Avocat, spécialiste de droit public des affaires, ancien universitaire, Michel Guénaire est un libéral de l’ancien temps qui s'efforce de renouer avec les grands classiques de sa famille de pensée, loin des clichés néo-libéraux, tout en dénonçant la vacuité identitaire d’une Europe amnésique, confrontée à un monde multipolaire de plus en plus conscient de ses spécificités.
Le Choc du mois : Comment l'avocat des affaires plutôt libéral que vous êtes en est-il venu à écrire des livres qui remettaient assez profondément en cause l'orthodoxie du néo-libéralisme ?
Michel Guénaire : Mon point de départ est, en effet, un engagement libéral. À vingt ans, je lisais Benjamin Constant, quand mes condisciples vivaient encore dans la vénération du marxisme. Après avoir embrassé un temps la carrière universitaire, j'ai rejoint le barreau d'affaires en 1990, un an après la chute du mur de Berlin. J'ai alors assisté à l'éclosion d'un nouveau modèle économique mondial, qui prenait progressivement ses distances avec l'héritage du libéralisme classique. Je m'y suis intéressé. Mes essais ont ainsi recueilli les observations et les leçons que je tirais de la mondialisation. Ma formation de base étant celle d'un publiciste (c'est-à-dire un spécialiste de droit constitutionnel, de droit international public et de régulation des marchés), je me suis d'abord penché sur une notion de plus en plus discréditée dans la doxa de l'économie néo-libérale : le pouvoir. Quid du pouvoir et de ses enjeux dans une société exclusivement organisée autour de la seule loi du marché ? C'est nouveau. Car, sur ce point comme sur beaucoup d'autres, les libéraux de notre temps ont largement déformé la pensée et le combat de leurs devanciers, qui, au XIXe siècle, ne songeaient nullement à remettre en cause la légitimité du rôle de la puissance publique. Voyez l'inventaire qu'ont fait Charles Gide et Charles Rist des passages de La Richesse des Nations où Adam Smith évoque le rôle positif de l’État. D'autres que Smith, pareillement libéraux, n'ont pas manqué de souligner la part prépondérante que tient l'Etat dans l'organisation de la société. Si en réalité dans l'univers mental des néo-libéraux, on a pu à ce point associer libéralisme et anti-étatisme, c'est qu'on s'est focalisé sur le souvenir de la première lutte des libéraux contre la Monarchie, à l'exclusion des autres traditions libérales.
Lire la suite