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culture et histoire - Page 1264

  • Discussions sur la politique française et la liberté d’expression avec Maître Bonneau et Yvan Benedetti


    Discussions sur la politique française et la… par LaPravdaCH

    Joseph Navratil s’est entretenu pour LaPravda.ch avec Maître Pierre-Marie Bonneau et Yvan Benedetti lors de leur passage à Genève au sujet notamment des « interdits internet », la loi Fabius-Gayssot, la persécution des mouvements nationalistes et l’affaire dite « du détail » de JMLP.

    http://www.altermedia.info/france-belgique/

  • La fondation du pouvoir selon Hannah Arendt

    Initium ergo ut esset, creatus est homo, ante quem nullus fuit.

    Pour qu’il y eût un commencement fut créé l’homme, avant qui il n’y avait personne.

    Saint Augustin cité par Arendt (1)

    L’admirable préface de La Crise de la culture n’est pas seulement une somptueuse ouverture aux huit « exercices de pensée politique » qui, « comme dans une suite musicale, sont écrits dans le même ton ou dans des tons relatifs », elle est beaucoup plus profondément dévoilement de l’unité de la vie, de l’œuvre, et de l’action de Hannah Arendt. La vie : celle d’une juive allemande confrontée au nazisme ; l’œuvre : celle d’une philosophe qui sait que « dans ce creux entre passé et futur, on trouve sa place quand on pense » (VE, t. 1, p. 234) (2) ; l’action : penser permet de juger l’événement, rend « apte à distinguer le bien du mal, le beau du laid. Aptitude qui, aux rares moments où l’enjeu est connu, peut très bien détourner les catastrophes… » (ibid., p. 219). Ne dissociant jamais la question de savoir “qui” est l’homme de sa relation aux autres telle qu’elle apparaît dans l’action, la pensée philosophique de Arendt est naturellement aussi philosophie politique. C’est pourquoi la question du pouvoir est au centre de sa réflexion. Quelle fondation lui donner ? L’enjeu de la question est bien celui de notre capacité à instituer un pouvoir durable.

    Si l’on veut esquisser la réponse de Arendt, il sera tout d’abord nécessaire de rappeler brièvement ses analyses du système totalitaire, ce régime politique à proprement parler im-monde, et qui constitue le thème du troisième volume du Totalitarisme (1951). Par opposition, le rappel rapide du livre majeur de Arendt, La Condition de l’homme moderne, nous donnera le moyen de saisir le lien entre la notion anthropologique d’action et la notion politique de pouvoir. L’élucidation des concepts de pouvoir, de puissance, de force, de violence permettra alors de prendre la mesure de l’originalité de la conception que Arendt se fait du pouvoir, et de saisir ce qui peut assurer le fondement ou la fondation de celui-ci.

    I — De l’homme totalitaire à l’homme d’action

    En quoi consiste donc le système totalitaire ? C’est une spécificité, hélas, de notre siècle. On ne peut le confondre en effet avec le régime tyrannique, bien connu depuis les analyses de Platon (Gorgias, La République). Contrairement à la tyrannie “vulgaire” qui concentre ses efforts sur le domaine politique, la domination totalitaire pénètre et contrôle le domaine privé et le domaine social. On peut dire que. comparée au totalitarisme dans les mains du Führer ou du Secrétaire du Parti, la tyrannie est dans celles du tyran comme un « canif pour enfant en compétition avec des armes atomiques ».

    ◊ 1. “L’homme totalitaire”

    Le système totalitaire dégage bien les traits de ce régime, tant dans sa version nazie que dans sa version stalinienne : 1) une idéologie officielle, imposant littéralement une logique des idées telle que le monde se plie effectivement à ses déductions, sachant déjà que « les idéologies modernes… sont beaucoup mieux adaptées pour immuniser l’âme de l’homme contre le contact choquant de la réalité qu’aucune religion traditionnelle connue » (CC, L’autorité, p. 176) ; 2) un parti unique de masse dirigé par le Führer ou le Secrétaire du Parti ; 3) une terreur que la police politique se charge de faire régner en la dirigeant non plus contre les adversaires réels ou possibles du régime, mais contre des couches sociales entières, avec pour destination le camp de concentration ou le goulag ; 4) l’atomisation de la société et l’isolement de chaque individu par la destruction de toutes les structures traditionnelles (famille, Église…), la mise au pas dès l’enfance de la population et le quadrillage de la vie sociale ; 5) la prise en main totale de l’information et des media.

    Quel type d’homme produit le régime totalitaire ? Le terme produit l’indique clairement : “l’homme totalitaire” est littéralement un produit fini : “L’homme totalitaire” ne pense pas. Le procès d’Eichmann à Jérusalem permet de vérifier cette assertion : « l’effrayante, l’indicible, l’impensable banalité du mal “vient du” manque de pensée » (VE, t. 1, La pensée, PUF, p. 19). Eichmann ne manquait pas de puissance cérébrale : ni de puissance de calculer, ni de puissance de connaître (cf. VE, t. 1, p. 74). Il était tout bêtement incapable de penser, de poser la question du sens de ses actions et de juger leur valeur. Ainsi “l’homme totalitaire” ne pense pas. De plus, il n’agit pas.

    ◊ 2. L’homme d’action

    Qu’est-ce en effet qu’agir ? Il est nécessaire, pour répondre à cette question, d’évoquer plus longuement les analyses de La Condition de l’homme moderne. Après le travail et l’œuvre Arendt y fait l’analyse de l’action, la dernière des activités de la vita activa, expression par laquelle elle désigne les trois activités fondamentales qui dépendent des conditions spécifiques de la vie de l’homme sur terre. Le travail est l’activité qui « correspond à sa condition d’être vivant (animal laborans), soumis aux processus biologiques du corps ». L’œuvre est l’activité de fabrication par laquelle l’homme produit (homo faber) des objets durables manifestant ainsi sa condition d’appartenance au monde, « cet espace que j’habite et qui doit présenter un visage décent ». L’action est la seule activité « qui mette directement en rapport les hommes, sans intermédiaire des objets ni de la matière ». Elle est « conditionnée par le fait de lapluralité humaine, par le fait que vivre veut toujours dire vivre parmi les hommes, parmi ceux qui sont mes égaux » (in : Études phénoménologiques n° 2, p. 21-22).

    Agir permet à l’homme de manifester sa capacité à entreprendre (grec archeïn, latin agere) une action publique, rendant visible sa condition d’être politique, c’est-à-dire d’être libre. « La raison d’être de la politique est la liberté, et son champ d’expérience est l’action » (CC, La liberté, p. 190). La liberté en effet n’est pas d’abord le libre arbitre, attribut de la volonté et de la pensée caractérisant l’intériorité du sujet ; c’est avant tout la qualité de l’homme qui agit, qui prend une initiative surprenante et à ce titre imprévisible, puisqu’elle interrompt le cours naturel des choses. Ainsi l’initiative de René Char d’entrer dans la Résistance, action qui surprend même celui qui l’entreprend : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament ». L’action est une in-novation qui intéresse les égaux — au sens originel du verbe inter-esse — qui met en jeu l’être, le sens du vivre-ensemble, et au sens moderne du mot intéressant : bon pource vivre-ensemble. Cette initiative les confirme comme égaux, puisqu’ils sont également capables de s’étonner, d’admirer, de goûter l’excellence — ce que les Grecs nommaient arétè — d’un tel acte qui scelle leur cohésion : « À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir ».

    Comment donc un système qui fait régner la terreur, qui atomise les individus, qui conduit ses exécutants à se considérer comme de simples fonctionnaires méticuleux faisant du mal une banalité toute ordinaire, qui supprime l’espace public, pourrait-il permettre à l’homme d’agir ? L’« homme totalitaire » n’agit donc pas : il ne peut innover.

    Précisément, c’est cette notion d’innovation, de nouveauté, et conséquemment d’imprévisibilité qui relie le concept anthropologique d’action et le concept politique de pouvoir.

    II – De la définition du pouvoir à sa fondation

    ◊ 1. Définition du pouvoir

    L’action du penseur, sa contribution à l’institution du pouvoir, c’est d’abord de le bien définir. Le totalitarisme ne peut tuer la pensée qu’en s’emparant de la langue, comme le notait G. Orwell dans 1984 : « C’est une belle chose, la destruction des mots ». Arendt répond : « Seule demeure la langue maternelle ». Si nous voulons établir donc un pouvoir juste, il faut commencer par définir les mots avec justesse. Arendt écrit ainsi : « utiliser les mots “pouvoir”, “puissance”, “force”, “autorité”… comme s’il s’agissait simplement de synonymes, non seulement dénote une certaine insensibilité à leur signification linguistique, ce qui paraît assez grave, mais témoigne en outre d’une ignorance regrettable des réalités auxquelles ce langage se réfère » (Du mensonge à la violence, Calmann-Lévy, Agora, p. 143).

    Quelle analyse Arendt fait-elle du concept de pouvoir ? La conception la plus habituelle du pouvoir le caractérise comme commandement. Pour Max Weber le pouvoir est présent chaque fois que je puis avoir la chance de « faire prévaloir ma volonté sur la résistance d’autrui » (MV, p. 136). Mais concevoir pareillement le pouvoir en termes de rapport de forces, n’est-ce pas risquer de le confondre avec la force elle-même, sinon avec la violence, donnant raison à l’opinion ? Ainsi « le langage courant utilise la force comme synonyme de violence, particulièrement quand la violence est utilisée comme moyen de contrainte » note Arendt (MV, p. 145). Se distinguant par « son caractère instrumental » (ibid., p. 146), la violence serait ainsi « le pouvoir du gouvernement » (ibid., p. 147). Max Weber ne définit-il pas l’État comme « un rapport de domination de l’homme sur l’homme fondé sur le moyen de la violence légitime » ? Ce risque de confusion est pour Arendt révélateur d’une tradition de pensée qui conçoit les règles définissant le jeu politique comme imposées. Or, si le pouvoir est assimilé à la domination de l’homme sur l’homme, c’est parce que plus profondément la liberté politique est assimilée à la souveraineté. Et Arendt de remarquer que cette « assimilation a toujours été admise sans discussion par la pensée politique comme par la philosophie » (CHM,L’action, p. 299). Autrement dit, la pensée de Arendt va à l’encontre de toute cette tradition de pensée qui, de Platon à Rousseau en passant par Hobbes, dénie à tout homme sa capacité d’agir : « S’il était vrai que la souveraineté et la liberté sont identiques, alors bien certainement aucun homme ne serait libre, car la souveraineté, idéal de domination et d’intransigeante autonomie, contredit la condition même de pluralité. Aucun homme n’est souverain, car la terre n’est pas habitée par un homme, mais par les hommes : et non pas, comme le soutient la tradition depuis Platon, en raison de la force limitée de l’homme qui le fait dépendre de l’assistance d’autrui » (CHM, p. 299).

    Quelle alternative Arendt propose-t-elle à cette conception du pouvoir-domination ? Le pouvoir qui autorise l’action de chacun et suscite le consentement : « le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé » (MV, p. 144). Dès lors, il est ce qui consacre la cohésion de la pluralité, faisant apparaître son vivre-ensemble public, son espace politique, « cet espace potentiel d’apparence entre les hommes agissant et parlant » (CHM, p. 260). Le pouvoir manifeste la puissance — littéralement cette potentialité (dynamis, potentia, Macht) —, de la pluralité, libérant éventuellement la force définie comme « énergie qui se libère au cours de mouvements physiques ou sociaux » (ibid.). Comme l’écrit P. Ricœur (intr. CHM, p. 26) « le pouvoir est le modèle d’une activité qui ne laisse aucune œuvre derrière elle et épuise sa signification dans son propre exercice ». On voit donc bien à quoi s’oppose le pouvoir ainsi défini : il s’oppose à la violence, qui peut être le fait d’un seul et s’exercer de façon instrumentale. La violence est le pouvoir du faible. Ce n’est pas le pouvoir qui corrompt, c’est son absence.

    Reste à savoir si le pouvoir tel que le définit Arendt peut avoir lieu, s’il n’est pas littéralement utopique. Ce qui fait sa force (la spontanéité imprévisible et tout aussi fugace de l’action, la logique du consentement) est ce qui aussi fait sa faiblesse (sa fragilité, le poids de l’opinion). Le pouvoir-consentement serait-il une idée subvertissant toute institution du pouvoir, ne donnant naissance au mieux qu’à une révolte épisodique, incapable de prendre la forme juridique de l’institution (désobéissance civile, révolte étudiante…) ? Arendt n’est-elle pas conduite épistémologiquement à fonder ce pouvoir-consentement sur l’opinion, au risque de sacrifier l’idée même de théorie politique ? N’est-elle pas conduite à ne pouvoir proposer d’autre fondation au pouvoir qu’une civitas romaine mâtinée d’isonomie grecque, nostalgie de l’autorité d’une tradition révolue ?

    ◊ 2. Fondement et fondation du pouvoir

    — L’opinion comme fondement ? « Tout gouvernement repose sur l’opinion ». Cette affirmation de James Madison, un des rédacteurs de la Constitution américaine, revient plusieurs fois sous la plume de Arendt, dans Sur la violence (MV, p. 141) et Vérité politique (CC, p. 296, où elle est précédée de cette autre : « L’opinion, et non la vérité, est une des bases indispensables de tout pouvoir »). Comment interpréter ces affirmations ? Arendt sacrifierait-elle le discours critique sur la politique, sans lequel il n’est pas de théorie politique, au discours pratique du politique, comme on serait tenté de le faire (cf. la critique de Habermas) ? Indiquerait-elle simplement par là que le mode d’argumentation propre à la pratique politique relève bien de la rhétorique, se situant dans le droit fil de l’analyse aristotélicienne ? C’est là l’interprétation de Ricœur : « Argumenterait-on en politique si on disposait d’un savoir intellectuellement contraignant ? » (Pouvoir et violence, in : Lecture 1, Seuil, p. 34) ? Cette dernière interprétation semble bien confirmée par la démarche générale de Arendt : la seule garantie pour la correction réciproque de nos pensées tient à ce que « nous pensons pour ainsi dire en communauté avec les autres, à qui nous communiquons nos pensées comme ils nous communiquent les leurs » (Kant, cité in CC, p. 299) ; Vérité et politique affirme encore plus nettement : « la discussion constitue l’essence même de la vie politique » (CC, p. 307). Arendt dénonce constamment la tentation de Platon de transformer les Idées en instruments de mesure, l’action politique en production artisanale, l’idéalisme politique faisant ainsi bon ménage avec l’artificialisme. C’est donc à une politique du sens commun, à une élucidation du jugement politique comme « un mode de penser élargi » dérivé de la Critique du jugement de Kant (§ 40) que Arendt en appelle : discuter en commun du bien-vivre, n’est-ce pas permettre à la liberté d’avoir lieu ? Si l’opinion intervient bien dans la pratique politique, elle n’est donc pas pour autant le fondement d’une théorie du pouvoir. L’opinion ne tient pas lieu de pensée ; par contre l’expression publique de son “opinion” est la garantie la plus sûre de la liberté de penser. Et penser libère “le plus politique” de nos pouvoirs mentaux, la faculté de juger.

    — L’autorité comme fondation ? On connaît les longues et belles analyses conduites par Arendt (CC, p. 121…) pour élucider ce concept d’autorité, repris à son origine. L’autorité est une idée romaine, incarnée par la trinité religion-tradition-autorité. En découle l’idée du caractère sacré de la fondation : « Le mot auctoritas dérive du verbe augere, “augmenter”, et ce que l’autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment, c’est la fondation » (CC, p. 160). Les Romains ont vécu une expérience politique de la fondation, mais leur expérience a été perdue. Les Grecs ont voulu légitimer philosophiquement le pouvoir, mais n’y ont pas réussi. En quoi l’idée d’autorité peut-elle apporter au pouvoir cette fondation qui lui fait défaut ? Précisément, en assurant à ce pouvoir imprévisible, fragile et fugace cette expérience durable dont il manque. C’est pourquoi toute ré-volution est obsédée par « l’énigme de la fondation » (VE, t. 2, p. 245). Identifiant hélas fondation et fabrication, Machiavel et Robespierre ont confondu pouvoir et violence. La révolution américaine, elle, n’a pas fait cette confusion. Les pères fondateurs « ont fondé sans violence et à l’aide d’une constitution un corps politique complètement nouveau » (CC, p. 183 ; cf. aussi l’Essai sur la Révolution). L’autorité augmentant ainsi le pouvoir, celui-ci peut non seulement avoir lieu mais durer.

    Ce que cherche Arendt dans la fondation du pouvoir par l’autorité n’est pas le retour nostalgique à un passé révolu : elle cherche au contraire, comme l’écrit profondément Ricœur (op. cit., p. 42), à relier « l’oublié de ce que nous sommes du seul fait d’agir ensemble — fût-ce sur le mode polémique — et l’oublié de ce que nous avons été par la force d’une fondation antérieure toujours présumée et peut-être à jamais introuvable… »

    « Le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé. » Faulkner (cité par Arendt, préf. CC, p. 21)

    Contre l’homme totalitaire, Arendt affirme la capacité d’innovation accordée à tout homme du fait de sa naissance ; contre le pouvoir-domination, elle pense le pouvoir-innovation, augmentant le vivre-ensemble de la pluralité. Pour préserver la capacité d’innovation, « ce qui est neuf et révolutionnaire dans chaque enfant, il faut une éducation conservatrice » (CC, p. 247) ; pour inscrire le pouvoir-innovation dans la durée, il faut le fonder sur la « tradition de l’autorité ». La pensée paradoxale de Hannah Arendt est toujours intempestive : l’espace de pensée qu’elle ouvre au cœur du temps invite chacun à commencer d’y tracer son propre sentier.

    ► Jean Bezel, in : Analyses & Réflexions sur le pouvoir, ouvrage coll., ellipses, 1994.

    Notes :

    1. in : La Condition de l’homme de moderne, Calmann-Lévy, Agora, 1958, p. 233.

    2. Dans la suite de cet cet article, on trouvera on trouvera les abréviations suivantes : CC pour La Crise de la culture ; CHM pour La Condition de l’homme moderne ; : MV pour Du mensonge à la violence ; VE pour La Vie de l’esprit.

    http://www.archiveseroe.eu/recent/9

  • Vous avez dit révisionnisme historique ?

    Un brillant médiéviste, Jacques Heers, a soutenu, sans encourir de poursuite judiciaire, que l’ensemble de l’historiographie du Moyen Âge n’était qu’imposture. Un universitaire juif d’Italie, mort en 1996, Renzo de Felice, a très justement écrit : « Par nature, le travail de l’historien est révisionniste, dans la mesure où son travail s’appuie sur ce qui a été mis à jour par ses prédécesseurs et cherche à corriger, approfondir et clarifier sa reconstitution des faits », du moins lorsque l’écrivain d’histoire fait œuvre innovante au lieu de se contenter de copier ses petits camarades ou de répercuter la propagande du clan des maîtres du Pouvoir ou des gagnants d’une guerre.

    Après tout, il a fallu dix-neuf siècles pour que le petit monde des historiens de l’Antiquité se rende compte que Néron avait été un fort bon Princeps senatus (si l’on préfère : « empereur romain ») et que, s’il avait eu un comportement privé d’histrion débauché comme un vulgaire Président de la Ve République française, il n’avait pas plus bouté le feu à quelques quartiers de Rome qu’il n’avait ordonné de tuer des chrétiens… de pieux faussaires avaient, au IVe siècle, caviardé d’antiques manuscrits et la crédulité des historiens avait fait le reste.

    Sur les points très précis des attendus du jugement du premier des treize procès infligés à Nuremberg par les vainqueurs alliés aux vaincus allemands (le Tribunal Militaire dit International, alors qu’il aurait fallu le qualifier d’Interallié, pour signifier que les vainqueurs s’étaient arrogés le droit de juger les vaincus, étant à la fois juges et parties prenantes des procès) et du génocide juif (rebaptisé Shoah en hébreu), la critique du fond et de la forme est devenue légalement condamnable, sur le territoire français, en vertu de la loi du 13 juillet 1990, votée par les valeureux députés – en dépit de l’avis plusieurs fois exprimés par les sénateurs - à l’initiative du communiste Jean-Claude Gayssot, loi « consolidée », c’est-à-dire renforcée dans sa puissance répressive, les 24 février 2004 et 7 août 2009.

    Il est piquant de constater que c’est à un membre du Parti Communiste que l’on a soufflé l’idée de cette loi qui ramène la France aux bons temps de l’Inquisition et apparente la Ve République à l’URSS du bon Joseph Dougashvili, dit ‘’Staline’’. La Loi Gayssot ose, en effet, imposer une « vérité historique » estampillée d’État, ce qui est le propre du totalitarisme, qu’il soit d’origine religieux ou politique. On aurait pu penser que cette législation d’exception, authentique honte d’un État dit démocratique, disparaîtrait vite, par l’effet d’un refus indigné des magistrats d’en user. Que nenni ! Elle fut largement appliquée par des juges aux connaissances historiques parfois hésitantes, mais au carriérisme impeccable. Bien plus, elle fut imitée presque partout dans l’Union Européenne, tant il est vrai que la France demeure la « terre des lois », si elle n’est plus – et depuis longtemps – celle des arts ni des armes.

    En Allemagne, fédérale puis réunifiée, la modification de l’article 130 du Code pénal, en date du 1er décembre 1994 (et son renforcement, en matière de puissance répressive, le 11 mars 2005), a réalisé une authentique codification de l’écriture historique pour les années 1933-1945. Rien que pour la période 1994-2003, l’on a instruit en RFA, puis en République Allemande, 90 395 procès pour « délit de propagande sur fond d’extrémisme de droite ». De tels chiffres évoquent les grandes heures de la RDA communiste. 

    Il existe une législation « antirévisionniste », au titre de « l’antiracisme » (comme si les deux phénomènes, le révisionnisme historique et le racisme, étaient indissociables), en Autriche depuis 1992, en Suisse depuis 1994, en Belgique depuis 1995, en Espagne depuis 1996, etc. Et la censure s’est, bien sûr, étendue (avec un succès mitigé pour des raisons techniques évidentes) au Net. Bienheureux sont les libres citoyens des USA, protégés par le 1er Amendement de leur Constitution, voté par les Congressmen en 1791 : « Le Congrès ne fera aucune loi… qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse ».

    Voltaire était-il trop optimiste lorsqu’il écrivait : « Un temps viendra où les haines seront éteintes, alors la vérité restera seule » ? Plus probablement, en ces temps futurs, et peut-être mythiques, où l’objectivité serait enfin vénérée, les narrateurs pourraient écrire, en toute liberté, ce qui se rapproche le plus de l’insaisissable vérité historique… du moins, peut-on l’espérer.

    Docteur Bernard Plouvier

    http://www.voxnr.com/cc/di_varia/EuuVVyAlpkPcivezXF.shtml

  • Maurice Bardèche : « Comprendre le fascisme »

    Je n’aime pas la politique. Si vous pensez que le fascisme consiste à faire défiler des garçons bottés en chemises brunes ou noires, dites-vous que ce n’est pas ma définition du fascisme. J’ai défendu les fascistes, c’est tout différent : parce que j’ai connu des fascistes et parce que je déteste le mensonge. J’ai protesté contre une falsification des faits et contre une entreprise de dénaturation des âmes et de confiscation des volontés, fondée sur cette falsification. Je reste convaincu que j’avais raison.
    On nous a menti et on continue à nous mentir : parce que ce mensonge est indispensable aux politiciens en place. Mais ce mensonge s’effrite aujourd’hui, il s’effondrera demain. On finira par regarder les expériences fascistes comme des expériences politiques qui ont été obérées et défigurées par les nécessités dramatiques de la guerre, mais qui ont pour caractère essentiel l’exaltation de certaines valeurs morales : le courage, l’énergie, la discipline, la responsabilité, la conscience professionnelle, la solidarité, dont la disparition est le drame des sociétés qui ont suivi. Etre fasciste aujourd’hui, c’est souhaiter que ces mots aient un sens pour les peuples.

    […] Avant de détester le fascisme, il faudrait essayer de le comprendre. Le fascisme est né, historiquement, de la colère des anciens combattants contre les politiciens. Mais il a été, plus profondément, une opposition spontanée contre la démoralisation de la guerre et de l’après-guerre qui accompagna la transformation d’une société rurale stable, économe, patiente, courageuse, attachée à l’honnêteté et au civisme, en une société de salariés ayant pour horizon l’augmentation des salaires, pour guide l’idéologie, pour instrument la politique.

    Les mouvements fascistes sont nés d’une réaction contre cette dénaturation des peuples. Cette réaction eut partout le même point d’appui. Dans leur désarroi, ceux qui refusaient ce monde nouveau de l’après-guerre se sont reportés à une image-type de la grandeur passée de leur peuple, pour l’Italie celle des légions de Rome, pour l’Allemagne celle des Germains d’Arminius qui avaient vaincu l’armée du consul Varus, pour la Roumanie ou la Hongrie celle de leurs paysans combattants, pour l’Espagne l’image de l’honneur castillan : non pas une idéologie, mais un modèle moral, celui qui incarnait le mieux ce qu’ils étaient ou ce qu’ils avaient voulu être dans les tranchées où ils s’étaient battus.

    En détruisant, après la Seconde Guerre Mondiale, cette renaissance de la conscience nationale sous prétexte d’anéantir l’idéologie raciste, on a détruit une solution politique originale qui permettait à la fois de briser les idéologies destructrices de l’unité nationale et les excès du capitalisme sauvage.

    Or, le racisme constitué en idéologie ne fait pas partie de la définition du fascisme ni même de la définition du national-socialisme. Comme les autres idéologies, il part d’une idée juste qui a été outrée et déformée en devenant un système. Ses excès ont été les excès auxquels aboutit toute pensée systématique.
    En réalité, les régimes fascistes n’ont pas été des régimes de contrainte pour les individus. Ils ont généralement respecté les libertés individuelles et n’ont réprimé que le sabotage, le parasitisme et la spéculation. En revanche, ils ont assuré aux peuples la plus précieuse des libertés, celle d’être eux-mêmes et non pas ce qu’on a décidé qu’ils sont : liberté que nous ne connaissons plus.

    […] Les régimes fascistes ont été ou ont essayé d’être des régimes de solidarité et de justice sociale, qui ont été ensuite déformés par les contraintes de la guerre. Tout régime de solidarité et de justice sociale exige un Etat fort : mais un Etat fort n’a pas besoin d’idéologie : il a besoin seulement de bon sens et de générosité.
    Je ne crois pas à l’histoire des régimes fascistes et de la Seconde Guerre Mondiale telle qu’on la présente aujourd’hui. Cette histoire n’est pas encore faite : et ce qui en a été fait, on nous le cache. Le dossier des falsifications est copieux : il porte sur les faits, les documents, les omissions. Je laisse à chacun la tâche d’en dresser ce qu’on aperçoit, dès maintenant, de ce catalogue. Tout homme qui réfléchit devrait prendre conscience de nos illusions : nous broutons comme des bêtes sans raison le mensonge de notre victoire, le mensonge de la Résistance, le mensonge de notre liberté. Ces mensonges ont nourri des idéologies d’autodestruction, l’antiracisme, la lutte des classes. Et cette nourriture frelatée est le secret de notre impuissance.

    Très bientôt, dans vingt ans, dans dix ans peut-être, l’Europe devra lutter pour sa survie. Cette bataille suprême exigera des régimes forts, des gouvernements de salut public. Elle ne pourra être conduite que dans le dépérissement des idéologies et par le recours aux qualités viriles que je disais. Il ne faut pas se demander aujourd’hui si ces régimes forts sont possibles, il faut savoir qu’ils sont inévitables: sous quelque nom qu’on leur donne. Car ils sont la condition de notre salut.

    Maurice Bardèche

    Texte paru dans la revue Le Crapouillot, N° 77, septembre-octobre 1984

    http://la-dissidence.org/2015/10/20/maurice-bardeche-comprendre-le-fascisme/

  • Le royalisme est-il crédible aujourd'hui ? Partie 1 : les royalistes et les élections.

    Un étudiant de Droit me signale que, lors d'un cours récent, le maître de conférences, par ailleurs directeur adjoint de l'Assemblée nationale, a affirmé : « il n'y a pas aujourd'hui de parti royaliste crédible en France ». Au regard de la situation actuelle des forces royalistes, peut-on lui donner tort ? En fait, plusieurs réponses sont possibles, plus complémentaires que contradictoires, et la question doit être, à mon avis, élargie aux royalistes, au royalisme même (que certains conjuguent au pluriel pour en montrer la diversité) et au projet d'instauration royale.

    Tout d'abord, si l'on s'en tient à ce qui tient de principal marqueur en démocratie électorale, c'est-à-dire le nombre de suffrages exprimés pour des candidats ou des listes explicitement royalistes, les dernières consultations n'ont guère été concluantes et j'en ai fait, plus d'une fois, l'amère expérience, avec des scores dérisoires et, pour qui s'arrête à leur simple lecture comptable, désespérants... Comment peser sur la scène politique, même locale, quand les royalistes n'atteignent même plus le simple 1 %, et que certains départements de l'Ouest de la France, ceux-là mêmes des soulèvements chouans de la Révolution, donnent moins de 10 voix à une liste de l'Alliance Royale en 2014, liste que je conduisais et dont j'assume le très minuscule score ? Les dernières fois que des candidatures monarchistes assumées aux élections législatives ou cantonales (désormais départementales) ont dépassé les 2 %, c'était, si je ne me trompe, il y a une trentaine d'années, en Indre-et-Loire, avec l'Union Royaliste de Touraine. Les élections universitaires des années 1970-80 et du début des années 1990 ont été plus fructueuses et les lycées comme les universités ont compté nombre d'élus royalistes ou apparentés, mais cette période est désormais révolue...

    Cela signifie-t-il qu'il faille déserter les lices électorales pour éviter la « honte » de la défaite humiliante et permanente, ou abandonner l'étiquette royaliste pour espérer entrer dans les assemblées ou conseils issus du suffrage universel ? A la première proposition, je réponds par la négative : il n'y a pas de honte à être vaincu, il n'y en a qu'à se soumettre, et j'ai toujours, personnellement, prêché pour que le royalisme, partout où cela est possible, brandisse haut et fort son étendard, y compris dans les joutes électorales et cela même si les scores ne sont pas à la hauteur des espérances. Je n'ai cessé de clamer que ce n'est pas de faire des voix qui compte mais plutôt de faire entendre notre voix, la voix des royalistes. Néanmoins, un résultat « positif », c'est-à-dire qui, en suffrages exprimés ou en pourcentage, ne soit pas que le « décompte des copains » mais représente quelques centaines ou milliers d'inconnus et atteigne les 3 ou 4 % au minimum, serait le bienvenu pour nous donner une certaine visibilité et, surtout, une impulsion pour consolider l'appareil politique royaliste et aller plus haut. Certes, la scène électorale est « déjà occupée », et il semble que les royalistes ne disposent pas de beaucoup de possibilités (ne seraient-ce que financières...) pour effectuer une « percée », aussi minime soit-elle. Certes, mais est-ce une raison pour renoncer, sachant que les élections, aussi discréditées soient-elles dans l'esprit commun, restent un passage obligé pour acquérir une certaine légitimité dans le paysage politique contemporain ? Aux royalistes de travailler les champs de bataille électorale pour y implanter quelques bastions ou, au moins, pour y tracer quelques sillons !

    A la deuxième proposition, je serai moins catégorique, mais il faut préciser le propos pour éviter tout malentendu : d'abord, je constate qu'il est possible, dans certains cas, de garder son étiquette royaliste tout en étant candidat sur une liste plus « large » lors d'élections municipales ou, même, régionales. Il est même possible d'être reconnu comme élu royaliste, et d'être apprécié comme tel par son sérieux et son travail au sein d'une municipalité, tout comme l'on peut être un royaliste élu sans avoir pour autant brandi cet oriflamme pendant la campagne électorale elle-même : l'essentiel est que cela soit « évident » sans avoir besoin d'être affiché sur des placards électoraux ou administratifs.

     

    Il est aussi possible d'être élu sans faire publiquement mention de ses idées royalistes ou de sa préférence pour la Monarchie, mais de travailler, au sein de tel ou tel parti et dans le cadre du régime actuel, à faire avancer celles-ci, parfois tout aussi discrètement qu'efficacement : c'est ce qu'ont tenté de faire, avec un succès mitigé malgré les intentions de départ, des hommes qui furent à la fondation de la Cinquième République, comme Edmond Michelet, gaulliste et démocrate-chrétien revendiqué et monarchiste fidèle au Comte de Paris. J'ai aussi rencontré parmi les parlementaires ou les conseillers municipaux des monarchistes discrets qui, au fil de la discussion, ne font pas vraiment mystère de leur « fidélité capétienne »... Ainsi, si « abandon » de l'étiquette publique de royaliste il y a, il n'a rien de définitif (je parle de sa publicité et non de sa réalité) et ce n'est qu'un moyen de se faire accepter pour pouvoir, ensuite et le plus librement possible, « faire ses preuves » et, ainsi, donner du crédit à ce que l'on veut défendre et, plus loin dans le temps, établir. Pourquoi pas, après tout ? Ce n'est pas ma stratégie personnelle mais elle est possible et tout à fait défendable...

    Mais ces différentes attitudes n'ont de sens et d'intérêt politique que si les « maisons-mères » du royalisme sont solides et... crédibles, pourvues d'un projet et d'une stratégie monarchistes qui permettent, le jour venu, l'affirmation et la valorisation des énergies et des principes monarchiques.

    (à suivre : la crédibilité des mouvements royalistes et des idées monarchiques ; le rôle des princes)

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