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tradition - Page 275

  • Création du Collectif Familles 94

    Le Collectif Familles 94 est une association nouvellement créée qui entend poursuivre au niveau local, les combats initiés par La Manif Pour Tous : défense du mariage Homme/Femme, refus de tout droit à l’enfant, défense de la primauté des parents dans l’éducation de leurs enfants, …

     

    Rassemblement de parents du Val de Marne, le Collectif Familles 94 a pour objectif, entre autres, d’informer les parents mais aussi les professionnels de l’Enfance et de la Santé sur le développement de l’idéologie du genre dans de nombreux domaines de notre vie et de celle de nos enfants, en particulier à l’école. Le Collectif Familles 94 veut alerter sur les dangers de cette idéologie.

     

    Les parents d’élèves de notre département doivent savoir que l’Académie de Créteil est retenue dès cette année par le ministère de l’Education Nationale, en collaboration avec le ministère des Droits des Femmes, comme région pilote pour mettre en place le « programme ABCD de l’égalité » qui  a pour fondement cette idéologie.                                           

     

    Pour comprendre l’idéologie du genre et ses implications dans la vie de nos enfants, nous organisons une conférence donnée par M. Patrice André, ancien magistrat, spécialiste de cette idéologie, le jeudi 17 octobre à 20H30 à La Maison des Associations de Saint Maur des Fossés (2 avenue du Mal Lyautey).

     

    Pour communiquer autour de cette conférence, nous allons envoyer un document d'explications sur cette "théorie" à tous les professionnels de l'Enfance et de la Santé de notre ville, mais aussi aux juristes et aux élus. Nous allons distribuer des tracts devant toutes les écoles publiques et privées, en espérant que les écoles privées voudront bien relayer notre message et notre invitation dans leur bulletin scolaire.

     

    Pour mener à bien nos actions, nous avons besoin de votre soutien : adhérez et faites adhérer au Collectif Familles 94, « likez » la page Facebook du Collectif et/ ou proposez nous votre aide pour la distribution des tracts, par exemple.

     

    • Pour mieux connaître le Collectif Familles 94, connectez-vous au site 
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    • Contactez nous à l’adresse suivante : collectif.familles94@gmail.com

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  • Fethi Gharbi : “Les civilisations meurent-elles par suicide ?”

    « Quand une civilisation arrive à relever des défis, elle croît. Sinon elle décline. Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre. » Arnold Joseph Toynbee

    Si l’on s’en tient à la vision de Toynbee, l’histoire se présente comme l’essor et la chute des civilisations et non comme les péripéties vécues par des État-nations ou des groupes ethniques. Pour définir une civilisation, le culturel l’emporte sur tous les autres critères. Toynbee considère que la « civilisation occidentale » embrasse toute l’ Europe occidentale et se distingue à la fois de la « civilisation orthodoxe » de Russie et des Balkans et de la civilisation gréco-romaine qui a précédé.

    Cet historien se dissocie de la représentation que se font les idéologues de la modernité inscrivant la civilisation occidentale née à la renaissance et la civilisation gréco-romaine dans un même continuum historique et culturel. Toynbee réfute cet accolement factice qui depuis cinq siècles n’arrête pas d’amalgamer pensée grecque et modernité. L’Europe de la modernité a toujours voulu puiser dans le passé du continent ce qui pouvait cautionner sa nouvelle position dans le monde, se souciant peu de confondre géographie et histoire.

    Une telle confusion se reflète d’ailleurs de nos jours dans la construction de l’Union Européenne. Cette dernière prend en effet l’allure d’un lit de Procuste géographique tentant vainement de passer dans le même moule néolibéral un ensemble de cultures hétérogènes.
    La modernité, en tant que concept philosophique imposant la raison comme norme transcendantale, s’est empressée de prêter à la Grèce antique cette même vision du monde. Dans son élan conquérant, l’Occident s’invente ainsi une lignée détentrice exclusive de la rationalité. L’idée d’une supériorité épistémique combinée à l’idée d’une supériorité raciale de l’homme blanc européen vont constituer le ferment idéologique de cette civilisation et mettront en branle toute une dynamique de conquêtes et d’exploitation du reste du monde. Cet élan ne semble malheureusement pas s’essouffler et continue de bouleverser la planète.

    Si selon Toynbee les civilisations surgissent en réponse à certains défis d’une extrême difficulté, quelle réponse saurions-nous trouver aux défis actuels ?

    Il faut cependant rappeler que bien avant la modernité, l’Occident a du faire face à un défi de taille, celui du désordre provoqué par la déchéance de l’empire romain. C’est la naissance sur plusieurs siècles de l’église catholique qui a résolu le chaos de l’Europe post-romaine en rassemblant l’ensemble des royaumes de l’Europe occidentale dans une communauté religieuse unique.

    Le catholicisme a constitué ainsi une réponse à ce chaos en échafaudant une nouvelle civilisation. Le dogme de l’incarnation ou la divinisation du Christ va donc être la question centrale autour de laquelle se construiront, lentement, douloureusement, les référents de la civilisation occidentale. L’homme devenu Dieu va constituer le référent fondateur de l’Occident chrétien.

    Au VIIème siècle, s’inspirant de la divinisation de Jésus, Charlemagne, soutenu par l’église, imposera à la société l’idéologie du droit divin. A l’image du Christ, l’empereur devient l’expression visible, sur terre, de la volonté divine. A partir de ce moment, l’alliance de l’église et de la monarchie dirigera d’une main de fer, pendant plusieurs siècles la société. Le dogme de l’incarnation marquera alors de son empreinte l’horizon éthique, culturel, social et esthétique de cette civilisation.

    En réalité, cette divinisation de l’humain imprègnera non seulement les monarques mais toute la classe dominante avec tout un cortège de privilèges au profit du haut clergé et de la noblesse d’épée. Toutefois, les rivalités entre monarchies ainsi que les dissensions à l’intérieur de l’église plongeront pendant le XVIème et XVIIème siècle l’Europe dans le chaos le plus total.

    L’atrocité de ces guerres de religion nous rappelle l’assertion de Toynbee lorsqu’il affirme que les guerres les plus violentes ont été fratricides, contredisant la thèse de Huntington qui considère que les conflits les plus longs et les plus violents ont été causés par des différences entre civilisations. Les contradictions internes de l’Occident chrétien ont fini par ébranler le dogme et pousser les minorités agissantes à relever le défi en tentant d’élaborer des réponses adéquates.

    En plein milieu du XVIIème siècle, le cogito de Descartes, faisant fi de la scolastique, vient alors opérer une vraie révolution en plaçant le sujet pensant à l’origine de la connaissance. Ainsi, après la divinisation du Christ, puis celle des monarques, voilà que l’homme ordinaire se trouve élevé de la manière la plus démocratique au rang de démiurge.

    De l’Homme-Dieu aux hommes divinisés, l’anthropomorphisme atteint son degré ultime d’exacerbation. Cependant, il faut reconnaître que c’est au cogito cartésien que revient le mérite d’avoir remis en question l’idéologie du droit divin. Désormais aucun individu ni aucune caste ne bénéficie plus du privilège de la transcendance. La monarchie, la noblesse et l’église de moins en moins crédibles, de plus en plus contestées seront progressivement mais irrémédiablement balayées par les vents violents de la Modernité.

    Le « je » cartésien, après avoir renversé les dogmes de la scolastique, va progressivement verser dans le solipsisme [1] et finira par nier tout ce qui est externe à lui, tout ce qui n’est pas une évidence de son point de vue, de sa subjectivité propre. Cette explosion de l’égo en détruisant la verticalité des transcendances a brisé en même temps l’horizontalité des liens sociaux. le sujet n’a plus le sentiment d’appartenir à un tissu social. Insensible aux solidarités traditionnelles, il ne reconnaît plus la réalité extérieure et s’enferme dans une posture narcissique.

    Le Moi, disait Lacan ne peut être source de connaissance, mais au contraire source de méconnaissance de l’autre. Cette indifférence à l’égard de l’altérité bascule dans l’impassibilité la plus totale.

    Cet individualisme exacerbé propice à la mobilité de la force de travail s’accompagnera depuis le XIXème siècle d’un universalisme dont le rôle est d’imposer à la planète une pensée unique organisant l’économie mondiale. L’homme nouveau, sans attaches, insensible à toute forme de solidarité mais habité par l’illusion de la liberté et de l’égalité formera le support idéal de l’idéologie du progrès, une conception unilinéaire de l’histoire ou plus précisément une réinterprétation profane de la pensée chrétienne, substituant l’avenir à l’au-delà et le bonheur au salut.

    Le progrès se présente comme une nécessité historique portée vers le meilleur. C’est dans ce contexte que l’homme-dieu, réduit à sa stricte individualité mais maître de son destin, ira de l’avant vers des lendemains qui chantent. Cependant, cette marche vers le progrès s’inscrit dans un ordre universel hiérarchisant les sociétés selon une linéarité spatio-temporelle.

    Les civilisations les plus « avancés »( entendez par là, blanches européennes) imposeront ainsi leur modèle aux civilisations les plus « attardées » fût-ce par la coercition. Depuis le XIXème siècle, courants libéraux et courants de gauche, piégés par leur égo, adhéreront chacun à sa manière au mythe du progrès. L’eurocentrisme ethnique et épistémologique, instrument idéologique privilégié de l’hégémonie impérialiste, s’impose alors à toute la planète justifiant racisme, colonialisme, spoliations et massacres. Même les modèles clé en main de lutte anti-coloniale et de révolutions prolétariennes n’échappent pas à la domination de l’épistémè occidentale.

    Or, cette pseudo-philosophie de l’histoire n’aurait pu fonctionner sans une transformation psychologique radicale de la société. Dès le XIXème siècle, l’idéologie change de stratégie en s’interdisant de défendre ouvertement les privilèges d’une caste. L’art du camouflage de l’idéologie bourgeoise réussit alors à masquer toute hiérarchie sociale.

    Ce raffinement rhétorique fera dire à Kwame Nkrumah [2] que le capitalisme n’étant qu’une réforme de la féodalité, son seul « apport » est d’avoir permis à l’exploitation d’atteindre un niveau supérieur de subtilité. « Comme fait économique, écrit Roland Barthes, la bourgeoisie est nommée sans difficulté, le capitalisme se professe. Comme fait politique elle se reconnaît mal, il n’y a pas de parti explicitement « bourgeois » à la chambre. Comme fait idéologique elle disparaît totalement. » [3].

    A l’opposé de la noblesse, exhibitionniste, (l’étalage de son faste créditant sa position sociale), la bourgeoisie opte pour la discrétion, préférant ainsi occulter sa domination. Cette stratégie constituera le trait essentiel de son masque idéologique. Dans cette atmosphère d’apparente homogénéité, un nouveau culte prend forme. En effet, l’énorme béance laissée par la disparition de toutes formes de transcendance sera comblée par une sorte de « religion » désenchantée, où les marchandises seront élevées (à leur tour) au rang de divinités.

    Elles se transforment magiquement en fétiches nous ramenant aux formes primitives d’idolâtrie. Il semblerait que Dieu, courroucé par la révolte des humains s’est empressé de les transformer en esclaves de leurs propres créatures : les marchandises. Dominé par le marché, l’individu subit la loi de l’échange. Cette régression qu’opère le capitalisme par rapport aux modes de productions qui l’ont précédé rabaisse l’homme à tel point qu’il ne signifie plus que par ce qu’il possède, par ce qu’il vaut sur le marché.

    L’avoir remplace l’être et la réification s’installe, éliminant toutes valeur authentique et inaliénable au profit de la seule valeur d’échange. On assiste à la naissance d’une nouvelle transcendance, celle du marché. Cette nouvelle divinité impitoyable, aux pieds de laquelle se prosterne toute l’humanité, accumulant sans trop savoir pourquoi mais ne sachant point s’arrêter, a fini par subjuguer l’ensemble de la planète.

    Une folie productiviste s’empare alors du monde générant ipso facto un délire consumériste généralisé. Pour la première fois dans l’histoire, la production n’est plus déterminée par le besoin, c’est plutôt elle qui stimule et crée de nouveaux faux besoins par le biais de la mode, la publicité et par un tas d’autres moyens. Cette irrationalité frisant l’absurde conduit à des crises périodiques de surproduction au moment même où la majorité de la population manque du nécessaire.

    Le mythe du progrès, une temporalité désavouant le passé et situant le bonheur dans une sorte d’ailleurs toujours fuyant emporte à pas de course le monde vers l’inconnu. Une mobilité frénétique du capital, de la main d’œuvre, des transports et de l’information s’empare de la société. Cette accélération n’aurait pu voir le jour sans l’émergence de nouvelles techniques.

    En effet, le hasard a voulu qu’à l’aube du XIXème siècle énergie fossile et capitalisme se rencontrent. Ils n’arrêteront pas depuis de faire bon ménage. Pourtant à l’époque de la machine à vapeur et des débuts de la locomotive l’énergie hydraulique et éolienne existaient bel et bien et ne demandaient qu’à bénéficier des nouveautés techniques pour aller de l’avant. Le développement de ces énergies renouvelables non thermiques aurait certainement entraîné un capitalisme d’implantation locale, moins conquérant et plus respectueux de l’environnement.

    Or, le capitalisme opte pour la seule énergie qui soit en harmonie avec sa logique propre. L’énergie fossile s’avère la mieux appropriée à la liberté de mouvement propice à la mobilité du capital. L’essor du chemin de fer en est l’illustration, annonçant ainsi le début de la délocalisation.

    Charbon, pétrole, nucléaire se superposent et se succèdent pour donner le ton à cette folle chevauchée qu’exige le « progrès ». Ce « choix du feu » comme le dit si bien Alain Gras [4], ces manipulations de forces mal maîtrisées et contre-nature s’imposent sans réticence à une humanité obnubilée par sa quête enfiévrée d’un bonheur futur, toujours insaisissable.

    L’énergie fossile s’insinue dans tous les coins et recoins et formera avec l’accumulation du capital un mélange explosif. Productivisme et puissance thermodynamique se prêtent main forte et poursuivent leur course aveugle dédaignant le danger mortel qu’ils font encourir à la planète.

    Tout dernièrement la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima, après avoir occupé les médias pendants quelques semaines, est en train de passer aux oubliettes ; une banalité somme toute aux yeux d’un chef d’État de l’envergure de Sarkozy qui imperturbable, continue son business et parvient malgré tout à fourguer une centrale à la Tunisie, un petit pays pourvu de vent et de soleil et certainement incapable de faire face à une catastrophe nucléaire. Cette soif du feu au service du superflu nous laisse à la fois dubitatif et rageur, maudissant Promethée d’avoir offert ce cadeau empoisonné aux mortels.

    La déferlante néolibérale après avoir eu raison de l’URSS se rue goulûment sur la planète. La barbarie du capital s’en donne à cœur joie, faisant voler en éclats tout ce qui est sensé contenir sa poussée. Après la destruction des empires, c’est aux États-nations d’exploser à leur tour. En Occident, l’État-providence est mort de sa belle mort.

    Un état rabougri, réduit au stricte rôle sécuritaire et répressif lâche la bride aux multinationales et aux finances internationales. Dans le Tiers-monde, les États ayant une valeur stratégique sont agressés puis fractionnés selon une logique ethnique ou confessionnelle. C’est bien le cas de l’Irak et du Soudan et bientôt celui de La Libye et de la Syrie en attendant le reste.

    Libre de toute contrainte, l’ultralibéralisme découvre son visage hideux. Pris par la fièvre spéculative il s’en prend aux acquis des travailleurs, nivelant les salaire par le bas, délocalisant, détruisant l’environnement, épuisant les ressources, incitant à la discorde, fomentant les guerres, mettant la planète à feu et à sang. Le rythme de plus en plus endiablé de cette danse macabre est en train d’emporter l’humanité vers une catastrophe assurée.

    Quelle réponse au défi que représente la modernité ? Faut-il attendre que cette civilisation atteigne ses ultimes contradictions avec le risque d’entraîner avec elle l’humanité et peut-être même la planète vers le néant ?

    Il faut admettre que malgré les crises structurelles qui l’ont secoué, malgré sa fragilité, le capitalisme s’est toujours remis en selle grâce à l’impact de son système idéologique. Tant que le mythe du progrès avec sa vision linéaire de l’histoire, son universalisme et son eurocentrisme ethnique et épistémique imprégnera l’imaginaire des individus, le capitalisme trouvera toujours le moyen de résister à toutes les secousses.

    L’ idéologie du progrès, en situant le bonheur dans un avenir toujours fuyant stimule une angoisse existentielle à laquelle le marché répond sans jamais l’apaiser totalement. On s’enfonce alors dans les abysses du consumérisme, à la recherche d’une spiritualité perdue que le fétiche marchandise miroite sans jamais permettre d’atteindre.

    De son coté, l’universalisme présenté depuis le XIXème siècle comme une symbiose ne peut être dissocié de l’eurocentrisme, cet autre aspect du mythe du progrès. Il s’agit en fait de hiérarchiser les peuples et les cultures justifiant ainsi la domination militaire et économique de la planète en vertu d’une pseudo supériorité raciale et épistémique de l’homme blanc occidental grimé selon l’époque en civilisateur, en humanitaire ou en démocrate.

    Depuis des décennies la gauche européenne fait du surplace. Même l’écologisme et la décroissance en tant que mouvements réformistes n’auront aucune chance de s’imposer tant que le néolibéralisme gèrera l’économie mondiale. Il s’agit donc de l’affaiblir de l’extérieur en étranglant en premier l’universalisme et l’hégémonie eurocentrique.

    Un penseur comme Wallerstein [5] considère en effet que « le racisme est le support culturel du capitalisme historique et l’universalisme est sa clé de voûte » et ajoute que « le capitalisme historique a changé la signification du racisme, il ne s’agit plus de xénophobie mais de la création d’une relation durable entre ethnicité et division du travail ». C’est donc aux peuples du Tiers-monde qu’il incombe au premier chef de démanteler cette idéologie pour la simple raison qu’ils en sont les principales victimes.

    L’apparente disparition du colonialisme n’a pas mis fin à la hiérarchie de pouvoir et de savoir qui devient d’autant plus subtile et d’autant plus dévastatrice qu’elle se camoufle derrière les pseudo-indépendances. Cette colonialité devient selon Quijano [6] encore plus virulente avec la globalisation, en affectant tous les aspects de l’existence sociale partout dans le monde.

    L’ancien colonisé continue à se déprécier à travers le prisme hiérarchisant de son ancien maître, méprisant sa culture et son ethnie et acceptant son sort comme une fatalité. L’attitude d’une bonne partie de la bourgeoisie et de la classe moyenne dans le Tiers-monde faite de mimétisme, de mépris de soi et des siens confirme une telle aliénation.

    C’est ce type d’intériorisation qui a permis et permet encore à l’hégémonie impériale de durer. Il s’agit donc avant toute chose de décoloniser les esprits en déconstruisant le mythe du progrès. Il s’avère nécessaire alors de faire obstacle à la division du travail sur des bases ethniques et de mettre fin à toute forme d’universalisme même s’il se prétend de gauche.

    Par ailleurs, la rationalité occidentale, postulée comme l’unique épistémè valide, reléguant toutes les autres épistémès dans le domaine de la doxa et allant jusqu’à les considérer comme un « obstacle épistémologique » doit être détrônée au bénéfice d’une pluralité épistémique. Ceci ne signifie nullement l’établissement d’une sorte de démocratisation des cultures. Il s’agit plutôt de réhabiliter le savoir et la sagesse de civilisations millénaires qui ont su gérer avec harmonie et sur de longs siècles l’économique et le spirituel.

    Ces épistémès se dresseront tel un rempart face à cette boulimie accumulative, réductrice de l’humain et destructrice de la nature. L’extraordinaire est qu’il n’a suffi que d’un peu plus d’un siècle à la modernité pour imprimer au monde ce rythme fou et absurde.

    S’inspirant chacun de son épistémè propre, les peuples coopèreront en favorisant le surgissement de nouveaux pôles de développement régionaux capables de mieux résister aux oligarchies. En Amérique latine, Le Venezuela a opportunément pris l’initiative de créer l’Alba, un projet d’intégration économique et politique, ainsi que la Banque du Sud (Bancosur), censée promouvoir un autre type de « développement ».

    En Afrique, la Libye a joué un rôle primordial dans la création de la Banque cen­trale afri­caine, de la Banque afri­caine d’in­ves­tis­se­ments et du Fonds Mo­né­taire Afri­cain dans le but de mettre fin à la politique dévastatrice de la Banque Mondiale et du FMI et visant en même temps la création d’un marché commun africain. Il est clair donc que si l’OTAN continue depuis des mois à massacrer les civils libyens ce n’est certainement pas pour mieux les défendre mais pour arrêter net ce processus d’intégration économique.

    Face à ces vents salvateurs qui nous viennent de Sud, la gauche occidentale, bien que radicalement opposée à la prédation néolibérale a du mal à se départir de son épistémocentrisme. Si des cosmologies amérindiennes ou bouddhistes sont applaudies avec un soupçon d’exotisme d’autres épistémès sont décriées et renvoyées aux tréfonds de la barbarie. Il est vrai qu’une bonne partie de cette gauche, encore prisonnière du mythe du progrès, se retrouve sans le vouloir en position d’allié objectif de l’Empire.

    Notes :

    1) Le solipsisme (du latin solus, seul et ipse, soi-même) est une théorie philosophique selon laquelle l’esprit est la seule chose qui existe réellement et le monde extérieur n’est, selon cette conception, qu’une représentation.

    2) Kwame Nkrumah, “Le Consciencisme”, éd. Présence Africaine, 1976

    3) Roland Barthes, “Mythologies”, Editions du Seuil Paris, 1957

    4) Alain Gras, “Le choix du feu, aux origines de la crise climatique”, Fayard 2007

    5) Wallerstein, Immanuel, 1991, “The invention of time-space realities : towards an understanding of our historical systems”

    6) Anibal Quijano , 1997, “The colonial nature of power in Latin America”.

    Le Grand Soir – 13 août 2011

  • « Soyons des rêveurs éveillés, ces hommes dangereux » par Daniel COLOGNE

     

    Ainsi s’achève Requiem pour la Contre-Révolution (1), dont l’auteur Rodolphe Badinand (2) me fait l’honneur d’être le co-dédicataire. Il ne m’en voudra donc pas si j’inverse l’adjectif indéfini et l’adjectif démonstratif. L’appel clôturant ce remarquable recueil d’« essais impérieux » est en réalité rédigé comme suit : « Pour le Système et ses sbires, nous incarnons le plus grand des périls parce que nous croyons en nos rêves ». Rodolphe Badinand cite alors Thomas Edgar Lawrence : « Les rêveurs de jour sont des hommes dangereux, car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts et le rendre possible ». L’auteur conclut : « Soyons ces rêveurs éveillés… » (p. 163).

    Qui sommes-nous donc et quel est ce « Système » que Rodolphe Badinand nous invite à faire trembler ? Disons d’abord ce que nous ne sommes pas. Nous ne sommes pas des « anti-Lumières », comme nous désignent nos ennemis. Nous ne sommes pas les nostalgiques d’un temps révolu, les passéistes assoupis dans la langueur des regrets éternels. Nous coupons le cordon ombilical avec la Contre-Révolution, dont nous saluons néanmoins le double mérite : son courage d’être entré en résistance contre des « valeurs mortifères », et notamment les « idéologies égalitaires », mais aussi la « valeur didactique » de « son échec » (p. 42).

    Nous sommes les partisans d’une recomposition du monde fondée, non sur l’abstraction droit-de-l’hommiste, mais sur le socle concret du « droit des hommes (c’est moi qui souligne) à s’enraciner dans leur terroir et leurs communautés d’appartenance multiples et variées » (p. 163).

    Cette refondation planétaire postule une reconstruction de l’Europe selon un « principe fédérateur d’essence supérieure » (p. 162), dont l’absence pertinemment épinglée par un monarque polynésien fut le cause de la Première Guerre mondiale. En citant Tupon IV, roi des Tonga, Rodolphe Badinand témoigne de ce qu’est la véritable ouverture à l’Autre, la capacité d’être authentiquement à l’écoute de la sagesse, d’où qu’elle vienne : tout le contraire de la mensongère « tolérance » du Système, où l’égalitarisme de façade masque l’impitoyable volonté d’épuiser les hommes et les peuples dans une course infernale le long de « la ligne droite individu – État jacobin – État mondial – humanité » (p. 163).

    Un exemple de « principe fédérateur » est l’idée impériale telle que la concrétise l’institution pluriséculaire du Saint-Empire romain germanique. « Au Moyen Âge, l’empire sacré et sanctifié ne pouvait que promouvoir l’idéal chrétien. Il aurait été inconcevable qu’il s’édifiât contre la majorité religieuse du moment » (p. 119). À notre époque de déchristianisation, il ne faut évidemment pas aspirer à reproduire la structure médiévale, mais il convient de lui substituer un symbolisme cosmique où l’Empire serait une image du Soleil central autour duquel tourneraient, à des vitesses différentes, comme les planètes du système solaire astronomique, les nations (patries historiques) et les régions (patries charnelles). Ainsi l’Europe pourrait-elle revendiquer le titre de « patrie idéale », répondre à l’exigence d’universalité inscrite au cœur de toute pensée métapolitique.

    Rodolphe Badinand distingue judicieusement l’impérialité et les impérialismes. « Contrairement au Saint-Empire, les Premier et Second Empires français n’ont reposé que sur les épaules d’une personnalité charismatique » (p. 116). Son procès des bonapartistes n’a d’égal que son rejet de l’hitlérisme, « version teutonne du jacobinisme français » (p. 121).

    Dans la ligne d’Alain de Benoist, Rodophe Badinand considère aussi comme de « faux empires » les empires coloniaux anglais, français, hollandais, portugais ou espagnol. Il tient « le mal colonial » (p. 127) pour une des étapes importantes de la « décomposition de la France » (p. 125).

    Érudit français, Rodophe Badinand consacre tout naturellement de nombreuses pages à l’histoire de son pays. Recensant l’ouvrage d’un historien de l’Université de Jérusalem, il rappelle « les prétentions capétiennes à la Couronne du Saint-Empire romain germanique » (p. 95), qui aurait pu devenir, entre les règnes de François Ier et Louis XIV, un « Saint-Empire romain de la Nation Française » (p. 96). C’est l’un des textes courts du recueil, qui alternent avec des essais plus longs, de même que se succèdent, dans un ensemble ipso facto de lecture agréable, de brefs comptes-rendus de livres, de vigoureuses interventions conférencières et de profonds essais où la réflexion toujours nuancée se déploie dans un style souvent chatoyant.

    La coutume gastronomique encadre le plat de résistance de hors-d’œuvre et de desserts. Ici, l’essai le plus consistant, qui donne d’ailleurs son titre au florilège, est opportunément placé en tête. Une quarantaine de pages d’une rare densité intellectuelle nous convie ainsi à réfléchir sur la Contre-Révolution « impasse intellectuelle majeure » (p. 13).

    L’Église catholique fut la première à s’opposer à la révolution de 1789 et elle le fit avec d’autant plus de force qu’un an à peine après la prise de la Bastille, fut votée la Constitution civile du clergé (1790), la « plus grave erreur » (p. 19) de la révolution suivant l’auteur.

    Celui-ci examine, tout au long des deux siècles écoulés, la « lente translation vers la Modernité » (p. 24) qui affecte la catholicisme et dont Jacques Maritain (1882 – 1973) offre un exemple symbolique.

    Le royalisme également a succombé, au fil des décennies, à la contagion de l’esprit moderniste. Ce dernier « contamina les doctrines monarchiques avec la même vigueur qu’il se développait au sein du catholicisme » (p. 28). Des mouvements royalistes de gauche naquirent ainsi dans toute l’Europe méridionale : le Parti populaire monarchique portugais, le carlisme espagnol qui « se transforma en un mouvement socialiste autogestionnaire » (p. 30), et en France les « maurrassiens » de la Nouvelle Action Française de Bertrand Renouvin.

    « Avec ces trois exemples, écrit Rodolphe Badinand, nous devons nous interroger si la Contre-Révolution et la Révolution ne seraient pas l’avers et le revers d’une même médaille appelée la Modernité » (Ibid.).

    Avant de revenir sur cette importante citation, où l’on voit émerger sous la plume de l’auteur le questionnement fondamental, épinglons encore cette vision non conformiste des régimes de Salazar, Franco et Pétain, où Rodolphe Badinand voit les germes de l’élan économique-industriel d’après-guerre, via l’arrivée au pouvoir des technocrates. Le phénomène lui semble particulièrement sensible dans la France de Vichy, après « la nomination de l’amiral Darlan à la vice-présidence du Conseil des ministres » (p. 31).

    Y aurait-il eu donc un « apport contre-révolutionnaire au libéralisme » (p. 32) ? Oui, répond sans hésitation l’auteur qui va jusqu’à établir un parallélisme entre la « main invisible » du marché et les « voies insondables » de la Providence. Les fondements chrétiens de la Contre-Révolution sont ici mis en cause et il en découle que la dérive potentielle des contre-révolutionnaires était prévisible dès la fin du XVIIIe siècle.

    Rodolphe Badinand rappelle opportunément que « les trois futures sommités de la contre-révolution intellectuelle étaient vus par leurs contemporains comme des libéraux : Edmund Burke était un parlementaire Whig, défenseur des droits du Parlement anglais et de la Révolution américaine; Joseph de Maistre était, à la cour de Savoie, jugé comme un franc-maçon francophile et Louis de Bonald fut, en 1789-1790, le maire libéral de Millau » (p. 41).

    Quant à la Révolution conservatrice, que ses adversaires ont baptisée « Nouvelle Droite », elle intègre certes un héritage contre-révolutionnaire, mais elle se réfère aussi au socialisme proudhonien, aux non-conformistes des années Trente si bien étudiés par Pierre Loubet del Bayle, et au situationnisme de Guy Debord dénonçant « la société du spectacle ». Rodophe Badinand conclut son analyse de ce courant par cette hypothèse de recherche que les historiens des idées politiques devraient creuser : « Ce syncrétisme semblerait marquer la fin historique de la Contre-Révolution en tant que mouvement de pensée » (p. 36).

    Rodolphe Badinand s’interroge de manière inattendue : « L’écologie : le dernier surgeon contre-révolutionnaire ? » (p. 38). L’auteur fait un rapprochement insoupçonné entre, d’une part les écrits d’un Edouard Goldsmith ou d’un Bernard Charbonneau, et d’autre part, le roman balzacien Le Médecin de Campagne, sorte d’Arcadie où «chacun mène une existence équilibrée et où la nature maîtrisée, mais non agressée par le machinisme, donne des fruits à tous les villageois » (p. 39). Au même titre que la Nouvelle Droite et la Révolution conservatrice, l’écologie dépasse « les vieux clivages, devenus obsolètes » (voir le slogan « Ni Droite, ni Gauche » d’Antoine Waechter) et ne se laisse pas enfermer dans le binôme Révolution – Contre-Révolution. Sa vision du monde dynamique rompt avec le passéisme ruraliste exaltant une société champêtre « stable, immuable et édénique » (Ibid.).

    Partageant avec les écologistes certaines légitimes préoccupations environnementales, Rodolphe Badinand avertit : « Si le réchauffement planétaire se poursuit et s’accentue, dans quelques centaines d’années, la banquise aura peut-être disparu, faisant de l’océan polaire un domaine maritime de première importance » (p. 123). La maîtrise de l’Arctique s’impose à l’auteur comme une des plus impérieuses nécessités pour le futur Empire européen. Cet enjeu tant stratégique que symbolique est d’autant moins négligeable que les anciennes mythologies indo-européennes, y compris celle de l’Hellade méditerranéenne et celle de l’Inde védique, mentionnent le Septentrion comme l’origine, sinon de l’humanité, du moins d’une de ses plus importants rameaux. L’Europe se devra donc d’être présente sur tout le pourtour de l’océan Arctique comportant aussi des rivages asiatiques et nord-américains.

    « Face à la marée montante des peuples du Sud, le regroupement intercontinental des descendants de Boréens ne se justifie que par le désir de survivre au XXIe siècle. Cela mérite au moins un débat que seul l’avenir tranchera » (p. 73).

    Rodolphe Badinand nous convie à effectuer deux démarches simultanées : retrouver le chemin de notre « plus longue mémoire »’ et imaginer notre futur lointain.

    « Les contre-révolutionnaires souhaitaient conserver intact le passé. Leur démarche les obligea souvent à faire de l’avenir table rase. Entre la négation du passé, propagée par la Modernité, et le refus du futur, pratiqué par la Contre-Révolution, existe une troisième voie : l’archéo-futurisme » (p. 44). L’auteur se réfère à Guillaume Faye, qui a longtemps partagé avec Alain de Benoist, quoique dans un autre registre, le magistère intellectuel de notre famille de pensée. Né vers 1972, issu de la génération suivante, Rodolphe Badinand peut prétendre à la succession de ces deux maîtres à penser, selon l’expression consacrée et en l’occurrence toute relative si l’on pense à ces figures hors normes que sont René Guénon (1886 – 1951) et Julius Evola (1898 – 1974).

    À propos de ces deux immenses éveilleurs, il est temps de se demander dans quelle mesure ils ont été piégés par le binôme Révolution – Contre-Révolution. C’est à force de critiquer le progressisme moderne rectilinéaire que l’on dérive peu à peu, au départ d’une conception cyclique de l’histoire, vers un décadentisme « traditionnel » tout aussi rectilinéaire.

    Progressisme et décadentisme apparaissent alors comme les deux faces de la même médaille, de même que s’impose la nécessité, pour la Nouvelle Droite et la Révolution conservatrice, de faire venir leurs adversaires sur leur terrain (c’est Rodolphe Badinand qui souligne). « Qu’elles cessent donc de débattre des idées adverses pour imposer la discussion sur leurs idées » (p. 43). Qu’elles arrêtent de disserter sur les inconvénients du progressisme et sur l’absurdité d’un « sens de l’Histoire », et qu’elles valorisent les avantages et la solidité de leur conception cyclique du devenir humain, qui est une respiration à plusieurs vitesses, et qui ne peut en aucun cas dégénérer en un décadentisme vertigineux.

    Osons nous dresser avec Rodolphe Badinand contre l’exorbitante prétention de la démocratie moderne à être le point oméga de l’aventure humaine. Adoptée le 26 août 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen comporte en son article XI une restriction à la liberté d’expression que l’auteur reprend in extenso : « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi » (p. 18).Rodolphe Badinand commente : il s’agit d’« une phrase si vague qu’elle  permet toutes les interprétations possibles et justifie toutes les polices de la pensée. Or le totalitarisme commence quand on empêche certaines opinions de s’exprimer sur la place publique… » (Ibid.). La Modernité est donc bien la « matrice des totalitarismes ». Sous le couvert de la démocratie et du « droit-de-l’hommisme » sévit un terrorisme intellectuel s’appuyant sur des lois liberticides et rétablissant le délit d’opinion, dont sont passibles tous ceux qui contestent les fondements du Système. Un de ces fondements concerne les origines de l’espèce humaine. C’est la thèse africano-centriste selon laquelle l’Afrique serait l’unique berceau de l’humanité, le seul foyer primordial à partir duquel le primate se serait transformé en homo sapiens.

    En optant pour une vision « boréocentrique » de l’histoire, Rodolphe Badinand ne craint pas de s’exposer à la vindicte de la « bien-pensance » qui pourrait lui faire grief « d’une supercherie scientifique à relent raciste » (p. 69).

    Pourtant, ses « Notes dissidentes sur la nation de tradition Primordiale », autre chapitre très fouillé et hyper-documenté, révèle une approche pluraliste du problème. Logique et conséquent, Rodolphe Badinand se refuse à trancher la question de l’antériorité en faveur de l’un ou l’autre « ensemble ethnique ». « N’y aurait-il pas finalement une succession aléatoire de Traditions primordiales pour chaque entité ethnique matricielle ? Et si c’était le cas, qui bénéficierait de l’antériorité ? On le voit : ce type de questionnement débouche sur une absence de réponse d’ordre humain. Cependant, s’interroger sans cesse est le meilleur moyen de maintenir son esprit libre et éveillé. L’interrogation permanente produit des antidotes aux toxines du conformisme médiatique » (p.71).

    Nous voici aux antipodes du dogmatisme des traditionalistes qui, même lorsqu’ils se définissent comme « intégraux » et se réclament d’Evola ou de Guénon, demeurent fréquemment incapables d’auto-critique, inaptes à soulever eux-mêmes des objections à leur discours, fascinés par « le pessimisme foncier de la doctrine des âges, souvent porteur de désespoir ou d’inaction totale » (p. 59).

    Rodolphe Badinand est un authentique « penseur libre » aussi éloigné de la fallacieuse « libre-pensée » que de son primaire retournement traditionaliste, aussi étranger à la linéarité évolutive qu’à la descente sans frein de l’Âge d’or à l’Âge de fer. La « spiritualité primordiale » ne serait-elle pas plutôt d’inspiration astrologique, c’est-à-dire fondée sur l’alternance de courbes ascendantes et descendantes, tributaires des angles tantôt harmonieux tantôt dissonants formés entre eux par les astres ?

    Diverses formes d’astrologie caractérisent en tout cas les aires culturelles où Rodolphe Badinand discerne, en s’appuyant sur de récentes recherches anthropologiques, paléontologiques et archéologiques, l’empreinte des Boréens, ancêtres des Indo-Européens, grand peuple migrateur de la plus haute préhistoire « ne rechignant jamais les rencontres avec les tribus indigènes » (p. 68).

    Celles-ci possèdent peut-être leur propre foyer d’irradiation culturelle, leur « tradition primordiale » indissociable de leur « spécificités ethno-spirituelles » (p. 71). Dans la Grèce antique, parallèlement à l’exaltation mythologique du « séjour des dieux » localisé au Nord et gardé à l’Occident par les Hespérides, à l’entrée du fameux jardin aux « pommes d’or » que cueillit Héraklès et qui subjuguèrent la farouche Atalante, le scrupuleux Hérodote évoquait la possibilité de l’existence d’Hypernotiens, équivalents de nos Hyperboréens, matrice des peuple du Sud avec lesquelles nous sommes appelés à fonder une « fraternité qualitative » (p. 60).

    En effet, « la tradition risque d’avoir sa signification détournée et de devenir à son corps défendant un auxiliaire du fraternitarisme mondial » (c’est Rodolphe Badinand qui souligne) assimilable à « un oecuménisme pervers » (Ibid.). Sous le couvert de celui-ci peut de développer une forme spirituelle d’impérialisme et de domination mondiale à laquelle les Boréens étaient totalement réfractaires lorsqu’ils quittèrent leurs terres arctiques d’origine pour essaimer sur d’autres continents et fonder peut-être les cultures méso-américaines, l’Égypte pharaonique, la Chine du Céleste Empire.

    Les historiens de notre famille de pensée saluent en Dominique Venner un guide incontournable dont Rodolphe Badinand se solidarise dans la critique de « la conception guénonienne d’une seule tradition hermétique et universelle, qui serait commune à tous les peuples et à tous les temps, ayant pour origine une révélation provenant d’un “ ultramonde ” non identifié » (p. 60). À la suite du directeur de la Nouvelle Revue d’Histoire, l’auteur subodore dans le « traditionalisme intégral » un « syncrétisme équivoque » et une critique de la modernité ne débouchant « que sur un constat d’impuissance » (Ibid.), « l’attente millénariste de la catastrophe » (p. 61).

    Par delà les fausses alternatives Tradition – Modernité et Révolution – Contre-Révolution, la brillante anthologie de Rodophe Badinand, compilant des textes écrits ces dix dernières années dans L’Âtre, Cartouches, Roquefavour, Éléments et L’Esprit européen, suggère de remonter aux sources vives de cet « esprit européen » et de réfléchir à son adaptation au monde de demain et d’après-demain. « Il y a du travail pour cent ans », écrivit un jour Robert Steuckers. Rodolphe Badinand est un des pionniers de ce siècle de renouveau de l’intelligence européenne, de cette ère de rayonnement retrouvé et de renaissance métapolitique, de cette nouvelle étape de l’aventure humaine où les Européens et fiers de l’être sauront être à l’écoute des sagesses fleuries sous d’autres latitudes, pour construire enfin une Terre harmonieuse et pacifiée.

    Daniel Cologne http://www.europemaxima.com/?p=1047

    Notes

    1 : Rodolphe Badinand, Requiem pour la Contre-Révolution et autres essais impérieux, Éditions Alexipharmaque, coll. « Les Réflexives », 2008.

    2 : Rodolphe Badinand, est un journaliste proche de la Nouvelle Droite. Il a été secrétaire de rédaction de la revue Roquefavour. Il a également tenu la rubrique trimestrielle « Les Chronique païennes » dans L’Âtre. Il a aussi écrit pour Cartouches, Rivarol, Éléments et L’Esprit Européen (la revue, puis le site). Il collabore aujourd’hui au site européaniste non-conformiste d’expression française Europe Maxima.

  • Vous pouvez désormais adhérer à la Manif pour tous

    Sur le site de la MPT où l'on peut adhérer en ligne

    "Après une année de mobilisation historique, La Manif Pour Tous vous propose de devenir adhérent.

    A quoi cela sert et pourquoi faire ?

    En devenant adhérent vous recevrez des informations privilégiées sur les actions menées par La Manif Pour Tous, serez prévenus en priorité de nos événements et actions, recevrez des outils et supports de formation nécessaires au déploiement de nos actions.

    En devenant adhérent, vous nous permettez de nous structurer pour devenir une véritable force d’influence en France. A ce titre, vous pouvez voir que le bulletin d’adhésion contient un onglet « commune où vous votez », afin de permettre la réalisation d’un vrai travail d’influence et de dialogue auprès de vos élus, par vos responsables locaux et nationaux.

    Enfin, en devenant adhérent, vous contribuez en plus de votre engagement militant, à ce que La Manif Pour Tous bénéficie de moyens financiers permettant de conduire à bien ses missions. Sans moyens financiers, aucune action n’est possible pour la défense de nos valeurs que sont, entre autre, le mariage homme/femme, la filiation Père/Mère/Enfant, le refus de la PMA pour tous, de la GPA, le refus de la théorie du genre à l’école, l’objection de conscience pour les officiers d’état civil, etc.

    La tâche est immense et cette année II de La Manif Pour Tous s’annonce très riche en enjeux.

    Merci pour votre engagement

    On ne lâche rien. Jamais !

    Ludovine de La Rochère"

    http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Le mariage de l'homme et de la femme : un bien pour tous

    Lu sur le blog de L'Homme Nouveau :

    "Dans une lettre adressée au cardinal Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne, à l'occasion de la 47ème Semaine sociale des catholiques italiens, le Pape François a réaffirmé la nécessité de défendre la famille dans la perspective du bien commun. Il souhaite ainsi que soit mis « en évidence le lien unissant le bien commun à la promotion de la famille fondée sur le mariage, au-delà des préjugés et des idéologies ». Le Saint-Père a réaffirmé la vérité catholique sur l'institution familiale : « En tant qu'Eglise, nous proposons une conception de la famille qui est celle du Livre de la Genèse, de l'unité dans la différence entre homme et femme. Dans cette réalité, nous reconnaissons un bien pour tous, la première société naturelle, comme elle est aussi reconnue dans la Constitution de la République italienne ». De ce fait, écrit le pape la famille « ainsi conçue » reste le « premier et le principal sujet qui construit la société et une économie à mesure d'homme, et, comme telle, mérite d'être effectivement soutenue». [...]

    Le pape rappelle également dans cette lettre au cardinal Bagnasco que « les conséquences, positives ou négatives, des choix de caractère culturel et politique concernant la famille touchent à divers pans de la société ». Il évoque le problème démographique qui est « grave pour tout le continent européen et en particulier pour l'Italie », sans oublier d’autres questions celle de l’économie et du travail, de la croissance des enfants et même la « vision anthropologique à la base de notre civilisation ». Une allusion très claire au unions civiles homosexuelles. Dans ce sens, « Soutenir et défendre la famille, valoriser son rôle fondamental et central, c’est œuvrer pour un développement équitable et solidaire ». [...]"

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  • "Aux veilleurs assis et aux veilleurs debout, nous voudrions associer des veilleurs à genoux"

    En effet, "Nos mouvements de protestation ne deviendront vraiment féconds que s’ils sont portés par la prière". De l'abbé Eric Iborra

    "Face à la volonté inflexible du gouvernement d’imposer sa loi dénaturant le mariage et la filiation, nous avons assisté, étonnés, auréveil d’une France qui semblait depuis longtemps endormie. Invité par nous à s’exprimer le 12 juin dernier sur les suites politiques que pourrait revêtir ce mouvement de protestation à bien des égards multiforme,M. Sellier, ancien sénateur, resituait le problème à son juste niveau, théologal, en reprenant l’exemple de Ste Jeanne d’Arc. Et l’une de nos paroissiennes nous confiait alors qu’il faudrait soutenir ce mouvement dans toutes les paroisses de France par une mobilisation sans précédent autour de l’adoration eucharistique car l’enjeu du combat est avant tout d’ordre spirituel.

    Cela m’a rappelé ce qu’avait dit en 1937 le futur Pie XII à Notre-Dame de Paris dans un sermon mémorable et à bien des égards prophétique : « Le courant qui insensiblement a entraîné les générations d’hier se précipite aujourd’hui et l’aboutissement de toutes ces déviations des esprits, des volontés, des activités humaines, c’est l’état actuel, dont nous sommes les témoins, non pas découragés, certes, mais épouvantés ».
    L’été, vous le savez, a en effet ajouté aux turpitudes du printemps la loi instrumentalisant les embryons à des fins soi-disant thérapeutiques mais en fait mercantiles, ainsi que la manipulation de l’esprit des jeunes qui se dissimule sous la prétendue charte de la laïcité qui va se mettre en place à l’automne dans les écoles. Nos mouvements de protestation ne deviendront vraiment féconds que s’ils sont portés par la prière. Souvenons-nous de Moïse priant sur la montagne tandis que Josué combattait dans la plaine (Exode, ch. 17) !

    C’est pourquoi, à partir de vendredi prochain, 20 septembre, nous proposons que l’adoration eucharistique hebdomadaire ait lieu désormais après la messe, de 19h45 à 20h30, pour permettre au plus grand nombre d’y participer et qu’elle ait pour intention principale le salut spirituel et temporel de la FranceAux veilleurs assis et aux veilleurs debout, nous voudrions associer des veilleurs à genoux. Ne manqueront pas même des textes sur la France pour orienter notre prière…

    « Vigilate ! » s’était écrié le cardinal Pacelli, nous mettant en garde, prophétiquement, contre l’activisme, « Priez, sinon vous ne feriez qu’œuvre humaine et, à l’heure présente, en face des forces adverses, l’œuvre purement humaine est vouée à la stérilité, c’est-à-dire à la défaite : ce serait la faillite de votre vocation ».

    « Veillez et priez ! ». C’était la parole du Seigneur à ses disciples au moment d’entrer dans sa Passion, scène que représente l’un des vitraux du chœur ! Soyons nombreux,chaque vendredi, à répondre à son invitation, pour la France et pour toutes les nations qui souffrent des mêmes maux. »

     

    Relèverons-nous ce nécessaire défi seulement à Paris ?

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  • La Manif pour Tous veut être une force de propositions pour les politiques

    Lors de l'université d'été de La Manif pour Tous, Ludovine de La Rochère a fait plusieurs annonces :

    L"Avec le plan Vigigender, nous invitons les parents à créer des comités pour rencontrer les éducateurs et les associations"

    "L'organisation d'un Grenelle de la famille débouchera sur la rédaction d'un projet de loi Famille"

    "Nous demanderons à des parlementaires de déposer une proposition de loi Famille"

    "La Manif Pour Tous ne présentera aucun candidat sur le territoire national mais s'adressera à tous les candidats". "Ceux qui se présenteront comme candidats le feront à titre personnel"

    "La Manif Pour Tous se réserve le droit de présenter des listes aux élections européennes si elle n'est pas entendue par les candidats".

    "LMPT restera totalement libre et indépendante de tout parti politique."

     

    La Manif Pour Tous communique :

     

    "Salles pleines, 1100 participants, 70 intervenants, 4 séances plénières, 48 forums, 2 jours de débats et d'échanges… : la 1ère université de La Manif Pour Tous est un succès. L'occasion pour les volontaires et sympathisants du mouvement venus des quatre coins de France de faire le point sur une année de mobilisation historique et atypique et de lancer l'année 2013-2014.

    « Nous continuons d'affirmer que la loi Taubira n'est pas juste (…). Le mariage, c'est la filiation. Or le mariage Taubira institue une filiation fictive. » Les mots de Ludovine de la Rochère confirment la volonté du mouvement de rester fidèle à sa promesse de ne rien lâcher : La Manif Pour Tous poursuit ses actions pour le retrait (sans rétroactivité) de la loi Taubira, contre le fondement de la loi Taubira - l'identité de genre - et sur ses conséquences logiques, l'ouverture de la PMA aux couples de même sexe et la GPA (mères porteuses). Au cœur de ces enjeux, le droit de l'enfant à connaître son père et sa mère et, dans la mesure du possible, d'être élevé par eux (article 7 de la Convention internationale des droits de l'enfant). Avec l'enfant et ses parents, c'est bien-sûr la famille qui est en jeu.

    C'est pourquoi « le projet de loi Famille » est dans tous les esprits des volontaires et sympathisants de La Manif Pour Tous, sa présentation en conseil des ministres étant annoncée d'ici la fin de l'année.Ce projet provoque de vives inquiétudes malgré les hésitations et les rétropédalages du gouvernement sur l'ouverture de la PMA aux couples de même sexe. La Manif Pour Tous rappelle qu'elle n'a cessé pendant des mois de demander l'ouverture d'Etats généraux de la famille et de la filiation sans recevoir d'autres réponses que le mépris de M. Hollande et de son gouvernement. Pas davantage de succès avec la demande de rendez-vous auprès de Dominique Bertinotti, Ministre déléguée à la famille…

    La Manif Pour Tous lance donc un Grenelle de la Famille. Objectif : préparer une proposition de loi-cadre sur la famille. Ouvert à tous, ce Grenelle de la Famille se tiendra partout en France et réunira toutes les parties prenantes au sein de multiples collèges : Etat et administrations, collectivités, associations, entreprises (employeurs et salariés), associations, sans oublier les familles !

    D'autres actions de grande ampleur ont été annoncées : la mise en place du Plan Vigi-gender, avec un appel à tous les parents d'élève à se constituer en « comités de parents vigilance gender ». Il s'agit, en lien avec le corps enseignant, de veiller à ce que l'identité sexuelle homme/femme ne soit pas remise en cause auprès des enfants, et d'éviter que la question des pratiques sexuelles ne soit évoquée à l'école, c'est-à-dire à un âge bien trop précoce. La Manif Pour Tous souhaite éviter l'intervention malvenue de l'Etat dans un domaine intime, la déconstruction de repères élémentaires. Elle vise aussi à aider les parents à exercer pleinement leur rôle de premiers et principaux éducateurs de leurs enfants.

    La Manif Pour Tous reste totalement libre et indépendante de tout parti politique, confession ou toute autre instance. A l'approche des échéances électorales, elle demandera à tous les candidats la nature de leur engagement sur les questions qui la préoccupent : l'altérité sexuelle".

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  • Les journées du patrimoine commencent par la défense de la famille

    Depuis ce matin, plus de 1000 volontaires et sympathisants de La Manif Pour Tous sont réunis au Parc Floral de Vincennes (Paris) pour la 1ère université d’été du mouvement né à l’automne 2012 en opposition au projet de loi Taubira de mariage et adoption pour les personnes de même sexe.

    A l'ouverture de l'Université d'été de La Manif Pour Tous, Ludovine de La Rochère a déclaré que, en 15 jours, 37535 personnes ont répondu au questionnaire de sympathisants. Parmi lesquels 93% veulent continuer à s'engager avec LMPT.

    L
    Ici, les sweat interdits sont acceptés !

    S
    Puis Chantal Delsol revient sur la notion de progrès dans les sociétés. C'est ce WE les journées du Patrimoine. Les journées du patrimoine commencent par la défense de notre patrimoine le plus cher : la famille.

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  • Pour une entrée en Tradition

    Prolégomènes à une métaphysique opérative
    L'idée de Tradition, au sens guénonien du terme, connaît aujourd'hui un incontestable regain d'intérêt dans des milieux encore quantitativement restreints mais qui n'en paraissent pas moins appelés à jouir d'une influence grandissante, encore que celle-ci doive surtout, de par sa nature “subtile”, se faire sentir sur un plan très largement ignoré du grand public. De même, un certain nombre de personnes, légitimement insatisfaites des réponses apportées par le monde moderne à leur exigence spirituelle, poursuivent, le plus souvent à titre individuel, une recherche dans ce domaine, en s'appliquant à éviter autant que faire se peut les pièges d'un spiritualisme dévoyé et humanitariste. Devant cette situation, nous voudrions tenter d'apporter dans les lignes qui vont suivre une clarification quant à la véritable nature de la “Tradition” dont les premiers se réclament et à laquelle les secondes aspirent. Il nous semble en effet que le mot, s'il n'est pas toujours, à proprement parler, galvaudé, n'est que trop rarement employé dans la plénitude de sa signification, des valences secondaires lui étant trop fréquemment attachées. Cette volonté de clarification nous conduira également à préciser ce qu'il convient d'entendre, dans l'optique Traditionnelle, lorsque référence est faite à la “métaphysique”.
    Envisagé dans la plénitude effective de sa définition, le mot “Tradition” ne désigne essentiellement nulle autre chose que la perception de l'immanence de la Transcendance, suivie de la transmission doctrinale de la possibilité de cette perception. Est donc “traditionniste”, pour employer le néologisme forgé par Pierre A. Riffard (1), tout homme qui vit hic et nunc cette Transcendance, c'est-à-dire qui ressent dans son Esprit, son âme et sa chair ― indissociablement ― l'action de celle-ci, sur le plan tant personnel qu'historique et / ou politique. Les mots n'étant que ce qu'ils sont, cette sensation renvoie, dans ses profondeurs ultimes, au registre de l'indicible, ce dont les adversaires de la vision du monde Traditionnelle ne manquent pas de tirer argument pour reléguer cette dernière au rayon des sous-produits de l'idéalisme, quand ce n'est pas à celui des délires quasi-psychotiques. Dans ce dernier cas, la volonté de vivre l'enseignement Traditionnel est ramené à un phantasme de réunification fusionnelle, affirmé fondé sur la nostalgie refoulée de l'état de non-séparation entre mère et nourrisson. Il n'est plus alors question de dépassement de la condition humaine et de rattachement au divin, mais au contraire de régression, soit intellectuelle soit affective, soit les deux à la fois. L'expérimentation de la Transcendance, identique, dès lors qu'elle est stabilisée, à la re-divinisation, ne s'analyse plus, dans le cadre de cette conception spirituellement mutilante, que comme une hallucination, provoquée par le désir angoissé d'échapper à la condition d'être « marqués par leur radicale finitude », ainsi que l'écrit un auteur par ailleurs intéressant mais qui n'en confond pas moins trop facilement la pensée de la Tradition avec sa parodie New Age (2).
    En réalité, que l'appel à l'Esprit puisse effectivement, dans certains cas, cacher un malaise existentiel, le fait n'est pas niable, encore que les conséquences en soient parfois, même dans ces conditions, bien plus positives qu'on ne veut bien l'admettre (3). Mais vouloir à toute force tout ramener à cela, généralement, d'ailleurs, pour les besoins d'une cause partisane, philosophique ou religieuse, plus ou moins avouée revient à adopter l'attitude moderne par excellence qui consiste à toujours prétendre expliquer à bon droit le supérieur par l'inférieur, et à ne reconnaître in fine de légitimité au premier que du moment que l'on est (croit-on) parvenu à le réduire au second (4). Face à une contestation ainsi dirigée, la réaction des hommes de Tradition ne peut être d'engager la discussion selon une tactique “arguments / contre-arguments”, ceci en raison du caractère d'indicibilité ultime de l'expérience de l'immanence de la Transcendance mentionné plus haut. Il n'est pas pour autant question pour eux de se draper dans leur superbe pour mieux poitriner aux quolibets, ni davantage de reprendre à leur compte quelque saugrenu credo quia absurdum, mais simplement de relever que l'affirmation et sa réfutation ne sont pas, en l'occurrence, au même niveau, qu'elles ne renvoient pas, précisément, au même registre. C'est pourquoi il n'y a, à parler strictement, rien à répondre à qui nie la possibilité d'atteindre ― c'est-à-dire de retrouver ― des états de conscience supérieurs à celui partagé par l'immense majorité de factuelle humanité, ou, à plus forte raison, qui rejette l'éventualité même de l'existence de ces états. Ce qui doit parler ici, c'est seulement la force de l'exemple. Non que chacun soit libre de le suivre ou non, d'accepter ou de refuser la transmission (le tradere) de la doctrine puis de s'engager dans l'expérience de la Transcendance vécue en mode immanent. Il y a tout au contraire en ce domaine comme l'effet d'une Grâce (si l'on veut s'exprimer à la manière des théologiens) qui détermine pour chacun, au moins dans les conditions de son existence présente, une manière de prédestination (5).
    On comprend aisément que ce vécu immanentiste de la Transcendance soit plus que difficilement compatible avec toute forme d'exclusivisme religieux, surtout militant et prosélyte. La forme, certes nécessaire sur son plan propre, que telle ou telle religion donne à l'expérience de la Transcendance a en effet pour conséquence inévitable de “figer” celle-ci dans son expression, ce par le mouvement même dans lequel elle en dévoile l'existence ; c'est pourquoi une religion peut être tout aussi bien un chemin d'accès à l'Absolu que l'occasion d'un piétinement, si ce n'est d'un égarement, spirituel. Nous retrouvons ici la distinction bien connue de l'ésotérisme et de l'exotérisme, distinction qui repose en dernière instance sur la faculté de passer, littéralement, “au travers des formes”. Il faut également souligner qu'un tel vécu interdit le culte de tout “impératif catégorique” moral, quelle qu'en puisse être la source. Dût ceci choquer certains parmi nos lecteurs, nous affirmons que la Tradition, parce qu'elle est d'essence métaphysique, ne saurait être en aucune manière “morale”. Si l'on veut authentiquement retraduire en langage normatif l'expérience des états supra-humains, c'est sur le plan de l'éthique et non sur celui de la morale qu'il convient de se situer, la seconde étant universaliste par définition alors que la première est différentialiste au sens où elle ne connaît d'autre loi que celle qui s'impose, à des fins de conservation (6), à un être particulier en fonction de sa nature propre, c'est-à-dire en fonction du niveau d'expérimentation de la Transcendance dont il est effectivement capable. Que des normes soient ― si l'on peut dire ― encloses dans chacun des « états multiples de l'Être » (7), nous ne songeons nullement à le nier. Mais, précisément parce que chaque norme est consubstantielle à l'état au niveau duquel (et à partir duquel) elle se manifeste, aucune d'entre elles ne saurait se prévaloir d'une validité universelle (8). C'est pourquoi celui qui atteint l'Absolu ne peut plus connaître de normes, puisqu'il les a toutes expérimentées et finalement dépassées, un tel être devenant donc « à lui-même sa propre Loi » (9). La morale possède certes sa justification sur le plan qui est légitimement le sien, celui de l'aide apportée, si l'on veut à la manière d'une béquille, aux individus incapables de se rendre authentiquement libres et donc de se tenir debout par leurs seules forces. Mais lui accorder une valeur éminente, c'est couper l'accès à l'Absolu, en bornant l'expérience de la Transcendance à l'un des niveaux de la Manifestation illusoirement posé comme ultime. De fait, l'Absolu ne mériterait pas son nom s'il ne contenait toutes les normes, y compris les plus “immorales”, chacun des « états multiples de l'Être » manifestant telle d'entre elles selon sa potentialité et sa valence particulières. Dès que conscience est prise de ceci, le refus d'un comportement quelconque ne peut plus se fonder sur des préceptes affirmés valides dans l'universel, mais uniquement sur l'affirmation de valeurs supérieures d'un point de vue métaphysique, c'est-à-dire témoignant d'un état de l'Être plus élevé et contenant de ce fait les précédents états qu'il dépasse selon le principe de l'intégration hiérarchisante. Repousser cette conception revient à rejeter principiellement la nécessaire dimension destructrice de l'Être et donc à mutiler intellectuellement l'Absolu.
    Ces précisions indispensables étant apportées, la Tradition commence à apparaître sous son jour véritable. Ce dont celle-ci témoigne, c'est d'une Connaissance expérimentale, celle de la présence active de forces non-humaines dans le monde des hommes. Mais il faut prendre garde de n'enfermer la formule dans une dimension ni étroitement théiste ni, à l'inverse, vaguement “occultisante”. Ce qui est évoqué ici, ce n'est pas faction providentielle d'un Dieu personnalisé ou les agissements de “Supérieurs Inconnus” et autres entités plus ou moins désincarnées. Que de pareilles choses appartiennent au possible ― et tout particulièrement les secondes ―, nous ne songeons pas le moins du monde à le nier. Mais il s'agit là de phénomènes qui renvoient, du seul fait qu'ils sont, précisément, des phénomènes, au domaine de la physique (10), non à celui de la métaphysique. La Connaissance Traditionnelle, de nature authentiquement métaphysique parce que d'essence contemplative, est celle de l'Action, impersonnelle et détachée, de l'Absolu en tant que Source d'où jaillissent et où retournent s'anéantir tous les contraires dyadiquement unis dont l'entrelacs cosmique forme la trame de la Manifestation (11). La perception de l'immanence de la Transcendance repose sur la contemplation de (et la participation à l'éternel maelström d'Énergie qui danse sans début ni fin au sein du Vide universel comme dans le Cœur de l'Homme (12), maelström que l'Hindouisme représente par l'image du Shiva Nataraj dans un cercle de flammes (13). C'est sur cette base qu'il revient à chacun, s'il en ressent la vocation et entend l'appel de ce qui en lui est plus que simplement humain, de tenter, au risque très réel d'y perdre la raison et sans doute bien davantage, de faire sien ce « chaos vivant dans lequel est contenue chaque possibilité » (14), d'unir indissolublement en lui-même Connaissance et Puissance, ce qui est la seule manière réelle de dépasser tout aussi bien le nihilisme (Connaissance désespérée car sans Puissance) que le titanisme (Puissance enivrée car sans Connaissance). Si la quête vient à être couronnée de succès, celui qui l'aura menée à terme en recueillera les lauriers destinés à ceux auxquels il a été promis qu'ils re-deviendraient “comme des dieux”, c'est-à-dire qu'ils retrouveraient leur nature originelle non bornée. Toute la légitimité de la Voie tantrique, plus spécialement dans son orientation dite “de Main Gauche”, en tant que mode de déconditionnement et de réintégration au Divin reposant sur une intensification énergétique appropriée aux conditions du Kali Yuga, est là.
    Cette mention du caractère originellement non borné ― donc essentiellement et absolument libre ― de la nature humaine, caractère qui la constitue immédiatement en tant que « préternature » selon la formule de Pierre Gordon (15), nous conduit à examiner le sens du mot “métaphysique” tel que l'emploient les traditionnistes afin de dissiper une confusion. En effet, la métaphysique Traditionnelle n'est pas la métaphysique moderne, celle des traités de philosophie rédigés dans le sillage du réductionnisme ontologique aristotélicien (16), même si l'assimilation est aujourd'hui trop répandue qui mène à ne voir dans la métaphysique qu'une espèce de sous-catégorie de la philosophie au surplus rendue obsolète par les prétendues conquêtes intellectuelles du positivisme logique (17). Or la métaphysique n'est pas la philosophie mais autre chose et davantage que celle-ci ; l'opposition complémentaire des deux disciplines renvoie à celle du sacré et du profane, et leur confusion en dit par elle-même long sur l'état réel du monde moderne (18). Non que la seconde soit dépourvue de sens et donc de légitimité. Mais la quête du Vrai qui la constitue et la « passion de la vérité » (19) qui l'évertue ne peuvent prétendre, du simple fait que la philosophie est une démarche tout humaine avec les limitations que cette qualification implique, s'élever au-dessus des horizons de l'intelligence logico-conceptuelle et spéculative. D'où la volonté, chez ceux qui en tiennent pour la thèse de la métaphysique philosophique, de parvenir à l'élimination de celle-ci.
    Le cas d'un Ludwig Wittgenstein est de ce point de vue tout à fait significatif. En écrivant la phrase fameuse qui clôt le non moins fameux Tractacus (20) : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire », celui-ci n'aurait fait qu'énoncer une banalité fort peu “philosophique”, s'il n'avait eu pour projet, ce faisant, de mettre fin à la métaphysique en démasquant derrière celle-ci une faiblesse logique, létale selon lui, qui proviendrait du caractère d'au-delà du langage qu'il lui impute. « La juste méthode de philosophie serait en somme la suivante : ne rien dire sinon ce qui se peut dire, donc les propositions des sciences de la nature ― donc quelque chose qui n'a rien à voir avec la philosophie ― et puis à chaque fois qu'un autre voudrait dire quelque chose de métaphysique, lui démontrer qu'il n'a pas donné de signification à certains signes dans ses propositions. Cette méthode ne serait pas satisfaisante pour l'autre ― il n'aurait pas le sentiment que nous lui enseignons de la philosophie ― mais elle serait la seule rigoureusement juste », lit-on un peu plus haut (21) dans le même ouvrage. Mais la métaphysique que Wittgenstein poursuit de sa vindicte n'est que la métaphysique des philosophes, non la seule métaphysique que l'on doit tenir pour authentique précisément parce qu'elle se situe par-delà les enchaînements purement logiques (formels) de la philosophie, ce que l'emploi synonymique des deux termes dans le passage cité montre sans hésitation possible.
    De la métaphysique authentique, on ne saurait d'ailleurs dire qu'elle est indicible formellement, même si elle le demeure, avons-nous dit, fondamentalement, l'indicibilité métaphysique de l'Absolu par le relatif que constitue le langage étant tout autre chose que l'indicibilité absolue de la métaphysique, ce dans la mesure où, si le signe n'est certes pas le sens, il n'en représente pas moins sa trace. Trace à dire vrai moins rémanente qu'actualisante et même incitatrice, car le sens, s'il fallut qu'il fût “voilé” ― ou encore “abrité” ― comme tout ce qui possède Gloire (22), appelle de ce fait son nécessaire dévoilement, non dans les rêveries “mystiques” au douteux parfum d'évasionnisme pseudo-spirituel (et au goût trop réellement infernal) chères aux zélateurs du soi-disant “Nouvel Âge-à-venir-pour-nous- apporter-le-bonheur” (23), mais dans le recueil patient des modalités horizontalement divergentes et verticalement convergentes de l'être-là. À cette nécessité du recueil peut seule faire droit la réconciliation de l'Attention, qui enveloppe amoureusement du regard le monde phénoménal, et de la Contemplation, qui transperce ce même monde pour atteindre au Mystère du « supramonde », lequel est aussi et tout autant un « intramonde ». Car, puisque le Monde est essentiellement un du Principe au plus bas étage de Sa manifestation (24), connaître, ce ne peut être voir simplement au-delà des formes mais également au travers de celles-ci, ce qui suppose que soit préalablement renversée en soi-même l'opacification, contrepartie individuelle de la « solidification du monde » (25), qui s'oppose à l'acuité du Regard. La « perspective métaphysique » (Georges Vallin) repose ainsi en dernière instance sur l'élection continuée de l'ascèse du diaphane. La formule selon laquelle « ce qui concerne la métaphysique, c'est ce qui est au delà de la nature » (26) est évidemment indiscutable, mais celle qui affirmerait que « ce qui concerne la métaphysique, c'est ce qui transparaît au travers de la nature » le serait tout autant. Ne serait-ce que parce que « la nature tout entière n'est qu'un symbole des réalités transcendantes » (27).
    Si Wittgenstein, pour en revenir à lui, était parvenu à dépasser le simple niveau de la métaphysique des philosophes, il aurait pris conscience que ce dont on ne peut parler demande moins à être tu qu'à être vécu, car « ce dont il s'agit (pour (le métaphysicien), c'est de connaître ce qui est, et de le connaître de telle façon qu'on est soi-même, réellement et effectivement, tout ce que l'on connaît » (28). C'est pourquoi, après avoir écrit que « le monde est indépendant de ma volonté » (29), il aurait pu ajouter, en toute orthodoxie Traditionnelle (et “tantrique”) que ma volonté peut à son tour se rendre indépendante du Monde, et donc, à la fin, rendre le Monde dépendant d'elle, en s'enracinant dans ce qui transcende les phénomènes, c'est-à-dire en devenant identique à l'objet de ma Connaissance. Mais Wittgenstein, en tant que philosophe, ne peut pas ne pas être prisonnier des limitations formelles de la logique, et plus particulièrement de la formulation aristotélicienne du tiers-exclu, d'où sa conviction que « de même qu'il n'y a qu'une nécessité logique, il n'y a qu'une impossibilité logique » (30), ce qui l'amène à tenir pour « clair que le produit logique de deux propositions élémentaires ne peut être ni une tautologie ni une contradiction » (31), sans qu'il se doute apparemment que la notion de “contradiction” n'est elle-même qu'une conséquence de l'adoption d'un schéma exclusivement logique, schéma qui peut être dépassé par l'intuition de la non-contradiction absolue des contraires. Intuition intellectuelle, bien entendu, et non psychologique, donc essentiellement contemplative et non discursive, ceci parce qu'« en toute conception vraiment métaphysique, il faut toujours réserver la part de l'inexprimable ; et même tout ce qu'on peut exprimer n'est littéralement rien au regard de ce qui dépasse toute expression comme le fini, quelle que soit sa grandeur, est nul vis-à-vis de l'Infini » (32).

    Cette dimension apophatique de la Connaissance, aucun système philosophique ne saurait l'admettre, simplement parce que, en tant que système, il est une “mise en discours” du Monde, le non-discours étant assimilé par les esprits systématiques au non-sens (33). D'où l'illusion dont est victime, après et avec bien d'autres, Wittgenstein et qui lui fait croire que « le sens du monde doit se trouver en dehors du monde », parce qu'« il n'y a pas en lui de valeur ― et s'il y en avait une, elle n'aurait pas de valeur » (34), alors que le sens du Monde réside, tout au contraire, dans la manifestation mondaine du sens, lequel, s'il n'est pas de ce Monde, n'en est pas moins dans ce monde. Pour le métaphysicien traditionniste, la radicale contingence des événements pointés dans le Tractacus (35) par la formule : « Car tout événement et être-tel ne sont qu'accidentels. Ce qui les rend non-accidentels ne peut se trouver dans le monde, car autrement cela aussi serait accidentel », cède la place à la signifiance, tout aussi radicale parce que nécessaire, de l'avènement décrypté par la pensée analogico-symbolique dont le déploiement constitue proprement l'ésotérisme. Le principe de l'homogénéité du Monde, que la Table d'Émeraude énonce, on le sait, sous la forme célèbre : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut », implique celui de l'homogénéité du sens, ce qui signifie que toute chose, même celle apparemment la plus insignifiante, est susceptible d'un dévoilement, non dans la singularité de sa présence mais par sa mise en relations avec l'ensemble des choses autres qu'elles-même, ensemble que le Tout recueille sous l'égide de l'Unité. Le rôle des symboles, dont chacun manifeste le Tout en récapitulant, sous la forme particulière et selon la logique articulatoire qui lui sont consubstantielles en raison des contingences ethno-historiques (36), la somme des relations universelles, est de rappeler cette homogénéité tout en offrant sous une forme voilée les moyens du dévoilement, lequel culmine dans la gnose. C'est pourquoi René Guénon peut affirmer que le symbolisme est « le moyen le mieux adapté à l'enseignement des vérités d'ordre supérieur, religieuses ou métaphysiques, c'est-à-dire de tout ce que repousse ou néglige l'esprit moderne » (37).
    Si la philosophie demeure par nature étrangère à toute possibilité (et même à toute finalité) de Réalisation, la métaphysique, en revanche, prend en compte, ainsi que nous l'avons vu, l'obligation pour qui veut réellement connaître de devenir ce qu'il connaît, sans limitation aucune ― c'est-à-dire sans plus succomber à l'illusion suprême, celle de l'opposition du sujet et de l'objet ―, l'« affirmation de l'identification par la connaissance » s'identifiant elle-même au « principe même de la réalisation métaphysique » (38). Cette identification conduit dès lors à la Réalisation, non certes tout un chacun, mais ceux qui se montrent capables d'y parvenir au travers des épreuves, « car il y a, pour certaines individualités humaines, des limitations qui sont inhérentes à leur nature même et qu'il leur est impossible de franchir » (39). Ce n'est par conséquent nullement s'opposer à la pensée de la Tradition que d'affirmer que la métaphysique véritable se distingue aussi de la métaphysique moderne par son caractère essentiellement élitiste. René Guénon lie en effet explicitement “intellectualité” (dans le sens de “capacité d'accès à la gnose”) et “élite” ― par ex. dans la formule suivante : « Il ne peut y avoir qu'un seul moyen de sortir du chaos : la restauration de l'intellectualité et, par suite, la reconstitution d'une élite » (40) ― et précise que si l'Occident connut au Moyen Âge « des doctrines purement métaphysiques et que nous pouvons dire complètes », celles-ci demeurèrent toujours réservées « à l'usage d'une élite » (41). Quant à ceux que leurs « limitations » empêchent d'accéder à la Connaissance pleine et entière, il reste le secours des dogmes et de la foi (42).
    Cette Réalisation que permet la démarche métaphysique et sans laquelle elle ne se justifierait aucunement (43), n'est en réalité rien d'autre qu'une ré-intégration, la restauration de l'« état primordial » qui est « celui qui était normal aux origines de l'humanité, tandis que l'état présent n'est que le résultat d'une déchéance, l'effet d'une sorte de matérialisation progressive qui s'est produite au cours des âges, pendant la durée d'un certain cycle » (44). Il s'agit donc bien moins de se rendre autre que l'on est que tel que l'on fut, ou, pour le dire avec une plus grande précision, de se ressaisir ainsi que l'on est toujours demeuré depuis il Origine, même si l'on avait oublié ce que l'on était. Ce ressaisissement, en tant que sortie hors de l'illusion du temps et accès à l'Éternité (45), est ainsi identique au « déchirement du Voile » qui dissimule la Réalité suprême (46).
    Discipline éminemment pratique, opérative, si l'on considère le mot dans la plénitude de son acception ― en tant que voie de réalisation ―, la métaphysique l'est tout autant si on l'envisage de manière complémentaire comme grille d'intellection universelle. En tant qu'elle possède par nature le statut de métalangue par rapport à tous les énoncés ou vision du monde d'origine et de nature uniquement humaine, la perspective qui est sienne peut en effet légitimement s'appliquer à l'analyse des formes produites par telle ou telle civilisation, y compris, bien entendu, le monde moderne. C'est sur sa base que René Guénon ouvre le chapitre premier d'Orient et Occident en fondant l'étude de la civilisation occidentale comme tératologie (47) ; sur elle encore qu'il diagnostique des « signes des temps » dans les diverses manifestations de la modernité (48) ; sur elle toujours qu'il entreprend son « œuvre d'assainissement » en en condamnant théosophisme et spiritisme (49), peu avant que Julius Evola n'entreprenne, selon la même logique, d'arracher les « masques » du spiritualisme contemporain pour en révéler les « visages » (50). C'est sur elle enfin qu'il devient possible de comprendre la signification réelle des idéologies aujourd'hui dominantes.
    Ainsi du libéralisme. Pour qui est demeuré capable de voir, il est patent que les analyses sociologiques ou économiques, si elles peuvent en éclairer certains aspects, sont incapables de rendre entièrement compte de celui-ci. Envisagé d'un point de vue métaphysique, le liberalisme apparaît comme une forme de “satanisme” plus précisément comme la forme que prend ce dernier, non seulement en tant qu'« esprit de négation et de subversion » (51), mais aussi de parodie, dès lors qu'il entend agir dans le domaine idéologico-politique. L'inversion des traits propres au mode de vie Traditionnel est visible à tous les niveaux du discours libéral. À la figure de l'Initié qui n'est devenu “à lui-même sa propre Loi” que parce qu'il a triomphé des épreuves et connu la renaissance spirituelle qui le place légitimement au-dessus de la condition humaine, et donc des règles qui s'appliquent, pour son bien propre et celui de sa Communauté, à tout homme qui n'a pas dépassé cette condition, le libéralisme substitue celle de l'Individu, lequel refuse toute autorité parce qu'il ne reconnaît d'autre loi que celle du désir sans frein, ce qui fait de lui un esclave alors même qu'il proclame en tous lieux sa liberté prétendument inaliénable. De même, l'idéologie libérale ― dont la devise “Laisser faire, laisser passer” est déjà en soi une parodie, celle de l'“Agir sans agir” taoïste ― remplace la doctrine Traditionnelle de l'Harmonie spontanée, et maintenue vivante par l'interactivité universelle innervée par l'Esprit, par la fiction mécaniste du Marché autorégulateur, allant jusqu'à affirmer que, dès lors que ce dernier pourra fonctionner sans contrôle, “la somme des déséquilibres particuliers ne pourra que créer l'intérêt général”, alors que la vérité est très exactement l'inverse, à savoir que c'est “l'équilibre général” (dans le sens d'“universel”) préexistant qui garantit seul le caractère éthiquement acceptable parce que métaphysiquement signifiant de ce qui apparaît, non comme des “déséquilibres particuliers”, mais comme des “modes d'expression”, nécessairement limitée, de l'Absolu à l'un ou l'autre niveau de sa Manifestation. Les affirmations prévaricatrices du libéralisme reviennent ici à affirmer que ce qui est en haut se trouve sous la dépendance de ce qui est en bas, ce qui représente le complet renversement de l'enseignement de la Tradition. De plus, le libéralisme est structurellement incapable de présenter la hiérarchisation sociale en termes autres qu'économiques, comme le résultat des mérites respectifs d'acteurs engagés dans un éternel procès de production et d'échange de biens matériels, ce qui : premièrement, constitue un mensonge, car le processus d'accumulation du capital empêche le jeu pourtant affirmé “libre” de la promotion sociale (52) ; deuxièmement, entraîne un état de guerre de chacun contre tous en exacerbant les rivalités mimétiques et les jalousies du ressentiment ; troisièmement, aboutit à nier toute vie, donc toute hiérarchie, spirituelle, en ramenant l'expérience de l'Être au niveau de la simple recherche de la satisfaction des besoins organiques, c'est-à-dire en prônant comme valeur dominante de la Cité un comportement caractéristique des stades les plus primitifs du comportement animal.
    Ainsi mis en perspective, le libéralisme se laisse saisir pour ce qu'il est vraiment, une idéologie que l'on peut qualifier d'authentiquement “infernale”, d'autant plus que la volonté de séduire pour tromper et soumettre ― signature du satanique ― ne lui fait nullement défaut. En effet, le libéralisme joue analogiquement dans le domaine idéologico-politique le rôle que joue le New Age dans le domaine spirituel, parce qu'il s'agit, ici comme là de présenter une image dégradée de la liberté en l'assimilant à l'individualisme. La différence de positionnement des discours s'explique par celle des cibles (au sens où les spécialistes du “marketing” entendent ce mot) et tient à ce que le libéralisme s'adresse à ceux qui ne conçoivent même plus une autre vie que celle de la jungle, soit qu'il leur fournisse des armes afin qu'ils deviennent de meilleurs prédateurs, soit qu'il tente de les persuader que la jungle est un jardin d'enfants pour qu'ils demeurent des proies faciles (mais il s'agit toujours de faire en sorte que la jungle ne cesse pas d'être une jungle), alors que le New Age trouve un écho chez ceux qui s'imaginent qu'il est possible d'“humaniser” et de “spiritualiser” cette jungle en y baguenaudant pour y planter des fleurs multicolores au gré de ses caprices. Dans les deux cas, le but, qui ne situe pas seulement, répétons-le, à vue humaine, est d'empêcher la transmutation alchimique de la jungle en “forêt” (au sens d'Ernst Jünger), comme prélude à la concentration intensificatrice de cette dernière en « Arbre du Monde » en tant qu'« Arbre de Vie et de l'Immortalité » (53).
    Sans doute, à ce stade de l'exposé, n'est-il pas inutile de revenir, pour préciser un point fondamental que nous n'avons fait jusqu'ici qu'effleurer, sur la question de l'origine de la métaphysique. Dans la mesure où elle voit (et donne à voir) le Monde depuis un point de vue que nous qualifierions volontiers, si le mot n'était si galvaudé, de “surhumain” (54), et où elle permet, dans le même temps, le dépassement effectif de la condition désormais commune à la quasi-totalité des hommes, la métaphysique ne saurait avoir une origine humaine. Cette nécessité, à la fois principielle et logique, d'une source an-historique et non-humaine est exposée par René Guénon dans La métaphysique orientale (55) : « Ces doctrines métaphysiques traditionnelles auxquelles nous empruntons toutes les données que nous exposons, qu'elle en est l'origine ? La réponse est très simple, encore qu'elle risque de soulever les protestations de ceux qui voudraient tout envisager au point de vue historique : c'est qu'il n'y a pas d'origine ; nous voulons dire par là qu'il n'y a pas d'origine humaine, susceptible d'être déterminée dans le temps. En d'autres termes, l'origine de la Tradition, si tant est que ce mot d'origine ait encore une raison d'être en pareil cas, est “non-humaine”, comme la métaphysique elle-même ». Cette origine ne peut donc être que l'Absolu, en entendant bien évidemment ce terme dans un sens a-personnel (non-théiste) puisque les “personnifications” n'importent pas davantage en sens ascendant que descendant, ne serait-ce que parce que la notion d'un Dieu personnalisé et dans le même temps absolutisé présente une contradiction dans les termes car la personnalité, du fait qu'elle se définit par la possession et la manifestation d'un certain nombre de traits idiosyncrasiques, implique la repérabilité et renvoie donc en toute rigueur au relatif et non à l'Absolu.
    La métaphysique, en tant qu'elle s'identifie à la Tradition elle-même, peut donc être définie la codification inséparablement doctrinale et opérative d'une inspiration délivrée par l'Absolu (56). Encore reste-t-il à définir ce dernier.
    Disons-le clairement : s'il est un point sur lequel nous estimons que les analyses évoliennes touchent juste, c'est l'affirmation selon laquelle l'Absolu ne mérite pleinement ce nom que d'être défini comme Puissance. Ceci parce que « la notion de puissance (çakti) (…) s'associe invariablement au concept de Divin, lequel est un et sans second. C'est par la vertu de cette çakti que le microcosme (adhyâtma) et la macrocosme (adhidaiva) sont étroitement reliés l'un à l'autre, et que tout ce qui se trouve dans l'un d'eux se trouve se retrouve nécessairement dans l'autre » (57). René Guénon ou Frithjof Schuon, pour des raisons qui tiennent à leur nature brahmanique, ne paraissent guère s'être arrêtés à cette conception, alors qu'Evola lui a toujours donné la place qui lui revient de droit en écrivant : « Et nous affirmons que le principe de l'absolu est la puissance (çakti), et que tout système qui pose dans l'ordre métaphysique quelque chose avant ou au-dessus de la puissance est rationaliste (au sens péjoratif utilisé par Guénon) et abstrait » (58). Sans doute, d'ailleurs, n'est-il pas tout à fait inutile de saisir l'occasion afin de préciser un point qui n'est pour nous nullement de détail : ce n'est pas parce que nous pensons que le métaphysicien italien a raison ici contre “l'orthodoxie” guénonienne que nous croyons qu'il en va de même partout et toujours. Nous nous en sommes expliqué autre part (59), en particulier en ce qui concerne l'incontestable erreur évolienne à propos de la hiérarchisation de la Royauté et du Sacerdoce et de ce qui en découle quant aux relations entre Action et Contemplation. Il est pour nous hors de discussion que la Contemplation est supérieure à l'Action comme sattwa l'est à rajas. Mais ceci ne nous incite aucunement à croire que la Connaissance l'est absolument à la Puissance, sauf à entendre celle-ci dans le seul sens dégradé de force motrice de l'action non-maîtrisée, ce qui n'est nullement notre cas. Pour reprendre une formule guénonienne déjà citée dans cet article, Connaissance et Puissance expriment à nos yeux un seul et même état, celui de l'être qui est « soi-même, réellement et effectivement tout ce qu'il connaît ». Qui connaît l'Absolu est l'Absolu, et la Puissance de celui-ci devient de ce fait la sienne, ce qui ne signifie évidemment pas qu'un être parvenu à un tel niveau de Réalisation fasse servir cette Puissance à la satisfaction de desseins personnels fondés sur le désir. Ceux qui voient dans l'exposition de telles doctrines un symptôme de “satanisme”, alors même qu'ils ignorent les agissements de ce dernier là où il se manifeste authentiquement, ne saisissent pas la contradiction qu'il y a à soutenir qu'un être qui a atteint l'Absolu, et qui a donc cessé d'être un “individu”, puisse encore éprouver des désirs, lesquels sont, par définition, relatifs aux conditions existentielles d'une individualité donnée. Croit-on vraiment que quiconque est réalisé éprouve la moindre envie de se gaspiller en soustrayant à l'Absolu, c'est-à-dire à lui-même, ne fût-ce qu'une parcelle de Puissance ? Si la Contemplation est traditionnellement reconnue supérieure à l'Action, c'est bien parce que la Réalisation conduit à la première et non à la seconde.
    Pour notre part, nous appelons “puissance” l'intensité vibratoire d'un être individualisé, c'est-à-dire existant au niveau de tel plan de la Manifestation, et “Puissance” (avec la majuscule, donc) la vibration originelle unique dont la différenciation intensive crée les divers plans de Réalité (60). Jean Marquès-Rivière a fort éloquemment précisé cette distinction en écrivant : « En fait, il y a une communauté vibratoire étroite entre le corps humain et le cosmos, et l'on peut, avec les grandes cosmogonies asiatiques, considérer qu'il existe une seule et même substance qui se différencie par vibrations de plus en plus “lourdes”, de moins en moins rapides, la vibration originelle étant métaphysiquement à l'infini. Ces différenciations vibratoires créent des “mondes” ou plus exactement des “plans vibratoires” divers ayant chacun leur forme, leurs activités, leurs créatures et leurs lois » (61). La Puissance est l'essence de l'Absolu ― et c'est pourquoi il a pu être dit : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu » (62), la Parole évangélique n'étant autre que la « Parole de Puissance » (Mantrashakti) qui est originellement et éternellement identique à l'Absolu en tant que Principe créateur ― comme les puissances sont celles de innombrables entités qui peuplent le Monde, tant au plan matériel qu'à des niveaux infiniment plus subtils et, de ce fait, devenus inaccessibles à l'homme moderne. La “nature propre” (svadharma) d'un être donné est ainsi très exactement identique à son intensité vibratoire. Plus un être est “évolué”, c'est-à-dire plus il se trouve situé à un emplacement élevé sur l'échelle de la Manifestation (donc moins il s'est éloigné du Centre, donc, en fait, moins il est “involué”), plus il vibre rapidement. La doctrine des Gunas n'a pas d'autre signification : de sattwa à rajas puis à tamas, c'est l'« alourdissement vibratoire » qui s'accentue, ce qui explique et justifie la distribution hiérarchique des hommes en castes. On peut remarquer en passant qu'un être dont l'intensité vibratoire est incommensurablement supérieure à celle d'un autre être demeure de ce fait invisible aux yeux de ce dernier. C'est ce qui explique « l'éloignement » des dieux par rapport aux hommes depuis la séparation des deux lignées « qui étaient une à l'origine » (Hésiode), et c'est ce qui explique aussi, en sens inverse, les diverses apparitions religieuses, tant “divines” que “démoniaques”, lesquelles proviennent du rapprochement momentané ― qu'il soit accidentel ou délibéré ― de deux intensités vibratoires normalement incomparables.
    On comprend à présent pourquoi la Réalisation ne peut être autre chose qu'une restauration, elle qui consiste dans la ré-élévation d'une intensité vibratoire particulière jusqu'au niveau de celle de la vibration originelle ; par cette ré-élévation, qui constitue stricto sensu l'initiation, la qualité humaine disparaît en cédant la place à ce qui est infiniment plus grand, car plus puissant, qu'elle, ce même si l'être “régénéré” demeure apparemment inchangé aux yeux des hommes communs. Les initiés sont dès lors “redevenus comme des dieux”, demeuraient-ils parmi les hommes jusqu'à la conclusion de leur existence terrestre, ce que Gustav Meyrink illustre à sa manière en évoquant « la loi sur laquelle repose toute magie : si deux grandeurs sont égales, elles se réduisent à une seule, quand bien même elles auraient une existence en apparence séparée dans l'espace et dans le temps » (63). On comprend aussi pourquoi la métaphysique, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, ne peut être qu'a-morale (au sens d'un dépassement ou, pour mieux dire, d'un “laisser-derrière-soi” de la morale), dans la mesure où la Puissance ne saurait être ni “bonne” ni “mauvaise”, ce qui représenterait encore des limitations et nous ramènerait au domaine des simples puissances et donc du relatif (64). La Puissance est, tout simplement et tout uniment, à jamais irréductible à tout autre qu'Elle-même, et à jamais présente en toute forme manifestée, forme qui n'est que l'actualisation oublieuse d'Elle-même. Il ne nous semble pas faire preuve d'une trop grande audace intellectuelle en voyant ici la définition de l'Absolu, au souvenir duquel nous convie, et plus encore à la reconquête duquel nous appelle, la métaphysique authentique, c'est-à-dire la métaphysique intégrale et donc opérative.
    Jean-Paul Lippi http://www.voxnr.com
    ► Jean-Paul Lippi, Antaïos n°15, 1999.
    ◘ Né à Marseille en 1961, Jean-Claude Lippi est diplômé de l'Institut d'Études Politiques d'Aix-en-Provence et docteur en Droit. Depuis quelques années, il s'impose comme l'un des meilleurs connaisseurs de la pensée traditionnelle. Son livre, Julius Evola, métaphysicien et penseur politique : Essai d'analyse structurale (Âge d'Homme 1998) constitue le texte de sa thèse. L'auteur a publié aux éditions Pardès, un remarquable Qui suis-je ? consacré à Evola (1898-1974), penseur de la Tradition pérenne et révolté contre le monde moderne. Présenter l'œuvre de Julius Evola, « un érudit de génie » (Marguerite Yourcenar) en moins de cent pages (nombreuses photographies, bibliographie), sans simplification ni hagiographie était un défi que JP Lippi a relevé avec brio. Voilà un parfait vade-mecum pour tous les passionnés de la pensée traditionnelle, qui permettra à l'honnête homme de mieux connaître le “sulfureux” Evola, depuis l'agitation dadaïste jusqu'à la contemplation immobile. Dans un texte consacré aux Mystères de Mithra, Evola écrivait précisément : « Notre désir d'infini, (…) notre seule valeur : une vie solaire et royale, une vie de lumière, de liberté, de puissance ». Ces simples mots devraient suffire à faire de lui un compagnon de veille et de randonnée.
    Notes :
    1) « Qu'est-ce que l'ésotérisme ? », suivi de « Anthologie de l'ésotérisme occidental », in L'ésotérisme, Robert Laffont, coll. Bouquins, 1990, pp. 11-397, cit. p. 47. Les « traditionnistes » s'opposent à « ceux que l'on peut qualifier proprement de “traditionalistes”, c'est-à-dire ceux qui ont seulement une sorte de tendance ou d'aspiration vers la Tradition, sans aucune connaissance réelle de celle-ci » (René Guénon, Le Règne de la quantité et les signes des temps, 1945, Gallimard, coll. Tradition, 1972, p. 205).
    2) Bernard Bastian, Le New Age ; D'où vient-il, que dit-il ? Réponses pour un discernement chrétien, O.E.I.L., Paris, 1991, p. 136
    3) Frithjof Schuon l'a exprimé mieux que nous ne saurions le faire : « (…) la question qui ce pose n'est pas de savoir quel peut être le conditionnement psychologique dune attitude, mais bien au contraire quel en est le résultat. Quand on nous apprend par ex. qu'un tel a choisi la métaphysique à titre d'“évasion” ou de “sublimation” et à cause d'un “complexe d'infériorité” ou d'un “refoulement”, cela est sans importance aucune, car béni soit le “complexe” qui est la cause occasionnelle de l'acceptation du vrai et du bien ! » (« L'imposture du psychologisme », in Résumé de métaphysique intégrale, Le Courrier du Livre, 1985, pp. 101-107, cit. pp. 105-106).
    4)Cette attitude est tout aussi bien politique que scientifique ou philosophique ; dans le premier cas, elle fonde la profession de foi démocratique, dans le second elle sous-tend les diverses doctrines évolutionnistes, dans le troisième elle légitime le progressisme.
    5) Rien n'est en effet plus étranger à l'authentique esprit Traditionnel que l'idée moderne de tabula rasa qui égalise les hommes dans le néant à l'instant de leur naissance. Pour la Tradition, chacun naît porteur de qualifications précises, tout à la fois spécifiques dans leur modalité et partagées dans leur essence. C'est pourquoi un homme réalisé est en même temps un être unique (une Personne) et le membre d'un groupe ― réel ou idéal ― formé de ceux qui sont semblables à lui sous le rapport des qualifications (une caste). Ceci relève de la nécessité ; quant à la liberté, elle est donnée par le fait que chacun peut, sur la base existentielle fournie par ses qualifications propres, s'élever ou, au contraire, s'abaisser dans la hiérarchie des êtres, l'ante mortem ayant ici des répercussions obligées sur le post mortem et l'éventuelle procession vers une nouvelle existence terrestre. Cet enchaînement constitue la lai du Karma envisagée dans sa véritable dimension, technique et déterminante et non morale.
    6) Nous entendons le mot au sens où Louis de Bonald écrit : « Qu est-ce que la conservation d'un être ? C'est son existence dans un état conforme à sa nature » (Théorie du pouvoir politique et religieux, 1796, suivi de Théorie de l'éducation sociale, choix et présentation par Colette Capitan, UGE, coll. 10-18, 1966, p. 31).
    7) Cf. R. Guénon, Les états multiples de l'Être, 1932, Éd. Traditionnelles, 1984.
    8) Tel est l'argument que l'on peut apposer à la morale kantienne, laquelle fait, comme on le sait, reposer la morale sur la raison, en prétendant de ce fait lui conférer une valeur indépendante de toute considération “existentielle”. Emmanuel Kant tient en effet pour « évident que tous les concepts moraux ont leur siège et leur origine complètement a priori dans la raison, dans la raison humaine la plus commune aussi bien que dans celle qui est au plus haut degré spéculative », d'où il conclut, après avoir exigé que soit admis comme étant « de la plus grande importance pratique de puiser ces concepts et ces lois à la source de la raison pure », que les lois morales doivent valoir non seulement pour l'homme mais aussi « pour tout être raisonnable en général » (Grundlegung zur Metaphysik der Sitten, traduit de l l'allemand par Victor Delbos : Fondements de la métaphysique des mœurs, 1785, Deuxième section, Delagrave, 1971, pp. 120-121). Or, même si l'on accepte de reconnaître en la raison une instance immédiatement normative, ce qui apparaît bien davantage comme une pétition de principe que comme une nécessité, l'impératif que celle-ci produit ne peut être dit catégorique qu'au seul niveau des êtres gouvernés exclusivement par elle, et non à celui d'êtres participant dune connaissance supra-rationnelle. Pour ces derniers, l'impératif catégorique tombe du fait qu'ils se situent, au sens littéral de l'expression, “par-delà bien et mal” parce que par-delà les bornes du monde balisé par la seule raison.
    9) C'est le sens de la sortie des castes “par le haut”, celle du ativarna, par opposition à la même sortie effectuée “par le bas”, laquelle est propre au paria.
    10) Nous ne disons point du “surnaturel” car ce mot, s'il ne vient que trop aisément sous la plume, n'en est pas moins dépourvu de sens. Tout ce qui existe, en quelque mode que l'on voudra, est naturel, c'est-à-dire engendré. Seul peut être à bon droit qualifié de “surnaturel” ce qui n'existe pas mais est, en ce qu'il demeure étranger à la temporalité du fait qu'il possède en soi-même sa propre cause identique à sa propre perfection (entéléchie nécessaire de l'Absolu). Stanislas de Guaita, au milieu de considérations toutes personnelles, à écrit des lignes non dépourvues d'intérêt sur cette question (cf. Essais de Sciences maudites : Le Serpent de la Genèse, 1897, Seconde Septaine - Livre II - La clef de la magie noire, coéd. Trédaniel / Savoir Pour Être, coll. Les trésors de l'ésotérisme, 1995, « Le surnaturel existe-t-il ? », pp. 14-17).
    11) « L’Univers est un tissu fait de nécessité et de liberté, de rigueur mathématique et de jeu musical ; tout phénomène participe de ces deux principes » écrit Frithjof Schuon (Résumé de métaphysique intégrale, op. cit., p. 16).
    12) De l'Homme, mais non de lui seul. La perception de l'unité supramondaine interdit de conférer à l'Humanité une suprématie sur le reste de la Manifestation, hormis sur un seul point : autant qu'il nous est permis d d'en juger, et dans le cadre de notre propre continuum, l'Homme est le seul être par le truchement duquel le Principe se rend à même de parvenir de manière intégrale à la ressaisie de Lui-même.
    13) Jean Parvulesco, dont la vision du monde repose sur ce que nous qualifierions volontiers de “tantrisme marial”, rend cette idée par l'emploi d'une image véritablement prodigieuse : « Un immense lac de feu tournoyant sur lui-même, avec en son centre, la sur-centralité polaire de l'amour de Dieu et de Marie, tel est le dispositif en action de la divinité vivante, tel est le mystère de l'Ædificium Caritatis, tel est l'être même de Dieu » (« Dieu est amour, et l'amour soutient l'empire de la charité », in éléments n ° 95, « Avec ou sans Dieu ? », juin 1999, pp. 40-44, cit. p. 43).
    14) Julius Evola, La tradizione ermetica, nei suoi simboli, nella sua dottrina e nella sua “arte regia”, traduit de l'italien par Yvonne J. Tortat : La tradition hermétique : Les symboles et la doctrine. “L'art royal” hermétique, 1931, Éd. Traditionnelles, 1988, p. 35. C'est cette « coexistence » qui rend ce « chaos » indissociablement créateur et destructeur. Si c'est la seconde potentialité qui vient à prévaloir, soit par l'effet d'une évertuation ponctuelle volontaire (magie prétendue “noire” ou goétie), soit simplement par celui des lois cycliques de la Manifestation, nous trouvons l'image du Shiva tamasique ou, sur un plan plus cosmologique que métaphysique, celle du « Grand Dieu Pan » cher à Arthur Machen.
    15) « Nos travaux antérieurs nous ont montré qu'au point de départ de nos annales se situe une Révélation, ou illumination primitive de la pensée humaine ; celle-ci se trouvait pourvue, en effet, originairement d'un potentiel mental supérieur, qui l'exhaussait au-dessus de la “nature”. Le péché, en la dessoudant de Dieu, autrement dit de l'Être, l'a dépouillée ipso facto de sa puissance première, et scindée de l'essence des choses. C'est ce dénivellement, cette chute vers un palier inférieur de connaissance, qui a ravalé le surhomme du début au rang d'homme, et déterminé la vision de l'univers comme un fluctuant agrégat de mécanismes physiques (…) L'on nomme Révélation Primitive la communication spéciale qui s'est établie, tout au début de l'histoire humaine, entre l'homme et la préternature. Par préternature nous entendons l'univers transcendant ou dynamique qui forme le substrat des choses accessibles à nos sens » (Pierre Gordon, La révélation primitive, Dervy, 1951, pp. 9 et 17, souligné dans le texte).
    10) Pour une étude pénétrante des conséquences de la réduction de la métaphysique stricto sensu à la seule ontologie, cf. Georges Vallin, La perspective métaphysique, Dervy-Livres, 1977.
    17) Cf. O. Hanfling, Logical Positivism, éd. Blackwell, Oxford, 1981.
    18) Pour un exposé synthétique des rapports entre les 2 disciplines, cf.R. Guénon, Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, 1921, Deuxième partie : « Les modes généraux de la pensée orientale », chapitre VIII : « Pensée métaphysique et pensée philosophique », Trédaniel, 1997, pp. 123-140.
    19) Étienne Borne, Passion de la vérité, Fayard, 1962.
    20) Ludwig Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus, Vienne, 1918. Nous citons d'après la traduction due à Pierre Klossowski, Gallimard/Tel, 1989, p. 107 (texte suivi par les Investigations philosophiques).
    21) pp. 106-107 (6.53), souligné dans le texte.
    22) Ésaïe, IV, 5.
    23) Il est trop évident (pour qui se donne la peine de regarder) que le New Age s'inscrit dans le cadre de la contre-Tradition et de la parodie dénoncées par R. Guénon pour qu'il soit indispensable d y insister. Disons simplement qu'il contribue, tant par son message de spiritualité à bon marché ― et donc à la portée du premier venu qui est toujours le moins qualifié ― que par les pratiques magico-religieuses qu'il génère de la part d'individus totalement inconscients de la véritable nature des forces avec lesquelles ils entrent en contact, à augmenter le chaos ambiant, y compris sur des plans tout à fait concrets.
    24) La perception de l'Unité transtatique entraîne la prise de conscience de la présence continue du supra-mondain dans la Monde, donc l'élaboration de la doctrine immanentiste de la Transcendance que nous avons déjà évoquée. Insistons sur le fait que c'est bien cette perception (intuitive, dans le sens de “supra-sensible”) qui est première, et non l'élaboration doctrinale, ceci suffisant à distinguer la métaphysique de la philosophie.
    25) Cf. R. Guénon, Le Règne de la quantité et les signes des temps, op. cit., ch. XVII, « Solidification du monde ».
    26) R. Guénon, La métaphysique orientale, 1939, Éd. Traditionnelles, 1985, p. 7.
    27) R. Guénon, Le Symbolisme de la Croix, 1931, coéd. Trédaniel-Véga, 1984, p. 10.
    28) René Guénon, La métaphysique orientale, op. cit., p. 14, nous soulignons. Cette mise au point illustre ce que Georges Vallin décrit comme « le caractère d'intégralité qui permet à la perspective métaphysique de dépasser les limitations dogmatiques en général (La perspective métaphysique, op. cit., p. 153), limitations qui naissent inévitablement du fait que « la formulation dogmatique se révèle ordinairement par l'exclusion systématique d'un aspect du réel au profit d'un autre » (ibid., p. I55). On notera que, dans le cadre d'une critique des thèses de la métaphysique Traditionnelle telles que les expose précisément Vallin dans la fidélité à la Lux Guenoniana, critique conduite depuis des positions chrétiennes, Christophe Andruzac écrit : « La recherche d'un “Absolu” au-delà de toute dualité (être / agir, connaissance / connu, être / connaître, cause / effet, etc.), exprime à notre sens très profondément le thumos vers une vie de l'intelligence qui serait coextensive à la totalité de l'être. Mais cette vision n'exprime-t'elle pas la nostalgie qu'éprouve l'intelligence du contemplatif de connaître de la connaissance-même du Créateur ? » (R. Guénon. La contemplation métaphysique et l'expérience mystique, Dervy-Livres, coll. Mystiques et Religions, 1980, p. 45). On saisit bien à travers ces propos tout ce qui sépare la religion, en particulier dans le cadre des monothéismes, de la métaphysique. La première est structurellement incapable de dépasser le dualisme de la nature et de la surnature (du “contemplatif” / créature et du “Créateur” / contemplé) car elle demeure inéluctablement bloquée dans une conception antinomique de l'immanence et de la Transcendance, alors même que, comme le souligne à juste titre Vallin : « L'intuition intellectuelle de l'Un dépasse l'antinomie en posant la cause première à partir de l'Un et en intégrant dans l'Infini métaphysique l'indéfinité de l'existence “phénoménale” » (La perspective métaphysique, op. cit., p. 153).
    29) Tractacus logico-philosophicus, op. cit., p. 102 (6.373).
    30) Ibidem (6.375), souligné dans le texte.
    31) Ibidem, p. 103 (6.3751).
    32) René Guénon, La métaphysique orientale, op. cit., p. 10.
    33) « Une réponse qui ne peut être exprimée suppose une question qui elle non plus ne peut être exprimée. L'énigme n'existe pas. Si une question se peut absolument poser, elle peut aussi trouver sa réponse » (Tractacus logico-philosophicus, op. cit., p. 105 (65), souligné dans le texte).
    34) Ibidem, p. 103 (6.41), souligné dans le texte.
    35) Ibidem.
    36) La synergie de cette forme et de cette logique détermine l'action historique et culturelle (le la Tradition.
    37) Symboles fondamentaux de la Science sacrée, Gallimard, 1962. Cette “efficacité” du symbole ― qui n'est certes pas réductible à une efficacité symbolique ― est fort bien explicitée par René Alleau : « Or la nature fondamentale du symbole étant d'élever l'âme humaine vers le surhumain, le mouvement même de la connaissance symbolique correspondait à un élan vers la Lumière incréée, au delà des apparences repérables de toute création matérielle et des bornes concevables de l'univers du discours » (De la nature des symboles : Introduction à la symbolique générale, 1958, Petite Bibliothèque Payot, 1997, p. 18).
    38) R. Guénon, La métaphysique orientale, op. cit., p. 13.
    39) Ibidem, p. 7.
    40) La crise du monde moderne, 1927, Gallimard, coll. Tradition, 1973, p. 94.
    41) La métaphysique orientale, op. cit., p. 14. Il va sans dire que prétendre donner au mot “élite” une signification sociologique et “réactionnaire” serait une lourde erreur, même si certains, en toute bonne foi “évangélique” (mais sans doute plus encore néo-conciliaire) semblent surtout avoir retenu de l'enseignement guénonien le risque qui serait le sien d'être : « récupéré par les milieux d'extrême-droite » (Bernard Bastian, Le New Age, op. cit., p. 38).
    42) Nous ne pouvons que nous opposer sur ce point à notre excellent ami Arnaud Guyot-Jeannin, lequel écrit : « La Connaissance n'est rien d'autre que l'approfondissement de la foi. Sans foi, pas de Connaissance ! » (« Tradition d'abord ! », in Tradition - Lettre d'information du Cercle Sol lnvictus n°1, automne 1998, p. 2). Il nous semble au contraire que la Connaissance est non “l'approfondissement” de la foi, mais bien son dépassement. Celui qui connaît est de ce fait dispensé de croire. Le voudrait-il, d'ailleurs, qu'il ne le pourrait, puisque la foi suppose une séparation entre le sujet qui croit et l'objet de sa foi, ainsi qu'une ignorance, au moins relative, de la nature dernière de cet objet. Séparation et ignorance que la gnose laisse derrière elle sans possibilité de retour car « tout résultat, même partiel, obtenu par l être au cours de la réalisation métaphysique l'est de façon définitive » (R. Guénon, La métaphysique orientale, op. cit., p.20). Il y a des étapes sur le chemin de la Connaissance et la foi est l'une d'entre elles, supérieure certainement à l'agnosticisme, mais il n'y a pas de retour en arrière.
    43) Affirmons-le sans barguigner, quitte à paraître provocateur : si la métaphysique ne conduisait pas à la Réalisation, autant vaudrait jouer aux petits chevaux que de s'en occuper. Quelle valeur réelle pourrait avoir une Connaissance qui ne serait pas immédiatement opérative, et qui demeurerait donc non intégrée à celui qui la posséderait ?
    44) René Guénon, La métaphysique orientale, op. cit., p. 18.
    45) Le ressaisissement se trouve tout à la fois au début de la Réalisation et à sa conclusion, celui-là apparaissant comme la préfiguration “possibilisante” de celle-ci. « La première chose à faire pour qui veut parvenir véritablement à la connaissance métaphysique, écrit Guénon, c'est de se placer hors du temps, nous dirions volontiers dans le “non-temps” si une telle expression ne devait pas paraître trop singulière et inusitée. Cette conscience de l'intemporel peut d'ailleurs être atteinte d'une certaine façon, sans doute très incomplète, mais déjà bien réelle pourtant, bien avant que soit obtenu dans sa plénitude cet “état primordial” dont nous venons de parler » (La métaphysique orientale, op. cit., p. 18).
    46) La signification ultime de ce Voile, qui est celui d'lsis et que l'Hindouisme connaît comme Maya et l'Islam comme Hijâb, a été exposée par Frithjof Schuon dans une étude intitulée « Le mystère du Voile » publiée in L'ésotérisme comme Principe et comme Voie, Dervy, coll. L'Être et l'Esprit, 1997, pp. 45-62.
    47) « La civilisation occidentale moderne apparaît dans l'histoire comme une véritable anomalie : parmi toutes celles qui nous sont connues plus ou moins complètement, cette civilisation est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, et ce développement monstrueux, dont le début coïncide avec ce qu'il est convenu d'appeler la Renaissance, a été accompagné, comme il devait l'être fatalement, d'une régression intellectuelle correspondante ; nous ne disons pas équivalente, car il s'agit là de deux ordres de choses entre lesquels il ne saurait y avoir aucune commune mesure » (Orient et Occident, Payot, 1924, p. 9, nous soulignons).
    48) Cf. Le Règne de la quantité et les signes des temps, op. cit.
    49) Cf. Le théosophisme : histoire d'une pseudo-religion, 1921, Éd. Traditionnelles, 1966, et L'erreur spirite, 1923, mêmes éditions, 1952 (l'expression « œuvre d'assainissement » est due à Raymond Abellio et figure in « L'esprit moderne et la Tradition », introduction à Paul Sérant, Au seuil de l'ésotérisme, Grasset, coll. Correspondances, 1955, pp. 9-81, cit. p. 81).
    50) Cf. Masques et visages du spiritualisme contemporain, 1932, Pardès, 1991.
    51) R. Guénon, La crise du monde moderne, op. cit., p. 116. Lorsque nous évoquons le satanisme libéral, précisons-le, nous n'avons nullement à l'esprit l'image d'Épinal de l'entité à cornes et à queue fourchue, même si ce n'est certainement pas glisser de l'ésotérisme à l'occultisme vulgaire que d'admettre la possibilité, ici comme en d'autres endroits, d'une action “démoniaque” au sens usuel du terme. Citons encore une fois René Guénon afin de dissiper l'éventuel malentendu : « Quand nous qualifions de “satanique” l'action antitraditionnelle dont nous étudions ici les divers aspects, il doit être bien entendu que cela est entièrement indépendant de l'idée plus particulière que chacun pourra se faire de ce qui est appelé “Satan”, conformément à certaines vues théologiques ou autres, car il va de soi que les “personnifications” n'importent pas à notre point de vue et n'ont aucunement à intervenir dans ces considérations (Le Règne de la quantité et les signes des temps, op. cit., p. 236).
    52) Point n'est besoin d'être marxiste pour comprendre ces choses. Mais le problème de ceux qui se réclament de la Tradition, y compris dans sa dimension politique de Droite, est souvent leur hostilité, certes compréhensible mais trop aisément bornée, au collectivisme, hostilité qui les empêche de distinguer le véritable ennemi. C'est ce qui conduit un certain nombre de personnes, par ailleurs correctement orientées sur le plan principiel, à adopter à l'encontre des victimes de la « démonie de l'économie » (pour nous exprimer à la manière évolienne) une attitude empreinte de la sécheresse de Cœur dont a toujours fait preuve la bourgeoisie, et donc à rejoindre d'une certaine façon les positions du monde moderne qu'elles prétendent combattre. Or, si la Tradition mène à défendre, au niveau politique, des valeurs qui appellent le qualificatif d'“aristocratiques”, cet aristocratisme ne peut être que social.
    53) Mircea Eliade, Le chamanisme et les techniques archaïques de l'extase, 1951, Payot, 1996, p. 220.
    54) Le surhumanisme de la métaphysique Traditionnelle est tout autre chose que celui dont Zarathoustra se fait le héraut. Pour dissiper les malentendus, mieux vaut parler de “suprahumanisme”.
    55) Op. cit., p. 23.
    56) C'est en ce sens que René Guénon peut parler de « métaphysique intégrale » et Frithjof Schuon reprendre cette expression pour en faire le titre de l'un de ses ouvrages (Résumé de métaphysique intégrale, op. cit.).
    57) Comment discriminer le spectateur du spectacle ? (Drg - drçya - viveka), traduction par Michel Sauton d'après la version anglaise du swâmi Nikhilânanda, éd. Adrien Maisonneuve, coll. Vandé Mâtram, Paris, 1945.
    58) « Il Problema di Oriente et Occidente » (Le Problème d'Orient et Occident), recension de René Guénon, Orient et Occident, in : Ultra, 1925, traduit de l'italien par Philippe Baillet et reproduit in : Guido De Giorgio, L'Instant et l'Éternité et autres textes sur la Tradition, éd. Archè, Milan, 1987, pp. 259-260, cit. p. 260, souligné dans le texte (il faut lire ce dernier en faisant abstraction du ton inutilement polémique adopté par un homme alors encore très jeune).
    59) Cf. notre ouvrage Julius Evola, métaphysicien et penseur politique : Essai d'analyse structurale, L'Âge d Homme, coll. Les études H, Lausanne, 1998, ainsi que notre entretien dans le n°14 de la présente revue, équinoxe de printemps 1999, pp. 76-86.
    60) Nous pourrions tout aussi bien écrire « les diverses Réalités », puisque, pour n'importe quel être, son Monde est le Monde. C'est en ce sens qu' il faut entendre la formule conclusive du Règne de la quantité et les Signes des temps (op. cit., p. 272) : « Et c'est ainsi que, si l'on veut aller jusqu'à la réalité de l'ordre le plus profond, on peut dire en toute rigueur que la “fin d'un monde” n'est jamais et ne peut jamais être autre chose que la fin d une illusion ».
    61) Le yoga tantrique hindou et tibétain, 4° éd. revue et augmentée, Archè, Milan, 1979, Introduction, p. XVII. C'est cette même conception, qui détermine la doctrine Traditionnelle en tant que monisme émanationniste, que Frithjof Schuon, dans le cadre d'une réflexion sur le problème du mal, rend par l'image du « rayonnement » qui émane du Centre Primordial, en précisant que si ce rayonnement est une nécessité, il n'en demeure pas moins que « qui dit rayonnement, dit éloignement, donc aliénation ou appauvrissement » (Résumé de métaphysique intégrale, op. cit., p. 16).
    62) Évangile selon Jean, I, 1, traduction Louis Segond d'après le texte grec.
    63) Walpurgisnacht, 1917, traduit de l'allemand par A. D. Sampiéri : La nuit de Walpurgis, Bibliothèque Marabout, 1973, pp. 90-91, souligné dans le texte. Précisons que nous sommes tout à fait conscient des réticences que suscite souvent la mention du nom d'un auteur que beaucoup de traditionnistes, à commencer par René Guénon lui-même, ont condamné dans les termes les plus sévères. Mais les zones d'ombre du personnage ne doivent pas interdire de reconnaître l'intérêt majeur que son œuvre présente.
    64) C'est ce qu'Arthur Avalon (Sir John Woodroffe) exprime en disant du Mantra, qu'il définit comme « en un mot, une puissance (Shakti), la puissance sous la forme du son », que celui-ci « se prête impartialement à tout usage ». The Serpent Power, traduit de l'anglais par Charles Vachot d'après la 4° édition de 1950 : La puissance du Serpent : Introduction au tantrisme, Dervy-Livres, coll. Mystiques et Religions, 1990, pp. 88 et 87.