Lire ce nouveau n° cliquez ici
culture et histoire - Page 1060
-
L'Aristoloche fête les rois
-
LA SPIRITUALITÉ ORIGINELLE DES EUROPÉENS
« La vérité appartient à ceux qui la cherchent et non à ceux qui prétendent la détenir » Nicolas de Condorcet.Ces dernières années, les progrès techniques de l’archéologie ont fait progresser notre connaissance des peuples « barbares » réunis sous le vocable de « Celtes » (les populations dites celtiques connaissaient peu l’écriture, étaient répartis en différentes tribus et tout en partageant une culture et une langue communes n’avaient aucun qualificatif pour se distinguer des autres civilisations : celtes ou « kèltoï » est un mot exogène d’origine grecque). Ces populations sises au-delà des Alpes et dans les îles britanniques ont fait l’objet d’observations directes par des auteurs antiques, tels les Grecs Pythéas de Massilia (Ive siècle av. JC) et Posidonius (IIe siècle av. JC), puis par les conquérants romains à partir du IIe siècle avant notre ère, et en particulier César (Ier siècle av. JC).
Les écrits de ces hommes qui ont côtoyé les « Celtes », et pas toujours objectifs en ce qui concerne les auteurs romains, ont été ensuite exploités par d’autres historiens antiques qui ont repris ces témoignages et se sont copiés les uns sur les autres. La culture celtique a été en partie conservée par les auteurs chrétiens qui ont fossilisé une riche tradition et se sont appropriés (faute de pouvoir éradiquer intégralement le paganisme) les divinités païennes en les canonisant. L’archéologie nous donne une image plus objective de cette culture, riche et ouverte aux échanges culturels et commerciaux, même si au Ive et IIIe siècle av. JC les Celtes (en particulier les Sénons conduits par leur chef Brennos qui s’emparent de Rome en 390 av. JC) interviennent au sud des Alpes et dans le bassin méditerranéen ou s’enrôlent dans les armées grecques ou romaines comme mercenaires, on ne peut réduire les populations celtiques à des tribus guerrières avides de sang et de conquête.
L’élite intellectuelle de ces peuples appartenait à un groupe d’individus : les druides. Les druides étaient honnis des Romains, en raison de leur capacité à mobiliser les tribus contre l’envahisseur (en particulier sur les îles britanniques). Il est avéré que les druides étaient en activité en Europe de l’Ouest à partir du IVe siècle av. JC, mais il est également certain que ceux-ci sont les héritiers d’une tradition religieuse européenne plus ancienne, issue des croyances préhistoriques. Il est probable également qu’avec le développement des sociétés complexes de chasseurs cueilleurs, puis la sédentarisation, les fonctions originelles du druide ont été dévolues à d’autres agents de la communauté, appartenant probablement tous à la classe sacerdotale : les bardes (poètes véhiculant les traditions et dont la fonction politique et sociale était de faire ou de défaire les réputations), les vates (devins) et les druides (philosophes et intermédiaires entre le monde des hommes et des dieux).
Lire la suite sur Metamag.fr
-
Penser la guérilla, de l’Antiquité à nos jours
Par Olivier Schmitt
Le premier penseur de la guérilla est probablement Salluste (86-35 av. J.C.), avec sa Guerre de Jugurtha, qui raconte l’histoire du conflit entre la république romaine et le roi numide Jugurtha entre 112 et 105 av. J.C. Dans son histoire, Salluste évoque déjà l’intégralité du répertoire tactique de la guérilla pratiquée par le Numide. Ainsi, la tactique consistant à faire traîner en longueur des pourparlers afin de négocier en position d’avantage est rapportée en ces termes : « Jugurtha, au contraire, tirait les choses en longueur, faisait naître une cause de retard, puis une autre, promettait de se rendre, puis feignait d’avoir peur, cédait du terrain devant les attaques, et, peu après, pour ne pas exciter la défiance des siens, attaquait à son tour ; et ainsi, différant tantôt les hostilités, tantôt les négociations, il se jouait du consul ». Il décrit les raids sur les colonnes romaines et même l’assaut nocturne sur le camp d’Aulus qui se termine en débâcle pour l’armée romaine. Salluste ne cherche pas à systématiser les tactiques qu’il décrit comme dans un manuel militaire, mais on peut déjà percevoir chez lui une ébauche de discussion sur l’utilité pour celui qui est en infériorité militaire d’adopter une tactique de guérilla.
Mamertin, un panégyriste du milieu du IV° siècle donne également une description saisissante de l’insurrection de 284 dans le nord-est des Gaules qui sera matée en 286, en particulier du guérillero antique : « quand des paysans ignorant tout de l’état militaire se prirent de goût pour lui ; quand le laboureur se fit fantassin et le berger, cavalier, quand l’homme des champs profitant des dévastations dans ses propres cultures prit exemple sur l’ennemi barbare » (Panégyriques latins, II, 4, 3). Comme avec Salluste, il ne s’agit pas d’un traité militaire, mais on observe une description frappante d’une figure désormais familière : le rebelle est un homme du commun qui prend les armes.
A ma connaissance, le premier grand traité théorique est celui de l’empereur byzantin Nicéphore Phocas (913-969), intitulé Peri Paradromes en grec ou de vellitatione bellica en latin, traduit en français sous le titre Traité sur la Guérilla. Le traité marque en fait une forme de codification d’un savoir militaire déjà pratiqué par les Byzantins. Au moment de l’écriture, la reconquête byzantine a déjà eu lieu, et l’empereur a lui-même défait les arabes en Crête, et reprit Antioche et la Mésopotamie. Le traité est composé de 25 chapitres décrivant des procédés tactiques classiques des guérillas, en particulier les surveillances, les raids et embuscades, ainsi que les mouvements de troupes. L’auteur discute également de la valeur relative de chacune des composantes de l’armée, et rappelle la valeur des troupes montées légères sans cacher son mépris pour la piétaille. Nicéphore considérait les fantassins comme le tout-venant, c’est-à-dire à la fois de basse extraction et d’une valeur militaire douteuse. C’est à eux que le général réserve une harangue de belle, mais creuse rhétorique.
Il développe également des considérations que l’on pourrait aujourd’hui qualifier comme relevant de la sociologie militaire, notamment en évoquant les conditions de vie des soldats dans un chapitre complet, en particulier le statut, l’équipement et l’entraînement de l’armée. Selon Dagron et Mihaescu, qui ont récemment dirigé une nouvelle édition du traité, la hiérarchie des grades et des fonctions, « sans être abolie, compte sans doute moins ici que dans les ouvrages ordinaires de stratégie et de tactique; mais elle est doublée ou compensée par une autre hiérarchie fondée plus souplement et plus personnellement sur la confiance et l’excellence; les rapports de l’officier à ses soldats deviennent ceux du « chef » à ses « hommes » ». Cet aspect social se retrouve évidemment dans les guérillas contemporaines, et Nicéphore cherche à institutionnaliser cette relation entre les soldats et les chefs de guerre, afin d’éviter que la communauté des combattants ne se dissolve dans la société civile (vieux débat sur l’ethos guerrier). Par la systématisation et la réflexion qu’il propose sur la conduite de la guerre irrégulière, le traité de Nicéphore Phocas est un classique incontournable.
Après Phocas, l’on peut effectuer un saut temporel de près de 900 ans et passer directement à l’analyse des guérillas par Clausewitz. L’auteur de De la Guerre a accordé une attention soutenue aux guerres irrégulières durant sa carrière, contrairement aux lectures caricaturales des Van Creveld, Keegan ou Kaldor qui font de Clausewitz l’auteur exclusif et dépassé de la guerre interétatique. Clausewitz a vécu à une époque marquée par le renouveau de la guérilla, puisqu’il est né quatre ans après la fin de la guerre d’indépendance américaine, et a pu observer les combats de Vendée, d’Espagne ou le soulèvement du Tyrol en 1809. Il donne un cours sur le thème des « petites guerres » à l’école de guerre prussienne en 1810 et 1811, ce qui marque le début de la systématisation de ses réflexions sur le sujet.
Les cours de l’école de guerre doivent être compris dans le contexte des réformateurs prussiens de l’époque, où la guerre révolutionnaire était vue comme étant le moyen de se libérer de l’oppression napoléonienne. Ainsi, dans les cours, Clausewitz conserve une approche tactique de la guérilla, qu’il définit comme la guerre conduite par les petites unités, discutant et commentant les embuscades, la reconnaissance, l’attaque, la défense, les avant-postes, etc. Il se fonde sur des exemples récents, telle que la défense de la Flandre et des Pays-Bas organisée par son mentor Scharnhorst en 1795, ou la lecture d’auteurs du XVIII° siècle tels que Johann von Ewald ou Andreas Emmerich.
Clausewitz ne discute pas encore les préconditions sociales ou politiques nécessaires à la conduite de la guérilla, mais ces cours servent de base à ses réflexions ultérieures. A partir de 1812 et l’écriture de ses « manifestes» (bekenntnisdenkschrift), Clausewitz intègre la dimension politique dans son analyse de la guérilla, et considère le contexte comme l’élément le plus important de cette forme de combat. Il considère que la volonté prussienne de se libérer du joug français est la condition nécessaire à un soulèvement populaire (volkskrieg) adoptant des tactiques de guérilla (Klein krieg). Clausewitz discute en détails un certain nombre de questions tactiques précédemment abordées dans les cours de l’école de guerre, mais intègre désormais à son analyse des questions théoriques sur la nature de la défense et de l’attaque dans une guérilla. De plus, la notion de volonté est désormais très présente, puisqu’il considère le soulèvement populaire comme « un moyen du salut », et discute la notion de la violence d’une guerre révolutionnaire en avançant que les atrocités commises par l’occupant doivent être vengées par les atrocités commises par les insurgés, afin de ne pas démoraliser ces derniers et de ramener l’occupant dans « les limites du contrôle de soi et de l’humanité ».
Ainsi, avant l’écriture de De la Guerre, Clausewitz avait déjà articulé les principaux éléments de sa réflexion sur la guérilla, qu’il voit comme une manifestation complète et efficace de la résistance populaire. Dans le De la Guerre, Clausewitz consacre un court chapitre, intitulé « l’armement du peuple» (Volksbewaffnung) à la guérilla. Le chapitre est placé dans la partie VI du traité, consacrée à la défense. Clausewitz considère que le soulèvement populaire est la conséquence logique de la transformation de l’art de la guerre qui s’opère à son époque et qui se traduit de la croissance exponentielle de la taille des armées sous l’influence de la conscription. Logique avec sa propre conception de la guerre, il avance que l’impulsion morale est nécessaire au déclenchement de l’insurrection. Il pense également que la guérilla doit être divisée, afin de couvrir un territoire aussi large que possible, et doit se coordonner avec les forces régulières dans un plan de campagne intégré.
Il liste cinq conditions nécessaires à l’efficacité militaire de la guérilla :
– Il faut que la guerre se livre à l’intérieur du pays.
– L’issue de la guerre ne doit pas dépendre d’une seule bataille qui serait perdue.
– Le théâtre des opérations doit couvrir un vaste espace.
– Le peuple qui mène cette forme de guerre doit pouvoir soutenir sur le long terme le caractère extrême de ce type de lutte.
– Le terrain doit être propice : coupé, difficile d’accès, montagneux, etc.Au final, pour Clausewitz, la guérilla est l’un des moyens de la défense stratégique : il s’agit soit du dernier recours après une défaite, soit d’un auxiliaire naturel avant une bataille décisive, et il rappelle que quelle que soit la violence de la défaite subie par un gouvernement, armer la population reste toujours un moyen de salut, comme le montrent les exemples de la résistance française ou des partisans soviétiques durant la Seconde Guerre Mondiale.
La première conceptualisation de la guérilla au XX° siècle est due à l’officier britannique Thomas Edward Lawrence, célèbre sous le surnom de Lawrence d’Arabie obtenu suite à son rôle dans la révolte arabe contre l’empire Ottoman entre 1916 et 1918. Dans les Sept Piliers de la Sagesse, Lawrence théorise le paradoxe qu’il observe dans les opérations. En effet, le corpus militaire de la première guerre mondiale avec lequel il était familier (en particulier une lecture sélective de Clausewitz) prédisait qu’une troupe incapable de détruire les forces ennemies dans une bataille ne pourrait remporter de victoire stratégique.
Or Lawrence observe l’inverse : les Arabes sont incapables de détruire les Turcs dans une bataille, mais ils sont en train de remporter la victoire. Lawrence observe alors que puisque les Arabes se battent pour leur liberté, les Turcs ont simplement besoin d’être expulsés, et non pas détruits. Une fois l’objectif stratégique défini, Lawrence examine les moyens de l’atteindre, et il déploie un cadre d’analyse fondé sur trois facteurs : physiques, biologiques et psychologiques. Le facteur physique est un calcul effectué par Lawrence selon lequel les Turcs auraient besoin de 600.000 hommes pour mater la révolte arabe.
Lawrence fonde ce calcul sur le présupposé que l’intégralité de la population arabe est favorable aux insurgés, ce qui est douteux, mais ce calcul l’amène à considérer que les Turcs n’occuperont jamais l’intégralité du territoire. Le facteur « biologique » est l’observation selon laquelle les Arabes placent la vie de leurs combattants avant toute autre considération (puisque ceux-ci sont en nombre limités) tandis que les Turcs privilégient les transferts de matériels par rapport à la protection des soldats. Attaquer les matériels et équipements de valeur est donc une tactique très efficace. Enfin, le facteur « psychologique » relève des motifs idéologiques au conflit : les Arabes mènent une guerre de libération nationale, forcément plus sympathique pour les populations et aux potentielles nations alliées.
La conclusion que Lawrence tire de cette analyse multi-factorielle est que les Arabes doivent adopter des tactiques de guérilla conduites par de petites unités en refusant le contact avec les larges formations turques. L’ironie de l’œuvre de Lawrence est l’écart radical entre ses conceptions litéraro-philosophiques de la guérilla et la conduite réelle de la révolte arabe, dont le succès a en fait été acquis grâce à la campagne traditionnelle du Field Marshall Edmund Allenby en Palestine. Nous ne saurons donc jamais si les conceptions de Lawrence auraient fonctionné sur le long terme, mais on peut observer que les Arabes ont plusieurs fois ignoré superbement ses principes en massant des unités et conduisant des actions de destruction traditionnelles, par exemple lors de la prise du port d’Akaba, ou en servant de cavalerie légère protégeant le flanc droit d’Allenby lors de la prise de Damas.
Au final, les conceptions de Lawrence sont assez verbeuses, très classiques et sur-intellectualisées. Lawrence décrit comment des forces légères bénéficiant du soutien de la population parviennent à paralyser un ennemi qui, pour une raison quelconque, refuse d’être proactif contre la rébellion et, comme le résume cruellement Walter Laqueur : « rarement dans l’histoire de la guerre moderne, on a écrit autant à propos de si peu de choses ». Lawrence mérite néanmoins d’être mentionné principalement car il a rendu populaire les guérillas, et son analyse des facteurs physiques, biologiques et psychologiques, même si elle doit être reformulée, est une bonne base de départ pour l’analyse des guérillas.
Le grand théoricien du XX° siècle est évidemment Mao Tsé-Toung, dont l’expérience militaire s’est forgée lors de la lutte contre le Kuomintang, qui s’est initialement traduite par une défaite suite à la décision des communistes, en accord avec les principes marxistes-léninistes traditionnels, de se concentrer sur les villes. Après les premiers échecs de l’armée rouge dans les années 1930, Mao intègre les éléments socio-politiques de la Chine de l’époque dans son analyse, notamment en observant la structure mi-coloniale, mi-féodale de son pays. En bon stratège, il étudie également l’importance du terrain, notamment en relevant sa complexité et la difficulté d’établir des communications, et tire de ses observations une théorie quasi organiciste de la guérilla, qui se divise en trois phases.
Dans la première, la guérilla établit des bases loin du pouvoir central permettant aux communistes d’abord de survivre, puis de prospérer au sein d’une population de plus en plus favorable. Les bases servent de point de repli, mais aussi de centres de recrutement et de formations pour les nouveaux combattants. La deuxième phase est caractérisée par un relatif équilibre des forces rebelles et des forces loyalistes, mais la confrontation directe serait trop dangereuse pour la guérilla. Cette phase se caractérise par les actions subversives déstabilisantes pour le régime tels que les sabotages, assassinats ciblés de dignitaires, embuscades contre des avant-postes ou des colonnes isolées, etc.
Le but principal est d’obtenir des armes et des munitions (ainsi que d’autres biens de première nécessité), tout en montrant la faiblesse du régime. En parallèle, l’endoctrinement de la population continue, afin que les combattants évoluent au sein d’un environnement socio-politique favorable, tout en contribuant à la décrédibilisation du régime. Enfin, la troisième phase est décisive, puisque la guérilla est maintenant suffisamment forte pour se regrouper et défier les forces gouvernementales dans des combats traditionnels. Les insurgés prennent l’initiative, et la campagne se termine par l’élimination des forces ennemies au cours d’une bataille ouverte. En d’autres termes, la guérilla abandonne les tactiques de guérilla. L’intérêt de Mao est de ne pas être naïf face aux vertus de la guerre irrégulière : il rappelle explicitement que la guérilla est l’arme du faible, mais que celle-ci est nécessairement limitée, la victoire étant acquise par la destruction des capacités ennemies. La guérilla est, selon ses propres termes « une étape dans la guerre totale ».
Contrairement à Lawrence, qui fait de la guérilla une stratégie devant conduire à la victoire politique, Mao en fait un mode opératoire limité dans le temps : le but est bien de conduire à la formation d’unités régulières « révolutionnaires ». L’approche maoïste est également intrinsèquement politique, puisque les révolutionnaires doivent être suffisamment motivés pour conduire une campagne qui sera nécessairement longue, ce qui rappelle évidemment l’analyse Clausewitzienne des forces morales. Mao a réussi le tour de force de créer une théorie de la guerre irrégulière systématisée, allant de la tactique à la stratégie, dont l’application a été couronnée de succès en de multiples occasions. Il est à ce titre un penseur incontournable.
L’autre auteur marxiste ayant eu une influence considérable sur les doctrines révolutionnaires, cette fois-ci en Amérique du Sud, est Che Guevara, dont l’ouvrage majeur a été publié en 1961. Le livre est lui-même un manuel tactique recensant les principales actions traditionnelles de guérilla et le meilleur moyen de les conduire, la partie théorique sur la guerre irrégulière étant réduite à la portion congrue.
Suite à son expérience de la révolution cubaine, Guévara identifie trois éléments formant le cœur de sa théorie :
– les forces populaires peuvent l’emporter face à une armée
– il n’est pas forcément nécessaire d’attendre que les conditions révolutionnaires soient remplies. Le groupe insurrectionnel (ou foco) peut développer des conditions subjectives basées sur les conditions objectives.
– les campagnes et montagnes (en fait, les espaces non-urbains) sont les lieux où l’action armée doit être concentrée.Le deuxième point est évidemment en contradiction complète avec l’approche maoïste, qui nécessite un patient travail de concentration et de mobilisation des forces. Au contraire, selon Guévara, les focos peuvent permettre de remporter une victoire rapide grâce à quelques actions violentes judicieusement choisies servant d’étincelle à l’insurrection populaire. Evidemment, cette approche était séduisante pour un certain nombre de groupes insurrectionnels puisqu’elle était censée permettre une victoire rapide. Cette différence importante mise à part, Guévara a une approche similaire à celle de Mao (qu’il n’a probablement pas lu) : le révolutionnaire doit d’abord survivre, avant de se consolider par la mise en place de focos puis détruire les forces loyalistes dans une série de batailles régulières conduisant l’ennemi à accepter sa défaite. Guévara va encore plus loin que Mao dans son insistance sur la destruction, qui n’est plus simplement une nécessité militaire mais désormais un devoir révolutionnaire.
Comme avec Lawrence, la conception théorique de Guévara est en fait complètement déconnectée de la réalité de la révolution cubaine, durant laquelle les forces loyalistes n’ont pas été détruites, le régime de Batista s’effondrant sur lui-même. De même, le concept de focos avancé par Guévara est problématique, comme il l’a appris lui-même à ses dépends en tentant de mener une insurrection en Bolivie rejetée par les paysans qu’elle était censée libérer. Mao et Giap auraient certainement pu dire à Guévara que la violence des focos, au lieu de catalyser la révolution, mettait en fait inutilement en danger ses éléments les plus motivés, qui se retrouvaient de fait les cibles privilégiées du régime. La contribution théorique de Guévara est donc ambivalente : le concept de focos, malgré sa popularité, est profondément problématique. En revanche, tout comme Mao, Guévara insiste sur la combinaison de la guérilla et de la destruction comme condition du succès de la guerre révolutionnaire.
La question des moyens tactiques et de la destruction est au cœur des travaux d’un courant depuis appelé « défense non-offensive », regroupant des travaux français, allemands, scandinaves ou indiens. Je veux ici me concentrer sur Pierre Brossolet, auteur du Traité sur la Non-Bataille publié en 1975, qui aura une forte influence sur les travaux d’ Horst Afheldt (inventeur du concept de « techno-guerrilla ») ou du groupe SAS (Studiengruppe Alternative Sicherheitspolitik). Dans cette vision, la frontière et la profondeur qui lui est contigüe (120 km pour Brossolet) doit accueillir un maillage de « modules » d’infanterie – variable, d’une vingtaine d’hommes pour une superficie d’une vingtaine de km² – puissamment dotés d’armes antichars et antiaériennes. Afin de respecter les principes d’une défense non-offensive, ils ne seraient pas dotés de véhicules lourds mais conduiraient des raids cherchant à « engluer » l’adversaire dans un combat d’attrition dégradant peu à peu ses forces. Et ce, sans que et ennemi ne soit en mesure de cibler efficacement ces groupes tactiques très autonomes.
A ce dispositif humain s’ajoutait l’emploi massif d’obstacles et de mines antichars, la conception permettant l’usage éventuel d’armes nucléaires tactiques. Ces conceptions ont connu un regain d’intérêt après la guerre de 2006 entre le Liban et le Hezbollah, que beaucoup de commentateurs ont décrit comme le premier véritable exemple de techno-guérilla. L’analyste américain Franck Hoffman a pour sa part publié en 2007 une étude décrivant les futures guerres hybrides, dont il fait une description proche de celles de la techno-guérilla.
Même si plusieurs historiens ont relativisé la prétendue nouveauté des guerres hybrides, la description qu’en fait Hoffman mérite d’être résumée ici tant elle irrigue les débats stratégiques américains, et a maintenant fait son entrée dans le dernier Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale. Les guerres hybrides sont celles au cours desquelles un groupe non-étatique utilise des tactiques de guérilla traditionnelles dont l’efficacité est démultipliée par l’accès à des moyens technologiques relativement avancés.
Encore une fois, la guerre Hezbollah/Israël en est le meilleur exemple, puisque le Hezbollah a combiné une défense flexible faite de retraites tactiques et de raids judicieux avec des moyens technologiques tels que des MANPADS, des missiles anti-chars ou des brouilleurs de communication. Les guerres hybrides seraient donc le nouveau caractère de la guerre irrégulière, en tout cas son caractère « probable » (pour reprendre l’expression du Général Desportes), nécessitant de la part des Etats, en particuliers occidentaux, de se préparer à affronter des adversaires combinant tactiques difficiles à contrer et technologies relativement avancées. Tous les auteurs s’attendent à ce que les conflits hybrides soient bien plus violents et difficiles que les insurrections auxquelles les troupes occidentales ont fait face en Irak et en Afghanistan.
https://tempspresents.com/2017/01/05/penser-la-guerilla-de-lantiquite-a-nos-jours/
-
Charles Horace - La notion de civilisation
-
La petite histoire : Les Malgré-nous dans les camps soviétiques
-
(2.1) Sur nos traces - L'agriculteur
-
Il est sorti : LE 3e CD DES BRIGANDES
Le commander en ligne cliquez ici
Les précommandes sont expédiées aujourd'hui
-
L’identité chrétienne de la France : on y tient, par l’abbé Guillaume de Tanoüarn
Sur l’identité chrétienne de la France, deux livres paraissent le même 12 janvier, ce ne peut être un hasard dans le Landernau parisien : il va s’en parler.
L’un est signé par le rédacteur en chef Culture de Valeurs actuelles, Laurent Dandrieu. L’autre est le fait d’un blogueur bien connu, Koz, de son vrai nom Erwan Le Morhedec. J’ai eu quelques bonnes feuilles du second et le livre du premier, livre intitulé tout simplement Église et immigration : le grand malaise et sous-titré Le pape et le suicide de la civilisation européenne. Le travail de Dandrieu est à son image, précis, charpenté, bien écrit. Et sur un tel sujet, on voit l’âme affleurer ici ou là ce qui ne gâte rien. Je ne peux pas me prononcer définitivement sur le travail de Koz, puisque, pour l’instant, je n’en ai eu que les bonnes feuilles, publiées dans La Vie. Le titre est tout un programme : Identitaire, le mauvais génie du christianisme.
Dans les textes que nous tenons en main, rien n’est fait pour définir l’adjectif « identitaire ». On a l’impression simplement qu’« identitaire » signifie « d’extrême droite » (pouah !), raciste (beurk) ou racialiste. Comme si l’identité était une question de couleur de peau ou d’engagement politique. Autant appeler les racistes… des racistes, et les « fascistes »… des diables !
Mais un livre ou une pensée qui parle d’identité, qui essaie de la définir, c’est tout simplement un livre qui s’enquiert du fond de notre cœur, un livre qui parle de tout ce qui était en nous avant nous. Faudra-t-il dire que cette démarche « identitaire » participe au « mauvais génie du christianisme » ? Koz ne distingue pas diverses formes d’attachement identitaire. Pour lui, au-delà du racisme ou du racialisme, l’expression « France chrétienne » semble ne plus avoir de sens. Je cite : « Est-il donc vraiment manifeste, dans ses débats, ses positions, sa culture contemporaine, que la France soit chrétienne ? » Et je réponds à la mise en question de Koz : mais oui, dans ses débats, aujourd’hui, la France est chrétienne. Elle est sans doute chrétienne sans le vouloir. Son christianisme est dévoyé. Elle mélange la justice sociale et la miséricorde spirituelle. Elle dit aux homosexuels qui se marient : « Qui suis-je pour juger ? » Je ne sais pas ce que sera la France dans un siècle, musulmane peut-être. Mais aujourd’hui, la politique de la France est faite des « vertus chrétiennes devenues folles ».
Le Morhedec continue : « À la vérité, cette affirmation ne tient que par référence à une France fictive, théorique, entité séparée des Français, susceptible de rester chrétienne, quelles que soient l’évolution effective du pays et la politique menée ». Et là encore, il se trompe : cette France fictive qu’il veut dézinguer, cette France idéologique, elle n’existe plus depuis longtemps. Ce qui existe, avant nous et en nous que nous le voulions ou non, c’est une France qui nous a donné des réflexes chrétiens. Allons, citons un nom que l’on trouve dans la topographie de beaucoup de villes françaises : Jean Jaurès. Le socialisme de Jaurès, c’est du christianisme laïcisé, comme celui de Mélenchon !
N’allons pas plus vite que la musique, pour ne pas en oublier nos responsabilités présentes : la France aujourd’hui demeure chrétienne, elle ne l’est pas forcément comme nous voudrions peut-être qu’elle le soit, de façon confessionnelle. Mais la vague identitaire qui retrouve, au cœur des Français, ces fondamentaux, peut en mener beaucoup (et plus qu’on ne l’imagine) devant l’autel, j’en suis, en tant que prêtre, le témoin.
C’est au fond de ce point de vue, foncièrement raisonnable et simplement réaliste, que se place Laurent Dandrieu. C’est en tant que chrétien, qu’il s’élève contre les vertus chrétiennes devenues folles. Pour lui, comme pour Pascal, comme pour Descartes, comme pour Montaigne, si l’on veut bien se souvenir des grands esprits français, il y a deux ordres différents : l’ordre de la gestion et du calcul, qui est intrinsèquement raisonnable et au nom duquel on mène une politique, et l’ordre de la charité, qui procède de la foi.
Dans un très beau prologue, il pose, au nom de l’immigration sans frein, la question de la survie d’une civilisation européenne qui pourrait se détruire à force d’ouverture à l’autre : « Cet universalisme-là, qui pousse l’amour de l’autre jusqu’au mépris des siens, n’est pas plus conforme au véritable esprit catholique qu’il ne l’est à la nature humaine. Comme les êtres humains, les civilisations ont un légitime instinct de survie ; s’il leur arrive de prendre conscience qu’elles aussi sont mortelles, elles savent également qu’elles représentent un apport unique et irremplaçable au trésor de l’humanité, et qu’il est de leur devoir de le faire vivre aussi longtemps qu’il est en leur pouvoir. L’Europe, qui inventa l’idée même de civilisation et qui est la société particulière dans laquelle s’est incarné le judéo-christianisme, par laquelle il a accédé concrètement à l’universalité en se répandant dans le monde entier, le sait plus que toute autre civilisation ».
Abbé Guillaume de Tanoüarn
Laurent Dandrieu, Église et Immigration : le grand malaise, Le pape et le suicide de la civilisation européenne, Presses de la Renaissance 288 p., 17,90 €.
Erwan Le Morhedec, Identitaire, le mauvais génie du christianisme, éd. du Cerf 167 p., 14 €.
Texte repris du blog du magazine Monde & Vie
-
(2.4) Sur nos traces - L'homme de pouvoir
-
Salut à Boutang !
Georges Feltin-Tracol
Disciple zélé et talentueux de Charles Maurras, le royaliste orléaniste intransigeant Pierre Boutang fut à la fois philosophe, romancier, journaliste, critique littéraire et redoutable pamphlétaire. Révoqué de l’Université pour avoir rallié le général Giraud en 1942, Boutang fonda un journal, La Nation française, dans lequel s’exprimaient l’« historien du dimanche » Philippe Ariès et le critique de cinéma Philippe d’Hugues, soutint la cause de l’Algérie française avant d’approuver l’action néo-capétienne de Charles De Gaulle en qui il espéra un moment une éventuelle restauration monarchique en faveur du comte de Paris. Ayant appris à lire dans les colonnes de L’Action française, Boutang partage l’antisémitisme d’État de son maître à penser, puis se fait le vibrant défenseur du sionisme et de l’État d’Israël peut-être parce qu’il « voit dans Israël un modèle théocratique moderne, la théocratie étant le contenu latent de son rêve (p. 58) ».
Rémi Soulié ne développe pas le parcours intellectuel de son ami parfois sujet à de vives colères ainsi que d’« engueulade en hurlements majeurs (p. 100) ». « Quel caractère de cocon ! (p. 101) », poursuit-il plus loin, ajoutant que « Boutang, c’est Ivan le Terrible, Attila, Tamerlan et Gengis Khan en un seul homme (p. 109) ». Bref, « faute d’avoir trouvé un sage équilibre intérieur entre la paix et l’épée, Boutang ne (se) maîtrisait pas (p. 14) ». Ce tempérament difficile n’empêche pas que « Boutang s’enflamme comme un enfant. Il a des accès d’enthousiasme politique comme j’ai des quintes de toux. Comment fait-il pour rester aussi naïf après tant d’années de combats et de revers, alors qu’il est plus que prévenu contre la démocratie dite libérale et représentative ? (p. 99) ». Cette remarque surprend. En effet, « Maistre et Boutang partagent une même idée de la politique. […] Pour eux comme pour Donoso Cortés, Blanc de Saint-Bonnet et toute l’école de la pensée catholique traditionnelle, les principes de la politique ne se peuvent penser qu’à partir de l’Incarnation, du Dieu un et trine, bref, de la théologie (p. 17) ». Rémi Soulié assène même qu’« au fond, Boutang reste trop biblique (p. 99) ». « Coléreux et généreux, tendre et tyrannique, cet ogre fut un homme de passion [… qui] a construit une œuvre philosophique et polémique parfois hermétique mais qui porte à incandescence les facultés de l’esprit (p. 14). »
Un temps proche des royalistes de gauche de la NAF (Nouvelle Action française) qui deviendra plus tard la NAR (Nouvelle Action royaliste) animée par Bertrand Renouvin et Gérard Leclerc, Pierre Boutang connaît à la perfection les mécanismes démocratiques. « Il travaillait sur la notion platonicienne de “ théâtrocratie ”. Il y voyait le concept idoine à l’intelligence des temps spectaculaires (p. 138). » Parfois suspicieux envers certains titres de Jünger – tels La Paix -, il reconnaît néanmoins volontiers que « l’anarque est celui qui échappe à toute arché. Sont bonnes toutes les archies (monarchies, anarchie…), et détestables toutes les craties (démocratie, ploutocratie…) (p. 101) ».
Il n’est pas anodin si l’ouvrage s’ouvre sur une étude fouillée consacrée à « Pierre Boutang et Joseph de Maistre » au croisement de l’histoire des idées politiques, de la philosophie et de la métapolitique, terme déjà employé par l’auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg. Cela peut surprendre chez quelqu’un qui se référait habituellement au philosophe italien Vico. Rémi Soulié insiste aussi sur « l’axe biographique, politique, métaphysique et théologique fondamental pour Boutang : la paternité et la filiation (p. 45) ». Sa pensée s’articule donc autour de ces deux notions qui fondent la nation dans son acception étymologique.
Pour saluer Pierre Boutang est un essai lumineux sur une vie, une personnalité et une œuvre complexe qui devraient probablement faire l’objet d’une étude exhaustive. Les écrits de Boutang peuvent encore avoir aujourd’hui une résonance particulière. Le supposé « populisme chrétien » décrit par Patrick Buisson dans La cause du peuple y puiserait des idées susceptibles de le rendre effectif, cohérent et combatif. George Steiner le considérait d’ailleurs comme « la voix philosophique de l’aile autoritaire de la droite contemporaine en France (p. 16) ». Les jeunes catholiques non-conformistes du début du XXIe siècle auraient par conséquent tout intérêt à redécouvrir ce philosophe engagé après avoir médité le beau livre de Rémi Soulié.
Source Europe maxima cliquez là
• Rémi Soulié, Pour saluer Pierre Boutang, Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016, 141 p., 21 €.