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culture et histoire - Page 1139

  • Oui, le Brexit est un vrai tsunami !

    Pourquoi la finance, les média, les journaleux stipendiés ne goûtent-ils pas le Brexit anglais ? Parce que si un pays maîtrise sa propre monnaie et recouvre le contrôle national de celle-ci, il se délivre aussitôt de la soumission muette aux forces économiques qui l’oppriment.

    La création monétaire ex nihilo par des entités privées enchaîne les peuples à bas bruit en les gavant de dettes ; c'est un préalable technique pour les tenir en laisse. Le capitaliste international déteste deux choses : la nation, et les monnaies indépendantes dont il ne peut contrôler la masse et le flux. On remarque que la pratique à grande échelle de l'usure - celle qui précisément a été imposée au monde après la défaite de l'Allemagne - est concomitante à la création d'Israël. Le prélude ? Les accords de Bretton Woods, sacrant le dollar comme monnaie de référence, à partir de laquelle toutes les autres devises se positionnent.

    Retournons dans le passé... Les Accords de Bretton Woods signés par quarante-quatre nations en juillet 1944, après d'interminables joutes entre 730 délégués, consacrent les Yankees comme les donneurs d'ordre du futur ordre mondial. Le FMI et la Banque Mondiale sont créés, mais la décision principale est l'abandon de l’étalon-or au profit de l’étalon-change-or. Le nouveau système pose le principe suivant : le dollar devient la référence monétaire de l'après-guerre, et les autres monnaies s'indexent sur lui. Les réserves des banques centrales sont dorénavant constituées de devises prétendument diversifiées (un panier de monnaies) mais où en réalité le dollar prédomine. La création monétaire est désindexée de l'or comme auparavant au profit du billet vert, qui est le seul à garder une équivalence avec lui.

    L'Oncle Sam installera l'Etat d'Israël deux ans plus tard, dans des conditions qui seront examinées plus loin.

    Le principal instigateur de ces accords en apparence fructueux est Keynes économiste fétiche des socialistes, qui fut dans la pratique le petit télégraphiste de la coalition GB/USA. La France ressort elle mystifiée et très affaiblie par ces accords. Fait étrange : c'est le fils de Sion Mendès France qui conduit la délégation française. Aura-t-il ici défendu son pays hôte ou au contraire préparé en douce la naissance de la future patrie-mère ? Nul ne le sait et l'histoire jugera.

    Tous les économistes sérieux s'accordent à dire que les dits accords ne produisent aucun des effets escomptés. La convertibilité dollar/or (pénalisante à l'usage pour les États-Unis) est finalement abandonnée en août 1971 par Nixon. Après une période intermédiaire, où l'on tente en vain de maintenir tant bien que mal des parités fixes, le système des changes flottants est mis en place en 1973, puis entériné par les Accords de la Jamaïque en 1976. Et c'est précisément dans les années 1980 qu'une fois pour toute la création monétaire - c'est à dire la faculté d'imprimer des billets de banque en échange de lettres de créances - est abandonnée peu ou prou au secteur privé : l'usure devient l'impératrice des cœurs, les citoyens sots se transforment en consommateurs-robots apportant leur obole au matérialisme imposé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, et ce en échange de jouets (télé, Iphone, voiture, etc).

    Quand la Torah tonne...

    La genèse d'Israël, porté sur les fonts baptismaux à la suite de la Seconde Guerre mondiale, n'est pas dénuée d'intérêt puisque elle est consubstantielle à la nouvelle organisation mondiale économique ainsi créée. Or, dans les faits, la coalition États-Unis/Israël va peser d'un poids écrasant sur les orientations monétaires et économiques du monde : ce qu'on appelle la "financiarisation" des activités, qui consiste entre autres à spéculer sur tout, même sur les matières premières (blé, orge, etc) au risque même de mettre en famine les peuples, en est directement issu.

    Revenons un peu en arrière. L'Agence juive est une organisation créée en 1929. Son but initial consiste à devenir l'exécutif de l'Organisation Sioniste Mondiale (OSM) en Palestine, territoire "neutre" alors sons mandat britannique. Si cette entité a aujourd'hui disparu, n'évoquant plus rien à personne, son importance historique dans le mouvement qui a conduit à la création d'un État par les vainqueurs de 1945 est absolument déterminante : à partir des années 1930, elle deviendra en effet le gouvernement de fait de la population juive palestinienne, et va constituer la matrice du gouvernement israélien proclamé en 1948, ce que nous allons voir.

    Dès 1922, la Société des Nations a donné au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine, afin « d'instituer dans le pays un état de choses politique, administratif et économique de nature à assurer l'établissement du foyer national pour le peuple juif » (article 2 du mandat). Pour assister le Royaume-Uni « un organisme juif convenable sera officiellement reconnu et aura le droit de donner des avis à l'administration de la Palestine et de coopérer avec elle dans toutes questions économiques, sociales et autres, susceptibles d'affecter rétablissement du foyer national juif et les intérêts de la population juive en Palestine, et, toujours sous réserve du contrôle de l'administration, d'aider et de participer au développement du pays. » (article 4 du mandat). Il n'est nullement question dans les attendus officiels de créer un État, avec tous les risques politiques inhérents à une telle décision, mais simplement d'organiser la cohabitation entre Arabes et Juifs.

    De 1922 à 1929, c'est donc l'Organisation sioniste mondiale (OSM) qui assume le rôle d'interlocuteur des Britanniques. En 1929, l'OSM prend 2 décisions : créer une Agence juive spécifique, sous sa responsabilité, et ouvrir celle-ci, l’Agence juive, à des juifs non sionistes (religieux, juifs américains, etc.) Le socialiste militant Haïm Arlozoroff devient le directeur du département politique de l'Agence juive. Le lecteur notera qu'à ce poste, le sieur Arlozoroff négocie en 1933 avec le Troisième Reich un accord favorisant les transferts des fonds des juifs allemands émigrant vers la Palestine mandataire, ce qu'on a totalement occulté de nos jours.

    Après une vigoureuse campagne contre le « péril fasciste », la gauche obtient 44 % des suffrages aux élections de l'OSM de 1933. Des lors, les partis de gauche basés en Palestine exercent une influence déterminante au sein de l'OSM et de l’Agence juive. Après 1933-1935, l’Agence juive devient le véritable centre du pouvoir sioniste, plus que l'OSM, ou plus que l'assemblée des juifs de Palestine, appelée Asefat ha-nivharim.

    Voilà donc le cœur du pouvoir sioniste basé en Palestine, et non plus dispersé aux quatre coins du monde. Il a la particularité de ne pas être élu par les seuls juifs de Palestine, mais par l'ensemble des juifs sionistes du monde. L'Agence juive se transforme donc, disons-le tout net, en véritable gouvernement de combat. Elle a une diplomatie, en particulier à travers son département politique et indirectement à travers les structures diplomatiques de FOSM, une police, la « police juive de Palestine », un parlement, Asefat ha-nivharim, et même une armée, la Haganah , force organisée illégale mais tolérée par les Britanniques, qui ferment les yeux.

    La population juive a augmenté rapidement depuis les années 1920. Mais dans les années 1930, on franchit une étape : c'est l'Agence juive qui reprend le rôle d'intégration des immigrants en Palestine, en détournant souvent les quotas prévus. Faire venir et intégrer les juifs (surtout européens) est la priorité de l'Agence juive et de Ben Gourion. La population juive de Palestine passera de 83 000 fin 1918 à 650 000 en 1947, ce qui permet au passage de rappeler qu'il y a cent vingt ans il n'y avait quasiment pas de juifs dans l'actuel Israël.

    De la fin 1935 à 1939, les Arabes palestiniens se soulèvent contre le mandat britannique et la colonisation sioniste. Ce soulèvement est réprimé avec l'aide de la Haganah (l'armée, soi-disant fantôme, juive) qui trouve par là-même une reconnaissance légale de fait.

    Cependant, en 1939, les Britanniques estiment non sans raison qu'ils doivent trouver une solution politique au problème palestinien. Ils publient donc le « troisième livre blanc pour la Palestine » et l'immigration juive est aussitôt stoppée ; plus grave encore, en 1949, il est prévu que la Palestine devra devenir un Etat indépendant unitaire, donc à majorité arabe.

    Quelle terrible volte-face pour les enfants de David ! La réaction du mouvement sioniste ne se fait pas attendre et va s'organiser précisément autour de l’Agence juive.

    Les premières intrigues se nouent dans le domaine de l’immigration. L’Agence juive crée le Mossad Le'aliyah Bet, structure clandestine qui organise à grande échelle l'immigration clandestine des Juifs vers la Terre sainte. Son succès est patent ; si l'immigration clandestine est pratiquement interrompue entre 1942 et 1945 par la guerre, elle amènera néanmoins près de 80 000 personnes en Palestine entre 1939 et 1947. La réaction de l'Agence juive s'organise également sur le terrain diplomatique : n'oublions pas qu'en 1942, au congrès sioniste de Biltmore, l’OSM avait déjà décidé de demander la création d'un État juif en Palestine. Les diplomates sionistes du département politique de l'Agence juive s'étaient mis dès cette date au travail auprès des gouvernements et des opinions publiques pour défendre cette orientation, relayée par la presse, les amis, les obligés.

    Mais c'est surtout après 1945 - la victoire des Alliés créant des conditions politiques uniques - que cette action se déploiera vraiment. Il se trouve que l’OSM n'a plus de président, démissionnaire, entre 1946 et 1956 : ceci accroît davantage encore le pouvoir de l'Agence juive, dont on peut dire que l'apogée de son action trouvera sa conclusion en 1947. Les Soviétiques comme les Français s'alignent sur la position affirmée des Etats-Unis, au sujet desquels il n'est pas inutile de rappeler l'importance de sa communauté hébraïque, et décident de soutenir la création d'Israël. On le sait, en 1948, FONU décide la création d'Israël. Il faut noter qu'à l'expiration du mandat britannique,

    le plan de partage de la Palestine de 1947 prévoyait de manière formelle que Jérusalem devînt un Corpus Separatum sous contrôle international. Cette disposition pleine de sagesse devait ainsi garantir à tous les cultes le libre accès aux lieux saints : pour les chrétiens notamment, l'Eglise du Saint-Sépulcre est sacrée, rappelons-le, et nombre de nos croisés des temps jadis ont donné leur vie pour elle. Hélas, les juifs ne l'entendirent pas de cette oreille : en 1949, Jérusalem-Ouest est unilatéralement proclamée capitale d'Israël. En 1967, au cours de la guerre des Six Jours, Tsahal conquiert Jérusalem-Est : Israël s'adjuge la ville, qu'elle proclame sa capitale « éternelle et indivisible ». En 1980, une loi dite fondamentale - c'est-à-dire une disposition institutionnelle ne pouvant être remise en cause ensuite, même si la majorité politique change - est votée par la Knesset. Israël promulgue la fameuse « Loi de Jérusalem », qui institue que les juifs possèdent la ville pour toujours.

    Résumons-nous : le Brexit semble parfois un événement secondaire, dont on distingue mal les répercussions possibles ; maintenant que le choc est passé, on en minimise les conséquences : grave erreur ! Le Brexit contrevient à une doxa qui est la colonne vertébrale du système occidental érigé après la guerre. Les conséquences d'une Grande-Bretagne qui deviendrait prospère sans le dieu Euro pourraient lézarder la passivité des Européens - un vrai danger pour les anonymes possédants qui prêtent de la monnaie de singe pour prospérer, et se défient comme de la peste d'une banque centrale indépendante créant sa propre monnaie, selon les besoins de son peuple.

    Louis Beaumont Rivarol 21 juillet 2016

  • Politique magazine : c'est aussi un site à lire, consulter régulièrement, faire connaître ...

    Couverture du numéro de juillet-août de Politique magazine

    Une présence sur le net : le site quotidiennement actualisé  dePolitique magazine.

    Ce site - qui correspond parfaitement à ce que doit être la version numérique d'un mensuel de la qualité de Politique magazine - vit, se développe et se renouvelle rapidement. Il s'agit là de toute évidence,  de la réalisation d'une véritable équipe, large, jeune, intelligente et dynamique qui donne à réfléchir sur la politique, l'économie, les idées, l'art et la culture, les faits de civilisation. Bref, il en résulte un site que l'on trouve plaisir et intérêt à consulter régulièrement. Nous lui empruntons souvent ses articles qui nous ont le plus retenus.   

    Politique magazine l'a présenté dans les termes reproduits ci-dessous. •

     logo copie.jpg

    www.politiquemagazine.fr

    Découvrez le site de Politique magazine, mensuel de référence de l’actualité politique depuis plus de 10 ans.

    Fier du succès de son site actuel, Politique magazine entend donner un élan plus puissant à la diffusion de ses idées. Son objectif est clair : faire entendre une voix discordante dans le paysage médiatique monocorde d’aujourd’hui. Au cœur de sa réflexion, la question de la légitimité républicaine. Elle se pose, gravement, face à la succession des échecs des différents gouvernements.

    Pensé pour la commodité et l’agrément de ses lecteurs, vous retrouverez sur ce nouveau site :

    Une information régulièrement mise à jour, autour de trois axes principaux :  

    « Le meilleur des mondes », où figurent des articles sans concession centrés sur l’actualité politique, sociale et économique ;

    « Idées » où sont rassemblés les textes les plus représentatifs de Politique magazine, qui pense que la politique, au sens vrai du terme, fait la sagesse des gouvernements ;

    « Civilisation » où se retrouvent des critiques et commentaires de l’actualité culturelle. 

    L’ensemble des articles publiés dans Politique magazine, accessibles gratuitement pour tous les abonnés grâce à un identifiant et un mot de passe personnel.

    La liberté d’organiser votre lecture. En cliquant sur les « tags » (thèmes sur fond rouge sous chaque titre d’article), vous obtenez en un instant tous les articles autour d’un même sujet !

     La possibilité de vous exprimer en laissant des commentaires sous chaque article.

     La possibilité de passer des annonces et des publicités sur les pages du site.

    Pour tout renseignement sur les nouvelles possibilités du site de Politique magazine, écrivez-nous à cette adresse contact@politiquemagazine.fr ou appelez au 01 42 57 43 22.  

    http://synthesenationale.hautetfort.com/

  • La démocratie

    Pour Maurras, comme pour Platon dans La République, la démocratie c’est le mal, la démocratie c’est la mort.

    Le gouvernement du nombre est soit le masque de l’oligarchie, quand le nombre se donne à l’Or et à ses représentants, comme dans les démocraties bourgeoises et parlementaires, soit celui de la tyrannie, du césarisme, quand le nombre se donne à un homme fort, à un parvenu charismatique.

    Maurras n’est donc pas démocrate. Mais il est démophile. C’est par amour du peuple, comme il l’affirme avec force dans Libéralisme et libertés, démocratie et peuple, qu’il lui propose de renoncer à l’illusion de se gouverner lui-même, non seulement pour être mieux gouverné mais encore pour reconquérir les libertés et les prérogatives que l’État démocratique lui a impunément volées à lui, homme concret, membre de communautés naturelles ou d’intérêt, au nom de la prétendue volonté générale que cet État omnipotent prétend seul incarner. [....]

    Stéphane BLANCHONNET

    Article paru sur a-rebours.fr et dans L’AF2000

    La suite sur A Rebours

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?La-democratie

  • Europe : de la guerre récurrente à la paix permanente ?

    De la géographie politique à la géographie  »nationiste »*

    L’Europe subit depuis 2500 ans un cycle permanent de création-destruction d’empires. Et de destruction d’elle même. Le premier et un des plus étendus et puissants fut l’empire celtique qui eut son âge d’or vers – 500 mais ne fut pas suffisamment coordonné pour résister à l’empire romain naissant en réaction à la menace gallique, au premier siècle avant J-C. L’effondrement de l’Empire romain six cents ans plus tard générera la  »nuit du haut Moyen Age ». Cette nuit durera elle aussi 5 ou 600 ans.

    I – Puis il y eut une re-création des nations européennes. Et enfin des États nations ; mais aussi, à nouveau, des Empires.

    Trois de ces Empires, vaincus en 1918, disparurent alors: L’Empire allemand, l’Empire austro- hongrois, et l’empire ottoman. Seul survécut, pour 70 ans encore, l’immense empire russe, ni vainqueur ni vaincu, mais maintenu en ses frontières tsaristes par les nouveaux maîtres communistes du Kremlin.

    La deuxième guerre mondiale inévitable -comme l’avait pronostiquée le génial et prescient Bainville- ne fut pas évitée. Une démente tentative de Reich, une esquisse loufoque d’empire italien, un sanglant empire nippon et des dizaines millions de morts plus tard, une paix tout aussi branlante que celle de 1918 fut mise en place.

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  • Où va l’histoire (de l’homme) ? La réponse de Rémi Brague

    Il n’y a qu’une chose qui ne soit pas très pertinente dans le livre d’entretiens du professeur Rémi Brague avec Giulio Brotti, c’est le titre. Il ne s’agit pas de savoir « où va l’histoire ».

    Car l’histoire n’est pas un véhicule, c’est le réseau même des routes possibles. C’est la carte. Il s’agit de savoir, non où va l’histoire, mais où va l’homme.


    ou-va-lhistoire.jpgIl s’agit de savoir où nous allons, juchés sur le véhicule que nous avons nous-mêmes construit, et sur lequel nous avons décidé de nous arrimer, et qui est la modernité : une modernité « tardive », comme disait Friedrich Schiller, mais qui tarde en tout cas à se terminer. Elle se retourne sur elle-même pour mieux reprendre de l’élan, et ne cesse de détruire ses propres fondements : la croyance en l’homme, au progrès, en l’universalisme. La modernité, tardive ou hyper, est une machine en apparence folle. Mais est-elle si folle ? Elle a sa logique. Elle est en fait autophage.

    Dans les lignes qui suivent, nous serons moins dans la digestion, c’est-à-dire la paraphrase, que dans l’inclusion, c’est à dire le commentaire – que Rémi Brague qualifie comme « le modèle européen de l’appropriation culturelle ».

    L’entretien avec Rémi Brague porte sur l’esprit de notre temps. Il déroule la question : pouvons-nous continuer l’homme si nous ne croyons plus en l’homme ? En d’autres termes, si nous ne savons plus quelle est la place que nous avons à tenir sur terre, si nous ne croyons plus à notre part de responsabilité, si notre présence au monde ne relève plus que du ludique, à quoi bon poursuivre l’homme ? On objectera que, justement, les hommes sont de plus en plus nombreux. Mais l’humanité est par là même de plus en plus fragile, et de plus en plus menacée de perdre son humanité. Il y a de plus en plus d’hommes ? Mais ne seront-ils pas de moins en moins humains ?

    On peut appeler cela « oubli de l’être ». Il ne s’agit pas d’un énième « c’était mieux avant » ou de quelque chose comme « l’oubli de son parapluie », comme dit plaisamment R. Brague. Il s’agit de l’oubli de ce que l’être peut manifester. De ce qu’il peut dévoiler. D’abord lui-même. La question est : qu’est-ce que nous avons oublié ? Et nous pouvons déjà avancer quelques éléments de réponse. Que l’historicité de l’homme n’est pas seulement le « tout passe ». Qu’il y a des permanences, celles que les religions et les philosophies explorent, chacune à sa façon.

    Pour comprendre la place de l’homme dans le monde, il faut tenter de comprendre le sens de l’histoire humaine. Le Sens de l’histoire est le titre d’un livre de Nicolas Berdiaev. Cela ne veut pas dire que l’histoire n’a qu’une direction mais cela signifie qu’elle n’est pas absurde, insensée. Il nous arrive ce qui nous ressemble. Comprendre le sens de l’histoire nécessite de comprendre l’histoire de la pensée. Rémi Brague souligne que nous avons longtemps sous-estimé intellectuellement le Moyen Age. Nous sommes passés des Antiques aux Renaissants, directement. Or, comprendre la pensée nécessite de comprendre le moment central du Moyen Age. Au moins dix siècles. Car, comme le remarquait Etienne Gilson, la Renaissance est tout entière dans la continuité du Moyen Age. C’est « le Moyen Age sans Dieu », disait encore Gilson. Ce qui, à la manière de Hegel, doit, du reste, être compris non comme un manque mais comme l’intégration d’une négativité.

    Justement, sans Dieu, comment fonder la morale ? « Que dois-je faire ? » s’interroge Rémi Brague à la suite de Kant. L’idée du « bien faisable », idée d’Aristote, suffit pour cela. Mais comment hisser les hommes au niveau nécessaire pour que l’humanité ait un sens ? En d’autres termes, la morale n’est pas qu’une question de pratique. Il est besoin de ce que Kant appelait une raison pure pratique. Sa forme moderne pourrait sans doute être définie comme une esthétique de la morale, telle qu’on la trouva chez Nietzsche, ou encore, très récemment, avec Dominique Venner. Pour cela, c’est l’idée platonicienne du Bien (difficile ici d’éviter la majuscule) qui est nécessaire. Cette idée du Bien rejoint celle du Vrai, du Beau et celle de l’Un : c’est la convertibilité des transcendances, expliquée par Philippe Le Chancelier et d’autres théologiens du Moyen Age. C’est leur équivalence, qui n’est pas leur identité mais est leur correspondance (l’analogie avec les correspondances de métro serait ici à la fois triviale et parfaitement adaptée). Le Bien, le Beau, le Vrai sont différentes formes d’une même hypostase, telle est l’idée néo-platonicienne que l’on trouve chez Flavius Saloustios, un des « intellectuels d’Etat » de Julien l’Apostat, le rénovateur du paganisme. N’ayant précisément pas eu lieu durablement, la restauration du paganisme laisse dissociés le beau, le vrai, le bien (ou encore le bon). D’où un malaise dans l’homme.

    * * *

    On rencontre parfois l’idée que la genèse de la modernité vient, avec Copernic, de la fin de la position centrale de l’homme. Ce n’est pourtant pas la même chose que la fin du géocentrisme et la fin de l’anthropocentrisme. Mais Brague soutient qu’il n’y a pas eu de fin de l’anthropocentrisme car il n’y avait pas d’anthropocentrisme. L’homme antique ne se voyait pas dans une position centrale, mais au sein d’un système du vivant. Voilà la thèse de Brague.

    Est-ce si sûr ? « Mais que l’homme soit un animal politique à un plus haut degré qu’une abeille quelconque ou tout autre animal vivant à l’état grégaire, cela est évident. La nature en effet, selon nous, ne fait rien en vain, et l’homme, de tous les animaux, possède la parole. Or tandis que la voix sert à indiquer la joie et la peine, et appartient pour ce motif aux autres animaux également (car leur nature va jusqu’à éprouver les sensations de plaisir et de douleur, et à se les signifier les uns aux autres), le discours sert à exprimer l’utile et le nuisible et, par suite aussi, le juste et l’injuste. Car c’est le caractère propre de l’homme par rapport aux autres animaux d’être le seul à avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, et des autres notions morales, et c’est la communauté de ces sentiments qui engendre famille et cité » (Politiques I, 2).

    A partir d’Aristote, n’y a-t-il pas anthropocentrisme même si l’homme n’est pas en surplomb, même s’il ne lui est pas demandé d’agir « comme maître et possesseur de la nature », comme régisseur du vivant, mais bien plutôt de le ménager, d’en prendre soin ? (le christianisme de François d’Assise ne sera d’ailleurs pas loin de cette vision). L’anthropocentrisme n’est pas la dévoration du monde par l’homme, tant que la modernité ne se déchaîne pas. Tant qu’elle reste « modérément moderne ».

    Le contraire de l’anthropocentrisme, c’est l’homme dans le flux du vivant. Nous sommes d’ailleurs revenus à cela avec Michel Foucault et la fin de la sacralisation de l’homme et de sa centralité. Le paradoxe est que nous sommes dans une société du contrat au moment où notre sociologie et le structuralisme tardif nous expliquent que le sujet n’en est pas vraiment un et que, somme toute, l’homme n’existe pas mais est « agi » par des forces et structures qui le dépassent.

    Dès lors, nous quittons la modernité classique pour autre chose. Ce que met à mal la culture postmoderne (ne faudrait-il pas plutôt parler d’idéologie, terme nullement dépréciateur du reste ?) c’est, nous dit Rémi Brague, trois choses : l’historicité, la subjectivité de l’homme, la vérité.

    Nous avons aboli le monde vrai et la distinction entre vrai et faux, nous avons aboli le sujet et nous avons aboli le propre de l’homme qui est d’être un être historique. En d’autres termes, « l’homme est mort » – et pas seulement « Dieu est mort » (ce que Nietzsche constatait avec déploration, craignant que nous ne soyons pas à la hauteur du défi). Dieu est mort et l’homme est mort. Et l’un est peut-être la conséquence de l’autre, suggère Rémi Brague. La sociobiologie a pris la place de l’histoire, la sociologie a pris la place du sujet (« les sciences humaines naturalisent l’histoire », explique Brague), la sophistique postmoderne a pris la place de la vérité, ou tout du moins de sa recherche. Les Anciens (on est Anciens jusqu’à la Révolution française, hantée elle-même par l’Antiquité) voulaient améliorer l’homme. Nous voulons maintenant le changer. Nous oscillons entre le rêve transhumaniste, qui n’est autre qu’un posthumanisme, et une postmodernité liquide qui relève d’un pur vitalisme dont l’une des formes fut, disons-le sans tomber dans le point Godwin ou reductio ad hitlerum, le national-socialisme (*).

    Face à ce double risque de liquéfaction ou de fuite en avant transhumaniste, Rémi Brague rappelle le besoin de fondements qu’il nomme métaphysiques mais qui ne viennent pas forcément « après » la physique, dans la mesure où ils donnent sens à l’horizon même du monde physique. Rémi Brague appelle cela des « ancres dans le ciel » (titre d’un de ses précédents ouvrages). L’image est belle. Elle contient par là-même une vérité. Elle va au-delà de la révélation chrétienne, qui peut sans doute en être une des formes. Mais certainement pas la seule. Heidegger parlait de « marcher à l’étoile ». Une autre façon d’avoir une ancre dans le ciel.

    Pierre Le Vigan, 4/07/2016

    Rémi Brague, Où va l’histoire ? Entretiens avec Giulio Brotti, éditions Salvator, 184 pages.

    (*) Comme le montre très bien la confrontation des textes de Werner Best, doctrinaire nazi du droit, et de Carl Schmitt, in Carl Schmitt, Guerre discriminatoire et logique des grands espaces, éditions Krisis, 2011, préface de Danilo Zolo, notes et commentaires de Günter Maschke, traduction de François Poncet. On y voit que Best critique Schmitt au nom d’un vitalisme que Schmitt refuse d’adopter. Dont acte.

    http://www.polemia.com/ou-va-lhistoire-de-lhomme-la-reponse-de-remi-brague/