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géopolitique - Page 819

  • Le Hamas reconsidère ses alliances après la chute de Morsi

     

    Le Hamas reconsidère ses alliances après la chute de MorsiIl est désormais clair que le Hamas est en train de reconsidérer ses alliances, après s'être éloigné aussi bien de l'Iran que du Hezbollah, suite au déclenchement de la crise syrienne.
    Responsable du Hamas, Ahmad Youssef a révélé à la presse que son mouvement a eu des entretiens avec le Hezbollah et l'Iran pour abonnir leur relation. Youssef a déclaré que deux dirigeants du Hamas de premier plan ont rencontré des responsables iraniens à Beyrouth en présence de représentants du Hezbollah, et évoqué les relations stratégiques entre le mouvement et l'Iran.
    Ces nouvelles ont suscité beaucoup de supputations.
    "Les deux parties ont reconnu que leur ennemi commun n'est autre qu'Israël, sachant que chaque partie comprend les différences de position de l'autre", "en particulier quand il s'agit de la situation en Syrie." Il a nié que l'amélioration des relations entre Hamas et de l'Iran était de quelque façon liée à l'évolution récente de l'Egypte.
    Un témoin attentif de ces discussions a expliqué que les premières tentatives de réconciliation - après la fois la montée en puissance des Frères musulmans en Egypte comme en Tunisie et l'émergence de fortes divergences sur la crise syrienne - avaient échoué, en raison des vues d'une faction importante au sein du Hamas qui faisait un autre choix en matière d'assistance, à la fois politique et financier.
    La même source a ajouté que, pendant un très court laps de temps, il était devenu clair que les nouvelles sources d'aide se situaient en deçà des attentes. Plus grave, l'Iran avait simplement à l'époque diversifié son aide pour désunir différentes factions de la résistance à Gaza, comme le Jihad islamique, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), et un groupe armé affilié au Fatah.
    Des sources ont aussi souligné que tandis que le Hamas a insisté sur leurs divergences sur la crise syrienne, de l'autre côté il a été fait part des préoccupations au sujet de l'implication croissante du mouvement palestinien dans la montée de la Fraternité, entraînant donc une relâchement du groupe quant à son activité de résistance, ce de façon à aider les mouvements islamistes à consolider leur pouvoir.
    Il y a quelques semaines - après que l'aile militaire du Hamas ait averti des pénuries d'approvisionnement - une délégation du mouvement dirigée par Moussa Abou Marzouq venue au Liban, a participé à des réunions privées à l'ambassade d'Iran avec les responsables du Hezbollah.
    Les réunions ont donné les résultats suivants qui sont largement positifs:
    1) Reprise de l'aide financière iranienne au Hamas, même si le montant est moindre moins que celui d'avant la crise.
    2) Ouverture de canaux directs de communication entre le Hamas et le Hezbollah, en particulier sur la question de préserver les camps de réfugiés palestiniens de l'opposition entre sunnites et chiites, facteur de tensions au Liban
    3) Préparation d'une réunion entre dirigeants du Hezbollah et du Hamas, suite à la plainte de ce dernier que le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah n'avait pas reçu une délégation du Hamas de haut niveau pendant un certain temps.
    Traduit de l'anglais par la rédaction.
  • Foutage de gueule au Mali

     Dans Minute :

    "L'’élection présidentielle a donc eu lieu au Mali à la date fixée par François Hollande. Et tout s’est très très très bien déroulé, dixit Jean-Marc Ayrault, qui, depuis la Malaisie, s’est « félicité que les élections au Mali se soient passées dans de bonnes conditions » et que « le processus démocratique ait été respecté ». « Pour la France, a enchaîné le premier ministre, c’est un grand succès. Pour l’image de la France dans le monde aussi, c’est un plus considérable, qui a été perçu dans le monde entier. »

    La preuve, est-on tenté d’ajouter, c’est le candidat choisi par le pouvoir en place et par la France, Ibrahim Boubakar Keita, qui a gagné… Le succès de ce scrutin a été tel qu’on note étrangement de fortes disparités dans les taux de participation : très forte mobilisation dans la région de Bamako, la capitale, qui est « sous contrôle », et participation quasi inexistante à Kidal, au nord-est du pays, de l’ordre de 12 %. Dans ce bastion touareg, entre les morts, les exilés et les habitants terrés chez eux par peur des représailles que mènent les partisans du régime, il ne restait pas grand monde pour aller aux urnes.

    A la terreur des jihadistes, qui se sont retirés pour mieux revenir quand la France sera partie, a succédé en effet une terreur « loyaliste » qui n’a rien à lui envier. Au jour de l’élection, le 28 juillet, il restait au moins 200 000 réfugiés maliens dans les pays limitrophes ! Et près de 400 000 Maliens « déplacés » à l’intérieur du pays, qui n’ont pas pu voter non plus.

    La palme du « foutage de gueule » revient à Tiéman Coulibaly, ministre malien des Affaires étrangères, qui, tranquillou, avait assuré : « Les élections seront crédibles et transparentes dans les conditions qui sont les nôtres » ! Quand un ministre africain s’essaye à la langue de bois, c’est juste magique ! En France, où résident 200 000 Maliens – une paille… –, ceux qui ont pu voter ont eu beaucoup de chance. Les cartes d’électeurs n’étaient pas arrivées – au Mali non plus… –, les listes d’inscrits confondaient nom et prénom – et n’étaient pas classées par ordre alphabétique ! –, les urnes avaient été oubliées, le bureau de vote avait changé de place, etc.

    Pour l’anecdote, l’AFP rapporte le cas caricatural d’un Malien rencontré en banlieue parisienne et qui venait de voir le nom de sa tante sur une liste électorale : « Comment ça se fait, elle vit au Mali ! Et moi qui suis ici, je ne peux pas voter ! » Comme disait Ibrahim Boubakar Keita à deux jours du scrutin : « J’ai rarement senti une telle fusion avec le peuple du Mali, une telle communion. » Comme il se prend pour De Gaulle, on souhaite bien du plaisir aux Maliens…"

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • La guerre des empires (F. Lenglet)

    Pour François Lenglet (FL), la « guerre des empires » est inéluctable. L’hypothèse d’une alliance structurelle USA-Chine est, à ses yeux, une « bulle géopolitique » qui finira par exploser, et sans doute assez vite. Nous sommes d’accord, même si (on le verra plus loin), nous marquons quelques fortes divergences avec l’analyse de l’auteur, à notre avis trop pro-US.

    La thèse, dans les  grandes lignes :

    FL établit un parallèle inquiétant entre le rapport actuel Washington-Pékin et le rapport Londres-Berlin en 1899. Deux économies interdépendantes, l’une ayant longtemps été en avance sur l’autre, plus puissante et plus avancée. Puis, progressivement, l’économie «  à la remorque » se renforce, et finit par battre son alliée à son propre jeu. Dès lors, l’alliance n’est plus possible, parce qu’on ne sait plus qui est le maître de qui. La rivalité commence.  

    Les arguments qu’on oppose à ce parallèle ne satisfont par FL.

    La Chine, se démocratiser ? Pur occidentalo-centrisme. Pour qui voit les choses du point de vue chinois, quel est le meilleur régime politique : une démocratie occidentale corrompue, dévorée par le cancer financier, virtualisée par le marketing tout puissant, ou un régime pékinois autoritaire, mais qui garantit à son peuple le doublement du PIB tous les sept ans ? A part le droit de vote, dont ils ne sauraient sans doute pas quoi faire, les Chinois n’ont rien à gagner à se « démocratiser », si la « démocratie » veut dire, concrètement, le règne de Goldman Sachs.

    La Chine, puissance pacifique qui ne s’intéresse qu’à elle-même ? Niaiserie. Il existe un très fort ressentiment chinois. Pour Pékin, les guerres de l’opium et le « siècle de l’humiliation », qui suivit, jouent un peu le rôle du traité de Versailles dans l’Allemagne de Weimar : une honte, et surtout, une injustice. Les occidentaux ont souvent tendance à croire que leur suprématie mondiale de ces deux derniers siècles traduit un ordre des choses quasi-essentialisable. Illusion : c’est oublier qu’à l’échelle du temps long, le pays le plus développé et le plus puissant du monde a été, le plus souvent, la Chine. Et de cela, les Chinois, eux, se souviennent parfaitement.

    Alors, USA, Chine : un fauteuil pour deux ?

    *

    Première question : comment en est-on arrivé là ?

    FL commence par rappeler l’histoire des relations américano-chinoises. La visite de Nixon, en 1972, a été le coup d’envoi d’un partenariat USA/Chine qui, pour ne pas avoir été sans nuages, s’est bon an mal an maintenu pendant quatre décennies.

    Au départ, pour les  USA, il s’agit surtout de contrer l’URSS. Exemple, l’opération Chestnut, lancée en 1979, permet aux Américains d’implanter une station d’écoute ultra-perfectionnée dans le désert occidental chinois. Pour écouter qui ? Les soviétiques, sur le point d’entrer en Afghanistan (où la CIA s’active, afin précisément d’attirer Moscou dans le piège). Face à l’enjeu représenté par le soutien chinois contre l’URSS, l’amitié avec Taiwan ne pèse pas lourd, aux yeux des conservateurs réalistes (Kissinger, puis Brzezinski).

    Pour la Chine, dès le départ, l’alliance aigre-douce avec les USA est surtout une affaire économique  Pékin n’a pas vraiment besoin des investissements occidentaux (la Chine n’a jamais manqué de capital, parce qu’avec un coût du travail quasi-nul, on n’a pas besoin de capitaux importants pour produire – le travail, au besoin, fabrique le capital productif). Mais la Chine a en revanche désespérément besoin des technologies occidentales.

    Dans les années 80, Deng lance donc la modernisation à marche forcée de l’économie chinoise, et pour récupérer de la technologie sans permettre l’implantation en profondeur des USA, il invente une solution aussi simple que redoutable : les « zones économiques spéciales », sorte de Far West chinois ultra-capitaliste, qui va servir de filtre (la technologie occidentale passe, mais, le pouvoir restant aux Chinois dans les joint-ventures, l’influence est bloquée). Les firmes américaines, qui pensent leur planification à beaucoup moins long terme que Pékin, vont se laisser attirer dans le piège, fascinées qu’elles sont par le gigantesque marché chinois. Un marché de dupe, où la dupe n’est pas celui qu’on croit : les capitalistes occidentaux sont persuadés qu’ils viennent de gagner la guerre contre leurs propres peuples (en mettant en concurrence le salarié occidental et l’esclave chinois) ; c’est vrai, mais ils ont aussi, sans le savoir, perdu la guerre à l’échelle géopolitique, contre une oligarchie rivale…

    Quoi qu’il en soit sur le long terme, au fil des années 80-90, une sorte de symbiose s’instaure progressivement entre les deux géants. Pékin offre aux firmes US sa main d’œuvre quasiment illimitée, très bon marché et remarquablement docile. Les Américains, en retour, offrent la technologie, le savoir-faire, et un appui massif à la Chine pour son intégration dans l’économie mondiale (clause de la nation la plus favorisée, puis OMC).

    Mais cette symbiose n’a jamais été sans ambiguïté et nuages. Dès 1982, les Chinois se sont rendu compte que, contrairement aux accords passés, la CIA construisait des réseaux sur leur sol (plus tard, cela débouchera sur la secte Falun Gong). Aussitôt, exploitant la diaspora, profitant de l’envoi aux USA de dizaines puis de centaines de milliers d’étudiants, ils bâtissent leurs propres réseaux (les services secrets chinois sont potentiellement plus puissants que la CIA elle-même – nous y reviendrons dans une note de lecture ultérieure).

    Surtout, le mode de développement choisi par Pékin présente un inconvénient pour la population : une génération entière est sacrifiée. Le PIB chinois présente en effet, à partir de la fin des années 80, une structure tout à fait atypique : exportations gigantesques (jusqu’à 35 % certaines années, soit un taux d’extraversion absurde pour une économie de cette taille), investissement fabuleux (jusqu’à 50 % certaines années, un taux qui ferait presque passer le décollage japonais pour une entreprise au rabais !)… et, donc, obligatoirement, une part du PIB réservée à la consommation très faible (certaines années, à peine 20 %).

    L’avantage de cette formule, évidemment, c’est que le développement des capacités productives se fait à une vitesse foudroyante. Si vous investissez 50 % de votre PIB, étant donné que dans les conditions chinoises, 5 points d’investissement rapportent à peu près 1 point de capacité productive, vous faîtes croître vos capacités de production de 10 % par an (ce que feront les Chinois pendant trente ans). Mais si en plus, vous exportez 30/35 % de votre PIB (pour accumuler des réserves de change et acheter, en réalité, de la technologie), il vous reste peu pour la consommation. Conséquence : les salaires versés aux ouvriers qui produisent pour l’investissement ou l’exportation n’ont pas de contrepartie dans le marché intérieur, et le risque de surchauffe inflationniste est permanent. La Chine pourrait en sortir en remplaçant les exportations par le marché intérieur, mais comme Pékin veut absolument acheter de la technologie (et de l’influence), le choix sera maintenu durablement en faveur de ce modèle qu’on pourrait qualifier de « stakhanovisme à l’échelle d’un pays-continent ».

    Comme le rappelle FL, le « printemps de Pékin » en 1989 fut donc beaucoup plus une demande de remise en cause de ce modèle (moins d’exportation, plus de consommation) qu’une revendication démocratique (même si, peut-être du fait de l’existence de réseaux CIA, les étudiants pékinois mirent en avant la revendication politique stricto sensu). Et donc, la boucherie de Tian Anmen ne signifiait pas que le « communisme » était maintenu, mais plus simplement que la Chine, pour ne pas avoir à tolérer l’influence occidentale (en échange des technologies) continuerait à acheter du savoir-faire en exportant à tout va – au prix de sa « génération sacrifiée ».

    Ce message, d’ailleurs, fut reçu en Occident : pour la galerie, Bush père prit quelques sanctions peu durables ; mais en arrière-plan, le très puissant lobby patronal US-China Business Council a parfaitement décodé Tian Anmen : pour lui, cela veut dire, tout simplement, que la Chine va poursuivre son développement en sacrifiant une génération, et qu’il y a donc beaucoup, beaucoup d’argent à gagner dans les « zones économiques spéciales ». De fait, ce qui s’est décidé à Tian Anmen, c’est donc une alliance objective entre l’oligarchie postcommuniste chinoise et l’oligarchie néolibérale US – alliance dont les consommateurs surendettés américains et les ouvriers surexploités chinois vont faire les frais (une analyse que, bien entendu, FL s’abstient de formuler aussi brutalement – ici, c’est nous qui décodons).

    Les années 1990-2008 voient le triomphe de la « Chinamérique ». Les flux commerciaux croissent vertigineusement, au rythme de la bulle financière occidentale et de l’économie productive asiatique. Il en découle une période de forte croissance apparemment globale, en réalité purement chinoise ; l’Amérique réelle est en train d’imploser – même si, au départ, personne n’accepte de le voir.

    Ici, FL propose une analyse qui, à notre humble avis, fait la part trop belle aux élites occidentales. Pour lui, les dirigeants du capitalisme occidental auraient toléré la dévaluation de 50 % du Yuan en 1994 parce qu’ils souhaitaient maintenir coûte que coûte les liens avec la Chine (et non, comme nous le pensons, parce qu’ils y voyaient un moyen d’intensifier la guerre de classes en Occident même). Idem, FL estime que lorsque les taux longs US n’ont pas immédiatement suivi la remontée des taux courts en 2005, les dirigeants US n’ont pas compris que cela venait des achats chinois de bons du trésor US (sans rire ?). Et il ajoute que la crise des subprimes trouve son origine dans le dérèglement du marché des taux par les achats chinois à partir de cette date, ce qui est tout simplement faux (l’explosion du marché des subprimes est antérieur de trois ans au décrochage des taux longs, il remonte à 2001/2002, et il trouve son origine dans les taux directeurs bas de la FED – lire à ce sujet « Crise ou coup d’Etat ? »).
    Bref, l’analyse de FL fait à notre avis la part un peu trop belle au discours officiel US ; nous croyons quant à nous que les USA ont accepté le Yuan comme monnaie de guerre chinoise parce que cette monnaie de guerre était, aussi, celle de leur propre guerre, contre leurs propres peuples, en vue d’un ajustement brutal de la structure de classe.

    Quoi qu’il en soit, le double marché de dupes s’est maintenu pendant deux décennies, de 1990 à 2008. Ni l’incident de 1994 (bâtiment chinois intercepté car soupçonné de livrer des armes chimiques à l’Iran), ni celui de 1999 (bombardement « par erreur » de l’ambassade de Chine à Belgrade lors de l’opération US/Otan pour le Kosovo) n’ont remis en cause les dynamiques commerciales formidables enclenchées par la « Chinamérique »…

    Jusqu’au moment où ces dynamiques ont produit ce qu’elles devaient produire : le basculement du centre de gravité du capitalisme global. Voilà comment nous en sommes arrivés où nous sommes aujourd’hui.

    *

    Deuxième question : et où va-t-on, après ?

    Fondamentalement, le heurt va opposer deux puissances qui sont, et l’une, et l’autre, des empires. Il ne faut pas ici tomber dans le simplisme : il n’y a pas d’un côté une puissance malsaine, de l’autre une puissance saine. Il y a deux systèmes de pouvoirs immenses, l’un sur le déclin (donc plus prédateur à court terme), l’autre en expansion (donc n’ayant pas besoin d’être prédateur à court terme), mais aussi brutaux l’un que l’autre.

    Oui, oui, on sait, l’Amérique est « démocratique », pas la Chine – mais allez donc poser la question à Bagdad, vous allez voir… Et oui, oui, on sait, la Chine n’a pas attaqué de pays récemment – mais allez poser la question de son « émergence pacifique » aux millions d’esclaves qui triment dans ses usines, et là aussi, vous verrez…

    FL nous apprend qu’en 1999, deux colonels de l’armée chinoise inventent le concept de « guerre hors limite », notion pratiquement identique au concept US du « Fourth Generation Warfare » : la guerre qui se déploie sur tous les fronts, en impliquant tous les aspects de la vie politique, économique et culturelle, parce que la confrontation directe, par l’armement, est devenue impensable (trop grande puissance de destruction). Et quand les USA inventent la « lutte contre le terrorisme » pour justifier leur impérialisme, la Chine conçoit la théorie de « l’émergence pacifique » pour désamorcer les critiques que son offensive économique tous azimuts pourraient susciter.

    Chine et USA jouent chacun avec leurs atouts propres, mais en réalité, ils jouent sur le même échiquier, et avec des logiques de puissance précontraintes par la nature même de leur affrontement. Les Chinois font semblant de ne pas avoir de prétention à la domination globale (sauf quand il s’agit de mettre la main sur le pétrole du Soudan et du Tchad – alors là, on y va franchement, soutien militaire inclus), et les Américains font semblant de coopérer sans arrière-pensée (sauf quand une firme chinoise veut s’emparer d’Unocal – alors là, pas touche, il y va du contrôle US sur le pétrole d’Asie centrale…).

    A ce petit jeu, la puissance montante part a priori gagnante. Plus grand marché du monde, Pékin va progressivement supplanter les USA comme le pays qui définit les normes (une des sources de la puissance US au XX° siècle). Ayant désormais refait l’essentiel de son retard technologique, la Chine n’a plus vraiment besoin des USA ; ce qu’elle achetait jusqu’ici à l’Ouest, c’était de la technologie ; mais désormais, la technologie, elle peut dans une large mesure la produire elle-même.

    Plus structurant peut-être, le modèle de « socialisme de marché » inventé par Pékin (l’Etat possède en réalité l’outil de production, mais tolère l’enrichissement du management) semble, à ce stade, mieux fonctionner qu’un modèle US néolibéral en chute libre. Comme le rappelle FL, depuis 30 ans, la Chine fait exactement le contraire de ce qui est préconisé par le FMI – et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle s’en sort mieux que ceux qui ont obéi au « consensus de Washington ».

    Privatiser l’économie, dit le FMI. Restructurer les entreprises d’Etat, répond Pékin. Libéraliser le compte de capital du pays, dit le FMI. Contrôle des changes, répond Pékin. Banque centrale indépendante, dit le FMI. Contrôle politique sur le crédit, répond Pékin.

    Jusque dans la gestion de la crise financière, Pékin donne une leçon de pragmatisme et d’efficacité à l’Occident : sauver les banques, dit l’Occident ; relancer par l’économie productive, répond Pékin (l’UE sauve les créanciers de la Grèce, la Chine investit dans ses usines…).

    En somme, pour FL, ce qui vient de se passer, en 2008, c’est une rupture d’environnement géostratégique : ce n’est pas la chute du capitalisme, non. C’est la chute du capitalisme occidental néolibéral. Un mur vient de tomber : celui que l’Occident avait érigé autour de son pouvoir global. La chute de ce mur-là joue, pour les Chinois, le rôle joué par la chute du Mur de Berlin pour les Occidentaux : l’annonce qu’on vient de gagner une guerre « de quatrième génération ». Nous ne dirons pas le contraire. Lire à ce sujet « Crise économique ou crise du sens ? ».

    Conséquence  de cette rupture géostratégique : la « Chinamérique » va exploser.

    Ici, deux théories s’opposent : le « découplage » (la Chine poursuivra sa croissance sans la « Chinamérique ») et la crise globale (les USA entraîneront la Chine dans leur faillite, car Pékin ne pourra pas maintenir sa croissance folle une fois la « Chinamérique » disparue).

    Sur ce point précis, nous marquons un désaccord avec l’auteur de « La guerre des empires ».
    FL prend position pour la crise globale, donc contre le « découplage ». Il invoque pour cela les premières conséquences de la crise, qui aura entraîné un effondrement des exportations chinoises (voir « Crise ou coup d’Etat ? »). La croissance chinoise réelle passe sensiblement sous le seuil des 8 % annuels (nécessaire pour éviter la hausse du chômage, dans un pays qui voit un gigantesque exode rural interne).
    Pour notre part, nous doutons de la viabilité de cette analyse. Que dans un premier temps, la Chine subisse un ralentissement de croissance est évident, logique. Mais nous estimons que le marché intérieur chinois pourrait très rapidement prendre la relève des exportations ; encore une fois, ce qui explique la croissance chinoise, c’est un taux d’investissement énorme et des débouchés solvables (l’exportation) ; si les exportations calent, il reste le développement du marché intérieur, et rien n’empêche Pékin de le lancer, à présent, puisque l’acquisition des technologies est en passe d’être achevée (donc plus besoin des exportations pour financer l’acquisition de technologie), et les ressources financières existent (taux d’épargne élevé, réserves de change énorme : marché solvable).
    Peut-être la crise US arrive-t-elle quelques années trop tôt pour la Chine ; mais à moyen terme, à notre avis, sauf problème écologique ou énergétique, on ne voit pas ce qui empêcherait la Chine de se développer par l’investissement et la consommation (lire, à ce sujet, « Crise économique ou crise du sens ? »).
    Le fond du désaccord : FL pense que la relance chinoise par l’investissement va enclencher un cycle inflationniste ; à notre avis, il oublie que si la Chine développe son marché intérieur au lieu d’exporter, le risque social lié à la surchauffe va beaucoup baisser (puisque les salaires augmenteront avec l’inflation, laquelle sera contenue par un afflux de produits enfin destinés au marché intérieur). FL pense que la dette chinoise est trop importante pour développer le marché intérieur : à notre avis, il oublie qu’une dette totale (tous acteurs confondus) à 200 % du PIB (son estimation, à notre avis maximaliste) n’est pas insurmontable, si le taux d’épargne est élevé (il l’est en Chine) et, surtout, si la croissance permet de couvrir les intérêts (à ce stade, elle le permet). En outre, il ne faut pas négliger que les flux du commerce international peuvent très bien rebondir via les pays émergents entre eux (c’est d’ailleurs ce qui se passe depuis un an).
    Bref, comme FL, nous croyons effectivement que la crise marque la fin d’un système : la mondialisation néolibérale occidentalo-centrée ; mais à la différence de cet auteur, nous estimons que la théorie du « découplage » est tout sauf absurde. Il ne s’agit pas de nier que la Chine va éprouver des difficultés (on ne reconvertit pas sans casse une industrie bâtie pour l’export), mais simplement d’estimer, tout bien considéré, que Pékin a de fortes chances de surmonter ces difficultés. Encore une fois, avec 10 % de croissance et un fort taux d’épargne, on couvre les intérêts d’une dette totale, tous acteurs confondus, à 200 % du PIB (situation chinoise). Alors qu’avec une croissance faible (2, 3 %), voire nulle, et une épargne anéantie, on ne couvre pas une dette totale (tous acteurs confondus) qui doit maintenant dépasser largement 300 % du PIB (situation US).
    Donc, disons-nous, la Chine va souffrir – mais elle passera le cap (ce qui ne sera pas le cas des USA).
    L’avenir dira qui avait raison…

    FL est en revanche tout à fait intéressant quand il nous renseigne sur les premières étapes de l’explosion de la « Chinamérique ».

    Du côté américain, deux tendances s’affrontent. Les « gentils garçons » veulent la paix avec la Chine (on les appelle les « panda huggers », les « embrasseurs de panda ») ; Obama, a priori, appartient à cette école « mondialisation avant tout » (son demi-frère est d’ailleurs marié à une chinoise), tout comme une bonne partie de son administration. Mais une autre tendance, qui prime au Congrès, « America first » en quelque sorte, veut la confrontation. Arme envisagée : le protectionnisme (enfin, on y vient) – la campagne de presse en cours aux USA sur la sécurité des biens fabriqués en Chine, ou encore les tentatives du Congrès pour faire accuser la Chine de manipulation monétaire, traduisent d’ailleurs une volonté de faire sentir aux Chinois que les « panda huggers » ne sont pas forcément les seuls à décider, à Washington.

    On ne s’étonnera pas ici que l’administration Obama (financement : Soros donc Rothschild ; conseil stratégique : Brzezinski dont Rockefeller) soit « panda hugger » (finir de gagner la guerre de classes), tandis que le Congrès (soumis au vote de l’Amérique profonde et en partie financé par l’industrie US) soit nettement plus hard avec la Chine (préserver la puissance US)…

    Du côté chinois, on prend progressivement conscience de sa puissance, et on teste le rival, à petites touches. Remise en cause du dollar comme monnaie de réserve mondiale (discours de Zhou Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale chinoise). Pesée au sein du FMI en faveur d’une monnaie de réserve mondiale constituée d’un panier de monnaie. Accords avec des pays asiatiques qui officialisent le rôle de monnaie internationale régionale du Yuan.

    Ce qu’il faut bien comprendre, en tout cas (et là-dessus, FL est très clair), c’est que le discours officiel sur la Chine « manipulatrice de monnaie » est surtout rhétorique. En réalité, les USA souhaitent d’un côté la réévaluation du Yuan (pour regagner des parts de marché), et la redoutent d’un autre côté (si le Yuan est réévalué, la puissance financière de Pékin, déjà considérable, deviendrait peut-être suffisante pour que la Chine remplace les USA comme première puissance monétaire du monde – ce qui lui permettrait de racheter les entreprises un peu partout, y compris en Occident).

    En fait, Chine et USA sont, l’un comme l’autre, enfermés dans une manipulation commune qu’ils ont tolérée pour des raisons symétriques, et dont ils ne savent plus comment sortir.

    Le problème, c’est qu’en sortant de cette manipulation commune, les USA et la Chine vont s’apercevoir qu’une fois le Yuan et le dollar convertibles, il n’y aura qu’un seul gagnant. Une des deux puissances va se trouver en situation de modeler l’économie mondiale – et il n’est pas du tout certain que ce soit les USA.

    Conclusion de FL : tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle guerre planétaire – la quatrième (après les deux guerres mondiales et la guerre froide).

    *

    Troisième et dernière question : puisque ce qui vient, c’est une guerre, à quoi ressemblera cette guerre ?

    Réponse : la « guerre sans limite », pour parler chinois, ou encore la « guerre de quatrième génération », pour parler US.

    La guerre des mers : la Chine est en train  de construire une flotte capable de rivaliser avec l’US Navy. C’est logique : puisque les Chinois mettent la main sur les matières premières partout où ils peuvent, avec leurs réserves  de devise, ils veulent aussi pouvoir sécuriser les routes maritimes vers ces matières premières.

    C’est aussi une mesure défensive : pour Pékin (que FL juge paranoïaque et que nous estimons simplement prudente), la Mer de Chine est un poste avancé. Surtout qu’il y a, au large, une bombe diplomatique prête à exploser : Taiwan, qui, en déclarant officiellement son indépendance, pourrait provoquer une intervention chinoise.

    La Chine peut-elle rivaliser à termes avec la puissance militaire US ? Réponse : oui. Officiellement, Pékin dépense 10 fois moins que Washington en dépenses militaires (60 milliards de dollars contre 600 milliards). Mais la réalité serait, d’après FL, toute autre. Le chiffre réel des dépenses chinoises serait probablement du double du chiffre avoué, et comme les salaires chinois sont beaucoup plus faibles que les salaires US, on peut considérer que les 60 milliards officiels équivalent à 120 milliards réels au taux de change courant, et à 250 milliards à parité de pouvoir d’achat. Pékin dépenserait donc à peu près 40 % de ce que dépense Washington – et, en outre, n’ayant pas à financer d’expéditions coûteuses en Irak et en Afghanistan, ses dépenses d’équipement ne sont pas rognées par les dépenses de fonctionnement.

    Au final, il semble peu probable que Pékin puisse jamais se donner les moyens de gagner une guerre conventionnelle contre les USA. Mais il est probable, en revanche, qu’elle puisse interdire à l’Amérique de considérer possible une victoire dans ce domaine.

    Ce qui reportera le conflit vers d’autres théâtres d’opération, extérieurs à la sphère militaire…

    La guerre du cyberespace : ils ont l’air malin, ceux qui annonçaient que l’Occident pouvait abandonner sans remord l’économie physique, puisqu’il allait gagner l’économie de la connaissance !

    La Chine possède désormais le supercalculateur le plus puissant du monde. Elle possède aussi des entreprises performantes dans le secteur des télécoms. Elle compte 400 millions d’internautes. Elle forme chaque année des centaines de milliers d’ingénieurs dans les technologies de l’information. Le quart des tentatives de piratage observées dans le monde proviendrait de Chine. Le moteur de recherche Baidu domine Google en Chine même, tandis que les encyclopédies en ligne Baidu Baike et Hudong, contrôlée par le gouvernement chinois, n’ont même pas de concurrent (wikipedia est bloquée).

    La Chine n’a pas le contrôle d’Internet, mais celui de son Internet. La Chine se met en situation de gagner, en tout cas sur son sol, la « guerre de l’information ». L’opération « faux SMS » conduite semble-t-il par la CIA en Iran, après la réélection d’Ahmadinedjad, n’est tout simplement pas « jouable » en Chine.

    La guerre de l’or noir : la Chine n’a pas de pétrole. Pendant longtemps, ça ne l’a pas empêchée de dédaigner la grande stratégie globale : elle n’avait besoin du pétrole, n’ayant pas d’industrie. Cette période est révolue : la Chine va désormais se projeter à l’extérieur, contrairement à sa longue tradition, pour le pétrole (et d’autres matières premières).

    Au total, et sur ces opérations récentes, la Chine s’est assurée l’exploitation de 8 milliards de barils hors de ses frontières (environ quatre ans de sa consommation au rythme actuel). Il est à noter que 30 % de cette manne vient d’Afrique… et 30 % d’Iran (où un seul champ représente 2,5 milliards de barils). Où l’on comprend pourquoi « l’axe du Mal » associe le Soudan et l’Iran…

    En 2008, les investissements chinois à l’étranger ont dépassé 50 milliards de dollars, soit plus que les investissements étrangers en Chine. L’essentiel de cet effort porte sur les matières premières et les hydrocarbures.

    La guerre du capital : la Chine n’a pas de pétrole, mais elle a tellement de devises qu’elle peut se permettre d’acheter bien d’autres choses encore.

    On a récemment fait remarquer que l’évaluation de l’investissement nécessaire pour remettre en état l’ensemble du parc d’infrastructures des Etats-Unis (totalement délabré après 30 ans de néolibéralisme) correspond approximativement au montant des réserves de change chinoises. Ou pour le dire autrement (et cela donne une idée du raid financier qui se prépare potentiellement), les USA pourraient rembourser 20 ans de consommation de produits chinois à bas prix en vendant à la Chine… leurs ports, leurs routes, leurs aéroports, leurs ponts et leurs chemins de fer ! (où l’on comprend, encore une fois, que la réévaluation du Yuan est à la fois souhaitée et redoutée par Washington).

    On n’en est pas là. Mais ça commence. Savez-vous que Volvo est, depuis quelques mois, une entreprise chinoise ? Et que si EDF s’est désengagée de l’électricité britannique, c’est parce que son concurrent chinois alignait les zéros ?

    La guerre des modèles : le déluge d’argent chinois qui peut à tout moment fondre sur les entreprises occidentales va imposer au capital une révision drastique de son discours dominant (antiprotectionniste jusqu’ici). Ce n’est pas tant qu’il s’agisse de défendre le marché intérieur (les capitalistes occidentaux ne s’en préoccupent pas vraiment, ils pensent global avant tout) ; c’est qu’il va falloir défendre le contrôle exercé sur les entreprises par les institutions financières occidentales.

    Cette défense va réhabiliter l’idée de compétition entre deux modèles. Non plus « la démocratie de marché » contre « l’économie dirigée par le Parti Unique », mais le néolibéralisme US contre le néo-colbertisme chinois. Or, dans cette guerre, il n’est pas certain que le modèle occidental prédomine. Si l’Amérique s’est longtemps imposée, rappelle FL, c’est parce qu’elle faisait rêver. Mais aujourd’hui, c’est la croissance chinoise qui fait rêver (en tout cas les peuples pauvres).

    La Chine a d’ailleurs commencé cette guerre. Elle forme les élites des pays émergents. Il y a des milliers d’étudiants africains à Pékin. Partout, la Chine propose aux peuples longtemps dominés par l’Occident un modèle de rechange (lire la note de lecture sur « La Chinafrique »)… et cela ne se limite pas aux fonctions techniques ou d’encadrement intermédiaire : le directeur d’HEC s’est récemment étonné de la capacité des Chinois à rattraper leur retard dans la formation des gestionnaires !

    La guerre culturelle : verrons-nous un jour un cinéma français proposer non plus trois films US (très bien faits) et un film français  (minable), mais trois films chinois (très bien faits) et un film français (toujours aussi minable) ? Pas impossible, même si c’est peut-être le seul terrain où les USA dominent encore …

    Le mandarin va-t-il remplacer l’anglais comme langue la plus usitée  sur Internet ? Qui a répondu : jamais ? – perdu, c’est déjà le cas.

    Pékin est pragmatique : pour développer l’apprentissage du chinois, le pouvoir chinois a copié rigoureusement le système des « alliances françaises », avec les « instituts Confucius » (60 dans le monde). En 2010, 30 millions de courageux ont entrepris l’apprentissage du Chinois (simplifié, tout de même – sinon, c’est dix ans d’études à raison de 4.000 idéogrammes par an).

    Nous ne nous rendons pas compte de cet effort culturel, parce qu’il porte prioritairement sur la périphérie de l’Empire chinois. Pour l’instant, ce que veulent les dirigeants de Pékin, c’est réaffirmer leur prédominance culturelle sur les anciens Etats tributaires du système mandarinal.

    Mais demain ?...

    La guerre monétaire : Ce sera le terrain décisif. L’équation est simple : tant que le Yuan n’est pas réévalué, le dollar reste monnaie de réserve, mais l’Amérique implose. Le jour où le Yuan est réévalué, et où il devient convertible, il y aura deux monnaies de réserve possibles pour le monde (trois si l’euro existe encore, ce dont beaucoup doutent ici).

    On en est peut-être très proche : voici un véritable symbole, la firme Mc Donald vient d’annoncer qu’elle s’endetterait en Yuans pour financer son implantation en Chine…

    Le jour où le Yuan sera réévalué et convertible, on verra se produire un évènement décisif : les USA seront obligés soit d’emprunter en Yuan, ou, s’ils le font encore en dollars, de rembourser avec des dollars stabilisés, appuyés sur des actifs réels.

    Ce jour-là, estime FL, l’Empire thalassocratique anglo-saxon aura perdu la suprématie mondiale. Et la guerre pourra opposer deux camps, parce qu’il y aura deux camps.

    On pourra alors vérifier, pour la centième fois dans l’Histoire, que l’interdépendance économique ne garantit pas la paix. Au contraire : elle crée des opportunités de guerre, parce qu’elle oblige à définir le sens de la dépendance.

    http://www.scriptoblog.com

  • Azerbaïdjan : pas de sanctions ! (arch 2012)

    L’Azerbaïdjan est candidat à l’adhésion à l’OTAN

    L’emprisonnement de Ioulia Timochenko, chef de l’opposition ukrainienne, fait que Kiev, juste avant la Coupe européenne de football, essuie un feu roulant de critiques. Ce n’est pas le cas de l’Azerbaïdjan où a eu lieu, le 26 mai, la finale du concours de l’Eurovision. Le président autoritaire Ilham Aliyev n’a rien à craindre: le ministère allemand des affaires étrangères a fait savoir qu’il n’y aurait pas de “campagne systématique” contre cette ancienne république soviétique.

    Pourtant l’Azerbaïdjan devrait faire rugir de colère cet Occident si zélé à défendre les droits de l’Homme: les manipulations électorales y sont à l’ordre du jour tout comme les entorses lourdes à ces mêmes droits de l’Homme. Amnesty International estime que le nombre de prisonniers politiques est de 75 à 80; quant à l’organisation indépendante “Reporters sans frontières”, qui établit une liste des pays selon qu’ils accordent ou non une liberté de la presse pleine et entière, elle classe l’Azerbaïdjan à la 162ème place sur les 179 Etats qui ont été passés au crible de la grille d’analyse. L’Ukraine, elle, est au 116ème rang. Ensuite, il me paraît opportun d’ajouter que le clan Aliyev a fondé une sorte de dynastie post-communiste (Ilham Aliyev a succédé à son père Heydar en octobre 2003).

    Mais contrairement à l’Ukraine, l’Azerbaïdjan n’a commis aucune grosse faute: il ne s’est jamais heurté de front aux intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Enfin, ce pays caucasien, riche en ressouces et d’une grande importance stratégique, se trouve, depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, tout en haut sur la liste des Etats prioritaires bénéficiant de l’aide américaine. Dans un rapport de planification stratégique édité par l’organisation d’aide au développement USAID, inféodée au ministère américain des affaires étrangères, on a pu lire le constat suivant dès juin 2000: “L’Azerbaïdjan possède d’énormes réserves prouvées de pétrole et de gaz naturel. De plus, il se situe dans une zone géostratégique cruciale entre la Russie et l’Iran”. Par voie de conséquence, Washington ne néglige rien pour mettre Bakou de son côté, tandis que les Azéris louvoient, depuis leur indépendance en 1991, entre les Etats-Unis et la Russie. Si les plans américains réussissent, Washingon pourra tuer deux mouches d’un seul coup de savatte: d’une part, la Russie sera encore un peu plus houspillée hors du Caucase mériodional; ce sera le deuxième revers après la Géorgie. D’autre part, les Américains pourraient créer une pierre d’achoppement entre Moscou et Téhéran.

    Le but principal des stratèges de Washington est donc de favoriser une adhésion à l’OTAN de l’Azerbaïdjan. Le 3 juin 2009, dans le magazine “Eurasianet”, qui s’affiche sur la grande toile, on pouvait lire un article de Shahin Abbasov, conseiller du spéculateur en bourse Georges Soros, financé par l’”Open Society Institute Azerbaidjan”, où l’auteur évoquait une rencontre avec un responsable très haut placé de l’OTAN, dont il ne citait pas le nom, selon qui l’Azerbaïdjan aurait plus de chance d’adhérer rapidement à l’OTAN que la Géorgie. “Il y a quelque temps, au quartier général de l’OTAN à Bruxelles comme à Bakou, on pensait que la Géorgie serait la première à adhérer au Pacte nord-atlantique et que l’Azerbaïdjan ne suivrait qu’ultérieurement”. Mais la donne a changé depuis la guerre entre la Géorgie et la Russie en août 2008; voilà pourquoi “l’Azerbaïdjan pourrait plus vite devenir membre de l’OTAN que la Géorgie ou l’Ukraine”. Ensuite, dit-on dans l’article, l’Azerbaïdjan dispose de “quelques atouts particuliers”, notamment ses “liens culturels étroits” avec la Turquie, partenaire à part entière de l’OTAN et son importance stratégique cardinale sur le tracé prévu de l’oléoduc Nabucco.

    Mais avant que les démarches ne soient entreprises en vue de l’adhésion de l’Azerbaïdjan au Pacte nord-atlantique, il faut d’abord briser les bonnes relations qui existent entre Bakou et Moscou. La Russie a conservé, depuis la fin de l’Union Soviétique, la station de radar de Gabala en Azerbaïdjan, une station de haute importance stratégique. Le bail se termine à la date du 24 décembre 2012. A l’heure actuelle, les deux Etats négocient un prolongement de ce bail jusqu’en 2025, mais Bakou exige comme prix de la location non plus la somme de sept millions de dollars par an mais celle de 300 millions! Jusqu’en novembre 2011, on parlait de quinze millions de dollars.

    Apparemment le prix a été réévalué à la hausse afin que Gabala soit trop cher pour la Russie et qu’ainsi la voie soit ouverte à l’OTAN. En janvier 2010, le politologue Vafa Guluzade, conseiller de l’ancien président Heydar Aliyev, soulignait dans un article: “Le territoire et le peuple de l’Etat d’Azerbaïdjan s’avèrent idéaux pour une coopération avec l’OTAN. Le pays dispose d’une situation géostratégique favorable, sa population est éduquée et capable de se servir de nouvelles technologies. L’Azerbaïdjan dispose aussi de terrains d’aviation militaires, qui pourraient servir de bases à l’OTAN”.

    Bien sûr, il faut également tenir compte de solides intérêts économiques. A ce propos, on a pu lire les lignes suivantes dans le texte qui exposait en juin 2000 la planification stratégique de l’USAID: “La participation de firmes américaines dans le développement et l’exportation du pétrole et du gaz naturel azerbaïdjanais s’avère importante pour la diversification des importations américaines d’énergie et pour la promotion des exportations américaines. Les Etats-Unis soutiennent l’utilisation de divers tracés d’oléoducs pour faciliter l’exportation du pétrole d’Azerbaïdjan”. Il s’agit surtout de contourner la Russie et l’Iran dans l’acheminement du pétrole et du gaz naturel. Le tracé Bakou/Tiflis (Tbilissi)/Ceyhan achemine déjà le gros du pétrole de la zone caspienne via la Géorgie en direction de la côte méditerranéenne de la Turquie. Cet oléoduc est contrôlé par un consortium anglo-américain sous la direction du géant pétrolier britannique BP.

    D’autres tracés d’oléoducs devront être construits à court ou moyen terme. On est actuellement en train de boucler les négociations quant à la construction de l’oléoduc TANAP (“Trans-Anatolian Pipeline”) qui devrait acheminer le gaz naturel azerbaïdjanais en Europe via la Turquie. Le projet TANAP, qui aura coûté sept milliards d’euro, devrait avoir une capacité de 16 milliards de m3 par an, ce qui constitue une concurrence majeure pour la Russie, et aussi, bien sûr, pour l’Iran.

    Bernhard TOMASCHITZ.
    (article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°21-22/2012; http://www.zurzeit.at/ ).

  • Réalités arméniennes

    Pendant que le gouvernement arménien se félicite de sa bonne politique et de sa « croissance à 7,2 % », la vie des citoyens est celle d’un terrible effondrement économique. Après avoir un instant cru au mythe de la solution occidentale, beaucoup fuient désormais un pays dont le problème essentiel réside dans le décalage des élites avec la réalité.

    La vie politique suit les mêmes lois dans le monde entier comme en Europe. Et, à de rares exceptions près, ce sont celles du show politique. Par exemple, sur fond de problèmes sociaux et économiques en pleine croissance, les fonctionnaires de l’Union européenne (UE) décident quel contenant est le plus adapté pour l’huile d’olive dans les restaurants, tandis que des potagers sont aménagés dans les parcs de Lisbonne. Aux USA l’on se préoccupe de la légalisation du mariage homosexuel au niveau fédéral, tandis que l’esclavage imposé par les franchises est passé sous silence.

    Dans les républiques post-soviétiques limitrophes de la Russie, c’est la même situation. En Ukraine, il y a des élections sans fin, tandis qu’en Arménie il n’y a pas si longtemps que les passions sur le maïdan [1] se sont calmées. Le politicien orange [2] Raffi Ovanisian a à peine cessé sa grève de la fin, qu’il a créé dans la foulée un mouvement politique d’opposition et a interdit à tout le monde de le critiquer. On a l’impression que le monde s’est transformé en une immense scène d’un théâtre de l’absurde. Et pendant ce temps là, dans la même Arménie, la population se paupérise rapidement, tandis que les plus capables quittent le pays.

    La dépopulation arménienne

    Les Arméniens fuient leur pays. D’après un sondage mené par Gallup, 40 % d’entre eux ne sont pas opposés à l’idée de quitter leur pays pour toujours. Et dans leur cas, les paroles ne sont pas loin des actes : en 2011, 43 000 Arméniens ont quitté leur pays, l’an dernier 42 000 autres les ont suivis. C’est curieux, mais la hausse du PIB (7 % l’an, selon le gouvernement) n’influe en rien sur les sentiments émigrationnistes du peuple. Le problème de l’expatriation est déjà devenu le premier des sujets dans les médias de masse du pays, éclipsant même le dilemme de la politique étrangère du pays. Les populistes clament que la fuite des habitants est liée à l’absence de justice, les réalistes estiment qu’elle contribue à la perte de la souveraineté. La dépopulation arménienne est déjà devenue un thème labouré par la propagande électorale des mouvements politiques. Ainsi, la politique-show a de nouveau gagné, repoussant dans l’ombre les problèmes économiques et la querelle gazière avec la Russie. Pendant ce temps, la crise risque d’entraîner l’effondrement de l’économie du pays.

    Comment la crise achève l’économie arménienne

    Depuis le début des années 90, l’Arménie a fait tout le chemin vers la désindustrialisation. Désormais, un tiers des Arméniens vivent sous le seuil de pauvreté, le chômage a dépassé les 16 % et l’office national statistique a perdu tout lien avec la réalité, en annonçant une hausse du PIB de 7,2 %.

    En réalité, seul l’en-cours de dette et le montant des capitaux en fuite sont en hausse dans le pays. Le gouvernement ne s’inquiète plus du tout que la dette extérieure du petit pays ait dépassé les 4 milliards de dollars, tandis que les capitaux s’écoulent comme le sable à travers les doigts. Sur la seule année dernière, un demi-milliard de dollars ont quitté la république, ce qui ne rend guère plus stable la devise nationale, le dram. Les indicateurs des investissements directs étrangers (IDE) si appréciés par les libéraux esquissent un tableau vraiment glauque. Le montant des IDE s’est effondré de 27,5 % l’an dernier : les investisseurs fuient et ne reviennent pas.

    Seul le travail des Arméniens expatriés en Russie sauve l’économie : ils rapatrient 2,5 milliards de dollars chaque année et ne sont dépassés dans le montant des sommes reversées au pays que par les Tadjiks, qui en envoient 3,6 milliards chez eux. L’isolation qu’entretiennent la Turquie et l’Azerbaïdjan à l’égard de l’Arménie ne contribuent guère à améliorer la situation. Une seule chose est évidente dans la politique arménienne : personne n’a l’intention de résoudre les problèmes réels.

    UE ou UEE : le dilemme du choix géopolitique de l’Arménie

    La question de la fuite des citoyens a éclipsé pour un moment du top des discussions celle du choix du pays entre l’intégration européenne (UE) ou eurasienne (UEE). Les politiciens n’arrivent pas à décider quel cap géopolitique doit suivre la barque prenant l’eau de toutes parts nommée « République d’Arménie ». Les show-politiciens dogmatiques corrigent sans cesse la direction, tandis que l’axiome selon lequel le Texas est pillé par les Texans rend impossible n’importe quelle intégration.

    Cependant, à Minsk où était le Premier Ministre Tigran Sarkissian le 31 mai, l’on discutait du format de la coopération entre l’Arménie et l’Union douanière [3]. L’Arménie n’a pas de frontières communes avec celles des membres de l’Union douanière, et c’est justement ce qui est souvent mis en avant pour s’opposer à l’adhésion [4]. Cependant, l’Arménie n’a jamais eu de frontières communes avec l’UE non plus, mais la conclusion d’un accord avec elle est devenue une question prioritaire pour le gouvernement arménien. Il se trouve donc que l’éloignement de l’Europe n’est pas un obstacle à une association voire à une intégration européenne de l’ordre du mythe, ce qui ne serait pas le cas pour une politique d’union autour de la Russie, bien réelle malgré l’absence d’une frontière commune. Comme on le dit, seule compte la volonté, l’on trouvera toujours le format. Le résultat visible est une politique dirigée vers plusieurs direction et soutenue tant par l’Occident que par la diaspora sise aux États-Unis.

    Conclusions

    Sans doute, les élites nationales sont devenues la plus grande malédiction pour les républiques limitrophes de la Russie, où il n’y a pas d’État puissant : il est impossible de s’en séparer, mais il est insupportable de vivre avec. Les gouvernants de l’Arménie font justement partie de ces élites-là. Peu importe qui a gagné aux élections présidentielles organisées à la fin de l’hiver : le président élu Serge Sagsian ou l’opposant pro-US Raffi Ovanissian. Pendant leurs années de vie dans les réserves d’indiens nationales, les élites se sont dégradées et se sont transformées en showmen politiciens. Mais on ne peut rafistoler les trous béants de l’économie arménienne et la fuite des citoyens par des discours enflammés dans les meetings et des conférences de presse.

    Le salut de l’Arménie, comme des autres confettis nationaux de l’URSS, est autour de la Russie seule. Le seul processus de réintégration et de recréation d’un État nécessitera de nouvelles élites, capables de répondre aux gageures géopolitiques, mais aussi économiques et démographiques.

    [1] Maidan, par analogie avec l’Ukraine où le terme désigne le Maidan Nezalejnosti, la place de l’Indépendance à Kiev où se sont déroulées l’ensemble des événements de la révolution orange, qui a conduit à la mise en place d’un gouvernement pro-occidental. Les « passions sur le Maidan » désignent une « révolution » orchestrée de l’extérieur qui, à force d’occupation de l’espace public et de meetings enflammés, essaie de mettre en place une opposition pro-occidentale dans des pays de l’ex-bloc soviétique (Géorgie, Ukraine, Kirghizie) ou du monde arabe (Printemps arabes).

    [2] Par analogie avec l’Ukraine toujours, où l’orange était la couleur des politiciens pro-occidentaux et pro-européens, un « politicien orange » est pro-occidental (UE et USA) et est financé par ceux qu’il soutient.

    [3] L’Union Eurasienne vise à recréer autour de la Russie un espace civilisationnel, économique et commercial semblable – quoique plus réduit - à l’URSS. Elle se décline notamment en Union économique Eurasienne (UEE) et en une Union Douanière (UD), actuellement constituée de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakshtan. Outre la Kirghizie, la Syrie et le Tadjikistan, ainsi que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, pourraient rejoindre cette union douanière et de libre-échange dans les années qui viennent.

    [4] Le but de l’UD, de l’UEE et de l’Union Eurasienne est à terme de réunir tous les États qui en font partie dans une intégration confédérative autour de la Russie, recréant une Union soviétique autrement dessinée.

  • Retour sur la mort troublante des soldats qui auraient tué Ben Laden

    Lu sur le Réseau Voltaire :

    Le 6 août 2011, en Afghanistan, une roquette détruisit un hélicoptère en vol tuant 38 personnes : 7 soldats de l’Armée nationale afghane et des soldats US, dont 15 membres de l’équipe des Navy Seals n°6.

    Plusieurs afghans qui devaient prendre place dans l’hélicoptère refusèrent de monter au dernier moment, sans explication. Les familles des victimes pensent qu’ils savaient que l’aéronef serait abattu. Le commandement militaire a fait procéder à la crémation des corps sans en informer les familles des victimes.

    En 2001, Oussama ben Laden était extrêmement malade et ne survivait qu’avec une assistance rénale. Il serait mort en décembre 2001 et les services britanniques ont attesté avoir surveillé son enterrement. Pourtant, des cassettes audio et vidéo de lui ont été diffusées pendant des années par Al-Jazeera. Elles ont été authentifiées par les autorités US ou des sociétés israéliennes, mais ont toutes été invalidées par le Dalle Molle Institute qui est la référence mondiale en matière d’expertise judiciaire.

    Les autorités US ont fait disparaître le corps de la personne tuée à Abbotabbad, lors de l’Opération Trident de Neptune, afin qu’il ne fasse pas l’objet d’un culte.

    En violation de son statut, la CIA a facilité secrètement la réalisation de deux films holywoodiens sur l’exécution d’Oussama ben Laden établissant un éloge de la torture comme source de renseignement.

    http://www.contre-info.com/

  • Bernard LUGAN : en Côte d'Ivoire, la seule solution est la partition

    Universitaire et spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan analyse pour Monde et Vie la situation en Côte d'Ivoire.
    En Côte-d'Ivoire, l'élection présidentielle a divisé le pays. Quelles leçons en tirer ?
    Organisée à grands frais par la communauté internationale, cette élection a confirmé la coupure de la Côte d'Ivoire en trois blocs ethniques, donc politiques (1).
    Au premier tour, le président sortant, M. Laurent Gbagbo, un Bété, élu en 2000 à la suite d'un vaste trucage électoral, a rassemblé sur son nom 37 % des suffrages, rassemblant au-delà de son noyau ethnique (environ 12 % de la population) puisque les sous-groupes akan, notamment les petites ethnies dites Lagunaires auxquelles appartient son épouse Simone, ont voté pour lui, ainsi que l'électorat détribalisé de la région d'Abidjan qui s'est reconnu dans son discours nationaliste et ses positions anti-françaises. Il a réalisé des scores médiocres dans le centre du pays et ses résultats dans les régions administratives du Nord sont dérisoires.
    L'ancien président Henri Konan Bédié, d'ethnie Baoulé (environ 25 %), premier successeur de Félix Houphouët-Boigny et qui occupa le fauteuil présidentiel de 1995 à 1999, espérait rassembler sur son nom la grande majorité des 40 % d'Akan ; or, il n'a recueilli que 25 % des suffrages, soit ceux des seuls Baoulé. Comme il a fait le plein des voix au centre du pays, dans les deux régions baoulé des Lacs et de N'zi-Comoé, ce résultat signifie clairement que les Akan non Baoulé ont voté pour Laurent Gbagbo. Outre les Lagunaires, M. Bédié a ainsi perdu l'électorat akan de la région du Sud Comoé. Dans l'Ouest, en zone Kru, il a réalisé en revanche des scores honorables là où des planteurs baoulé ont colonisé la terre des indigènes kru, notamment dans le Bas-Sassandra. Ses résultats sont insignifiants dans le Nord avec moins de 5 % des voix.
    Avec 33 % des voix, Alassane Ouattara a rassemblé sur son nom les votes des ethnies nordistes et musulmanes (Malinké, Dioula, Sénoufo, Kulango ou Lobi etc.). Sa domination est écrasante dans 4 régions administratives nordistes où il a obtenu jusqu'à 93 % des suffrages. Dans le Sud, ses résultats ne furent que le simple décalque des noyaux de peuplement résultant des migrations internes et de l'immigration sahélienne ; dans la région d'Abidjan, il a ainsi obtenu 33 % des voix.
    La clé du second tour était donc détenue par l'électorat baoulé d'Henri Konan Bédié (25 % des voix au premier tour). Comme ce dernier avait conclu un accord électoral avec Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo fut battu. Mais si M. Ouattara l'a emporté avec 55 % des voix, c'est uniquement parce qu'avait été reconstituée autour de sa candidature l'alliance entre Baoulé et Nordistes qui avait jadis permis au président Houphouët-Boigny de gouverner. Cependant, Laurent Gbagbo n'était pas homme à abandonner facilement le pouvoir et son clan savait qu'il avait tout à redouter de l'arrivée au pouvoir des nordistes. Aussi a-t-il fait un coup d'État.
    Quels sont les atouts de Gbagbo ?
    Le président sortant dispose de l'appareil de l'Etat, il tient la région d'Abidjan - bien qu'il y soit minoritaire avec 45 % des suffrages -, il contrôle les zones cacaoyères de l'Ouest et le littoral riche en hydrocarbures, il est assuré du soutien d'une partie de l'armée et de la quasi-totalité de la gendarmerie et il a montré qu'il sait tenir la rue grâce à ses milices. Politiquement, il a radicalisé la situation, se présentant comme le chef des « patriotes » contre Ouattara, l'homme « à la nationalité douteuse ». Jouant la carte nationaliste il s'oppose avec virulence au « diktat » de l'ONU et accuse tout particulièrement la France, bouc émissaire idéal. Maître du pays Kru et du cordon littoral peuplé par ses alliés Akié, Abouré et autres Lagunaires, il contrôle la Côte d'Ivoire « utile ». Grâce aux revenus du pétrole, du café, du cacao, des ports, il va tenter de contraindre les acteurs économiques internationaux à composer avec lui. La Chine a déjà annoncé qu'elle ne respecterait pas un éventuel boycott. De plus, il est loin d'être isolé et un géant africain comme l'Angola le soutient.
    En face, que peut faire Ouattara ?
    Pas grand-chose car il a été tellement porté par la « communauté internationale » et par l'Élysée qu'il est discrédité aux yeux de la rue africaine. Il va même bientôt apparaître comme un gêneur que tous vont abandonner, à commencer par ses « alliés » baoulé, qui regrettent déjà d'avoir lié leur destin à un perdant. Chef de l'Etat légitime mais désarmé, il apparaît chaque jour un peu plus comme l'homme de l'étranger et dépend d'une hypothétique intervention militaire du Nigeria, pays connu pour ses grandes pratiques démocratiques...
    Quelles sont les responsabilités de la communauté internationale ?
    Elle est largement responsable de ce gâchis. Après la partition du pays intervenue à la suite des événements de 2002, elle a voulu, au nom de la démocratie et de la « bonne gouvernance », contraindre à la réconciliation, à la réunification et au partage du pouvoir des populations qui n'en voulaient pas. Postulant que la paix allait sortir des urnes, elle a englouti des sommes considérables dans un processus électoral bancal. Le résultat de cette cécité ethnologique et politique est catastrophique.
    Les positions des deux camps sont inconciliables car elles sont ancrées sur des mentalités inscrites dans la longue durée. Pour les Kru du sud forestier, ensemble ethnique auquel appartient M. Gbagbo, les Nordistes forment un monde rattaché à l'univers du Sahel qui rêve selon eux, de reprendre vers le Sud une expansion bloquée durant la parenthèse coloniale. La coupure Nord-Sud entre le monde sahélien, ouvert et structuré en chefferies ou royaumes, et le monde forestier littoral peuplé d'ethnies à la géopolitique cloisonnée, est la grande réalité géopolitique régionale.
    Le problème ivoirien étant d'abord ethnique, sa résolution ne passe pas par une artificielle recomposition démocratique à l'« européenne », mais par une redéfinition de l'État. Comme il n'existe plus de fédérateur et que tous les dirigeants politiques sont discrédités, un replâtrage faussement consensuel avec un gouvernement dit d'« unité nationale » ne serait qu'une solution artificielle, fragile, provisoire et porteuse d'embrasements futurs. La seule issue réaliste est la reconnaissance de l'actuelle partition.
    Propos recueillis par Olivier Figueras monde&vie janvier 2011
    1) La cartographie de cette élection est traitée en détail dans le numéro 11 (novembre 2010) de l'Afrique réelle revue que Bernard Lugan publie par internet. Pour tous renseignements concernant les abonnements : www.bernard-lugan.com

  • « Printemps arabes » : tout ne fait que commencer…

    L’échec des « printemps arabes » est à la hauteur des emballements émotionnels qu’ils suscitèrent, tant chez les lemmings de la presse, que parmi ces lapins de coursive qui constituent la grande majorité de la classe politique française. Moins de trois ans après le début d’un phénomène pour lequel tous eurent les « yeux de Chimène », le bilan est en effet bien amer, les fleurs de ces prétendus « printemps » ayant précocement fané. Que l’on en juge :

    - En Tunisie, pays que le président Ben Ali avait presque sorti du « sous-développement » et où Mohammed Brahmi vient d’être assassiné, la faillite économique est totale cependant que le climat politique est devenu explosif. Alors que la révolution s’était faite pour plus de liberté, les Frères musulmans, arrivés au pouvoir à la faveur du renversement du régime qui les combattait, veulent faire adopter une Constitution ayant la charia pour norme. Or, ils sont considérés comme des « traîtres » par les fondamentalistes (environ 10% du corps électoral), qui posent ouvertement la question du rétablissement de la polygamie, abolie en 1956, celle des unions avec des filles juste pubères, et jusqu’à celle des « bienfaits » sociologiques de l’excision clitoridienne… Comme l’armée tunisienne n’a, du moins jusqu’à ce jour, aucune tradition « putschiste », on voit mal comment la « douce » Tunisie peut sortir de cette ornière...

    - En Egypte, ceux qui ne supportaient plus leur vieux chef militaire ont permis aux islamistes d’arriver au pouvoir ; puis, terrorisés par le sort qui les attendait, ils ont appelé au secours un autre chef militaire, foulant ainsi aux pieds les principes démocratiques dans lesquels ils se drapaient quelques mois auparavant… et le pays bascule insensiblement vers une guerre civile.

    - En Libye, où l’intervention sarkozo-otanienne s’est faite au nom des droits de l’homme, le pays n’existe plus. Le nord est éclaté et aux mains de milices tribales ou religieuses, cependant que le sud est devenu un « Libystan » fief des jihadistes à partir duquel toute la région saharo-sahélienne est contaminée

    La suite sur le blog officiel de Bernard Lugan

    http://www.actionfrancaise.net

  • Une géographie pittoresque par Georges FELTIN-TRACOL

    Les bizarreries géographiques seraient-elles devenues le nouveau fond de commerce de l’édition ? Après le Dictionnaire des États éphémères ou disparus de 1900 à nos jours de Jean-Claude Rollinat et Mais qu’est donc devenu le Tanganyika ? de Harry Campbell, voici Le Seuil qui publie Le mont Blanc n’est pas en France ! d’Olivier Marchon.

    Sous ce titre intriguant, l’auteur traite de trente cas étranges dont la valeur peut être géopolitique et qui résultent souvent des effets de l’histoire sur les territoires. L’intitulé général est déjà en lui-même une surprise. Le point culminant de l’Europe fait l’objet d’un conflit de souveraineté entre la France et l’Italie toujours en cours. Si une carte française localise le mont Blanc en France, une carte italienne indique, elle, qu’il est partagé entre les deux États. Juristes, géographes, historiens et diplomates des deux pays ne sont toujours pas parvenus à trouver un accord satisfaisant pour tous.

    Un exemple contraire existe entre la France et la Confédération helvétique dans la vallée des Dappes en Franche-Comté. S’y trouve « la principauté d’Arbézie […] 1000 m2 de terre jurassienne sur laquelle sont installés un hôtel – restaurant et ses bâtiments attenants, véritable pied de nez à la motion de frontières et aux “ administrations traumatisées ” (p. 162) ». Cette « principauté » correspond à une maison construite en 1863 à cheval sur la frontière franco-suisse ! L’endroit possède un nom français et un nom helvétique avec, par conséquent, deux adresses, l’une en France et l’autre en Suisse. « Évidemment, sur place, c’est cocasse : dans certaines chambres, la frontière passe au milieu du lit, dans le hall, seules les quatre premières marches de l’escalier qui mènent à l’étage sont en France, dans la salle du restaurant, on trouve une table offrant aux convives la possibilité de dîner chacun dans un pays différent… et bien sûr, le zinc binational permet aux piliers de bar des deux pays d’échanger sur la vie politique de Franche-Comté ou du canton de Vaud (p. 161) ». Sous l’Occupation, le propriétaire, Max Arbez, profite de la situation et, membre de la Résistance, transforme son établissement en lieu de passage clandestin.

    Cette particularité hôtelière n’est pas unique. Olivier Marchon rappelle que le 17 juillet 1945, la Suite 212 de l’hôtel Claridge’s de Londres devint une journée territoire yougoslave afin que le prince héritier Alexandre puisse un jour prétendre au trône. L’auteur évoque aussi des particularités territoriales plus connues comme Moresnet-Neutre entre l’Allemagne, la Belgique et les Pays Bas, la République soviétique juive de Birobidjan en Extrême-Orient, la tentative de Nueva Germania au Paraguay (une colonie allemande, aryenne et végétarienne fondée en 1887 par Bernhard Förster et son épouse Elisabeth Nietzsche, sœur du Grand Éveilleur) ou bien la fameuse principauté maritime et métallique de Sealand, 550 m2 occupés par Roy Bates.

    Olivier Marchon signale aussi quelques héritages historiques incongrus. On sait peut-être que le président de la République française est chanoine honoraire de Saint-Jean-de-Latran à Rome, de l’église parisienne de Saint-Germain-des-Prés et proto-chanoine de la cathédrale d’Embrun. On ignore en revanche que « la République française possède des Lieux saints en Terre sainte. Et il convient de préciser que ces quatre domaines ne constituent pas des “ territoires ” français au sens strict, elles ne sont que des propriétés de l’État français; ce qui veut dire que c’est bien la loi israélienne qui s’y applique, et que la France y est considérée par les autorités locales comme n’importe quel propriétaire privé. […] On apprend que le consul de France prend chaque année part à une trentaine de “ messes consulaires ” pour la République française, organisées dans ces mêmes établissements. Au cours de ces cérémonies, les ecclésiastiques présentent Évangiles et eau bénite au consul de France, avant de l’encenser. Et c’est par la très officielle Prière pour la République en latin que s’achèvent systématiquement les célébrations : “ Domine, salvam fac rem publicam, Seigneur, sauve la République ! (p. 59) » Qu’en pensent donc Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Manuel « Gaz » ?

    Dans ce petit ouvrage sont aussi étudiés l’île de Sercq, proie de l’hyper-classe mondialiste, ce « Tibet chrétien » interdit aux femmes qu’est la République monastique autonome du Mont Athos ou le Triangle égypto-soudanais de Bir Tawil qui serait la seule terra nullius (territoire non revendiquée) au monde ! L’auteur ne pouvait pas ne pas mentionner la situation originale de l’île de la Conférence. Située au milieu de la Bidassoa, l’île est depuis 1659 un condominium franco-espagnol interdit au public. Administrée par Madrid du 1er février au 31 juillet, elle passe ensuite sous l’autorité de Paris du 1er août au 31 janvier. C’est au commandant de la base navale de l’Adour qui revient d’y représenter la France en tant que « vice-roi de l’île de la Conférence (p. 132) » comme le fut l’écrivain Pierre Loti.

    L’ouvrage traite aussi des enclaves. Celle de Llivia est assez connue. C’est 12,84 km2 d’Espagne et 1388 habitants situés à quelques kilomètres de la frontière. Cette situation est finalement simple. Aujourd’hui divisée entre Grecs et Turcs, l’île de Chypre doit aussi composer avec deux bases militaires : Dhekelia et Akrotiri. Mais « il existe, au milieu des terres gérées par les S.B.A. [Sovereign Base Aeras], quatre morceaux de terre chypriotes : deux villages, ainsi que la centrale de Dhekelia et son lotissement dédié (pp. 37 – 38) ». « Le fonctionnement de ces Sovereign Base Aeras est des plus étranges. Leur administration est militaire, mais leur police et leur justice sont civiles et appliquent une loi calquée sur la loi chypriote en lieu et place de la loi britannique. Elles ne font pas partie de l’Union européenne, alors que la République de Chypre et le Royaume-uni en sont tous les deux membres. Et l’euro, monnaie en cours à Chypre mais pas au Royaume-Uni, est la devise qu’on y utilise (p. 38). »

    La situation demeure toutefois relativement facile à comprendre et à cartographier à grande échelle. Dans les Émirats arabes unis existe l’enclave de Madha qui appartient au sultanat d’Oman. C’est 75 km2 et environ 2000 habitants. Or Madha possède en son sein une contre-enclave émiratie : Nahwa (7 km2 et 40 habitants) qui bénéficie, elle, des retombées de la manne pétrolière… En Europe aussi, on découvre un enchevêtrement d’enclaves et de contre-enclaves, en particulier entre les Pays-Bas et la Belgique. Ainsi, « Baarle est un village néerlando-belge. Baarle-Hertog, partie belge de Baarle, est composée de quatre morceaux en Belgique, le long de la frontière entre les deux pays, et de vingt-deux enclaves en territoire néerlandais, au milieu du morceau principal de Baarle-Nassau, qui est la partie néerlandaise de Baarle, elle-même composée d’un morceau principal, de sept contre-enclaves dans deux des vingt-deux enclaves de Baarle-Hertog et d’une enclave dans un des morceaux de Baarle-Hertog en Belgique… (p. 18) ». Cette complexité administrative territoriale remonte au Moyen Âge et a toujours été approuvée par les habitants !

    Le contexte belgo-néerlandaise n’est pas compliqué en comparaison avec le Cooch Behar sur la frontière entre l’Inde et le Bangladesh. Existe là « une terre indienne, située au milieu d’un territoire bangladeshi, lui-même au milieu d’un territoire indien, se trouvant lui aussi en terre bangladeshie (p. 23) ». Bonjour les formalités douanières d’autant que le passage des frontières est souvent meurtrier du fait des tensions entre Delhi et Dacca. Toujours en Asie a existé jusqu’en 1997 l’endroit le plus densément peuplé au monde : Kowloon Walled City à Hong Kong alors britannique avec 1,4 million d’habitants au km2 puisque 35 000 personnes occupaient 2,5 ha ! La Kowloon Walled City fut longtemps un espace soumis aux Triades chinoises qui y développèrent toutes leurs activités illégales. Olivier Marchon aurait pu aussi parler de ces enclaves étatsuniens en France depuis 1945, les cimetières militaires et certains lieux du débarquement allié en Normandie.

    La Normandie précisément. Pourquoi trouve-t-on une immense statue du roi des Belges Albert Ier à Sainte-Adresse ? Tout simplement parce que la ville balnéaire fut pendant la Grande Guerre la capitale de la Belgique libre. Ce fut dans cette ville qu’on avait installé les ministères belges, d’où le maintien d’une boîte aux lettres rouges typiquement belge. Encore un autre motif pour que les Normands s’intéressent à la Belgique !

    Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/

    • Olivier Marchon, Le mont Blanc n’est pas en France ! Et autres bizarreries géographiques, Le Seuil, Paris, 2013, 188 p., 14,50 €.

  • Barrage contre la Mondialisation

    Le titre est emprunté à l’imaginaire de Marguerite Duras. Un certain Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS de Paris, s'est cogné au mur de la communication idéologique du parti socialiste que dirige une mégère sans idées ni talents. Calée sur un logiciel primitif que les systèmes actuels d’exploitation ne savent pas lire, la bataille des Européennes se résume de ce bord à agiter des slogans éculés qui ne font retourner personne. La mégère est la fille du ChicagoBoy masqué qui a ouvert les portes de Troie au cheval des grands trusts : un chrétien mou nommé Delors que détestait Margaret Thatcher !
    Ainsi décida-t-on Rue de Solferino d’acheter un peu de talent à l’extérieur depuis que les penseurs maison sont passés avec armes et bagage à l’ennemi. M. Sapir a donc été convoqué, puis censuré dans ses propositions visant à brider la "mondialisation" sauvage au sein même de l'Europe. Un long billet est disponible sur le jeune blogue de Bertrand Renouvin, ici. Parlant de la destruction d'emplois et des grilles salariales par le dumping social des pays de l'Est, extrait :

    ... nous avons découplé la formation des profits par les entreprises des conditions du travail telles que l’on peut les avoir sur un territoire donné. Désormais, le profit se réalise de manière globale et la mise en concurrence des salariés dans un vaste marché se fait sous la forme du « moins disant, moins coûtant » [...] Il n’est pas étonnant, alors, d’apprendre que se creusent les écarts de salaires et que les 1% supérieurs des revenus salariaux accumulent une part croissante du revenu national. C’est une tendance constante dans les pays qui se sont ainsi ouverts, sans entraves ni protections, au commerce international. Seul, un retour au protectionnisme peut permettre d’inverser ce mouvement. Il faut tendre à le faire en commun avec des pays qui ont le même niveau de productivité. De ce point de vue, il y a une logique à chercher des protections communes avec les pays du noyau originel de l’Europe. Mais, s’il le faut, nous ne devrions pas hésiter à décider de mesures unilatérales. Elles seraient, il n’en faut pas douter, ce que nous appelons entre nous économistes [...] un « optimum de second rang », ce que l’on peut traduire par un pis-aller. Cependant, elles seraient préférables à ne rien faire du tout, au prétexte toujours plus illusoire, de réaliser un jour cette fameuse « Europe sociale ».

    C'est cette lanterne porcine de l'Europe sociale concrètement impossible, qui a provoqué le clash entre le communicant du PS et lui.
    Nous n'allons pas disputer un professeur de l'EHESS - raison garder ! - mais nous allumons la lampe de poche dans le tunnel de l'entropie mondiale. Qu'est-ce à dire ? L'Europe sociale sera l'aboutissement d'un long et lent processus d'entropie générale.
    Le rétrécissement de la planète par le progrès des moyens de communication oblige à tendre vers un alignement des niveaux de vie, étant bien entendu que cet objectif est un horizon marin indépassable puisqu'il recule sans cesse à mesure que se vaporisent les ressources terrestres.
    L’utopie généreuse réside dans une triple action :

    - Contraction volontaire des écarts de niveaux de vie et salaires du Monde afin qu’ils ne soient pas criants au point que les productions se délocalisent à grande distance (en couvrant facilement le prix de rapatriement des produits finis), mais surtout que la tentation de quitter leur pays natal par les pauvres soit éteinte par le doute ressenti d’une amélioration de leurs conditions d'existence balançant la peine de leur arrachement ;
    - Abaissement relatif des niveaux de vie de l’OCDE afin de libérer des ressources et accélérer le rapprochement des conditions d’existence ;
    - Gestion planétaire d’une décroissance modulée avant pénurie.

    Pour le moment, nous en sommes très loin, mais c'est plus ou moins la feuille de route consensuelle des décideurs qui ont les bons chiffres. Qu'est-ce à faire cette histoire d'horizon marin avec un retour du protectionnisme européen ? On est en plein dans la question !
    Si les grands trusts trouvent leur avantage dans la globalisation des échanges de biens, services et surtout flux financiers, l'élévation des niveaux de vie du Tiers Monde et le ralentissement voire l’affaissement des nôtres apaisent en partie la "jalousie" des pays pauvres et les distraient d'une insurrection frontale ou asymétrique très mauvaise pour les affaires et le foncier. Une Chine nucléaire dans la misère noire serait bien plus dangereuse pour le Monde que l'actuelle Corée du nord, si elle n'avait pas déjà même ouvert les hostilités sur son front nord. Que dire d'une Union indienne dans sa crasse sociale condamnée à un tête-à-tête atomique avec son frère de lait pakistanais, pas mieux loti. Pire encore pour l'Indonésie musulmane dont on pillerait le bois, l'huile, le gaz et les épices sans ouvrir des possibilités de développement. Etc...
    Or, élever des barrières en Occident bloque le développement des pays grouillants et prouverait à leurs opinions publiques que l'égoïsme des blancs n'est pas un argument de propagande raciste, mais un fait acquis. C'est la confrontation que nous avons périodiquement à l'OMC entre l'agriculture de l'Union européenne et celles du Tiers Monde. Et sitôt la Crise passée le ton va sérieusement monter. Bien sûr, nous devons traiter chez nous un désavantage structurel amplifié par la liberté des échanges en prenant des mesures de sauvegarde un peu éloignée de la charité chrétienne mais il nous faut garder à l'esprit que la fin de l'histoire c'est toujours l'entropie globale, sauf à disparaître dans deux générations dans un holocauste nucléaire. Aussi devons-nous nous préparer « tout simplement » à gagner des parts de marché dans les secteurs économiques et financiers où nous avons nos chances sans trop compter sur l’accroissement du gâteau. Favoriser plutôt une saine gestion internationale.
    Dans ce combat qui va s’avérer primordial, les socialistes, c'est-à-dire la grande majorité de la classe politique française, ont un réflexe colbertiste qui engage l’Etat à prendre en charge la prospective et lancer des filières. Le colbertisme gaulliste et ses succédanés pompidilo-giscardiens nous ont montré la vanité de faire naître ces mammouths dont aucun n’a survécu. A peine l’idée budgétée qu’affluent les rats en pantoufles, incapables de réussir en compétition ouverte mais décidés à établir leur rang social, et le fromage grandit à mesure des portées de profiteurs, asséchant les marchés de capitaux au bénéfice du monstre en croissance.
    C’est le génie de l’Homme qui peut trouver la solution, pas la réunion de fonctionnaires limités désormais au 35 heures.
    Dans cette guerre économique, il faut donc libérer les énergies individuelles en dérégulant partout où cela favorise la création et mettre à leur disposition, non pas des « aides » ou des « exonérations » mais les moyens ordinaires de développement que sont essentiellement les banques. Quand nous aurons des banquiers, bien sûr !
    C’est ainsi que je persiste à dire que la Relance est une foutaise palliative pour les secteurs morts qui pompe des moyens refusés aux secteurs vivants ou naissants. On parle ces jours-ci de la Californie en faillite que le gouverneur Schwarzenegger convoque par référendum à augmenter les impôts. Les observateurs français dépêchés sur cette planète «Mars» rapportent que la situation économique est atroce mais que les gens ne descendent pas gueuler dans la rue car ils ont ancré dans leurs gênes la certitude que l’économie se purge actuellement pour repartir rapidement dans des secteurs adaptés ou nouveaux. De fait, les créations d’entreprises se multiplient en dépit de l’assèchement des concours financiers, ce qui veut dire que, arrivées au premier palier de croissance (2 à 4 ans en général), ces entreprises auront beaucoup de force car peu ou pas endettées originellement. Tout le monde prépare un décollage rapide, et l'on sait que l'optimisme est le meilleur moteur. Ce n’est pas tout à fait ce que l’on voit ici, où l’on se dispute de la fausse monnaie pour perfuser les mourants et où défilent les déçus de la météo !
    L'autre frein à l’entropie générale est que pour cent raisons, l’amélioration des conditions d'existence sont ralenties sinon stoppées dans certaines zones géographiques comme l'Afrique sub-saharienne, les pays andins et les pays de jungle ou de deltas surpeuplés. Les coûts de manufacture découlant de cette misère resteront longtemps bien inférieurs aux nôtres jusqu'à ce que ça pète ! La seule solution est le développement à marche forcée des poches de misère et de toute l'Afrique sub-saharienne, afin de presque combler les écarts de manufacture, mais surtout ceux des conditions d'existence motivant l'émigration.
    C'est une véritable « guerre à la misère » qu'il faut mener sous l'égide d'un état-major. L'argent dépensé dans les guerres ouvertes serait mieux employé dans celle-ci. En attendant que les trusts y trouvent leur avantage et se lancent d'eux-mêmes - car des systèmes politiques pratiquant l'éphémère je n'attends rien - nous devons creuser nos méninges pour faire survivre nos territoires dans un monde fatalement concurrentiel, car le barrage contre l'océan, d'autres avant nous ont essayé.
    L'autre choix, purement virtuel mais caressé dans un milieu myope, serait de revenir aux petites forteresses nationales de la première moitié du XX° siècle avec leurs problèmes d'espace vital, d'interactivité au sein d'empires dominés et fermés, et de confrontations permanentes des ego nationaux. Ce schéma géopolitique a coûté ce que l'on sait à l'espèce humaine, et surtout aux jeunes générations qu'il a couchées par millions sous des croix blanches ou noires.
    Devant ! Regardons devant !

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