Aujourd’hui objet d’opprobre, Charles Maurras marqua son époque
L’an dernier, peu après l’entrée de François Hollande à l’Elysée, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui avait été la porte-parole de Nicolas Sarkozy, mettait en cause Patrick Buisson, le conseiller du candidat battu, l’accusant d’avoir travaillé non au succès du président sortant, mais d’avoir voulu « faire gagner Charles Maurras ». NKM n’a probablement jamais lu de sa vie une page de Maurras, mais ce nom, aujourd’hui, suffit à déclencher des réflexes pavloviens. « L’ignorance manifeste qui l’entoure, souligne Olivier Dard, n’a d’égale que l’opprobre qu’il suscite. »
Ecrivain, poète, théoricien royaliste, chef de l’Action française, qui était à la fois un journal quotidien et une ligue politique, membre de l’Académie française, Charles Maurras (1868-1952) est discrédité, depuis la guerre, pour avoir affirmé aveuglément, sous l’Occupation, un antisémitisme qui, pour n’être pas racial, le conduisit à approuver le statut d’exclusion sociale imposé aux Juifs par Vichy, et pour avoir soutenu jusqu’au bout le maréchal Pétain, sans cesser pourtant de détester l’Allemagne et le nazisme.
Cet entêtement sert à enterrer dans l’oubli un homme et une pensée dont l’influence furent considérables, en France et parfois à l’étranger, des années 1910 aux années 1950, et dans des milieux qui dépassaient de loin les cercles de l’Action française. C’est donc le grand mérite de la biographie que publie Olivier Dard de faire la lumière sur un personnage enfoui sous les jugements a priori. Professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris-Sorbonne et spécialiste de l’histoire des droites radicales, l’auteur aborde le sujet avec la distance requise. Il montre un Maurras exerçant une « influence utile » pendant la Première Guerre mondiale, mêlant « magistère intellectuel et impuissance politique » dans l’entre-deux-guerres, et se conduisant aveuglément pendant la Seconde Guerre, même si certains faits nuancent le procès habituel.
Charles Maurras, observe Olivier Dard, « peut être considéré comme un marqueur d’un demi-siècle de guerres franco-françaises ». A ce titre, l’historien le définit comme un « contemporain capital », sans qui le premier XXe siècle ne peut être compris.
Jean Sévillia
Charles Maurras, d’Olivier Dard, Armand Colin, 352 p., 25 €.
Sources : Le Figaro Magazine (Edition du vendredi 13 décembre 2013)
https://www.jeansevillia.com/2015/04/11/m-le-maudit/