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géopolitique - Page 822

  • Snowden à Moscou

    Au milieu de son bref été, Moscou est frais et calme. Les trottoirs sont envahis par les tables des bistrots, les clients sont là, joyeux, et les encombrements diminuent quelque peu du fait des vacances. Le seul danger pour les hommes, ce sont les minijupes étourdissantes.

    Dans quelques jours au plus tard, les charmes et les tentations de la ville seront à la portée d'Edward Snowden, qui va recevoir sa carte de réfugié lui permettant de marauder librement à travers toutes les Russies et de se familiariser avec les habitants.

    Ce sera là un dépaysement bienvenu après l'aéroport international de Seremetyevo, où il a été longtemps relégué. C'est un vaste aéroport, et il y a là des malheureux, principalement des réfugiés sans papiers, qui y passent dix ans ou plus, en transit. On a cru un moment que notre héros serait retenu à jamais dans ces limbes. Les Russes et l'intrépide Snowden se regardaient en chiens de faïence, en maintenant les distances, jusqu'au moment où ils ont brisé la glace. Snowden est parvenu à rencontrer quelques représentants du public russe: des membres du Parlement (la douma, en russe), des militants pour les droits humains, des avocats prestigieux.

    Il leur a rappelé qu'il "était habilité à fouiller dans tous vos échanges, à lire vos messages et à entreprendre des poursuites, jusqu'à changer le destin des gens, sans avoir à se justifier." Il a invoqué la Constitution US qui est constamment bafouée par les hommes de l'ombre, dans la mesure où celle-ci "interdit tous les systèmes de surveillance massifs et invasifs". Il a rejeté très justement la ruse légale des tribunaux secrets d'Obama, car aucun secret ne saurait blanchir ce qui est impur. Il a rappelé le principe de Nuremberg: "les citoyens ont le devoir de violer les lois de leur pays pour empêcher des crimes contre la paix et contre l'humanité". Et ce système de surveillance totale est certainement un crime contre l'humanité, la pierre d'angle du régime implacable qu'ils projettent d'implanter sur toute la planète. Lorsque cette déclaration a été interrompue par les haut-parleurs annonçant mécaniquement un vol imminent, il a eu un sourire exquis pour dire: "j'ai entendu cela si souvent pendant toute cette semaine".

    Les Russes l'ont adoré; ils se sont mis à le voir d'un autre œil, comme je le prévoyais quand j'ai lancé un appel pour cette rencontre dans les pages du principal quotidien russe, le KP (Komsomolskaya Pravda). Et maintenant nous apprenons que les Russes ont décidé de lui donner le statut de réfugié et de lui garantir toute liberté de mouvement.
    Pourquoi ont-ils hésité si longtemps ?

    Snowden est un Américain, et les Américains, comme les Anglais, ont de forts préjugés contre la Russie, leur ennemi commun pendant la Guerre froide. Pour eux, c'est le pays du Goulag et du KGB. Les deux menaces se sont évanouies il y a plusieurs dizaines d'années, mais les traditions résistent, parfois sans fin. D'ailleurs le Goulag et le KGB n'étaient guère que des versions modernisées du knout des Tsars et de l'affreux régime des serfs au XIX° siècle, qui peut fort bien être remis à jour par la nouvelle mafia d'État brutale, telle que l'a mise à jour Luke Harding. Pour un Américain moyen, il est pratiquement impossible d'envisager un rapprochement avec la Russie. Surtout pour un Américain qui servait dans les rangs de la CIA et de la NSA, comme c'était le cas de Snowden. Et lui estimait que s'il choisissait d'embrasser la Russie, il perdrait son statut de lanceur d'alerte et serait considéré comme un agent ennemi, ce qui n'était pas du tout la même catégorie.

    La même chose était arrivée à Julian Assange, en fait. Quand il fut proposé au créateur de Wikileaks de trouver refuge en Russie (ce qui techniquement était possible), il remit la proposition à plus tard, traîna des pieds et resta en Angleterre, se montrant de fait incapable de franchir le grand fossé qui sépare l'Ouest de l'Est, l'Orient de l'Occident.

    Snowden ne cherchait pas à se retrouver sous les projecteurs, bien au contraire. Il souhaitait mettre un terme aux crimes commis par la NSA au nom du peuple américain, ni plus ni moins. Il espérait devenir une nouvelle Gorge Profonde, dont l'identité ne serait jamais révélée. Ses premières révélations importantes, il les avait faites par correspondance; il avait pris un avion pour Hong Kong parce que c'est une ville qu'il connaît bien, il parle couramment chinois, et projetait de rentrer ensuite chez lui à Hawaï. Il apparaît que c'est le Guardian (anglais) qui l'a poussé à révéler son identité. Même à ce stade il se croyait encore en sécurité, parce que Hong Kong relève de l'autorité souveraine de la Chine, et la Chine est un État puissant, qu'on ne bouscule pas facilement.

    Les Chinois ont mis à profit les révélations de Snowden pour contrecarrer les accusations américaines d'espionnage électronique, mais ils n'allaient pas mettre à mal leurs relations avec les US pour ses beaux yeux, et ils se sont débarrassés de la patate chaude. Geste final délicat, ils ont eu la courtoisie de lui donner 24 heures pour déguerpir. Il était bien obligé de décamper, et il a sauté dans un vol d'Aéroflot pour Moscou en compagnie de Sarah Harrison, une exquise lady anglaise qui fait partie du comité directeur de Wikileaks.

    Snowden a donc atterri à Moscou, mais n'avait jamais envisagé de demander asile à la Russie. Pour lui, c'était juste une étape vers un pays neutre, l'Islande ou le Venezuela, bref, quelque part en Occident. Il prévoyait de s'envoler vers La Havane et d'y changer d'avion pour Caracas. Il n'avait pas réalisé que l'État profond aux US a le bras fort long, et qu'il était bien décidé à s'emparer de sa personne et à lui appliquer un châtiment exemplaire.

    Au début, les Américains ont exercé des pressions énormes sur Cuba pour que l'escale lui soit refusée. Ils ont menacé Cuba d'un débarquement assorti de blocus complet, et Castro a demandé à Snowden de se chercher un autre itinéraire. Il n'y a qu'Aeroflot qui aurait pu sortir Snowden de Russie, et sa ligne passe forcément par La Havane. D'où l'échec du premier projet.

    Le sommet gazier qui se tenait à Moscou lui offrait une autre issue de secours: il y avait là les présidents de la Bolivie et du Venezuela, qui étaient venus pour la conférence dans leurs avions privés capables de faire ce long vol. Le président bolivien Evo Morales était parti le premier; son avion a été forcé d'atterrir, et fouillé, ce qui constitue un précédent historique inédit jusqu'alors. Ceci a servi d'avertissement pour le président Nicolas Maduro, qui quittait bientôt Moscou sans embarquer Snowden.

    Ce fut une découverte pour Ed Snowden: il a appris à ses dépens qu'il n'y a qu'un pays au monde qui soit hors d'atteinte de l'oncle Sam. Il n'y a qu'un pays qui soit une véritable alternative à l'Empire, le seul pays que ni les bataillons de la Navy ni les drones d'Obama ne bombarderont, le seul pays dont les avions ne peuvent pas être arraisonnés et fouillés. Il était donc prêt à chercher l'entente avec les Russes; il a renouvelé sa demande d'asile provisoire, qui va probablement lui être accordée.

    Les Russes aussi ont hésité. Ils n'avaient pas envie d'irriter les US, ils étaient conscients que Snowden n'avait pas cherché à se rapprocher d'eux, et s'était juste retrouvé piégé lors d'une escale. C'était la patate chaude, et bien des gens étaient convaincus qu'il vaut mieux suivre l'exemple chinois, et l'envoyer ailleurs.

    Le lobby US a tout mis en branle pour le faire extrader. Il y avait des militants pour les droits de l'homme et des membres d'ONG parmi les employés du Département d'Etat. Les Américains mettent ces gens et ces organisation en avant, comme leur cinquième colonne.
    Lyudmila Alexeeva en est un exemple en Russie; c'était une dissidente anti soviétique, elle a obtenu la nationalité américaine, elle est revenue en Russie et a repris sa bataille pour les droits humains et contre l'État russe. Elle crie sur les toits que Snowden est un traître, ne le voit nullement comme un lanceur d'alerte ou un défenseur des droits humains. Et il devrait être renvoyé aux USA, a-t-elle averti. D'autres dissidents notoires et combattants contre le régime de Poutine ont applaudi, et se sont démasqués, apparaissant sous leur vrai jour.

    Il y avait aussi quelques siloviki qui étaient contre Snowden. Ce sont des membres et ex-membres de la communauté des services secrets russes, qui ont endossé le concept de convergence entre services de sécurité, et ont collaboré avec les Américains et d'autres services, en particulier ceux d'Israël. Ils ont dit que la loyauté envers le service auquel on appartient est la vertu la plus importante, et qu'un traître ne saurait être cru. Ils ont souri devant les révélations de Snoden en disant qu'ils savaient tout ça depuis longtemps. Ils ont dit qu'on ne saurait prendre au sérieux son désaccord avec Washington. C'est également la ligne défendue par Konstantin Remchukov, important patron de média, le propriétaire de la Nezavisimaya Gazeta, qui en a rajouté, traitant Snowden d'espion chinois.

    Enfin, on a entendu les conspirationnistes croasser que Snowden est un cheval de Troie, envoyé pour forcer les portes des secrets d'État russes. C'était de fait un agent double de la CIA, arguent-ils. Pas du tout, c'est un agent du Mossad, concluent d'autres encore. Et rendez-le donc aux Américains, assènent-ils. C'est bien là la pierre de touche qui a mis en lumière nombre d'agents américains, qu'ils passent pour des défenseurs des droits humains ou pour d'aussi fallacieux membres des services de sécurité.

    Parmi ceux qui soutiennent Snowden en Russie, on trouve mon ami le poète Eduard Limonov, qui a qualifié Snowden d'annonciateur de l'effondrement du monde unipolaire. Mon journal, KP, a également embrayé. La télévision d'État a choisi une approche prudente, et n'accordait guère de poids aux découvertes de Snowden.

    Le président Poutine a également joué avec précaution. Il a d'abord écarté les rumeurs envisageant la livraison de Snowden à Obama avec une formule laconique: "La Russie n'extrade personne, vers aucun Etat." Puis il a offert l'asile à Snowden à condition qu'il cesse d'attaquer les US. C'est la condition habituelle que l'on pose aux demandeurs d'asile politique. Il a ajouté que Snowden n'accepterait probablement pas, parce qu'il veut continuer à livrer bataille, "exactement comme feu Sakharov", le célèbre dissident de l'ère soviétique. Il a aussi tenté de dissuader les Américains de poursuivre Snowden, comparant cette chasse à l'homme comme" la tonte d'un porcelet", qui déclencherait des hurlements et ne rapporterait guère de laine. La manœuvre a porté ses fruits: Snowden a accepté la condition préalable et a choisi de demander un asile provisoire en attendant que la route de l'Amérique latine s'ouvre devant lui; le président pour sa part a sauvé la face et a fait de son mieux pour éviter une bagarre avec les US et avec le puissant lobby pro-américain de Moscou. Je voudrais dire que malgré son image de macho autocrate, Poutine ne contrôle nullement les media russes libres, qui sont généralement propriété de barons tout-à-fait dévoués à l'Occident. Ses prises de position dans les débats nationaux sont à peine relayées.

    Le dirigeant russe n'a pas cherché la confrontation. D'une façon générale, il ne cherche pas à semer la pagaille. Il se montre plutôt comme quelqu'un de circonspect et porté sur le conservatisme. Il préférerait probablement que Snowden s'envole sous d'autres cieux, d'autant plus que Snowden, qui est un patriote américain, ne partagerait pas les joyaux de la couronne avec les Russes. Il a fait traîner longuement son autorisation protectrice pour que Snowden puisse rencontrer le public russe. Ce qui n'a pas empêche les Américains, tout au long de cette étape, de rajouter des listes entières de noms à la liste Magnitsky, liste secrète de Russes dont les propriétés et les comptes en banques peuvent être confisqués ("gelés" est le terme technique qu'ils utilisent). Les membres du Congrès ont pu déblatérer librement contre Poutine, et diffamer la Russie tout leur soûl. Attendez un peu, vous allez voir qu'Obama va téléphoner à Poutine ce soir et qu'il va nous renvoyer le paquet Snowden aussi sec, disait le porte-parole de la Maison Blanche. Pendant ce temps-là, les US ont continué à échafauder leurs machinations contre la Syrie au Moyen Orient, et Israël a pu bombarder tranquillement les positions syriennes, probablement avec le soutien américain. Au lieu de lui manifester le moindre égard, Obama a essayé d'intimider Poutine. C'était une tactique erronée, et contre-productive.

    Au même moment, la Russie a effectué un contrôle soudain de ses disponibilités militaires, et n'écarte apparemment aucune option. Ce grand pays ne cherche pas la bagarre, mais ne bat pas en retraite non plus. Snowden est en sécurité ici à Moscou, où personne ne peut lui faire de mal, de sorte qu'il va pouvoir exposer devant le monde entier les crimes contre l'humanité commis par les services secrets américains. Et Moscou est un lieu de villégiature exceptionnel, particulièrement en été.

    Israël Adam Shamir http://www.voxnr.com

    Notes :

    adam@israelshamir.net
    Traduction: Maria Poumier

  • Une analyse du coup d'état égyptien

    C'est le 1er juillet que l'armée égyptienne a publié un communiqué que l'on peut considérer comme un ultimatum à destination du pouvoir en place.

    Cette prise de position fut la conséquences des gigantesques manifestations populaires contre le gouvernement de l'époque, ce dernier étant incapable de résoudre les problèmes auxquels l'Egypte était confrontée.

    On ne peut d'ailleurs oublier le résultat de la pétition lancée en Egypte visant le gouvernement qui finit par receuillir 22 millions de signatures. Rien de surprenant quant à ce raz de marée puisque Morsi n'a jamais été considéré comme le chef des Egyptiens mais comme un homme partisan, lié qu'il était, aux frères musulmans. On peut aussi noter que l'opposition a toujours fait preuve de fermeté vis à vis du pouvoir en place, refusant par exemple toute forme de participation. L'étude du processus historique qu'a connu l'Egypte a particulièrement bien été étudié par Alexandre Latsa, dans le cadre d'un excellent article publié ici même (1).

    Evidemment, le cas égyptien qui n'est nullement le seul dans l'histoire, pose la question de ce qu'est réellement la démocratie. Si on vient à faire une comparaison avec la France, on sait que les élections législatives de par leur organisation, constituent le plus souvent un plébiscite, envoyant donc une majorité de députés représentant le président nouvellement élu. Ce résultat n'est en fait valide que le jour où se déroule l'élection et, bien malheureusement, il ne l'est plus durant les mois et années suivants. Si on voulait que la démocratie soit réelle, il faudrait donc que le nombre de députés soit réactualisé au quotidien (position des anarchistes si mes souvenirs sont exacts, ceux-ci considérant qu'un élu du peuple puisse être révoqué à chaque instant). Si on se souvient de l'impopularité des gouvernements de François Mitterrand entre 1982 et 1986, on ne peut oublier le désamour dont fut victime lui aussi Nicolas Sarkozy, dont les sondages indiquaient qu'il n'était crédité que de 40% d'intentions de vote au début de la campagne électorale de 2012.

    Cependant, les gouvernements et assemblées, continuent de prendre des décisions, comme s'ils disposaient de la même légitimité initiale. Autre aspect, d'une part le président élu ne l'est jamais suite à un triomphe – déjà 55% passe pour être un grand succès – mais de plus son élection ne signifie adhésion du corps électoral à l'intégralité de son programme. C'est donc dans ce cadre qu'il faut replacer la prise de pouvoir par l'armée égyptienne et savoir donc, si son putsch, appuyée par l'opinion populaire, était légitime ou non.

    Le problème majeur que nous posent les pays arabo-musulmans et de façon plus générale toute structure du même type, c'est que l'on ne peut avoir une position tranchée sans les étudier en détail, la sphère proche et moyenne orientale étant particulièrement complexe. C'est ainsi que tirer dans le domaine de la géopolitique, une conclusion spontanée suite à l'évocation des termes «arabe» et «musulman» est ridicule. Les arabes comme les musulmans, se situent dans les deux camps, côté nouvel ordre mondial comme du côté de ses opposants. C'est ainsi que personne n'ignore que l'Arabie saoudite est pro-américaine alors que l'Iran ou la Syrie sont en pointe dans la lutte contre l'hégémonie us.

    Dans le cadre des très fameuses révolutions arabes, l'occident a joué les apprentis sorciers. On peut penser ce que l'on veut de la Tunisie, de la Lybie ou de l'Egypte de naguère mais au moins, force est de constater que ces pays étaient à bien des égards contrôlables. Tel n'est plus le cas pour des pays ouvertement islamistes. On sait aussi le jeu des uns et des autres et les alliances malsaines entre intégristes musulmans et matérialistes américains. Ces derniers ne prennent aucun risque à installer au voisinage de l'Europe des structures islamistes et il est vrai que les états unis sont bien à l'abri géographiquement de la poudrière qu'ils ont installée au voisinage de l'Europe. On constate donc une fois de plus, la divergence d'intérêt entre Européens et américains. Et puis s'il faut un argument décisif, pourquoi donc des relations si cordiales entre Morsi symbolisant les frères musulmans, que l'on présente si judeophobes, et Israel ?

    Depuis les accords de Camp David, l'Egypte a cessé de s'opposer et aux américains et aux israéliens. En ce sens, on ne peut plus considérer ce pays comme l'un de nos alliés et ne pouvons que regretter la personnalité phare que fut celle de Nasser. Soucieux de préserver la stabilité de cette zone géographique, les Etats Unis inondent l'Egypte de capitaux par dizaine de milliards depuis plusioeurs décennies, mais aussi forment dans les écoles militaires américaines beaucoup d'officiers égyptiens. Le lecteur comprendra bien qu'une structure dépendant financièrement d'une autre, ne peut plus être autonome. Si l'on peut donc approuver le coup d'état militaire en Egypte, au motif qu'il nous a débarrassé des frères musulmans, la méfiance pour nous, se doit d'être

    Childéric Fonteney http://www.voxnr.com

    note :

    (1) Printemps arabe : l’échec de la démocratie en Orient ? http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFZFulykVuWCDbZpiS.shtml

  • La multipolarité - Résumé des concepts utilisés (Alexandre Douguine)

     

       La distinction faite entre l'expression « monde multipolaire » et une série des termes alternatifs ou similaires nous a permis d'exposer les grandes lignes du champ sémantique au sein duquel nous allons continuer à construire la théorie de la multipolarité. Jusqu'à ce point, nous avons seulement cherché à analyser ce que l'ordre mondial multipolaire n'était pas. Cette approche va nous permettre de distinguer positivement, par contraste, un certain nombre de ses composantes et caractéristiques, dans un premier temps de façon approximative :

       1 - Le monde multipolaire est une alternative radicale au monde unipolaire (qui dans les faits existe actuellement) en raison du fait qu'il défend l'existence d'un nombre restreint de centres indépendants et souverains de prise de décision stratégique global au niveau mondial.

       2 - Ces centres devraient être suffisamment qualifiés et indépendants financièrement et matériellement pour être en mesure de défendre physiquement leur souveraineté dans le cas d'une invasion directe d'un ennemi potentiel, possédant un niveau d'équipement équivalent à celui de la plus grand puissance existante aujourd'hui. Concrètement, ils devraient être capable de résister à l'hégémonie financière et militaro-stratégique des États-Unis et des pays de l'OTAN.

       3 - Ces centres de décision ne devraient pas avoir à accepter comme condition sine qua non, l'universalisme des normes et des valeurs et des standards occidentaux (démocratie, libéralisme, libre marché, parlementarisme, droits de l'homme, individualisme, cosmopolitisme, etc.) et devraient pouvoir être totalement indépendants de l'hégémonie intellectuelle et spirituelle de l'Occident.

       4 - Le monde multipolaire n'implique pas un retour au système bipolaire, car aujourd'hui, il n'y a pas une force unique, sur le plan stratégique ou idéologique, qui puisse à elle seule résister à l'hégémonie matérielle et spirituelle de l'Occident moderne et à son chef : les États-Unis. Il doit y avoir plus de deux pôles dans un monde multipolaire.

       5 - Le monde multipolaire considère avec circonspection la souveraineté des États-nations existants. Cette souveraineté présente un caractère purement juridique lorsqu'elle ne s'accompagne pas d'un potentiel de puissance suffisant, sur les plans stratégiques, économiques et politique. Au XXIème siècle, cette souveraineté formelle n'est plus toujours suffisante pour permettre à un État national de s'affranchir comme une entité véritablement  souveraine. Dans de telles circonstances, la souveraineté réelle ne peut être atteinte que par une combinaison, une coalition d'États. Le système westphalien, qui continue d'exister de jure, ne reflète plus les réalités du système de relations internationales et nécessite une révision.

       6 - La multipolarité n'est réductible ni à la non-polarité, ni au multilatérité, car elle ne confie le centre de la prise de décision (le pôle) ni à un gouvernement mondial, ni au club des États-Unis et leurs alliés démocratiques (« le monde occidental »), ni aux réseaux sub-étatiques d'ONG ou d'autres instances de la société civile. Elle considère que le pôle de décision doit être localisé quelque part ailleurs.

       Ces six points définissent un cadre conceptuel pour les développement ultérieurs et constituent un concentré des principales, caractéristiques de la multipolarité.

       Toutefois, bien que cette description nous rapproche de manière significative dans la compréhension de ce que peut être la multipolarité, elle est encore insuffisante pour être qualifié de théorie. A partir de cette délimitation initiale, nous allons pouvoir développer une théorie complète du monde multipolaire.

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    Alexandre Douguine - « Pour une théorie du monde multipolaire » - Extrait du premier Chapitre "La multipolarité : définition des concepts utilisés" - p. 19 à 21

    The Fourth Political Theory:
    beyond left and right but against the center
    www.4pt.su/fr

    Source: L'Heure Asie

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/

  • Le monde sans le Qatar

    Le subit retrait politique du Qatar hors de la scène internationale a été suivi, une semaine plus tard, du renversement Mohamed Morsi en Égypte. Bien qu’il n’y ait qu’une concomitance entre les deux événements, sans lien de cause à effet, leur survenue change radicalement l’avenir du monde arabe.

    En deux semaines, les Frères musulmans, à qui Washington promettait de gouverner le monde arabe, ont perdu deux de leurs principaux leviers de pouvoir. L’émir Hamad Al-Thani du Qatar a été contraint d’abdiquer le 25 juin, et avec lui son inspirateur et Premier ministre, HBJ. Le 3 juillet, le président Mohamed Morsi a été renversé par l’Armée égyptienne, tandis que des mandats d’arrêt étaient bientôt lancés contre les principaux responsables du mouvement égyptien, dont le Guide suprême de la confrérie, Mohammed Badie.

    Il ne semble pas qu’en poussant l’émir Hamad vers la sortie, Washington prévoyait un autre changement de régime en Égypte. Les États-Unis, qui n’ont pas supporté ses magouilles politico-financières, ont remis le Qatar à sa place de micro-État. Jamais Washington n’a remis en cause l’aide apportée par l’émir aux Frères musulmans, ni leur rôle au Caire, mais juste l’enflure de l’émirat.

    Le rôle des Frères

    Quoi qu’il en soit, l’inattendue accession légale de la Confrérie au pouvoir, en juin 2012, en Égypte, laissait entendre le véritable objectif du « printemps arabe » : une nouvelle ère de colonisation fondée sur l’accord secret des Frères, des États-Unis et d’Israël. Pour la Confrérie, l’islamisation forcée des sociétés d’Afrique du Nord et du Levant ; pour Washington, la globalisation économique, incluant des privatisations massives ; et pour Tel-Aviv, la continuation de la paix séparée de Camp David.

    Il importe de bien comprendre que, ce faisant, « La Confrérie est devenue le fer de lance du sionisme arabe », selon l’expression du penseur libanais Hassan Hamade. Ce que confirme à sa manière le « conseiller spirituel » de la chaîne qatarie Al-Jazeera, cheikh Yusuf al-Qaradawi lorsqu’il prêche que si Mahomet était parmi nous aujourd’hui, il vivrait en paix avec les Israéliens et soutiendrait l’Otan.

    L’idéologie de la Confrérie

    Cette position a été favorisée par la structure des Frères musulmans. Bien qu’elle dispose d’une coordination internationale, la Confrérie n’est pas constituée d’une organisation unique, mais d’une multitude de groupes distincts. En outre, il existe des niveaux différents d’adhésion avec chacun leur propre idéologie. Cependant, tous se retrouvent autour d’une même devise : « Allah est notre but, le Coran est notre loi, le Prophète notre leader, le Jihad notre voie, et le martyr notre plus haute espérance ». En outre, ils se réclament tous de l’enseignement d’Hassan el-Banna (1906-1949) et de Saïd Qutb (1906-1966).

    De facto, la Confrérie est la matrice de tous les mouvements salafistes (c’est-à-dire cherchant à vivre comme les compagnons du prophète) et takfiristes (c’est-à-dire luttant contre les apostats) travaillant avec la CIA. Ainsi Ayman al-Zawahari, actuel chef d’Al-Qaïda, est issu de leurs rangs. Fidèle agent US, il fut l’instigateur de la présidence d’Hosni Moubarak, en organisant l’assassinat d’Anouar el-Sadate. Il est aujourd’hui devenu le chef spirituel des Contras syriens.

    La Confrérie a toujours été minoritaire, dans tous les États où elle s’est développée, y compris en Égypte où elle ne doit sa victoire électorale qu’au boycott des urnes par les 2/3 de la population. Elle a donc suscité, face à des dictatures, toutes sortes de groupes armés qui ont tenté de s’emparer du pouvoir par la force ou la dissimulation. Ce qui caractérise son comportement, c’est que, pour elle, « La fin justifie les moyens ». Dès lors, il est difficile de distinguer, dans son évolution idéologique, ce qui est authentique de ce qui ressort de la séduction politique. Précisément, le cas égyptien a montré que son évolution démocratique était de pure façade, juste le temps d’une élection.

    Surtout, bien qu’il soit au départ un mouvement destiné à lutter contre l’impérialisme britannique, il entra immédiatement en conflit avec le nationalisme arabe, principal adversaire de l’impérialisme dans la région. Comprenant l’usage qu’ils pouvaient faire des Frères, les Britanniques, experts en maniement de sectes, loin de les éliminer, les pénétrèrent et les soutinrent pour lutter contre les nationalistes. Aujourd’hui encore, la coordination internationale des Frères est installée à Londres.

    Le « printemps arabe » (depuis décembre 2010) n’est au fond qu’un remake de l’ancienne stratégie franco-britannique de la « révolte arabe » contre les Ottomans (1916-1918). Sauf que cette fois, le but n’était pas de placer des fantoches pseudo-indépendants à la place de la vieille administration ottomane, mais des fantoches vierges adaptés à la globalisation à la place d’alliés usés.

    Le repli stratégique du Qatar

    Depuis le changement d’équipe au Qatar, l’argent a cessé de couler à flots vers les Frères, que ce soit en Syrie, en Palestine, en Égypte, en Libye ou ailleurs. L’émirat se recentre sur ses ambitions intérieures et prévoit de consacrer 200 milliards de dollars pour préparer la Coupe du monde de football, dans cinq ans.

    Cette soudaine disparition de la scène internationale laisse le champ libre aux Saoudiens et aux Émiratis, qui se sont tous deux précipités pour soutenir le nouveau régime égyptien.

    A contrario, la rivalité entre le Qatar et l’Arabie saoudite a conduit l’Iran à soutenir Mohamed Morsi en Égypte —alors qu’il soutient Bachar el-Assad en Syrie—. Du coup, Téhéran se trouvait plus d’affinités avec le projet des Frères égyptiens « d’islamiser la société » qu’avec celui des nassériens de libérer la Palestine de l’occupation coloniale.

    En définitive, le retrait du Qatar correspond à un rééquilibrage des forces dans le monde anglo-saxon. Successivement, les commissions de contrôle des services secrets au Congrès des États-Unis et à la Chambre britannique des Communes se sont opposées à l’envoi d’armes aux « rebelles » en Syrie.

    La chute des Frères musulmans n’est donc pas seulement l’échec d’une Confrérie, mais aussi celui de ceux qui, à Londres et Washington, ont pensé pouvoir remodeler l’Afrique du Nord et le Proche-Orient, puis à défaut y faire régner le chaos plutôt que d’y perdre la main.

  • Turquie : Erdogan s'impose, l'Europe se tait (archive 2010)

    Le 22 février, la Turquie a procédé à l'arrestation de 64 officiers dont des généraux soupçonnés d'avoir comploté en 2003 contre le nouveau gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdogan, Ils risquent jusqu'à 15 ans de prison.
    Voici encore cinq ans, le général Çetin Dogan était le chef des forces armées turques. Envisageant une retraite paisible, il avait acheté une villa de trois étages au bord de la mer Egée, quand une équipe antit-erroriste a perquisitionné sa belle demeure et l'a arrêté à Istanbul.
    À Ankara, des policiers se sont présentés à la villa du général Ibrahim Firtina, ancien commandant de l'armée de l'air et portant le titre de Pacha : « Vous êtes en état d'arrestation. Vous avez une demi-heure pour vous préparer. Prenez s'il vous plait le strict nécessaire ».
    Özden Örnek, l'ancien commandant en chef de la Marine, était vénéré comme un demi-dieu. Ce vétéran qui mettait encore son uniforme blanc, a été menotté par les forces de l'ordre. En mars 2007, le quotidien Nokta avait déjà publié les plans des conspirateurs, à présent dévoilés. Le chef des services secrets turcs (MIT) en poste en 2003 avait précisé que les préparatifs d'un coup d'État avait été élaborés au sein de la 1ère armée à laquelle appartenait Çetin Dogan. Cette tentative de putsch portait le nom de «Balyoz» (massue). Le général Örnek, accusé d'être la tête pensante du complot, contesta l'authenticité des documents.
    En mars 2009, une junte de la marine fomenta une autre tentative de coup d'État désignée sous le nom de «Kafes» (cage). Elle prévoyait l'enlèvement d'hommes d'affaires, ainsi que des attentats sur les minorités non-musulmanes dans des quartiers d'Istanbul où habitent des chrétiens et des juifs. Les groupes musulmans auraient ainsi été soupçonnés et, sous la pression internationale, le gouvernement aurait démissionné. Le général Ilker Baflbug, chef d'état-major, qui ne croyait pas à la réalité de ces putschs, bénéficie d'une étroite marge de manœuvre. Dans le cadre d'un entretien avec le Premier ministre Erdogan et le président Abdullah Gül qui s'est déroulé le 25 février, il s'est engagé à faire la lumière sur cette conjuration.
    La multiplication des arrestations massives fait craindre une radicalisation du pouvoir. Voici trois ans, 200 opposants à l'AKP, le Parti de la justice et du développement qui soutient le président et le premier ministre, avaient été écroués.
    En janvier dernier, 120 personnes accusées d'être liées à AI-Qaïda ont connu le même sort. Mais avec le coup de filet de février, le gouvernement s'attaque pour la première fois aux «gardiens» de l'héritage de Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la Turquie moderne. Et le peuple turc qui depuis 1960 a connu quatre putschs militaires, se demande comment l'armée réagira. Voilà deux ans seulement, un hôpital militaire avait refusé d'accueillir l'épouse du premier ministre, parce qu'elle portait le voile. Aujourd'hui, les généraux, qui s'étaient toujours opposés à l'accession au pouvoir de l' AKP et s'étaient alliés au réseau criminel et mafieux Ergenekon, ont baissé de ton. Ilker Baflbug, qui a annulé un voyage en Égypte à la nouvelle de ces arrestations, a même présenté ses excuses à Erdogan. Pour sa part, le premier ministre, alors en villégiature en Espagne, a simplement commenté : « La justice fait son travail ».

    Le premier ministre gouverne comme un sultan
    Depuis la victoire historique de l'AKP aux élections législatives de 2002, les kémalistes, imbus de leurs privilèges, s'opposent à tout changement politique et dénigrent le premier ministre quand celui-ci cherche à persuader l'Occident de ses intentions démocratiques en abolissant les tribunaux de sécurité de l'État, en autorisant les Kurdes à parler leur langue, en promettant de régler le conflit avec la Grèce sur la question de Chypre et en faisant élaborer un projet constitutionnel obligeant les militaires à se soumettre à des contrôles civils. Mais les kémalistes, qui voulaient faire interdire l'AKP, ont perdu le pouvoir sans espoir de le reconquérir.
    Les efforts des juristes pour déstabiliser le gouvernement n'ont pas porté plus de fruit. En 2008, le procureur général Abdurrahman Yalçinkaya, descendant d'une famille kurde, petit-fils d'un cheik de l'ordre très pieux des Naqshbandi (confrérie soufi) et considéré comme le juriste le plus rigoureux du pays, avait procédé à la première demande de destitution de l'AKP, qu'il qualifie de « centre d'activités anti-séculaires ». Cette procédure, portée devant le Conseil constitutionnel, a échoué. Mustafa Fientop, professeur de droit, explique pour sa part qu'Erdogan est intouchable, car « les magistrats craignent d'être emmenés les menottes aux poignets ». De son côté, la presse favorable au pouvoir actuel jubile après les arrestations des officiers généraux : le journal Zaman titre : « Les invincibles sont arrêtés », et Sabah : « Une opération sans précédent dans l'histoire de la république ». Cet enthousiasme de la presse nationale n'a toutefois trouvé d'écho favorable, ni dans les sphères de l'opinion publique, ni au sein de l'Union européenne, qui, manifestement, lie le dossier de l'adhésion de la Turquie à la question des droits de l'homme, dont la situation est loin d'être idéale dans le pays.
    Le secrétaire d'un syndicat confiait ainsi : « Nous sommes sous pression. Les gens adhèrent à des syndicats d'orientation religieuse et proches du gouvernement ». De même, un professeur expose : « Les représentants de l'AKP siègent dans tous les centres de coordination. Les gouverneurs, les conseillers régionaux, les directeurs d'école, les policiers deviennent tous des affiliés du parti ». Et Burak Bekdil, journaliste au Turkish Daily News et opposant à Erdogan, est fondé à poser la question : « C'est une démocratie où seule l'armée se démocratise, tandis que dans tous les autres domaines de la société sont installés des membres de l'AKP. S'agit-il d'une démocratie islamiste ? »
    Ayant ainsi déjoué toutes les tentatives des militaires et des juristes qui voulaient l'écarter du pouvoir, Erdogan, le tribun populaire, règne comme un sultan. Voici quelques années, lors d'un discours de campagne électorale, il avait déclaré : « le pouvoir est entre les mains du peuple ». Les Turcs se demandent aujourd'hui, à juste titre, de quel peuple parlait alors leur premier ministre.
    Boutros Sentaraille monde & vie 3 avril 2010

  • Turquie-Arménie les vrais enjeux de l'accord de Zurich (ARCHIVE 2009)

    L'ACCORD présenté comme historique entre la Turquie et l'Arménie tombe bien. Il met la « Saison de la Turquie en France » à l'abri d'une vaste mobilisation de la communauté arménienne. On va donc pouvoir célébrer cette Turquie qui, comme tout le monde le sait, enrichit l'Europe avant de la rejoindre un jour.

    TURQUERIES PARISIENNES... 
    Que le but de cette Saison soit de favoriser la « marche turque » vers l'Ouest malgré les positions médiatiquement et électoralement hostiles du président français est une évidence qu'il est facile de prouver. Le titre de l'exposition du grand palais est suffisant : « De Byzance à Istanbul ». Et voici présentées comme une continuité une fracture et une déchirure définitives qui passent Constantinople par profits et pertes. Comment ne pas rappeler le mot admirable de Jean Raspail ? « La chute de Constantinople est un drame et un deuil personnel qui sont survenus hier. »
    À la chute de l'empire ottoman dont le dernier exploit a été le génocide des Arméniens, précédant le massacre des Grecs de Smyrne, il aurait été possible de rendre à la chrétienté l'ancienne capitale orientale de l'Empire romain. La lâcheté des uns et la pugnacité de Mustapha Kemal ont empêché cette "reconquista". Mais si Sainte-Sophie est restée sous le joug turc qui l'a réduite au rang de simple musée, ce n'est pas une raison pour peindre la Tour Eiffel aux couleurs des Asiates d'Anatolie. « Non à la Tour Eiffel turque ! » dénonçait dans un communiqué Jean-Marie Le Pen, qui entend marquer son « attachement à une France Bleu Blanc Rouge » et son refus d'une intégration de la Turquie dans l'Union européenne cependant que Marine Le Pen et le chef de file du parti pour les élections régionales en Ile-de-France Marie-Christine Arnautu dirigeaient une manifestation d'élus pour protester contre cette initiative du maire socialiste de Paris Bertrand Delanoë et que les ldentitaires réalisaient la prouesse d'illuminer au même moment la façade du Palais de Chaillot, juste en face de la tour Eiffel, du slogan lumineux : « La Turquie ! Non merci ! »
    En riposte, le parti turc a lui aussi donné de la voix, dans Le Monde bien entendu. « Va-t-on enfin rompre, dans la vision de ce grand pays, avec les clichés, les préjugés, le mépris, au mieux l'ignorance, qui polluent le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ? Nous l'espérons de toutes nos forces. » s'interrogent en chœur :
    Michel Rocard, Jacques Delors, Luc Ferry, anciens ministres, ainsi qu'Edgar Morin et Alain Touraine, sociologues, comme ils se présentent dans le quotidien vespéral. Certes, ces personnalités reconnaissent que, pour répondre aux valeurs européennes, la Turquie a beaucoup à faire, en commençant par assumer sa repentance vis-à-vis des Arméniens... Ce qui est une condition sans doute nécessaire mais loin d'être suffisante, et un leurre pour nous faire avaler le reste.
    On nous présente donc le dernier accord comme une étape importante sur ce chemin alors même que cet accord - dont nous annoncions ici la prochaine ratification le 15 mai dernier - a été signé non sans difficulté. Le samedi 10 octobre, à Zurich, la signature de normalisation diplomatique entre la Turquie et l'Arménie est restée en suspens. Un ultime blocage, côté arménien, sur les termes du discours que le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, devait prononcer, a fait planer le doute sur la cérémonie. Après un ultime conciliabule d'une heure et demie, et la décision de supprimer les discours, le texte a finalement pu être ratifié. Le premier objectif est d' ouvrir la frontière commune dans un délai de deux mois après la ratification par les Parlements des deux pays. Il peut donc y avoir des surprises. « Il y avait des inquiétudes des deux côtés (...). Des questions d'interprétation sur ce qui devait être dit et ne pas être dit », a commenté Mme Clinton qui se présente comme le maître d'œuvre de cet accord. « Et ce sera difficile », a-t-elle ajouté.
    La principale difficulté ne vient pas du génocide passé mais du problème très présent du Haut-Karabakh. Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, a immédiatement réaffirmé la position de son pays liant toujours l'ouverture de la frontière turco-arménienne à un règlement du conflit dans cette enclave. Pour les Azéris turcs et turcophones, l'accord de Zurich est une trahison « en contradiction frontale avec les intérêts nationaux de l'Azerbaïdjan ». Une entrevue avait bien eu lieu, le 9 octobre, entre Serge Sarkissian et Ilham Aliev, les présidents arménien et azerbaïdjanais, mais elle n'a permis aucune avancée. L'accord est également contesté par une minorité en Arménie. À l'appel du parti nationaliste Dachnak, plusieurs milliers de personnes ont défilé dans les rues d'Erevan, la capitale, réclamant que la Turquie reconnaisse préalablement le génocide de 1915, ce qui n'est pas le cas, le gouvernement d'Ankara ayant renvoyé la résolution de la question à un comité d'experts. Le Parlement européen a reconnu le génocide arménien le 18 juin 1987. La non-acceptation de ce vote devrait logiquement fermer à Strasbourg la route de Bruxelles.

    ... ET ENJEU ÉNERGÉTIQUE
    Mais il y a tous les non-dits. En Turquie, la préoccupation première n'est certes pas l'Arménien mais le Kurde. Tout l'été, par exemple, une polémique s'est développée, en Turquie même, à propos de l'ampleur des réformes que le gouvernement allait proposer aux Kurdes, tout en écartant bien sûr les révolutionnaires du PKK. Même les chefs militaires ont dû s'incliner, à l'inverse des dirigeants du parti kémaliste, devant la nécessité de certaines évolutions.
    Mais l'enjeu arménien est aussi stratégique et énergétique. La Russie et les Etats-Unis surveillent le rapprochement entre Erevan et Ankara. L'enjeu principal de cette ouverture est la sécurisation de l'approvisionnement en hydrocarbures. « Moscou et Washington restent en concurrence pour l'accès aux ressources, mais elles ont un intérêt commun : éviter une crise dans la région », décrypte Ali Faïk Demir, spécialiste du Caucase à l'université stambouliote de Galatasaray et cité par Le Figaro. La réalisation de cet objectif passe par la revitalisation d'un axe tripartite Azerbaïdjan-Arménie- Turquie. La guerre en Géorgie durant l'été 2008 est venue rappeler la fragilité du Sud-Caucase et les risques d'effet domino en laissant persister des zones de tensions dans la région. Les ratifications parlementaires entraîneraient un mouvement de frontières.
    L'armée russe aurait renoncé au vieux rêve de la Russie depuis Catherine II : pousser ses frontières au-delà de l'Araxe et vers les mers chaudes. La détente arméno-turque pourrait constituer un premier test concret de la politique d'ouverture et des messages de bonne intention que s'échangent les administrations Obama et Medvedev. L'OTAN va-t-elle profiter de ce possible virage géopolitique pour pénétrer davantage l'isthme caucasien et s'y appuyer pour consolider sa logistique en direction de l'Afghanistan ?

    MENACE POUR L'IRAN
    Le drame arménien reste décidément le même, celui d' être un maillon relativement faible d'affrontements régionaux dans un environnement ethnique et religieux hostile. Historiquement, dès que la Russie et la Turquie se sont rapprochées, le nationalisme arménien a été sous pression. En cas de normalisation turco-arménienne, le flanc septentrional de l'Iran serait affaibli car les Iraniens voient dans la poussée turque au Caucase une victoire des USA.
    Nabucco, le projet énergétique occidentalo-turco-azéri, avance peu à peu. Une fois les conflits surmontés, les artisans du gazoduc censé relier l'Asie centrale à l'Autriche peuvent imaginer d'autres routes que l'axe géorgien, déstabilisé depuis la guerre des cinq jours entre la Russie et la Géorgie. Les Européens, notamment la France, défendent l'axe arménien, mais le passage de Nabucco par l'Arménie nécessite au préalable la normalisation de ses relations avec la Turquie.
    On voit bien que le rapprochement, réel ou non, entre la Turquie et l'Arménie dépasse et de loin le contentieux historique hérité de la Sublime Porte et les turqueries parisiennes de la saison enturbannée du grand mamamouchi Delanoë.
    Pierre-Patrice BELESTA. Rivarol du 23 octobre 2009

  • Une vraie-fausse guerre mondiale contre le terrorisme

    Dans la préface qu'il a signée pour l'édition française du livre de Jürgen EIsässer, Comment le djihad est arrivé en Europe, qui vient de paraître aux éditions Xenia. Jean-Pierre Chevènement écrit qu'il constitue « une mine de révélations pour quiconque cherche à comprendre les enjeux géostratégiques mondiaux » L'ancien ministre de la Défense, qui avait démissionné du gouvernement de Michel Rocard en 1991 en raison de son refus d'engager l'armée française dans une guerre du Golfe qui, selon lui, ne concernait en rien les intérêt, stratégiques de la France - et pouvait même être néfaste à ceux-ci ajoute ceci : « Le livre de Jürgen Elsässer est fort instructif sur le rôle des services spéciaux dans la manipulation des conflits [...] [Il ] contribuera utilement à un sain pluralisme et à l'éclosion de vérités pas toujours bonnes à dire, Saluons son immense travail et la contribution salubre que son livre apporte à un débat démocratique débarrassé des a priori trompeurs qui obscurcissent la compréhension des enjeux et retardent l'heure d'une paix juste dans les Balkans et ailleurs. Je souhaite que ce livre fasse réfléchir au-delà des passions souvent instrumentées à des fins pas toujours avouables. »
    Le sujet étant sensible, précisons d'emblée que Jürgen Elsässer n'est pas Thierry Meyssan. S'il pense que la version officielle donnée des événements du 11-Septembre n'est pas vraie, lui n'échafaude pas de théories, Auteur d'une douzaine de livres géopolitiques, il a mené une enquête à partir de sources allemandes, yougoslaves et néerlandaises et rencontré nombre d'acteurs de l'ombre des conflits en ex-Yougoslavie (y compris américains), Quand il ne sait pas, il le dit. Mais quand il est sûr de son fait, il assène ce qu'il a découvert. Et il l'affirme aujourd'hui ; « Tous les grands attentats, à New York, à Londres, à Madrid, n'auraient jamais eu lieu sans le recrutement par les services secrets américains et britanniques de ces djihadistes à qui l'ont attribue les attentats. »
    Son livre, en forme de thriller où la réalité dépasse la fiction, raconte notamment comment Al Zawahiri, présenté comme le bras droit d'Oussama Ben Laden, a effectué une collecte aux États-Unis au profit du djihad, au début des années 1990, accompagné d'un agent gouvernemental ; comment, aussi, la CIA et le Pentagone se sont offert les services, après 1995, de ceux qui avaient le plus vaillamment combattu au côté des Bosniaques, sans que les intéressés comprennent forcément qui les payait ; comment les élites musulmanes modérées ont été systématiquement mises sur la touche ; comment le Pentagone, soucieux de ne pas apparaître, a sous-traité à une société privée le contrôle... de l'armée bosniaque après le cessez-le-feu de Dayton en 1995, formant les meilleures recrues « en Albanie, qui était alors sous la coupe des hommes de confiance de Ben Laden et les a envoyés en renfort au mouvement terroriste albanais UCK au Kosovo et en Macédoine » !
    À toutes ces manœuvres qui ont eu pour conséquences de déstabiliser l'Europe et d'installer durablement sur son sol des combattants islamiques qui n'attendent qu'un signal pour agir, « agents dormants » qui ne comprendront pas forcément qui les réveillera, il y a bien sûr des raisons géostratégiques de première importance, C'est sur celles-ci que nous avons longuement interrogé Jürgen Elsässer. La question centrale est formulée en ces termes par Jean-Pierre Chevènement ; « Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter, a éclairé d'une lumière crue les enjeux centraux de la diplomatie américaine : contrôler l'Eurasie et les régions pétrolifères du Golfe et de la Caspienne, réduire l'influence de la Russie et asseoir la domination des États-Unis sur le monde musulman [...] la "grande guerre déclarée au terrorisme" rompt-elle vraiment avec la volonté d'instrumenter le monde musulman ? »
     B.L. Le Choc du Mois  Juillet/Août 2006 -

  • Marché transatlantique ? Dormez braves gens… Par Franck Vinrech

    PARIS (NOVOpress) – Le marché transatlantique que Pierre Hillard qualifie d’OTAN économique est un projet qui ne date pas d’hier, sauf pour les médias qui semblent le découvrir comme toujours quand les dés semblent jetés. Pour le simple citoyen, même chose, un matin il se lève et apprend par la radio que l’on a commencé les négociations pour la mise en place d’un marché transatlantique qui va faire voler en éclat ce qui reste de nos protections sociales. Pas de souci, la vie continue, le soleil brille et l’on nous ressort les perpétuels marronniers estivaux. Surtout n’oubliez pas la crème solaire pour protéger bébé mais pour les protections sociales c’est dormez brave gens…

     

    Les hommes politiques qui nous gouvernent nous construisent l’enfer sur terre et se gardent bien de nous le dire. Un monde où si vous n’êtes pas financièrement performants on vous laissera crever sans le moindre état d’âme. Pour préparer l’avènement de ce marché, il faut courber encore plus l’échine devant le libéralisme le plus inhumain. De très nombreuses lois passent en Europe aujourd’hui et en France pour faciliter cette mise en esclavage orwellien. Si vous pensez par exemple que la loi adoptée par le sénat le 14 mai 2013 et appelée “loi sur la sécurisation de l’emploi” est une bonne chose, c’est que vous ne voyez rien venir et que l’on vous a berné…

    Ce projet utlra-libéral a toujours été en toile de fond de toutes les idées prônées par les membres de la French-American Fondation, organisation créé en 1976 et les raisons évoquées pour légitimer sa création vous donneraient la larme à l’œil. Ici, il s’agirait de “promouvoir le dialogue et de renforcer les liens entre les deux pays”. Inattaquable, ça sent l’amitié, la paix, personne ne peut être contre…

    Au cœur de la FAF, il y a le programme des Young Leaders, un programme dont le but est “de renforcer les relations transatlantiques et entretient un réseau informel d’hommes et de femmes appelés à occuper des postes clefs dans l’un ou l’autre pays”.
    Appelés à occuper des postes clés…En d’autres termes, être un young leader, c’est moyennant votre asservissement idéologique au mondialisme le plus libéral un formidable tremplin pour parvenir au sommet. Dans les participants réguliers, on trouve par exemple Clinton, le général Wesley Clark, l’ancien président de la Banque Mondiale Robert Zoellick, etc.

    Dans notre gouvernement actuel, plusieurs anciens young leaders sont identifiables à commencer par François Hollande… On trouve également le ministre de l’économie et des finances Moscovici mais aussi Arnaud Montebourg (anciennement M. Made in France), Najat Vallaud-Belkacem ou encore Marisol Touraine.
    Hé oui, vous le constaterez par vous même, ils ne choisissent pas forcément les plus brillants mais les plus serviles.

    Évidement pour faire avaler la couleuvre, il faut à la FAF des hommes et femmes de médias dominants. Ici, on trouve Croissandeau (rédacteur en chef adjoint au Nouvel obs) Laurent Joffrin (PDG de Libé), des journalistes à la pelle comme Sylvie Kauffmann et Cojean (du Monde), Yves de Kerdel (Le Figaro), Guetta (France Inter), ou encore le fondateur de Slate Jean-Marie Colombani.

    Pourquoi notre président a demandé deux ans supplémentaires à l’Europe pour retrouver un déficit de moins 3% comme exigé par le TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) entré en vigueur le 1er janvier 2013 ? Parce que deux ans, c’est ce qui est prévu pour mettre en place le marché transatlantique qui doit voir le jour en 2015… La mécanique est parfaitement huilée et vit sa vie sans nous demander notre avis.
    L’Union Européenne n’était finalement dès ses débuts qu’un système dont le seul but était d’enfanter le monstre transatlantique qui commencera sa carrière en dévorant les peuples européens…

    Franck Vinrech  http://fr.novopress.info