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culture et histoire - Page 1408

  • Domenico Losurdo : « Contre-histoire du libéralisme »

    Domenico Losurdo signe un ouvrage accablant sur les liens entre le libéralisme et les théories de la suprématie occidentale (esclavagisme, racisme, massacres de masse) portées par des penseurs ou acteurs politiques et économiques de premier plan, entre le XVIIe et le XIXe siècles.

     

    «La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la grande famille humaine, que l’homme placé chez nous, par ses vices et son ignorance, au dernier échelon de l’échelle sociale est encore le premier chez les sauvages».

    L’auteur des lignes mises en exergue ci-dessus n’est pas un marginal et sanguinaire partisan de la colonisation occidentale; c’est le doux et libéral A. de Tocqueville, auteur classique, inscrit aux programmes scolaires de certaines filières au lycée ou à l’université –pour des idées toutes autres que celles étudiées par Domenico Losurdo dans le présent ouvrage.

    Le projet de l’auteur italien, qui veut «sommairement reconstituer les premiers siècles de l’histoire du libéralisme et des rapports sociopolitiques concrets établis en son nom», aboutit à un ouvrage proprement accablant pour un ensemble d’acteurs intellectuels, politiques et économiques des XVIIe–XIXe siècles, empêtrés dans une sorte de paradoxe tenace.

    Le premier et principal point commun entre ces acteurs issus de champs divers est leur appartenance revendiquée au courant libéral –de Locke à Tocqueville en passant par Grotius, Montesquieu, divers responsables politiques anglais, américains ou français, hommes d’affaires, propriétaires ou certains militaires.

    Paradoxes inhérents ou maladies infantiles du libéralisme?

    La première question qui se pose est de savoir ce que signifie libéralisme. Losurdo synthétise les réponses courantes: «Le libéralisme est une tradition de pensée qui place la liberté de l’individu au centre de ses préoccupations».

    Tel un inspecteur Columbo des idéologies, Losurdo demande alors: comment se fait-il que des penseurs et acteurs se réclamant de cette tradition intellectuelle, et cherchant donc à défendre les libertés individuelles, s’accommodent si bien du «processus d’expropriation systématique et des pratiques génocidaires» qui accompagnent la colonisation occidentale en Irlande, en Amérique, en Afrique et en Asie?

    Comment se fait-il, même, que, dès le XVIIe siècle, l’esclavagisme, les théories raciales et le colonialisme belliqueux soient entérinés, voire légitimés par divers libéraux (Locke, Grotius, parmi les plus fameux)?

    Losurdo insiste sur le fait qu’il serait erroné de dédouaner les esclavagistes et les colonialistes en considérant que ce point de vue était dans l’air du temps, dominant à l’époque et qu’ils n’ont fait que se conformer à des modes de pensée différents de ceux qui sont les nôtres actuellement –c’est à dire qu’il ne faut pas faire preuve d’«historicisme»: au moins depuis Montaigne, Las Casas ou Jean Bodin, les opposants à l’esclavagisme et au colonialisme ne manquent pas!

    Ceci sans compter les autorités d’Ancien Régime (monarchie, Église, État central) qui s’opposent à ces pratiques déshumanisantes pour des raisons qu’on peut dire stratégiques.

    Car c’est bien sur les intérêts et les stratégies pratiques des acteurs en présence que Losurdo attire l’attention, dans la perspective de mieux saisir le libéralisme et ses incarnations concrètes. Il fait observer qu’au XVIIe siècle, après la révolution anglaise qui met fin à l’absolutisme, la conquête de l’Amérique et la traite esclavagiste prennent un essor inédit.

    Au XVIIIe siècle, après l’indépendance des États-Unis, l’esclavage des Noirs et le génocide des Amérindiens s’intensifient jusqu’à former un ensemble d’États, dans le sud du pays, fondés sur le principe de la discrimination raciale.

    En somme, «l’auto-gouvernement de la société civile triomphe sous le drapeau de la liberté et de la lutte contre le despotisme, alors qu’il entraîne le développement de l’esclavage-marchandise sur une base raciale et creuse un abîme insurmontable et sans précédent entre les Blancs et les peuples de couleur».

    En effet, dans sa lutte contre l’absolutisme étatique, le «parti libéral» exclut la possibilité d’une servitude ou d’un esclavage des Blancs, en métropole, mais ferme les yeux, rationalise -Montesquieu tente d’expliquer la déchéance de certains peuples dans l’esclavage par le «climat» de leurs terres d’origine, qui les rend plus faibles que les Européens industrieux- voire légitime l’esclavage et l’oppression des peuples colonisés, notamment en Amérique.

    Concrètement, les aristocrates et colons Blancs sont les premiers à réclamer une libre jouissance de leurs propriétés (terres, esclaves et serviteurs) contre l’ingérence de l’État central métropolitain.

    De ce point de vue, selon Losurdo, le libéralisme comme courant de pensée ne peut se comprendre sans prêter à attention à son efficacité pratique, étroitement corrélée aux intérêts matériels de ceux qui s’en revendiquent: aristocrates et politiciens européens, responsables politiques et colons propriétaires américains; pour tous, la lutte contre l’absolutisme n’outrepasse pas –voire légitime– la défense de la propriété privée des terres et du «bétail humain». Losurdo parle à ce titre d’un «accouchement gémellaire», c’est-à-dire simultané en ce qu’ils seraient jumeaux, du libéralisme et de «l’esclavage racial», aux XVIIe–XVIIIe siècles.

    La «Herrenvolk democracy»

    L’auteur n’arrête pas son analyse aux oppressions coloniales et montre qu’en métropole également, à la même période, le lumpenprolétariat est durement réprimé par la législation au Royaume-Uni et aux États-Unis (qu’on pense aux workhouses et aux mesures policières prises contre les vagabonds et chômeurs), de même qu’une grande partie des classes populaires est encadrée dans sa vie publique (restrictions du droit de vote, censures de la presse), sa vie privée (mesures eugéniques et contrôle de mœurs), le monde du travail (interdiction des coalitions ouvrières et rejet des entraves à la concurrence sur le «marché» du travail)…

    Tout comme les esclaves et les peuples colonisés, les groupes sociaux métropolitains économiquement défavorisés sont jugés incapables d’être libres, et situés aux confins de la «civilisation», au nom de laquelle ils doivent se «sacrifier», comme le soulignent, avec plus ou moins d’enthousiasme, la plupart des libéraux.

    Losurdo signale qu’aux peuples colonisés, en Irlande, en Asie, en Afrique, en Amérique, aux lumpenprolétaires réprimés, aux prolétaires des métropoles, à une grande partie des femmes et des enfants, on peut aussi ajouter à la liste de ceux qui sont opprimés par le libéralisme au pouvoir les abolitionnistes anglo-saxons, les «radicaux» et les socialistes au XIXe siècle.

    L’auteur italien fait observer que ceux qui souffrent des «clauses d’exclusion» de la liberté revendiquée par les libéraux sont à ce point nombreux qu’on peut décemment qualifier le régime libéral (qui s’applique au Royaume-Uni et aux États-Unis en tête) de «Herrenvolk democracy», c’est-à-dire de «démocratie qui ne vaut que pour le ‘peuple des seigneurs’», comme le proposent des historiens contemporains.

    A partir de la fin du XVIIIe siècle, l’esclavage est de plus en plus contesté, notamment en France, où se constitue le radicalisme, né de la scission d’avec le libéralisme, dans la lutte contre le despotisme, et à l’issue de la révolte de Saint-Domingue (actuel Haïti) et de la déception apportée par la révolution américaine qui n’abolit pas l’esclavage, les discriminations et les exactions coloniales.

    Le radicalisme en France se distingue à la fois du socialisme, et surtout, du libéralisme dominant qui continue, au XIXe siècle, à défendre l’esclavage aux États-Unis –à l’instar de Tocqueville qui considère que l’abolition déstabiliserait gravement les puissances coloniales et serait une atteinte irrémédiable à la propriété privée des colons et des groupes métropolitains privilégiés.

    Un «darwinisme social ante litteram»

    Tocqueville est encore de ceux qui, progressivement, au XIXe siècle, contribuent à faire émerger des paradigmes de la naturalisation voire de la divinisation de l’ordre social, qui rendent les hiérarchies sociales et ethniques intangibles et éternelles, mais, surtout, qui fustigent les atteintes à ces hiérarchies comme blasphématoires et contre-nature.

    Avec Herbert Spencer, pour ne citer que lui, le libéralisme s’attaque férocement à la redistribution des richesses et à l’assistance étatique aux démunis, malgré leur forme embryonnaire à l’époque, et légitime la domination sociale des plus forts, notamment la colonisation, justifiée par analogie avec les mythes bibliques de la quête de la terre promise par les enfants d’Israël.

    Comme J. S. Mill, les libéraux commencent à théoriser une hiérarchie explicitement raciale au sommet de laquelle se trouvent les Blancs, de par leur «mission civilisatrice». Tocqueville propose ainsi d’appliquer le modèle de la colonisation américaine à l’Algérie: il théorise la «guerre juste» faite aux «sauvages» voués à la destruction, qui passe par des exactions à l’encontre des civils, et l’instauration d’un apartheid garantissant la suprématie blanche.

    C’est dans cet environnement intellectuel qu’émergent les thèses raciales, habituellement présentées comme sulfureuses, de Gobineau, qui ne s’avère en réalité, à la lecture du livre de Domenico Losurdo, qu’un libéral parmi d’autres conceptualisant –de façon moins nuancée il est vrai– la suprématie de la «race aryenne». Apparaissent également vers le milieu du XIXe siècle les premières théories selon lesquelles les Juifs et les intellectuels progressistes comploteraient pour agiter les masses populaires contre la propriété privée et contre la colonisation.

    Contre ces menaces faites à la propriété et la liberté individuelle des groupes sociaux aisés, les libéraux n’hésitent pas à préconiser une «dictature temporaire modernisatrice», y compris si elle passe par des coups d’État, que lesdits libéraux appuient chaleureusement, depuis le 18 brumaire de Bonaparte jusqu’à la marche de Rome de Mussolini en 1922. Dans les colonies, face aux ingérences de l’État central, les libéraux menacent encore de sécession et de guerre civile, comme le montre avec éclat la Guerre de Sécession américaine.

    De multiples traits et mises en pratique du «darwinisme social» porté par le libéralisme sont de véritables prémisses aux fascismes du XXe siècle: de nombreux libéraux préconisent une «solution finale», une euthanasie générale des races inférieures éprouvées par le colonialisme et inadaptées à la civilisation; les déportations de populations colonisées, les génocides et l’enfermement concentrationnaire empêchent de considérer «les catastrophes du XXe siècle» comme des éruptions totalement inattendues et imprévisibles.

    Au terme de sa «contre-histoire du libéralisme», Losurdo rappelle à quel point le cheminement vers des formes plus démocratiques a été long, douloureux, et largement dû aux luttes des «exclus» pour leur reconnaissance. Il exhorte à se détacher de toute forme d’«hagiographie» délibérée ou pas, pour, enfin, se pencher sur l’histoire réelle d’un courant qui a encore une grande influence sur notre époque.

    Losurdo fait preuve d’une érudition impressionnante et mobilise une importante littérature anglo-saxonne a priori peu courante pour le lecteur français, ainsi que de nombreux textes d’époque. Il faut également souligner le projet salutaire de remettre à la lumière les cendres et les cadavres sur lesquels la puissance occidentale s’est bâtie, largement au nom d’un système de pensée qui cherchait à promouvoir la liberté individuelle.

    Ainsi, l’ouvrage amène de façon fructueuse le lecteur à questionner une diversité de phénomènes actuels, qu’on aurait tort de croire totalement inédits dans leur forme et leurs implications.

    Slate

    http://fortune.fdesouche.com/374277-domenico-losurdo-contre-histoire-du-liberalisme

  • Un jour, un texte ! les Français dans la guerre, Père courage par Dominique JAMET (22)

    « La civilisation française, héritière de la civilisation hellénique, a travaillé pendant des siècles pour former des hommes libres, c'est-à-dire pleinement responsables de leurs actes: la France refuse d'entrer dans le Paradis des Robots. » Georges Bernanos, La France contre les robots.

    Notre premier ministre a déclaré que la France est en guerre. Mais l'ennemi est chez nous, au sein même de la population française. Il ne s'agit plus d'envoyer des professionnels, formés et aguerris combattre loin de nos terres, mais de se battre contre un ennemi sournois et impitoyable, qui use pour ses attaques de toutes nos libertés et des droits des citoyens français. Avant de faire une telle déclaration, encore eût-il fallu cultiver au sein du peuple français les valeurs qui font la force morale des nations. Cette nouvelle rubrique sur la guerre a pour objet de proposer des textes pour aider tout un chacun à réfléchir sur des sujets précis et si possible, d'actualité, elle est un peu modifiée pour montrer : les Français dans la guerre, Père courage par Dominique Jamet (22)

    L'éditorial du Père Bruckberger paru dans Le Figaro, le 6 mai 1985, entraîne le lendemain un autre éditorial, de Dominique Jamet, dans le Quotidien de Paris. Nous avons gardé l'ensemble des deux textes pour que les propos tenus ne soient pas sortis de leur contexte.

    « Au-delà des cris du ressentiment et de la passion, bien plus haut que les pâquerettes, les gerbes, les couronnes, les prises de becs et les prises d'armes, une voix sereine s'est élevée hier au milieu de l'effarante controverse déchaînée depuis dix jours d'un bout à l'autre du monde libre par la visite du Président Reagan au cimetière militaire de Bitburg. Il n'est pas dit que cette voix se fera entendre dans le tumulte médiatisé qui a éclipsé la véritable signification au sommet des Sept plus spectaculairement encore que la Terre a éclipsé la Lune dans le ciel nuageux, samedi dernier. Juchés sur les stèles et les croix que la piété humaine érige en souvenir des morts, les corbeaux et les charognards croassent.

    Au moins cette hirondelle-là peut-elle faire croire au printemps.

    Des millions de braves gens, n'écoutant que leur douleur toujours renouvelée et leur juste indignation, blessure jamais cicatrisée, contre l'abominable holocauste où se sont englouties tant de vies et un peu de la dignité humaine ont donné tête baissée dans les panneaux largement ouverts par une habile campagne de propagande dont le but n'était assurément pas d'abattre pour la deuxième fois le nazisme vaincu et les nazis morts il y a quarante ans- on ne tire pas sur une ambulance, à plus forte raison sur un corbillard - que de faire un carton sur un président américain bien vivant.

    Des manipulateurs, des menteurs, des coquins, des conformistes et des lâches, ont exploité le filon toujours rémunérateur de l'antifascisme pour détourner de son sens le geste symbolique du représentant de la plus grande démocratie du monde, lui-même ancien combattant de la dernière guerre, président de cette république sans laquelle nous serions morts ou vivrions en esclaves, du totalitarisme brun ou du totalitarisme rouge.

    A-t-il été question à aucun moment, dans l'esprit de Reagan, de réhabiliter les valeurs, les buts de guerre, les chefs du IIIème Reich, et d'honorer les bourreaux triomphants de l'Ordre noir ? A-t-il jamais été question d'autre chose que d'aller s'incliner sur les tombes de soldats morts au combat, victimes d'une horreur qui les a engloutis ?

    Il s'est trouvé que dans le cimetière militaire de Bitburg, à côté des sépultures de deux mille combattants de la Wehrmacht, et un peu à l'écart, il y avait quarante-neuf pierres tombales, certaines surmontées d'une grossière croix de granit, à la mémoire d'autant de soldats des Waffen-SS. C'est l'image même de la place qu'occupent ces enfants perdus, jamais reniés, dans un enclos discret de la mémoire allemande.

    Les caméras de la télévision se sont à plusieurs reprises attardées sur ces tombes. Sur la plupart d'entre elles s'inscrivait le parcours d'une vie brève, brutalement fauchée par la mitraille. Quoi qu'ils aient pu faire, ces adolescents de dix-sept ans, ces jeunes gens de vingt ans n'étaient pas les pères mais les fils du régime nazi.

    On a beaucoup écrit, que les États-unis et l'Allemagne auraient pu faire le choix d'un autre site plus heureux que Bitburg, ville pourtant aussi américaine que germanique. Mais existe-t-il beaucoup de cimetières allemands où les ossements des Waffen-SS ne sont pas mêlés à ceux de soldats d'autres armes ? Existe-t-il beaucoup de familles allemandes qui ne portent pas dans leur chair et dans leur cœur la trace d'hommes, – père, oncle, cousin, mari, fiancé – qui portaient l'uniforme noir à collet vert ? Certains voudraient faire croire que le seul choix qui nous est offert est entre la haine et l'oubli, comme s'il ne pouvait y avoir place dans un cœur humain pour la mémoire et le pardon. Et que serait un pardon, dont seraient exclus précisément ceux qui en ont besoin, non pas les fils démocrates des pères égarés, mais ces pères eux-mêmes ?

    Enfin, une fois de plus, qu'est ce que ces cris d'orfraie dans un monde qui s'accommode de la présence du Cambodge à l'ONU, de la visite du nouveau tsar rouge à la Pologne satellisée, insulte à quarante millions de Polonais vivants et à quelques millions de Polonais morts, ou des gerbes que des chefs d'État capitalistes déposent pieusement, sur le mausolée de Lénine, qui n'était pas que je sache, un sous-ordre, Unterscharführer ou Sturmbannführer de la dictature en activité – comme on dit d'un volcan – la plus sanglante du monde ? Souffler ainsi sur les cendres tièdes d'un foyer éteint, c'est à coup sûr faire le lit des incendiaires d'aujourd'hui.

    Telles sont quelques-unes des vérités qu'a rappelées ou plutôt assénées, pour ainsi dire à coup de crosse, la crosse des évêques d'autrefois, pasteurs du troupeau et soldats du Christ, le père Bruckberger, dans un admirable éditorial paru hier [dans Le Figaro]. Il pouvait se permettre de tresser le thème politique et profane de la réconciliation avec le thème chrétien du pardon parce qu'il est insoupçonnable, parce qu'il fut en son temps le plus médaillé des prêtres combattants, sinon le plus religieux et le plus discipliné des soldats. Mais combien d'autres, laïques ou religieux qui pensaient de même, ont mieux aimé se taire ou hurler avec les loups ? Rares sont ceux qui unissent comme ce dominicain scandaleux le courage physique et le courage civique.

    Oui, c'est bien le même homme, par delà les années, qui accompagnait jusqu'au poteau d'exécution Joseph Darnand, son ancien des Corps francs, devenu chef de la Milice, et l'homme le plus haï de France. Un criminel ? Sans doute. Mais si le plus grand criminel n'a pas droit à un avocat, à un juge, à un médecin et à un prêtre, que reste-t-il de la civilisation ? Bertolt Brecht a dressé au-dessus des horreurs de la guerre de Trente ans la légendaire figure de Mère Courage. Et nous, nous avons notre Père Courage, après une paix de quarante ans. »

    Dominique Jamet

    Éditorial du journal "Le Quotidien de Paris", 7 mai 1985.

    Lois Spalwer http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html 

  • [EX-LIBRIS] Maurras & Dutrait-Crozon : Si le coup de force est possible. Ré-actualisation [Partie II]

    Partie II : Étude de la possibilité d’un coup de force. Dans les chapitres suivants, les auteurs étudient les points qui semblent importants à la réussite d’un coup de force, ils s’attachent également à répondre aux oppositions qu’ils ont rencontrées avec cette idée par le passé.

     

    Les nouvelles technologies

    Au tout début du XXe siècle, Maurras s’entendait déjà répondre que les nouvelles technologies — entendez par là le téléphone et le télégraphe — rendaient tout coup de force impossible. En effet, ces dernières permettent une réactivité que n’avait pas l’État auparavant, ainsi, en un rien de temps l’armée ou la police peuvent être appelées sur un point chaud. Ainsi l’effet de surprise si important pour la réussite du coup est annihilé. Et sur ce point nous pouvons dire sans risque que la situation est au moins la même, si ce n’est pire. Cependant, Maurras répondra que ce qui est un avantage pour l’un peut aussi le devenir pour l’autre. En rejetant comme les auteurs l’idée d’un affrontement direct « dans une bataille rangée », il est possible d’imaginer d’autres moyens. Avec les technologies actuelles il est très facile de planifier et de diriger une action disséminée en plusieurs points. Prenons l’exemple d’une grande manifestation à Paris. De fait des CRS encadreraient cette dernière, mais que se passerait-il si cinq ou six groupes d’une dizaine de personnes prenaient position à des lieux différents dans Paris, en marge de la manifestation ? La police serait totalement débordée et perdue au milieu de ces petits groupes d’action, ayant de plus la capacité de se mouvoir rapidement. Les opposants du coup de force répondront aujourd’hui la même chose que ce qui a été répondu à l’Action Française, à savoir que ces moyens de communication peuvent être surveillés. Néanmoins, les auteurs affirment à propos de l’État qu’« en temps normal, la pléthore de ses fonctions cause une négligence dans les services ». En effet, quand on voit toutes les actions organisées par le Printemps Français, les Hommen, l’Action Française ou bien Hollande Dégage, on peut légitiment se demander si l’État prend vraiment la peine de surveiller les communications ou Facebook — mis à part pour surveiller d’éventuelles apologies du terrorisme.

    L’argent

    Grand point d’opposition entre l’Action Française et les autres adeptes du coup de force : l’utilisation de l’argent. Les auteurs citent des articles parus dans « une feuille conservatrice » à propos du coup de force : « Un moyen bien efficace, c’est l’argent, c’est la corruption, disons le mot puisqu’il est exact. Elle l’a été de tout temps, mais elle est le grande levier de notre époque », et se positionnent de manière radicalement différente. S’ils reconnaissent l’argent en tant que moyen, celui-ci ne reste pour eux qu’une ressource indirecte de la prise de pouvoir : « La propagande, qui ne se fait pas sans argent, importe beaucoup plus que l’emploi direct de l’argent à la réussite du coup de force ». Cette position est encore plus vraie aujourd’hui, l’argent pourrait acheter beaucoup, à combien se vendrait un Sarkozy ou un DSK sur le marché de l’occasion ? Néanmoins, il ne suffirait que d’une surenchère pour que le plan tombe à l’eau, et ne parlons même pas de la confiance que cela nécessite dans ces hommes une fois le paiement versé. De plus, nous avons aujourd’hui un nouveau moyen que le trio ne pouvait guère imaginer : internet. Même si la ré-information d’un blog ou d’une gazette a un coût, il est bien plus faible que l’entretien d’un journal (sans aides de l’État, il va sans dire). Cependant, il comporte aussi certains inconvénients, notamment celui de disperser les informations — et donc les lecteurs — entre différentes plateformes. L’union qui pouvait être faite autour du journal de l’Action Française, seul support de réflexion du « nationalisme intégral », dépassait de loin le seul cadre du royalisme. Ainsi, l’argent ne doit servir qu’a rassembler autour d’un idéal : celui d’ancrer la contre-révolution dans le temps. Certes, par la corruption il est possible d’arriver au pouvoir, mais il est plus qu’incertain de s’y installer dans la durée.[...]

    La suite sur Le Rouge et le Noir

    Vous pouvez le commander à la Librairie de flore

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?EX-LIBRIS-Maurras-Dutrait-Crozon,8603

  • Les nouveaux paradigmes du politique par Claude BOURRINET

    Les conflits virulents qui ont troublé la vie politique ces deux dernières années ont semblé ranimer la vieille dichotomie entre « gauche » et « droite ». Ne s’agirait-il pas d’une illusion engendrée par la persistance, dans le champ de l’imaginaire idéologique, de réflexes désuets ?

    La postmodernité présente, en effet, plusieurs caractéristiques. Elle se caractérise d’abord par une déréalisation de l’humain, conséquence d’une destruction méthodique des liens fondamentaux qui produisent les appartenances, autrefois considérées comme naturelles, et qui ont été laminées par le libéralisme triomphant, le culte de l’individualisme, du consumérisme, un hédonisme dissolvant, et les progrès de la techno-science. L’humain est comme hors sol, seulement capable de s’attacher à des repères qu’il croît pouvoir se donner. On sait combien, du reste, l’homme ignore quelle histoire il fait, pour peu que l’Histoire soit encore possible.

    L’évolution de plus en plus accélérée des mœurs, qui a fait passer une société de son statut patriarcal, autoritaire, hiérarchique, à une société clitocratique, maternalisante, infantilisante, émolliente, transforme toute revendication sociopolitique en caprice puéril, en défense d’intérêts particuliers, ou en jeu. Dans le même temps, l’État, qui n’est plus qu’une centrale de management sociétal, et, subsidiairement, un organisme à réprimer toute contestation de l’ordre existant, ne détient plus de puissance que ce que les instances supranationales veulent bien lui laisser. S’emparer de l’Élysée, quelle importance ?

    C’est comme si la vie politique avait été vidée de sang et de sens. Le personnel d’État, qui siège dans les organismes pour la plupart créés sous le Premier Empire, ne sont plus que des machines à projeter des effets d’annonces. On suscite ainsi des réactions, on joue avec les étiquettes, avec des mots chargés de connotations fortes, on manipule des émotions, on provoque de pseudo-événements, dérisoires, qui occupent les consciences. Et, in fine, les concepts de gauche et de droite ne signifient plus grand chose.

    D’un point de vue géopolitique, un système unique, celui du capitalisme, semble s’imposer. Certes, l’on sait que les États-Unis, acteurs déterminants de cette conquête du marché à l’échelle mondiale, rencontrent des résistances. Cependant, la question est de savoir si ses adversaires incarnent une alternative au libéralisme, auquel cas ils devraient rompre avec le modèle libéral, pour retrouver des racines anciennes, ou bien des alter-libéralismes, des manières différentes de gérer le capitalisme.

    On voit donc que les enjeux, qui paraissaient clairs il y a cinquante ans, où des systèmes antithétiques s’affrontaient, sont maintenant singulièrement brouillés.

    Restent des problèmes irréductibles, qu’il est difficile de surpasser, les dangers que présentent l’évolution démographique mondiale, partant les migrations, l’épuisement des ressources énergétiques, la destruction de la nature, la précarisation des société, l’éradication des identités, le ravalement de l’humain à l’état de chose.

    Cependant, l’homme étant, selon les mots de Dostoïevski, un « animal qui s’habitue à tout », il n’est pas certain que souffrance, désespoir et même l’espoir, aboutissent à une hypothèse de changement radical. Le post-nihilisme a vidé le monde de tout sentiment de la véritable altérité, donc de toute imagination. Le seul rêve permis est celui d’une adaptation heureuse à l’aliénation.

    Du reste, depuis que l’homme a décidé, au seuil de la modernité, à la Renaissance, que le seul univers possible était le sien, qu’il était le centre du Cosmos, il s’est enfermé dans une prison conceptuel et existentiel.

    La Révolution est, littéralement, un décentrement de l’individu, un retour aux sources premières de l’Europe spirituelle, à l’assomption de notre Terre natale.

    Claude Bourrinet

    • D’abord mis en ligne sur Cercle non conforme, le 9 novembre 2014.

    http://www.europemaxima.com/?p=4084

  • Il fut une fois… le P.F.N. par Georges FELTIN-TRACOL

    Les 9, 10 et 11 novembre 1974 était créé à Bagnolet le Parti des forces nouvelles (P.F.N.) qui sera, une décennie durant, le principal concurrent du Front national (F.N.). Pour saluer ce mouvement qui aurait eu quarante ans, les Cahiers d’histoire du nationalisme ont demandé à Didier Lecerf qui participait à la direction du P.F.N. dans les années 1980 de revenir sur ce parti politique relativement méconnu.

    En 1984 – 1985, il était fréquent que les journalistes le confondissent avec le F.N. qu’ils désignaient alors en « Parti du Front national », d’où des quiproquos du sigle… Pourtant, les différences entre les deux frères ennemis étaient fortes. Tandis que le F.N. s’ouvrait aux G.N.R. (Groupes nationalistes révolutionnaires) de Base de François Duprat, aux nationalistes radicaux blancs du périodique Militant, puis aux solidaristes de Jean-Pierre Stirbois, le P.F.N. tranchait par l’esthétisme de ses affiches et voulait incarner une « droite design », c’est-à-dire dans le vent et à l’affût des bouleversements de fond.

    Didier Lecerf rappelle d’abord le contexte national et international de cette époque. Le Mur de Berlin divisait l’Allemagne; l’Europe était partagée entre les blocs atlantiste et soviétique; la défaite étatsunienne au Vietnam avait permis à l’U.R.S.S. de s’affirmer dans le monde entier au point que Raymond Aron s’inquiétât dans Le Figaro du déclin irréversible des États-Unis. En France, les anti-communistes pronostiquaient une invasion soviétique imminente et luttaient contre un Parti communiste fort de 15 à 20 % des suffrages.

    Le P.F.N. provient de l’insuccès électoral du F.N. aux législatives de 1973. En 1972, Ordre Nouveau (O.N.) entendait élargir son assise électorale et accroître ses effectifs en constituant avec d’autres formations de droite nationaliste ou proches des ultra de l’Algérie française (Mouvement pour la Justice et la Liberté/Unité Française de Georges Bidault) en formant un cartel électoral : le Front national pour l’unité française. Après avoir sollicité Dominique Venner pour en assumer la présidence, la direction d’O.N. s’adressa à l’ancien député poujadiste, puis républicain-indépendant Jean-Marie Le Pen, ancien directeur de la campagne présidentielle de Jean-Louis Tixier-Vignancour en 1965.

    Le désastre électoral, la forte personnalité de Jean-Marie Le Pen et la scandaleuse dissolution d’O.N. en 1973 provoquent de vives dissensions et le départ de plusieurs militants de valeur. Ceux-ci créent des Comités Faire front, puis un Comité d’initiative pour la construction d’un parti nationaliste, embryon du futur P.F.N. Animée par Pascal Gauchon, Alain Robert, Gabriel Jeantet et le journaliste François Brigneau, cette structure politique à vocation électorale dispose d’une revue au graphisme percutant, Initiative nationale, ainsi que de quelques relais auprès des étudiants grâce au G.U.D. (Groupe Union Défense), des jeunes (le Front de la Jeunesse) et dans le monde du travail avec l’Association pour un syndicalisme libre. Plus tard, à l’occasion d’événements médiatiques tapageurs, il soutiendra le Comité de soutien à l’armée du sergent appelé Joël Dupuy, hostile à la syndicalisation rouge des militaires, tiendra un « Forum de la nouvelle droite » en mars 1975 et organisera en avril 1976 une prestigieuse « Semaine du cinéma de droite ». De nombreux hommes de lettres, universitaires et journalistes (Thierry Maulnier, Maurice Druon, Jean Cau, Louis Pauwels, Michel de Saint-Pierre, Roland Gaucher, Raoul Girardet, le colonel Rémy, etc.) répondront à son appel. La réaction gauchiste ne se fait pas attendre et se montre violente.

    Le corpus idéologique du P.F.N. est résumé dans « une plaquette doctrinale de 88 pages, Propositions pour une Nation nouvelle. […] Pour l’essentiel, on y retrouve les thèmes et les idées développés par la “ Nouvelle Droite ” au sein du G.R.E.C.E. (fondé en janvier 1969) (p. 51) ». L’objectif principal vise à surprendre l’opinion. « C’est ainsi que le sigle “ forces nouvelles ” a été choisi, entre autres parce qu’il étonne à droite; que la plaquette doctrinale défend l’idée d’une réconciliation de la Tradition et du Progrès; et que sa couverture porte un dessin de l’architecture futuriste Sant’Elia… (p. 63) ».

    L’apport théorique du P.F.N. n’est pas anodin, car il cherche à concilier un nationalisme « revu et corrigé » avec une démarche ouvertement européenne. À l’occasion des premières élections au Parlement de Strasbourg en 1979, après une tentative de rabibochage avec le F.N. dans le cadre d’une « Union française pour l’Eurodroite des patries », le P.F.N. monte finalement sa propre liste, intitulée « Union française pour l’Eurodroite », conduite par Tixier-Vignancour et soutenue par le M.S.I. d’Almirante et les Espagnols de Fuerza Nueva. « Toutefois, si les fonds réunis sont suffisants pour être présents (en concurrence avec dix autres listes), ils ne permettent d’imprimer que les bulletins et les affiches pour les bureaux de vote, mais pas les bulletins et les professions de foi adressés aux électeurs. En outre, il ne reste que trois semaines avant l’échéance… (p. 110) » Le résultat déçoit : 1,31 % soit 266 000 voix. En 1981, Pascal Gauchon ne parvient pas à obtenir les 500 parrainages nécessaires pour se porter candidat à la présidence de la République. La victoire de François Mitterrand contraint le P.F.N. à se remettre en question.

    À l’automne 1981, Alain Robert et Pascal Gauchon se retirent du P.F.N. Une nouvelle direction, composée entre autres de Jack Marchal et de Jean-Claude Jacquard, bientôt ultime rédacteur en chef de Défense de l’Occident de Maurice Bardèche, propose une voie plus activiste. Paru en juin 1982, Perspectives d’action expriment un net changement d’attitude militante. Le Front de la Jeunesse devient le Renouveau nationaliste tandis qu’un nouveau titre, Pour une force nouvelle, remplace Initiative nationale. En revanche, le programme proposé reprend, réactualise et réaffirme les thèses fondatrices. Celles-ci paraissent en novembre 1974 dans des Propositions politiques, économiques et sociales qui se révèlent visionnaires. Dans le premier chapitre, l’article 1 stipule que « le système électoral actuel perpétue la domination des partis en place. Pour assurer la représentation réelle de toutes les tendances, nous réclamons l’institution d’un système d’élections à la proportionnelle qui reflète le plus exactement possible les forces politique en présence (p. 184) ». L’article 2 condamne l’organisation administrative française et estime que « le cadre artificiel du département doit perdre de son importance [Hollande et Valls auraient-ils été militants secrets au P.F.N. ?] au profit des communes et des cantons, chargés de l’administration locale, et surtout des régions. Une véritable décentralisation administrative et économique doit être réalisée au profit de celles-ci. En particulier, il est essentiel que le Conseil régional dispose d’un véritable budget par un transfert d’une partie des ressources de l’État à la Région. Cette décentralisation doit permettre un meilleur fonctionnement de l’État en rapprochant les pouvoirs des administrés. Elle ne doit pas être une occasion accordée à un séparatisme anarchisant et passéiste, mais un instrument au service de la Nation et de la construction de l’Europe. Les cultures régionales font partie du patrimoine national; elles doivent donc être protégées par l’État et non réprimées (p. 184) ». À mille lieux, on le voit, des incantations centralisatrices désuètes d’un parti pseudo-protestataire et néo-ringard qui confond le Marais parisien avec le reste de la France…

    En économie, ces Propositions… réclament la cogestion, exigent « l’extension du système de conseils paritaires de conciliation prévus dans de nombreuses conventions collectives (p. 186) » et suggèrent le « vote de la grève par les travailleurs au scrutin secret (p. 186) ». Mieux, elles se terminent par une préfiguration de la « remigration » (ou réémigration) et de la préférence nationale : « Interdiction effective et absolue de toute immigration, tant que la France n’aura pas retrouvé le niveau d’emploi de 1972. Préférence d’emploi accordée à toutes occasions aux travailleurs nationaux, revalorisation des tâches jusqu’à présent abandonnées aux immigrés. S’il y a lieu, mise à l’étude d’un plan de rapatriement progressif des immigrés (p. 196). »

    Parfaitement adapté aux difficiles conditions de ce premier quart du XXIe siècle, ce programme ne pouvait pas séduire une France qui sortait à peine des « Trente Glorieuses » et qui croyait à la brièveté de la crise en partie déclenchée par le premier choc pétrolier de 1973. Le P.F.N. arrivait trop tôt. Par ailleurs, il commit deux graves erreurs stratégiques. La première, antérieure à sa naissance, fut de ne pas présenter en 1974 un candidat à la présidentielle. Les Comités Faire front auraient pu assez facilement parvenir aux cent parrainages nécessaires. Ils laisseront au « Menhir » l’avantage décisif de se faire connaître des Français, réussissant ainsi un coup déterminant pour l’avenir. La seconde erreur fut de s’entendre en mars 1977 aux élections municipales avec le R.P.R. de Jacques Chirac. Trente candidats P.F.N. figurèrent donc sur des listes à « Marseille, Toulon, Cannes, Aix-en-Provence, Lyon, Villeurbanne, Villemonble, Nancy, Talence, Illzach, Nanterre, Champigny, ou encore à Paris, dans les XVIe et XIXe arrondissements (p. 93) ». Cette participation pesa lourd sur les destinées du P.F.N. désormais toujours soupçonné de rouler pour le calamiteux Chirac. Lors de sa premières « Heure de vérité » sur Antenne 2, le 13 février 1984, Jean-Marie Le Pen qui, dès 1981 contestait déjà « le mondialisme giscardien », refusa toute alliance avec le P.F.N., prétextant ce compromis de 1977.

    L’ascension du F.N. plonge le P.F.N. dans la crise. Présentant parfois des candidatures face au F.N., il constate vite que la dynamique électorale est favorable au seul frontisme. En 1985, la direction collégiale propose l’auto-dissolution du P.F.N. et le ralliement au F.N. Interrogé dans ce numéro, Roland Hélie raconte qu’il n’était « pas emballé à l’idée de rejoindre le Front. […] En fait nous n’avions pas beaucoup de contacts avec la direction du F.N., et Le Pen et son entourage ne semblaient pas très chauds à l’idée de nous voir arriver. Ce qui peut se comprendre compte tenu des rapports exécrables qu’il y avait eu pendant dix ans entre nos deux formations (p. 145) ». Toutefois, une trentaine de cadres issus du P.F.N. intégraient bientôt le F.N. où ils occupèrent rapidement des responsabilités grâce à la bienveillance du secrétaire général de l’époque, Jean-Pierre Stirbois.

    Dès novembre 1985, une partie des militants du P.F.N. hostiles à ce ralliement rejoint le Mouvement Troisième Voie. S’ensuivirent jusqu’en 1990 des amorces de relance ponctuées par de multiples scissions. Un célèbre numéro du Choc du Mois en 1988 décrivait l’emblème du P.F.N. résiduel d’alors : « Quatre quartiers rouges pour l’eau, le feu, le ciel et la terre, une croix celtique suggérée, et un cercle noir pour figurer la roue solaire. Ouf. » Seules les sections de Strasbourg, d’Orléans et d’Aix-en-Provence n’acceptèrent pas la disparition factuelle du P.F.N. Les Strasbourgeois conçurent la N.A.T.R.O.P.E. (Nouvelle amitié dans les territoires et régions par l’organisation des peuples en Europe), néo-droitiste, alors que les Aixois fondaient un Parti des forces nationalistes d’orientation contre-révolutionnaire. Ce n’est qu’en février 1998 que le Journal officiel annonçait sa dissolution officielle.

    Le P.F.N. restera comme une tentative de renouvellement des idées et de la pratique politiques à la fin de la Guerre froide. L’absence de figures charismatiques capables de susciter l’enthousiasme de l’audimat fut sa principale lacune sinon on aurait aujourd’hui un authentique mouvement patriotique français et européen.

    notes

    • Sous la direction de Didier Lecerf, Le P.F.N. 1974 – 1984 : une autre droite, Cahiers d’histoire du nationalisme, n° 4, octobre – novembre 2014, 197 p., 20 € (116, rue de Charenton, F – 75012 Paris).

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