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culture et histoire - Page 1592

  • 1638, Un fils nous est donné

    Cette année-là - la vingt-huitième de son règne - Louis XIII, trente-sept ans, sentant depuis quelque peu ses forces décliner, accablé de peines physiques et morales, inquiet sur le sort des armées enlisées dans un combat sans fin contre les Habsbourg d’Espagne, allait enfin connaître un moment de sérénité.

    D’ailleurs, la situation de la France n’avait jamais été vraiment désespérée : deux ans plus tôt, le 9 août 1636, la prise de Corbie en Picardie par les Germano-Espagnols avait fait trembler Paris, mais il s’était produit, écrit Bainville, « un de ces mouvements de patriotisme dont le peuple français est coutumier », et dès le 9 novembre, sous les yeux du roi lui-même, l’armée française reconquérait la place. Tout laissait voir que la France reprenait confiance en elle-même : le cardinal de Richelieu venait de créer l’Académie française et tout le royaume s’enthousiasmait pour Le Cid de Corneille, retrouvant ainsi le sens de l’honneur et de la gloire.

    Le drame personnel de Louis XIII n’en était pas moins cruel. Il avait dû se séparer de la seule femme qu’il aimât vraiment, Mlle de La Fayette, qui, le 19 mai 1637, était entrée au couvent Sainte-Marie de la Visitation, rue Saint-Antoine. De son côté, la reine, la pieuse Anne d’Autriche (soeur du roi d’Espagne Philippe IV), qu’il avait épousée à treize ans, s’il ne vivait plus guère avec elle, lui causait quand même bien des soucis, d’autant que ses relations occultes avec notamment Gaston, duc d’Orléans, frère du roi, et avec l’intrigante duchesse de Chevreuse, venaient de la compromettre dans une affaire de trahison au profit de l’Espagne. Toutefois, le Cardinal avait invité les deux époux à faire la paix.

    Un affreux orage

    Restait la grande question qui torturait Louis et tout le royaume avec lui : il n’avait toujours pas de fils ! Et voir le futile Gaston d’Orléans se comporter en héritier présomptif et toujours comploteur lui était insupportable. La reine Anne n’avait pas encore pu mener une grossesse à terme, et lui vivant à Saint-Germain-en-Laye, elle au Louvre, les moments d’intimité étaient fort rares.

    Toutefois Louis allait souvent chercher du réconfort auprès de Louise de La Fayette, devenue soeur Angélique, et celle-ci, de derrière la grille du parloir, s’efforçait de le conseiller. On raconte que le soir du 5 décembre 1637, un affreux orage survint au moment de partir et que la religieuse unissant ses conseils empressés à ceux du capitaine des gardes, M. de Guitaut, qui craignait pour ses rhumatismes..., parvint à décider la roi à aller dormir au Louvre, où la seule chambre digne de l’accueillir était... celle de la reine. On devine la suite, d’autant plus que ce même mois de décembre, Louis XIII, constatant qu’un redressement militaire spectaculaire commençait à repousser les Espagnols, prit la décision (soufflée par Richelieu) de demander solennellement à la Vierge Marie d’intercéder pour la France et pour la paix. Ce fut l’acte de consécration, connu sous le nom de Voeu de Louis XIII décidé par lettres patentes du 17 décembre (renouvelées le 10 février suivant), demandant que dans la France entière la fête de l’Assomption, chaque année le 15 août, fût célébrée comme une fête nationale.

    Dès les premiers mois de 1638, se répandit la nouvelle de l’heureux événement qui se préparait à Saint-Germain-en-Laye. Tout le long du mois d’août, le Saint-Sacrement fut exposé dans les églises et les prières publiques commencèrent, tandis que les armées entreprenaient vaillamment de ravir l’Artois aux Espagnols et qu’à Paris saint Vincent de Paul fondait l'OEuvre des Enfants trouvés.

    Le dimanche 5 septembre, la reine accoucha d’un garçon aussitôt ondoyé et prénommé Louis-Dieudonné. De Saint-Quentin où il dirigeait le front, Richelieu fit savoir que Dieu donnait cet enfant au monde « pour de grandes choses ». Le siècle de Louis XIV s’annonçait, Louis XIII recouvrait courage et fierté pour les cinq années qu’il lui restait à vivre.

    L’explosion de joie secouant tout le pays fut mémorable : Te Deum et Salvum fac regem dans toutes les églises, illuminations dans les rues, feux de joie, bals, concerts, feux d’artifices se succédèrent pendant plusieurs jours.

    Ainsi dans ce royaume encore en guerre, obligé à mille sacrifices pour parer à tout risque d’invasion, la joie et l’espérance dominaient, car le peuple tout entier vivait au rythme des battements de coeur d’une famille incarnant la continuité du pays. Nos républiques seront toujours incapables de nous offrir ce genre de liesse populaire unanime où les coeurs s’enflamment pour l’avenir de la nation et non pour celui d’un clan, ou d’un parti, ou d’un arriviste...

    Michel Fromentoux L’Action Française 2000 n° 2744 – du 20 mars au 2 avril 2008

  • [Entretien] Anne Brassié et Stéphanie Bignon à L’AF 2883 : La foi contre le féminisme

    Respectivement écrivain et ingénieur, Anne Brassié et Stéphanie Bignon expriment d’une plume commune leur hantise du féminisme. Elles ont bien voulu nous présenter leur petit livre.

    À la veille de sa démission, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait confirmé son engagement « dans la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes »,...

     

    ...poursuivant un objectif demeuré apparemment consensuel, en dépit des polémiques sur le "genre", ses "études" et sa "théorie". Ici ou là, cependant, quelques voix discordantes se font entendre. « Cessez de nous libérer ! », clament Stéphanie Bignon et Anne Brassié, dans un petit livre paru en février dernier (2014). « L’égalité est une tarte à la crème », écrivent-elles. « Elle n’existe pas. Nous sommes égaux devant Dieu, mais sur la terre nous avons des fonctions distinctes à assumer. »

    LE DROIT AU COCUFIAGE

    De leur point de vue, « nous sommes accablés de mensonges sur la condition féminine ». Les "droits" dont on nous raconte sans cesse la conquête n’en seraient pas vraiment... « Croyez vous que le droit de vote soit un progrès ? », nous demande Anne Brassié ; ce n’est jamais que « le droit de se faire cocufier » ! Au Moyen Âge, nous rappelle-t-elle, « la femme avait son héritage, elle le gérait, et son mari n’avait rien à dire ». Mais en dépit des mystifications républicaines, les inégalités salariales ne sont-elles pas de flagrantes injustices ? « La vérité oblige à dire que ces mêmes femmes » qui en seraient victimes « choisissent des fonctions moins prenantes pour rentrer plus tôt chez elles auprès de la petite famille qui les attend », répondent les auteurs. Stéphanie Bignon nous a rapporté en avoir discuté avec ses collègues de travail. « Ne croyez-vous pas que le salaire est ailleurs ? », leur a-t-elle demandé. Hélas, regrette-t-elle, « notre société ne reconnaît que la valeur financière ». Cela étant, les hommes ne pourraient-ils pas passer eux-mêmes davantage de temps au foyer ? « Il faut aussi apprendre aux chiens à ne pas pisser dans un jardin », rétorque Anne Brassié. « Il y a des choses qui se font depuis toute éternité qu’on ne change pas », affirme-t-elle. « L’éducation n’est pas en cause mais la chimie », est-il précisé dans le livre. « En effet, la biologie est essentielle dans le déterminisme du sexe. »

    « Nous voulons défendre la liberté de chacune et permettre la libre expression des vocations profondes », expliquent les auteurs. Or, celle des femmes peinerait à s’épanouir aujourd’hui. À la différence d’Éric Zemmour, Stéphanie Bignon ne croit pas que la société se soit "féminisée". « C’est l’inverse », nous dit-elle. « Nous vivons dans un monde uniquement masculin, tourné vers la performance, la vitesse, etc. » Travaillant sur des chantiers sous-marins, elle revendique un rôle protecteur à l’égard des ingénieurs qu’elle encadre - ses « petits poussins », comme elle les appelle –, veillant tout particulièrement à la sécurité. « C’est cela être femme ! Je fais mon métier au-delà de la nécessité de gagner de l’argent, pour protéger la mer et les générations futures. »

    L’HISTOIRE PLANIFIÉE ?

    Enthousiaste, passionnée même, elle considère la société actuelle avec une profonde indignation. « Les gens n’ont jamais été aussi emprisonnés, aussi peu libres que sous cette république décadente », déplore-t-elle. « On leur a appris à ne pas vivre de leur travail. Voilà ce dont il faut nous libérer ! Apprenons à faire sans l’État, refusons les aides ! Si les agriculteurs avaient réagi ainsi il y a vingt ans, l’agriculture n’en serait pas là... » Autrement dit, « la libération ne se fera que par le travail de chacun ». Plus précisément, c’est « à l’intérieur de nous-mêmes » que la « reconquête » serait à mener.

    La foi irrigue chaque page de l’ouvrage. Elle inspire même le regard porté sur l’Histoire, qui n’est pas sans rappeler celui d’un Pierre Hillard, par exemple. « Ce n’est pas un hasard si on en est arrivé là », écrivent Anne Brassié et Stéphanie Bignon, fustigeant l’évolution des mœurs. « Certains se sont fixé un tel objectif », affirme-t-elles. « Dans le rôle du chef d’orchestre on trouve, au fil de l’histoire, des francs-maçons. Systématiques dans leurs intentions, efficaces dans leurs actions, ils ont tout annoncé clairement. » Leur motivation ? « Jouir sans entrave », nous souffle Anne Brassié. En effet, nous explique-t-elle, « vous ne pouvez pas jouir librement d’une femme si elle ne prend pas la pilule, si elle ne peut pas avorter ». En réaction, donc, « il nous faut remettre Dieu dans la sphère publique », clament les auteurs. « On nous dit souvent que la France a traversé des périodes difficiles », poursuit Stéphanie Bignon. « C’est vrai, mais la France a toujours été croyante. Sans retrouver Dieu, on ne retrouvera pas de Jeanne, on ne retrouvera rien », prévient-elle.

    MAURRAS EN MER

    « Je suis devenue royaliste en lisant Charles Maurras, dont j’avais emporté les livres en mer », nous a-t-elle raconté. « Ce faisant, j’ai pu découvrir tout un univers. J’ai tiré les fils de la bobine... Je n’avais fait ni ma confirmation, ni ma première communion. Grâce à Maurras, je suis remontée à l’essentiel, c’est-à-dire notre religion catholique. Cela m’est apparu aussi évident que le fait d’être royaliste. » Quoique cela nous éloigne du "politique d’abord", les institutions sont toujours en cause. « L’Ancien Régime et la République fonctionnent différemment, l’un sur l’ordre naturel, la famille, le pouvoir reçu de Dieu et le bien commun, l’autre sur les partis, les luttes d’intérêts et le profit », soulignent les auteurs. « L’un admet l’imperfection des choses de ce monde, l’autre prétend à la perfection et nous impose une marche forcée ver l’utopie égalitariste. » Fussent-ils agnostiques, c’est une analyse que partageront vraisemblablement la plupart des esprits formés à l’école d’Action française.

    Propos recueillis par Grégoire Dubost - L’AF 2883 - Journal d’un eurosceptique désabusé

    Stéphanie Bignon, Anne Brassié, Cessez de nous libérer !, éditions Via Romana, 166 pages, 12 euros.

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Khmers-roses-L-Inter-LGBT-veut

  • [Média] Prospectives Royalistes de l’Ouest

     

    Le numéro n° 42 du nouveau journal royaliste unitaire centré sur la région ouest BRETAGNE-LOIRE ATLANTIQUE-VENDEE vient de sortir.

    Vous pouvez le télécharger ici

  • De la "Révolution guillotinière" à la philanthropie eugéniste

    La Révolution de 1789 ne fut pas une simple révolte contre un ordre ancien ; elle fut la déification de la révolte contre toutes les lois de la nature, contre toute transcendance et toute tradition ; il s'agissait essentiellement de refaire la création à l'image et à la ressemblance de l'Homme. Au service d'un tel "projet", les pires crimes devenaient des actes sublimes et, depuis la publication en janvier dernier du Livre noir de la Révolution française, nul ne peut croire que les atrocités de 1793 aient été de simples "bavures" dans le déroulement d'une entreprise valeureuse.

    Le professeur Xavier Martin, historien des idées politiques, l'un des auteurs du Livre noir, s'est déjà montré iconoclaste au sujet des années révolutionnaires, comme de celles du Consulat et de l'Empire. Son abondante érudition – il a lu et décortiqué tous les auteurs des "Lumières", analysé toutes les correspondances des acteurs de ce temps, tous les débats d'assemblées –, jointe à une grande finesse d'analyse, est déjà à la source d'ouvrages fondamentaux : Nature humaine et Révolution française, Sur les droits de l'homme et la Vendée, L'Homme des droits de l'homme et sa compagne, Mythologie du code Napoléon, Voltaire méconnu... dont nous avons rendu compte en leur temps. Voici qu'il "récidive" en s'en prenant à la volonté révolutionnaire de Régénérer l'espèce humaine*. L'ouvrage, sous-titré Utopie médicale et Lumières (1750-1850) montre déjà combien le matérialisme caractérise la pensée des élites de ces années-là.

    L'homme ? Une boue organisée

    Tout part du postulat nominaliste énoncé tout au long du XVIIIe siècle : il n'y a que des individus dans la nature, donc que des atomes sans volonté relationnelle. Le couple, la famille, la société ne sont pas naturels, ce ne sont que des agrégats d'individus juxtaposés par convention (par contrat, mot alors à la mode), mais cette complexité est une « dérive ». Il va falloir, explique l'auteur, « refaire du simple en tous domaines et notamment, quant au social, en déduisant rationnellement le collectif d'une connaissance mieux approfondie de l'individuel ». Or, qu’est-ce que l'homme-individu, considéré hors de toute transcendance et de toute appartenance affective, sinon « de l'organique pur », un « agencement d'organes », une « organisation », « un peu de boue organisée », comme disait La Mettrie, philosophe et médecin lui-même ? L'on voit à quelle déperdition de densité humaine aboutit une "philosophie" qui fait tout dépendre, comme disait Voltaire, des « organes » : le corporel, l'intellectuel, le sentiment, le goût, les opinions...

    Allons plus loin : tout dans la « machine » humaine n'est que « sensations ». On lit chez d'Holbach : « Toute sensation n'est qu'une secousse propagée jusqu'au cerveau ; toute idée est l'image de l'objet à qui la sensation et la perception sont dues. » Helvétius va plus loin : l'homme lui-même est réductible à ses sensations, donc à son aptitude organique à les éprouver... Il va sans dire que chez un homme ainsi considéré comme ne dépendant que de ses nerfs, le libre-arbitre n'existe pas, et d'Alembert a clairement expliqué que « l'existence de la liberté n'est qu'une vérité de sentiment » (sic). Voilà le genre d'inspirateurs que la Révolution allait se donner quelques décennies plus tard pour conquérir la "Liberté"...

    Les « législateurs de l'univers » 

    Alors, si tout en l'homme n'est que question d'agencement de fibres, les médecins peuvent prétendre être les mieux placés pour mettre cet homme en état d'être un bon citoyen, donc pour jouer un rôle auprès des hommes d'État réformateurs, puisqu'ils ont selon d'Holbach « la clef universelle de l'esprit humain ». À eux doit revenir aussi le soin de veiller à l'éducation des enfants, cette « matière première » dont Le Peletier de Saint-Fargeau devait dire sous la Révolution qu'elle peut être usinée pour les divers besoins sociaux. Xavier Martin voit poindre ici une « pédagogie totalitaire », avec le concours de médecins se croyant une vocation de conseillers anthropologiques auprès des gouvernants, voire de « législateurs de l'univers », comme devait les appeler un jour Joseph Fiévée. Et voici que la Révolution allait ouvrir à de telles prétentions un champ d'action illimité...

    Xavier Martin observe que la médecine fut très présente dans l'atmosphère mentale de la rhétorique révolutionnaire. Les médecins eux-mêmes n'étaient pas en grand nombre dans les assemblées, mais sont restés sinistrement célèbres. Apparaît tout de suite le prétendu médecin Marat, le « symbole de la haine sanguinaire délirante » ; ce passionné d'expériences physiques disait vouloir que l'anatomiste « dévoil[ât] les ressorts secrets qui meuvent l'âme ».

    Un « supplice d'égalité »

    Puis voici le bon Guillotin, si gentiment préoccupé des conditions d'hygiène de la salle des débats. À ce propos, il nous revient que ce brave homme avait déniché le 17 juin 1789 la clef de la célèbre salle du Jeu de Paume à Versailles où les députés s'érigèrent aussitôt, illégalement d’ailleurs, en assemblée nationale jurant de donner une constitution à la France : c'était déjà dresser la nation en un seul corps face au roi qui en avait toujours été la tête au-dessus des divers ordres. On séparait déjà la nation de sa tête... Tout un symbole !

    Mais revenons à M. Martin qui nous présente Guillotin subtilisant à un autre médecin la renommée de l'invention philanthropique qui permettrait désormais « un supplice d'égalité, d'humanité ». Les débats furent toutefois acharnés tout au long de la Révolution sur les bienfaits de la machine : une tête fraîchement coupée ne continue-t-elle pas de sentir ? Et pourquoi, lorsque Charlotte Corday fut décapitée pour avoir poignardé Marat, sa tête tranchée avait-elle rougi d'indignation quand le bourreau l'eut souffletée ?...

    Discours "médical" encore, celui qui se mit à établir entre l'homme et la femme un rapport d'étrangeté absolue. Dix ans plus tard le Code civil en resterait marqué.

    Discours médical aussi, celui sur la nation elle-même, et cela dès avant les États Généraux avec la brochure de Sieyès Qu'est-ce que le Tiers État ? On y lit : « Jamais l'on ne comprendra le mécanisme social si l'on ne prend pas le parti d'analyser la société comme une machine ordinaire. » Le savant Volney, quant à lui, faisait dépendre de la physique les principes de la morale, ce qui revenait à enlever à celle-ci son identité propre. Le comble du matérialisme...

    Il n'est pas jusqu'au calendrier révolutionnaire qui n'ait eu pour mission « d'harmoniser mécanique humaine, mécanique sociale et mécanique cosmique ». Les discours abondent où la société était assimilée à un corps dont les subdivisions seraient comme des « houppes nerveuses » envoyant les sensations au centre commun. Bien sûr, remarque Xavier Martin, cette idée de corps politique ruinait tous les corps intermédiaires représentant les forces vives de la nation. De là le centralisme jacobin...

    Le grand déblaiement

    Rien n'est innocent dans le langage : assimiler la nation à un organisme revient évidemment à parler de ses imperfections comme de maladies qu'il faut neutraliser, voire extraire, afin de ragaillardir le corps, de le "régénérer". Là est le maître-mot de la décennie. « Le terme est porteur, explique M. Martin, d'une forte charge de radicalité, en connexion avec l'aspect fondamental de table rase, donc de fondation, de refondation simplificatrice d'un donné social vétuste et complexe [...] C'est de façon logique que l'esprit fondateur de la Révolution justifie la violence initiale, laquelle techniquement est nécessitée par un besoin fondamental de "déblaiement". » Apparaît l'ombre des Carrier, Westermann, Turreau et autres massacreurs de la Vendée, ces gens dépourvus de tout état d'âme, convaincus d'accomplir une oeuvre philanthropique, de servir le progrès de l'humanité et de créer « un nouveau peuple », comme disait Le Peletier de Saint-Fargeau avant d'aller rejoindre Louis XVI outre-tombe le soir même du 21 janvier 1793.

    Qui dit régénération ne sous-entend évidemment pas médecine douce. Mais la Révolution alla plus loin : c'est « ontologiquement » qu'elle se fit « guillotinière », selon l'expression du conventionnel (et médecin !) Baudot, lequel se déclarait prêt à faire guillotiner le quart de la population alsacienne, dont un bon contingent de juifs... (Ce fut cela aussi, la Révolution !) Saint-Just exprima la "pensée" des régénérateurs avec une remarquable franchise : « Ce qui constitue une une république, c'est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » Exterminer devenait une bonne action, il fallait même oser haïr l'homme lui-même, selon le mot du marquis de Sade, tout à fait dans l'air du temps : « L'extinction totale de la race humaine ne serait qu'un service rendu à la nature. » Ainsi se trouva épurée pour son plus grand bien la terre vendéenne transformée en cimetière... Ne l'oublions jamais : le recours aux "purges", "vomitifs", bains de sang et autres moyens d'extermination comme moyens de gouvernement, c'est la Révolution de 1789 qui en a donné l'exemple aux siècles suivants.

    De la Vendée à Auschwitz

    En fait était-il besoin du renfort "médical" pour que les Droits de l'Homme débouchassent sur de telles orgies ? Il nous semble que la Déclaration, en écrasant les hommes concrets sous le joug d'une entité collective (la « volonté générale ») et en imposant le dogme de l'infaillible souveraineté du peuple, a engendré la progression de la haine comme moteur de la vie publique. De même en ne reconnaissant d'autre distinction que celle des « vertus » et des « talents », tout en niant toute référence transcendante pour juger des "vertus" de tel individu ou groupe d'individus, les Droits de l'Homme ont laissé place aux critères utilitaires ou idéologiques pour entreprendre une "régénération".

    Ainsi chacun se trouva-t-il invité à ne plus reconnaître comme mesure de la vertu que sa propre adéquation à l'idéologie dominante laquelle faisait alors de n'importe quel envieux, ou de n'importe quel raté, une sorte de surhomme. Tous les génocides du XXe siècle ont fonctionné ainsi. Nous avons vu plus haut les juifs déjà visés par le système. L'historienne communiste Lilly Marcou n'a-t-elle pas écrit que l'impérialisme culturel des Lumières avait « contribué à une nouvelle forme d'antijudaïsme encore plus dévastateur ayant ses fondements dans un nationalisme laïc et xénophobe » (1) ? Et l'historien juif Israël Eldad n'a-t-il pas remarqué que « la dernière pierre que l'on arracha à la Bastille servit de première pierre aux chambres à gaz d'Auschwitz » (2) ?

    "Refaire l'homme"

    Revenons à Xavier Martin qui nous apprend encore mille choses sur les raisons de l'urgence de "refaire l'homme" à partir de 1789. Les travaux préparatoires au Code civil montrent bien le parallèle insistant entre médecine et politique législative. C'est d'ailleurs ce qui inspira l'introduction du divorce dans les moeurs françaises : étant donné que toute volonté relationnelle était considérée comme contraire à la nature, était-il normal, demandait Bonaparte, de forcer à vivre ensemble des êtres « organisés à part », tels que l'homme et la femme ? Notre actuel spécialiste en familles recomposées, Nicolas Sarkozy, a, en ce qui le concerne, résolu la question...

    L'idée se fit jour, alors, que les lois pouvaient déterminer les comportements (quid de la liberté ?) ; on allait « perfectionner l'espèce » et créer « un monde sans faute », d'abord en modifiant l'homme, entreprise jugée possible puisque, selon le docteur Cabanis - un disciple de Rousseau proche de Bonaparte -, « de tous les animaux, l'homme est le plus susceptible de recevoir toutes les empreintes imaginables ». On commencerait bien sûr par la jeunesse que le jacobin Bourdon voulait rendre « libre et docile », ce que M. Martin traduit par librement modelable, afin qu'elle se prête d'elle-même aux pulsions qu'on lui donnerait et qui, d'après d'Holbach ou Condillac, la rendraient forcément heureuse, puisque conditionnée par une passion abstraite, celle - ne riez pas - de la Liberté !.... Voilà donc l'État promu éducateur de la nation dans sa totalité, avec pour mission de régénérer même l'entendement humain. À cette fin fut créée en 1795 l'École normale (l'école qui normalise...) ; elle ferma ses portes au bout de trois mois, mais on sait depuis deux cents ans que l'idée a fait son chemin...

    Des hommes pour la pensée unique

    Vint ensuite le "médecin philosophe", ce Cabanis déjà cité, lequel allait enfin expliquer ce qu'était la perfectibilité de l'homme... L'hygiène et l'éveil des sens, autant que l'éducation et les techniques de manipulation, fêtes civiques et uniformes, devaient rapprocher toujours plus l'homme d'un « type parfait ». Mais cet homme était appelé à s'épanouir au sein de masses, de collections, d'agglomérats donc d'abstractions, seules pouvant exister dans un monde qui condamnait les communautés naturelles comme non naturelles. N'avait-on pas entendu quelques années plus tôt Allarde, l’un des deux destructeurs des corporations, dire qu'il n'y avait plus que des « collections d'individus » ? Vouloir créer un type parfait d'homme (les « hommes supérieurs » rêvés par Helvétius) et en même temps ne parler que d'hommes en troupeaux, cela peut sembler contradictoire. La solution de Cabanis est éclairante sur les futures réformes de l'enseignement en France jusqu'à nos jours. Il s'agissait en fait, explique M. Martin, d'un « parfait type moyen » réunissant en lui la meilleure « intelligibilité » (savoir en somme exceller dans la moyenne, se comporter, selon Cabanis, « de manière optimale » dans la moyenne...) et la meilleure « gouvernabilité », autrement dit la docilité. Il était bien entendu qu'il n'y aurait nulle place pour la fantaisie dans cet univers de remodelage, tout juste bon pour des « robots supérieurement téléguidables » - les hommes aujourd'hui sans visage de la "pensée unique"... Ce que les utopistes de la Révolution et du Consulat n'ont pas su créer parce qu'ils finirent par faire peur, les idéologues de notre temps, capables de la manière soft, ne sont-ils pas en train de le réaliser ?

    Le tri des reproducteurs

    Il est d'autres considérations qu'aborde Xavier Martin et qui font froid dans le dos tant elles sont devenues actuelles deux cents ans après. Régénérer l'espèce humaine, cela pour beaucoup viendrait nécessairement du bienfait même des lois nouvelles, car la pensée juste et le corps sain se confondraient et la "Liberté" ne pouvait qu'embellir le sang, ce sang qu'il importait d'épurer en se débarrassant du « mauvais lait », du sang impur (air connu) de ceux qui ne goûtaient pas la Liberté... Plus grave encore : la conception nominaliste, donc réductrice, de l'homme avait tant contaminé le siècle des Lumières qu'on ne croyait plus guère dans le monde révolutionnaire à la réalité d'une nature humaine. L'avortement, déjà !, était dédramatisé, et, à demi-mots, l'eugénisme également. Tandis que Condorcet souhaitait débarrasser la terre des hommes inutiles et mal faits, d'autres voulaient envoyer dans les guerres napoléoniennes des régiments de borgnes et de boiteux pour conserver les hommes beaux et forts. De là à parler de trier les reproducteurs, il n'y avait qu'un pas que d'ailleurs Voltaire avait naguère déjà franchi. De son côté, dans son Contrat social Rousseau avait dit que la vie devait « devenir un don conditionnel de l'État ».

    Certes, le rendez-vous fut plutôt manqué entre les médecins façon Cabanis et Napoléon, trop prudent pour les écouter, il n'en reste pas moins qu'ils ont laissé en France des traces pendant tout le XIXe siècle (l'auteur en cite des exemples stupéfiants). Léon Poliakov, analysant le Mythe aryen voit en Cabanis « le relais entre le scientisme des Lumières et le racisme scientifique et eugéniste du nazisme ». Xavier Martin a ici le courage de dire ce que l'on ne dit jamais, par exemple que la fondatrice du Planning familial, Margaret Sanger, « admirait l'eugénisme hitlérien ». Et cette généalogie des horreurs n'est pas close à l'ère des manipulations génétiques en tous genres...

    Assurément ce livre nous plonge en plein coeur de l'actualité, mais surtout il dérange, parce qu'il montre tout simplement que la Révolution commencée en 1789 n'a jamais été réellement close et qu'elle sévit en douceur sous nos yeux plus que jamais. On n'en sortira qu'en rejetant les idéologies dominantes et en retrouvant la liberté de voir les hommes comme ils sont.

    Michel Fromentoux L’Action Française 2000 n° 2744 – du 20 mars au 2 avril 2008

    * Xavier Martin : Régénérer l'espèce humaine – Utopie médicale et Lumières (1750-1850). Éd. Dominique Martin Morin, 384 pages, 27,50, euros.

    1) Lilly Marcou : Napoléon et les juifs. Éd. Pygmalion, 2006.

    2) Israël Eldad : Essai sur la Révolution juive. Cité par Michel Gurfenkiel dans Le Livre de la mémoire. Éd. Valmonde, 1993.