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Aymeric Chauprade : « Si les États-Unis n’acceptent pas le monde multipolaire, alors il y aura une guerre mondiale encore plus terrible que les deux précédentes »

Alors que la 3e édition de la Chronique du choc des civilisations, le fameux « Chauprade », comme on dit désormais, vient de sortir en librairie, Nouvelles de France a interrogé son auteur. Entretien sans langue de bois !

Aymeric Chauprade, vous publiez dans votre Chronique du choc des civilisations une très instructive carte du grand Moyen-Orient voulu par les États-Unis d’Amérique. Sur quoi est-elle fondée ?

Il s’agit d’une représentation d’un possible redécoupage des frontières moyen-orientales sur une base communautaire (religieuse ou ethnique). Cette idée n’est pas nouvelle. Elle a été imaginée plusieurs fois depuis les années 1980 dans certains cercles stratégiques israéliens et américains. Elle n’a jamais été adoptée comme politique des États-Unis, puisque officiellement, c’est l’intangibilité des frontières qui prévaut, mais l’on voit bien qu’avec la création du Kosovo dans les Balkans, les États-Unis ne sont en rien fixés sur l’intangibilité des frontières existantes.
Plusieurs auteurs issus de think tanks américains ont publié de telles cartes. Je pense que rien n’est tranché sur cette question. La vérité en la matière n’est ni noire, ni blanche, elle est grise. Ces intentions existent, et peut-être certains milieux stratégiques américains et israéliens pensent-ils que leur suprématie au Moyen-Orient sera mieux assurée si une telle recomposition se produit et qu’Israël voit naître de petits États alliés (druze, kurde…) face aux Arabes sunnites.

Mais les forces qui remuent un État ne sont en réalité jamais unifiées, et peuvent même être contradictoires. La politique est la résultante de toutes ces forces. Mon intention est donc de permettre au lecteur d’imaginer ce qui est possible, sans pour autant l’enfermer dans une vérité systématique.

« J’ai été l’un des premiers, en France, à éclairer le basculement de la géopolitique américaine après l’effondrement soviétique dans une stratégie de refus d’ascension de la Chine et plus généralement de refus d’un monde multipolaire. »

L’une des grandes thèses de votre Chronique, c’est la fin progressive d’un monde unipolaire organisé autour des États-Unis d’Amérique au profit d’un monde multipolaire (Chine, etc.), le Moyen-Orient comme condition à cette évolution et l’islamisme comme barrage. En quoi cette thèse est-elle novatrice ? Est-elle opposée ou complémentaire à la thèse du choc des civilisations actualisée par Samuel P. Huntington ou à celle du choc traditionalisme/progressisme (Caroline Fourest) ?

Je ne sais pas si ma thèse est novatrice. Ce que je sais c’est que j’ai été l’un des premiers, en France, à éclairer le basculement de la géopolitique américaine après l’effondrement soviétique dans une stratégie de refus d’ascension de la Chine et plus généralement de refus d’un monde multipolaire.

Je pense que le Moyen-Orient est le lieu principal, mais non unique, de cet affrontement entre forces de l’unipolarité, tendues vers le projet d’une hégémonie américaine, et forces (diverses) de la multipolarité. Cette idée n’est opposée ni à la thèse de Huntington ni à celle de Fourest. Huntington a eu le mérite de rappeler que les civilisations existent et que le monde ne se réduit pas à un affrontement idéologique entre les démocraties et les tyrannies, un conte pour enfants qui est pourtant « vendu » par les politiques occidentaux à leurs électeurs.

Moi je dis que l’Histoire ne se réduit pas au choc des civilisations, car les nations et les figures historiques jouent aussi un rôle central, mais que le choc des civilisations est une réalité du temps long de l’Histoire.

Quant à la thèse de Caroline Fourest, cela va vous paraître curieux mais je la partage, à la différence près (essentielle) que je me situe dans le camp opposé au sien ! On peut être marxien sans être marxiste. Fourest est à la pointe du combat LGBT ; il est normal qu’elle ait compris très tôt la guerre qu’elle faisait au monde de la tradition !

« Les États-Unis et l’Union européenne sont devenus les promoteurs de la destruction de la famille par la THÉORIE DU GENRE, par le MARIAGE HOMOSEXUEL, par la MARCHANDISATION DU CORPS ; en face, la Russie va s’affirmer comme l’État qui défend les valeurs traditionnelles et la véritable liberté de l’homme. »

Donc en effet, en plus des permanences et des ruptures géopolitiques, il existe un affrontement idéologique. Celui d’un monde qui pense que la liberté et la dignité de l’homme reposent sur les valeurs naturelles (et ces valeurs dépassent le christianisme, elles ne découlent pas de la religion, elles sont en chacun d’entre nous, quelques soient nos croyances) comme la famille ; et celui d’un autre monde (Fourest en est l’avant-garde) fondé sur le grand marché de « ce que nous pourrions être à la place de ce que la nature a voulu que nous soyons ».

Ces deux systèmes de valeur vont s’affronter en effet de plus en plus dans les années à venir. Les États-Unis et l’Union européenne sont devenus les promoteurs de la destruction de la famille par la théorie du genre, par le mariage homosexuel, par la marchandisation du corps ; en face, la Russie va s’affirmer comme l’État qui défend les valeurs traditionnelles et la véritable liberté de l’homme. Je ne suis pas allé parler à la Douma par hasard !

Quant à l’islamisme, il y a longtemps que je dis qu’il est le meilleur allié du projet américain dans la guerre contre le monde multipolaire. Il est l’idiot utile de l’Occident américain.

Cette évolution de l’unipolarité à la multipolarité est-elle inéluctable ? Quelles conséquences la fin d’un monde unipolaire aura-t-elle pour Israël ?

Il n’y a d’inéluctable que ce que l’on accepte. Je ne crois pas au sens de l’Histoire. La seule flèche de l’Histoire est celle du progrès des sciences et des techniques dont découle l’essentiel des révolutions mentales. Pour le reste, certaines valeurs immuables, comme la famille, traversent le temps. Le Bien et le Mal sont immuables. Ils ont traversé les siècles et malheureusement le Mal n’est pas moins fort aujourd’hui qu’il ne l’était hier.

Ce que je pense, c’est que si les États-Unis n’acceptent pas le monde multipolaire, alors il y aura une guerre mondiale encore plus terrible que les deux précédentes. De mon point de vue, Israël ne devrait pas souhaiter cela car, alors, une nouvelle catastrophe surviendrait pour le peuple juif. Je pense pour ma part qu’Israël peut survivre et même trouver toute sa place dans un monde multipolaire.

Je ne vois pas au nom de quoi j’empêcherai à un peuple d’exister et d’avoir la sécurité. Cela nécessite un progrès dans les mentalités tant du côté israélien, que du côté arabe. En tout cas je ne crois pas du tout que le destin d’Israël soit lié à l’hyperpuissance américaine. Israël joue de l’hyperpuissance, mais une autre stratégie viable est possible pour ce pays.

« Sous prétexte de s’opposer à la géopolitique américaine, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’idéalisme béat qui voudrait que les Chinois ou les Russes soient des bisounours… »

En dévorant votre Chronique, un lecteur non-initié pourrait penser que la géopolitique est décidément bien immorale et cynique. Est-ce par principe vrai ou la cause de ce constat se trouve-t-elle dans le fait que la plupart des pays développés sont aux mains de l’oligarchie mondialiste ?

L’oligarchie mondialiste (et les États occidentaux qu’elle contrôle) n’est pas la seule à défendre des intérêts cyniques. Ne caricaturons pas les choses. Tous les États du monde, y compris ceux qui s’opposent à l’oligarchie, obéissent au principe de la realpolitik et des intérêts.

Ce que je dis, c’est que le réaliste accepte et prend en compte le droit des États à défendre leurs intérêts et qu’il essaie ensuite de voir comment faire en sorte que la compétition des intérêts ne se transforme pas en bain de sang. Sous prétexte de s’opposer à la géopolitique américaine, il ne faudrait pas non plus tomber dans l’idéalisme béat qui voudrait que les Chinois ou les Russes soient des bisounours…

Je me méfie de toute façon de tous les manichéismes, aussi bien quand il s’agit de faire endosser la peau du méchant au Russe, au Serbe, à l’Israélien ou à l’Arabe. Regardons les intérêts de chacun, essayons de comprendre leur point de vue, et méfions-nous de ne pas appliquer les modes de pensée de nos adversaires, ceux de la diabolisation de l’ennemi.

En quoi le mondialisme (idéologie) est-il distinct de la mondialisation (un fait déjà ancien, certains disent qu’elle a commencé sous l’Empire romain) ?

La mondialisation est le résultat de l’action d’une hyperpuissance, hier Rome, aujourd’hui les États-Unis, qui décloisonne le monde dans le sens de ses intérêts propres. Le mondialisme est l’idéologie qui donne une légitimité philosophique et politique à cette action. Il existe un lien entre les deux, mais les deux phénomènes sont néanmoins à distinguer.

Par exemple, certains aspects du progrès scientifique et technique poussent dans le sens de l’émancipation des territoires et des frontières. D’autres aspects, comme la biométrie, permettent au contraire de mieux réguler les flux et de revenir aux signatures biologiques de l’homme, au moment où son état-civil est souvent falsifié.

Le fait que vous travailliez désormais avec Marine Le Pen et que vous l’assumiez publiquement ne risque-t-il pas de rendre moins crédible vos travaux aux yeux du grand public ?

Vous connaissez l’adage : « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Évidemment, ce serait plus confortable de profiter de mon statut de consultant international, de rester sur les sphères tranquilles de la « métapolitique » sans mettre les mains dans le cambouis.

Le problème c’est que je ne supporte plus d’assister à la destruction lente de mon pays, en restant les bras croisés, dans la posture d’un Cicéron assistant au déclin de Rome. Je ne sais absolument pas si mon action sera utile, mais j’ai l’envie de me rendre utile au pays. Et je me dis que ma position en géopolitique, laquelle est, me semble-t-il, respectée, peut apporter quelque chose à la dynamique engagée par Marine Le Pen.

Après tout, la quasi-totalité des experts de mon domaine assument une appartenance politique, souvent socialiste, parfois UMP. Autrement dit, ils se sentent proches de partis qui, depuis plus de 30 ans, ont trompé les Français et affaibli la France. Pourquoi devrais-je avoir honte de dire que je me sens proche d’une femme de caractère, dont l’amour de la France n’est pas à mettre en doute et auxquels les Français ont de plus en plus envie de donner sa chance ?

Vous ne pensez pas que cette femme, qui a grandi dans l’hostilité violente, injuste, que le système opposait au talent de son père, a justement la cuirasse qu’il faut pour affronter les défis de la France et faire les choix courageux qui s’imposent en matière d’immigration et de réforme de l’État-providence ? Je crois que le problème de la France, c’est avant tout le manque de courage de ses élites : les gens qui nous gouvernent sont conformistes et sans caractère, et ne font que suivre  les idées dominantes.

Je connais ma valeur, mes forces et mes limites et n’ai jamais cherché la reconnaissance d’une caste d’universitaires sectaires. Il est connu et reconnu que j’ai réveillé la tradition géopolitique réaliste en France. Si cela échappe à certains ici, cela n’a pas échappé aux nombreux pays avec lesquels je travaille. Je m’honore à ne pas être honoré par un système que je combats de toutes mes forces et depuis toujours.

Combien d’exemplaires des deux premières éditions de votre Chronique du choc des civilisations avez-vous déjà vendu ? À combien d’exemplaires a été tirée la nouvelle ?

Pour les deux premières éditions de Chronique du choc des civilisations, nous en sommes à près de 30 000 exemplaires vendus. J’ignore à combien mon éditeur a tiré cette troisième édition. Je lui fais confiance car c’est un grand professionnel et comme je suis, par ailleurs, éditeur depuis 20 ans je n’ai pas pour habitude de harceler mes éditeurs!

Nouvelles de France

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