[Ci-dessus : couverture des Immémoriaux, 1966, avec Deux nus sur la plage de Tahiti (détail) par Paul Gauguin, 1892 [Honolulu Museum of Art]. Dans ce long poème en prose qui chante les Maoris des temps oubliés, Victor Segalen s’attache à peindre l’agonie d’une civilisation, symbolisée par « le Parler Ancien », faite de sagesse et de joie, que vient supplanter l’austère religion des « Hommes au Nouveau Parler ». Malgré les avertissements de son ancien maître Paofaï, le jeune prêtre païen Térii, vaincu par les sarcasmes de ses amis, se laissera à la fin convertir, et se fera serviteur du dieu importé…]
« Tout poète lyrique, en vertu de sa nature, opère fatalement un retour vers l’Éden perdu », a écrit Baudelaire. Ce paradis perdu, Segalen l’a retrouvé en interprétant les cicatrices de l’histoire dans l’image qu’il nous donne des îles d’autrefois. C’est bien sa version de l’âge d’or et de l’Éden qu’on voit transparaître dans Les Immémoriaux. Les Tahitiens d’autrefois vivaient dans une parfaite entente avec le surnaturel et leurs dieux. Contrairement au Christianisme qui bride les instincts et mutile la chair, leur religion n’existait que pour favoriser leur plein épanouissement. Loin d’enseigner que la vie est une vallée de douleurs, les anciens dieux polynésiens apprenaient aux hommes à cultiver leur joie. Les fidèles n’avaient pas le sentiment d’une rupture entre ce monde et l’autre. Habitués à coudoyer les ombres surnaturelles, bénéfiques ou maléfiques, ils sentaient le monde baigner dans une harmonie perpétuelle. Aucune distance ne séparait le règne du fait de celui du vœu. À chacun selon son désir.
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