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culture et histoire - Page 1214

  • L’œuvre de Georges Bernanos est moins derrière que devant nous

    Ex: http://www.philitt.fr

    Juan Asensio est essayiste et critique littéraire. Il collabore à de nombreuses revues dont Études, L’Atelier du Roman et La Revue des deux Mondes. Depuis 2004, il tient le site Stalker qui se conçoit comme une « dissection du cadavre de la littérature ». Nous nous sommes entretenus avec lui sur son écrivain préféré : Georges Bernanos.

    PHILITT : De quand date votre découverte de Georges Bernanos ? Le coup de foudre fut-il immédiat ou vous a-t-il fallu un moment pour appréhender la force de sa langue et le caractère ténébreux de son univers ?

    Juan Asensio : C’est lors d’une sortie de classe dans une salle de cinéma que j’ai été pour la première fois confronté à l’œuvre de Georges Bernanos. Sous le soleil de Satan, adapté par Maurice Pialat, venait de sortir sur les écrans. Le film était promis à une longue carrière polémique qui devait connaître son acmé avec le poing crânement brandi par le réalisateur devant le mufle ahuri des imbéciles qui le sifflaient lors de la remise de la Palme d’or du Festival de Cannes. Nous étions alors en 1987, et il me faut ici remercier mon professeur de français de première, Madame Colette Douai, de nous avoir emmenés voir ce film puissant, quoi que nous ayons pensé depuis de sa fidélité après tout relative au texte et surtout, plus grave, à l’esprit du roman de Georges Bernanos. Je ne crois pas abusif de dire que ce fut un choc, bien davantage qu’un coup de foudre, mais un choc d’abord visuel, que je n’avais éprouvé, durant ces mêmes années de scolarité à l’externat Sainte-Marie, à Lyon, que devant Stalker de Tarkovski et Cris et Chuchotements de Bergman. Le premier avait été projeté, si mes souvenirs sont bons, dans une salle de cinéma minuscule se trouvant entre la place des Terreaux et les pentes de la Croix-Rousse, qui n’existe plus depuis de bien longues années. Je revois encore l’affiche du film, qui m’avait intrigué. J’ai regardé le second sur l’écran du ciné-club du collège précédemment nommé. Je me souviens encore du geste d’horreur et de dégoût de ma voisine, deux mains devant la bouche, yeux fermés et tête détournée, durant la projection du film de Bergman, au moment où l’une des héroïnes plonge dans son sexe une lame tranchante. J’ai parlé de choc visuel à propos de l’adaptation réalisée par Maurice Pialat du premier roman de Georges Bernanos. Comment pouvait-il en aller autrement, d’ailleurs, puisqu’il s’agissait d’un film à la lumière chiche, de scènes à la composition non pas sommaire mais épurée tournées en partie à la brune ?

    Le choc fut d’abord cinématographique avant d’être littéraire…

    Il n’en reste pas moins que ce choc fut renouvelé, réanimé par une nouvelle brûlure, littéraire donc, du moins pour moi, existentielle, cette fois première ou même primaire, bien réelle et non pas transposée d’un support artistique à un autre, par la lecture du roman publié en 1926 par celui que Nimier appela le Grand d’Espagne, et que ce choc fut de nouveau visuel (contrairement à ce que professait Sartre, parlant de la littérature, dans L’imaginaire), convoquant mes sens, donc phénoménologique bien davantage qu’esthétique. Pardonnez-moi d’employer une série de grands mots mais je ne vois pas d’autre façon de décrire l’effet que me fit cette lecture. Si le maquignon démoniaque était capable de voir au fin fond du cœur de l’abbé Donissan, si ce dernier pouvait lire le péché tapi au dernier recès de Mouchette, je voyais, pour ma part, littéralement devant moi, parfois même sans fermer les yeux, les scènes ténébreuses et pourtant sidérantes de vérité que Bernanos avaient peintes, son chevalet planté dans la boue des tranchées de la Grande Guerre, des cratères de laquelle son roman était sorti, comme un animal sauvage sans nom.

    Je n’ai pas immédiatement, à l’époque, dévoré les autres romans de Bernanos, et me suis contenté, pour commencer, de lire et de relire le premier roman de cet écrivain qui, comme nul autre hormis Dostoïevski ou Shakespeare (et plus tard, découvrirais-je, Stevenson ou Conrad, Melville ou Lowry), évoquait les tourments les plus secrets de l’âme et, surtout, figurait ce que nous pourrions appeler, sans intention blasphématoire, la présence réelle du diable, présence qui enfin devenait crédible depuis que Baudelaire puis Bloy avaient figé le Père du Mensonge dans le diamant noir de l’Irrévocable, présence cependant imparfaite, labile et grotesque puisqu’elle s’incarnait sous la défroque d’un rusé maquignon et la possession, au sens démonologique du terme, d’une gamine vicieuse, Mouchette. C’est un peu comme si, enfin me suis-je dit puisque je passais comme aujourd’hui mes journées à lire, un univers romanesque original et implacable se découvrait sous mes yeux de lecteur des œuvres du grand Russe, mais aussi de Stevenson ou d’Hawthorne (aucun écrivain français à l’époque, car je lisais les fadaises d’Aragon, de Breton, de Ponge ou, rendez-vous compte, du vieux faune Philippe Sollers, et ne savais rien de Léon Bloy, que je découvrirais quelques années plus tard seulement, dans les rayonnages improbables d’une Fnac de la place Bellecour !), qui tous figurèrent d’une façon ou d’une autre, mais avec moins de crâne éclat que ne l’avait fait ce diable de Bernanos, la geste noire du Démon.Sous le soleil de Satan fut pour moi, je le répète, ce que devrait être toute grande lecture pour un lecteur conséquent, ce qu’avait été la découverte de L’Ange des ténèbres, ce que serait celle, quelques années plus tard, d’Absalon, Absalon !, de la Connaissance de la douleur ou encore de La Persuasion et la Rhétorique. Progressivement, lentement, en prenant bien soin de respecter l’ordre chronologique de parution des œuvres de Georges Bernanos, romans, essais mais aussi correspondance et, parallèlement, tout ce qui avait été écrit sur lui, je m’enfonçais en tout cas dans les terres dangereuses desquelles un Michel Bernanos semble d’ailleurs ne pas être revenu, le regard chargé de visions coruscantes et tentatrices. Quelle Gorgone le fils prodigue de Georges Bernanos, auteur de l’admirable La Montagne morte de la vie ou, moins connu mais tout aussi énigmatique, du texte intitulé Ils ont déchiré Son image a-t-il fixée dans la nuit ?

    Depuis cette époque désormais lointaine, je n’ai pas cessé de relire Georges Bernanos, quitte à le délaisser radicalement, mais en l’ayant en somme toujours à l’esprit, même lorsque je découvrais des auteurs n’ayant a priori que peu de rapport avec lui, m’attachant aussi, depuis quelques années, à lire ou relire les auteurs qu’il a lui-même lus, comme Joseph Conrad, Léon Bloy bien sûr, mais encore Ernest Hello, si profondément oublié, et tant d’autres que Bernanos, assez curieusement d’ailleurs, se plaisait à ne mentionner que rarement, comme s’il répugnait à avouer qu’il était, en plus d’un grand romancier, l’un des plus grands romanciers à vrai dire du siècle passé, un excellent lecteur.

    Bernanos est un des rares écrivains à briller autant par ses romans que par ses essais polémiques. En quoi est-il difficile de conjuguer les deux ? Connaissez-vous un auteur qui soit son égal de ce point de vue-là ?

    Je vais plus loin que vous, car il faut rappeler que c’est à regret que Georges Bernanos a délaissé son œuvre proprement romanesque, ses chers personnages, Chevance, le curé d’Ambricourt, la seconde Mouchette, Chantal de Clergerie, pour se consacrer, vers la fin de sa vie, face à l’urgence apocalyptique qui explosait à ses yeux, à des essais, même si les tout premiers d’entre eux, Jeanne relapse et sainte, La Grande Peur des bien-pensants et Les Grands Cimetières sous la lunesont encore étroitement imbriqués avec les romans, sont comme des espèces de romans, d’ailleurs. Ainsi, l’essai magistral sur Édouard Drumont peut à mon sens parfaitement se lire comme un ample roman sur l’honneur perdu, l’attachement aux valeurs anciennes, la déshumanisation d’un monde autrefois non point admirable mais à tout le moins cohérent, sous l’effet dévastateur de la circulation colossale des masses d’argent, la taylorisation vite devenue folle de la production, y compris celle de cadavres, la destinée solitaire d’un homme qui ne s’est jamais rendu et, comme Georges Bernanos, aura toujours fait face. Mais après l’écriture du dernier chapitre de Monsieur Ouine, de février à mai 1940, plus rien de strictement romanesque, alors que des essais paraîtront encore, non seulement importants mais bien souvent splendides, comme le sont Les Enfants humiliés qui furent publiés en 1949, une année après la mort de l’écrivain, mais qui ont été écrits de septembre 1939 à mai 1940, ou encore La Lettre aux Anglais en 1956 (chez Gallimard, mais dès 1942 à Rio de Janeiro) ou Le Chemin de la Croix-des-Âmes (de nouveau chez Gallimard en 1948, à Rio de Janeiro en 1943-1944). Je constate comme vous que cette position est assez originale, car je ne vois pas, sur cette question d’une répartition non seulement logique mais à vrai dire assez admirable entre des essais polémiques et des romans, d’autre écrivain français qui pourrait être rapproché de Georges Bernanos.

    Un autre écrivain moustachu peut-être ?

    Nous pourrions bien sûr songer à Léon Bloy, que Bernanos découvrit dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, mais le Mendiant ingrat a tout de même écrit peu de romans, à la double exception bien connue du Désespéré et de La Femme pauvre qui forment un ensemble. Nous pourrions encore, plus près de nous, évoquer l’immense Pierre Boutang, mais ses romans, y compris celui qui est son texte le plus abouti et difficile, parfois tout bonnement hermétique, Le Purgatoire, ne sont pour lui que des moyens détournés de mener ses recherches poético-politiques de très haut vol. Les mauvaises langues pourraient même parler, à propos de Boutang, de romans à thèse, et il est tout de même assez difficile d’accorder au Secret de René Dorlinde par exemple, que j’évoquerai dans la prochaine livraison de la revue Perspectives libres, la puissance hallucinatoire de Sous le soleil de Satan ! Romancier ou pas, il faudra quoi qu’il en soit finir par accorder la place qui revient à Pierre Boutang en tant que philosophe et, tout bonnement, écrivain et critique littéraire de race, dans ce pays où les fausses gloires pullulent et se reproduisent comme des larves de mouche sur un cadavre, la biographie qui doit bientôt paraître de Stéphane Giocanti, que l’ami Rémi Soulié a lue et trouvé intéressante, permettra sans doute de procéder à cette juste réappropriation d’un génie, bien supérieur à celui de Philippe Muray par exemple, devenu la coqueluche de la droite journalistique, râleur portatif réduit comme une tête de Jivaro à quelques poncifs terriblement commodes et creux. Il n’en reste pas moins qu’il serait je crois quelque peu abusif de considérer Pierre Boutang comme un véritable romancier, ce que Georges Bernanos, lui, fut incontestablement.

    Je songe d’ailleurs, en passant, au cas de Philippe Muray, qui pourrait après tout convenir à notre débat, même si ses romans, heureusement rares, sont pratiquement illisibles et surtout sans beaucoup d’intérêt. Quant à son œuvre proprement critique, pléthorique et même bavarde à mesure qu’il a été journalisé, donc avachi et dilué par l’équipe deCauseur, je crois qu’il n’a jamais fait que répéter, d’une manière ou d’une autre et même assez ridiculement lorsqu’il procédait à une « mise en musique » de vers de mirliton houellebecquien, son grand œuvre, Le XIXe siècle à travers les âges bien sûr. Si nous devions examiner plus avant la question que vous me posez, je crois qu’il faudrait délaisser le terrain proprement français, tant labouré et désormais si pauvre que le Goncourt y fait pousser, à grand renfort de pisse journalistique et de lisier éditorial, ses courges transparentes, et aller voir ailleurs, pas très loin, où ont vécu et même vivent encore des écrivains n’ayant pas peur de penser, du côté de l’érudit Claudio Magris par exemple ou du remarquable W. G. Sebald, dont les essais, d’une subtilité et d’une poésie folles, sont comme des enquêtes romanesques qui n’ont pas peur de sonder une réalité derrière laquelle se tapit l’horreur, toujours prête à bondir comme un lion cherchant qui dévorer.

    Que pouvez-vous nous dire de la relation quasiment sentimentale qu’entretenait Bernanos avec Édouard Drumont, un maître qu’il n’a jamais renié ?

    Cette relation est aussi trouble que fascinante, et il est frappant de constater que, si Georges Bernanos a pris ses distances avec Charles Maurras, qu’il a accusé de ne pas avoir tenté le coup de force qu’il avait pourtant appelé de ses vœux les plus ardents durant des lustres et, ainsi, s’être moqué prodigieusement des femmes et des hommes qui lui ont fait confiance, il semble en effet ne s’être jamais vraiment éloigné de Drumont qu’il a admiré et, vous avez raison, qu’il a aimé comme un maître et un ami. Pourquoi, d’ailleurs, cet homme profondément fidèle qu’était Georges Bernanos s’en serait-il éloigné ? Il est faux de prétendre que l’on s’éloigne des maîtres, alors même que l’on ne s’éloigne que des petits maîtres. Or Drumont fut un grand maître pour Georges Bernanos. La réponse à ma question n’en est pas moins facile et, je m’empresse de le préciser au risque de devoir subir les foudres de diverses ligues de vertu, entièrement justifiée : c’est en raison de l’antisémitisme non seulement indéniable mais virulent de Drumont, qui devenait tout simplement intenable après la catastrophe de l’extermination des Juifs d’Europe dans les usines à cadavres nazies, que Bernanos aurait pu et, sans nul doute, dû, s’éloigner d’Édouard Drumont. Je suppose, mais rien n’est moins certains, qu’un livre comme La Grande Peur des bien-pensants aurait pu être assez difficilement écrit par le Bernanos de l’après Seconde Guerre mondiale, car, sur la tragédie inconcevable vécue par les Juifs, l’écrivain a eu des mots sans la moindre ambiguïté, contrairement à ce que les ânes, mauvais lecteurs par-dessus le marché, continuent de nous répéter, une fois tous les deux ou trois ans, en répétant comme s’il s’agissait d’un schibboleth ouvrant le domaine du plus furieux antisémitisme le fameux mot de l’auteur sur le fait qu’Hitler a déshonoré l’antisémitisme.

    Je me permets de citer un passage de l’article que j’ai consacré sur Stalker à l’essai de Georges Bernanos sur Drumont : « Laissons ici la parole à Drumont, comme tant de fois Bernanos la lui laisse dans son livre : “J’étais guidé uniquement par la haine de l’oppression qui fait le fond de ma nature. L’oppression me rend malade physiquement. Obligé, pendant de longues années, pour subvenir à mes charges de famille, de refouler ce que je pensais j’avais fini par attraper des crampes d’estomac, une anorexie qui me contractait la gorge au moment du repas. Cette douleur a complètement disparu du jour où j’ai pu exprimer librement ma manière de voir, proférer mon verbe (pro, en avant, ferre, porter), ce que je fis dans La France juive et dans La Fin d’un monde” ». Ces lignes sont émouvantes sinon magnifiques. Elles pourraient être appliquées à l’exemple même de Georges Bernanos, tout pressé de délivrer son furieux rêve qui a grossi dans la boue des tranchées de la Première Guerre mondiale, et qui lui aussi, bien plus d’une fois, a dû jouer sa vie sur un raidissement de toute sa volonté, commandant au corps, rétif, de s’élancer dans le paysage défoncé par les obus, et qui lui aussi, nous le savons par de nombreux témoignages, fut bien près, plus d’une fois encore, d’écouter le chant des sirènes du désespoir qui sont sans pitié pour l’imprudent, et qui, lui aussi, ne s’estima jamais quitte avec l’oppression, qui le rendait malade. C’est un échec, l’échec d’un homme complexe (que l’on ne me dise pas que tous les hommes le sont, c’est absolument faux !) qui a attiré Georges Bernanos et, plus qu’un échec, l’aura mystérieuse dont le désespoir enveloppe un destin exceptionnel mais, de plus d’une façon, raté.

    L’antisémitisme de Bernanos est donc une question difficile à trancher…

    Il n’en reste pas moins que la question de l’antisémitisme de Georges Bernanos, lequel fut bien réel durant les premières années de sa carrière littéraire passées sous l’influence de l’Action française, même s’il ne s’est jamais laissé aller aux débordements de pure haine d’un Drumont ou d’un Léon Daudet, est complexe et a fait l’objet de travaux intéressants, comme celui de Joseph Jurt publié dans les actes du colloque de Cerisy-La-Salle publiés en 1972. Elle est du reste assez bien synthétisée par Philippe Lançon dans un article paru dans Libération en 2008. Certains passages de ce livre suffisent encore à effrayer les petits apeurés vertueux, moins d’ailleurs en raison de cruelles notations à l’égard des Juifs traditionnellement rattachés à la domination de l’Argent que parce que ce livre, de par son incroyable écriture, bondit comme un fauve à la gorge des prudents. C’était du reste bel et bien l’intention de Bernanos qui affirmait dans sa correspondance que cet ouvrage était scandaleux. Ce scandale peut se lire, à présent que les événements politiques auxquels il fait référence nous sont presque aussi lointains que nos premiers ancêtres bipèdes, d’une toute autre façon. Je suis en effet frappé par le désespoir profond qui suinte de ces pages, et ce n’est pas pour rien que, dans cette même correspondance, dans une lettre adressée à son ami Robert Vallery-Radot, Bernanos écrit qu’il se trouve littéralement « entre les bras d’un mort ». L’un des titres auxquels Bernanos a songé pour ce livre n’est-il pas Au bord des prochains charniers, car, à ses yeux, il a « essayé de faire le livre que Drumont lui-même eût fait à l’intention des jeunes Français tombés comme de la lune en ce monde et grandis depuis 1914, c’est-à-dire entre deux cimetières » ?

    C’est en fin de compte Robert Brasillach qui a raison, lui qui parlait dans Une génération dans l’orage de La Grande Peur des bien-pensants comme d’un livre« torrentiel et chimérique », à condition d’entendre ce dernier qualificatif dans son acception première, qui évoque des êtres n’ayant qu’une existence diminuée, fantomatique, qui vous hante, car ces morts ne voulaient tout simplement, pour la plupart d’entre eux, mourir, comme cela est magnifiquement dit dans Monsieur Ouine. En évoquant Drumont, Bernanos fait d’abord acte de création purement littéraire, car c’est un monde qui n’existe même plus à son époque qu’il fait se lever et sortir de son tombeau qui a même fini de sentir la charogne. Il n’y a plus rien de cette époque, car en écrivant sur Drumont, Bernanos essaie moins de faire revivre les vieilles aspirations et les échecs du Maître qu’un monde qui a été balayé, et qui bientôt pourra même être considéré comme imaginaire par les générations qu’il faut, coûte que coûte selon Bernanos, alerter contre le chaos tel qu’il se prépare. Ce chaos, l’écrivain l’a vu, bête rampante, dans les événements politiques complexes qu’il a analysés dans La Grande Peur des bien-pensants.

    L’espérance est une notion centrale dans l’œuvre de Bernanos. Elle est pourtant mise à mal puisque, selon lui, « Satan est le maître de la terre ». La préservation de la « vie intérieure » est-elle pour l’écrivain la condition de possibilité de l’espérance ?

    La préservation de la vie intérieure est la condition de la plus stricte survie de l’homme, dans le « monde cassé » dont parle Gabriel Marcel, dans le monde décentré qu’évoque Zissimos Lorentzatos, dans le monde désenchanté analysé par nombre d’auteurs, dans le monde qui fuit Dieu selon Max Picard. Georges Bernanos a ajouté sa voix, tonitruante, spectaculaire, spectrale aussi car elle semble nous avertir depuis une contrée qui n’est plus tout à fait celle que nous connaissons et qui est probablement celle dont parle Ernst Jünger dans ses magnifiques Orages d’acier. Que l’espérance soit, plus qu’une notion, un postulat sans lequel rien n’est possible, une évidence, et cela alors même, comme vous le savez, que Georges Bernanos a connu de terrifiantes crises d’angoisse et de désespoir, n’est pas un hasard, pas plus que ce n’est un hasard s’il a tant aimé son vieux maître Drumont, dont il a génialement disséqué le profond désespoir qui ne l’a jamais pourtant empêché de se dresser face à ce qu’il considérait comme des manifestations inouïes et pourtant banales de la plus féroce injustice.

    C’est peut-être la grande force de l’œuvre de Georges Bernanos, que de nous proposer une réserve de vie intérieure, comme un de ces « cœurs de parc » où vivent des espèces protégées, devenues rares, comme les loups splendides qu’il est interdit, du moins en théorie, d’y chasser. Aujourd’hui, c’est un poncif que d’affirmer que toute forte de vie individuelle, fût-elle résiduelle, est menacée, mais des havres de repos existent, comme la Zone dans laquelle le stalker n’a pas peur de conduire celles et ceux qui le désirent. Nous sommes plus que jamais confrontés à la possibilité d’une île, merveilleux titre vous le savez de Michel Houellebecq, mais l’île que nous propose Georges Bernanos n’a fort heureusement rien d’une de ces îles touristiques pelées et arasées par le napalm du tourisme. L’orgueil démoniaque, le désespoir, le mauvais rêve, le mensonge, les yeux brillants de bêtes dont nous avons oublié les noms s’y tapissent, mais aussi la joie, le courage, la fidélité, la bonté, la lucidité, la lumière, l’espérance, l’honneur d’être homme.

    Pour Bernanos, le monde moderne est, à proprement parler, « satanique » dans la mesure où il ambitionne de recommencer la création en sens inverse. Bernanos est-il, comme Léon Bloy, un écrivain apocalyptique ?

    Oui, tout à fait, et ce n’est pas sans raison que tel commentateur avisé de l’œuvre romanesque de Georges Bernanos a pu affirmer que son dernier roman, Monsieur Ouine, était tout entier prophétique. Un autre, Hans Aaraas, a assuré qu’il s’agissait d’un « poème apocalyptique ». Ce livre ténébreux, d’une folle complexité, résonne du pas des mendiants qui feront trembler la terre et pourrait être considéré comme une espèce de membrane, s’ouvrant parfois mais de toute manière poreuse, entre le monde des morts et celui des vivants. Le fait, d’ailleurs, d’évoquer une dimension prophétique ou même apocalyptique (la seconde découlant logiquement de la première) pose à mon sens des questions fascinantes, qui n’ont été jusqu’à présent guère traitées par la communauté des fâcheux, nos universitaires à courte vue et épais binocles : qu’en est-il de la réalité des affirmations qu’un Bloy ou un Bernanos ont lancées à la face des prudents qui les ont moqués ou se sont détournés d’eux en les traitant d’illuminés frôlant l’apoplexie ? Quels sont les liens entre ce que nous pourrions, à bien des égards, appeler un don de prescience et la tradition de l’inspiration à laquelle plus aucun professeur ne croit, surtout s’il a l’esprit boursouflé de fadaises sur la mort de l’auteur (et celle du Père, et celle de Dieu) ? Comment l’auteur a-t-il procédé pour proférer, au sein même de son texte, ce qui ne pouvait, par essence, qu’excéder la parole, par définition inadaptée, ou, tout au moins, singulièrement limitée ? Ce sont des sentiers dans lesquels nul je crois ne serait prêt à se lancer inconsidérément, pour la simple raison qu’ils longent plus d’une fois les frontières du royaume de la littérature, qui est vaste mais pas infini. Derrière ces frontières, le Verbe, mais tout bon lecteur de Monsieur Ouine a ressenti ce frisson de pure étrangeté, d’angoisse et même d’horreur : il y a dans ce roman lacunaire quelque chose de colossal, d’innommable qui se révèle, parfois, à la surface d’une écriture plus d’une fois menacée de pure et simple dislocation, comme le montrent les admirables Cahiers de Monsieur Ouine publiés par Daniel Pézeril. C’est la marque des plus grandes œuvres que de s’aventurer dans ces zones si peu frayées, où la puissance évocatoire de la langue semble elle-même comme interloquée devant ce qu’elle découvre. Mais Georges Bernanos lui, fidèle à sa plus chère volonté, n’a pas reculé et, comme toujours, a fait face. Ainsi, je crois que l’œuvre de Georges Bernanos est moins derrière que devant nous, à condition bien sûr que les nouvelles générations de lecteurs soient encore capables de parvenir à lire ces textes.

    Peut-on dire que le personnage de M. Ouine est une allégorie de l’homme moderne ?

    Je me méfie de ce genre de réduction herméneutique qui se termine en -ique, car les lectures allégoriques, symboliques, théologiques ou, les pires de toutes, en tout cas les plus sottes et ridicules, psychanalytiques d’une œuvre littéraire en limitent la portée, et manquent leur objet qui est, tout de même, une écriture de romancier. Parler d’une œuvre romanesque comme d’une allégorie ou même d’un symbole ne vaut en règle générale pas grand-chose et, ma foi, nous pourrions dire de bien d’autres personnages, comme le Marius Ratti de Broch, le Bartleby de Melville ou le Kurtz de Conrad, qu’ils sont des allégories ou même des symboles (je ne confonds bien évidement pas les deux notions) de l’homme moderne. Les lectures allégoriques ou bien symboliques des œuvres romanesques ne donnent jamais de résultats bien probants, car il y a dans ce type de démarche la volonté, parfois clairement avouée, de faire dire à l’œuvre concernée beaucoup plus qu’elle n’a voulu dire, et cela au détriment même de la matérialité de cette œuvre, sa langue, son écriture. Il n’en reste pas moins, cessons de pinailler, que Monsieur Ouine, encore davantage que Monsieur Teste, peut en effet incarner le visage sordide d’une modernité devenue folle, toute pleine de mots tournant à vide, dans « un camp de concentration verbal » selon l’image extraordinaire d’Armand Robin dansLa Fausse parole. Comme je l’ai écrit plus d’une fois, le dernier roman de Georges Bernanos n’appartient pas au passé, mais à notre présent, celui d’une paroisse morte (qui fut le premier titre envisagé par l’auteur pour son roman) et, comme ne cessait de me le répéter l’épouse de Jean-Loup Bernanos qui était frappée par sa dimension oraculaire, prophétique, à notre futur.

    Vous déplorez, à juste titre, le manque de considération et le relatif oubli qui frappe l’œuvre de Bernanos. La réédition en 2015 de ses œuvres romanesques dans la prestigieuse collection de la Pléiade va-t-elle dans le bon sens ? Les lecteurs sont-ils prêts à découvrir ou redécouvrir Bernanos ?

    Pourquoi diable voudriez-vous qu’une multitude de gloses universitaires sans beaucoup d’originalité, voire sans aucune originalité, vendues au prix modique de plus de 130 euros si je ne m’abuse, puissent intéresser un autre public que celui, admirablement consanguin, des universitaires et des étudiants qui gravitent autour d’eux comme un satellite prévisible tourne autour de sa planète favorite, de laquelle il ne souhaitera même pas se désorbiter le jour du Jugement dernier ? Ces derniers seront tout contents de voir cités leurs travaux par des étudiants et d’autres universitaires, qui considéreront comme un impératif épistémologique irrécusable le fait de se débarrasser de la précédente édition fournie par cette même collection de la Pléiade, qu’ils ne manqueront pas de considérer comme étant affreusement datée. Pourtant, c’est bel et bien cette édition préparée par Gaëtan Picon, Michel Estève et Albert Béguin que j’utilise et continuerai d’utiliser, car elle est excellente et, en dépit même de ses défauts, qui est écrite, ce qui n’est à l’évidence pas le cas de la nouvelle édition, comme nous le montre assez rapidement sa vague préface, donnée par un certain Gilles Philippe. Je vais illustrer mon propos par un seul exemple de l’inutilité de ce travail censé être savant (et j’exclus, de ce dernier, l’excellente chronologie de la vie de Bernanos donnée par Gilles Bernanos). Vous connaissez comme moi les toutes premières lignes de Sous le soleil de Satan, où Georges Bernanos évoque Paul-Jean Toulet, un auteur plus qu’intéressant aujourd’hui hélas bien oublié. Dans les notes de la première édition des romans de l’auteur en Pléiade, nous lisons sous la plume de Michel Estève que « l’on peut rapprocher, sur certains points mineurs », La Jeune Fille verte écrite par Toulet du premier roman de Bernanos (cf. p. 1776 de l’édition datant de 1974).

    Cette nouvelle édition apporte-t-elle quelque chose de nouveau ?

    Prenons (sans l’acheter) le récent travail dû à notre cohorte dûment estampillée ABOC, ou appellation bernanosienne d’origine contrôlée, et lisons la note se rapportant à ce mystérieux passage, cette fois donnée par Pierre Gille : « Plutôt qu’aux célèbres Contrerimes (1921), Bernanos pourrait se référer ici au dernier roman de Paul-Jean Toulet (1867-1920), La Jeune Fille verte ». Bernanos, ajoute Pierre Gille en tirant soigneusement la langue, aura trouvé dans le roman de Toulet« une satire particulièrement vive du monde bourgeois et ecclésiastique d’une petite ville, et des ambiances, comme l’évocation finale, par l’orateur, des “heures divines du crépuscule” » (cf. p. 1190 de la nouvelle édition). Est-ce bien tout ? Oui, c’est tout. Absolument passionnant, non, que de connaître les dates de naissance et de mort d’un auteur et d’apprendre deux ou trois renseignements, que je n’ai pas rapportés ici, à propos de la publication de son dernier roman ! Je tire en tout cas mon chapeau à Pierre Gille, auteur d’un travail intéressant quoique brouillon et surtout inutilement compliqué et non complexe (dans mes souvenirs) sur la question de l’angoisse dans les romans de Bernanos. Je le salue humblement, sans aucune ironie, parce qu’il réussit l’exploit de nous parler d’un glaçon accroché à la monture de sa paire de lunettes alors que, devant lui, se trouve un iceberg de belle taille. Certes, il aura vite fait de m’objecter que la masse réelle d’un iceberg est justement celle qui ne se voit pas, et je serai pour une fois d’accord avec notre universitaire, car, en effet, c’est ne strictement rien avoir vu, tout du moins soupçonné, que d’évoquer La Jeune Fille verte par le minuscule trou de la lorgnette satirique, alors que, les bras m’en tombèrent lorsque je lus ce roman, il est évident que Mouchette doit beaucoup de ses caractéristiques à cette mystérieuse jeune fille verte peinte par Toulet ! Mes yeux, d’habitude bien ouverts lorsque je lis un livre, à la différence de ceux, sans doute fatigués par l’âge, de notre vénérable universitaire et commentateur insignifiant, se dessillèrent pour de bon lorsque je compris que, par le biais du roman de Paul-Jean Toulet, c’est le titre le plus célèbre d’Arthur Machen, Le Grand Dieu Pan (que Toulet avait traduit en français avant la parution de Sous le soleil de Satan) qui affleurait justement dans ce dernier. La preuve de mes dires ? Une simple lecture, mais une vraie lecture se concentrant sur les caractéristiques du démoniaque, telles qu’elles apparaissent dans les trois romans en question (rappelons-les : Le Grand Dieu Pan, La Jeune Fille verte, Sous le soleil de Satan) suffirait pour écrire une belle étude autrement plus passionnante et originale que la note tout juste informative de Pierre Gille.

    Je ne puis que renvoyer le lecteur intéressé par cette question à ma propre lecture, qui est prudente mais fournit quelques éléments assez troublants à mes yeux. Pas davantage nos si rigoureux bernanosiens ne semblent s’être avisés du fait que le premier roman de Bernanos pouvait être rapproché de l’un des romans les plus célèbres de Blaise Cendrars, Moravagine, qui a paru en 1926, l’année même oùSous le soleil de Satan a éclaté comme une mine à la face des apôtres zélés du Progrès. Là encore, je renvoie le lecteur à ma longue note sur cette lecture. Du reste, sans trop nous attarder sur ce type de lecture sans âme, ni même beaucoup de rigueur intellectuelle, qui exigerait pour être défait et moqué comme il se doit un travail poussé de lecture comparative, nous pourrions nous borner à constater que la note que Michel Estève a consacrée au dédicataire du premier roman de Georges Bernanos, Robert Vallery-Radot (cf. p. 1777 du volume mentionné plus haut) est beaucoup plus développée que celle de Pierre Gille. Pour quelle raison ? Demandez-le lui, et pensez par la même occasion à demander à celui qui étudia, avec René Guise, l’un des manuscrits du premier roman de Bernanos, pourquoi son travail en Pléiade est si impeccablement professoral, c’est-à-dire à peu près creux ! Il me semble particulièrement regrettable que Gallimard, pour sa collection-phare, n’ait désormais plus recours qu’à des universitaires pur jus, appartenant au petit monde si furieusement consanguin de la recherche (quand il s’agit bel et bien de recherche, et non pas de mandarinat stérile). Si encore ce travail était véritablement érudit, voire, nous pouvons rêver, original, il justifierait son prix exorbitant, mais nous en sommes tellement loin !

    Vous aurez peut-être l’envie, en me lisant, de me faire remarquer que mes propres modestes recherches ne sont pas même mentionnées (à une exception près, mais dans une indication bibliographique purement factuelle, cf. p. 1188, op. cit.) par l’un de nos impeccables et savants lecteurs. En effet, mais elles ne risquaient certainement pas de l’être, en raison du refus catégorique qu’opposa à ma présence, au sein de cette très noble assemblée de professeurs pléiadisés constituée par le regretté Max Milner, Monique Gosselin-Noat, mon éphémère et lamentable directrice de thèse. Je l’évoque, plaisamment vous vous en doutez,dans cette note, et me contenterai d’affirmer que cette personne, invitée à tous les colloques traitant d’auteurs ayant vécu au cours des 20 derniers siècles, et qui ne répète jamais beaucoup plus que des banalités, m’a profondément, à tout jamais même, dégoûté de l’Université, du moins d’un certain type d’Université. De quel ordre est le travail de Monique Gosselin-Noat ? Il s’agit d’un recyclage, pas même inspiré, et ce n’est d’ailleurs absolument pas un hasard si Pierre-Guillaume de Roux, qui publie désormais tous les radotages hystérico-guerriers d’un essayiste aussi profondément nul que Richard Millet, a fait paraître le dernier recyclage de cette spécialiste mondialement célèbre de l’œuvre de Georges Bernanos, dont la thèse sur l’écriture du surnaturel était déjà un fourre-tout assez phénoménal.

    Après ce petit détour par les chemins qui ne mènent jamais bien loin de l’Alma mater comprise, à la mode si typiquement française hélas, comme une matrice productrice de gloses asséchantes, j’en reviens à votre question finale : les œuvres fulgurantes de Georges Bernanos, qu’il s’agisse de ses romans, de ses essais ou de ses Dialogues des Carmélites, seront découvertes ou redécouvertes comme elles l’ont été jusqu’à présent, toujours, par la grâce d’une rencontre, d’une réelle présence qui se donnera par bien des truchements, y compris le nôtre, virtuel, que je ne me permettrai pourtant jamais de sous-estimer, après 12 années d’apostolat dans la Zone, celui qui vous permet de m’interroger et, de mon côté, de vous répondre.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2016/02/26/l-oeuvre-de-georges-bernanos-est-moins-derriere-que-devant-nous.html

  • La mission Mus en mai 1947

    "Au soir du12 mai 1947, Hô Chi Minh rencontra Paul Mus dans l'unique maison encore debout dans une ville entièrement réduite à un amas de briques (Thai Nguyen).
         - Monsieur le président, je vous remercie de votre généreuse initiative qui me permet de vous faire parvenir un message que le haut-commissaire Bollaert m'a confié.
    Quand Hô Chi Minh lui demanda de lui présenter le message, il répondit :
         - Monsieur le président, il m'est peu commode de vous en expliquer le motif. Le message du haut-commissaire, en réponse de votre offre de cessez-le-feu, n'est pas sous une forme écrite. Mais j'ai bien retenu son contenu, permettez-moi de vous le redire pour mot pour mot.
         - Je vous écoute.
    Paul Mus récita tout d'une traite : 
         - Pour mettre en œuvre le cessez-le-feu, le haut-commissaire Bollaert se permet de poser quatre conditions. Premièrement, les troupes vietnamiennes rendront leurs armes aux Français. Deuxièmement, les troupes françaises auront le droit de circuler librement sur le territoire du Viêtnam. Troisièmement, le gouvernement vietnamien remettra les captifs aux Français. Quatrièmement, le gouvernement vietnamien remettra aux Français tous les étrangers passés dans les rangs des Vietnamiens.
    Le président Hô répondit d'une voix toujours douce, mais le visage sérieux : 
         - Monsieur Mus, je sais que vous avez participé à la résistance du peuple français contre le fascisme hitlérien. Est-ce vrai ? 
         - Répondez-moi donc ! A ma place quelle serait votre attitude ? Accepteriez-vous ces conditions ? 
    Et il ajouta devant Paul Mus silencieux, perplexe : 
         - J'ai entendu dire que Mr. Bollaert, lui aussi, a participé à la résistance contre Hitler et a accompli des exploits. Quel est donc le sens de ses conditions ? Cela veut tout simplement dire qu'il nous demande la capitulation. Monsieur Mus, vous-même, pensez-vous que nous allons nous rendre ? Et accepter de surcroît cette condition concernant les étrangers qui sont à nos côtés dans la lutte anticolonialiste ? Mais si nous l'acceptions nous serions des lâches !
    Hô Chi Minh regarda Paul Mus. Ce dernier restait restait assis, toujours silencieux, puis, hochant la tête :
         - Je comprends dit-il, monsieur le président, je comprends.
    On ne parla plus du message. Hô Chi Minh expliqua la position de son gouvernement, à savoir son amour de la paix, sa volonté d'établir de bonnes relations avec la France mais aussi sa détermination à défendre l'indépendance de la patrie et son unité.
    Paul Mus reconnut qu'il s'agissait de nobles et dignes sentiments. Il promit de rendre exactement compte de ses déclarations à Bollaert.
    Au moment de partir, il apparut véritablement ému. Il souhaita une bonne santé au président Hô puis lui demanda : 
         - Monsieur le président, ainsi la guerre continue ? 
         - Nous désirons la paix mais pas à n'importe quel prix, nous voulons la paix dans l'indépendance et la liberté ! 
         - Monsieur le président je vous souhaite bien de la vaillance ! 
         - Certainement ! La vaillance, nous l'avons toujours ! 
    Il s'agissait de la dernière entrevue, pendant toute la résistance, entre Hô Chi Minh et un représentant de l'adversaire.
    Vo Ngyuen Giap, Mémoires 1946-1954, tome I, La résistance encerclée.

  • Bismarck

    Recension : Lothar Gall, Bismarck, le révolutionnaire blanc, Fayard, Paris, 1984, 845 p.

    Auteur d’une biographie de Benjamin Constant, d’un essai sur le libéralisme et d’une approche du “problème Bismarck” dans l’historiographie depuis 1945, Lothar Gall nous propose cette fois une biographie impressionnante d’un des hommes d’État les plus fascinants du XIXe siècle. Le lecteur francophone lira avec profit ce monumental ouvrage (845 pages !), qui présente un acteur essentiel de l’histoire européenne et de l’histoire des relations franco-allemandes depuis 1870. Créateur de l’Empire allemand sur les ruines du Second Empire français de Napoléon III (”Napoléon le petit”, écrivait avec acrimonie Victor Hugo de son exil), Bismarck reste une figure aussi mystérieuse que méconnue du public français.

    Otto Eduard Leopold von Bismarck-Schönhausen fut hobereauprussien. De par ses origines, il fut et reste symbole négatif pour la plupart des Français : celui du pangermanisme, de l’impérialisme allemand du XIXe siècle. Mais cette image, plus proche de la caricature que de la réalité historique, ne doit pas cacher son rôle essentiel dans l’édification d’une monarchie préoccupée, même si ses raisons n’étaient pas celles du mouvement socialiste, d’assurer aux travailleurs allemands la sécurité sociale et un bien-être supérieur à celui des autres travailleurs européens. La “paix sociale” est une construction bismarckienne très en avance sur son temps. Il fallut attendre 1920 en Italie et 1936 en France pour voir d’autres États européens engager des politiques similaires.

    Pourtant, la somme de Gall appelle quelques remarques critiques. La Nation allemande reste marquée par le système institutionnel, par les partis et les groupes sociaux nés sous Bismarck. C’est la raison essentielle pour ne pas considérer, écrit Gall, l’ère historique bismarckienne comme définitivement close. Gall, en désignant Bismarck ”révolutionnaire conservateur”, engage une polémique. Selon certains critiques allemands, comme Hans Georg von Studnitz, l’analyse de Gall serait mutilée par le mental néo-allemand, formé sous l’ égide des “rééducateurs” américains d’après 1945. Certes, notre époque n’a plus le goût des biographies apologétiques, mais l’esprit critique, pour être juste et efficace, ne doit-il pas s’abstraire du Zeitgeist [esprit du l'époque] et se replacer résolument dans le contexte qu’il étudie ?

    Produit du XIXe siècle, le Reich de Bismarck n’est ni plus ni moins “moral” que le “British Empire” de Disraëli, que l’Italie de Cavour ou la France de Napoléon III. Gall critique le style politique de Bismarck sur trois plans. D’abord, il l’estime “privé de principes”, “amoral” et exclusivement préoccupé d’accroître sa puissance. Pourquoi adresser tel reproche à Bismarck seul ? Par-delà cette attaque ad hominem, n’est-on pas en droit de repérer un vœu anti-politique proprement idéologique (libéral ou “gauchiste”), typique de l’historiographie culpabilisante ouest-allemande ? Persuadés que la politique s’accomplit selon un “Plan” (?), divin ou “rationnel”, les adeptes de cette méthode historique sont mal à l’aise devant la politique du “risque calculé” pratiquée par Bismarck et éloignée des préoccupations fumeuses des idéalistes de toutes espèces.

    La masse d’informations réunies par Gall est impressionnante et instructive ; on attend tout de même encore la biographie qui correspondrait aux critères de la Realpolitik bismarckienne. Un axe de recherches que nous suggérons : le rôle des formations politiques confessionnelles dans la diplomatie européenne. Mettre l’accent sur le Kulturkampfde Bismarck contre les agents allemands du Vatican, qui mettent, tout comme leurs héritiers d’aujourd’hui, des intérêts partisans et des dogmes saugrenus (tels l’infaillibilité pontificale) au-dessus des nécessités vitales des peuples. En 1911, Arthur Böhtlingk (in : Bismarck und das päpstliche Rom) avait amorcé pareille approche. Il faudrait continuer.

    ► Ange Sampieru et Michel Froissard (pseud. RS), Vouloir n°6, 1984.

    Bismarck

    Les dessous du Kulturkampf, mené par Bismarck contre les forces sociales du catholicisme allemand sont peu connues du public francophone. Une analyse approfondie de cette lutte nous donnerait immanquablement une vision nouvelle des événements diplomatiques de la fin du XIXe. Ci-dessus, “Entre Rome et Berlin”, une caricature du journal satirique berlinois Kladderadatsch (1875) sur cet épisode important de l’histoire allemande.

    http://www.archiveseroe.eu/recent/4

  • L'AF PROVENCE défend le MARSEILLE POPULAIRE : MARSEILLE DEMAIN, SANS RÉPUBLICAINS !

  • Réflexions & Libre Propos sur Louis Rougier et l’idéal helléniste

    Préfacé par Alain de Benoist, le livre du professeur Louis Rougier est un merveilleux ouvrage qui nous permet d’envisager le monde chrétien dans lequel nous survivons par rapport à l’abandon des hautes valeurs de la civilisation Grecque.

    Le GRECE (groupe de recherche et d’études pour la civilisation européenne) avait édité en 1977 aux éditions Copernic, un d’ouvrage de l’auteur dont le titre ne pouvait qu’attirer l’attention : “Le conflit du christianisme primitif et de la civilisation antique.”

    Louis Rougier (1889-1982).

    Professeur à l’université de Besançon, auteur de plus de quarante ouvrages, est à la fois : épistémologue, c’est-à-dire : critique des sciences de la formation et des conditions de la connaissance scientifique, logicien, philosophe, linguiste, constitutionnaliste, économiste, politologue et historien. La rigueur de ses écrits empêche toute dérive intellectuelle. Un discours et des faits suffisent à expliquer avec rigueur le sens des choses qui anime la Pensée, du pourquoi nous vivons dans des réflexions et des révolutions intellectuelles scientifiques, politiques et religieuses, et pour quelles raisons il ne peut en être autrement ! Travail rigoureux intelligible par tous, sans animosité, sans concession ni moquerie, détaché d’un esprit partisan, net et précis dans son discours telle la froideur chirurgicale d’un scalpel entaillant une plaie, pour reprendre cette image empruntée à Julius Evola. Louis Rougier est aussi passionnant et pertinent que Guy Rachet qui dans son livre intitulé “Les racines de notre Europe sont-elles chrétiennes et musulmanes” nous explique les raisons évidentes pour lesquelles il ne peut pas y avoir le moindre rapport ontologique (la connaissance de Dieu) La convergence intellectuelle entre les deux philosophes réside dans le fait qu’il ne peut pas y avoir le moindre accord entre le Christianisme primitif et la Grèce Hellénistique d’une part, pas plus qu’il n’y en a entre le Catholicisme et l’Islam d’autre part. Les deux comparaisons conceptuelles sont à l’image de l’huile et du vinaigre… Problèmes culturels, religieux autant que civilisationnels qui permet de situer dans un “no-mans-land” le monde chrétien primitif et la philosophie catholique qui en découlera par rapport à l’Hellénisme et l’Islam. Ces deux religions issues de l’Ancien Testament n’ont naturellement rien à voir avec les sources vives de la Tradition Européenne et plus précisément encore, avec l’Univers sacré et consacré de la Grèce Antique, de son essence comme de sa substance indo-européenne… Ces études comparatives prouvent que tout nous sépare des religions du “Livre”. D’ailleurs monsieur Guy Rachet aura tôt fait de démontrer que c’est par le savoir intellectuel polytechnique et la philosophie liée aux mythes gréco-latins que le catholicisme, évoluant vers sa maturité de pensée, dans une France   (pour ne parler que d’elle) profondément enracinée dans son paganisme polythéiste, a connu l’éclat rayonnant que le monde médiéval lui a façonné et forgé. Rappelons qu’il aura fallu entre Quatre et Cinq cents ans pour christianiser notre pays. Ce qui prouve l’attachement que portaient les gaulois et plus tard les gallo-romains aux anciennes croyances. Tout en sachant par ailleurs l’attachement spirituel que portent encore les gens dans certaines provinces, aux lieux dits, aux sources sacrées, aux guérisons liées à la petite magie de quelques sorciers encore bien inspirés par un savoir transmis de génération en génération de bouche à oreille et du souvenir encore vivace de certaines pratiques cultuelles aux odeurs de soufre et de bûchers… Bref, ces deux auteurs sont complémentaires et ils nous permettent de nous situer dans un univers religieux quelque peu baratté ! À savoir le fait que l’Islam est autant éloigné du catholicisme que le christianisme peut l’être de l’hellénisme et bien sûr de la Rome Impériale.

    Mais avant d’aller plus loin, revenons un temps sur le fils conducteur de la pensée de ce philosophe de génie, et donc de la compréhension toute personnelle de la politique de son temps. Les inspirations du Professeur Louis Rougier ne pouvaient pas être si éloignées de celles qu’entretenait le chef de l’État Français sous l’occupation. Elles l’amenèrent à se rapprocher de celles développées à Vichy lors de la deuxième guerre mondiale. Cela étant, il ne participera pas à la politique menée à l’époque, et vivra aux États-Unis pendant toute la durée des hostilités. Toutefois, cet anti-Gaulliste convaincu, sera naturellement pour la réhabilitation du Régime de Vichy et du Maréchal… Ce qui, d’une certaine manière, justifie la pensée profonde de l’auteur, mais aussi le fait qu’il soit peu connu du grand public…

    Par l’intermédiaire d’Alain De Benoît, il influencera l’idéologie de la “Nouvelle Droite” pour ses études sur l’Hellénisme comparé au christianisme. Vision aristocratique contre raison universaliste… Visionnaire lucide de la hiérarchie de l’ordre et de la discipline dans une société réactualisée par un idéal aristocratique et différenciée, tournée cependant vers une rénovation du libéralisme. Le sujet peut être discuté dans la mesure où il s’agit d’une vision politique dans le cadre d’une société idéale.

    Le discours de ce philosophe hors-norme nous permet de comprendre les raisons qui nous poussent irrésistiblement vers le paganisme. La justification du travail accompli par les anciens Grecs nous démontre toute l’ampleur de leur savoir et toute l’application de leurs travaux pratiques. Dès lors, nous ne pouvons plus souhaiter que de retourner dans l’“Île des Bienheureux”, la “Terre du Milieu” égarée dans les couloirs du temps telle l’image paradisiaque d’un idéal englouti comme l’Atlantide et sa capitale Poséidopolis que décrivait Platon dans “Timée” et “Critias”, et d’une société glorifiée comme la “République”… 

    À la lecture de ce texte, Il est loisible de comprendre ce qui nous différencie des autres religions et des autres peuples dans la mesure où nous prenons acte de cette différenciation majeure où harmonie et esthétique ne font qu’un. Il est alors normal de chercher à copier l’idée de pureté, d’intelligence et de savoir original, afin de rebâtir toujours ce qui ne peut, hélas, rester éternel. Et tels que l’imaginaient les Anciens, les dieux servaient les hommes et le cosmos dans une recherche perpétuelle d’un équilibre dont est issue la création elle-même. Les hommes recevaient dès lors l’investiture que leur octroyaient les Dieux ; et les Dieux garantissaient une sécurité et un salut en harmonie avec le Cosmos.

    C’est cette poussée verticale, cette rigueur de droiture particulière, métaphysique ; cette tension vigoureuse et pure qui oblige l’univers Indo-européen à justifier son action face à la Création issue de la volonté du Pouvoir Absolu Divin. Car les Dieux eux-mêmes s’incarnent au gré de la Création en marche afin de rectifier les déviances et les imperfections par la force et l’intelligence toujours associées… C’est d’ailleurs ainsi que le métallurgiste Héphaïstos, en brisant comme un œuf le crâne de Zeus permettra à la superbe Pallas Athéna armée de naître de l’intelligence et d’exprimer à son tour le savoir et la technique… Le Monde païen est toujours en devenir alors que celui des trois religions monothéistes issues du Livre est figé, tourné irrésistiblement vers les croyances en un monde meilleur, traduit par une image idéale d’un Paradis promis aux gentils par-delà le Ciel et la Terre, et pour le monde chrétien d’une parousie sans laquelle le Monde ne pourra jamais retrouver la “Sion Éternelle” et l’image de la “Jérusalem Céleste”… Pourtant nous verrons que l’hellénisme et le catholicisme ont un point en commun: la recherche de la perfection. Ainsi le christianisme ne pouvant rester éternellement sur ses acquis, devra s’adapter aux circonstances de son temps et aux évolutions de la pensée… Nous comprenons soudain, pourquoi rien ne peut être figé, et pourquoi nous sommes toujours en quête d’idéal, en quête de beauté, en quête d’Amour, de justice et de pureté car tout cela traduit une recherche intime profondément ancrée en nous, dans nos gênes, notre sang, notre ADN, comme un acquis depuis toujours, comme une matrice porteuse d’un savoir depuis l’aube du temps, aux racines profondes de notre civilisation Européenne Occidentale.

    Ainsi par l’étude comparative du Professeur Rougier, nous comprenons les raisons définitives qui nous séparent des religions du “Livre” et pourquoi il ne peut y avoir aucun raisonnement commun, aucun point d’entente !

    Pamphlet sans appel sur l’obscurantisme chrétien :

    Le christianisme se veut intolérant contre tout ce qui n’est pas lui ou son semblable, sa vocation est de convertir la Terre entière… Religion prosélyte qui parfois, par son intransigeance, obligeait de gré ou de force à convertir les païens et les athées. Ce sont par les résolutions de Saint Bernard de Clairvaux pour la France et Hildegarde Von Binden pour l’Allemagne, que les deux têtes pensantes et dogmatiques de la chrétienté firent en sorte que le papisme déclare la guerre sainte contre les Albigeois et le Catharisme, (entre autres)… Mais en revanche, c’est par le baptême de Clovis que les Francs firent la France… Et cela fait partie du paradoxe de ce pays… Enfin, l’univers religieux des chrétiens réside dans l’idée du péché originel et d’une rédemption des âmes par la parousie ou le martyre, le royaume de Dieu n’étant pas de ce monde… Le monde vit dans le péché et la terre se vit déjà comme un purgatoire à l’image d’un Saint Louis, ce bon Roi de France dont la rédemption se paie du châtiment et de la punition par le martyre permanent et l’auto-sacrifice, vivant la condamnation et la culpabilité perpétuelle, toujours dans le besoin de se purifier des imperfections humaines afin de pouvoir se rapprocher de l’Esprit de son Dieu. Religion du martyre vécue comme unebénédiction. Le combat permanent de la vertu contre le vice. La charité étant aussi une vertu digne de tout éloge contre la bonne fortune des nantis… un regard humain plus qu’humain de miséricorde. La contrition, la charité, la pauvreté et la misère comme seuls biens personnels contre la noblesse arrogante des biens-nés…, aux jours ultimes de la “Révélation” du Jugement Dernier de l’“apocalypse”, les derniers ne seront-ils pas les premiers ?… Ainsi, il en va du repentir contre tout acte violent et les sept péchés capitaux comme clef de voûte de la “Faute originelle”, sauf pour les combattants de la foi galvanisés par la triple couronne du pape et de “son éternel blancheur de pureté”! D’ailleurs, il sera commandé à Saint Bernard de Clairvaux un manifeste qu’il écrira à l’intention du nouvel ordre monastique et guerrier des Chevaliers du Temple. Œuvre sans concession sur l’engagement de la noblesse à combattre au nom du Christ contre l’infidèle, jusqu’à la mort et dans le dénuement absolu. Le traité est sans appel. Exemple : « Que la guerre menace, ils se bardent alors intérieurement de foi et extérieurement de fer – et non pas d’or. Armés, et non pas ornés, c’est la crainte qu’ils suscitent chez l’ennemi, et non la cupidité… Ils se préoccupent du combat, non de l’apparat ; ils pensent à la victoire et non à la gloire, ils se soucient de semer la terreur plutôt que l’admiration… » (traduction du latin par P.Y.Emery frère de Taizé)

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  • Compte-rendu de la conférence-débat avec Audrey Jougla : "Profession : animal de laboratoire"

    1038770374.jpgVendredi 26 février, l’association La Griffe organisait à Clermont-Ferrand une conférence-débat en compagnie d’Audrey Jougla, auteur de Profession : animal de laboratoire. C’est dans une salle encore trop clairsemée et au public hétéroclite, que cette jeune femme pétillante prend la parole. Son apparente gentillesse ne sera pas de trop pour aborder un sujet hautement délicat…

    Audrey Jougla a voulu connaître la réalité de la vivisection, notamment en France. Une réalité difficile à appréhender car on ne rentre pas dans ce genre de laboratoire comme ça : un « brevet d’expérimentation animale » (sic) est nécessaire pour pouvoir pénétrer dans ce Pandémonium. On estime à 11,5 millions le nombre d’animaux de laboratoire dans l’Union Européenne et à 2,2 millions pour la France seule. Parmi les espèces fréquemment utilisées on retrouve les souris et autres rongeurs, les reptiles, les poissons, les oiseaux, des carnivores comme les renards par exemple, mais aussi les vaches, les chiens et les chats. Seuls les grands singes sont protégés pour des raisons « morales » de par la ressemblance avec l’homme (merci Darwin !). Les types de tests pratiqués sur les animaux se divisent en quatre types distincts :

    1) Les tests dans le cadre de l’enseignement.
    2) Les tests de toxicologie comme les tests de nocivité pour l’homme (46% en France).
    3) Les tests dits de « recherche fondamentale » (neurosciences, psycho-chimie, psychiatrie).
    4) Les tests dits de « recherche appliquée » qui découlent de la « recherche fondamentale ».

    Après une mise au point statistique en guise d’introduction, Audrey Jougla aborde de manière didactique dix préjugés sur l’expérimentation animale. C’est l’occasion d’apprendre des choses parfois glaçantes. Tout d’abord il faut savoir que des alternatives à ces pratiques barbares existent bel et bien : protocoles ex vivo, in silico, 3D in vitro, organes par puces et micro-organes. Malgré tout, ces méthodes alternatives ne sont pas mises en avant, les firmes et laboratoires privilégiant l’expérimentation animale car cette dernière est subventionnée ! Certaines personnes s’imaginent (naïvement ?) que ces animaux sont bien traités. Ceci est un non-sens absolu ! Test de nocivité (ingestion de produit de la marque Destop dans l’œsophage de chiens !), animaux rendu fous, malades et vivant dans des conditions épouvantables où la froideur des néons remplace la lumière du soleil qu’ils ne voient jamais, sans parler du bruit incessant. Le rapport avec le personnel est quant à lui compliqué. Au-delà des cas de sadisme, le personnel doit prodiguer des soins mais également des sévices via les expérimentations, position schizophrène intenable qui fait que l’homme et l’animal sont tous deux confrontés à une indicible violence. Ces expérimentations semblent légitimes bien que cruelles aux yeux de certains, notamment lorsqu’il s’agit d’utiliser des organismes vivant, pourtant aucun résultat tangible ne prouve leur efficacité…

    Ensuite vient le tour des questions que l’on ne pose pas concernant l’expérimentation animale. Encore une fois on découvre des faits troublants. Firmes pharmaceutiques et autres laboratoires justifient ces expérimentations en mettant en avant la recherche sur les cancers pédiatriques par exemple. Cette méthode abjecte, qu’on pourrait appeler « méthode Aylan », consiste en une espèce de chantage émotionnel. Elle est également malhonnête car ce type de cancer n’est en réalité pas rentable pour les firmes et les laboratoires qui préfèrent investir dans d’autres champs d’action. L’image des expérimentations animales véhiculées par les médias (la fameuse souris blanche, la seringue) et les entreprises concernées sont en total décalage avec la réalité. D’ailleurs Audrey Jougla affirme qu’il est très compliqué de pourvoir s’exprimer sur le sujet dans les médias (vous pouvez cependant retrouver un entretien donné par cette dernière à TV Libertés ici : https://www.youtube.com/watch?v=oRryw39uN5A. Vous l’aurez compris, c’est la rentabilité et la maximisation des profits qui priment et nullement quelconque forme de philanthropie. A l’instar des essais cliniques sur l’homme, les résultats des expérimentations animales pourraient être mutualisées ce qui pourrait alléger une partie de ces souffrances mais la course aux brevets et la compétitivité condamnent définitivement cette option.

    Cet univers est dominé par une hypocrisie dégoûtante. Pourquoi les tests sur les grands singes sont-ils interdits, du fait d’une « ressemblance avec l’espèce humaine, et pas les autres ? Les similitudes entre les souffrances psychologiques humaines et animales sont avérées, au même titre que la sensibilité des animaux. Si cela n’est pas le cas comment justifier les expériences de privation de sommeil, de privation maternelle, de dépression, d’aliénation mentale ou NBC (Nucléaire Bactériologique et Chimique) ? En termes d’hypocrisie la législation pratique le « double standard » : votre chat sera votre animal domestique mais un chat de laboratoire sera du matériel expérimental, bien qu’il puisse, dans l’absolu, s’agir du même animal ! Audrey Jougla affirme, pour l’avoir vu de ses propres yeux, que l’on retrouve les mêmes golden retrievers du Téléthon à la fois sur le plateau télé et dans ces laboratoires. Comment ne pas être eugéniste et hygiéniste après ça !? Ici règne le chantage émotionnel. Qu’est-ce donc que la souffrance d’un enfant face à celle d’un animal ? Quel procédé dégueulasse. La question de la souffrance animale dans les laboratoires relève également d’un présupposé que les hommes seraient supérieurs aux animaux. Que cela soit vrai ou non, rien ne justifie de futiles souffrances à des êtres vivants, doués de sensibilités comme vous et moi. Et si c’était vous, vos parents, vos enfants les cobayes de laboratoire ?

    En conclusion, cette conférence bien que dépourvue d’images choc est très perturbante. Nous devons reconnaître à Audrey Jougla un courage et une force intérieure certaine du fait de son travail de terrain, au contact direct de la souffrance évoquée lors de cette conférence. D’ailleurs il est par moment difficile pour la jeune femme et certaines personnes du public de retenir leurs émotions, certaines anecdotes étant particulièrement odieuses... Pourtant Audrey Jougla est convaincu qu’à terme l’expérimentation animale est vouée à disparaître. Espérons-le !

    De notre point de vue, il est évident que la souffrance animale liée aux expérimentations scientifiques est un énième symptôme d’un monde malade, bouffé de l’intérieur par cette idéologie mortifère qu’incarnent le libéralisme et son corollaire l’idéologie du progrès. Il est vrai que l’exploitation animale a de tout temps existé, bien que dans des proportions variées. Hors nous atteignons ici le paroxysme de l’exploitation animale via sa chosification extrême, passant de « l’animal outil/animal objet positif » (les chevaux de trait par exemple) à « l’animal matière/sujet négatif » où son identité d’être vivant douée de sensibilité lui est niée. Au même titre que l’exploitation de la nature, via le productivisme et « l’agrobusiness » hors-sol (auquel nous devons opposer le localisme et la logique de circuit-court), la cause animale doit être au centre de notre vision du monde et défendue dans un cadre d’écologie profonde enracinée.

    Publier des slogans « Love animals/hate antifa » c’est bien gentil mais cela n’apporte rien. Commençons par bien nous occuper de nos animaux domestiques et d’éduquer nos enfants et la jeunesse en général. C’est aussi essayer d’utiliser les produits de marques qui ne pratiquent pas d’expérimentations animales (L’arbre Vert, Rainett, Lush), d’adapter son mode vie, de sensibiliser autour de soi, de soutenir et de militer bénévolement dans des associations comme celle de Brigitte Bardot, etc. La cause animale n’appartient à personne et surtout pas aux gauchistes en sarouel !

    Donatien / C.N.C

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/le-cercle-non-conforme/

  • Le nouveau livre du Dr Bernard Plouvier : Le devoir d'insurrection

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    Le devoir d’insurrection ou la réponse géopolitique à la tentation cosmopolite

    Servir est l’unique raison de vivre des meilleurs parmi les hommes et les femmes. Encore faut-il trouver une grande cause, un homme d’exception qui justifient ce dévouement de même essence que la foi religieuse. Cet idéal va de soi en Europe de nos jours. Il est, en effet, évident qu’aux Européens de notre siècle incombe un devoir : celui d’unifier les nations du continent, pour en faire un empire peuplé de citoyens tous issus de la race européenne, celle que les savants anglo-saxons nomment « caucasienne », sans que cela témoigne d’une quel­conque certitude quant à son origine géographique.

    Le devoir d'insurrection, Dr Bernard Plouvier , L'AEncre, février 2016, 346 pages.

    En vente par correspondance à Synthèse nationale 116, rue de Charenton 75012 Paris (33 € + 3 € de port - chèque à l'ordre de Synthèse nationale)

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  • La civilisation d'Ancien Régime et ses bienfaits :

    « Dieu établit les rois comme ses ministres et règne par eux sur les peuples. C'est pour cela que nous avons vu que le trône royal n'est pas le trône d'un homme, mais le trône de Dieu même. Le modèle pour le gouvernement monarchique est l'autorité paternelle, se trouve donc dans la nature même. Les rois de France se font sacrer à Reims, ce qui donne a leur pouvoir un caractère religieux. » (Bossuet, La politique tirée de l'Ecriture Sainte, 1679, Extrait du livre III.)

    Sous l’Ancien Régime les ‘‘deux tiers des enfants ne mouraient pas en bas âge, beaucoup, grâce à l’Eglise, savaient lire et écrire, et tous ne vivaient pas dans la crasse et l’absence de soins” Il faut se garder de caricaturer l’Ancien Régime, comme on le fait trop souvent, qui fut le cadre de vie de nos ancêtres pendant des siècles, et donc représente un élément respectable de notre patrimoine, avant que la terrible Révolution Française ne vienne détruire un ordre fondé sur la religion, la fidélité à l'égard des devoirs et les liens entre les générations, temps où les hommes n’étaient pas encore asservis aux durs impératifs de l’argent roi et de la société libérale , et où les quarante heures et les congés payés, obtenus lors des grèves 1936, auraient été regardés comme une épouvantable régression sociale auprès d’un peuple qui vivait au rythme lent des saisons et des nombreuses célébrations religieuses.

    C’est pourquoi il faut nécessairement sur ces sujets, se libérer rapidement des clichés distillés par les manuels d’histoire de la IIIe République ! La société de l’Ancien Régime, où, contrairement à ce qu’on a pu lire récemment, les ‘‘deux tiers des enfants ne mouraient pas en bas âge, où beaucoup, grâce à l’Eglise, savaient lire et écrire, et où tous ne vivaient pas dans la crasse et l’absence de soins”, semble à peu près aussi exotique à nos contemporains que celle de l’Antiquité classique ou de l’Amérique précolombienne. Il convient donc d’en finir avec une vision figée par les trois siècles qui nous en séparent, et la lecture idéologique du passé de la France qui a stérilisé les recherches des historiens. Heureusement, il n’en va plus ainsi de nos jours, où de nombreux travaux d’érudition ont fait bouger les choses, et ont montré que les conditions existentielles étaient bien plus douces que ce que la propagande républicaine n’a eu de cesse d’imposer aux esprits, nous faisant découvrir une société qui avait évidemment ses imperfections et ses limites comme tout système humain, mais néanmoins participait d’un ordre général de vie plutôt harmonieux et équilibré [1].

    Louis XVI, que les révolutionnaires traînèrent dans la boue, signa tous les recours en grâce et promulgua l'édit de tolérance du 17 novembre 1787 accordant l'état civil et un statut aux protestants. En effet, cet ordre, car s’en était un, était placé sous l’influence bénéfique de l’Église catholique tant décriée de nos jours, mais qui exerçait son ministère et rayonnait par son influence morale sur l’ensemble des populations, Église qui, comme l’écrit Alexis de Tocqueville :« n'avait rien de plus attaquable chez nous qu'ailleurs ; les vices et les abus qu'on y avait mêlés étaient au contraire moindres que dans la plupart des pays catholiques ; elle était infiniment plus tolérante qu'elle ne l'avait été jusque-là et qu'elle ne l'était encore chez d'autres peuples » .

    A notre époque où une majorité de français ne pratique plus de religion, il est difficile d’imaginer la société de jadis, totalement immergée dans la Foi. Que ce soit dans la vie quotidienne, ponctuée par les sonneries de cloches, les offices et fêtes religieux, ou dans les évènements marquants de l’existence (baptême, mariage, sépulture). Pour les chrétiens d'alors la vie sur terre n’était qu’un passage vers la vie éternelle et, pour mériter le Ciel, il fallait mettre un frein à ses mauvais instincts et racheter ses fautes. Du point de vue économique, le système seigneurial, hérité du Haut Moyen Age, était basé sur une répartition des tâches entre celui qui assurait la sécurité le seigneur, et ceux qui produisaient les richesses, paysans, artisans, etc. En revanche, ce qu’on ignore, c’est qu’il existait de très nombreux contre pouvoirs reconnus comme les Parlements, les Etats provinciaux, les coutumes, qui permettaient un équilibre qui s’avéra durable et sage, évitant les régime des opinions, sans oublier que Louis XVI, ce "tyran" comme le fit remarquer Patrick Ferner que les révolutionnaires traînaient dans la boue, a, en dix-neuf ans de règne, signa tous les recours en grâce qu'on lui soumettait, de sorte qu'aucun condamné à mort ne fut renvoyé à l'échafaud, supprima l'usage de la torture dans les interrogatoires et celui des corvées et promulgua l'édit de tolérance du 17 novembre 1787 accordant l'état civil et un statut aux protestants. »

    De la sorte, issus des idées républicaines, le socialisme marxiste et le libéralisme sont les deux face d’une même médaille matérialiste et athée qui fonde toute sa pensée sur une vision purement économique du monde et des hommes. Le libéralisme comme le socialisme manifestent un optimisme humaniste fallacieux, puisque la société n’évolue pas vers la réalisation du Royaume céleste, qui serait une éthique de la perfection humaine, mais est en prise avec des forces négatives qui tendent à un asservissement toujours plus important de l’esprit de l’homme. Comme le dira fort justement le cardinal Billot : « les principes du libéralisme et du socialisme sont absurdes, contre nature et chimériques » Ainsi que le rappelle nos amis du Christ-Roi : « Le libéralisme assujettit les peuples aux forces du marché, il gère la société sans aucune préoccupation religieuse, sociale, nationale et familiale, [les livrant] à la croissance continue de la production, il est une machine infernale condamnant la morale comme anti-économique. Exemple: le travail dominical. Bientôt, à quand le retour du travail des enfants? Quant à la gauche "socialiste" elle oppose à ce matérialisme des gouvernements qui développent la confiscation des activités politiques, économiques, éducatrices et sociales entre les mains d'une administration pléthorique, paralysante et parasite dont les militants mercenaires collaborateurs fournissent le personnel. »

    Les ouvriers de Caterpillar, qui survivent grâce aux antidépresseurs, nourris de TF1 et du journal du hard de Canal+, gavés de football, pourris par une nourriture malsaine et irradiée achetée à Carrefour, sont beaucoup plus aliénés que leurs parents et grands-parents ! Sous l’Ancien Régime, si la vie était parfois dure pour beaucoup de gens, car les rares sources d’énergie extérieures, les moulins et les animaux ou la production de richesses, reposaient uniquement sur le travail des hommes, néanmoins des réseaux de solidarité existaient et il n’y avait absolument pas de barrière étanche entre les catégories.

    Le paysan et l’artisan habile ou le commerçant entreprenant pouvaient s’enrichir et même acheter des seigneuries, voire pour certains, au bout de plusieurs générations, accéder à la noblesse. Ainsi la plupart des gens avaient certes peu de biens, mais les faisaient durer et s’entre aidaient à l’inverse de notre société contemporaine, que l’on considère comme plus riche mais qui est infiniment plus égoïste. Par ailleurs, de cette « société d’ordres » - et en aucun cas de classes ! comme l’explique Michel Vergé-Franceschi [2] qui a passé plus de trente ans à étudier la question, doit être observée sous un triple prisme : celui de la tradition (avec ses charges de grand veneur, grand louvetier, grand fauconnier, etc.) ; celui de l’innovation (avec par exemple ses chirurgiens, ses ingénieurs, ses officiers de marine), enfin celui de l’ouverture, car, sous Louis XIV, et contrairement aux idées reçues, un fils de pêcheur illettré pouvait devenir officier général (Jean Bart), le descendant de simples artisans champenois ministre (Colbert), et le rejeton de grenetiers au grenier à sel chanceliers de France et gardes des Sceaux (les d’Aligre père et fils).

    Pour reposer sur des fondements radicalement différents de ceux que nous connaissons, la société française d’Ancien Régime a ainsi été une société ouverte, capable de faire progresser dans l’échelle sociale les plus méritants. Enfin, et du point de vue des conditions de vie, on sait peu, par exemple, que la seule industrie chimique signalée par Delamare avant la Révolution est celle des feux d’artifices, dont les établissements devaient, depuis la fin du XVIe siècle, être éloignés des villes pour des raisons de sécurité. Ce fut la première industrie dénoncée comme dangereuse. Et c’est à la faveur de la Révolution et du libéralisme déréglementé envoyant les femmes et les enfants dans les bagnes industriels, y compris la nuit, que l’industrie chimique polluante bientôt s’implanta en France. Ce seront d’abord les nitrières qui produiront du salpêtre et de l’acide nitrique.

    Ce seront surtout ensuite les soudières, qui produiront de la soude, puis de multiples produits chimiques extrêmement toxiques. Si l’eau de Javel, cette dissolution de soude inventée par Berthollet, n’est plus fabriquée à Paris sur le quai de Javel, en revanche de nombreuses soudières de cette époque ont défini l’implantation d’industries chimiques qui sont toujours en activité, et dont les nuisances seront signalées dès la première moitié du XIXe siècle et vont considérablement aggraver les conditions de santé publique, et donc la mortalité des populations. Saint Vincent de Paul fut l’ un des plus grands représentants de l’action sociale chrétienne en France au XVIIe siècle, fondateur des Lazaristes en 1625, puis les Filles de la Charité en 1634.

    La Doctrine sociale de l’Eglise, [3] qui prendra fait et cause pour une population enchaînée à des conditions de travail inacceptables, continue donc toujours à s’élever logiquement contre les horreurs du libéralisme moderne, non par des injonctions tirées d’encycliques vieilles de plus de cent ans, mais par des analyses fondées sur l’observation des faits actuels, comme l’a déclaré Benoît XVI récemment dans son discours aux Invalides parlant des biens matériels et de l’argent comme « des idoles à fuir, des mirages de la pensée ! »

    C’est pourquoi, c’est parler dans le vide, comme d’habitude, selon des mécanismes structurels de sociologue, sachant très bien ce qu’est l’existence effective d’amis, de parents, de voisins, mais préférant se masquer les faits pour ne pas entamer les dogmes de leur idéologie libérale, attitude coranique et musulmane s’il en est, manifestant une incapacité à jauger le monde avec une autre mesure que celle de critères matériels, et surtout regardant la promotion consumériste de l’individu uniquement comme un progrès, alors qu’elle possède un risque majeur, comme a pu le dire Dufour, à savoir que « L’individualisme issu des Lumières s’est entre-temps retourné en son avatar postmoderne : le « troupeau schizoïde « égo-grégaire », qui, en plus de ses tares, est aussi consumériste, procédurier, ignorant et fier de l’être, constituant par là même une grave menace pour la poursuite du procès civilisateur. L’effondrement de la transcendance au 18ème siècle ayant aussitôt fait place à une nouvelle religion, celle du Marché, qui enclencha un processus de désintégration et d’aliénation de l’homme » [4], que de ne pas vouloir admettre, comme le font les partisans du libéralisme, que l’aliénation des hommes de notre temps est directement liée à l’amélioration relative de leur niveau de vie qui, si elle a produit une certaine abondance fragile des besoins immédiats, en a créé des milliers d’autres purement factices, proprement illusoires et inutiles, et a surtout détruit toute trace de religion transformant leur vie en une morne tristesse lassante et déprimante, pour tout dire « déréalisante », virtuelle et mortifère, constatant toute leur incapacité, dans le contexte matériel qui est le leur, à donner, un sens à leurs existences, et leur impossibilité, faute d’une société dévorée par l’argent et la perte radicale du sacré, de mettre leur confort matériel au service des valeurs familiales, de la charité bien ordonnée, et du salut de leur âme.

    Ceci explique donc pourquoi aujourd’hui, effectivement, les ouvriers de Caterpillar, et des autres secteurs de l’économie devenue folle, dénués de tout sens existentiel, qui survivent grâce aux antidépresseurs, nourris de TF1 et du journal du hard de Canal+, gavés de football, pourris par une nourriture malsaine et irradiée achetée à Carrefour, sont beaucoup plus aliénés que leurs parents et grands-parents qui bénéficiaient de 80 jours chômés avant la Révolution française sans compter les fêtes locales, qui avaient un mode de vie non soumis aux cadences infernales, entourés de leurs femmes et leurs enfants, baignant dans un environnement ponctué par les cérémonies de l’Eglise et orienté vers la vie de l’âme, mourrant au terme de leurs jours, heureux de rejoindre le Ciel en paix avec leur cœur.

    Notes

    [1] S. Leroux, L'Ancien Régime et la Révolution de la morale naturelle à la morale républicaine (1750-1799). Paris I, 11.01.1992 . On apprend dans cet ouvrage qu’en 1789, le royaume de France est le pays le plus peuplé d'Europe avec 28 millions d'habitants. La population se concentre dans le quart nord-ouest essentiellement, près du littoral du fait d'un important développement du commerce au cours du XVIIIºs, et dans la région lyonnaise. La population est à 80% rurale, malgré la poussée urbaine qui marque tout le XVIIIºs. En effet, les villes ont vu leur population augmenter de 45% ; désormais, le royaume de France possède 4.5 millions de citadins. Entre 1740 et 1789, le taux de mortalité est passé de 40 à 35,5/1000. Cette baisse est due pour l'essentiel à une chute de la mortalité adulte (moins de guerre, moins d'épidémie, moins de mauvaises récoltes). L'accroissement naturel au XVIIIe siècle est donc important. Mieux nourrie, mieux protégée contre les maladies, la population est plus robuste et peut mieux mettre en valeur les sols, permettant ainsi le progrès économique. Les paysans possèdent une culture orale très vivante. Les classes moyennes sont constituées par les artisans et les petits commerçants. Leur travail s'organise dans le cadre des corporations qui regroupent les gens travaillant dans un même corps de métier. En 1789, le royaume de France compte 22 à 23 millions de ruraux qui représentent 85% de la population totale (petite noblesse, bas clergé, artisans et bourgeoisie rurale inclus). Les paysans représentent à eux seuls 65% de la population, soit plus ou moins 16 millions d'habitants. 95% de ces paysans sont libres. Le cadre de la vie quotidienne du paysan au XVIIIºs c'est avant tout sa famille, une famille patriarcale ou toutes les familles d'un village font partie de la communauté villageoise qui se confond avec la paroisse, l'unité de base de la vie religieuse. La vie du village (rotation des cultures, entretien des chemins, nomination du maître d'école, du garde-champêtre, du collecteur d'impôts...) est règlementée par des assemblées de village dominées par les notables ruraux, élus comme "consuls" pour un an. Le cadre de vie du paysan est donc constitué par sa famille, sa communauté villageoise, sa paroisse et sa seigneurie. Il ignore complètement les limites des circonscriptions administratives (gouvernement, intendance), judiciaires (baillages et sénéchaussées), fiscales (les généralités qui se divisaient en "pays d'élections" administrés par des élus, et en "pays d'Etats" administrés par des représentants des trois états et en "pays d'imposition", territoires conquis au XVIIIºs. et qui conservaient leur système fiscal). L'augmentation de la production agricole a pratiquement fait disparaître les famines. L'amélioration du réseau routier a permis un meilleur ravitaillement. Le faible nombre de guerres et d'épidémies, en comparaison avec les siècles précédents, a permis la croissance démographique. Enfin, du fait d'un plus grand nombre d'écoles rurales, l'analphabétisme est en voie d’être résorbé.

    [2] Michel Vergé-Franceschi, La Société française au XVIIe siècle, Fayard, 2006, et Nouvelle vision de l’Ancien Régime : tradition, innovation et ouverture : complexité et grandeur de la société du XVII ème siècle .

    [3] D.R., Dufour, Le divin marché. La révolution culturelle libérale, éd. Denoël, 2007.

    [4] La « Doctrine sociale de l’Eglise, n’est pas une invention du XIXe siècle. Elle est inscrite au cœur même de l’Evangile et des premiers temps de l’Eglise. Pourquoi ? Car dès les premiers temps du christianisme, l’amour du prochain a été considéré comme l’un des principaux messages de la Révélation. C’est ainsi que la charité est considérée comme l’une des trois vertus théologales, et même la plus élevée des trois selon saint Paul comme le rappellera Benoît XVI dans son encyclique “Deus Caritas est”. Ce qui a des conséquences directes et concrètes sur le plan économique, à savoir que l’on ne peut séparer sous aucun prétexte la morale du domaine de l’argent et de l’activité monétaire et financière. Si les grandes encycliques des derniers papes : Rerum Novarum, Mater et Magistra, Populorum progressio, Laborem Exercens, Sollicitudo rei socialis et Centesimus Annus ont toutes abordé la doctrine sociale de l’Église car elle est fondamentale sur le plan théologique, n’oublions pas qu’un des plus grands représentants de l’action sociale chrétienne en France, fut saint Vincent de Paul au XVIIe siècle qui, non pour répondre aux questions posées par le socialisme ou le marxisme ! mais, comme toujours dans l’esprit chrétien, à la situation des populations, après avoir aidé dès son plus jeune âge les plus démunis, fonda les Lazaristes en 1625, puis les Filles de la Charité en 1634.

    Hadrien

    http://www.royalismesocial.com/index.php?option=com_content&view=article&id=255:la-civilisation-dancien-regime-et-ses-bienfaits-&catid=56:lancien-regime&Itemid=85