculaire n’est pas dissocié de la société, loin s’en faut.

    Les marges sont révélatrices du « Système » et la « Périphérie » du « Centre », tandis que les contestations idéologiques radicales soulignent le paradigme en vigueur. Les nationalismes radicaux permettent en fait de mieux saisir les imaginaires nationalistes et pro-société fermée diffus au sein de l’opinion.

    Trois enjeux au sein de l’espace public se voient particulièrement mis en valeur : a) la réaction aux reconstructions géopolitiques ; b) les définitions historiques du néo-fascisme et du fascisme français ; c) la refondation et le fonctionnement du champ extrême droitier.

    La réaction aux reconstructions géopolitiques

    Issus du combat colonialiste, les cadres NR se sont convertis à l’anti-impérialisme et sont entrés en contact avec les régimes révolutionnaires du monde arabe – Libye, Irak et Syrie en particulier. A partir de 1967, ils ont adopté le discours d’origine soviétique d’assimilation du sionisme au colonialisme et au nazisme. Ils l’ont orienté afin de le mettre en symbiose avec leur dénonciation du pacte de colonisation de l’Europe qu’eût été le sommet de Yalta. Dès 1968, leur presse conspue « le mondialisme » d’un capitalisme homogénéisant les peuples (métissage par l’immigration) et cultures (impérialisme culturel américain et « colonisation » de l’Europe par les immigrés).

    Les NR, mêlant dès lors la propagande maoïste à celle de la Révolution Conservatrice allemande, se présentent tels les « Nouveaux Résistants » en lutte contre ce « Système », un « totalitarisme » libéral qui voudrait imposer son matérialisme cosmopolite grâce à ses « collabos » qui favoriseraient l’immigration. Celle-ci ne serait qu’une « arme capitaliste » pour détruire les fondements ethno-culturels des peuples et en faire des consommateurs standardisés. L’impérialisme « américano-sioniste » délégitimerait toute « résistance » à son complot grâce à un « mythe de la Shoah » chargé d’inhiber la réaction populaire. Face à ce « génocide » dont elle serait victime, l’Europe devrait s’unifier, puis s’allier aux nations du Tiers-monde. Ainsi pourrait être édifié un ordre nouveau tel qu’une Europe des régions respectueuse des « identités » et des « racines » ethniques et culturelles.

    La réaction à la Guerre du Kosovo, « l’opportunité » produite par le 11 septembre, et le peu d’espace laissé par le succès du Front National, se sont conjugués pour réorienter les discours NR en un sens arabophobe et islamophobe paradoxalement en équilibre entre néo-nazisme de type étasunien et national-populisme français, menant in fine à la conversion d’une bonne part de la mouvance aux thèses identitaires. Moins que d’idéologies, les NR sont ici producteurs d’une radicalisation de thèmes émergents. Leurs querelles sur la structure et l’identité de l’Europe, ou leurs visions des rapports inter-ethniques ou géopolitiques, sont les formes extrêmes de débats par ailleurs courants dans l’espace public. Elles les précèdent même de peu nombre de fois (par exemple sur le thème de l’axe Paris-Berlin-Moscou qu’ils défendent depuis la décennie 1970).

    Si la tradition du nationalisme à la française est de joindre des valeurs sociales de gauche et des valeurs politiques de droite, la charge idéologique « rouge-brune » lie tout ensemble valeurs sociales et de politique étrangère de « gauche », et valeurs culturelles et de politique intérieure de « droite ».

    Les définitions historiques du néo-fascisme et du fascisme français

    Il s’avère que la définition du néo-fascisme est liée à celle des origines du fascisme. En effet, les fascismes-mouvements avaient connu un courant de leurs dialectiques internes qui était européiste et socialisant. Cette part a fourni les bases d’un redéploiement de la propagande des fascismes-régimes à compter de 1942. La propagande du IIIe Reich s’est à cette date réorientée du discours de la Grande Allemagne à celui de la défense et de la construction de l’Europe.

    Elle oppose une Waffen SS matrice de la « révolution européenne », « socialiste » car sans intellectuel ni Juif, à une figure enrichie de l’Ennemi total où le discours sur l’anéantissement du judéo-bolchevisme désigne dorénavant un monstre judéo-américano-soviétique dont « l’impérialisme » agresserait l’Europe. Dès 1943, la République Sociale Italienne se veut un au-delà du fascisme, en renouant avec les racines révolutionnaires du phénomène grâce à une idéologie socialiste et eurofédéraliste. Les grands axes idéologiques du néo-fascisme n’ont ensuite plus guère variés jusqu’à nos jours.

    A l’inverse de l’idée admise par une part de l’historiographie allemande, il n’y a donc pas d’époque du fascisme . Si celui ne cesse pas après 1945, c’est parce qu’il naît durant la guerre et que sa vision du monde se perpétue ensuite. Dans ce transfert, le rôle joué après-guerre par les jeunes collaborationnistes et Waffen SS non-Allemands est de première importance.

    Le néo-fascisme s’intéresse plus à la société qu’à l’Etat et à l’Europe qu’aux nations. Il délaisse le thème du Parti-Etat national au profit de celui de la renaissance des communautés populaires européennes grâce à l’action d’une élite révolutionnaire. Il constitue son idéologie et sa propagande à l’échelle européenne, se saisissant de thèmes et slogans d’une nation l’autre. L’Europe est donc le mythe mobilisateur, la réalité et le cadre de cette action politique. En définitive, l’orientation internationale et anti-colonialiste n’est pas une évolution à gauche du fascisme, mais un élément qui s’inscrit dans l’histoire de sa dialectique interne et qui correspond au changement des structures géopolitiques.

    Quant au fascisme français, il jouit d’une forme générale qui lui est propre. Sur les bases de ce que Raoul Girardet a baptisé le « nationalisme des nationalistes » du XIXe siècle, le fascisme français se produit, tout au long du XXe siècle, par hybridation de signes, globalement extra-nationaux, dans un processus de rhizome culturel qui correspond à sa structure de rhizome d’organisations de faible densité quantitative et sans réelle figure du Guide. L’après-guerre voit l’accentuation de cette structuration sous l’effet des contre-coups de l’Epuration, des formes horizontales et basistes du combat de l’OAS, et de la globalisation. Multiplication des Etats, perte de pans de leur souveraineté, délaissement de l’Etat au profit de la société, invasion des thématiques post-matérialistes comme « l’identité », déterritorialisation transnationale du politique, hybridation et mondialisation des biens culturels dont les offres politiques… tels sont les aspects de la mondialisation qui influent manifestement sur la restructuration des pratiques et idées d’un fascisme français inséré dans le champ des extrêmes droites.

    La refondation et le fonctionnement du champ extrême droitier

    Leur volonté modernisatrice a poussé les NR a tenté de réinventer des étiquettes, telles que « le solidarisme », le « tercérisme » ou le « national-bolchevisme », qui ont pu être appréhendées en-soi alors qu’elles n’ont aucune autonomie réelle. Cette situation a contribué à dessiner une image de l’extrême droite en courants monolithiques, en dépit des constants transferts d’idées, méthodes, slogans, capital humain. Le rapport critique que le nationalisme-révolutionnaire a au national-populisme est identique à celui qu’avaient au fascisme ses marges radicales : c’est une critique faite depuis la « plus extrême droite » et en aucune façon le signe d’un « non-conformisme » transcendant les clivages droite-gauche.

    Certes, les thèmes et termes employés aboutissent à des tentatives de jonction avec des groupes régionalistes, gauchistes, libertaires et/ou écologistes. Cependant, lorsque cet ultra-nationalisme tente de progresser vers sa gauche, il transforme son positionnement politique mais non ses fondamentaux philosophiques et culturels (ce qui est conforme à son idée que la vision du monde supplante l’idéologie). Dans les faits, l’appel à l’union des extrêmes se réduit à une alliance à l’intérieur de l’extrême droite de ceux qui refusent le compromis nationaliste avec les nationaux, en particulier les nationaux-catholiques. Ils élaborent un nouveau bloc comptant des éléments de droite (racistes de type völkisch) et de gauche (les NR socialistes et laïques). L’alliance rouge-brune est une affaire de représentations avant tout.

    En somme, l’extrême droite a survécu à sa longue traversée du désert par son immersion au plus profond de l’espace social, sous la forme d’un réseau groupusculaire. Ce dernier a permis la perpétuation de sa vision du monde, jusqu’à sa recréation partisane signifiante (Front National). L’extrême droite fonctionne comme un champ, et, au sein même du système politique concurrentiel, les groupuscules trouvent leur importance en leur travail de fournisseurs de concepts et éléments discursifs aux structures populistes qui ont, quant à elles, accès à l’espace médiatique. La Nouvelle droite et les NR ont donné quatre idées au FN : l’anti-immigration, l’anti-américanisme, l’anti-sionisme, la défense de « l’identité » face au « Système ». Ils l’ont ainsi sorti de l’ornière de l’antisoviétisme.

    Quand bien même ce parti n’a pu disposer d’importantes responsabilités, la pression qu’il a exercée sur le débat n’a cessé de mener à des modifications de la législation relative à l’immigration (le FN étant en, ce sens, un parti-lobby dont l’action est en grande part du domaine métapolitique). Les propagandes provocatrices des groupuscules, par exemple un tract ou autocollant ouvertement altérophobe, permettent au FN de jouir de cette image de rupture totale avec les normes du système politique et de voir sociabiliser une demande politique à laquelle lui seul peut électoralement répondre. Les marges radicales trouvent quant à elles au FN : a) des débouchés sociaux, b) un référent commun, c) une légitimation euphémisée d’une part de leurs thèmes, d) un vivier de militants déçus par la modération d’une formation électorale.

    La reconstruction du champ extrême droitier s’est ainsi faite par la conjonction d’un rhizome et d’un parti-lobby – un schéma organisationnel qui pourrait être demain un exemple opérationnel pour la gauche mouvementiste.

    L’observation de cette configuration permet de comprendre la circulation patente au sein du système politique des argumentaires et champs lexicaux échafaudés, en particulier à gauche dans l’usage du thème anti-impérialiste, et à droite dans la péjoration des populations d’origine immigrée.

    Ce vagabondage idéologique souligne le soin à prêter aux raisonnements et termes formulés autour de certains thèmes (identités, concurrence des « mémoires », luttes de libération, etc.), sachant qu’ils induisent une vision du monde. L’histoire du mouvement NR s’avère ainsi riche de leçons sur la manière dont une nébuleuse extrémiste peut tenter de s’intégrer au système politique ou y diffuser ses thèmes.

    Fragments sur les temps présents

    http://www.voxnr.com/548/quest-nationalisme-revolutionnaire

  • René Gillouin, infatigable intellectuel de droite

    RENÉ Gillouin est l'un des esprits les plus indépendants de la droite nationale française. Ce protestant embrassa la cause nationaliste en un temps où ses coreligionnaires soutenaient tous la République. Séduit par Maurras, il s'opposa souvent à lui. Conseiller de Pétain, il s'en éloigna, sans pour autant virer de bord. Jusqu'au terme de sa longue vie, il défendit ses idées, sans toujours être compris.

    Un fort en thème indépendant

    René Gillouin naît le 11 mars 1881 à Aouste-sur-Sye, dans la Drôme, où son père était pasteur. Après ses études secondaires à Tournon, puis Lyon, il intègre la khâgne du lycée Henri IV à Paris, en 1900, puis l'Ecole normale supérieure en 1902. Il découvre alors le bergsonisme, qui le marquera profondément, ce qui constitue déjà une singularité pour un nationaliste. Cette philosophie n'était en effet guère prisée de la mouvance nationaliste ou catholique, en raison de son caractère évolutionniste, et de la judaïté de son auteur. De ce point de vue, Gillouin s'apparente à Jacques Chevalier, grand philosophe catholique traditionaliste, lui aussi influencé par Bergson. Dès 1910, il publie un livre, Henri Bergson. Choix de textes avec étude du système philosophique.

    Rue d'Ulm, René Gillouin ne tarde pas à manifester son indépendance. Trop. Au lieu de bûcher ferme en vue de la préparation de l'agrégation, il va se perdre dans la bohème littéraire. Il fréquente le café Vachette, groupé autour de Moréas, la Taverne du Panthéon, et participe au lancement d'une revue littéraire, Le Panthéon, aux côtés d'Apollinaire, Giraudoux, Jules Romains, Duhamel et Henri Massis. Il en-lame une correspondance avec Barrés, qu'il admire.

    Ses études s'en ressentent, et il se voit recalé aux épreuves de l'agrégation de philosophie en 1905. Sa déception est amoindrie par son peu d'attrait pour l'enseignement. Il aspire à une indépendance intellectuelle et une liberté de choix de ses centres d'intérêt incompatibles avec l'Université.

    Contempteur de la décadence

    Alors, il entre, après concours, au secrétariat du conseil municipal de Paris (1905), et gravit les échelons jusqu'à devenir directeur de cabinet du président du conseil municipal, avant de démissionner (1931), non sans avoir obtenu la légion d'honneur au passage (1924).

    Gillouin profite de ce quart de siècle passé au conseil municipal pour fréquenter les salons mondains, nouer des relations, si bn que, lorsqu'il quitte l'administration, il entre, grâce à ses appuis, dans de nombreuses revues comme collaborateur rémunéré La Revue de Paris, L'Europe nouvelle, la Revue hebdomadaire, Le Mercure de France, Nouvelles littéraires, artistiques et scientifiques, Foi et Vie (périodique protestant) , il travaille même pour une revue Helvétique, La Semaine littéraire. Outre ses articles, il publie divers essais Idées et figures d'aujourd'hui (1919), Questions politiques et religieuses (1925), Esquisses littéraires et morales (1926), Le destin de l'Occident (1929). D'ailleurs, ses livres sont des recueils de ses articles.

    René Giliouin, comme beaucoup d'autres, se montre préoccupé par le séisme moral et intellectuel consécutif à la Grande Guerre. Il voit s'effondrer les valeurs fondatrices de notre nation, et s'imposer une société de masse matérialiste dont l'américanisme et l'engouement pour les cultures primitives africaines lui semblent des symptômes d'une civilisation qui ne croit plus en elle. Une telle société se condamne soit à l'avachissement et à la décomposition, soit à ces exutoires pervers que sont le bolchevisme ou le fascisme, cette fausse restauration de la grandeur qui prétend combiner réaction et révolution. Gillouin appelle de ses vœux un humanisme nouveau enraciné dans la tradition nationale.

    En cela, il s'apparenterait à des penseurs aussi divers que Denis de Rougemont, Alexandre Marc, Arnaud Dandieu, Emmanuel Mounier, Robert Aron, Gabriel Marcel, Jacques Maritain, tous en opposition au « désordre établi » et défiants envers les totalitarismes.

    Mais, à la différence d'eux tous, il est nationaliste et non européen, et il étaie son projet politique sur une conception chrétienne traditionnelle de l'homme et de la société, et l'idée d'un pouvoir politique fort et non démocratique. À cet égard, il se montre résolument anti-moderne comme le Jacques Maritain des débuts qui publie précisément un livre portant cet adjectif pour titre (Anti-moderne) en 1922.

    Maurrassien à certain égards, anti-maurassien à d’autres

    Ses idées sont proches de celles de L'Action française. Comme elle, il est nationaliste, antirépublicain, abomine la Révolution française et sa Déclaration de droits de l'Homme et du Citoyen, et il incline vers l'idéal d'une restauration monarchique. Comme elle encore, il voit dans le christianisme l'âme même de la France. Comme elle enfin, il vilipende toutes les manifestations modernes de la vie culturelle. S'il aime assez Proust, en revanche, il critique Gide, voue aux gémonies le cubisme, Picasso et le surréalisme, exècre les peintres étrangers de l’École de Paris (les Soutine, Chagall, Foujita, Toyen, Picasso encore), les qualifiant de « métèques accourus de leur Lituanie, de leur Podolie, de leur Tchécoslovaquie natale, et qui, une fois chez nous, ont réussi en un tournemain, par la grâce de la trinité réclame, combine et galette, aidés parfois de divinités plus sombres encore; à décrocher la notoriété, la Légion d'Honneur et les commandes officielles »(1). Comme Maurras et Lasseire, il est inconditionnellement classique en littérature et en art. Il rencontre Maurras, Pujo, Schwerer et devient un habitué des colloques, conférences et banquets de l’Institut d’Action française et du Cercle Fustel de Coulanges. Néanmoins, il s'oppose en bien des points, à L'Action française et à son chef de file.

    Tout d'abord, au plan religieux. Protestant, Gillouin n'admet pas l'exclusive maurrassienne contre ses coreligionnaires. D'ailleurs, plus qu'une injustice, il la considère comme une faute historique. Contrairement au maître à penser de L'Action française, il ne considère pas sa religion comme un ferment de décomposition et ne la croit pas intrinsèquement individualiste et démocratique, même si elle repose sur la liberté de conscience. Il rappelle l'opposition déterminée de Luther aux déviations révolutionnaires du protestantisme (celle de Thomas Munzer en particulier), et affirme que la Genève de Calvin n'était pas une démocratie, au sens contemporain du terme, ni même au sens clisthénien. Selon lui, la propension protestante à solliciter la délibération et le vote de la communauté, dans un esprit relativement égalitaire, était compatible avec la monarchie d'Ancien Régime et ne constituait pas un danger pour elle. Il en donne pour preuve la monarchie britannique, et surtout l'Empire allemand, ce dernier ayant refusé la démocratie et les principes des Lumières et de la Révolution française. À ses yeux, la Révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV fut « une insigne folie » qui jeta les protestants dans une opposition à la monarchie d'Ancien Régime et les détermina, à partir de Rousseau, à une orientation républicaine et démocratique, concrétisée par leur soutien inconditionnel à la IIIe République. Il oppose le calvinisme, « forme virile, rationnelle, authentiquement spirituelle », du protestantisme, au rousseauisme, qui en est « la forme féminisée, purement affective, corrompue et corruptrice »(2)
    Une telle vision de sa confession aurait pu inciter Gillouin à adhérer à l’Association Sully qui groupait les protestants proches de L'Action française. Il n'en fut rien.

    En effet, si Gillouin n'admettait pas l'antiprotestantisme systématique de Maurras, il ne supportait pas davantage son antisémitisme. Certes, il reconnaissait la difficulté de l'assimilation des Juifs à la nation française. Mais il la croyait possible, estimait que des Juifs pouvaient parfaitement la réaliser, et il voyait en Bergson, son maître en philosophie, un modèle à cet égard. En fait, il jugeait absurde la théorie des quatre Etats confédérés pour perdre la France (protestants, Juifs, francs-maçons, étrangers).

    Et d'ailleurs, ce Maurras qui se trompe au sujet du protestantisme, lui semble professer un catholicisme en contradiction avec le dogme romain et les Écritures elles-mêmes. Comme de nombreux catholiques de l'époque, il voit en Maurras, « un catholique athée », qui entend restaurer toutes choses non pas « dans le Christ », selon le vœu de Pie X, mais « sans le Christ »(3). Certes, il défend Maurras contre les attaques de la Curie, de l'épiscopat, et des intellectuels catholiques républicains ou progressistes, et réprouve la condamnation de L'Action française par le Vatican en 1926, car l'orientation selon lui libérale et démocrate-chrétienne de l'Eglise et de ses représentants lui paraît tout aussi condamnable. En 1936, il protestera contre son emprisonnement, et l’année suivante, déclarera que « sa pensée honore la France ». Mais il se démarque du rationalisme paganisant de Maurras. Octogénaire, il confessera n'avoir été « pas maurrassien orthodoxe, et même, à certains égards, pas maurrassien du tout »(4). De Maurras, il accepte l'orientation antidémocratique, nationaliste et monarchiste, et récuse le politique d'abord, « le mathématisme, qui inspirait la preuve par neuf de la monarchie », « l'idolâtrie de la déesse France », et « réduction de l'individu à une abstraction »(5) Il reproche au maître L'Action-française, une vue fausse de la pensée allemande. Dès 1920, il affirme « que là où il est bon, il est excellent, mais que là où il est mauvais, il est exécrable ».

    Militant de droite

    Sa notoriété lui permet d'intégrer le jury du prix littéraire de la ville de Paris(6), et d'être sollicité par la droite aux élections. Il est ainsi élu au Conseil municipal de Paris en 1931, et en devient un des vice-présidents en 1937 En revanche, il échoue aux législatives de 1932. Aux côtés de L'Action française, des Jeunesses patriotes et de Solidarité française, il prend position contre le Front populaire. Il entretient aussi des liens solides avec la Fédération républicaine de Louis Marin, dont il dirige le groupe au conseil municipal ! de Paris à partir de 1935. En 1939, Giraudoux le prend comme directeur de cabinet de son Commissariat général à l’information.

    Un des plus proches conseillers du Maréchal

    Durant l'été 1940, Gillouin a la douleur de perdre son fils, tué au combat. Il se rallie d'emblée au maréchal Pétain. Ses relations, notamment Raphaël Alibert, Garde des Sceaux, lui permettent d'intégrer le cercle des conseillers du Maréchal. À la demande d’Alibert, il rédige un rapport sur la réforme du système éducatif, qui reprend et développe les idées formulées quelques années plus tôt par Pétain. Ce dernier en est enchanté au point qu'il affirme voir entre lui et Gillouin, « une harmonie préétablie ». Gillouin, lui, parle plus simplement de « coup de foudre ». À la mi-août 1940, il est nommé secrétaire général du secrétariat d’État à l'Instruction publique.

    L’éloignement

    Mais son étoile pâlit vite. En effet, à la mi-septembre, malgré l'estime qu'il lui porte, Pétain le remplace par son filleul, Jacques Chevalier. De plus, Gillouin se montre ouvertement hostile au Statut des Juifs du 3 octobre 1940. Il y voit une erreur comparable à celle de l’Édit de Nantes, de par la flétrissure dont il affecte l’État français. Dans deux lettres au Maréchal, des 23 et 29 août 1941, il juge cette mesure encore plus répressive que l'Edit de Nantes, puisque ce dernier laissait aux protestants les échappatoires de la conversion ou de l'exil, ce qui est refusé aux Juifs de 1940. « Je dis, Monsieur le Maréchal, en pesant mes mots, que la France se déshonore par la législation juive », déclare-t-il dans ces lettres, et d'ajouter qu'elle en sortira discréditée et abaissée dans le monde.

    Néanmoins, Gillouin reste un fervent partisan de Pétain. Il embrasse avec la plus grande ferveur la Révolution nationale, avec le rejet des principes et institutions républicains, démocratiques et égalitaires et l'établissement d'un nouveau régime étayé sur des valeurs spirituelles chrétiennes et le retour à un ancrage naturel de la nation et des personnes dans la terre, la famille et les corps de métiers. Il approuve l'épuration de l'administration et de l'enseignement, la suppression des écoles normales d'instituteurs, la législation anti-maçonnique. Il dénonce, comme auparavant, les écrivains délétères, en particulier Gide et Cocteau. Selon lui, l’État Français doit être à la fois « absolu et limité » ; absolu car non démocratique, mais limité car reconnaissant pour limite les valeurs spirituelles fondatrices de la civilisation chrétienne, et qui imposent la reconnaissance de l'égalité fondamentale de tous les hommes (y compris les Juifs) devant Dieu. Aussi refuse-t-il l'imitation des totalitarismes fasciste et nazi, qu'il qualifie de "caporalistes »(7) En cela, il s'oppose aux partis collaborationnistes de Paris. Ces derniers lui font payer cette opposition par un empêchement (avec l'appui de Pucheu et des Allemands) d'exercer ses fonctions de conseiller municipal de Paris.

    René Gillouin est de plus en plus isolé. Il s'éloigne toujours plus de Pétain, dont il avait été l'un des plus intimes conseillers, aux côtés de Henry Moysset et Lucien Romier.

    Hostile au nazisme, il refuse la politique de collaboration totale de Darlan puis de Laval. En 1942, il quitte Vichy et décide de vivre dans sa maison de Vaison-la-Romaine, dans le Vaucluse. En 1944, redoutant l'épuration, il s'installe en Suisse. Il ne fera cependant l'objet d'aucune poursuite. A Genève, il publie coup sur coup Problèmes français problèmes humains (1944) où il réaffirme son adhésion à la Révolution nationale de 1940, puis Aristarchie : ou recherche d'un gouvernement (1946), où il critique la constitution en gestation de la IVè République(8). Collaborant à divers périodiques suisses, il fréquente la Société du Mont Pèlerin, d'inspiration antisocialiste et libérale, ainsi que des auteurs tels que Ellul. En 1945, il envoie une lettre destinée à défendre Pétain, à la Haute Cour de Justice.

    Une vieillesse très active

    Revenu en France, il travaillera pour Paroles françaises, le Courrier français, les Écrits de Paris, La Nation française et la Revue des Deux Mondes. Il s'efforce de ranimer la droite intellectuelle. Avec l'aide du général Weygand, du banquier Pose, de Georges Laederich et de Louis Salleron, il fonde un Centre d’Études politiques et civiques (CEPEC) (1954-1970). Il a également ses entrées à l'Académie française et à l'Académie des Sciences morales et politiques. Il prend parti pour l'Algérie française.

    On le voit, il est loin d'être inactif (9) En 1967, il intente, avec succès, un procès à L'Express pour un article offensant de J-F Revel. Et il est encore plein d'allant lorsqu'il s'éteint le 2 avril 1971, à quatre-vingt-dix ans.

    Un homme oublié, que la droite d'idées gagnerait beaucoup à redécouvrir.

    Paul-André Delorme Rivarol du 27 avril 2017

    1 - Sa hargne s'explique en partie par l'échec de son épouse, la peintre Laure Stella Bruni (1890-1975), restée très confidentielle..

    2 - La renaissance religieuse, Alcan, 1928, p. 76

    3 - « Maurras, Barrès, Lemaître, apologètes », dans la Mercure de France, novembre 1916.

    4 - « Souvenirs sur Charles Maurras », dans Cahiers Charles Maurras, 1963.

    5 - Idem.

    6 - Où il siège aux côtés de Valéry, Mauriac, Madelin, Bonnard, Thérive, Giraudoux, Chack.

    7 - Dès 1939, il a exprimé son hostilité au nazisme dans un livre, Hitler peint par lui-même.

    8 - Il prévoit fort lucidement que la IVè République n'excédera pas dix ans d'existence. En revanche, il erre quelque peu en affirmant qu'elle laissera la France plus bas qu'elle ne l'a été. En effet, la France de 1958 se portait tout de même mieux que celle de 1946.

    9 - Il tente même de se présenter aux législatives de juin 1951, dans la Seine, aux côtés de Jacques Isorni.

  • Entretien : Les réflexions sur la violence de Thibault Isabel

    Thibault ISABEL est né en 1978, à Roubaix. Docteur en esthétique, il s’est d’abord spécialisé dans la psychologie de l’art, avant de se consacrer à la philosophie générale, l’histoire des mentalités et l’anthropologie culturelle. Il est rédacteur en chef de Krisis et auteur du livre Pierre-Joseph Proudhon. L’Anarchie sans le désordre ( Cet entretien date du numéro 46 de la revue Rébellion de 2011) 
    R/ Dans votre nouveau livre, « Le paradoxe de la civilisation », vous essayez de montrer que le problème de la fondation de l’Etat est lié à la violence qui, selon vous, anime l’homme de toute éternité. L’homme tente de se civiliser pour mettre un terme aux conflits permanents qui l’opposent à ses semblables. Pourtant, on a le sentiment en vous lisant que le développement de la civilisation est très loin de résoudre toutes les tensions qui agitent l’humanité, et que l’état de nature n’est pas nécessairement pire que le monde civilisé… 
    La question, au fond, est en effet de savoir pourquoi les hommes ne restent pas éternellement à l’état de nature, vivant dans une sorte d’innocence sauvage, animés par une douce insouciance. Ma réponse est que l’homme, s’il restait à l’état de nature, ne pourrait pas même survivre. Vivre en société n’est pas un choix : c’est une réalité plus ou moins indépassable. Notre espèce est naturellement faite pour se civiliser, car, au contraire de bien d’autres animaux, notre bagage individuel de prédateur est beaucoup trop limité pour nous permettre d’exister par nous-mêmes. Nous avons sans cesse besoin de nous associer avec des semblables, afin que tous les individus qui composent notre communauté se soutiennent mutuellement et s’assurent une protection réciproque ; mais, plus encore, faute d’instincts suffisamment nombreux pour nous dicter spontanément notre conduite vis-à-vis des autres, nous avons besoin d’établir des règles de vie collective pour permettre à notre groupe d’évoluer au mieux, c’est-à-dire dans la concorde et l’harmonie. Nous sommes bel et bien des animaux politiques, dans le plein sens du terme, puisque nous ne pouvons assurer notre subsistance qu’en nous intégrant dans le cadre plus large d’une association de personnes, d’une cité. 
    A vrai dire, pourtant, rien n’est moins simple que d’établir un groupe soudé et pacifié. L’homme s’associe à des semblables pour mieux pouvoir résister à la violence du monde extérieur, mais, lorsqu’il est rattaché à un groupe, il doit encore souvent se défendre contre ses voisins eux-mêmes, en raison des luttes intestines qui les opposent entre eux – et que nul ne parvient en général à résorber. A une violence externe (la violence naturelle), la vie en société ne fait donc souvent que substituer une violence interne (la violence économique et sociale). 
    Le processus civilisateur n’est au final rien d’autre que la tentative perpétuellement renouvelée des hommes pour structurer leur caractère et leur conduite, de manière à ce que des règles de vie justes soient instituées, puis internalisées par chacun. La tension collective vers la justice n’a de sens, en fait, que parce qu’elle doit garantir la viabilité et la pérennité du groupe : si une trop grande injustice s’installe, la vie sociale n’est plus possible, et l’assemblée des hommes implose pour retourner au chaos. Il faut par conséquent que tout le monde accepte de renoncer à une partie de ses désirs, à court terme, dans l’espoir d’en tirer un plus grand bénéfice à long terme et de faire valoir ainsi la stabilité de l’ensemble. Mais le désir égoïste et rapace ne disparaît pas pour autant, et certain espère profiter de la stabilité de l’ensemble, grâce aux sacrifices consentis par les autres, sans avoir à se sacrifier soi-même. La société se trouve alors contrainte de mettre en place des instances répressives chargées de contraindre les comportements dans des limites acceptables : et c’est à ce moment que naît l’Etat. Toute l’histoire humaine est structurée par cette ambivalence, depuis ses origines. D’un côté, les individus sont égoïstes et veulent s’approprier pour eux la part la plus belle du gâteau ; mais, de l’autre, ils se sentent dépendants de leurs congénères, les aiment et ne veulent pas se les aliéner. Le processus de civilisation est donc fragile, en ce qu’il doit parvenir à établir l’harmonie sur la base d’une nature chaotique et violente. 
    R/ L’Etat se développerait en somme pour essayer de contraindre les penchants les plus égoïstes des individus, dans le but de favoriser l’harmonie sociale… 
    Comme je viens de le dire, le problème demeure qu’il n’est pas aisé de ménager simultanément des tendances aussi antinomiques que l’égoïsme individuel et l’amour des autres. D’abord, l’Etat a souvent été monopolisé dans l’histoire par des individus, des groupes ou des intérêts abstraits qui faisaient passer leur propre avantage avant le bien commun ; en un sens, aucune politie, à des degrés divers, ne peut même jamais échapper à cet écueil. Tout établissement d’un pouvoir, quel qu’il soit, porte au moins le risque d’une éventuelle dérive autocratique, oligarchique ou démagogique. Mais la difficulté ne s’arrête pas là. Soit l’Etat impose un carcan restrictif et régule de manière satisfaisante les actions des individus – mais, dans ce cas, il brime une part de leur liberté et de leur énergie – ; soit il relâche la pression sur eux – mais, dans ce cas, il court le risque de les plonger à nouveau dans le désordre, l’anarchie et le « laissez-faire ». En fait, à titre personnel, je ne pense pas qu’il soit bon de broyer la part d’ambition, voire même d’individualisme, qui compose la nature de l’homme. Cette ambition et cet individualisme ne doivent pas se transformer en égoïsme, bien sûr, et doivent plutôt se combiner avec un sens affirmé du bien commun ; mais, sans eux, nous n’aurions en tout cas aucun esprit d’initiative, aucune créativité, aucun goût véritable pour la vie. Or, le drame de l’Etat est que, plus il s’étend pour contraindre l’égoïsme, plus il brime aussi notre énergie vitale dans ce qu’elle a de plus noble… D’où le malaise dans la civilisation dénoncé par Freud, non parce que notre civilisation serait malade, mais parce que toute civilisation industrielle et étatisée, quelle qu’elle soit, porte en elle une frustration névrotique du désir et un frein aux libertés, si bien qu’il faut craindre que le développement des sociétés avancées aille toujours de pair avec un renoncement au bonheur, comme l’affirmait le père de la psychanalyse.