culture et histoire - Page 1593
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L'Etat de Nature selon Hobbes - Philosophie Politique [2]
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Introduction à l'Etat de Nature - Philosophie Politique [1]
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Libéralisme, croissance, mariage gay, les trois faces d’une même pièce (mais si, ça existe, une pièce à trois faces…)
Je suis toujours effaré de voir mes camarades de lutte contre le mariage gay, la GPA et la "théorie du genre" ne jurer que par le libéralisme. J’ai l’impression de voir des gens qui crient – à raison – au feu tout en déversant de l’essence par camions-citerne entier.
Le libéralisme est une théorie certes plaisante, voire convaincante, mais elle ne l’est que dans un contexte donné : celui d’une communauté de personnes à faible étendue. Un pays, par exemple, mais idéalement à échelle encore plus réduite, tout simplement parce que cette théorie a été établie à une époque où l’homme vivait dans un monde immense, trop grand pour lui, et où les échanges ne pouvaient donc globalement se faire qu’à des distances réduites. Le pétrole a fait sauter ce mur de la distance ; on va plus rapidement aujourd’hui de Paris à Tokyo qu’on allait il y a un siècle de Paris à Marseille.
Ça change tout : alors que le mécanisme de régulation naturelle sur lequel repose le libéralisme fonctionnait dans un espace uni, où la concurrence pouvait jouer pour maintenir des prix raisonnables, et où les prix ne pouvaient pas monter en laissant les salaires trop à la traine, ce n’est plus vrai aujourd’hui. Ceux qui achètent ne sont pas ceux qui produisent, et on peut donc payer une misère ceux qui produisent tout en vendant le produit une fortune, parce que les producteurs et les acheteurs n’ont pas le même référentiel. La régulation naturelle ne marche plus.
On m’objectera qu’il y a toujours eu des échanges internationaux, et que ça s’appelait le commerce. Certes, mais la différence est que dans le commerce, les deux parties y gagnent : le vendeur écoule sa marchandise, s’enrichit et fait travailler ces proches ; l’acheteur acquiert un produit qu’il ne peut pas fabriquer lui-même. Le régulateur naturel dans ce cas est celui de l’espace-temps, qui fait augmenter la valeur du produit. Si ce produit est trop cher, l’acheteur fera mieux de le produire lui-même, s’il le peut. Et s’il ne peut pas, il n’achètera plus, et le vendeur aura intérêt à baisser le prix, mais pas trop pour que lui et ses proches continuent à y gagner dans l’échange. Aujourd’hui, les échanges internationaux ne sont plus gagnant/gagnant, ils sont perdant/gagnant-puissance-dix/perdant. L’acheteur paie au prix fort ce pour quoi le producteur a été payé au prix faible, et c’est l’intermédiaire qui se remplit les poches.
Précisons également que ces libéraux ont raison de faire remarquer que la France n’est pas un pays libéral : c’est vrai. Mais ils oublient justement que cette notion de pays, au niveau économique, ne veut plus rien dire. L’économie est mondiale, et à ce niveau-là le libéralisme est bien en place. Les rares instances de régulation mondiales sont bien faibles et complètement dépassées.
Enfin, ils semblent ne pas voir une dernière chose, qui me semble pourtant fondamentale : dans un monde sans morale, le libéralisme ne peut que mener au libertarisme. Quand plus rien ne vient poser de limites et de cadre, la seule règle qui reste est celle de l’offre et de la demande. L’infidélité existe, pourquoi ne pas en faire un business ? L’homosexualité existe, pourquoi ne pas faire de business autour ? Les couples homosexuels ont aussi envie d’avoir des enfants, pourquoi ne pas leur donner la possibilité d’en avoir contre rémunération ?
Ce cadre moral est d’autant plus difficile à trouver à l’échelle du monde que les repères peuvent changer selon les civilisations. À une époque où globalement on échangeait entre gens d’une même culture et d’une même religion, les cadres étaient les mêmes pour tout le monde et les dérives soit étaient évitées, soient mourraient vite sous l’opprobre publique. Aujourd’hui, un habitant d’un pays résolument féministe pourra très bien aller vendre des pierres pour lapider les femmes dans un pays où ça se fait encore, en les faisant fabriquer dans un pays où on n’est pas tellement regardant sur ce genre de choses. L’exemple est exagéré, évidemment, mais le mécanisme n’en est pas moins vrai.
Bref, le libéralisme contient en lui-même ses propres dérives, que ses penseurs n’ont peut-être pas anticipées mais qui n’en restent pas moins inévitables, surtout dans le contexte actuel, qui n’a plus rien à voir avec celui que ces théoriciens avaient sous les yeux.
J’évoque également la croissance dans mon titre, pour une raison très simple : elle est un dogme absolu pour ces mêmes camarades de lutte. Pour leur défense, je précise qu’elle l’est pour absolument tout le monde, de François Fillon (j’en parlais ici en octobre 2012) à Arnaud Montebourg (qui a déclaré qu’il sera "un militant de la croissance" pas plus tard que ce matin) en passant parMarine le Pen en 2013. Bref, tout le monde ne parle que de croissance, qui serait absolument la seule solution pour nous sortir de là. Tout le monde sauf Mélenchon.
En clair, aujourd’hui, dans le petit cercle des opposants au gouvernement, si tu n’es pas complètement acquis au libéralisme et que tu ne rêves pas toutes les nuits d’un retour de la croissance, tu as intérêt à continuer à faire rouler la discussion sur le thème "Hollande démission Valls aux chiottes franchement la gauche c’est des salauds". (Heureusement – ou peut-être pas -, ce n’est pas trop compliqué…)
Eh bien j’affirme aujourd’hui que c’est complètement contradictoire de lutter contre le mariage gay, la GPA et le genre tout en ne jurant que par le libéralisme et en invoquant la croissance comme le Peau-rouge invoque le grand Nanabozo.
- Nous combattons le mariage gay, la GPA et le genre au nom du réel. Nous croyons que les choses ont une essence, contre laquelle on ne peut pas aller. Un couple homosexuel ne sera jamais le point de départ d’une famille, et n’a donc aucune raison de voir son amour reconnu par la société ; une enfant n’est pas un dû mais un don, et un don à la valeur inestimable, on ne peut donc pas le produire sur commande et le vendre ; le sexe de la personne le défini bien plus que n’importe quoi d’autre, et les deux sexes sont différents, on ne peut donc faire comme si être un garçon ou une fille ne changeait rien au fond.
Et dans le même temps, on promeut une vision du monde en refusant de voir ce que son application produit dans le réel. On continue à s’agripper à des théorie formulées à une époque révolue en feignant d’ignorer qu’un changement aussi absolu de contexte ne peut que remettre en cause le réalisme de cette théorie. On refuse de constater que ce qu’on défend et promeut conduit invariablement à ces choses qu’on combat par ailleurs.
- Nous combattons le mariage gay, la GPA et le genre parce qu’ils forgent – autant qu’ils en découlent – une vision de l’homme libéré de toutes ses limites, celles que nous avons exposées juste ci-dessus : un homme n’est pas et ne sera jamais une femme, un couple homosexuel n’aura jamais d’enfants. Et dans le même temps, nous pleurons parce que le réel nous rappelle soudainement que le monde est limité, que la richesse est limitée, que l’énergie est limitée. Le dogme de la croissance, c’est justement cette idée que rien n’est limité, qu’on pourra chaque année avoir un peu plus que l’année précédente. On aurait même voulu que "la croissance ne diminue pas", c’est-à-dire qu’on croyait à une croissance exponentielle. Or, par définition, une exponentielle tend vers l’infini.
On voudrait tendre vers l’infini, avoir chaque jour plus que la veille, et dans le même temps on gueule parce que les homosexuels eux aussi voudraient abolir leurs limites, ou parce que Najat et Peillon veulent abolir les limites de nos enfants, limites dont la plus évidente est celle-ci : je suis né garçon, je ne serai jamais fille, et inversement.
Je le dis donc clairement, officiellement, solennellement : je suis anti-libéral et décroissant. Et ce n’est pas en dépit de mon engagement pour la famille, engagement parait-il "bourgeois" et "de droite", mais bien en raison de cet engagement. C’est cet engagement qui m’a amené à cette conclusion.
Je précise que d’autres ont fait le cheminement inverse : partis de la décroissance et de l’anti-libéralisme, donc de "la gauche" et de "la révolution", ils ont fini par combattre contre le mariage gay, la GPA et le genre. C’est le cas par exemple de Patrice de Plunkett ou de Vincent Cheynet, rédacteur en chef du journal la Décroissance, qui a publié il y a peu ce bouquin, que je ne saurais trop vous conseiller d’acheter (c’est possible en cliquant ici) :
Source: Le blog de Fikmonskov
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« Il n’y a pas de nation sans préférence nationale »
Frontières, nation, identité, appartenance. Alain Finkielkraut n’a pas peur des mots. Seulement de la réalité qu’ils véhiculent.
Il est inquiet, Alain Finkielkraut. Inquiet et aussi, passablement agacé. En cause : les menaces qu’il estime peser aujourd’hui sur la société française et notre incapacité à les reconnaître et à les nommer ; à voir la réalité et à la dire. En tête de sa black-list, – livrée en octobre dernier dans L’Identité malheureuse – le phénomène de “désaffiliation” qui sévit en France depuis que s’y érodent l’idée d’enracinement sur un territoire, celle d’appartenance à un peuple et jusqu’à celle de nation elle-même.
Depuis qu’il voit se profiler l’avènement d’une société “multiculturelle et post-nationale” et, avec elle, le risque d’assister au recul du vivre-ensemble, à l’effacement du citoyen et à la généralisation d’une vision purement économique des individus et des liens qui les unissent. Une vision réductrice et dangereuse parce que niant la réalité des différences culturelles et, ose celui qui ne craint pas de déplaire, du fait que “toutes ne sont pas nécessairement compatibles”.
Pour la contrer, le philosophe pointe les dangers – la montée de la francophobie, de l’ultra-subjectivisme, du “risque culturel”… -, dénonce les incohérences – celle qui pousse à refuser l’idée de frontière mais qui incite à militer pour l’exception culturelle, celle qui implique de célébrer la diversité mais qui requiert de nier les différences… – et, au final, en appelle au courage de chacun. Celui qui s’impose, estime-t-il, pour “soustraire la pensée à la tyrannie de la bien-pensance”. Celui sans lequel, il en est persuadé, on verra la société française basculer d’une “communauté de destin” à “une juxtaposition de particularismes”. Ame sensible…
Il est clair que la société française se désagrège petit à petit. Il s’agit, plus encore qu’une “déliaison”, d’une sorte de désaffiliation s’expliquant en partie par le fait qu’on a voulu, en France, neutraliser le sentiment d’appartenance à une nation, à un peuple. Mitterrand avait lui-même résumé cette tendance en affirmant : “Le nationalisme, c’est la guerre.” Cette phrase me paraît injuste à plus d’un titre.
D’une part parce qu’on ne peut mettre sur le même plan la philosophe Simone Weil écrivant l’enracinement et Charles Maurras, théoricien de la révolution nationale et du pétainisme, tout comme on ne peut comparer le rapport à la nation du général de Gaulle et celui du maréchal Pétain. D’autre part, parce que dès lors que disparaît le sentiment d’appartenance à une nation, c’est l’idée même d’une communauté politique qui entre en crise. Il n’y a pas de citoyen du monde, c’est une évidence. Une nation est un espace qui n’est pas infini mais qui, au contraire, est délimité par des frontières faisant qu’au sein de ces frontières, ce qui arrive à l’autre vous arrive à vous-même : les inondations récentes en Sardaigne ont été une catastrophe nationale et non une catastrophe européenne !
Si vous vous élevez au-dessus de cette idée de nation, vous pensez avoir vaincu vos préjugés mais en réalité, vous vous êtes libéré de toute obligation à l’égard de votre pays, si bien que vous n’êtes plus, face au monde, qu’un touriste ou qu’un consommateur. Ce qui représente un des périls de notre époque.
La notion de frontières
Nous sommes traumatisés par les horreurs du XXe siècle mais celles-ci devraient nous maintenir en alerte sur certaines réalités. Le geste inaugural de la Seconde Guerre mondiale fut, on semble l’avoir oublié, les troupes de la Wehrmacht repoussant dans un grand éclat de rire les barrières séparant l’Allemagne de la Pologne, car cette guerre était une guerre impériale contre les nations européennes, au mépris des frontières et, par-delà des frontières géographiques et historiques, au mépris de toute limite. Hitler, c’est l’hubris totalitaire. La démesure. Je crois donc qu’une mémoire véritablement respectueuse de ce qui s’est passé devrait nous emmener à réhabiliter la notion de frontières, ce que nous avons beaucoup de mal à faire.
L’affaire Léonarda en est une illustration. L’interpellation et l’expulsion de cette jeune fille ont ému les lycéens lesquels ont reçu, dans leur mouvement de protestation, le soutien de plusieurs politiques et surtout de nombreux artistes qui, justement, militent pour l’ouverture des frontières. Parmi eux, notamment, des cinéastes tels qu’Arnaud Desplechin, qui sont à l’avant-garde du combat pour la régularisation des sans-papiers, que le mot même de frontière hérisse et qui ne méprisent rien tant que l’idée d’enracinement. Ils sont de plain-pied dans le monde global : très bien ! Mais ces personnalités militent, avec la même ardeur, pour l’exception culturelle. Or qu’est-ce que l’exception culturelle sinon la préférence nationale en matière de cinéma ?
La préférence nationale
C’est une réalité : il n’y a pas de nation sans préférence nationale. Si cette préférence nationale conduit à rejeter l’étranger, elle doit bien entendu être combattue ; mais si elle conduit à faire la différence entre le citoyen avec ses droits et ses devoirs et, précisément, l’étranger, elle est absolument légitime. Car la France est un pays et tout le monde ne peut être français de même que tout le monde ne peut être américain, cela n’aurait pas de sens. Prenez l’Italie. Le pays évoque une civilisation raffinée, une culture cinématographique, une langue, des villes extraordinaires.
On comprend bien, dès lors, que l’Italie n’est pas un droit de l’homme mais une civilisation particulière dont le trésor doit être préservé. Voilà ce qu’il faudrait être en mesure de penser en France. Même ceux qui font profession de transgresser les frontières, dans la mesure même où ils restent des êtres incarnés dotés d’intérêts propres, retrouvent le sens de la nation et de la préférence nationale à l’instant où ces intérêts sont menacés. A ceux-là je demande simplement d’être cohérents. Un intellectuel aujourd’hui n’a pas besoin d’être courageux, c’est la chance de notre génération alors que les précédentes vivaient dans un climat de mort violente ; mais au moins, soyons cohérents !
La crise
Je pense que l’élément identitaire dans la crise que nous vivons actuellement est extrêmement important et qu’il est donc illusoire de penser que cette crise sera résolue le jour où s’inversera la courbe du chômage. La crise économique l’alimente, bien sûr, mais notre principale difficulté se situe ailleurs. Nous sommes tiraillés entre deux anthropologies contradictoires : l’homo oeconomicus et l’homo culturalis. Ceux qui raisonnent en termes purement économiques sont très radicaux.
Je pense notamment à l’économiste Olivier Pastré qui nous expliquait dans une tribune récente qu’il manquerait bientôt 41 millions de travailleurs en Europe et qu’il fallait, par conséquent, encore plus d’immigration. Ouvrir les frontières et non pas contrôler les flux migratoires. Dans l’optique ultra-libérale, chacun cherchant à maximiser ses intérêts, nous sommes absolument interchangeables. Ainsi, s’il n’y a pas assez d’Espagnols en Espagne, il suffira d’y faire venir des Marocains. Ce qui revient à négliger la découverte par l’ethnologie de la diversité humaine.
La diversité
Nous savons qu’il existe des identités et que la culture façonne les individus. Mais si la culture a ce rôle cela signifie qu’il existe des cultures et qu’elles ne sont pas toutes nécessairement compatibles ; qu’elles peuvent se heurter. Ce qui est précisément en train de se produire en Europe où, sous le drapeau du métissage, nous voyons notre société se communautariser toujours davantage. Il faut comprendre que nous ne sommes pas interchangeables et en tirer les conséquences. Cela ne veut pas dire que les différences culturelles sont impossibles à surmonter. Mais cela signifie – et Lévi-Strauss le savait – que tout est une question de dosage.
Le mode de vie majoritaire
Si nous voulons vivre dans une société relativement harmonieuse, il faut que cette société ait une personnalité visible. Autrement dit, il faut que le mode de vie majoritaire puisse s’imposer, ce qu’il ne pourra faire qu’à la condition, précisément, de demeurer majoritaire. Or aujourd’hui, il y a de plus en plus de lieux, de quartiers, voire de villes où les nouveaux arrivants sont majoritaires.
L’affaire de la crèche Baby-Loup en est un exemple criant. Lors du procès en appel, l’avocat de la jeune femme voilée qui protestait contre son licenciement expliquait benoîtement au magistrat de la cour d’appel que, par son intransigeance, la directrice de la crèche avait mis le feu aux poudres dans la ville de Chanteloup puisqu’elle y avait heurté de plein fouet le sentiment majoritaire. Devant ce type d’argument, on se dit que l’intégration va échouer et que la loi républicaine sera, un jour ou l’autre, contrainte d’abdiquer devant la force du nombre…
Schizophrénie
Nous sommes dans une situation tout à fait étrange. D’un côté nous célébrons les différences, de l’autre nous les désactivons. Les sociologues notamment nous ont appris qu’il n’y a pas d’humanité qui n’appartienne à une culture mais ce sont les sciences sociales aujourd’hui qui réfutent toute interprétation culturelle des comportements humains et qui nous répètent que le problème est de nature économique, sociale ou politique. Et le sexisme dans les banlieues ? Et l’antisémitisme ? Et la francophobie? Ils répondent : tout cela vient du chômage, d’une injustice sociale fondamentale. Le paradoxe est donc saisissant : nous sommes mis en demeure de célébrer la diversité d’un côté et de l’autre, sommés de la nier ; de faire comme si elle n’existait pas. Cette schizophrénie est évidemment au cœur de notre crise.
Etre français aujourd’hui
Il est évidemment très difficile de répondre à la question : qu’est-ce qu’être français aujourd’hui ? L’identité n’est pas une propriété, c’est une question ; quelque chose d’ouvert et d’évolutif. Mais comme l’a dit Régis Debray, ce sont ceux qui maîtrisent le mieux un legs culturel qui sont capables de le dépasser. Plutôt que de parler de roman national je dirais donc que nous sommes, nous autres Français – Français de souche, car cela existe, ou Français de fraîche date, comme moi – dépositaires d’un grand héritage culturel. La France est une civilisation, ce qui est une chance. Certains peuples, au XIXe siècle, ont dû aller chercher leur identité dans leur folklore mais la France n’en a pas eu besoin : elle a une culture, une littérature, une langue… Je voudrais qu’on ait un peu plus conscience de la richesse de cette civilisation, qu’on ait un peu plus de gratitude pour la beauté de cet héritage.
Surtout, la société française ne peut évidemment pas se résumer à une juxtaposition de particularismes vivant côte à côte, ce doit être une communauté de destin. J’aime beaucoup cette phrase de Raymond Aron qui dit que “renier la nation moderne c’est rejeter le transfert à la politique de la revendication éternelle d’égalité”. Car c’est aussi cela la nation : une communauté dont tous les citoyens sont coresponsables et dont ils déterminent ensemble les aspects essentiels. Dès lors que disparaît ce sentiment de coresponsabilité, le citoyen s’efface.
Lorsqu’il y a eu l’affaire des premières lycéennes voilées, à Creil, j’ai vu la fragilité de la République et je l’ai aimée à partir de là. De même avec la France : c’est la montée de la francophobie, en France même et le sentiment que peut-être nous entrions dans une société multiculturelle et post-nationale, qui m’ont fait mesurer la réalité de mon attachement à cette nation et surtout l’ampleur de ma dette à son égard.
Car j’ai une dette : c’est la langue que je parle, c’est la culture dans laquelle j’ai baigné… Je ne suis pas mon propre créateur, je ne me suis pas inventé, je viens de quelque part et je défends cet enracinement. Les citoyens modernes de France et d’Europe voudraient pouvoir penser le monde à travers les seuls prismes de l’économie, du droit et des droits de l’homme. Autrement dit, ne pas prendre en compte la durée de l’enracinement sur le territoire. Mais en France il y a des citoyens. Un immigré tout juste naturalisé a évidemment autant de droits qu’un Français ayant des ancêtres français, il n’est absolument pas question de contester cette égalité juridique ; mais de l’égalité on veut aujourd’hui aller jusqu’à l’équivalence : “puisqu’ils ont les mêmes droits, ils sont aussi français…”.
Cela n’a pas de sens car, qu’on le veuille ou non, il y a aussi une connaissance par le temps. Lorsqu’on immigre en France, c’est bien pour rencontrer cette civilisation, cette culture. Pour en faire l’apprentissage parce qu’elle n’est pas vous, qu’elle a un ancrage historique, une profondeur de temps. Or un certain nombre d’immigrés aujourd’hui refusent de faire ce mouvement vers la France. Et beaucoup d’intellectuels leur donnent raison parce que, pour eux, seule compte l’égalité juridique.
Etre soi-même un étranger
Il est vrai que si vous vous retrouvez dans un quartier ou dans une ville où les musulmans venus d’Afrique ou du Maghreb sont majoritaires, et s’ils choisissent la voie du fondamentalisme, alors vous vous sentez perdus, plus tout à fait chez vous. Ceux qui raisonnent en termes analogiques concluent à une peur de l’étranger, à un refus de l’autre, mais ce n’est absolument pas cela. C’est le sentiment d’être soi-même un étranger. D’être soi-même, en France, regardé avec curiosité, parfois avec hostilité ; comme un autre. Or on ne peut pas être un autre chez soi, c’est impossible !
Beaucoup voient aujourd’hui dans l’idée même de “chez soi” une première manifestation de fascisme et de racisme, alors que c’est une condition de l’existence humaine. Au nom de l’antifascisme, on doit donc en arriver à nier les besoins de la vie humaine ? A réfuter un certain nombre de conditions requises par l’individu pour s’épanouir ? C’est extrêmement grave.
Crise d’intégration et désaffiliation
Je dirais qu’à l’heure actuelle, un double problème menace la société française : d’un côté une crise d’intégration et, de l’autre, un mouvement accéléré de désaffiliation des individus. Il s’agit d’un problème interne aux démocraties il est vrai, et c’est la conjonction de ces deux mouvements simultanés qui caractérise notre époque. Le résultat en est bien connu : ceux qui pourraient bénéficier de l’héritage culturel national le rejettent, car ils ne veulent pas s’encombrer de ces vieilles lunes, futiles et dépassées. Or pour une société, quelle qu’elle soit, le refus de la transmission constitue un véritable risque d’appauvrissement.
Ce ressentiment contre le “donné” sous toutes ses formes est une des caractéristiques des “modernes” qui ont la volonté d’être entièrement libres pour, au bout du compte, pouvoir s’inventer eux-mêmes. Ce qui explique qu’aujourd’hui, avec le succès de la théorie du genre, même celui-ci est récusé, considéré comme un stéréotype, comme un facteur d’enfermement hérité de l’Histoire. Pour moi, il y a là une forme d’ultra-subjectivisme qui nous vide.
La francophobie
La francophobie est un phénomène très répandu en France que beaucoup ont du mal à reconnaître pour ce qu’il est : un racisme anti-Français. A la faveur de l’affaire Taubira, on a prétendu qu’il n’existait pas. Que seul existait le racisme, effectivement ignoble, dont Christiane Taubira était l’objet, ce qui est absurde et s’apparente tout simplement à un déni de réalité : non seulement cette francophobie existe mais, ce qui est plus grave, elle est relayée en France par ceux-là mêmes qui ont rejeté non seulement le débat sur l’identité nationale – ce qui pouvait se concevoir car il était opportuniste – mais aussi le mot même d’identité nationale en le qualifiant de fasciste. Mais si le concept même d’identité française est fasciste, si l’identité française elle-même est criminelle, il ne reste plus à la France comme solution que de sortir d’elle-même, de renoncer à tout ce qui la constitue, ce qui est une forme de folie.
La tyrannie de la bien-pensance
Dans ce contexte, la notion de courage est essentielle. Pas celle de courage physique qui obsédait ma génération, celle des gens nés après la guerre et qui, des années durant, se sont demandé comment ils auraient su résister face à la torture – question qui m’habite encore. Le courage qui est requis aujourd’hui est d’un autre ordre : il consiste à se montrer capable de soustraire la pensée à la tyrannie de la bien-pensance pour regarder la réalité en face et, ainsi, affronter l’inconnu. Malgré les oukases, les amalgames et les injures dont on peut faire l’objet. C’est cette force et cette volonté qui sont réclamées actuellement, aussi bien de l’homme d’action que de l’homme de réflexion et en tout premier lieu, bien évidemment, du politique.
Je ne suis pas sûr que celui-ci soit à l’heure actuelle en mesure de répondre à cette attente, lui-même étant atteint du syndrome du politiquement correct. Et lorsque je pense à la gauche au pouvoir, je lui accorde des circonstances atténuantes car ses intellectuels ne l’aident vraiment pas à affronter le réel. Au contraire : ils interposent un écran de fumée, fondé sur les traumatismes du siècle passé, entre la réalité et la vision politique. Il faudra pourtant finir par affronter cette réalité. Autrement dit, oser la voir et la dire.
Alain Finkielkraut
http://www.voxnr.com/cc/tribune_libre/EFAZpFkFkuzmVPERRa.shtml
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Vae Victis - De Près Comme De Loin
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"Le capitalisme a organisé la dépendance à l'argent"
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« La Révolution française » de Philippe Pichot-Bravard
Retour sur la Révolution française
« Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu de manière directe ou indirecte, comme modèle la Terreur et comme référence Robespirre. » (Ronald Sécher)
Une révolution sémantique
Une des grandes innovations de la Révolution française réside dans la manipulation sémantique à laquelle ses idéologues se sont livrés. Des mots tels que patrie, nation et peuple ont été redéfinis de façon à les inscrire dans la perspective révolutionnaire.
« Pour les révolutionnaires, pour Brissot, pour Condorcet, pour Guadet, la “patrie” se définit par des idées et non par une histoire, un territoire et une population. La patrie n’est plus la terre des pères mais la communauté des citoyens. Pour les révolutionnaires, les termes patrie, constitution, liberté, pacte social et Révolution sont interchangeables. Cette définition idéologique de la patrie donne à la lutte qui commence son caractère idéologique. L’ennemi n’est pas uniquement en dehors des frontières. Est ennemie toute personne qui n’adhère pas à la Constitution, toute personne qui rejette la Révolution … A l’inverse est patriote toute personne qui adopte les idéaux de la Révolution, où qu’elle se trouve. »
De ces modifications du sens de mots clefs tels que nation ou patrie, il résulte une ambiguïté qui est toujours d’actualité. Quand les hérauts contemporains de l’idéologie révolutionnaire, y compris les souverainistes « chevènementistes », parlent de nation française, ils ne parlent pas de la communauté issue des communautés historiques installées dans les terroirs de France depuis des lustres, ils parlent de l’agrégat d’individus vivant en France aujourd’hui et qui partagent l’idéologie issue de la Révolution française. Ces derniers constituent le camp des républicains, lesquels ont le devoir de dénoncer à la vindicte publique, comme en 1793, les mal-pensants rétifs à l’idéologie des droits de l’homme et à tous les principes issus de cette révolution.
Un gouvernement génocidaire
Jusqu’à la découverte par Reynald Sécher (Vendée : du génocide au mémoricide, Cerf, 2011) à la Bibliothèque Nationale en 2011 des ordres manuscrits signés par Barère, Billaud-Varenne, Robespierre … concernant l’extermination systématique des Vendéens, la justification officielle de ces crimes commis contre une population bien précise reposait sur la nécessité qui s’imposait au gouvernement révolutionnaire d’éradiquer une révolte qui mettait en péril le pays engagé par ailleurs dans une guerre étrangère. Par ailleurs, les historiens favorables à cette révolution ont toujours nié la volonté génocidaire et ont expliqué les crimes commis au sud de la Loire par la médiocrité ou l’extrémisme de certains généraux :
« Ainsi, Jean-Clément Martin fait de la Terreur le fruit conjugué du péril extérieur et de la faiblesse de l’Etat … Cette affirmation n’a qu’un but, explicitement assumé : dédouaner le gouvernement révolutionnaire de 1793 de toute parenté avec les expériences totalitaires du XXe siècle. »
Le problème est que toutes ces justifications ressassées depuis plus de deux siècles sont fausses. Les « grands ancêtres » ont bien inventé le génocide idéologique et les génocideurs soviétiques, chinois ou cambodgiens ont été leurs héritiers, comme l’a dit Alexandre Soljenitsyne lors de son voyage en Vendée. Comme l’a écrit Reynald Sécher : « Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu, de manière directe ou indirecte, pour modèle la Terreur et pour référence Robespierre » et, plus loin : « Si, comme le dit Rafael Lemkin, les génocides ont existé de tout temps, le génocide des Vendéens, lui, est le premier génocide légal, c’est-à-dire voté par les représentants du peuple, et le premier génocide moderne de type proto-industriel ».
Un trotskysme français
Bien avant Napoléon Bonaparte, qui fut dans sa jeunesse un Jacobin très militant, les révolutionnaires ont imaginé d’exporter par la guerre leur révolution dans toute l’Europe pour l’unifier autour des idées révolutionnaires.
« L’Assemblée n’est pas éloignée de croire que les armées révolutionnaires seront accueillies triomphalement par tous ceux qui, hors des frontières, “gémissant sous le joug des despotes ”, mettent leurs espoirs dans la Révolution française. Il suffit à la France révolutionnaire de tendre la main aux peuples pour que les « tyrans couronnés » soient balayés. »
Bonaparte sera fidèle à cette orientation et il tentera de conquérir les esprits en écrasant militairement toutes les monarchies européennes et en imposant les principes révolutionnaires dans le sillage de ses victoires. On sait comment toute cette épopée délirante générée par l’hubris d’un révolutionnaire doublé d’un aventurier s’est terminée : la ruine de la France, une profonde saignée démographique et l’occupation de notre pays par les puissances victorieuses.
Girondins et Jacobins
Beaucoup de gens opposent les Girondins aux Jacobins, en particulier quand il s’agit des libertés locales. Ainsi il y aurait, face au centralisme jacobin, un fédéralisme girondin qui pourrait constituer la base théorique d’une autre façon de concevoir la France. Tout cela est infondé, comme l’a écrit Mona Ozouf et comme le rappelle Philippe Pichot-Bravard :
« Ce qui rapproche les Girondins des Montagnards est plus important que ce qui les éloigne … Née de l’antagonisme entre Brissot et Robespierre à propos de la déclaration de guerre, l’opposition des Girondins et des Montagnards est d’abord un conflit de personnes et de caractères avant d’être un conflit d’idées. »
Les Girondins n’ont jamais été partisans du fédéralisme mais ils ont été accusés de fédéralisme par leurs concurrents jacobins. En réalité, la différence résidait dans le fait que les Girondins souhaitaient la participation des citoyens des villes de province et refusaient le monopole que s’étaient octroyé les révolutionnaires parisiens. Il n’y a pas là d’embryon d’une conception fédérale de la France, contrairement à ce qu’on entend fréquemment. Jacobins et Girondins étaient aussi centralistes et partisans de l’uniformisation les uns que les autres.
Mona Ozouf écrivait dans le Monde des débats de janvier 2001 :
« A l’origine, Girondins et Jacobins n’étaient que deux factions qui se disputaient le pouvoir … En outre, il leur arrivait de partager le même vocabulaire et d’échanger leurs arguments. La République ? “C’est elle qu’il faut envisager sans cesse, avec l’entière abstraction de tout lieu et de toute personne ”. Quel exalté parle ici ? Chevènement ? Pasqua ? Mais non, c’est Buzot, pur Girondin. Il faut donc réviser nos réflexes. Les Girondins ont tous été Jacobins à un moment quelconque, si on entend par là l’appartenance au Club de la rue Saint-Honoré ; Jacobins aussi si on définit le jacobinisme par le patriotisme exclusif et le rêve fiévreux d’une France guerrière rédemptrice de l’humanité. »
La Révolution contre la démocratie
Il est évident pour quasiment tout le monde que la Révolution de 1789 a instauré la démocratie en France. Cette banalité est très contestable parce qu’en fait les révolutionnaires ont mis en place un système représentatif et non pas une démocratie. Ils opposaient de manière très claire celui-ci à celle-là, comme l’expliquait Siéyès dans un très important discours prononcé le 7 septembre 1789. Nous avons hérité de ce système représentatif qui est aux antipodes de la démocratie comme nous le verrons dans un prochain article. Ce système représentatif qui prétend être « la » démocratie est à l’origine du malaise explosif que nous connaissons.
La révolution n'est pas terminée
Vincent Peillon a écrit dans son livre intitulé La Révolution française n’est pas terminée (Le Seuil, 2008) :
« La Révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu […] 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau […]. La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines. »
Et dans le Journal du dimanche du 2 septembre 2012 il précisait sa pensée en déclarant que le rôle fondamental de l’école consistait à « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ». Il nous dit donc très clairement que le projet révolutionnaire de construction (il s’agit bien de constructivisme) d’un homme nouveau que tous les régimes socialistes et communistes ont essayé de mettre en œuvre, à la suite de la Révolution française, est toujours d’actualité. Il s’agit de tirer un trait sur tous les errements hérités de l’histoire pour laisser se développer librement des esprits débarrassés de tous les miasmes du passé.
Nous sommes toujours là dans l’utopie de l’homme nouveau mais V. Peillon l’aborde du point de vue libéral/libertaire qui est marqué par le fantasme narcissique de l’autoengendrement. Cette approche peut sembler plus acceptable que celles des regrettés régimes soviétique et maoïste mais en fait le résultat est le même parce qu’une fois qu’on a dépouillé les enfants de tous leurs héritages, il faut bien combler le vide et c’est là qu’interviennent les pédagogues chargés d’installer dans les jeunes cerveaux un « logiciel » culturel prétendument neutre mais qui est en fait très tendancieux. En quoi la culture très marquée idéologiquement et très contestable de MM. Meirieu et consorts est-elle préférable à la culture issue des familles et des communautés d’appartenance ?
Toute cette entreprise qui se présente comme « libératrice » est en fait une entreprise de « formatage » culturel totalitaire ; les idéologues de gauche, y compris les libéraux-libertaires, sont incapables de se départir de leur tendance maladive à la reconstruction de l’humanité malgré toutes les catastrophes que cette obsession a engendrées dans le passé. Cette tendance constructiviste a sa source dans la croyance selon laquelle l’homme est une tabula rasa au moment de sa naissance ; cette croyance a été démentie par les éthologues, mais Vincent Peillon préfère se bercer des illusions héritées de la philosophie du XVIIIe siècle.
Il est temps d’en finir avec la référence obligatoire et unique à la Révolution française, non pas pour en revenir à l’Ancien Régime, mais pour penser un républicanisme débarrassé de l’idéologie des droits de l’homme, du libéralisme, de l’individualisme et de l’égalitarisme.
Bruno Guillard, 31/3/2014
Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, éd. Via Romana, préface de Philippe de Villiers, février 2014, 294 pages.
Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public. Il a publié plusieurs ouvrages dont une Histoire constitutionnelle des Parlements de l’ancienne France (Ellipses, 2012) et un ouvrage intitulé La Révolution française qui vient de paraître aux éditions Via Romana.
http://www.polemia.com/la-revolution-francaise-de-philippe-pichot-bravard/
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Pierre Hillard présente son nouveau livre : Chroniques du mondialisme
Pierre Hillard est un chercheur en géopolitique, jouissant désormais d’une notoriété certaine.
Nous relayons régulièrement l’actualité et les travaux de ce spécialiste du mondialisme.
Le dernier ouvrage de cet auteur catholique vient de paraître :
Chroniques du mondialisme. 212 p. Ed. Retour aux sources. 19 €.
Pour l’acheter, c’est par ici.Pierre Hillard le présente dans cette vidéo :
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Urbanisme à la française : comment la France est devenue moche (extrait)
PARIS (NOVOpress) – Article de Télérama (une fois n’est pas coutume) de février 2010, posté sur le blogue internationalnews.fr.
Échangeurs, lotissements, zones commerciales, alignements de ronds-points… Depuis les années 60, la ville s’est mise à dévorer la campagne. Une fatalité ? Non : le résultat de choix politiques et économiques. Historique illustré de ces métastases périurbaines.
Un gros bourg et des fermes perdues dans le bocage, des murs de granit, des toits d’ardoise, des tas de foin, des vaches… Et pour rejoindre Brest, à quelques kilomètres au sud, une bonne route départementale goudronnée. C’était ça, Gouesnou, pendant des décennies, un paysage quasi immuable. Jean-Marc voit le jour dans la ferme de ses parents en 1963. Il a 5 ans lorsqu’un gars de Brest, Jean Cam, a l’idée bizarre d’installer en plein champ un drôle de magasin en parpaing et en tôle qu’il appelle Rallye.
Quatre ans plus tard, les élus créent un peu plus au nord, à Kergaradec, un prototype, une ZAC, « zone d’aménagement concerté » : les hangars y poussent un par un. Un hypermarché Leclerc s’installe au bout de la nouvelle voie express qui se construit par tronçons entre Brest et Rennes. Puis viennent La Hutte, Conforama et les meubles Jean Richou… 300 hectares de terre fertile disparaissent sous le bitume des parkings et des rocades. Quelques maisons se retrouvent enclavées çà et là. La départementale devient une belle quatre-voies sur laquelle filent à vive allure R16, 504 et Ami 8. Un quartier chic voit le jour, toujours en pleine nature, qui porte un nom de rêve : la Vallée verte…
C’est à ce moment-là que ça s’est compliqué pour les parents de Jean-Marc. Avec l’élargissement de la départementale, ils sont expropriés d’un bon bout de terrain et ne peuvent plus emmener leurs vaches de l’autre côté de la quatre-voies. Ils s’adaptent tant bien que mal, confectionnent des produits laitiers pour le centre Leclerc, avant de se reconvertir : la jolie ferme Quentel est aujourd’hui une des salles de réception les plus courues de Bretagne. Les fermes voisines deviennent gîte rural ou centre équestre.
La Vallée verte, elle, se retrouve cernée de rangées de pavillons moins chics : « Nous, on a eu de la chance, grâce à la proximité de l’aéroport, les terres tout autour de la ferme sont restées inconstructibles. » Aujourd’hui, quand il quitte son bout de verdure préservé pour aller à Brest, Jean-Marc contourne juste la zone de Kergaradec, tellement il trouve ça moche : « C’est à qui fera le plus grand panneau, rajoutera le plus de fanions. Comme si tout le monde hurlait en même temps ses messages publicitaires. »
Source : internationalnews.fr
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Armées Privées - guerres militaires