À l'époque de Gorbatchev, paraissait en langue française un intéressant journal appelé "Les Nouvelles de Moscou". Les réflexions de cette époque pleine d'espoirs mériteraient sans doute d'être revisitées. L'une d'entre elles, fort simple, me revient souvent à l'esprit : il est toujours plus long de faire pousser un arbre que de l'abattre. On n'assiste pas au même processus. On peut répondre à cela, en remarquant, qu'en s'y prenant convenablement, de préférence dans le jardin de la France et à la sainte Catherine, on est surpris au bout d'une dizaine d'années, des prospérités de ses plantations.
La frénésie de destruction sociale, la "déconstruction sociétale" à laquelle s'attache le pouvoir actuel, ne s'exerce sans doute pas avec la même violence terroriste que le bolchévisme russe ou que la révolution jacobine. "Sensuel et sans férocité", du moins en apparence, le régime radical socialiste au retour duquel travaille depuis toujours François Hollande, provoque cependant des dégâts durables. Et si les choses durent ainsi, jusqu'en 2017 voire au-delà, il sera bien difficile aux habitants de l'Hexagone de remonter la pente douce sur laquelle leurs gouvernants les ont fait dégringoler.
Énvisageons ici le devenir des forces qui s'y opposent vraiment, des espoirs qu'elles suscitent, des perspectives qu'elles contiennent.
Jusqu'au 2 février, jusqu'aux deux immenses rassemblements de Paris et de Lyon, les commentateurs agréés pouvaient penser que le mouvement exprimé en 2013 sous le nom de "Manif pour tous" allait mourir dans l'échec. Certains ne se privaient pas de le démontrer par A + B. Le pronostic s'étayait en fonction de très vieilles équations rationnelles : changement de porte-parole, scission entre trois rassemblements échelonnés sur moins d'un mois, pollution inquiétante par les éléments le plus extrêmes et les plus hétéroclites.
Tout cela ne pouvait, a priori, selon les données empiriques des uns, et en vertus des idées reçues des autres, qu'aboutir à un essoufflement. Dressé en vue d'une seule course, le cheval devait retourner à l'écurie. Le mouvement n'avait été programmé que contre une seule loi. Celle-ci se trouve désormais votée, promulguée, entérinée par le petit comité que l'on appelle les Sages. Le fronton du conseil constitutionnel est orné d'un sphinx. D'assez vilaine facture, commandé en 1972 à un sculpteur catalan, cet animal mythique est supposé tout savoir. Les infaillibles se sont prononcés, la cause est réglée. La triste parodie matrimoniale à laquelle se sont livrés l'année écoulée 7 000 couples insolites est devenue loi de l'État. La société doit s'incliner.
N'oublions jamais le vertige jacobin. La république française pouvant se targuer désormais d'avoir dépassé, sur les chemins de la puissance, le parlement de Westminster, elle peut enfin "tout faire" même "changer un homme en femme". Prométhée n'est plus enchaîné.
L'ivresse secrète des déconstructeurs, un moment victorieux, se mesure aujourd'hui à leur déception d'après-boire. Gueule de bois de ceux qui déplorent le coup d'arrêt que le chef de l'État a été contraint de donner aux élaborations suivantes.
Car avec la gauche, on doit le savoir, quoiqu'elle en dise, on doit toujours s'attendre à un projet supplémentaire. Pause tactique, parfois. Renoncement stratégique, jamais.
Et c'est conscient de cela, que le mouvement de rejet, venu du fond séculaire d'un très vieux peuple, non seulement n'a pas capitulé, mais s'est développé.
M. Valls se trompe lui-même cependant en assimilant le concept de "la manif pour tous" à celui du Tea Party américain. Les deux types de rassemblement représentent en fait, techniquement, à peu près exactement le contraire l'un de l'autre.
Le seul point commun tient aux ravages que la défection droitière provoque sur l'échiquier électoral des États-Unis et celle dont le ministre de l'Intérieur rêve actuellement de renouveler, 30 ans après sa découverte par Mitterrand, pour sauver sa propre coalition minoritaire en voix : on appelle cette manœuvre l'effet de triangulation.
Ce petit calcul ne repose que sur une dimension de pure tambouille politicienne. Or, on doit constater l'absence de tels calculs dans les mouvements qui se sont développés depuis 2013. Seule la première porte parole de la contestation, dont on ne contestera ni les mérites passés, ni le talent médiatique, avait évoqué une hypothèse de participation aux joutes municipales. Sur ce point elle a été désavouée.
Rentrant en septembre de vacances heureuses, je notais le grand espoir inattendu que représentait l'été dernier cette floraison des veilleurs, déjouant, nuit après nuit, sans violence ni provocation, les mesquines persécutions d'une police dévoyée de ses véritables tâches. Au bout du compte il me semble possible d'espérer voir croître cette jeune pousse, d'une façon beaucoup plus solide et durable que ne le pensent ses adversaires. Je ne puis la comparer raisonnablement, et je lui souhaite une carrière analogue à celle des deux grands mouvements conservateurs d'occident, trop mal connus en France. Le premier est apparu en Grande Bretagne dans les années 1832-1837, sous l'influence de la Jeune Angleterre. (1)⇓ Sous cette influence s'organise le parti conservateur actuellement au pouvoir avec David Cameron. Le second, beaucoup plus récent, à transformé le paysage intellectuel nord-américain à partir de la création en 1955 de National Review, sous l'influence de gens comme James Burnham et William Buckley.
Le point commun de ces conservateurs est d'avoir développé leur conscience civique à partir de l'horreur que leur inspira, au XIXe siècle la révolution française. La portée de cet événement avait été parfaitement comprise dès les journées des 5-6 octobre 1789 par Edmund Burke. (2)⇓ Le mouvement conservateur américain est apparu au milieu du XXe siècle en réaction à la complaisance des dirigeants de Washington vis-à-vis du communisme. Il représente aujourd'hui la force agissante du parti républicain.
En ce XXIe siècle commençant, on peut et on doit espérer en France, non pas un simple sursaut mais une prise de conscience aussi profonde du mal que fait l'influence croisée du marxisme et du jacobinisme, destructeurs de la société par le levier de l'État supposé la protéger. Un tel mouvement n'avancera ni dans la violence ni dans l'anarchie, ne s'affiliera à aucune impasse programmée par la classe politique. Nul ne peut aujourd'hui prévoir comment la source jaillira, l'important est de mesurer ce qu'elle représente d'espérance.
JG Malliarakis
Apostilles
- c'est ce contexte que décrit Disraëli dans son grand roman "Coningsby".⇑
- cf. la lettre qu'il écrit à son fils le 10 octobre 1789. Ses fameuses et prophétiques "Réflexions" datent de 1790
http://www.insolent.fr/2014/02/la-destruction-sociale-et-ceux-qui-la-combattent.html