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culture et histoire - Page 1355

  • RÉINTÉGRER L’HISTOIRE

    De tous les présidents de la Ve République, François Hollande est, paraît-il, celui qui voyage le plus à l’étranger et ce n’est pas un hasard. Avant lui, Jacques Chirac s’était aussi mué en commis-voyageur de la République, pour échapper au sentiment de son impopularité. Hollande, fade et potelet, le cheveu teint, la joue molle, l’œil coulant, mais la dent dure et l’esprit fourbe, va chercher ailleurs la considération que lui refusent les Français. Les tapis rouges que déplient encore sous ses pieds les domestiques des émirs du Golfelui font oublier les lazzis qu’il essuie au cours de ses déplacements en France, où les CRS eux-mêmes se font porter pâles pour éviter de l’accompagner. VRP favori de la firme Dassault, Hollande s’est donc rendu au début du mois au Qatar, acheteur de 24 avions Rafale, puis à Riyad, où les Français, opposés à Bachar el-Assad, à Daech, mais surtout à l’Iran, sont aujourd’hui mieux considérés que les Etats-Unis, jugés peu fiables.

    Il ne faudrait cependant pas croire que la France soit prête à commercer avec n’importe qui. Nous avons, chez nous, la vente d’armes morale. Nous vendons nos bombardiers aux amis de la liberté qataris et saoudiens, mais pas question de livrer les navires de guerre qu’il a commandés au dictateur Poutine. Des esprits mesquins observent qu’en Russie on ne lapide pas les femmes adultères, comme cela se pratique chez les rois du pétrole ; mais il faut croire que ces dévergondées l’ont bien mérité, puisque cela ne semble pas choquer Najat Vallaud-Belkacem… De même, la Russie ne soutient pas les islamistes d’Al-Nosra, organisation liée à Al-Qaida, comme en sont fortement suspectés nos bons alliés qataris et saoudiens.

    Mais, quoi ? Nul n’est parfait. Nouvelle pomme de discorde entre la Russie et la France, l’affaire des Mistral s’ajoute aux positions prises par la France au cours du conflit ukrainien, et à la manière dont les Européens, Français compris, ont boudé un grand défilé militaire organisé par Moscou pour l’anniversaire de l’armistice de 1945. Ces bruits de bottes russes, rappelant une époque que l’on espérait révolue, répliquent au récent débarquement en Ukraine de 600 paras US et au déploiement annoncé d’armes américaines en Roumanie, Bulgarie, Pologne et dans les pays baltes.

    Un quart de siècle après l’effondrement de l’Union soviétique, l’intérêt des Etats-Unis consiste peut-être à recréer une atmosphère de guerre froide en Europe et à créer un cordon sanitaire autour de la Russie. Mais il ne coïncide pas forcément avec celui de la France. Le 3 février dernier, au cours d’un colloque organisé par le Conseil de Chicago sur les affaires mondiales, George Friedman, fondateur de l’influente agence de renseignement privée américaine Stratfor, décrivait les grands traits de la politique américaine. Il expliquait notamment que l’Europe n’existe pas en tant que tel et sera à l’avenir le théâtre de guerres mineures; que l’extrémisme islamique représente « un problème pour les Etats-Unis, mais pas une menace pour notre survie », les Américains ayant « d’autres intérêts de politique étrangère »; et que leur « intérêt primordial » consiste à empêcher l’entente entre la Russie et l’Allemagne, qui, unis, « représentent la seule force qui pourrait nous menacer ».

    La France serait-elle sortie de l’histoire ? Il ne s’agit certes que de l’analyse d’un Américain très bien informé, pas d’une prédiction venue du ciel. Mais elle devrait donner à réfléchir à nos gouvernants. A l’heure où l’on apprend – sans que François Hollande ne s’en émeuve outre mesure – que nos bons alliés allemands nous espionnent pour le compte de nos autres bons alliés américains, la restauration de l’alliance franco-russe pourrait bien être la seule manière de revenir dans l’histoire.

    Eric Letty http://www.monde-vie.com/

  • Bibliographie jüngerienne (2)

    ♦ Günter FIGAL und Heimo SCHWILK (Hrsg.), Magie der Heiterkeit : Ernst Jünger zum Hundersten, Klett-Cotta, Stuttgart, 1995.
     
    Ce volume est le “cadeau” que l’éditeur Klett-Cotta (maison fondée en 1659 !) offre à son meilleur auteur pour ses 100 ans. Toutes les grandes plumes du “jüngerisme” s’y sont données rendez-vous, y compris quelques nouveaux venus dans cette phalange réduite mais prestigieuse. Dans leur brève mais dense préface, les éditeurs soulignent l’importance de l’œuvre du centenaire : elle est une clef pour déchiffrer le siècle, elle nous enseigne la distance pour ne pas être avalé par le temps, elle nous révèle qu’il faut demeurer en dehors de la modernité pour pouvoir la comprendre. Plus essentiellement encore : le continent qu’est cette œuvre nous invite sans cesse à de nouvelles expéditions, de nouvelles explorations. Gottfried Boehm, d’emblée, nous énonce le fondement le plus sûr de la démarche jüngerienne : « Qui lit Jünger, apprend à voir ». L’œuvre de Jünger est donc une « optique fondamentale ». Wolfgang Bergsdorf montre que la “postmodernité” de Jünger n’est pas celle de l’anything goes de Paul Feyerabend mais une volonté de revitaliser la gnose chrétienne, dans le sens des paroles du Père Felix d’Heliopolis : « Vous devez veiller à ce que le monde demeure ouvert ». Le philosophe italien Franco Volpi, après avoir posé une analyse rigoureuse de l’histoire philosophique occidentale, constate que Jünger, au bout de cette trajectoire, en ce siècle, propose ce qu’il faut proposer, soit une « éthique de la sobriété ». Karlheinz Weißmann explore le rapport Barrès/Jünger. Michael Großheim se penche sur Le Travailleur et compare les travaux de Klages et de Jünger ; Klages rejetait complètement la technique au nom de la “Terre-Mère” et Jünger l’acceptait, pour éviter les sentimentalités de la nostalgie ruraliste. Peter Koslowski met en exergue les grandes lignes de la “philosophie poétique” de Jünger, comme tentative d’échapper aux systèmes dogmatiques et doctrinaires de la modernité, et même, dans une certaine mesure, du gnosticisme, qui confisquent toute légitimité à la poiesis, au “faire”, à la créativité et à l’histoire vécue. Botho Strauß, haï depuis peu par les gauches dogmatiques et hyper-simplificatrices, termine le volume par un appel à une Aufklärung plus profonde. Renouant avec Vico et Hamann, contre Kant et Descartes.
     
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    Hans-Harald MÜLLER & Harro SEGEBERG, Ernst Jünger im 20. Jahrhundert, Wilhelm Fink Verlag, München, 1995.
     
    Dans leur introduction, les éditeurs soulignent quelques-unes de leurs intentions : dénoncer comme dépourvues de sens et d’intérêt toutes les stratégies visant à ostraciser Jünger à cause de son passé “national-révolutionnaire”, insister sur la difficulté à embrasser toute l’œuvre jüngerienne en un seul recueil d’hommages, insister sur la pluralité de perspectives qu’autorise cane œuvre, abonder dans le sens de Koslowski quand il parle de “philosophie poétique”, de Müller quand il en souligne la “flexibilité” et de Ketelsen quand il juge que l’attitude centrale de l’œuvre est la souveraineté. H.-H. Müller : « La réalité politique de la République de Weimar, après 1927, n’était plus pour lui que l’objet de ses fantaisies destructrices ». Jünger était un prophète annonciateur de la fin d’une époque, au langage violent. Brigitte Werneburg explore quant à elle le rapport entre Jünger, Benjamin et la photographie. Cette technique fige la pluralité des expressions de l’événement, du paysage ou de la personne photographiés, générant ainsi une uniformité, comme si toutes les cover persons étaient des statues d’acier. 
    Walter Benjamin y voyait la quintessence de l’esthétique fasciste : une marche vers l’uniformisation, l’enrégimentement et l’unidimensionnalité. Jünger, au contraire, estimait que les techniques — dont la photographie — n’étaient pas instrumentalisables de manière unidimensionnelle. Voilà, en gros, ce qui le différencie de Benjamin. Josef Fürnkäs reprend un débat déjà assez ancien en Allemagne : Y a-t-il équivalence entre les démarches des surréalistes français et Jünger ? Le philosophe Bohrer avait répondu oui. L’équivalence résidait dans le “momentanisme”, l’attention privilégiée à l’endroit de toute “soudaineté”, de tout “effroi” inattendu. Fürnkäs relativise cette équivalence : les surréalistes demeurent plus citadins que Jünger dans les mythologies qu’ils développent, plus ludiques et gratuits dans leurs expressions. Harro Segeber explore le moment où l’idéologie de Jünger se transforme, il en fait la zone d’intersection, entre Über den Schmerz (Sur la douleur) et Les Falaises de marbre. Dans ces œuvres, deux perspectives sont étroitement entremêlées. 
    Jünger a cru que la technique allait mettre un terme définitif au bourgeoisisme libéral, mais la technique échappe à tout contrôle ; il développe dès lors un discours sur la métaphysique qui agit derrière tout cela : en dépit de cette folie incontrôlable de la technique, une régénération demeure possible, cachée, encore occultée, mais qui finira par se manifester, avant que l’humanité ne provoque son propre anéantissement. Comme le Travailleur, l’observateur distant, qui devine les puissances à l’œuvre dans cette métaphysique, doit demeurer attentif, utiliser son “regard”, sa faculté de “voir” pour déceler les forces en action. Le “Voir” est ainsi un acte d’attaque. Günter Figal revient sur le dialogue Jünger/Heidegger : le philosophe de la Forêt Noire démontre que le stade techno-nihiliste de notre époque est le produit d’une métaphysique occidentale remontant aux Grecs. et si la conséquence de cette métaphysique est si effrayante, il est inutile de revenir à l’un ou l’autre de ses stades antérieurs. Jünger ne voit pas la métaphysique de la même manière : c’est dans l’ambiguïté de la définition même de la métaphysique que réside tout entier le désaccord entre Jünger et Heidegger. 
    Peter Koslowski répond en quelque sorte aux problématiques que suscitent ce désaccord et cette ambiguïté définitionnelle. Il faut se référer à d’autres traditions ou à d’autres métaphysiques que l’occidentale. Koslowski, pour sa part, introduit dans le débat les interprètes japonais de la modernité, tels Kogaku Arifuku, Naoki Sakai et Takeuchi. Ces Japonais voient dans le projet de la modernité une auto-projection de l’Europe (des Lumières). Les Euro-Occidentaux ne considèrent comme “histoire” que le développement et la transposition de leur modèle “renaissanciste-illuministe”. Or la modernité, tout comme la métaphysique, est ambiguë : la langue japonaise possède deux termes pour désigner la modernité ; kindaisei, pour le projet moderne occidentalo-hégélien (cher à Kojève et à Fukuyama), et gendaisei, pour ce qui actuel, au diapason des moyens techniques du moment. S’il y a deux définitions possibles de la “modernité” en japonais, d’autres cultures pourraient donner encore d’autres définitions : la mise au diapason pratique, soit la modernité-gendaisei, n’est pas nécessairement l’application du modèle unique kojèvo-fukuyamaïen. On peut parler d’une pluralité de projets modernes (gendaisei !), face à une illusion moderne-kindaisei. Jünger a été aussi un exposant de la modernité-kindaisei, à relents hégéliens, mais en a rapidement perçu les limites, notamment dans cette période d’interrègne, analysée par Segeberg. Le Japon, poursuit Koslowski, est une société moderne-gendaisei, postérieure au projet de la modernité-kindaisei. Il prouve qu’il y a des projets modernes autres qui demeurent possibles après l’effondrement du projet de la modernité illuministe. Cette possibilité réinstaure le pluralisme des cultures et l’historicisation des projets modernes-gendaisei alternatifs, au-delà des pénibles exercices de ravalement du vieux projet moderne-kindaisei, que sont les démonstrations boiteuses de Fukuyama et des vigilants de la political correctness. Pour revenir plus spécifiquement à Jünger, Rolf Günter Renner conclut que vu la dépotentialisation des orientations mythiques et historiques, on ne peut plus reconstruire la modernité par le mythe ou l’esthétique, mais il faut la contourner et la retourner par la méthode d’une stratégie narrative et subversive. Ainsi, on sort de cette histoire occidentale, soumise irrémédiablement à la raison instrumentale.
     
     
    ► Robert Steuckers, Vouloir n°123-125, 1995.

  • LE VRAI VISAGE DE LA DÉMOCRATIE

    Extrait du livre « L’Eglise et le ralliement » de Philippe Prévost aux éditions C.E.C.
    Chapitre IV « Le ralliement actif à la « démocratie » p441 :

    La démocratie a anéanti, et c’est heureux, cette stupide recherche du Vrai, du Beau, du Bien. Son seul dogme, nous dit-on, et les papes, Jean XXIII en tête, nous l’ont confirmé, réside dans le respect des droits de l’Homme. Ça, c’est un absolu auquel personne ne peut échapper. La preuve en est, c’est qu’au tribunal de Nuremberg ont été condamnés des dignitaires nazis responsables de crimes contre l’humanité.
    Ce qui est étonnant, lorsque l’on y réfléchit un peu, est que les nazis étaient arrivés légalement au pouvoir, à la suite d’élections. C’étaient donc des démocrates comme ceux qui les avaient condamnés. Quant aux crimes qu’ils avaient commis, ils pouvaient rétorquer que les juges représentant le pouvoir soviétique avaient fait dix fois pire. Aujourd’hui encore, vingt ans après la chute du communisme à l’Ouest, il n’est toujours pas question de juger les bourreaux du peuple russe.

    Plus récemment, l’Organisation des Nations Unies a décidé de bombarder sans relâche le peuple irakien coupable de n’avoir pas accepté à la virgule près toutes les résolutions votées contre lui en 1990 et en 1991. Mais, dans le même temps, la même organisation internationale protège et soutient Israël qui n’a jamais appliqué aucune des résolutions votées depuis 1948. Y aurait-il alors deux poids deux mesures ? Mais dans ce cas, quels sont les véritables Droits de l’Homme ? Ceux que l’on enferme dans une arche d’alliance décorée d’un chandelier à sept branches qu’on présente précisément à l’adoration du public ou la foule des victimes du bolchévisme et du sionisme qu’on nous dissimule et que recouvre le plus total oubli ?
    Depuis il faut dire que l’on a fait mieux à la suite de l’attentat du 11 septembre attribué sans preuves à Ben Laden, ancien agent de la CIA, et à l’encontre de la volonté des Nations Unies, les Américains, poussé par Israël, ont envahi l’Afghanistan et l’Irak à la recherche de soi-disant « coupables » qu’ils se sont bien gardés d’appréhender dans le premier cas et d’armes de destruction massives dans le second, qu’à ce jour on n’a toujours pas trouvées. On voit donc que nos démocraties sont fondées sur le mensonge. On peut même dire que le mensonge est consubstantiel à ce genre de régime.
    Pourtant, le Christ a dit « que ton oui soit oui, que ton non soit non ». Il est à craindre qu’en pactisant avec un pareil système, l’Eglise n’en vienne à perdre son âme.

    […]
    Il est vrai que très exceptionnellement nos dirigeants consentent à consulter ce peuple dont ils ne se servent que pour se hisser au pouvoir. C’est arrivé le 29 mai 2005 lors du référendum sur la constitution européenne. Hélas, en dépit du matraquage médiatique dont il fut l’objet, le peuple refusa de suivre les illusionnistes qui le gouvernaient ; à 56% le projet fut rejeté. Qu’à cela ne tienne, les députés le votèrent à une écrasante majorité, ce qui montre d’une part combien on tient compte en démocratie de la « volonté populaire » et aussi combien nos parlementaires représentent peu les électeurs ! Il faut dire que grâce à d’astucieux systèmes électoraux, la représentation des citoyens est constamment truquée.

    Les élections elles-mêmes sont déclarées sans valeur lorsqu’elles déplaisent à nos grandes consciences. Ainsi, en Algérie en 1991 furent-elles arrêtées, sur les conseils de François Mitterrand, lorsque les islamistes faillirent arriver au pouvoir. Plus près de nous, en 2006, les élections palestiniennes furent déclarées nulles et non avenues bien qu’elles aient été honnêtes, parce que les résultats, donnant la majorité au Hamas, déplaisent à Israël. Par contre, les élections égyptiennes qui sont honteusement truquées, sont validées sans problèmes par nos grandes consciences puisque les élections sont conformes à leurs désirs.
    Telles sont les comédies que l’on nous joue au nom des « grands principes ».

    Chacun sait que, dans nos démocraties représentatives, la participation est un leurre puisqu’une fois que le citoyen a voté, le pouvoir lui est confisqué pendant tout le mandat des élus. La procédure du référendum existe, mais elle est rarement utilisée, et quand c’est le cas, elle l’est à contresens, c’est-à-dire pour des questions complexes ou qui intéressent peu les gens. Par contre, sauf en Suisse, les hommes politiques de tous les pays s’entendent pour exclure tout référendum d’initiative populaire, car ils n’aiment le peuple que dans leurs discours. Ils le craignent et le méprisent en réalité, car ils savent que les électeurs, qui connaissent leurs turpitudes, n’ont aucun respect pour eux, surtout lorsqu’ils ont l’arrogance de leur parler de morale, eux dont l’action est fondée, la plupart du temps, sur la démagogie et sur l’absence de toute moralité.

    Quant au pluralisme, il est purement artificiel. Certes, il existe, au moins dans les pays occidentaux, des partis divers, mais à peu de chose près, leurs programmes sont les mêmes.
    La seule opposition véritable, c’est que les équipes qui dirigent sont différentes alors qu’elles aspirent toutes au pouvoir afin de profiter des avantages de toutes sortes qu’il confère à ses heureux détenteurs. Il existe entre eux un trait commun à tous les systèmes mafieux : une immense complicité dont on a des preuves flagrantes lorsque des magistrats mettent à jour leurs actes délictueux. Il n’existe alors plus ni droite ni gauche, ni majorité ni opposition. Ils se couvrent tous. C’est l’omerta, la loi du silence, la solidarité totale, propre au gangstérisme.
    Il existe bien quelques citoyens honnêtes, mais ils n’ont pratiquement jamais le droit à la parole. Ils sont méthodiquement exclus de tous les médias. L’Eglise, qui devrait les défendre en prenant leur parti, s’interdit de le faire puisqu’elle s’est ralliée au système dominant.

    Curieusement, il y a un dogme, dont le P. Calvez et Henri Tincq ne parlent pas et qui est pourtant fondamental en démocratie : c’est la loi du nombre. On sait que ce nouveau sacrement a le pouvoir de transformer instantanément le vice en vertu, l’acte criminel en acte bienfaisant à partir du moment où la moitié des votants plus un en a décidé ainsi. Tel a été le cas de l’avortement. Depuis 1920, en France, c’était un crime puni par la loi. En 1974 c’est devenu un acte légal, qui a été remboursé ensuite par la Sécurité sociale au même titre que l’aspirine. L’Eglise a été mise au pied du mur puisqu’elle a dû choisir entre le commandement de Dieu « Tu ne tueras pas », et le nouveau dogme démocratique « Tu peux tuer à ta guise les enfants à naître. »

    Après le vote de la loi, les évêques français ont émis quelques timides protestations, mais ils ont réservé leur sainte colère pour condamner ceux qui avaient l’audace de protester contre ce crime, en particulier quand ils manifestaient devant les avortoirs publics et privés. En cela ils ont été parfaitement logiques avec eux-mêmes et fidèles à l’enseignement initialisé par Léon XIII : avant de servir Dieu, il faut obéir à César.
    Quelle attitude adopteront-ils demain lorsqu’une loi permettra, ce qui signifie encouragera, l’euthanasie ? Souhaitons qu’ils se ressaisissent et qu’entre la loi de Dieu et la loi de la démocratie, ils choisissent plutôt la première que la seconde, même si un siècle d’esclavage a émoussé bien des réflexes.

    Prévost

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  • La géopolitique en mutation

    La géopolitique tente aujourd’hui de devenir une réflexion générale sur les espaces du politique – et non plus seulement sur les espaces de la puissance. Elle se trouve, pour certains, au seuil d’un changement majeur.

    «  Guerres et conflits : la planète sous tension ! », tel est le thème du prochain Festival international de la géographie à Saint-Dié-des-Vosges début octobre 2008, l’un des plus importants rassemblements de la géographie en Europe et dans le monde. Au-delà de ce thème d’actualité, ce sont les analyses géopolitiques du monde qui, partout, s’imposent en force. C’est Courrier international qui en 2007 consacre une série de 5 grands dossiers aux « Essentiels de la géopolitique » (1), ce sont les nouveaux programmes de classes préparatoires économiques qui s’intitulent depuis 2002 « Histoire-géographie-géopolitique ». C’est l’énorme succès de l’émission d’Arte, des DVD et des atlas du Dessous des cartes de Jean-Christophe Victor (le premier Atlas, sorti en 2005, s’est vendu à 300.000 exemplaires). C’est enfin l’omniprésence des questions « géopolitiques » dans les informations télévisées, la presse et les publications récentes : Géopolitique de l’Iran, Géopolitique du Moyen-Orient, Géopolitique de l’empire américain…

    La géopolitique se trouve donc aujourd’hui partout, situation d’autant plus étonnante que, après une période de large développement au début du XXe siècle, elle a disparu de 1945 au début des années 1970. L’histoire de la géopolitique peut donc nous aider à comprendre la situation actuelle, à condition de bien voir que c’est la rupture, non la continuité, qui compte ici.

    Prisonnier de la géographie

    Si, comme le dit Pascal Lorot, « la géopolitique est fille de la géographie (2) », il s’agit d’une géographie qui n’a pas grand-chose à voir avec la science sociale actuelle. La géographie de la fin du XIXe siècle est essentiellement «  une science naturelle des genres de vie » : elle s’intéresse aux relations de causalité entre les espaces physiques (nature, territoires, paysages, climats…) et la politique des États. Ceux-ci deviennent la principale structure de l’Europe et s’organisent autour des questions nationales et du nationalisme (3). C’est dans ce cadre que les premiers auteurs importants de la géopolitique publient leurs premiers ouvrages.

    Friedrich Ratzel (1844-1904) et Rudolf Kjellen (1864-1922) sont souvent considérés comme les fondateurs de ces premières formes de géopolitique. Le premier, membre du Parti social-libéral allemand et défenseur du pangermanisme, publie en 1897 la première édition de sa Géographie politique (4). En 1902, il ajoute comme sous titre à la deuxième édition : « Géographie des États, du commerce et de la guerre ». F. Ratzel y propose une analyse des rapports entre les peuples et leurs territoires : « L’État est un organisme non seulement parce qu’il articule la vie du peuple sur l’immuabilité du sol, mais parce que ce lien se renforce par réciprocité au point que l’on ne peut plus les penser l’un sans l’autre (…). Les caractères les plus importants de cet État sont la taille, la situation et les frontières ; viennent ensuite le type et la forme du sol avec sa végétation, son irrigation et enfin les relations qu’il entretient avec le reste de la surface terrestre et particulièrement les mers attenantes et les terres inhabitées. »

    R. Kjellen forge le mot « géopolitique » en 1916. Enseignant à Uppsala et à Göteborg (Suède), il se situe explicitement dans la lignée de F. Ratzel dont il se veut le disciple. Son analyse géopolitique est elle aussi centrée sur l’État et vise à s’interroger sur la préservation et l’agrandissement de son espace par l’outil privilégié que sont la puissance militaire et la guerre. Ces deux auteurs proposent une vision très déterministe et darwinienne de la politique des États. Prisonniers de la géographie, ils sont condamnés à la guerre pour survivre. La géopolitique est ici synonyme de fatalité géographique.

    Le brouillard de la guerre

    Ces visions débouchent pendant l’entre-deux-guerres sur toute une série de travaux visant à proposer des lois de la géopolitique. Deux auteurs se distinguent tout particulièrement : le Britannique Halford Mackinder (1861-1947) et l’Allemand Karl Haushofer (1869-1946). Pour le premier, les comportements géopolitiques découlent de trois cercles planétaires. Au centre, le « heartland » est le pivot central du monde. Comprenons bien : c’est la forme même des continents qui fait que cet espace existe, il n’est pas lié aux structures sociales des États. Ce pivot est occupé par la Russie, puis par l’URSS. Autour de ce pivot, l’anneau intérieur (« inner or marginal crescent ») comprend l’Europe occidentale et l’Asie du Sud et du Sud-Est. Enfin, dernier cercle géopolitique, l’anneau insulaire (« outer or insular crescent ») englobe les Amériques, l’Afrique subsaharienne et l’Asie insulaire jusqu’à l’Australie. En fonction de sa position dans l’un de ces cercles, les États ne peuvent qu’adopter tel ou tel comportement de puissance pour pouvoir survivre et se développer. Les États-Unis et le Royaume-Uni doivent être des puissances maritimes, l’URSS ou la Chine doivent être des puissances continentales.

    K. Haushofer se situe dans ce même projet intellectuel : déterminer les lois des espaces et de la puissance, proposer les comportements optimums des États. Il théorise donc les aires d’influence, à la fois naturelles et idéales de l’Allemagne (l’ensemble de l’Europe, de l’Afrique et du Proche-Orient), des États-Unis (l’ensemble du continent américain), de la Russie (la Sibérie, l’Asie centrale et l’Inde) et du Japon (des Sakhalines à l’Australie en passant par la Chine).

    K. Haushofer fut-il lié à l’émergence des doctrines nazies de « l’espace vital » ? La question est encore discutée. Mais, c’est à cette collusion entre géopolitique et programme nazi que l’on va faire porter le chapeau de la disparition de la discipline pendant trente ans… alors que la cause réelle est à chercher dans la faiblesse épistémologique du projet intellectuel. La géopolitique apparaît comme perdue dans ce que l’on appelle « the fog of war ». Le « brouillard de la guerre » brouille les repères et empêche toute sortie du conflit : la géopolitique est incapable de sortir des impasses conceptuelles de son projet intellectuel.

    Une nouvelle géopolitique ?

    1970. En parodiant une formule célèbre de Jacques Lévy sur la géographie (5), on pourrait dire que « la géopolitique n’est pas de retour, c’est une autre discipline qui émerge ». Aussi bien en France avec Yves Lacoste, Béatrice Giblin, l’IFG (Institut français de géopolitique) et la revue Hérodote, qu’au Royaume-Uni avec Peter Taylor, et aux États-Unis avec John Baylis et Steve Smith (6)…, la géopolitique propose désormais des analyses sociales sur l’exercice de la puissance westphalienne ou des rapports de force d’acteurs non étatiques. L’objectif ne consiste plus du tout en une simplification du monde, mais au contraire à l’arracher aux récits simplificateurs : l’espace des conflits n’est pas celui de la guerre nucléaire englobante dans laquelle les lieux ont disparu, mais bien plus celui des représentations intellectuelles de la puissance (hardpower/softpower) et de l’appropriation des territoires (7).

    La guerre du Vietnam est un jalon essentiel dans cette redécouverte des lieux : car si les processus de puissance sont planétaires (la guerre froide ou le projet impérial de l’administration de George W. Bush), les lieux de l’affrontement ne sont pas de simples espaces neutres. Comme le dit Bertrand Badie (8), les sociétés sont entrées dans l’arène internationale et la géopolitique a désormais des choses à dire sur le fait que les chars ne servent à rien contre la frustration et la misère (comme en Irak), et qu’un avion aussi sophistiqué soit-il ne peut pas grand-chose contre les idéologies du terrorisme (comme en Afghanistan).

    Au-delà de ce renouvellement, deux débats identitaires traversent la géopolitique depuis les années 1980. Celui de la « géopolitique interne » tout d’abord. Selon elle, tous les acteurs de la vie d’un pays (administrations, entreprises, individus, etc.) peuvent entrer en compétition les uns avec les autres dans la construction des espaces. Lorsque l’on décide de construire la ligne TGV-Est en France, le tracé de la ligne est l’objet d’importants rapports de force entre l’État, les régions, les viticulteurs de Champagne, les villes, les ménages dont les maisons se trouvent sur le tracé… Il y a donc ici, la possibilité de faire une « géopolitique de l’aménagement du territoire » pour reprendre le titre de l’ouvrage récent de Philippe Subra (9).

    De façon plus radicale, pour des auteurs comme J. Lévy, P. Taylor ou David Held, la géographie du politique n’est pas la géopolitique (entretien p. 52). La puissance militaire ne fonctionnant plus dans le monde posthobbesien actuel – un monde où l’espace ne peut plus être contrôlé par la guerre –, il s’agit de réfléchir aux nouvelles formes prises par le politique et ses espaces dans la mondialisation. Les processus de la société-monde – la création d’un espace social et politique mondial dans certains domaines comme, par ex., celui des risques environnementaux – ne sont pas selon eux analysables par une géopolitique même renouvelée. Il faudrait donc, toujours selon ces auteurs, différencier clairement entre une géopolitique qui continue à renvoyer aux rapports de force westphaliens – entre les États – et une géographie du politique capable de tenir compte de phénomènes politiques nouveaux (Union européenne, protocole de Kyôto, Cour pénale internationale, opposition de l’Onu aux États-Unis…).

    ► René-Eric Dagorn, Sciences Humaines n°192, avril 2008.

    NOTES :

    (1) « Les essentiels de la géopolitique », Courrier international, n° 871 à n° 875, juil.-août 2007.
    (2) P. Lorot, Histoire de la géopolitique, Économica, 1995. Voir également A. Defay, La Géopolitique, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2005, et P. Moreau-Defarge, Introduction à la géopolitique, 2e éd., Seuil, coll. « Points essais », 2005.
    (3) Voir E. Hobsbawm, Nations et nationalisme en Europe depuis 1780, Gallimard, 1992, et Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales : Europe, XVIIIe-XXe siècle, Seuil, 1999.
    (4) F. Ratzel, La Géographie politique : Les concepts fondamentaux, 1897, rééd. Fayard, 1987.
    (5) J. Lévy, « Une géographie vient au monde », Le Débat n° 92, nov.-déc. 1996.
    (6) Y. Lacoste (dir.), Dictionnaire de géopolitique, Flammarion, 1995, Peter Taylor, Political Geography : World-economy, nation-State and locality, Longman, 1985, et John Baylis et Steve Smith (dir.), The Globalization of World Politics, Oxford Univ. Press, 1997.
    (7) Voir F. Chauprade, Géopolitique. Constantes et changements dans l’histoire, 3e éd., Ellipses, 2007, et S. Rosière, Géographie politique et géopolitique : Une grammaire de l’espace politique, 2e éd., Ellipses, 2007.
    (8) B. Badie, Le Diplomate et l’Intrus : L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Fayard, 2008.
    (9) P. Subra, Géopolitique de l’aménagement du territoire, A. Colin, 2007.

    http://www.archiveseroe.eu/geopolitique-a117541086

  • Alain Soral à Marseille - Vers l'insoumission généralisée - 2014 - Complet en HD

  • Qui a peur de la géopolitique ?

    Un spectre hante l’Europe d'aujourd'hui. Des conseillers politiques de la Maison Blanche, d'anciens agents du KGB cherchant à se recycler, des publicistes libéraux défendant de troubles et occultes inté­rêts réactionnaires, des professeurs gauchistes amateurs de liaisons dangereuses avec les droites, ten­tent désespérément d'en trouver la trace. Ce spectre, c'est la géopolitique.

    Eh oui, elle revient au grand galop, cette géopolitique condamnée à une damnatio memoriae depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale, dont on a nié la validité sans lui permettre de se défendre et d'apporter les preuves de sa pertinence, que l’on a réduite au silence pendant toute la guerre froide qui avait imposé au monde une lecture strictement idéologique et socio-économique des conflits. Pour satisfaire au rituel du langage dominant, il fallait dire qu'elle était une “pseudo-science”, fondée par deux pères historiques : l’embarrassant Friedrich Ratzel, auteur, entre 1882 et 1991, d'une Anthropogeographie évolutionniste et déterministe (que l'on a longtemps considérée comme l’antécédent wilhelmien du racisme hitlérien) (1), et le général, diplomate et érudit Karl Haushofer, qui avait caché Rudolf Hess dans sa maison après le putsch raté de Munich en 1923 et dont le fils, poète ésotérique, fidèle, comme son père, à l’idée d’une al­liance nord-européenne entre l’Allemagne et l’Angleterre, sera massacré par la police nazie le 23 avril 1945 à l’âge de 42 ans.

    Les noms de Ratzel et de Haushofer ont servi à démoniser la géopolitique, considérée pendant trop long­temps comme une “fausse science”, dont le but aurait été de chercher le rapport existant entre les cir­constances géographiques d'un pays et les choix politiques du peuple qui l’habite. Mais force est bien de noter que les géopolitiques de Ratzel et de Haushofer, en réalité, ont constitué une géographie politique fonctionnelle, à l’ère des grands impérialismes et des entreprises coloniales, entre 1870 et 1914, quand ont eu lieu les affrontements entre la France et l’Allemagne, entre l’Autriche et la Russie, entre la Russie et la Turquie.

    En cela, plutôt que d’être une rupture par rapport au passé, les grands impérialismes ont montré qu’ils étaient les héritiers directs des conflits du XIXe et de l’idéologie évolutionniste : « La géographie est une donnée immuable qui conditionne la vie des peuples » aimait à dire le condottiere Mussolini, oubliant ainsi l'autre aspect du problème : les peuples manipulent et modifient très souvent les scenarii géographiques.

    Même si sont encore bien ancrés tous les “a priori” idéologiques mis en place pour interpréter les conflits selon un schéma “scientifique”, mettre au rencart  les “vieilleries” ethniques et religieuses, légitimer l’unique mode explicatif toléré, c'est-à-dire celui qui évoque la raison socio-économique, depuis la fin de la guerre froide, bon nombre de signes avant-coureurs nous annonçaient le retour de conflits qui ne pou­vaient s’expliquer que par d'autres motivations que celles que retenait comme seules plausibles le con­formisme idéologique. Mieux : rien n’est revenu et un fait est certain, les tensions et les conflits à carac­tère ethnique et religieux ont toujours existé, rien n’est venu les atténuer, au contraire, les retombées tu­multueuses du colonialisme et de l'hégémonisme européens les ont exaspérés. Il suffit de penser au Kurdistan qui, par l'effet de la politique de containment forcenée qu'ont pratiquée les Anglais et les Français au Moyen-Orient entre 1917 et 1920, est devenu un facteur de déstabilisation. Ou à la “guerre oubliée” entre l’Irak et l’Iran, et à ses rapports complexes avec la guerre civile en Afghanistan, ou encore, au front composite de la résistance afghane en lutte contre l’Armée Rouge.

    Les temps sont mûrs, pourtant, pour dresser l'ébauche d'une nouvelle géopolitique, comprise non plus comme une “science” ou une “pseudo-science” mais plutôt comme une méthode proprement interdiscipli­naire  — dans laquelle convergeraient la géographie, l'histoire, la politologie, l'anthropologie, etc. —  visant à comprendre et à expliquer rationnellement les tensions à l'œuvre sur certains territoires. Cette méthode se distancierait bien entendu de toutes les formes de moralisme, sans pour autant observer une “neutralité axiologique” rigide et incapacitante : cette méthode existe, elle a déjà été hissée au niveau scientifique, elle a été forgée au milieu des années 70 par les animateurs de la revue parisienne Hérodote et par le groupe de chercheurs rassemblés autour du géographe Yves Lacoste. En Italie, un groupe d'intellectuels de gauche vient de fonder la revue Limes (titre schmittien !) et s’aligne surHérodote ;  à ce corpus géopolitique de base, qui, sous bien des aspects, constitue une “anthropopolitique” (ou une “géoanthropologie” ?), le célèbre philosophe Massimo Cacciari propose d'ajouter une fascinante “géophilosophie de l’Europe”, dont il a jeté les fondements en publiant un livre chez l'éditeur Adelphi. L’Europe, à ses yeux, est une idée  — et un continent — “malade” au sens nietzschéen, instable, incertain sur ses confins, qui ne peut progresser qu’à coup de “décisions” fatidiques, un continent sur lequel pèse le poids d’innombrables impondérables et d'hérédités mêlées, entrecroisées.

    Les assises et la structure du monde pèsent évidemment sur le destin des hommes. Mais les hommes, à leur tour, posent des choix et imposent des géostratégies. Quand, en 1867, le gouvernement américain achète au gouvernement russe les terres de l’Alaska, le Secrétaire d’État William Seward déclare : « L’Océan Pacifique deviendra le grand théâtre des événements du monde... le commerce européen, la pensée européenne, la puissance des nations européennes sont destinés à perdre leur importance ». C'est ainsi que les États-Unis ont lancé l'idée d'un “Occident”, non plus synonyme mais bien antonyme de l’idée d’“Europe”. Or, sur ce chapitre, un pas nouveau vient d’être franchi avec le sommet des pays du Pacifique tenu en novembre 1993 à Blake Island près de Seattle : on y a esquissé les grandes lignes d'une nouvelle stratégie américaine, visant à faire du Japon un “Extrême-Occident” et à recentrer sur le Pacifique une intense activité dirigée vers la Chine, le Japon et l'Australie, impliquant l'exploitation inten­sive des mers, des fonds marins, du sous-sol de l'Océan, afin d'acquérir des protéines (à partir du planton) ou d'exploiter de nouveaux gisements de pétrole ou de gaz naturels.

    Reste à savoir comment réagira le bloc “eurasiafricain” face à cette hégémonie nouvelle, à ce continent immense et richissime qui va de l’Alaska à l’Australie et de la Chine à la Californie, qu’a parfaitement conceptualisé le bon génie du MIT (Massachussets Institute of Technology), Noam Chomsky, qui pré­voit un isolement définitif de l’Eurasie par rapport au “Centre de l’Empire” américain ? Allons-nous vers un nouveau brigandage déterministe et planétaire, vers une nouvelle entreprise impérialiste qui, comme toutes les entreprises impérialistes, ne rougit pas en se définissant comme “nécessaire” ?

    ► Franco Cardini, Nouvelles de Synergies Européennes n°8, 1995.

    (article extrait de L'Italia Settimanale n°34/1994)

    (1) Pour nuancer ce jugement et découvrir la grande variété de l'œuvre de Ratzel, cf. Robert Steuckers, « Friedrich Ratzel », in : Encyclopédie des Œuvres philosophiques, PUF, 1992.

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  • Nouvelle Droite et mouvement identitaire, par Robert Steuckers

    Entretien accordé au Prof. J. P. Zuquete
    Né au Portugal, le Professeur Dr. José Pedro Zuquete est historien et politologue, actif au sein de plusieurs universités (Coïmbra, Rome, Bath, Seattle, etc.). Cet admirateur de Louis-Ferdinand Céline s’est spécialisé dans l’étude des mouvements sociaux et politiques contestataires (toutes obédiences confondues). Il a produit un nombre impressionnant d’articles, d’essais et de livres dont la liste est consultable sur : http://scholar.google.com.br/citations?user=TDX0kigAAAAJ&hl=en&cstart=0&pagesize=20 . J’ai répondu à ses questions. En espérant lui avoir été utile. Une première batterie de réponse figure déjà ici : http://robertsteuckers.blogspot.be/2014/10/de-quelques-questions-geopolitiques.html  (RS). 
    Quelle est la principale différence pour vous entre la Nouvelle Droite et le mouvement identitaire ?
    La première chose dont il faut tenir compte pour répondre correctement et intelligemment à votre question, c’est que les deux mouvements ne sont pas nés à la même époque, sont issus de contextes très différents. Quand la « nouvelle droite » (ND), ou la mouvance qui sera baptisée comme telle par les journalistes du « Nouvel Observateur » en 1979, émerge à la fin des années 60, le terme « identité » n’était nullement utilisé en politique, dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. Vers la fin des années 90, quand le spectre du Rideau de fer a définitivement disparu et que la dualité du partage de Yalta n’est plus qu’un mauvais souvenir du passé, apparaît le mouvement identitaire, qui, notamment sous l’impulsion de Fabrice Robert, deviendra en 2003 le « Bloc identitaire ». Le terme « identitaire » acquiert alors une signification bien précise : il s’agit, pour ceux qui s’auto-définissent par ce qualificatif, de défendre les mœurs traditionnelles des populations autochtones face à des phénomènes qui ont pris une ampleur considérable, ce que l’on ne pouvait pas encore soupçonner à la fin des années 60 et au début des années 70. Ces phénomènes sont l’immigration de masse, l’islamisation réelle ou imaginée des banlieues françaises, d’autres transformations sociales dues aux flux migratoires mais aussi l’homogénéisation idéologique et culturelle qu’impulsent les médias au service des partis dominants qui tiennent le pouvoir. Il faut ajouter aussi d’autres phénomènes, nettement moins médiatisés mais d’autant plus subtils, qui contribuent à bloquer toute évolution et tout changement dans les sociétés française et européennes, comme, par exemple, l’imposition du « politiquement correct », non seulement face à un problème lancinant comme le racisme mais aussi face à une incompréhension manifestée par la population de base pour des importations américaines, telles le gendérisme et ses corollaires.
    On sait qu’entre l’émergence de la ND et l’incubation du futur mouvement identitaire de Fabrice Robert, les grands récits idéologiques se sont érodés puis effondrés (surtout suite à la perestroïka de Gorbatchev et à la chute du Mur de Berlin et du Rideau de Fer), pour être d’abord remplacés par des micro-récits sans prétention universelle puis par des « narratives » fabriqués dans les officines médiatiques d’Outre-Atlantique et, enfin, par les nano-récits que chaque individu désormais isolé, replié sur lui-même, émet via les réseaux sociaux, dont Facebook. Successivement, le philosophe Jean-François Lyotard (1924-1998), les exposants des différents courants postmodernes et, enfin, de nouveaux sociologues inquiets de l’implosion totale d’une société devenue une « dissociété » ont décrit cette involution très problématique. La revendication identitaire est un phénomène qui découle tout naturellement de cette volonté de créer de nouveaux récits, inspirés par la tradition et l’histoire, pour remplacer les récits universalistes anti-traditionnels et a-historiques, véhiculés par les formes libérales, socialistes et communistes du progressisme moderne, en fait pour les remplacer par des récits régionaux ou européens circonscrits dans le temps et dans l’espace de cette région-là et de cette Europe-là (dans la mesure où tout phénomène concret, et par conséquent, toute phénoménalité politique, s’expriment dans un espace particulier, à un moment particulier). Pour affirmer un tel récit, il faut simultanément refuser les anciens grands récits (aujourd’hui évanouis), refuser le discours médiatique occidental forgé dans des officines américaines ou suggéré par elles, critiquer l’inconsistance des récits parcellaires générés par le courant postmoderne et déplorer l’implosion totale qui s’observe dans les sociétés occidentales depuis l’émergence des réseaux sociaux. 

    En France, elle doit aussi combattre les effets du piètre ersatz de récit que les « nouveaux philosophes », surtout Bernard-Henry Lévy (que Fabrice Robert réussira à faire condamner pour diffamation en 2013), ont diffusé en France pour fustiger toutes les traditions politiques françaises (non seulement les formes de nationalisme maurrassien ou barrésien mais aussi le personnalisme d’Emmanuel Mounier, le gaullisme ou les formes particulières de communisme à la française). La revendication identitaire est portée par un mouvement jeune, composé d’hommes et de femmes nés après le gaullisme et après les formes d’antigaullisme où s’étaient activés les fondateurs de la ND. Le mouvement identitaire doit dès lors faire front contre un ensemble de nouveaux phénomènes sociaux sans se référer à des formes mortes, jadis incarnées dans des nationalismes, des néo-droitismes ou des mouvements conservateurs antérieurs. La mouvance doit exprimer, de manière simple et pédagogique, ou par des actions spectaculaires, les sentiments de lassitude, de dégoût, de révolte ou d’incompréhension qu’éprouvent les générations nées, grosso modo, après 1975, après la disparition de la France gaullienne et pompidolienne, au moment même où Lévy prétendait, en 1978, dans Le Testament de Dieu,apporter une formule définitive et incontestable qui combinait un soi-disant judaïsme yahvique (qui n’a rien à voir avec les vraies théologies juives) et le discours des « droits de l’homme » tel que voulait le vulgariser le Président américain Jimmy Carter comme un instrument d’intervention américaine tous azimuts, notamment pour boycotter les jeux olympiques de Moscou en 1984.  

    Ce phénomène, baptisé « identitaire », peut s’interpréter de mille et une façons : nous prendrons appui sur des réflexions qui ne sont absolument pas issues de cette mouvance identitaire mais qui peuvent parfaitement rendre compte du phénomène, bien qu’à leur corps défendant. On peut donc expliquer le mouvement identitaire en explorant tous azimuts le paysage intellectuel français, car celui-ci a généré une contre-culture, même et y compris dans des cénacles apparemment éloignés de toute contestation antirépublicaine, gauchiste ou droitiste. Ainsi, le philosophe et journaliste Jean-François Kahn, représentant d’une gauche française très particulière et très critique à l’endroit des régimes UMPiste ou socialiste en place à Paris, avait théorisé en 2008, dans Où va-t-on ? Comment on y va… Théorie du changement par recomposition des invariances (Fayard, 2008), la permanence d’invariances dans les mentalités et les traditions politiques. 
    Pour Kahn, dans cet ouvrage, les ruptures fracassantes que réclamaient au fond les « grands récits », soumis jadis à l’analyse critique de Jean-François Lyotard, sont impossibles dans toute l’ampleur qu’ils appelaient de leurs vœux. On a fini, à la suite de Lyotard, par percevoir finalement l’impossibilité de toute coupure radicale, par rapport aux acquis du passé, à des traditions ou des modes de vie hérités. La crise du progressisme procède de ce constat. Une société repose donc sur des « invariances spécifiques », qui ne sont nullement figées mais constituent un ensemble d’éléments que l’on peut recomposer de maintes façons pour sortir des ornières politiques où, nécessairement, s’enlise un jour tout pouvoir. Kahn appelle cela la « continuité évolutive », où, pour lui, la notion d’évolution (par recomposition des invariances) remplace celle du progrès linéaire et vectoriel des grands récits qui se figeaient dans la répétition stérile, tout en n’apportant plus aucune amélioration réelle à la vie quotidienne des citoyens. Selon Kahn donc, les invariances se recomposent entre elles, permettant aux sociétés de ne pas se figer, et toute société, qui ne recompose pas les invariances qui constituent son fond, risque l’implosion. Kahn, qui reste ancré à gauche et demeure critique à l’endroit de bon nombre de permanences qui risquent de freiner toute « continuité évolutive », parle également de la « recomposition des mensonges de référence », mensonges qui structurent notamment, à ses yeux comme à ceux de ses compagnons de gauche, les discours nationalistes (ou les « récits non universalistes » ou, pour d’autres encore, les « essences »). En 1989, Kahn, dans Esquisse d’une philosophie du mensonge (Flammarion), plaidait pour un recours au « dire vrai » contre les mensonges des récits fabriqués ou des dogmatismes idéologiques. Le discours identitaire, qui ne fait pas référence à Kahn qui, lui, n’a certainement pas voulu lui donner des munitions idéologiques, est donc les discours d’un mouvement qui veut préserver les invariances fondatrices des sociétés française et européennes, pour s’y référer en permanence, pour les utiliser comme matériaux afin de recomposer une société nouvelle débarrassée des scories progressistes, politiquement correctes, illuministes et pseudo-républicanistes dont les générations nouvelles ne veulent plus parce que celles-ci estiment qu’elles n’apportent plus rien de tangible et de concret pour améliorer, ou du moins conforter, leur quotidien et leur avenir. Les identitaires appellent l’ensemble de ces invariances l’ « identité », terme que ne reprend pas Kahn pour en faire le fondement de sa doctrine et de sa praxis politiques, jugeant sans doute le terme trop figé ou trop susceptible d’être interpréter de manière figée et de générer ainsi d’insupportables « ritournelles ».
     Ensuite, l’autre revendication de Kahn, celle qui consiste à en appeler au « dire vrai », rejoint aussi les préoccupations des identitaires : le fatras idéologico-médiatique dominant, que Kahn nommera ultérieurement « l’horreur médiatique », est alors posé comme un tissu de mensonges grossiers, de blabla idéologique inconsistant, auquel il faut opposer un « parler vrai » que revendiquent aussi les nouveaux adeptes français de la critique orwellienne des médias et de nos sociétés médiatisées, regroupés autour du philosophe Jean-Claude Michéa. 
    Outre Kahn, dont les idées ou les analyses se diffusent sans nul doute bien au-delà des cercles de gauche et des lecteurs des hebdomadaires qu’il a animés ou qu’il anime encore (L’événement du jeudi, Marianne, etc.). A son corps défendant, elles se répandent aussi dans les milieux identitaires ; je pense qu’une lecture attentive de quelques livres du philosophe Pascal Bruckner, dont L’euphorie perpétuelle (Grasset, 2000), s’avère intéressante, en dépit du fait que Bruckner ne s’est jamais vraiment aligné sur des thèses anticipant le discours identitaire : on l’a compté parmi les « nouveaux philosophes » (au même titre qu’André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Alain Finkelkraut, etc.) ; il a soutenu l’action de l’OTAN contre la Serbie, l’intervention américaine en Irak, la politique de Sarkozy, etc. Pour le Bruckner de L’euphorie perpétuelle toutefois, le « culte du bonheur », cœur de la pensée festiviste selon Philippe Muray, est un « nouveau stupéfiant collectif » dans les sociétés occidentales. Mais l’ensemble des dispositifs mis en place pour imposer ce « stupéfiant collectif » est finalement très coercitif : l’hédonisme est obligatoire, est un dogme, et tout ce qui le contrarie, ou est posé comme « contrariant », est rejeté dans l’opprobre. Tous ceux qui posent l’hédonisme obligatoire comme un édifice mensonger, recourent au « dire vrai » qui le dénigre ; par suite, ces critiques, rappelés à l’ordre par les « chiens de garde du système » (Serge Halimi), sont marginalisés et diabolisés : la France connait à intervalles réguliers des chasses aux sorcières hystériques, forme gauloise du macchartysme qui avait sévi aux Etats-Unis entre le coup de Prague de 1948 et le milieu des années 50. Or cet hédonisme obligatoire est une idéologie « figeante », fausse parce que toute rigidité forcée évacue l’incontournable tragique qui fait la toile de fond du monde, l’Hintergrund de laWeltlichkeit : il n’est pas idoine à servir de ciment pour une véritable société, pour une vraie Cité, conviviale et « fonctionnante », cet hédonisme n’étant que « rideau de fumée » pour les « belles âmes » irresponsables. De même, Bruckner, dans Misère de la prospérité (Grasset, 2002), démontrait que l’économie était passée du statut de science aride à celui d’une religiosité froide mais absolument intolérante, dont on ne peut plus mettre les dogmes en doute. Le discours des économistes néolibéraux est effectivement intangible de nos jours, personne n’est autorisé à le critiquer sauf certains altermondialistes établis qui partagent, avec les têtes d’œuf néolibérales, le culte de l’économie, considérée, par eux comme par leurs adversaires officiels et apparents, comme le seul moteur de l’histoire. Donc double critique du « bonheurisme » et de l’économisme chez Bruckner, comme on les trouvait aussi chez un Guillaume Faye, dans les rangs de la ND, surtout à la fin des années 70.
    Si Kahn et Bruckner ne sont certes pas des auteurs cités et officiellement appréciés par les identitaires, qui ne les mentionnent guère sur leurs blogs, Hervé Juvin, en revanche, est plus abondamment évoqué, suite à ses derniers livres et à quelques entretiens parus dans le quotidien Le Figaro. Il ne vient cependant d’aucune officine classée à tort ou à raison à « droite » de l’échiquier politique français. Il a toutefois publié de nombreux articles sur le site « fr.novopress.info », animé par des identitaires, virtuoses dans l’art de manier le multimédia pour assurer ce que Jean-Yves Le Gallou appelle la « bataille de la ré-information » ou organiser un « pôle de rétivité », comme le voulait Foucault mais sous d’autres signes. En lisant l’ouvrage majeur d’Hervé Juvin sur les questions qualifiables d’ « identitaires », on se rappelle les thèses de Claude Lévi-Strauss (1908-2009) sur les ethnies, les « ethnies premières » (dont il faut préserver la spécificité pour assurer le caractère pluriel de l’humanité), thèses consignées notamment dans Tristes Tropiques, ouvrage autobiographique et plaidoyer pour un ethnopluralisme sainement compris, garant d’un humanisme véritable qui ne saurait s’identifier à l’arasement moderniste qu’impose la civilisation libérale à tous les peuples du monde. 
    De même, si la marque de Levi-Strauss est évidente chez Juvin, celle d’un autre ethnologue français, Robert Jaulin (1928-1996), est plus perceptible encore : en effet, pour Jaulin, l’Occident a imposé une « paix blanche » aux « ethnies premières », qui, de ce fait, sont toutes condamnées à la disparition dans le contexte actuel, disparition qui est également le prélude de la disparition programmée des peuples de la sphère occidentale, jugés comme des archaïsmes anthropologiques, animés par des invariances qui bloquent l’avènement du tout-économique. L’Occident n’est dès lors pas une civilisation, voire LA civilisation, comme il le prétend, mais un vecteur pernicieux de « décivilisation », dans la mesure où il se gargarise de discours universalistes, ennemis de la diversité humaine et, par là même, toujours selon Juvin, « criminels et araseurs ». 
    L’anti-occidentalisme de la ND repose sur cette féroce critique jaulinienne de la « paix blanche », même si cette ND n’a cité Jaulin qu’une seule fois lors de l’un de ses colloques annuels, par la voix de Pierre Bérard, un exposant très fin de cette mouvance, beaucoup plus fin que ses habituelles figures de proue. Juvin articule sa démonstration critique dans La grande séparation (Gallimard, 2013) en évoquant justement deux types de « séparation » : les petites séparations nécessaires, où les peuples, les ethnies, les Etats se donnent des valeurs invariantes bien précises et délimitées, pour se démarquer des autres et pour promouvoir une façon originale et inaliénable d’être hommes (au pluriel !). Ces « petites séparations » sont nécessaires à la survie de l’humanité toute entière car elles offrent  -aux regards (pluriel !) et aux réflexions de tous les hommes inclus dans toutes ces entités séparées qui constituent l’humanité (au sens véritable et donc pluriel du terme), -  des modes originaux d’être et de survivre qui peuvent inspirer les autres ; leur disparition appauvrit le genre humain qui, homogénéisé, dispose de moins de stratégies concrètes et observables pour survivre en cas de catastrophes inattendues. Face aux « petites séparations » nécessaires, accumulées au cours de l’histoire, la « décivilisation » occidentale organise la « grande séparation » qui vise à détacher l’humain (toutes les expressions de l’humain sans exception aucune) du donné naturel et de toutes les productions culturelles particulières et vernaculaires : d’où, en France, les charges continues de Bernard-Henri Lévy contre les racines (assimilées à une résurgence du « nazisme », en dépit du fait qu’une antinazie notoire comme Simone Weil avait prononcé à Londres entre 1940 et 1943 un vigoureux plaidoyer pour l’enracinement), l’hostilité à toutes les formes de populisme qui écornent la sacralisation du néolibéralisme, les réactions hystériques à l’endroit des manifestations de 2014 pour le maintien de la famille traditionnelle et contre l’enseignement des théories du genre, etc. L’opposition binaire, qui se dessine à l’horizon, est ici clairement perceptible : d’une part, il y a ceux qui veulent se maintenir dans une « petite séparation » héritée, puis la consolider et en faire les assises d’une Cité nouvelle, et, d’autre part, ceux qui veulent se débarrasser de tout héritage et même détruire les assises bio-ontologiques de l’homme. 
    En résumé, la mouvance identitaire, à l’intérieur ou à l’extérieur du « Bloc identitaire » qui en est l’institution visible, ancre dans un espace idéologique que l’on situe à « droite » et même à l’« extrême-droite » du champ politique français, plusieurs thématiques qui, au départ, sont nées chez des intellectuels classés à gauche : 
    -     La mouvance identitaire s’oppose donc à tout retour des « grands récits » idéologiques, analysés par Lyotard dans la perspective d’une certaine « postmodernité », qui aurait voulu, avec Armin Mohler, substituer à ces récits nés des Lumières une série de récits différents nés des « autres Lumières », notamment celles de la tradition allemande de Herder ; cette hostilité aux « grands récits » est dérivée de l’option dite de « troisième voie », entre communisme et capitalisme, empruntée par certaines figures historiques du mouvement identitaire dans les années 80, dans le sillon creusé par Jean-Gilles Malliarakis ; cette option de « troisième voie » renoue aussi avec l’ensemble bigarré des « non-conformismes des années 30 » (même dans leur hostilité au fascisme, jugé trop « étatique », et au nazisme, jugé trop « totalitaire »).
    -     Elle estime que les « coupures radicales », préconisées par les progressismes issus des Lumières, sont des dérapages navrants qui font basculer les sociétés dans l’inhumain, les transforment en « dissociétés » (concept forgé par Marcel De Corte).
    -     Elle veut retrouver des « invariances spécifiques », observables et dans l’histoire d’un peuple et dans ses mœurs contemporaines mais, pour elle, ces « invariances » sont temporellement plus profondes et davantage qualifiables d’« essentielles », par l’immuabilité que les identitaires leur prêtent, que celles articulées dans la démonstration de Kahn.
    -     Elle veut réenclencher une « continuité évolutive » sur base de telles « invariances » car, dans sa perspective, elle perçoit un blocage mortifère dans la société française contemporaine. Pour les identitaires, ce blocage a beaucoup de causes mais la cause principale en est évidemment l’immigration de masse, et l’islamisation des banlieues qui en résulte. Immigrés et musulmans raisonnent sur base d’autres « invariances », a priori parfaitement respectables, s’inscrivent dans d’autres « continuités ». La juxtaposition de diverses continuités bloque toutes les continuités et, parfois, les « invariances » sociales des uns et des autres se télescopent violemment : habitudes alimentaires (les identitaires défendent la gastronomie française qui use abondamment de la viande porcine), rôle de la femme dans la société, codes vestimentaires, etc. Résultat final, aucune « continuité » ne peut se déployer à fond, engendrant des lots de frustration dangereux sur le long terme. La radicalisation salafiste s’explique notamment par cette frustration. Pour les identitaires, la présence d’invariances non européennes disloque les dispositifs vitaux de l’humanité européenne, reposant sur des invariances spécifiques à l’homo europaeus. Tout comme pour le militant salafiste novice, les « invariances » européennes, confondues avec les idéologèmes occidentaux que rejettent aussi les identitaires, sont des freins à la pratique sereine de son islamité.
    -     La mouvance identitaire perçoit la culture médiatique, qui formate les esprits selon des méthodes perverses déjà dénoncées par Orwell, comme un gigantesque mensonge surplombant nos sociétés. Elle critique les discours médiatiques, depuis une position marginale et contestatrice. Elle n’est pas seule dans ce combat, le groupe « Polemia » animé par Jean-Yves Le Gallou est sur la même longueur d’onde : pour ce groupe, comme pour les identitaires et toutes les autres forces contestatrices de l’homogénéisation en France, l’information médiatique relève de la « dés-information », anomalie et scandale qu’il faut contrer par un combat permanent pour la « ré-information », afin de contrer les effet de ce que Kahn appelle la « philosophie du mensonge ».
    -     La mouvance identitaire, comme d’autres forces contestatrices dans la France d’aujourd’hui, entend recourir au « parler vrai » ou « dire vrai », soit à un langage idéologique et politique qui soit le contraire du « politiquement correct » ou qui le contourne habilement, le mettant face à ses contradictions ou à ses rigidités. Cela pourrait impliquer ce que j’appelle un « retour à la France rabelaisienne », comme le préconisait le grand spécialiste russe de la littérature française du 16ème siècle, Mikhail Bakhtine. Pour ce philologue russe, le peuple (dépositaire de la légitimité en toute bonne logique socialiste soviétique, du moins officiellement) use de la « langue de la place du marché » pour stigmatiser les errements des élites défaillantes. Les gauches françaises contemporaines, au pouvoir, en alternance avec des droites qui ont intériorisé les « invariances » des discours de la gauche culturelle, représentent ces élites défaillantes qui parlent de socialisme, de convivialité sociale, qui la promettent, et ne plongent la population que dans les misères engendrées par un néolibéralisme outrancier qui détricote non seulement l’Etat social mais aussi, désormais en alliance avec le gendérisme, les linéaments fondamentaux des mœurs populaires voire les assises mêmes de l’ontologie biologique humaine. Pour railler ces errements de la pseudo-élite cafouilleuse, il faut tout à la fois un « parler vrai » moqueur et persiflant, celui de la satire et de l’ironie, et un « dire vrai » dérivé de la brave « common decency » défendue par Orwell et son disciple Michéa, face à l’arrogance des politiciens établis et des intellectuels orgueilleux.
    -     La mouvance identitaire a aussi des côtés sombres, pessimistes, atrabilaires qui surgissent immanquablement devant le spectacle de l’« euphorie perpétuelle » (Bruckner) ou du « festivisme » (Muray) : ce spectacle fâche et dégoûte dans la mesure où, comme je viens de le dire, il évacue le tragique, refuse de penser la logique du pire (Clément Rosset) et nie de ce fait les fondements mêmes du réel, incite à l’irresponsabilité et est, par voie de conséquence, la pensée d’un peuple « ilotisé » par un hegemon qui ne veut pas de challengeurs.  
    -     La mouvance identitaire perçoit dès lors les peuples d’Europe, en butte aux avatars d’une idéologie « politiquement correcte » et aux phénomènes migratoires afro-asiatiques et à leurs effets dont l’islamisation qui conteste des « invariances » de la culture européenne (et de la gastronomie française), comme étant comparables aux « ethnies premières » menacées par la « paix blanche ». Aux « tristes tropiques » risquent de succéder les « tristes zones tempérées ». Elle veut dès lors affirmer tout ce qui fait la spécificité française en France, allemande en Allemagne, etc. sans que ces spécificités gauloises ou germaniques n’aient à céder devant d’autres spécificités importées. D’où l’intérêt pour les racines culturelles de l’Europe, moins présentes à niveau académique ou semi-académique dans les productions des identitaires que dans celles de la ND. La continuité de demain doit donc, aux yeux des identitaires, demeurer sur les mêmes rails qu’autrefois sans modifications dues à des facteurs exogènes.
    -     La mouvance identitaire, pour parler le langage de Juvin, s’active pour annoncer, préparer et instaurer une « petite séparation », après la faillite annoncée de la phase frénétique de la « grande séparation », voulue par les élites défaillantes se réclamant des lumières occidentales. Depuis la crise de l’automne 2008, cette faillite semble inéluctable. 
    Le discours de la mouvance identitaire est certes classé à « droite » voire à l’« extrême-droite » du paysage intellectuel français. Elle est toutefois tributaire, inconsciemment, d’idéologèmes et de thématiques nées dans les cerveaux d’une l’intelligentsia qui s’est toujours située à gauche, depuis l’âge d’or du « sartrisme ». Ce qui doit nous conduire à analyser tout discours idéologique, quelle que soit sa provenance, ou son étiquetage, comme expression d’un discours diffus qui ne connaît pas les cloisonnements et les fermetures que posent les esprits simplistes. Les idées, quand elles sont substantielles, se diffusent dans tous les esprits, comme un gaz subtil dans un espace ouvert, même si ces esprits ne les ont pas directement lues. Cette diffusion fait fi des cloisonnements, des clôtures, que dressent les détenteurs de tout pouvoir artificiel, de tout pouvoir incapable de se mouler sur les changements naturels en cours en utilisant à bon escient les invariances culturelles que Kahn appelait les invariances spécifiques. Dans cette perspective, la mouvance identitaire est une sorte d’opposition extra-parlementaire, comparable à cette APO (Ausserparlementarische Opposition),patronnée par le leader révolutionnaire et soixante-huitard allemand, Rudi Dutschke, figure emblématique de l’extrême-gauche allemande des années 60 et 70. Cette comparaison est d’autant plus intéressante à faire que bon nombre de compagnons de Dutschke se retrouvent aujourd’hui non pas dans une gauche répétitive, enfermée dans ses slogans, mais en marge du mouvement néo-conservateur ou national-conservateur ou néo-droitiste en Allemagne (on songe notamment à l’ancien révolutionnaire devenu « schmittien », Günter Maschke, ou à d’autres, contestataires d’inspiration « situationniste » jadis, devenus aujourd’hui compagnons de route d’un certain conservatisme contestataire faute d’être encore « révolutionnaire »).
    * * *
    La ND, elle, a certainement véhiculé des idées similaires à celles de la mouvance identitaire, au cours de cette dernière décennie, mais, au départ de son itinéraire intellectuel, la question de l’identité n’était pas directement posée. Du moins, elle ne l’était pas dans la même perspective puisque l’immigration de masse n’avait pas encore réellement commencé et que la mondialisation ne battait pas en brèche les mœurs traditionnelles de la France. La ND nait pendant l’effervescence de 1968 et en marge de celle-ci. Elle connaît ses premières années dans une France qui quitte le système mental gaullien, hyperpolitique, citoyen, personnaliste, national et engagé (Malraux !), pour entrer, avec les ères pompidolienne et giscardienne, dans l’âge quiet et trivial de la consommation de masse, comme le reste de l’Europe ou à la suite de certaines sociétés européennes plus cossues. Elle entend, au départ, développer un discours assez aseptisé pour gommer ses origines révolutionnaires et nationalistes (Europe Action, etc.) et amorcer discrètement un travail métapolitique, fait de réflexions, de fondations de clubs et d’entrisme dans les cercles existants, qu’ils soient politiques, culturels ou autres. Son identité revendiquée tout au début de sa trajectoire est « occidentale » ou « européenne », les deux termes étant encore confondus à l’époque dans le langage quotidien (à la suite de Giorgio Locchi, Guillaume Faye fera, vers le milieu des années 70, la distinction entre l’Europe, dont il se revendique au nom d’une impérialité post-romaine, et un Occident américanisé, qu’il perçoit comme un facteur insidieux de déclin). La ND, autour de l’association GRECE, entend dépasser les discours surannés des droites françaises, jugés inadéquats face aux mutations du gaullisme (devenu une option de « tierce voie » sur l’échiquier politique international encore déterminé par le duopole de Yalta et timidement challengé par les non-alignés de la Conférence de Bandoung de 1955). 
    Le régionalisme, forme très vernaculaire de revendication identitaire locale, n’apparaît pas tout de suite dans le discours initial de la ND sauf si l’on veut bien tenir compte d’un fait, très rarement mis en exergue : Louis Pauwels (1920-1997), devenu en 1978 directeur duFigaro Magazine après avoir dirigé les pages culturelles du quotidien Le Figaro, met le pied à l’étrier de la ND en bombardant Alain de Benoist responsable de la rubrique « Idées » de son journal. Or Pauwels avait été l’animateur de la revue et des réseaux Planète entre 1961 et 1971. La revue, originale, au graphisme séduisant, abordait des thèmes que l’on n’aborderait plus aujourd’hui : elle a indubitablement connu un succès international notoire, en étant traduite en une douzaine de langues, en ayant déployé un réseau dans tout l’Hexagone et développé des contacts internationaux. Le « mouvement Planète » organisait des rencontres culturelles, des dîners-débats, des conférences, des forums et des séminaires estivaux. Les animateurs du GRECE (et donc de la ND) espéraient faire rapidement pareil, selon un mode d’organisation similaire (unités régionales, cercles culturels, universités d’été). Quelques thèmes du « mouvement Planète » s’infiltrent dans la ND encore balbutiante dont les thèses biologisantes d’Henri Laborit, le recours à des sciences nouvelles (ou des gnoses nouvelles plus ou moins scientistes comme la Gnose dite de Princeton), etc. 
    Parmi ces thèmes, nous trouvons celui d’un régionalisme nouveau, théorisé par les militants occitans regroupés autour de Robert Lafont (1923-2009). Lafont évoquait l’idée de régions périphériques victimes de la « colonisation intérieure » ou d’un « colonialisme intérieur », des régions historiques, avec leurs particularités linguistiques ou dialectales, à qui on niait le droit au développement endogène au bénéfice de régions jugées plus importantes au sein de l’Etat détenteur de la souveraineté. Lafont campait son combat à gauche. Mais il existait aussi une tradition régionaliste de droite (notamment en Bretagne) ou nationaliste-révolutionnaire. Ici également les idéologèmes de droite et de gauche vont se mélanger : des Bretons adopteront le révolutionisme régionaliste de gauche de Lafont ; d’autres opteront pour un ancrage communautaire traditionnel de droite pour les Occitans. Ailleurs, dans le cadre d’un institut basé à Nice, le penseur fédéraliste, personnaliste et proudhonien Alexandre Marc (1904-2000) plaide pour l’émergence d’un « fédéralisme européen », c’est-à-dire pour une réorganisation du continent européen sur base des régions. Fidèle aux idéaux non-conformistes des personnalistes chrétiens des années 30, Alexandre Marc accueille toutefois dans sa maison d’édition le travail du Breton Yann Fouéré, dont les options autonomistes premières (avant-guerre) étaient plutôt classables à « droite » mais qui s’affineront au contact d’un celtisme irlandais ou gallois où la fusion d’idéologèmes de droite et de gauche est plus concentrée, plus difficilement détricotable. Au sein de la ND, Jean Mabire, militant normand, introduira la notion de « patrie charnelle » chère à l’écrivain Saint-Loup. Nous aboutissons ainsi à un cocktail complexe dont le dénominateur commun est une contestation de l’ordre établi, posé comme abstrait, au nom des réalités charnelles, concrètes, ancrées dans le temps et l’espace. La ND et tous ses avatars -jusqu’à la revue Krisis d’Alain de Benoist, qui a pour objectif premier de jeter des passerelles entre les gauches et les droites, et au mouvement « charnel » Terre & Peuple de Pierre Vial-  retiendront, la première le personnalisme régionaliste de Marc, les seconds l’idée de « patrie charnelle » de Mabire et Saint-Loup. C’est sur la base de cette option fédéraliste plutôt que centraliste que la ND finira par développer un discours sur ce que Kahn, dans son propre camp et dans une optique certes différente, appellera des « invariances », dont le politique doit tenir compte, tout en développant un « dire vrai » qui met à mal l’édifice du mensonge érigé par les dogmatismes coercitifs.  
    Que dites-vous à ceux qui, dans les universités et les médias, disent que la « mouvance identitaire » est une manifestation d'extrémisme ?
    La mouvance identitaire ne se perçoit pas comme « extrémiste » mais comme l’expression d’un « juste milieu », du bon sens populaire, du « common sense » ou de la « common decency », face à une panoplie agressive d’extrémismes que sont, pêle-mêle, le gendérisme (avec les facéties et les outrances des « femens »), le radicalisme islamiste, les dérapages ultra-bellicistes des néoconservateurs américains (et de leurs alliés européens), les « nouveaux philosophes » français (Bernard-Henri Lévy), les tenants du « politiquement correct », parfois les néolibéraux outranciers, etc. La lecture de La grande séparation d’Hervé Juvin est intéressante ici : l’auteur déplore les dérapages des idéologies prônant la « grande séparation » entre les hommes et le donné naturel, d’une part, entre les hommes et leurs créations politiques et culturelles spécifiques, d’autre part. Il décrète ensuite ces idéologies criminelles parce qu’elles éradiquent cruellement la diversité humaine, créant ainsi les conditions d’une implosion générale de l’espèce humaine. La modernité, pour Juvin, n’est pas la civilisation mais, au contraire, l’histoire de la perte de la civilisation, une perte planifié au nom d’une volonté frénétique de vouloir tout réduire au même, de détruire ce qui diffère (et existe en opérant une « petite séparation »). Le monothéisme du progrès, écrit-il dans sa conclusion (p. 366), est une idéologie qui s’attaque à l’essence même de la civilisation, « qui, elle, veut laisser intacte la splendeur du monde tel qu’il est », dans son foisonnement de diversités, d’espèces, de modes d’être. Juvin appelle alors à l’éclosion d’une nouvelle démarche civilisatrice qui aura pour tâche première d’effacer du monde les manifestations de cette idéologie moderniste et progressiste, au nom du salut même de l’humanité toute entière. « Est horreur », écrit-il (p. 367) « ce qui incite à changer le monde » ; « est insoutenable » la réduction de la planète et des hommes à leur utilité » ; « est criminel tout ce qui fait entrer » les peuples « dans l’ordre du développement » (c’est-à-dire de la modernisation outrancière et forcée). L’ennemi des espèces humaines culturellement et politiquement profilées de mille et une façons est désigné : c’est l’ensemble des dispositifs modernisateurs, dénoncées aussi par Heidegger et par Foucault (à la suite de Nietzsche) : il faut, écrit Juvin (p. 370) faire travail de deuil vis-à-vis de ce fatras malveillant qui se donne des allures de droit (on perçoit dans bon nombre de pages du livre un « antijuridisme » de bon aloi qui rappelle certaines critiques de Foucault). Le projet est dès lors de « faire renaître la diversité collective » (p. 372), non pas en revenant à ce qui a hélas définitivement disparu mais par un pari, un choix, une volonté, une volonté constructive, que je comparerai à l’archéofuturisme de Guillaume Faye, qui sera le recommencement qui sauve (de l’étouffoir imposé par les extrémistes araseurs de la modernité). Et ce recommencement (heideggerien) débute par une « autre grande séparation », celle qui doit nous débarrasser, nous faire oublier, l’histoire politique moderne et annonce « les retrouvailles avec l’histoire naturelle de l’homme », par le truchement d’un « polythéisme joyeux » (p. 374). 
    L’extrémisme est donc le fait des vecteurs politiques de la modernité et, ensuite, de ceux qui se présentent comme les antimodernes emblématiques, les salafistes. Ceux-ci sont des produits de la modernité : ils véhiculent des simplismes qui sont tout bonnement l’inversion des simplismes modernistes. Ils disposent d’un principe araseur quasi identique : si les modernistes veulent faire table rase du passé, les salafistes, eux, manient le concept de « djalliliyah », selon lequel tout ce qui a précédé la révélation coranique est entaché d’imperfection et voué à disparaître, par la violence s’il le faut. La démarche identitaire s’autoperçoit donc comme un antidote aux extrémismes qui dominent aujourd’hui la planète.