Est-ce dû au brassage d'étrangers résidents, les gens de Tallinn sont très ouverts d'esprit pour ne pas dire plus intelligents, comme l'ont montré par exemple les premières manoeuvres navales OTAN de la mini-flotte estonienne dont l'interopérabilité rapide fut remarquée (Baltron 1998). Cet Estonien à l'esprit vif n'a raté aucune occasion de prendre la remorque d'organisations internationales actives (OMC, OTAN, OCDE, OSCE, FMI, UE, OIF) qui lui apportent une ouverture concrète et un peu de sécurité, si l'on comprend bien que vivre dans le jardin de l'ours russe reste, malgré toutes les déclarations pacifiques de MM. Medvedev et Poutine, dangereux. Aussi, le gouvernement de Tallinn s'est-il ému officiellement de la vente à la Russie des bâtiments français de projection et commandement Mistral à mission offensive.
Ainsi donc, au moment où des économistes de renom mettent en pointillés la continuation de la zone monétaire Euro, un pays scandinave bien géré et industrieux rejoint-il le tournez-manège des preux et des gitans. Avec un déficit public de 1,3% du produit intérieur brut (pib) et une dette souveraine ridicule de 7,2% du pib, nul doute que l'Estonie se range avec les preux ! Anticipe-t-elle la scission des économies sérieuses du nord et des économies rieuses du sud ? A tout le moins elle embarque avec l'Allemagne et la Finlande dans ce qui pourrait être un nouvel euromark de la zone germanophone. La couronne estonienne (EEK) introduite en 1992 contre le rouble fut raccrochée dès le départ au deutschmark à la parité fixe de 8 pour 1. Le DEM prenant le nom d'euro, l'EEK continua à la parité de 1 EEK = 6,39 centimes d'euro ± 15 % au sein du mécanisme du taux de change européen (MCE II) à compter de 2004 comme le firent aussi ses cousins baltes et slovène. La Slovénie a converti ses tolars en euros en 2007 et la Lituanie et la Lettonie pensent abandonner litas et lats en 2014, si (?) les critères de convergence sont respectés. Pour eux, l'euromarkland est d'avenir. Pourquoi ?
L'euro fut créé par la France et l'Allemagne dans une optique de gestion prudente des comptes publics, après l'expérience concluante du SME qui avait vu M. Beregovoy accepter "à Montoire" de financer en creux une partie de la reconstruction des länder orientaux allemands en calant le franc sur le marc, ce qui modérait notre compétitivité relative.
La fin de l'euro actuel gangréné par les triples déficits³ des pays latins ne sera obtenue que par un divorce des créateurs. Où en sommes-nous ? Derrière l'enfumage de circonstances - les élections ici succèdent aux élections là - ce qui se débat en Allemagne aujourd'hui laisse accroire que la Deutschland AG a fait sa religion d'un largage des pays-lests, définitivement incapables de rétablir leurs comptes. L'ancien chef du patronat "teutonique", Hans-Olaf Henkel, n'envoie pas dire dans un livre au titre explicite, "Sauvez notre argent, l'Allemagne est en soldes", que les maillons faibles doivent dégager la piste et que toute péréquation des richesses dont ont abusé les cigales latines empruntant aux taux obtenus par la fourmi allemande, doit leur être refusée. La générosité allemande reste la limite infranchissable de la solidarité européenne ; elle est atteinte.
Quand on compare les poids et performances respectifs des deux zones évoquées, on est vite convaincu que la sécession est possible pour les uns et que, pour nous, la mise en accusation de l'euro dans le marasme français devra être remplacée par un bouc émissaire nouveau... je parie gros sur notre "fabuleux"² modèle social. Nous retournerons à notre piastre nationale, d'usage strictement intérieur, sans pouvoir interdire l'usage de devises cotées dans notre commerce de gros et à l'import-export. Le franc revenu, adossé à des déficits, monstrueux rapportés à l'économie du pays, sera incapable de tenir son rang sur les écrans des marchés et vite dévoré par l'euromark ou le dollar. Notre fibre européenne nous obtiendra le titre de leader des latins, quelque "Reine des gitans", et Berlin gouvernera en sous-main ce qui restera de l'Europe institutionnelle après le choc. Ces gens sont très sérieux quand il s'agit d'argent. Les Estoniens l'ont bien compris.
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(1)Union politique et mercantile des ports baltes et de la Mer du nord, étirée de Bruges à Novgorod, qui traitait sur un pied d'égalité avec les princes, ses voisins. Leurs comptoirs allaient très loin dans les terres par les fleuves. Elle achèvera son déclin au traité de Westphalie qui consolidera les états-nations, ses concurrents.
(2)Les brochures distribuées en Chine aux étudiants chinois cherchant une faculté à l'étranger mettent au premier plan les conditions extraordinaires faites aux étudiants inscrits en France, avant même le coût modique de telles études comparativement aux autres universités occidentales. Nous ne reprenons pas cet argumentaire que tout le monde connaît ici.
(3)Deficits budgétaire, social et commercial.
Postscriptum du 17.01.11: Georges Lane donne une critique lourdement fondée de l'euroïsation de l'Estonie, en cliquant ici.