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tradition - Page 278

  • Découvrir Louis Quiévreux (1902 – 1969) par Daniel COLOGNE

     

    Originaire du Hainaut, le militaire de carrière et capitaine – commandant d’infanterie Joseph Quiévreux épouse Marie Josèphe Vandenoetelaar, une corsetière de la banlieue Ouest de Bruxelles. De leur union naît un fils prénommé Louis, le 15 mai 1902.

    Louis Quiévreux obtient son diplôme d’instituteur à l’École normale Charles-Buls, établissement bruxellois réputé pour la formation des enseignants du niveau primaire.

    Dès 1924, Louis Quiévreux abandonne l’enseignement et se dirige vers le journalisme où l’attend une fructueuse carrière sous son patronyme et sous le nom d’emprunt de Pierre Novelier.

    À la faveur d’une place obtenue dans un concours organisé par La Dernière Heure, Louis Quiévreux est enrôlé par le quotidien bruxellois. Il y signe ses premiers billets, où il touche les sujets les plus divers, d’une campagne contre la vivisection à des comptes-rendus de procès retentissants en passant par des notes sur la vie bruxelloise. À partir de 1925, il devient un collectionneur acharné de tout ce qui se rapporte à l’histoire et au folklore de la capitale.

    En 1946, Louis Quiévreux est embauché par La Lanterne (aujourd’hui La Capitale), autre quotidien bruxellois pour lequel il recense le procès de Nuremberg.

    Durant de nombreuses années, les lecteurs de La Lanterne se régalent de la chronique journalière que Louis Quiévreux intitule « Ce jour qui passe » et où il évoque, dans un style mêlant harmonieusement l’humour, la nostalgie et le pittoresque, les multiples facettes du patrimoine populaire bruxellois.

    Germaniste polyglotte maîtrisant le néerlandais, l’anglais et l’allemand, Louis Quiévreux donne des conférences sur les ondes de Radio-Munich, devient le correspondant européen de plusieurs journaux britanniques et travaille, en qualité d’European reporter, pour la National Broadcasting Corporation de New-York (1937 – 1940).

    Sa connaissance de la langue de Shakespeare, dont il compile un certain nombre d’extraits, s’accompagne d’une spécialisation dans l’univers institutionnel britannique, auquel il consacre un de ses premiers ouvrages. Son inlassable curiosité intellectuelle plonge Louis Quiévreux dans les traditions artistiques d’Espagne. Il se taille une réputation d’érudit en matière de guitare espagnole et de flamenco.

    Louis Quiévreux passe les vingt dernières années de sa trop brève existence à Uccle, rue Henry-Van-Zuylen, dans un chalet suisse du XIXe siècle. Il cherche désormais l’inspiration au pied de l’impressionnant tilleul qui se dresse au milieu du jardin.

    Mais une autre maison est aussi chère à son cœur que le Mont des Arts au cœur de Bruxelles, pour reprendre le titre d’un de ses meilleurs livres.

    C’est la fermette ancestrale de Frasnes-lez-Buissenal, le village hennuyer de sa famille. Rongé par la maladie, Louis Quiévreux lui rend une ultime visite vers la mi-octobre 1969. Ce dernier pèlerinage lui inspire un « billet poignant » (Le Peuple, 22 octobre 1969). « Au revoir, petite maison » paraît sous la plume de Pierre Novelier, dans Le Soir du lendemain de son décès.

    Louis Quiévreux s’en est allé le 19 octobre 1969, avec sa coutumière discrétion, par un beau dimanche ensoleillé où l’inexorable déclin de la nature n’était perceptible qu’au travers d’un léger vent d’automne.

    Le présent article est adapté de la revue Molenbecca (n°31, avril 2008). J’ai dépouillé le texte initial de tout ce qui se rapporte à l’histoire locale. J’en ai conservé la partie générale, intéressante pour notre lectorat, dans la mesure où Louis Quiévreux symbolise une quête identitaire citadine (certains quartiers spécifiques de Bruxelles) et revendique en même temps une appartenance à une Europe inscrite dans un triangle géographique pointé sur les Îles britanniques, la Bavière et l’Andalousie.

    Louis Quiévreux illustre l’opulence méconnue du patrimoine littéraire de l’Ouest bruxellois, dont il a déjà été question ici même avec Robert Frickx-Montal et Eugène Demolder. Bruxelles, la Belgique et l’Europe : telles sont les trois patries (charnelle, historique et idéale) de Louis Quiévreux.

    Après s’être illustré dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, Louis Quiévreux entame un quart de siècle d’intense production littéraire, dont voici un aperçu (Flandricismes et wallonismes dans la langue française, L’Île anglaise et ses institutions, The best extracts from Shakespeare, Guide de Bruxelles, Recueil d’histoires sur le folklore bruxellois, Dictionnaire des dialectes bruxellois, Histoire des enseignes bruxelloises, La belle commune d’Uccle, Les Impasses de Bruxelles [en collaboration avec Robert Desart], Anthologie de Courouble, Marolles, cœur de Bruxelles, Le Mont des Arts cher à nos cœurs, Des mille et un Bruxelles, Bruxelles, notre capitale). Les informations complémentaires sont les bienvenues concernant les maisons, les lieux et les dates d’édition.

    Daniel Cologne http://www.europemaxima.com/?p=1577
  • La liberté religieuse est uniquement une liberté civile

    A l’occasion du 50e anniversaire de l’ouverture du concile Vatican II, Yves Daoudal a rédigé des commentaires sur les textes, souvent méconnus, du concile. Ces Notules sur un concile sont des réflexions personnelles, qui tranchent avec les commentaires hagiographiques du clan « progressiste » ou les critiques des milieux « traditionalistes ». Le meilleur exemple de cette lecture originale est sans doute celle appliquée à la déclaration Dignitatis Humanae, qui a fait et fait encore couler beaucoup d’encre. Cette notule d’Yves Daoudal a sans doute le mérite de s’inscrire dans ce que déclarait Benoît XVI dans son discours à la Curie le 22 décembre 2005 sur « l’herméneutique de la réforme dans la continuité » :

    N« Le grand débat sur cette déclaration est de savoir si ce texte est en rupture ou non avec « l’enseignement infaillible » de Pie IX dans Quanta Cura et dans le Syllabus (notamment). Certains montrent que la contradiction est manifeste, d’autres ont écrit des milliers de pages pour montrer que la contradiction n’est qu’apparente et que finalement il y a bien continuité.

    Ce débat me paraît parfaitement vain. C’est à peu près comme si on se demandait s’il y a contradiction entre le Deutéronome et le Code civil. La question ne se pose pas. Elle ne se pose pas parce qu’on compare ou qu’on oppose des textes qui n’ont pas d’autres points communs que certains mots, auquel on veut donner la même valeur alors qu’ils ne l’ont pas.

    Le grand malentendu sur Dignitatis humanae est, mais ici de façon chimiquement pure, le malentendu qui règne sur le concile en général, et plus particulièrement sur Gaudium et spes. Non seulement ce concile s’est voulu pastoral, mais il a voulu s’adresser « à tous les hommes », comme le disait d’emblée son « Message » du 20 octobre 1962. […] Lorsque l’Eglise s’adresse à l’humanité toute entière, ce n’est évidemment pas pour préciser un point du dogme, ni pour confirmer ou battre incroyablement en brèche un « enseignement infaillible », c’est pour proposer, en tant qu’organisation sociale à laquelle on reconnaît une sagesse certaine, une règle de comportement qui serve le bien commun social.

    J’ai fini par comprendre cela à force de lire les discours de Jean-Paul II puis de Benoît XVI adressés à des auditoires non catholiques, aux dirigeants politiques et aux ambassadeurs. Chaque fois qu’il est question de liberté religieuse, ces discours donnent l’impression que le pape n’est plus le pape. […]

    Et en fait ce n’est pas nouveau dans l’histoire de l’Eglise. Chaque fois que l’Eglise défend la loi morale naturelle, elle fait la même chose.  […] Quand elle proclame sa doctrine sociale, au sens des premières encycliques sociales […] elle la proclame à tous les hommes de bonne volonté : les principes du bien commun et de la subsidiarité ne sont pas des principes confessionnels ; cette doctrine est véhiculée par l’Eglise mais elle n’est pas religieuse, elle est proprement sociale. Il en est de même de la liberté religieuse, qui, en réalité, s’inscrit tout simplement dans la doctrine sociale de l’Eglise. Et de fait elle s’y trouve désormais […]. »

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Pierre Rabhi ou la sagesse paysanne :

     

    « Il y a aujourd'hui à repenser la vie sur un mode qui soit à la fois sobre et puissant. Je crois beaucoup à la puissance de la sobriété. Je ne crois pas à la puissance des comptes en banque. La vraie puissance est dans la capacité d'une communauté humaine à se contenter de peu mais à produire de la joie. Notre société déborde de tout, mais nous sommes un des pays les plus consommateurs d'anxiolytiques, pour réparer les dégâts que produit la "société de la matière" ! Nous sommes une espèce de planète psychiatrique. Combien de souffrances produisons-nous? Les citoyens ne sont pas véritablement conscients de l'enjeu de l'écologie que nous sommes obligés d'avoir une écologie politique pour lui donner une place au forceps. (...) La civilisation moderne est la civilisation la plus fragile de toute l'histoire de l'humanité. Plus d'électricité, de pétrole, de télécommunications et la civilisation s'écroule. Elle ne tient sur rien du tout. »

     

    « Le progrès ne libère pas. (...) Il faut que l'humanité se pose la question: le progrès, pour quoi faire ? Et avant : qu'est-ce que vivre ? S'il s'agit juste de consommer, je n'appelle pas ça la vie, cela n'a aucun intérêt. Nous sommes devenus des brigades de pousseurs de caddies. Cela me terrifie. Nous sommes revenus au néolithique : nous sommes des cueilleurs, nous passons dans les rayons et nous cueillons. Tout cela n'est pas bon. On a évoqué la décroissance, qui est considérée comme une infamie dans le monde d'aujourd'hui : remettre en cause la croissance ! Au Moyen Âge, j'aurai été brûlé vif. Le progrès technologique ne rétablit pas de l'équité dans le monde, au contraire. Une minorité en bénéficie. Ce ne sont pas les pays en voie de développement qui consomment le plus de voitures ou de frigos. C'est un leurre de dire que la planète ne pourra pas suffire, parce que nous serons plus nombreux. C'est une injustice totale : sur 7 milliards d'humains aujourd'hui, la moitié n'a pas accès à la nourriture pendant que les autres se bâfrent et gaspillent à outrance. Un cinquième de l'humanité consomme les 4/5 ème des ressources produites. Ce serait très pernicieux d'invoquer la démographie pour dire qu'on ne va pas s'en sortir. Non! Plusieurs milliards d'humains ne s'en sortent déjà pas. Ce ne sont pas les pauvres qui épuisent les ressources. La démographie n'est pas en cause. Je sens cet argument s'insinuer de façon vicieuse. Aujourd'hui, les jeunes ne savent pas quelle place ils auront et s'ils auront une place dans l'avenir »

     

    « Vous pouvez manger bio, recycler votre eau, vous chauffer à l'énergie solaire, tout en exploitant votre prochain, ce n'est pas incompatible! Le changement radical de la société passe par une vision différente de la vie. L'humain et la nature doivent être au coeur de nos préoccupations. (...) Voilà ce qu'une civilisation digne de ce nom devrait pouvoir fournir à tout le monde. Aucun bonheur n'est possible sans la satisfaction des besoins vitaux. Notre civilisation a la prétention de nous libérer alors qu'elle est la civilisation la plus carcérale de l'histoire de l'humanité. De la maternelle à l'Université, nous sommes enfermés, ensuite tout le monde travaille dans des boîtes. Même pour s'amuser on va en boîte, assis dans sa caisse. Enfin, on a la boîte à vieux quand on n'en peut plus, qu'on est usé, avant de nous mettre dans une dernière boîte, la boîte définitive ». « Ceux qui ont de l'argent, commettent un hold-up légalisé sur le bien de tous. Un vol illicite mais normalisé par la règle du jeu. L'argent rend l'humanité complètement folle et démente. Aujourd'hui, on achète le bien des générations futures. Je possède de la terre, mais je suis prêt à dire que ce n'est pas la mienne. Je l'ai soignée pour qu'elle soit transmise à mes enfants ou à d'autres gens. (...) Ce que je regrette, c'est qu'on ne se mette pas sur la voie du changement. Ce modèle a été généré par l'Europe. La première victime de ce nouveau paradigme, cette nouvelle idéologie, c'est l'Europe elle-même. (...) Nous sommes dans un système «pompier-pyromane»: il produit les dégâts et prétend en plus les corriger. On met des rustines au lieu de changer de système : ce n'est pas une posture politique intelligente. »

     

    Pierre Rabhi

    http://www.actionroyaliste.com/bibliotheque-du-gar/les-revues-sociales-asc/1243-pierre-rabhi-ou-la-sagesse-paysanne-

  • Identité, racisme et manipulations par Claude BOURRINET

     

    La mainmise désormais totale des partisans atlantistes d’un dominion américain sur l’Europe, depuis la fin du siècle dernier, a entraîné progressivement, jusqu’à « libérer » la parole totalement depuis la fameuse affaire des « caricatures de Mahomet » (dont les tribulations qu’avait connu Salman Rushdie étaient un coup d’essai en laissant pressentir quelle allait être la nouvelle ligne anti-musulmane), un recentrement idéologique et rhétorique, qui entraîne de graves conséquences. Le contexte géopolitique a évolué depuis la chute du mur de Berlin, déplaçant les lignes de force, et bouleversant les certitudes. Une fois le danger soviétique disparu, il fallait absolument un terrain conceptuel solide pour légitimer l’hégémonie américaine sur le monde occidental et dans ses zones d’influence.

    L’argument libéral, d’abord, sous sa forme politique (sa dimension économique était la même depuis l’émergence de l’idée même, réduite en substance au dogme du marché), même s’il avait souffert de nombreuses entorses, au nom de la lutte contre la subversion, aussi bien dans les pays qu’on appelait du « Tiers-Monde », qu’en Europe même (Espagne franquiste), a subi une singulière revitalisation. L’objectif était double. Il s’agissait d’abord de recycler les intellectuels dévoyés, les « compagnons de route » marxisants des « dictatures  prolétariennes », et, pour cela, en ce qui concerne la France, des entrepreneurs d’idées ont fait l’affaire, comme les « nouveaux philosophes, à la fin des années 70. Dans un second temps, il fallait désigner les ennemis, le nouvel « Empire du Mal », l’Union soviétique ayant fait faillite. À ce compte, toute dictature pouvait suffire, pourvu qu’elle soit ostensiblement entachée d’une revendication identitaire, et qu’elle s’oppose de ce fait à l’universalisme marchand. Car, outre l’obstacle idéologique que suppose un enracinement pris au sérieux, qui ne se satisfait pas des costumes folkloriques, il s’agit, pour un système en crise, de conquérir de nouveaux marchés, et d’empêcher un effondrement qui menace. Cela explique que toutes les guerres entreprises par l’O.T.A.N., menées depuis 1990, ont visé à détruire les États trop rivés à leur singularité (Irak, Serbie, Afghanistan, bientôt l’Iran etc.), ou à déstabiliser, notamment en Amérique latine, des nations aspirant à l’indépendance.

    La lutte sociale, la lutte des classes, le combat des « damnés de la terre », a été remplacé de ce fait par le « choc des civilisations ». Ce qui était une manière d’englober dans un même ensemble des êtres qui n’avaient rien en commun. Car quel est l’intérêt soude par exemple le prolétaire, le chômeur, à l’oligarque occidental censé partagé la même origine, en tout cas la même identité (réduite dans les faits à Coca-Cola et à la merde consumériste) ?

    Le piège est donc grossier. D’autant plus vulgaire qu’il se satisfait de grosses ficelles, de quoi pendre tous les naïfs. Quand Huntington, même lorsqu’il est caricatural, évoque encore des traits culturels positifs (bien que diamétralement opposés, chaque civilisation entretenant une vision du monde antithétique avec les autres), il n’en faut pas beaucoup pour que d’aucuns retombent dans des raccourcis racistes. Ainsi le conflit entre civilisations concurrentes à l’échelle mondiale, cette gigantomachie, devient-il une lutte à mort entre les races. Ce discours de plus en plus audible parcourt la Toile, singulièrement sur des sites « identitaires », qui, outre leur pinard et leur saucisson, en font un aliment de choix. On remarquera au passage que le bras séculier est d’une tolérance extraordinaire en regard de ce que l’on risque, par exemple, à critiquer vertement Israël et le sionisme. Edgar Morin en sait quelque chose.

    Bien sûr, la liberté d’expression est inattaquable, pour le meilleur et pour le pire, et c’est d’ailleurs pourquoi l’on a le droit de s’en prendre à ce qu’il y a de plus abject dans son propre « camp ».

    Une vidéo, celle d’un certain Rav Dinovisz, consacrée au destin tragique de la race blanche, a connu dernièrement un certain succès. En général, les commentaires sur la Toile sont d’un intérêt limité, mettant trop souvent en relief les insuffisances de leurs auteurs que leurs compétences. Mais l’on peut être sidéré par l’absence d’esprit critique, et la même tonalité qui marque ces interventions. Comme écrivait Simone Weil dans La pesanteur et la grâce : « Une même action est plus facile si le mobile est plus bas que s’il est élevé. Les mobiles bas enferment plus d’énergie que les mobiles élevés. » Et elle poursuivait : « Problème : comment transférer aux mobiles élevés l’énergie dévolue aux mobiles bas ? ».

    Malheureusement, on ne peut pas affirmer que cette question soit insoluble. On voit bien au demeurant quel est, chez les « identitaires », le calcul machiavélique sous-tendu pas la stigmatisation, au-delà d’un prétendu danger islamiste, d’une population musulmane qui n’a pas la chance d’avoir, dans son ensemble, la peau blanche. On espère, comme on dit dans le rugby, « transformer », en tirant des dividendes politiques (une alliance droite libérale/identitaires ?) d’un affrontement ethnique.

    Il n’est pas utile de commenter le tissu de mensonges déversés dans la vidéo susmentionnée. Le ton employé est condescendant, et apparemment le rabbin considère-t-il encore les Européens, et singulièrement les Français, comme des sots. Sans grande chance de se tromper, hélas ! Tous les poncifs sont là, avec cet art du retournement qui caractérise la rhétorique israélite, laquelle est capable de dire tout et son contraire. Qui a dévirilisé l’Europe ? Qui l’a culpabilisée ? Qui s’est servi du concept de victimisation pour la désarmer moralement ? Qui a instrumenté la Shoah pour bloquer toute tentative d’action enracinée ? Qui a invalidé tout recours au passé européen, considéré comme la source du Mal absolu ? Qui a jeté la suspicion sur la culture ancestrale, celle des Grecs, des Romains, accusée de prodiguer des armes conceptuelles pour accréditer les actes les plus monstrueux ? Qui a redonné vie aux slogans chrétiens les plus éculés, à ce pacifisme évangélique, au mieux stupide, au pire hypocrite (La paix, c’est la guerre !) ? Qui a pris la tête de la pseudo-révolution de mai 68, de tous les mouvements de « libération » visant à noyer la conscience dans un magma compassionnel ? Qui, en psychanalyse, dans les luttes visant à bouleverser les mœurs (féministes, homosexuels, etc.) a féminisé l’homme occidental ? Qui a porté triomphalement les idées des Lumières comme horizon d’un nouvel homme délivré de l’obscurantisme ancestral ? Qui a prôné l’universalisme, la fraternité planétaire, l’antiracisme dogmatique ?

    Et voilà maintenant que tous ces dogmes, ces courants, ne sont plus bonnes qu’à mettre à la déchetterie de l’Histoire ! Soit ! Mais le contraire d’un mensonge ne constitue pas forcément une vérité. La dénonciation de l’antiracisme militant, parce qu’il était hypocrite et servait d’alibi à une lutte de pouvoir, ne conduit pas inéluctablement à la revendication d’un racisme décomplexé. De la même façon que la féminisation de la société ne doit pas valoriser ce qui, chez le mâle, apparaît quelque fois comme l’expression de la stupidité même, l’intolérance, l’emploi de la force brute et l’autosuffisance n’étant pas ce qui est le plus ragoûtant chez sa version la plus brute de béton (hélas courante dans le camp « identitaire »).

    Faute de savoir à quoi l’on sert, qui l’on sert, et quoi servent ces réactions épidermiques, on se prépare à de douloureuses déconvenues. Qui ne voit à qui profiterait le crime, l’erreur, qui consiste à jeter une population contre une autre ? Que veut-on vraiment ? Des milliers de cadavres dans les rues, des camps, la valise ou le cercueil ? Il est clair que l’Amérique du Nord a tout intérêt à ce que l’Europe soit empêtrée dans des conflits internes, une guerre civile moralement douteuse, quitte à achever le travail en bombardant, comme cela s’est vu en Serbie. Il est évident que le déplacement des ressentiments sur le plan ethnique ou religieux contribue à occulter le vrai débat susceptible de fâcher les oligarques de l’hyper-classe atlantique, à savoir la question sociale. Il est évident que la focalisation sur le problème immigré en France et en Europe (qui existe, bien entendu) sert les intérêts des colons sionistes en Israël. Il est évident que le ravalement d’une identité à un substrat biologique, quand il n’est tout simplement qu’une erreur scientifique, ne sert pas la cause de l’Europe.

    On se trompe en effet d’époque. Les Juifs aussi commettent une erreur, qui pourrait être mortelle pour eux. Ils sont en effet restés à l’épisode sanglant de la Shoah, traumatisant pour eux, et on les comprend. La suite de leur histoire découle de ce sentiment tragique, et explique le caractère particulièrement agressif qu’a manifestée la prise de possession, au détriment du peuple palestinien, d’une terre qu’ils considérés comme la leur. Cependant, outre le caractère discutable d’une telle colonisation, ils ont emprunté aux Européens ce qu’ils avaient eu de pire, le nationalisme hystérique, et un ethnocentrisme virulent qui peut aller jusqu’au racisme. Le judaïsme en soi, qui survalorise le « peuple élu », n’a fait qu’envenimer les choses, en y portant une tonalité apocalyptique source de tous les dangers, surtout si l’on songe à la puissance nucléaire de l’État hébreux. La réaction des peuples musulmans environnants a été à la mesure de cette agression, à tel point qu’il est devenu presque impossible, hormis la guerre, de trouver une solution. Certes, on peut comprendre que l’on soit révolté par des attentats qui ont détruit des vies, notamment civiles. Mais, pour faire bonne mesure, il aurait fallu songer à celles des innocents qui ont succombé, ou meurent encore, à la suite de bombardements que l’on ne peut même plus considérer comme « aveugles ». De la même façon que la destruction des populations, dans le cadre des guerres totales initiées par notre ère démocratique (celle des Lumières), commises aussi bien en Allemagne, en France et ailleurs par les alliés pendant la Seconde Guerre mondiale, que par les Allemands sur Londres, ne peuvent être considérés comme ce que l’homme à imaginé de meilleurs. À ce titre, aussi bien Hitler que Churchill, que le gouvernement israélien, et, pour faire bonne mesure, que les terroristes islamistes, ont commis et commettent des crimes de guerre.

    Pour retrouver un air où l’on puisse enfin respirer, il faudrait s’interroger sur les temps nouveaux, où la guerre devient sinon impossible (ce qui ne signifie pas qu’un conflit nucléaire, détruisant toute vie sur la planète, reste « impossible » !), et toute nation obsolète. Le drame des Juifs est qu’ils ont voulu créer une nation dans ce temps-là ! Ils le font quand il est trop tard. Et même au XIXe siècle, n’était-ce déjà pas périlleux, si l’on a à l’esprit le devenir des empires coloniaux ? Les Temps Nouveaux sont ceux des grands ensembles continentaux. La question raciale est une duperie. La seule question qui vaille, c’est celle de la nature de l’État européen à venir, et des communautés qu’il encadrera. Pour le reste, toute rencontre fructueuse est possible entre civilisations, à condition qu’elles se fassent par le haut, c’est-à-dire par la contemplation sereine de l’Ordre divin du Monde.

    Claude Bourrinet http://www.europemaxima.com/?p=1359

  • La découverte de Cioran en Allemagne

    Cioran, inclassable philosophe, Roumain exilé à Paris, sceptique et mystique à l'écriture limpide, n'a pas encore trouvé beaucoup de biographes. Outre-Rhin, il commence à intriguer ; il devient l'objet d'études minutieuses, de spéculations audacieuses. Parmi celles-ci, l'œuvre de Cornelius Hell, natif de salzbourg, formé dans l'université de sa ville natale. Hell a enseigné à Vilnius en Lithuanie soviétique et est l'auteur d'un livre consacré à la mystique, au scepticisme et au dualisme de Cioran.
    Difficile à cerner, la pensée de Cioran se situe in toto dans ces trois univers dualiste, mystique et sceptique. À la question que lui posaient des journalistes allemands du Süddeutsche Zeitung :  « Êtes-vous un sceptique ou un mystique ? », Cioran répondit: « Les deux, mon ami, les deux ». Comment décortiquer cet entrelacs philosophique et métaphysique ? Hell croit pouvoir apporter une réponse. La pensée dualiste de Cioran lui donne les catégories nécessaires à décrire le monde en tant que situation, à saisir la condition humaine. Le scepticisme indique la voie pour trouver la thérapeutique. La mystique, pense Hell, sert à déterminer les objectifs positifs (pour autant que l'on trouve des objectifs positifs à déterminer dans l'œuvre de Cioran).
    Cette tripartion de l'œuvre de Cioran peut nous apparaïtre assez floue. Le Maître parvient à échapper à toutes les classifications rigides. Reste une tâche à accomplir, à laquelle Hell s'essaie : repérer les influences philosophiques que Cioran a reçues. Pour lui, l'homme a tout de l'animal et rien du divin mais le théologien analyse mieux notre condition que le zoologue. L'homme a échappé à l'équilibre naturel, par le biais de l'esprit, ce trouble-fête. L'homme est donc tiraillé entre deux ordres irréconciliables. Pour Hell, cette vision de la condition humaine se retrouve chez Kleist, dans son Marionettentheater et, plus récemment, chez cet héritier de la tradition romantique que fut Ludwig Klages. Pour ce dernier aussi, la conscience, l'esprit, trouble l'harmonie vitale. Klages comme Cioran partagent la nostalgie d'une immersion totale de l'être humain dans un principe vital suprapersonnel. Klages comme Cioran critiquent tous les deux la fébrilité, la vanité et la prétention activiste de l'homme, notamment dans la sphère politique.
    On pourrait, poursuit Hell, rapprocher Schopenhauer de Cioran car les deux philosophes rejettent la volonté et la thématique du péché originel. Hell mentionne également les influences de Simmel, de Spengler, d'Elias Canetti et d'Adorno. Les sources françaises de la pensée de Cioran doivent être recherchées, elles, chez Montaigne et Pascal. Face à Sartre et Camus, ses contemporains, la position de Cioran se résume en une phrase : « Pour moi, Sartre n'a rien signifié. Son œuvre m'est étrangère et sa parution ne m'intéresse pas… Il serait pour un existentialisme objectif. Dans ce cas, je qualifierai le mien de “subjectif”. J'ai, moi, une dimension religieuse. Lui n'en a certainement aucune ». Quant à Camus, sa conclusion dans La Peste se situe aux antipodes de la pensée de Cioran, puisqu'il affirme qu'il y a davantage à admirer chez l'homme qu'à mépriser.
    Pour Hell, c'est le néo-conservatisme allemand d'un Gerd-Klaus Kaltenbrunner et d'un Armin Mohler qui a contribué à mettre l'œuvre de Cioran en valeur Outre-Rhin. Ce néo-conservatisme et cette “Nouvelle Droite”, issue de sa consœur parisienne, ont attiré les regards sur ce marginal des années 50 et 60.
    En résumé, une analyse philosophique profonde et une mise en perspective prometteuse.

    ►Article publié sous le psuedonyme de Luc Nannens , Vouloir n°25/26, 1986.

  • Les racines chrétiennes de l’Europe : Saint Benoît et le droit

    Dans La Règle de Saint Benoît : aux sources du droit…, Gérard Guyon, professeur émérite de l’Université de Bordeaux, montre que Saint Benoît, père de l’Europe, a eu une influence non négligeable sur le doit et les institutions occidentales.

    B« Alors que la civilisation juridique romaine laissait la personne pratiquement isolée et sans droit devant le pouvoir, l’idée selon laquelle celui-ci devait, au contraire, être au service de la personne, est inscrite en toutes lettres dans le texte [de la Règle bénédictine, NDMJ].  Cette conception s’est largement répandue en Europe, grâce à la multiplication des monastères bénédictins et cisterciens, dans lesquels l’abbé est à la fois un législateur soucieux de respecter la lettre de la loi divine et d’exercer sa justice d’une manière non vindicative. Appliquant sa sanction – comme nous le verrons – en tenant compte des circonstances et de la personnalité du délinquant. Cette attitude nouvelle est remarquable. Elle inclut aussi une anthropologie liée à la transcendance, consciente des exigences de la responsabilité morale. On est loin des conceptions obscurantistes médiévales si souvent décrites et heureusement dénoncées par Jean-Marie Carbasse. Au contraire, il s’agit de caractéristiques juridiques et processuelles considérées comme les plus modernes aujourd’hui et que tous les Etats ne sont pas encore parvenus à mettre en œuvre. »

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Environ 300 veilleurs à Paray-le-Monial

    CHier, 14 août, les veilleurs de Paray-le-Monial ont rassemblé entre 200 et 300 personnes devant l'Hôtel de Ville. Claude de Changy, l’un des organisateurs, explique :

    « En fait, cette loi a produit un déclic. Maintenant, on veut arrêter cette culture de l’homme parfait, on veut remettre l’homme au centre de l’humanité […] Notre mouvement s’étoffe. La loi Taubira est passée, mais tous les espoirs sont permis. Les prochaines élections présidentielles, c’est demain. Nous sommes déterminés ».

    Philippe Arino, homosexuel continent et porte-parole du mouvement, présent hier, déclare :

    « Les veilleurs se mobilisent encore dans 200 villes en France et une grande marche a lieu en ce moment sur la côte Atlantique. Ce genre de veillée doit permettre l’éveil des consciences […] On nous traite parfois de fasciste ou d’homophobe, mais l’espérance nous conduit dans la défense des notions de l’enfant, de la famille et de la différence des sexes qui est un trésor fragile ».

    Il a rappelé que l'on ne lâchera rien avant le retrait de cette loi injuste et il a énuméré, ou tenté d'énumérer, tous les mouvements hostiles à cette loi, se réjouissant de cette saine diversité d'actions.

    Tugdual Derville est également intervenu hier soir. Il a notamment déclaré qu'il est normal, et même bon, qu'il y ait des divergences stratégiques entre les militants opposés à la loi Taubira.

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  • Socle des connaissances et droits des parents

    L'obligation faite aux parents des 16 garçons, élèves du collège Don-Bosco-Saint-Projet à Bordeaux, de les inscrire ailleurs à la rentrée sous peine de poursuites pénales devrait, aurait dû susciter un élan de solidarité de la part de tous ceux qui se battent pour la liberté de l'enseignement et pour le droit des parents d'éduquer leurs enfants comme ils l'entendent. Je dis « aurait dû » parce qu'on a assisté plutôt, depuis vendredi dernier, au silence radio, quand ce n'était pas à une forme de re-lynchage de l'école Saint-Projet par la répétition absurde des manipulations et des montages de l'émission « Les Infiltrés » à son sujet. Absurde parce que l'inspection subie par l'école n'a en rien confirmé les accusations de racisme, d'antisémitisme, de révisionnisme lancées par l'émission tournée dans les conditions intolérables que l'on sait. À quoi s'ajoute l'inconscience : si le collège bordelais est aujourd'hui menacé d'être vidé de sa substance par le départ « obligé » de ses élèves, c'est que demain, sauf opposition vigoureuse et solidaire de la part de tous ceux qui en ont assez de voir leurs enfants autrement déformés par l’Éducation nationale, toutes les écoles hors contrat catholiques pourront être persécutées au motif qu'on y enseigne l'histoire et les autres matières en respectant la doctrine catholique. Au fond, rien d'autre n'est aujourd'hui reproché à Saint-Projet ... Et nous savons depuis longtemps que c'est toujours par les affaires « à la marge » que la culture de mort progresse ou que les libertés sont attaquées : c'est précisément « à la marge » qu'il faut se battre et ne pas se laisser gagner par la logique de l'adversaire.
    Il faut lire et relire la chronique de Jacques Trémolet de Villers dans Présent de mercredi. Il dit tout sur ce devoir de solidarité, même et surtout si la haine de l'adversaire n'est pas absolument sans fondement du fait de fautes, d'erreurs, de négligences. Il ne s'agit pas de dire que tout était et que tout sera parfait dans toutes les écoles hors contrat du pays : c'est impossible et d'ailleurs encore moins vrai - litote des écoles de la République qui font entrer chaque année dans les classes de 6e quelque 40 % d'élèves qui ne maîtrisent pas véritablement la lecture, l'écriture, l'arithmétique. Encore s'agit-il là de chiffres officiels. Dans L'école des illusionnistes Elisabeth Nuyts montre que la face cachée de l'iceberg est aussi inquiétante que l'illettrisme désastreux d'une minorité : ceux qui « réussissent » dans le système peuvent ne pas avoir appris à penser, à raisonner, ni même à s'entendre lire dans leur tête, confondre indéfiniment sujet et objet.
    La lecture superficielle du décret instaurant le « socle des connaissances » (11 juillet 2006) qui n'est en rien un programme, ni une indication de calendrier de progression des acquis, laisserait presque croire que le but recherché est précisément d'assurer à chaque enfant un véritable accès à la pensée, au raisonnement, à la culture (et même aux dictées et aux textes de la littérature appris par cœur !).
    Mais il faut en dégager trois mots-clefs : « humanisme », « stéréotypes », « laïcité ». Parmi les exigences purement scolaires qui à l'échelle de l'Éducation nationale ressemblent trop souvent à des vœux pieux, ce sont là les outils de combat qui permettent aux interprétateurs du « socle commun » d'imposer le relativisme dans l'enseignement. Mais oui, la dictature, pour être telle, a quand même besoin de textes réglementaires ...
    « Humanisme », ici, s'entend à peu près sûrement dans un sens « maçon » ; il est beaucoup question de confronter les cultures, de mieux comprendre « l'autre », mais au sens de vertus chrétiennes devenues folles puisqu'en dehors de la démocratie et de l'État de droit rien ne saurait exister. Quoi de plus « humaniste » que d'apprendre l'histoire ? Eh bien, dans le cas des collégiens de Saint-Projet, il est essentiellement reproché à cette école explicitement catholique, et qui croyait avoir le droit de l'être, d'enseigner l'histoire à travers un « prisme catholique ». C'était l'épée de Damoclès qui pesait sur tout enseignement confessionnel depuis le décret sur le socle des connaissances et, depuis le 5 mars 2009 sur les écoles hors contrat et l'instruction à domicile, puisqu'un décret signé Pillon-Darcos leur étend l'obligation de respecter celui de 2006.
    Je décrivais ici, cette année-là - le 19 mai 2006 - le décret dont on connaissait à peu près l'intégralité : j'avais retenu cet élément qui éclaire bien « l'humanisme » européen qui lui sert de toile de fond. Chaque élève doit ainsi « être en mesure de comprendre les grands défis de l'humanité, la diversité des cultures et l'universalité des droits de l'Homme, la nécessité du développement et la protection de la planète ».
    Pour la laïcité - qui aura été au cœur du mauvais procès fait à Saint-Projet - elle se veut bien sûr ouverte. C'est à la mode. Mais ouverte veut dire « tolérante », au sens relativiste. On exige la connaissance du « fait religieux en France en Europe et dans le monde en prenant notamment appui sur des textes fondateurs (extraits de l'Ancien Testament, du Nouveau Testament, du Coran) ». Dans l'entier « respect » des « croyances» de chacun. Que le catholique puisse affirmer la fausseté de l'islam (en restant modeste !) sort déjà du cadre.
    Venons-en aux « stéréotypes ». Ils sont à éviter, ils concernent les « autres », ceux d'autres pays, d'autres cultures, d'autres origines. Si le texte reste discret son contexte, que nous connaissons, est bien lourd : tout comme combattre le « racisme » consiste d'abord, dans cette idéologie, à préférer ce qui est étranger à ce qui nous est proche, combattre les « préjugés et les stéréotypes » ne concerne pas tant la recherche de la vérité que le rejet des principes et des réactions d'ordre culturel.
    À l'époque je notais également que certains aspects du décret étaient quasiment en mode subliminal mais non moins révélateurs : « En un seul souffle, le jeune de demain est sommé d'''être éduqué à la sexualité, à la santé et à la sécurité (connaître notamment les règles de sécurité routière)". On sait ce que cela recouvre. Pour être un bon citoyen, il faut savoir éviter les bébés et le sida aussi bien que l'alcool au volant et la matière grasse dans le hamburger... »
    De fait, les élèves de Saint-Projet ont notamment été priés de changer d'école parce que l'enseignement des « sciences du vivant » y était jugé insuffisant (alors même qu'aucune exigence de temps d'enseignement ou de moment dans le cursus scolaire n'est fixée par le décret).
    Pourtant une seule phrase comme celle-là permet d'en référer aux programmes officiels pour exiger une « éducation sexuelle » axée sur la contraception et les aspects techniques des relations humaines, enseignés dans l'indigence humaine, morale et même scientifique qui est celle des manuels actuels (au point que même la HALDE, évaluant les manuels du secondaire, a jugé indispensable de mettre en évidence cette affligeante nullité du contenu).
    À l'époque du débat sur le socle des connaissances, c'était pourtant la gauche qui était montée au créneau, et peu de voix s'étaient élevées parmi les défenseurs de la liberté de l'éducation contre un projet qui sur certains points, dits les « bons » mots, semble vouloir instituer une vraie réforme. On hésitait à jouer les Cassandre, les éternels rabougris, les coupeurs de mouches en quatre qui ne peuvent jamais se réjouir de la part de bon qu'il peut y avoir dans une réforme.
    Il n'empêche.
    Les armes contre les parents et les écoles libres se mettaient discrètement en place. Les bien-pensants vantaient les qualités de la corde qui un jour, pouvait bien être destinée à les pendre. Comme aujourd'hui des bien-pensants croient mieux défendre les « écoles différentes » soit en restant muets sur ce qui se passe à Bordeaux, soit en ajoutant leurs critiques aux résultats des inspections. Je crois que leur calcul n'est pas le bon. En apportant de l'eau au moulin de l'Éducation nationale, ils donnent encore plus de poids à la fiction selon laquelle il appartient à un corps de fonctionnaires de juger ce que l'on doit et ce que l'on ne doit pas enseigner aux jeunes, à l'école, dans la famille ou ailleurs.
    Cela est même d'une extrême gravité. Lorsqu'il s'agit des droits - sacrés ! - des parents, il faut admettre que leurs libertés comportent des risques. Des risques d'inefficacité (mais l'école « officielle », en ce domaine, est déjà championne), des risques d'erreur (mais en feront-ils jamais autant que l'Éducation nationale en matière d'endoctrinement ?), des risques d'excès.
    Mais tant qu'il n'y a pas délit, mauvais traitements, violence, maintien volontaire dans l'ignorance, il est plus dangereux de laisser intervenir l'État que de ne point le laisser faire.
    Pour ce qui est des violences et du maintien volontaire dans l'ignorance, on est déjà bien assez servi dans les écoles du « système » !
    JEANNE SMITS PRESENT du 11 juin 2010

  • Le devoir d’objection de conscience

    Mgr Jacques Suaudeau, docteur en médecine et directeur scientifique de l’Académie pontificale pour la Vie, a rédigé un petit ouvrage fort à propos sur L’objection de conscience ou le devoir de désobéir. S’appuyant sur les Saintes Ecritures et l’Histoire de l’Eglise, l’auteur écrit :

    O« Le témoignage des Apôtres devant le Sanhédrin, et leur défense au nom de la loi divine qui prime sur la loi humaine, fournissent la structure de l’objection de conscience spécifique qui conduira certains au martyre. Elle s’articule sur les points suivants :

    1. Les lois divines priment sur les lois humaines.
    2. Le croyant doit obéir aux lois humaines, fondements de la cité, garantes de la solidarité et de la paix sociale, et aux autorités qui ont été placées par la providence divine aux postes qu’elles occupent (Rm 13, 1-7). Les martyrs ne mettent pas directement en question les institutions impériales ; ils acceptent les décisions des tribunaux ; ils ne se dérobent pas s’ils sont arrêtés ; ils ne désertent pas.
    3. Ce n’est que lorsque la loi humaine contredit  formellement la loi divine que le croyant peut se trouver dans la situation de désobéir. Ce revirement possible implique l’autonomie de la religion, en tant qu’office de Dieu, par rapport à l’Etat et à l’office du législateur. Or cette autonomie des offices divins et de l’Etat l’un par rapport à l’autre est une notion absolument étrangère à la mentalité de l’antiquité païenne où le service de la Cité (pour les Grecs) ou de la Res publica (pour les Romains) sont un tout. […]
    4. En choisissant d’obéir à Dieu plutôt qu’aux lois des empereurs, les disciples du Christ, non seulement obéissent à leur conscience en manifestant leur liberté d’enfants de Dieu (base religieuse et personnelle de l’objection de conscience), mais encore transmettent la vérité précise sur Dieu (ils enseignent le nom de Jésus), devoir évangélique et impératif moral de proclamer la vérité contre les errances du paganisme. Ils portent témoignage (marturein) devant les tribunaux, ce qui :
      • Renforce la valeur de l’enseignement qu’ils ont pu donner avant d’être arrêtés (on ne croit que les témoins) ;
      • Est un mode d’évangélisation actuel des païens qui assistent au procès et se trouvent édifiés par l’attitude cohérente des accusés ;
      • Conforte dans leur foi les autres chrétiens qui auraient été décontenancés si les accusés avaient profité des offres compatissantes des juges qui leur permettaient de sauver leur vie sans renier formellement le Christ, en effectuant par exemple une pseudo offrande (et l’on retrouve ici la responsabilité pour autrui précédemment notée dans le martyr d’Eléazar, et qui est une composante non négligeable de l’acte de désobéissance civile).
    5. Ce témoignage est rendu possible par la force et l’aide de l’Esprit Saint. […]
    6. Le croyant ne peut se dérober à ce devoir de conscience, justement parce que le don de l’Esprit Saint lui est fait lorsqu’il comparaît devant ses juges, selon les promesses faite à ses disciples par le Seigneur lui-même, de son vivant terrestre. »

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  • Lovecraft l’hyperboréen

    « Le sang d’un million d’hommes n’est pas versé pour rien s’il permet la naissance d’une légende glorieuse qui fait vibrer la postérité… et la raison pour laquelle il a été versé n’a aucune importance » (Lettres d’Arkham).

    Dans un article du Figaro Magazine paru il y a quelques mois, Christian Durante évoquait l’effervescence venimeuse provoquée dans le marais de l’idéologie dominante par la publication, aux éditions Christian Bourgeois, du tome I des Lettres de Lovecraft. On connaît la virtuosité du « parti intellectuel » à précipiter dans le ghetto des geôles inquisitoriales ses enfants prodiges devenus un beau jour traîtres et renégats. Ce phénomène est en train de se reproduire avec Howard Phillips Lovecraft dont l’œuvre, enfin perçue sous son jour véritable, apparaît aux milieux « bien pensants » comme un intolérable défi. Alors que d’aucuns célébraient, il n’y a pas si longtemps encore, le « reclus » de Providence et « l’étrange génie venu d’ailleurs », les thuriféraires de la Conscience Universelle découvrent avec un frisson d’horreur sacrée un Lovecraft antidémocrate, païen et viking par surcroît, « un adorateur de Thor, Wotan et Alfader qui fait retentir de sa voix rauque le royaume des morts de Niffleheim ». Faute de pouvoir l’ensevelir dans l’oubli « par delà le mur du sommeil », ils tentent de culpabiliser le lecteur en lui suggérant que son épopée cosmique vers les minarets étincelants de la lointaine Kadath est une voie dangereuse et singulièrement blasphématoire pour l’homme de notre temps épris des enclos rassurants du « pâturage démocratique ».

    Au vrai, c’est avec une vigueur rarement égalée que l’auteur stigmatise ces « idées modernes » dont Nietzsche avait déjà chanté le « crépuscule ». La démocratie ? une « fausse idole », tout juste bonne à entretenir « l’illusion des classes inférieures ». L’égalité ? « une plaisanterie ». Le progrès ? « une illusion ». La psychanalyse ? des « marottes éphémères ». L’érotisme ? « une qualité plus animale que noblement humaine ». Né le 20 août 1890 à Providence parmi des chrétiens orthodoxes, en plein milieu puritain, ce citoyen américain qui « chantait God save the King quand les autres chantaient America » stupéfie sa famille à l’âge de huit ans en se déclarant « païen romain ». Alors que la Bible reste pour lui un monde étranger qui le fait bâiller d’ennui, la mythologie gréco-latine lui parle d’une patrie mythique auréolée bientôt de toute la magie des royaumes crépusculaires qu’il découvre à travers son ascendance « teutonne » et les contes fantastiques de Machen, Poe et Dunsany.

    Quand on est à ce point sensible à la voix du ruisseau modulant « pour les faunes cachés, les aegipans et les dryades, quelques incantations runiques », on peut se proclamer « païen jusqu’à la moelle des os ». Ce paganisme originel est la sève puissante d’une œuvre aux méandres plus sinueux que le fleuve « Oukranos », aux noirceurs d’ébène plus compactes que la « fosse aux Shoggoths », aux échos plus lancinants que les délirants appels des « Montagnes hallucinées ». Paganisme viscéral aux sources multiples où, à côté de divinités familières telles que Cybèle, Hermès ou Apollon, nous côtoyons des présences beaucoup plus inquiétantes, qu’elles aient pour noms Dagon, les Maigres Bêtes de la Nuit, ou Shub-Niggurath, le bouc aux mille chevreaux qui hante les forêts du Maine. Contrairement à l’œuvre de ses prédécesseurs, Machen et Dunsany, chez qui le mythe demeure le plus souvent fragmentaire, Lovecraft est parvenu à structurer ces différents mythes en une vision du monde cohérente grâce au livre noir du « Nécronomicon », gardien des secrets immémoriaux d’un « cosmos aveuglément impersonnel ». Ouvrons cette bible païenne aux versets redoutables et sibyllins dictés par « celui qui chuchotait dans les Ténèbres » et plongeons résolument « dans l’Abîme du Temps ».

    Au commencement étaient les Grands Anciens. Leur royaume est Kadath, la cité d’onyx érigée dans l’immense plaine froide d’Hyperborée et « couronnée d’un diadème d’étoiles inconnues ». Constellations que virent peut-être scintiller les premiers Ases en leur citadelle d’Asgard. Plongés dans un profond sommeil, ces Anciens inspirent parfois leurs rêves aux hommes de la terre, monde qu’ils habitèrent jadis avant d’émigrer en leur austère patrie ceinte de montagnes titanesques sculptées à leur effigie. D’humeur ombrageuse et hautaine, vivant dans l’intimité des grands vents, des brumes et des nuages prompts à les dissimuler aux regards sacrilèges, ils vénèrent la démesure et la grandeur, n’hésitant pas, le cas échéant, à reconnaître comme un des leurs l’audacieux qui a osé se frayer un chemin jusqu’à eux, tel Randolph Carter : « Nous vous saluons Randolph Carter, car votre audace vous a fait l’un des nôtres » (Démons et merveilles).

    Mais l’issue de la quête restera toujours indécise, menacée dans son dénouement favorable par l’irruption à tout instant possible des « Autres dieux », les terrifiants « dieux de l’extérieur » que rencontre Barzaï le Sage quand il escalade le Hatheg-Kla aux premiers âges du monde. Délaissant les hautes terres du rêve pour des abîmes plus lointains de la vie originelle, le fils de Prométhée s’expose à une confrontation plus que déplaisante avec Yog-Sothoth, le terrible « gardien du Seuil », et Nyarlathotep, « horreur des formes infinies, âme et messager des Autres dieux » et image blasphématoire du « Chaos rampant ». À moins qu’une intrusion au cœur du vide ultime ne fasse de lui la proie du « sultan des démons » où, dans les cavités inconcevables et sombres qui s’ouvrent au delà du temps « se goinfre le vorace Azathoth, au milieu des battements sourds et insensés d’abominables tambours et des faibles lamentations monotones d’exécrables flûtes ».

    Nullement gratuite, une telle mythologie doit s’interpréter comme la dimension onirique d’une véritable cosmogonie. Lovecraft insiste en effet souvent sur l’absence de « valeurs absolues » et de « but précis » dans un univers où « le plan de la création est, dans son entier, un pur chaos ». Régi par des dieux à son image, plus soumis aux caprices du hasard qu’aux lois de la nécessité, ce monde est, quant au fond, assez proche de celui de Nietzsche. La vision de l’Histoire qui l’inspire apparaît ainsi aux antipodes de tout messianisme, qu’il soit chrétien ou marxiste, qui verrait dans le devenir historique l’empreinte d’une finalité alors que « l’aveugle cosmos broie sans but le néant pour en extraire quelque chose et broie par retour ce quelque chose en un nouveau néant ».

    Comment assigner dès lors à l’homme une place privilégiée au sein « des insondables tourbillons de l’infini et de l’éternité » ? Pas plus que le cosmos, l’humanité dans son ensemble ne saurait avoir « aucun but de quelque nature que ce soit ». On voit mal, alors, pourquoi « une conscience puissante et réfléchie “aurait choisi” cette excroissance purulente comme le seul point où envoyer un fils unique dont la mission est de racheter ces poux auxquels nous donnons le nom d’êtres humains ». Dans un monde privé de sens, où le bien et le mal ne sont que les ornements d’une perspective dont la seule valeur dépend « du hasard chanceux qui fit de nos pères des êtres doués de sensibilité », il faut savoir « rire froidement et de bon cœur avec les dieux à barbe blonde parmi les ombres de Ragnarok qui s’allongent ». Mais ce rire, à la fois tragique et joyeux, ne se veut à aucun moment la marque d’une quelconque amertume car il entend célébrer le destin. Aussi ne saurait-il engendrer qu’un sentiment de malaise et de répulsion instinctive chez nos contemporains enivrés des parfums délétères d’idéologies rassurantes professées par les « faux dieux » de « pitié aveugle » et de « peur ».

    Car des hommes « dégénérés », « incapables d’élever leurs yeux vers l’espace et d’assumer leurs rapports avec l’infini » ont succédé au règne grandiose des Anciens dont l’empreinte demeure gravée à travers les architectures fabuleuses dont seuls quelques archéologues soupçonnent aujourd’hui l’existence. À la force et à la volonté ont fait place la faiblesse et la pusillanimité vénérées désormais comme autant de vertus. Prisonniers de leur vie médiocre, étrangère à la Beauté et à la Puissance, les hommes ont plongé la Terre dans la banalité et la laideur. Pourtant, en marge de la masse vulgaire et vociférante, souvent persécutés et taxés de sorcellerie pour leur côté non-conformiste et « inquiétant », agissent quelques êtres différenciés possédant « toutes les caractéristiques qui les élèvent à l’état d’êtres humains ». La mission de ces « initiés » est de préparer le retour des Grands Anciens sur la Terre « qui n’a plus aucun dieu qui soit vraiment un dieu ».

    Entreprise au demeurant périlleuse, constamment menacée par l’« éternel non » et la rage nihiliste des « Autres dieux ». Ce danger se dévoile avec un relief saisissant dans les dernières œuvres publiées en collaboration avec August Derleth et rattachées au « Mythe de Cthulhu ». Au point que l’auteur, pour suggérer le combat titanesque dont notre planète est désormais l’enjeu, montre ses personnages affrontés en une lutte manichéenne, cosmique et éternelle : « les Vieux, ou Anciens, les Dieux Aînés issus du Bien cosmique, et ceux qui sont issus du Mal cosmique, qui portent différents noms, eux-mêmes appartenant à différents groupes comme s’ils étaient associés aux éléments tout en les transcendant » (Le masque de Cthulhu).

    Lovecraft rejoint ici le monde de la « Tradition » que Julius Evola définit comme une lutte permanente entre des puissances métaphysiques : forces ouraniennes de la lumière et de l’ordre, d’une part, forces obscures, telluriques, du chaos et de la matière d’autre part (Les hommes au milieu des ruines).

    Comme dans l’Edda, enchaînés par la magie des Grands anciens, les « Autres dieux » attendent, derrière la « grille » des « ténèbres extérieures », l’occasion de reconquérir leur antique pouvoir. Car le « charme » qui les tenait liés n’est pas éternel et l’ère qui s’annonce apparaît grosse de menaces. Parmi ces créatures de « l’Âge Sombre », Lovecraft a décerné un rôle majeur au Grand Cthulhu qui, au fond des abîmes sous-marins, dans sa cité de R’lyeh, rêve de « gloire et puissance pour l’éternité ». Énorme masse informe et protoplasmique capable de se métamorphoser à volonté, ce monstre terrifiant, dont on perçoit parfois le chuintement hideux au cours des rêves les plus fous, est le symbole même des forces de dissolution qui, plus que jamais, menacent peuples et cultures. D’autant que, selon l’expression de René Guénon, les adeptes de la « Contre-initiation », particulièrement actifs en cette « fin de cycle », s’avèrent les alliés inespérés de tous les réductionnismes totalitaires dont « le désert glacé de Leng » offre un horrible avant-goût.

    Qu’ils soient au service du Cthulhu ou de quelque autre divinité maléfique, qu’elle se nomme Hastur, Llöigor ou Ithaqua, les alliés terrestres de « Ceux du dehors » sont dotés d’un physique promis aux altérations les plus sordides : marchands à l’œil torve et à la bouche démesurée, coiffés d’un large turban apte à dissimuler une anomalie par trop choquante (Démons et merveilles) ; poissons-hommes-grenouilles aux mains palmées, au corps squameux, pustuleux et luisant, perversion ultime d’une longue suite d’alliances monstrueuses dont l’épicentre paraît être « le récif du Diable » au large de la ville d’Innsmouth (Le cauchemar d’Innsmouth). Étrange cité aux « noires fenêtres béantes » et aux « bicoques abandonnées » qui n’est que l’avant-poste des Êtres de la Mer, sectateurs du Grand Cthulhu. Dans ce cloaque de dégénérescence collective où règne en permanence « une abominable odeur de poisson », la plupart des habitants, d’une « hideur reptilienne », s’en iront rejoindre la horde des « Profonds » qui hantent les ruines de la ville engloutie. Telle est la rançon dans un monde qui refuse de subordonner les valeurs mercantiles à des instances plus hautes.

    Quel contraste avec la noble prestance des marins d’Inquanock que Randolph Carter découvre appartenir à la « race des dieux » ! À travers leurs chants sublimes évoquant des contrées lointaines, on décèle cette nostalgie passionnée, si caractéristique de l’âme germanique, d’un passé de gloire dont le souvenir demeure inscrit à même le visage du dieu, dressé comme une pierre d’appel face aux étendues nordiques : « Impitoyable et terrible brillait ce visage que le couchant incendiait, si grand qu’aucun esprit jamais n’en prendrait la mesure et que Carter comprit aussitôt qu’il n’était l’œuvre d’aucun homme ».

    Inquanock, la cité d’onyx « aux dômes arrondis et aux encorbellements recouverts de cristal » vit dans le culte fervent des Grands Anciens dont le retour régénérera le monde quand seront à nouveau réunies les conditions favorables « à l’épanouissement des choses belles, les beaux édifices, les nobles cités, la littérature raffinée, un art et une musique élaborés… ».

    Aux générations grotesques et répugnantes des créatures d’Innsmouth s’oppose ici la puissance maîtrisée, la noblesse et la solennité des cortèges régis par un rite mystérieux : « Quand le profond carillon du beffroi vibrait au-dessus du jardin de la ville et que des sept loges situées près des portes du jardin lui répondaient les cors, les violes et les voix, de longues théories de prêtres masqués et encapuchonnés de noir sortaient par les sept portes du temple, portant devant eux, à bout de bras, de grands récipients d’or d’où s’élevait une singulière vapeur. Les sept processions marchaient avec orgueil sur une seule file, chacun jetant la jambe en avant sans plier le genou, et descendaient les chemins qui conduisent aux sept loges du temple ».

    Lovecraft dont, on ne le soulignera jamais assez, les fictions fantastiques sont avant tout la projection dans le cosmos de sa vision de l’Histoire et partant, du devenir de la civilisation occidentale, pense qu’un choix crucial s’offrira bientôt au vieux continent : disparaître en tant qu’ensemble de peuples de culture au sein d’une masse anonyme et aussi niveleuse des différences que les « Shoggoths » de la « Cité sans nom », ou bien reconquérir une identité altérée par la longue éclipse solaire qui suivit l’exil des Anciens dieux. Pareil aux esclaves de Nyarlathotep, l’homme européen n’a vénéré que trop de « Bêtes lunaires » dans les nécropoles moisies de sa mauvaise conscience. Il est grand temps de refermer les « trappes » scellées jadis par la sagesse des Anciens (Dans l’abîme du temps) d’où surgit périodiquement quelque nouvelle entité blême et fongoïde, interlude éphémère et nauséabond dans l’existence larvaire d’une société refroidie.

    Comme Nietzsche, Lovecraft est convaincu que seul l’avènement d’un homme nouveau pourra conjurer la fatalité du déclin en redonnant un destin historique au vieux monde moribond. C’est pourquoi à plusieurs reprises dans ses lettres, l’auteur insiste sur la valeur irremplaçable de l’action vécue dont « l’art est seulement un substitut plus ou moins satisfaisant ». À plus forte raison lorsque cette action engage tout le destin d’un peuple rassemblé sous la tutelle énergique de celui en qui s’expriment les pulsions profondes de l’âme collective : « Aucune imitation mesquine, aucun frisson livresque d’occasion n’équivaut au millionième de frisson authentique qu’éprouve l’homme fort qui met en mouvement des destins multiples et qui marche aux côtés du Destin en qualité de frère ou de représentant ».

    Il est donc naturel que l’auteur déclare « admirer la force, les déploiements concentrés d’énergie cosmique qui amènent du changement » et dont on peut suivre la trace dans l’empire romain et le monde germanique. Réflexions qui conduisent Lovecraft à souhaiter ardemment l’avènement d’un nouvel Imperium qui pourrait être le creuset d’où surgirait, comme Minerve casquée, un Occident régénéré. « Puissance… Imperium… Gloria romana ». Cette exaltation de la puissance qui est « la valeur suprême pour toute l’humanité normale » trouve son expression la plus haute dans la « valeur guerrière » devenue aujourd’hui incompréhensible « en ces temps de combat en série, mécanique, à longue distance ». Rejoignant encore Julius Evola, Lovecraft voit dans l’idéal guerrier non pas l’« apologie grossière de la destruction », mais « la formation calme, consciente et maîtrisée de l’être intérieur et du comportement », la chance d’accéder à une forme « d’impersonnalité active » comme en témoigne son rejet formel de toute « sentimentalité romantique » et d’émotions non contrôlées.

    Mais, au lieu de la préfiguration du surhomme à venir, ou plus modestement, de l’homme véritable, c’est plutôt le spectacle navrant du « dernier homme » que lui offre la vue de nos contemporains intoxiqués par des « idéaux pacifistes d’une race sur son déclin ». Laissons aux dévots du freudisme et de son « symbolisme puéril » le soin de sonder l’inconscient de celui qui n’hésite pas à écrire : « je hais l’homme », « je déteste la race humaine ». L’outrance volontaire provocatrice de tels propos est avant tout destinée à dénoncer la platitude d’une civilisation décadente qui, au nom d’idéaux émasculés vénérés par 2000 ans de « superstition syrienne » a renoncé aux pensées « simples, viriles, héroïques, qui même si elles ne sont pas vraies, sont sûrement belles parce qu’elles sont recouvertes d’une grande épaisseur du lierre de la tradition ». Ainsi, à travers la description cauchemardesque d’un quartier de Manhattan aux silhouettes « vaguement modelées dans quelque limon puant et visqueux résultant de la corruption de la terre », l’auteur stigmatise en réalité « la corrosion empoisonnée et la putréfaction de la vieille Amérique en décrépitude avec la malsaine prolifération d’une pierre qui s’étale en largeur et en hauteur ». Diagnostic ô combien prémonitoire et qui à travers la critique de la « ville marchande », étrangère à l’âme de « l’ancien peuple des colons » annonce les propos cinglants de Jean Cau dans La Grande Prostituée dont certaines descriptions ne sont pas sans analogie avec ces métaphores obsédantes que Lovecraft excelle à utiliser chaque fois qu’il veut provoquer un réflexe de répulsion panique : masses gélatineuses et protéiformes « semblables à un conglomérat de bulles », « dhôles » aux extrémités visqueuses et décolorées familiers de tous les ossuaires…

    C’est pour avoir su s’ancrer si bien dans les cauchemars de son époque que l’œuvre de Lovecraft parvient à transcender l’Histoire dans une appréhension de la pure horreur. Car « tout art authentique est localisé et possède des racines profondément enfoncées dans le sol ; même lorsqu’on se met à célébrer les terres crépusculaires et lointaines, on ne célèbre rien d’autre, en fait, que les mérites de son propre pays déguisé en contrée fabuleuse », laquelle nous est d’autant plus chère qu’elle apparaît gravement menacée.

    À l’occasion d’une étude sur Lovecraft parue dans les Cahiers universitaires en 1966, Jean Moal se demande « si nous ne sommes pas là devant l’une des plus extraordinaires sagas dues à un conteur humain, la dernière à ma connaissance ». Saga à la mesure d’un monde aux horizons singulièrement élargis par les découvertes en tous genres, grosses d’épopées cosmiques dont l’Héliopolis d’Ernst Jünger constitue le génial exorde. Mais, comme son frère spirituel d’outre-Rhin, Lovecraft sait que la science, aussi loin qu’elle recule l’étendue de ses frontières, ne parviendra jamais à lever le dernier voile du mystère qui repose au fond de l’inconnu. De même qu’il est vain de prétendre explorer notre cosmos intérieur à grand renfort d’introspection socratique. « La vérité est que je ne suis rigoureusement pas intellectuel ». À l’idée qui morcelle et divise, Lovecraft préfère l’image capable d’unifier les contraires et qui s’adresse à la sensibilité beaucoup plus qu’à l’esprit.

    L’imagination et le rêve qui n’ont rien à voir avec « la fausseté, la stupidité et l’incohérence de la pensée », apparaissent une source autrement plus féconde que les concepts arides des philosophes car ils sont les dépositaires fidèles de tout notre héritage mythique. C’est pourquoi, en prélude à sa quête, Randolph Carter demande au rêve de le « noyer au fond des vieilles sources » en le rapatriant au cœur de son ancestrale lignée. C’est bientôt le prodige de l’enfance retrouvée, chrysalide miraculeusement sauvée de « l’inharmonie » et de la « laideur » et qui, libérée des affres du temps linéaire, sait désormais que « tout ce qui a été, est et sera, existe simultanément ». Le rêve est assurément le « grand refuge » des esthètes aux goûts rares et raffinés, tels le roi Kuranès, prince d’un merveilleux royaume intemporel dans l’Ooth-Nargaï. Cet ultime descendant d’une « noble famille ruinée par un brasseur millionnaire particulièrement odieux » évoque irrésistiblement la figure d’Antoine IV, roi de Patagonie, dans Le jeu du Roi de Jean Raspail. Car même si « le ressac joue avec le corps d’un vagabond qui a traversé à l’aube un village désert », Kuranès restera à jamais roi au cœur de l’Ooth-Nargaï dans sa cité de Céléphais « et ses galères voguant vers le ciel ».

    Éternel défi au « Gouffre noir » où griffent, mordent et se déchirent les larves des « Autres dieux », se dresseront à jamais, dans la lumière dorée du rêve apollinien, Kiran « et ses terrasses de jaspe », Thran, aux milles spires incendiées par le soleil couchant et Serranian, « la cité de marbre rose des nuages »…

    1979. http://grece-fr.com