Aux yeux du syndicat, la mobilisation générale est une ardente obligation. « La poussée de l’extrême droite en France et hors de nos frontières est devenue un fait majeur au point que son issue semble, parfois, inéluctable. C’est bien à une bascule autoritaire, hors de l’État de droit, à laquelle (sic) nous risquons d’assister, alerte la CFDT. Nous n’avons que deux choix aujourd’hui : accepter ou lutter. »
Un tract militant
Prenant pour modèle l’appel lancé par la profession lors des élections européennes et législatives de 2024 à « ne pas regarder monter l’extrême droite les bras croisés », le syndicat compte sur ce petit livret pour mener le combat des idées. Celui-ci est le fruit du « travail d’un collectif de journalistes adhérents CFDT ayant mis en commun leurs expériences, leurs regards, leurs connaissances et se poursuit par des actions syndicales de terrain ». On y retrouve, notamment, le témoignage du chef adjoint du service politique du Monde, Abel Mestre, qui se trouve être aussi un élu CFDT. « Le RN est un parti d’extrême droite dans la mesure où il défend la "préférence nationale", une mesure anticonstitutionnelle », explique-t-il, nommant l’ennemi sans détour.
Le document identifie en effet très clairement la cible que les journalistes doivent avoir dans le viseur. Si Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, affirme que « la lutte contre les idées d’extrême droite n’est pas partisane », le « fascisme » est ici associé à des partis bien précis : le RN, « parti dominant du bloc électoral d’extrême droite », mais aussi ses « alliés », l’Union des droites pour la République d’Éric Ciotti et Identité-Libertés de Marion Maréchal, sans oublier ses « concurrents », Reconquête, d’Éric Zemmour et Sarah Knafo. Vincent Bolloré, Pierre-Édouard Stérin et les « formations en journalisme marquées à l’extrême droite » (ILDJ, ESJ Paris) sont également pointés du doigt et stigmatisés sans gêne aucune.
Un manuel de manipulation médiatique
Après avoir dressé ce constat terrifiant, la CFDT liste une longue série de consignes et d’astuces censées permettre aux bons journalistes de maintenir le « cordon sanitaire ». Elle recommande, pour commencer, de correctement « s’informer sur l’extrême droite ». De saines lectures sont conseillées : Libération, StreetPress, Mediapart ou encore Blast. Des sources d’informations que le syndicat semble tenir pour fiables et sérieuses.
Le petit manuel invite aussi les journalistes-militants à toujours « rester maîtres du choix des sujets » qui seront abordés dans leurs médias respectifs. « Les inégalités, les services publics, le climat sont des sujets qui intéressent les Français !, veut croire la CFDT. L’insécurité est un sujet important, bien sûr, et il faut le traiter. Mais pour que le traitement soit complet, rappeler que l’insécurité peut aussi venir de l’extrême droite... » Bon courage à ces journalistes pour trouver des exemples concrets.
Un même appel à l’occultation du réel est lancé sur le sujet de l’immigration. La CFDT invite les médias à « faire de la pédagogie » auprès du grand public. Autrement dit, de la rééducation. Il est ainsi recommandé de toujours rappeler que la délivrance à un étranger d’une OQTF n’est « pas une preuve de dangerosité », d’illustrer les articles par « des photos qui ne déshumanisent pas » ou encore de mettre le focus sur les « initiatives positives » portées par les personnes de nationalité ou d’origine étrangère.
Un autre enjeu médiatique est de « rester maîtres du vocabulaire ». Il s’agit de ne surtout pas reprendre les « éléments de langage » de l’extrême droite. « Décivilisation », « islamo-gauchisme », « wokisme » sont ainsi à proscrire. D’autres termes doivent être employés entre guillemets : « Français de souche », « Grand Remplacement », « remigration ». Pour la « préférence nationale », la CFDT demande aux journalistes de systématiquement « rappeler que c’est une mesure anticonstitutionnelle » ; au sujet du « Grand Remplacement », que « c’est une théorie raciste et complotiste, contredite par les chiffres de l’INSEE » ; sur l’expression « civilisation judéo-chrétienne », que cette notion sert à « occulter l’apport de l’islam, aussi structurant pour l’Europe ». Il convient aussi de remplacer « vague migratoire », expression déplorable qui « donne le sentiment de subir une catastrophe », par « crise politique de l’accueil », qui « met en avant nos difficultés à accueillir ceux qui sollicitent le droit d’asile, inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »…
Enfin, la CFDT appelle les journalistes à la plus grande vigilance quant aux plus petits détails, comme par exemple le choix des couleurs. Ainsi, dans les productions médiatiques, les partis dits « d’extrême droite » doivent absolument rester associés à une teinte en particulier : celle du nazisme, bien entendu. « Sur les infographies ou cartes électorales, leur couleur historique est le brun, pas le bleu auquel ils aspirent. Il faut y veiller », précise le manuel.
À la lecture de ces consignes qui seront assurément suivies à la lettre par un certain nombre de journalistes, on reste partagé. Faut-il rire ou pleurer ?
