(Texte paru pour la première fois le 23 septembre 1901 dans la Gazette de France, puis repris en 1931 dans le recueil Principes, en 1937 dans Mes idées politiques, et enfin dans les Œuvres capitales).
Les philosophes traditionnels refusent constamment de parler des hommes autrement que réunis en société. Il n'y a pas de solitaire. Un Robinson lui-même était poursuivi et soutenu dans son île par les résultats innombrables du travail immémorial de l'humanité. L'ermite en son désert, le stylite sur sa colonne ont beau s'isoler et se retrancher, ils bénéficient l'un et l'autre des richesses spirituelles accumulées par leurs prédécesseurs ; si réduit que soit leur aliment ou leur vêtement, c'est encore à l'activité des hommes qu'ils le doivent. Absolument seuls, ils mourraient sans laisser de trace. Ainsi l'exige une loi profonde, qui, si elle est encore assez mal connue et formulée, s'impose à notre espèce d'une façon aussi rigoureuse que la chute aux corps pesants quand ils perdent leur point d'appui, ou que l'ébullition à l'eau quand on l'échauffe de cent degrés.
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