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culture et histoire - Page 1577

  • Stéphane Blanchonnet : "La Corporation chez Julius Evola"

    Dans Le Fascisme vu de Droite – ouvrage disponible en français aux éditions Pardès – Julius Evola (1898-1974) propose une critique, au sens d’une analyse rigoureuse, méthodique et sans concession à l’égard de ses détracteurs comme de ses admirateurs, d’un régime et d’une idéologie dont il fut un compagnon de route atypique (Evola s’opposa notamment, dans un esprit contre-révolutionnaire, à l’importation du racisme biologique allemand, à l’abaissement du rôle de la monarchie, aux dérives étatistes et totalitaires). Ce livre publié en 1964 bénéficie à la fois de la proximité avec son sujet que donne à l’auteur sa qualité de témoin et d’acteur, ainsi que de la hauteur de vue que lui procurent la distance dans le temps et sa riche réflexion politique d’après-guerre, dont témoignent des œuvres comme Orientations (1950) ou Les hommes au milieu des ruines (1953). Deux chapitres du Fascisme vu de Droite retiendront particulièrement notre attention dans le cadre de cet article : le chapitre VIII consacré aux institutions fascistes en général et le chapitre IX consacré plus précisément au problème de la corporation et de l’organisation économique.

    Une nouvelle forme de représentation

    Le chapitre VIII reconnaît d’abord au fascisme le mérite d’avoir abattu le parlementarisme. Outre la restauration de l’Etat, cette opération permet d’envisager une nouvelle forme de représentation qui tranche avec celle procurée par les partis parlementaires, structures dont le moyen est le clientélisme le plus vulgaire et la fin, non le service de l’Etat mais celui de leurs idéologies respectives : « ils se présentent dans une sorte de concours ou de compétition pour la meilleure défense des intérêts de tel ou tel groupe d’électeurs, mais en réalité ils ont chacun une dimension politique, chacun une idéologie ; ils ne connaissent ni intérêts ni exigences les dépassant, ils agissent dans l’état vide et visent chacun à la conquête du pouvoir : d’où une situation on ne peut plus chaotique et inorganique » (p. 75-76 de l’édition Pardès).
    Evola voit immédiatement dans l’abolition de ce système l’occasion de rétablir une représentation qualitative et organique (des groupes, en fonction de leur rôle dans le corps social) et non plus quantitative (des individus selon le principe : un homme, une voix), sur le modèle des institutions de l’Europe d’avant 1789 : « parce que ce n’était pas la simple force numérique des groupes, des corps ou des unités partielles ayant au Parlement leurs propres représentants qui était considérée, mais leur fonction et leur dignité. » (p. 77).
    Idéalement pour Evola, le nouveau régime aurait dû promouvoir une forme de bicaméralisme ainsi conçu : une Chambre basse représentant la société sur un mode qualitatif, différencié et organique (représentants des corporations professionnelles, de l’armée, de la magistrature et des autres corps) et une Chambre haute, un « Sénat, avec des membres exclusivement désignés d’en haut, choisis surtout en fonction de leur qualité politique, qualité de représentants de la dimension transcendante de l’état, donc aussi de facteurs spirituels, méta-économiques et nationaux » (p. 79) ayant pour but de faire prévaloir le plan des fins sur celui des moyens et proche en cela de l’idée d’un Ordre, au sens supérieur, traditionnel et religieux du terme. Hélas ce programme ne sera pas mis en œuvre, en tout cas pas dans toute la pureté de sa conception.

    L’échec du fascisme

    Le chapitre IX s’intéresse plus précisément à l’un des composants de la Chambre basse : la corporation professionnelle. Evola y affirme d’abord la nécessité de « s’opposer à une fonction de la corporation soit comme instrument d’étatisation centralisatrice, soit comme instrument de conquête de l’état par l’économie. » (p. 82). En effet, il décèle deux premiers écueils dans le programme corporatiste : celui du dirigisme qui tue la libre initiative du chef d’entreprise, la corporation étant alors conçue comme une courroie de transmission au service d’un contrôle étatique de l’économie, et celui de "l’état corporatif", la corporation devenant alors l’instrument d’une dissolution du politique dans l’économie.
    A cela s’ajoute, le danger consistant à concevoir le corporatisme comme une superstructure nationale où les employeurs et les employés enverraient séparément et par branche leurs représentants, ce qui ne ferait qu’aggraver les antagonismes de classe. Sur ce dernier point, Evola constate l’échec du fascisme : « Le système institua […] sur le plan législatif le double front des employeurs et des travailleurs, dualité qui ne fut pas surmontée là où il aurait fallu, c’est-à-dire dans l’entreprise elle-même, au moyen d’une nouvelle structuration organique de celle-ci (donc dans sa structure interne), mais dans des superstructures étatiques générales affectées d’un lourd centralisme bureaucratique et, en pratique, souvent parasitaires et inefficaces. » (p. 85).
    L’auteur oppose à ce modèle bureaucratique, la « reconstruction organique infrastructurelle » (p. 90) des corporations, c’est-à-dire, l’idée d’une entreprise-communauté conçue de manière analogue à la nouvelle vision organique de la nation. C’est dans chaque entreprise donc qu’il conviendrait d’organiser la représentation de tous selon sa fonction : le chef d’entreprise, les cadres, les différents services et ateliers. Cette communauté de travail et son chef seraient alors responsables devant l’Etat.

    Nécessité d’une transcendance

    Ce dernier point, la responsabilité devant l’Etat, manifeste l’ultime difficulté envisagée par Evola : sans un esprit commun, sans une transcendance politique et spirituelle, la corporation est vouée à l’échec. D’où la nécessaire reconnaissance du « caractère non seulement économique mais aussi éthique de la corporation » (p. 86), de la responsabilité morale du chef d’entreprise devant l’Etat « comme contrepartie de la reconnaissance de sa libre initiative » (p 87), de la lutte nécessaire contre un capitalisme « parasitaire » (le chef d’entreprise devant être le « premier travailleur » de son entreprise par opposition au simple bénéficiaire de dividendes), de la participation des employés aux bénéfices mais aussi aux pertes de l’entreprise.
    L’argumentation d’Evola sur la question sociale dans Le Fascisme vu de Droite présente l’intérêt de confronter les principes contre-révolutionnaires en la matière avec l’histoire de l’une des tentatives, partielle et insatisfaisante, mais réelle, de leur mise en œuvre au XXe siècle. L’idée la plus forte que l’on en retiendra est que le projet de restauration d’un ordre vraiment traditionnel et hiérarchique ne peut se mener sur un seul terrain, qu’il soit politique ou social et économique, mais correspondre à un changement complet de direction dans tous les domaines et d’abord au plan spirituel. Tout constructivisme politico-économique qui ne tient pas compte de la dimension anthropologique du problème posé par la Modernité se condamne à l’échec.

    Stéphane Blanchonnet,

    Article paru dans L’Action Sociale Corporative numéro 5.

    SourceA Rebours

    http://la-dissidence.org/2014/04/24/stephane-blanchonnet-la-corporation-chez-julius-evola/

  • La légende d'Ungern, le dernier général Blanc

    Wrangel (célèbre général de l'armée blanche, commandant en chef des armées du Sud), qui l'eut sous ses ordres durant la Guerre mondiale, a dit de lui : « Les hommes de sa trempe sont inappréciables en temps de guerre et impossibles en temps de paix ». Pour le baron Ungern, c'est toujours la guerre. Cadet du tsar, mercenaire en Mongolie, officier de cosaques en compagnie du futur ataman (chef des cosaques) Séménov en 1914, petit, malingre, il possède une santé de fer et une énergie farouche, mais son style n'est pas celui d'un officier traditionnel. « Débraillé, sale — dit Wrangel —, il dort sur le plancher parmi les cosaques, mange à la gamelle. Des contrastes singuliers se rencontraient en lui : un esprit original, perspicace, et, en même temps, un manque étonnant de culture, un horizon borné à l'extrême, une timidité sauvage, une furie sans frein, une prodigalité sans bornes et un manque de besoins exceptionnel ».

    Avec un tel tempérament, une belle carrière s'offrait à lui dans la première Armée rouge. Pourtant, quelque chose l'a retenu. Le hasard peut-être. À moins que ce ne soit son indépendance, rebelle à tout carcan. […] De surcroît, contrairement à un Toukhatchevski (bien qu'étant issu d'une famille noble, ce militaire a adhéré au parti bolchévique), Ungern n'est pas en révolte contre sa caste. Il est crasseux et débraillé, mais il tient à son titre de baron. C'est d'ailleurs ainsi que ses hommes l'appellent « le baron ». Ce marginal est une bête de guerre, ennemi des conventions, mais fidèle à lui-même et à son passé. Son biographe, Jean Mabire, place dans sa bouche ces paroles qui résument son choix : « Le désespoir est aussi menteur que l'espérance. Il n'y qu'une chose qui compte : devenir ce que l'on est et faire ce que l'on doit ».

    Cet homme porte au front le signe de la légende, Wrangel l'avait noté : « C'est un véritable héros de romans de Mayne-Reid ». Mais avant de devenir un héros de fictions et même de bandes dessinées (4), il avait inspiré plus d'une histoire folle que l'on colportait déjà sur lui, en Sibérie ou en Mandchourie, au temps de ses aventures.

    « Il arrivait au baron Unger-Stenberg de faire boire ses officiers et d'abattre ceux qui, ne pouvant supporter la même dose d'alcool que lui, tombaient ivres », rapporte le Dr Georges Montandon, à l'époque sympathisant bolchévique et délégué de la Croix-Rouge française en Sibérie. Fable qui valut au médecin-mémorialiste une cinglante réplique d'un correspondant de guerre français, présent en Sibérie à la même époque :

    « À moins que M. Montandon, per impossibile, ne nous donne des preuves irréfutables de ce qu'il avance, je matiens qu'il a enregistré ici, comme d'ailleurs si souvent dans son livre, une des ridicules inventions qu'on colportait en Sibérie. Quiconque a fréquenté les milieux des officiers gardes blanches en Sibérie en conviendra. Ceux-ci se conduisent souvent envers les civils avec un scandaleux manque de scrupules, mais leurs relations mutuelles étaient généralement empreintes de camaraderie et même d'honneur. Ce trait leur est d'ailleurs commun avec les pires bandes blanches de brigands. Quand, en décembre 1919, Séménov fit éxécuter, pour la première fois, quelques officiers pour indiscipline, la surprise et la fureur furent générales. Plusieurs Séménovsty me dirent "que l’ataman devait prendre garde, et qu'on pourrait bien lui préférer un chef plus important et qui, en toutes circonstances, protégeait ses subordonnés". Ce fut von Ungern-Sternberg, officier d'ancien régime, brave, dur, mais équitable envers ses troupes. Et c'est de ce général, vivant parmis ses officiers, partageant avec eux les mœurs et habitudes héritées de l'ancien régime, que M. Montandon veut nous faire croire qu'il a pu impunément tuer des camarades pour la seule raison d'avoir succombé à l'ivresse, c'est-à-dire pour une faiblesse que tous ces officiers étaient habitués à considérer plutôt comme la conclusion naturelle d'une orgie, que comme une inconvenance ? »

    Un tempérament frugal et aventureux

    Roman Feodorovitch von Ungern-Sternberg est né, pense-t-on, à Reval, en Estonie, le 29 décembre 1885, dans l'une des 4 familles baltes que l'on appelait les « Quatre de la Main réunie », les Ungern, les Uxkull, les Tisenhausen et les Rosen. Le nom des Ungern remonte au moins au XIIIe siècle quand les chevaliers teutoniques viennent se fixer en Courlande. Un des généraux de la Grande Catherine était un Ungern-Sternberg. Beaucoup d'autres hommes de guerre ont illustré cette lignée.

    Accepté au corps des Cadets de Saint-Pétersbourg en 1903, le jeune Roman veut s'engager quand éclate l'année suivante la guerre de Mandchourie (nom d'un vaste territoire au nord-est de l'Asie, dont la plus vaste extension couvre le nord-est de la Chine et l'est de la Russie sur l'océan Pacifique) au Japon. Le règlement des Cadets l'interdit, mais il se fait exclure et peut ainsi se joindre au 91e Régiment d'infanterie. Il découvre l'excitation d'une guerre qui n'est pourtant ni fraîche ni joyeuse. Il découvre aussi les sortilèges de l'Asie. Il ne cessera plus d'en rêver. Admis à l'École d'officiers d'infanterie Paul Ier, il en sort en 1909 avec son brevet en poche. Il s'ennuie en garnison, part en Sibérie avec un régiment de cosaques, se querelle après avoir bu avec un autre officier, ce qui lui vaut un coup de sabre sur la tête. Les mauvaises langues disent qu'il ne s'en est jamais tout à fait remis.

    Voulant retourner en Russie, il se décide à faire le trajet Vladivostock-Kharbine à cheval. Il plaque son régiment, se met en selle, siffle son chien et part, un fusil de chasse pour tout bagage. Se nourrissant du produit de la chasse, couchant à la belle étoile, il met une année entière pour parvenir à Kharbine. Autant dire qu'il a pris le chemin des écoliers aventureux. Sur place, il apprend qu'une guerre a éclaté entre les Chinois et les Mongols. Il remonte à cheval, pénètre en Mongolie et offre ses services. « Et le voilà chef de toute la cavalerie mongole ». C'est du moins ce qu'assure Wrangel dans son portrait coloré du baron, ce qui semble fort douteux.

    En 1913, Ungern est bien en Mongolie, mais pas en qualité de chef de la cavalerie. Il loue ses services à un ethnologue russe, Burdukov, qui parle de lui dans ses souvenirs : « Il avait le regard glacé d'un maniaque ». Peut-être, mais quel talent pour se retrouver dans les dangers de la steppe ! Partant d'Ourga (auj. Oulan-Bator), ils ont voyagé à cheval toute la nuit. Leur guide les égare. Ungern commence par le roser à coups de fouet, puis il prend la tête de la colonne pour traverser le marais. Avec une adresse incroyable, il repère dans l'obscurité un passage permettant aux chevaux d'avancer. Ayant atteint l'autre rive, Ungern hume l'air à la manière d'un chien de chasse. Un peu plus tard, humant toujours, il parvient à un campement de nomades qui leur donnent l'hospitalité.

    Vient la guerre mondiale. Il rejoint le régiment Nertchinsk des cosaques de l'Oussouri, que commandera Wrangel en 1916. Il y fait la connaissance de Séménov, un peu plus jeune que lui. Plusieurs fois blessé, décoré de la croix de Saint-Georges, il est, à la fin de 1914, capitaine en premier et commande un escadron.

    En 1917, le régiment se trouve en Transbaïkalie (région montagneuse à l'est du lac Baïkal). Il y est surpris par la révolution d'Octobre. Séménov prend le maquis en Mandchourie avec une partie de ses cosaques. Ungern le suit comme chef d'état-major. La grande aventure commence. Raids sur Mandchouria d'où sont chassés les bolchéviks, coup de main sur Karinskaïa, création du « gouvernement provisoire de Transbaïkalie » à Tchita. Soutien discret mais très efficace des Japonais, nous avons déjà raconté cela.

    Division de cavalerie asiatique et Grande Mongolie

    Le 28 février 1919, Ungern participe à une conférence entre les atamans cosaques, les Japonais, des autonomistes bouriates et des nationalistes mongols. Dans les fumées de la vodka, l'idée est lancée de créer une Grande Mongolie, du lac Baïkal au Tibet. S'intéressant à cette idée qui pouvait permettre de contrer l'influence chinoise, les Japonais vont lui apporter leur soutien. Un illustre bouddha de Mongolie inférieure est mis à la tête de l'État en création et Ungern est nommé chef de la « Division de cavalerie asiatique ».

    Le gouvernement de Pékin et celui de l'amiral Koltchak (chef suprême des armées blanches de novembre 1918 à sa mort en 1920, qui instaura un gouvernement militaire en Sibérie) sont hostiles à cette initiative et font pression sur le bogd (prince royal) d'Ourga qui finit par se récuser. En novembre 1919, un seigneur de la guerre chinois, le général Hsü, arrivé à Ourga avec 10.000 hommes comme « pacificateur de la Mongolie ». Il abolit l'autonomie mongole et signifie aux indigènes qu'ils sont désormais soumis à l'autorité de Pékin. Ce coup de force déchaîne par réaction un grand mouvement de nationalisme mongol. Quelques jeunes gens dirigés par un certain Soukhé Bator, qui ont constitué une société secrète, prennent contact avec les bolchéviks qui les assurent de leur appui.

    Entre-temps, la Sibérie blanche de l'amiral Koltchak s'est effondrée sous les coups de l'armée rouge et de ses propres contradictions. Ignominieusement abandonné par les Alliés (principalement les Français et les Britanniques), l'amiral est fusillé le 7 février 1920. Les rescapés de son armée se sont dispersés en Mandchourie. Certains rejoindront Vladivostok et l'Europe, d'autres resteront en Mandchourie et iront même en Chine. Quelques-uns se joindront aux bandes de Séménov.

    Placée sous l'attention vigilante des Japonais, la Transbaïkalie échappe en partie à l'autorité de Moscou qui accepte en avril 1920 la création d'un « État-tampon », la République d'extrême-Orient. Les Japonais tentent de mettre Séménov à sa tête. Mais les partisans rouges qui forment des bandes puissantes passent à l'offensive. L’ataman est contraint de fuir Tchita vers la Mandchourie à l'automne 1920.

    C'est à ce moment qu'Ungern, prévoyant que son camarade ne pourra tenir face aux Rouges, a pris le parti de s'enfoncer en direction de la Mongolie à la tête de ses troupes personnelles, cette « Division de cavalerie asiatique » initialement créée avec l'appui des Japonais. On lui impute d'avoir exterminé en cours de route la population de plusieurs villages réputés "rouges". Mais les confins de la Sibérie, à cette époque, ne sont pas à un massacre près. En mars 1920, par exemple, la garnison japonaise de Nikolaevsk, à l'embouchure de l'Amour, et une bonne partie des civils ont été massacrés par les partisans rouges. Il y eut 700 morts parmi les Japonais et plus de 6.000 hommes, femmes et enfants parmi les civils, abattus sur ordre de Triapitsyne, le chef des partisans.

    « L'un de ses ordres prescrivait de tuer tout les enfants de plus de cinq ans, qui, autrement, pourraient garder des souvenirs et nourrir des idées de vengeance. Le chef d'état-major de Triapitsyne, qui était aussi sa maîtresse, Nina Lebedeva, une communiste de 25 ans, était censée veiller à ce que les partisans de Nikolaevsk agissent conformément à la politique soviétique ; caracolant sur son cheval, armée jusqu'aux dents et généralement habillée de cuir rouge, c'était un personnage de mélodrame. Quand une expédition punitive japonaise apparut sur les lieux, Triapitsyne rasa Nikolaevsk et se retira à l'intérieur du pays, où ses partisans, écœurés, bien qu'un peu tard, par ses cruautés, l'arrêtèrent. Lui, Nina et quelques-uns de ses acolytes les plus vils furent exécutés, après un jugement sommaire ».

    Dès qu'ils apprennent qu'Ungern est entré en Mongolie, les bolchéviks accentuent leur soutien aux jeunes révolutionnaires mongols de Soukhé Bator (le « petit Staline ») qui reçoivent une instruction politique et militaire à Irkoutsk. Ils seront bientôt envoyés à la frontière mongole avec des armes et des conseillers soviétiques.

    Ungern lui-même est accueilli en libérateur. De nombreux princes mongols voient en lui celui qui peut libérer le pays de l'occupation chinoise. L'un d'eux, Tsevenn devient même le commandant en chef des troupes mongoles d'Ungern. Celui-ci semble être partout. On signale sa présence simultanément en plusieurs points éloignés du territoire.

    À la fin du mois d'octobre 1920, il lance une première offensive sur Ourga pour en chasser les Chinois. Il dispose alors, semble-t-il, de 2.000 hommes de toutes origines, dont 800 cosaques. Les forces chinoises sont cinq fois plus nombreuses et l'attaque est repoussée. Mettant l'hiver à profit pour renforcer ses troupes, il s'empare aussi de la personne du bogd, par un coup d'audace, et l'emmène sous bonne escorte au monastère de la Montagne Sacrée.

    La deuxième offensive d'Ungern, en janvier 1921, prend les Chinois par surprise. Après quelques jours de combat, Ourga est prise le 2 février dans une orgie de sang. Tout ceux qui sont soupçonnés de sympathie bolchéviques sont exécutés. Le baron rétablit le bogd sur son trône, et se fait accorder les pleins pouvoirs. D'autorité, il recrute les Russes antibolchéviques réfugiés à Ourga dans son armée. Un peu inquiet des débordements de son protecteur, le bogd finira par demander à Pékin d'être libéré du « baron fou ».

    Mort du dernier général Blanc

    De leur côté, les bolchéviks tentent d'obtenir une intervention chinoise contre Ungern. Un rapport du capitaine japonais Sassaki explique l'inquiétude des bolchéviks :

    « Bien que les troupes d'Ungern soient insuffisantes pour renverser la République d'extrême-Orient, leur présence obligerait cette dernière à déployer constamment toute son armée le long de la frontière mongole. Par ailleurs, si un important mouvement antibolchévique venait à naître en Extrême-Orient, Ungern, avec ses troupes, pourrait créer la secousse initiale qui préluderait à l'écroulement de la République et à l'ébranlement des fondations de la Russie soviétique ».

    C'est bien ce que craignent Lénine et les dirigeants bolchéviques qui décident d'intervenir en force. Au printemps 1921, les partisans de Soukhé Bator sont moins de 500. C'est suffisant pour s'emparer de Khiagt, une bourgade où ils fondent aussitôt un « gouvernement populaire provisoire de Mongolie ». Suivant un schéma déjà utilisé plusieurs fois en Ukraine et dans les Pays Baltes, ce "gouvernement" fait appel au grand frère soviétique qui expédie ses forces armées sous une apparence légale.

    Le 21 mai, Ungern quitte Ourga à la tête de son armée. Son intention est de passer à l'offensive vers le nord en direction de la Transbaïkalie. Il escompte un soulèvement antibolchévique dans l'Oussouri. On signale en effet plusieurs guérillas antibolchéviques dans les provinces maritimes. L'armée réunie par Ungern compte semble-t-il 10.000 hommes. Se lancer à l'assaut de la Sibérie rouge avec une telle force relève pour le moins de la témérité.

    Le 12 juin, Ungern attaque Troitskosavsk que défendent des troupes soviétiques beaucoup plus nombreuses. À la suite d'une journée indécise, le baron se replie en Mongolie, ayant essuyé de lourdes pertes. Les troupes soviétiques pénètrent en Mongolie pour lui faire la chasse. L'armée rouge d'Extrême-Orient compte 78.000 hommes. Les troupes d'intervention sont commandées par Rokossovski, un excellent chef militaire. Ungern disperse ses troupes en petits détachements et fait le vide devant l'envahisseur, ne cherchant pas à défendre Ourga qui occupée par l'armée rouge le 11 juillet. Par un vaste mouvement tournant, il vient attaquer les arrières des Rouges. Le 24 juillet, il pénètre en territoire soviétique. Ayant subi un nouveau revers en aôut, il se retire vers le sud, échappant par miracle à l'encerclement, pendant que ses poursuivants s'entretuent…

    Il reste insaisissable, toujours bouillonnant d'idées. Mais son escorte est fourbue. Ses hommes sont démoralisés. Une nuit, ses propres cosaques attaquent sa tente. Profitant de l'obscurité, il saute sur un cheval et parvient à fuir. Cette fois, il est seul, ce qui ne l'effraie pas. Il en a vu d'autres. D'ailleurs les Rouges ont perdu sa trace.

    Un prince mongol, Sundui, qui lui est resté apparemment fidèle, le rejoint. Le baron est toujours sur ses gardes, la main sur le révolver. Un jour, profitant d'un instant de distraction, les hommes de Sundui le jettent à bas de son cheval et parviennent à le ligoter. Peu après, Sundui le livrera à Rokossovski (1).

    Sous bonne garde, Ungern est conduit à Novonikolaïevsk (future Novossibirsk). Condamné d'avance (1), il est fusillé le 17 septembre 1921. Ainsi disparaît le dernier général blanc, ce « baron fou » qui croyait à un axe entre l'Extrême-Orient et l'Extrême-Occident. Ce qui montre que, dans sa "folie", l'audacieux baron était en avance sur son temps.

    Dominique Venner, extrait de : Les Blancs et les Rouges : histoire de la guerre civile russe, 1917-1921, Pygmalion, 1997, p. 314-320.

    Notes :

    Au cours de la séance du Politburo du 27 août 1921, Lénine fit une proposition aussitôt acceptée : « Mener un procès public à une vitesse maximum et le fusiller aussitôt ».

    http://www.archiveseroe.eu/histoire-c18369981/4

  • Autour de la politique religieuse

    On a vu, en ces dernières années, se répandre chez trop de nos catholiques, un singulier état d’esprit ; il consiste à tenir le christianisme pour une panacée politico-sociale, capable de remédier par elle-même à tous les maux politiques. Rien de plus fallacieux et de plus illusoire, si l’on songe que la diffusion du christianisme n’a pas suffi à tout arranger dans la société. C’est risquer de le compromettre que d’en attendre des réalisations parfaites dans un ordre politique et terrestre qui n’est pas sa fin propre.

    Mais cet apparent optimisme religieux ne cacherait- il pas une sorte de renoncement à agir dans le monde, par impuissance à en résoudre les difficultés ? Car cette postulation messianique d’une cité parfaite, dont tous les citoyens seraient des saints, s’accommode fort bien d’un pessimisme catastrophique à l’endroit de la cité présente, que l’on renonce du même coup à organiser et qu’on abandonne « au processus de corruption » qui la travaille. Faudra-t-il donc attendre la conversion de tous les citoyens pour rétablir l’ordre dans la rue, l’honnêteté dans la vie publique, la responsabilité dans les corps de l’État ? Un tel absolutisme politico-religieux mène pratiquement à une sorte d’indifférentisme civique qui fait de ceux qui s’en réclament de véritables émigrés de l’intérieur.

    HENRI MASSIS

    Les idées restent Lyon, Lardanchet, 1941

    Si ces lignes étaient signées Charles Maurras, on crierait au naturalisme, mais elles sortent de la plume d’un écrivain catholique, qui, après L’Enquête d’Agathon avec Alfred de Tarde, a écrit sur Ernest Psichari et Jacques Rivière, qui a composé deux séries de Jugements (Renan, Barrès, Gide etc.), défendu le thomisme avec Maritain, avant de se séparer de lui après 1926, quand Rome crut bon de condamner l’Action française, condamnation fort provisoire levée par Pie XII dès 1939. Henri Massis était rédacteur en chef de la Revue Universelle que dirigeait Jacques Bainville. Sa Défense de l’Occident révèle parfois des accents prophétiques. Henri Massis a rassemblé dans Les idées restent des pages sur l’art, la littérature, la morale, la politique et l’histoire « non pas comme une anthologie, mais comme une somme des réalités essentielles éparses dans ses livres ».

    “Indifférentisme”

    Nous relèverons quelques expressions : « panacée politico-sociale » marque déjà une réserve ; le christianisme est présenté comme le remède miracle de guérisseurs qui ne sont pas des médecins. « C’est risquer de le compromettre » souligne une réserve encore plus grande. La religion en tant que telle ne doit pas être impliquée dans les luttes de la cité qui ne sont point « sa fin propre ». Henri Massis parle ensuite de « postulation messianique » : nous risquons de  sortir de l’ordre politique et naturel pour entrer dans une sorte de "sens de l’histoire"  que le catholicisme traditionnel a toujours r e j e t é . « L a conversion de t o u s l e s c itoyens » pour « l’ordre dans la r u e » r e l è v e d’une utopie moralisante, moralisatrice. L’ordre dans la rue se situe avant la cité de Dieu.

    Mais que deviennent nos catholiques entraînés dans cette nébuleuse ? Ils vont tomber dans un « absolutisme politico-religieux », la pire des attitudes politiques qui les mènera à un « indifférentisme civique » . Ils deviendront naïvement les complices du désordre et de l’erreur puisqu’ils ne prendront pas parti pour ceux qui ont politiquement raison. Qui se résigne à voir la France en république travaille en fait pour le désordre qui est l’anarchie dans les têtes avant même de l’être dans l’État.

    Lisons le De Regno de saint Thomas, nous avons un exposé de politique naturelle. La Politique tirée de l’Écriture sainte de Bossuet ne se réfère pas non plus à l’enseignement de l’Évangile, elle induit des préceptes politiques de l’histoire du peuple hébreu dans l’Ancien Testament à la lumière des principes d’Aristote et de saint Thomas. L’épanouissement spirituel de l’homme suppose l’ordre dans la cité, mais il ne le fonde pas. "Politique d’abord."

    Gérard Bauddin L’Action Française 2000 n° 2748 – du 15 mai au 4 juin 2008

  • Autour de la politique religieuse

    On a vu, en ces dernières années, se répandre chez trop de nos catholiques, un singulier état d’esprit ; il consiste à tenir le christianisme pour une panacée politico-sociale, capable de remédier par elle-même à tous les maux politiques. Rien de plus fallacieux et de plus illusoire, si l’on songe que la diffusion du christianisme n’a pas suffi à tout arranger dans la société. C’est risquer de le compromettre que d’en attendre des réalisations parfaites dans un ordre politique et terrestre qui n’est pas sa fin propre.

    Mais cet apparent optimisme religieux ne cacherait- il pas une sorte de renoncement à agir dans le monde, par impuissance à en résoudre les difficultés ? Car cette postulation messianique d’une cité parfaite, dont tous les citoyens seraient des saints, s’accommode fort bien d’un pessimisme catastrophique à l’endroit de la cité présente, que l’on renonce du même coup à organiser et qu’on abandonne « au processus de corruption » qui la travaille. Faudra-t-il donc attendre la conversion de tous les citoyens pour rétablir l’ordre dans la rue, l’honnêteté dans la vie publique, la responsabilité dans les corps de l’État ? Un tel absolutisme politico-religieux mène pratiquement à une sorte d’indifférentisme civique qui fait de ceux qui s’en réclament de véritables émigrés de l’intérieur.

    HENRI MASSIS

    Les idées restent Lyon, Lardanchet, 1941

    Si ces lignes étaient signées Charles Maurras, on crierait au naturalisme, mais elles sortent de la plume d’un écrivain catholique, qui, après L’Enquête d’Agathon avec Alfred de Tarde, a écrit sur Ernest Psichari et Jacques Rivière, qui a composé deux séries de Jugements (Renan, Barrès, Gide etc.), défendu le thomisme avec Maritain, avant de se séparer de lui après 1926, quand Rome crut bon de condamner l’Action française, condamnation fort provisoire levée par Pie XII dès 1939. Henri Massis était rédacteur en chef de la Revue Universelle que dirigeait Jacques Bainville. Sa Défense de l’Occident révèle parfois des accents prophétiques. Henri Massis a rassemblé dans Les idées restent des pages sur l’art, la littérature, la morale, la politique et l’histoire « non pas comme une anthologie, mais comme une somme des réalités essentielles éparses dans ses livres ».

    “Indifférentisme”

    Nous relèverons quelques expressions : « panacée politico-sociale » marque déjà une réserve ; le christianisme est présenté comme le remède miracle de guérisseurs qui ne sont pas des médecins. « C’est risquer de le compromettre » souligne une réserve encore plus grande. La religion en tant que telle ne doit pas être impliquée dans les luttes de la cité qui ne sont point « sa fin propre ». Henri Massis parle ensuite de « postulation messianique » : nous risquons de  sortir de l’ordre politique et naturel pour entrer dans une sorte de "sens de l’histoire"  que le catholicisme traditionnel a toujours r e j e t é . « L a conversion de t o u s l e s c itoyens » pour « l’ordre dans la r u e » r e l è v e d’une utopie moralisante, moralisatrice. L’ordre dans la rue se situe avant la cité de Dieu.

    Mais que deviennent nos catholiques entraînés dans cette nébuleuse ? Ils vont tomber dans un « absolutisme politico-religieux », la pire des attitudes politiques qui les mènera à un « indifférentisme civique » . Ils deviendront naïvement les complices du désordre et de l’erreur puisqu’ils ne prendront pas parti pour ceux qui ont politiquement raison. Qui se résigne à voir la France en république travaille en fait pour le désordre qui est l’anarchie dans les têtes avant même de l’être dans l’État.

    Lisons le De Regno de saint Thomas, nous avons un exposé de politique naturelle. La Politique tirée de l’Écriture sainte de Bossuet ne se réfère pas non plus à l’enseignement de l’Évangile, elle induit des préceptes politiques de l’histoire du peuple hébreu dans l’Ancien Testament à la lumière des principes d’Aristote et de saint Thomas. L’épanouissement spirituel de l’homme suppose l’ordre dans la cité, mais il ne le fonde pas. "Politique d’abord."

    Gérard Bauddin L’Action Française 2000 n° 2748 – du 15 mai au 4 juin 2008

  • Des Amérindiens aux origines en partie européennes

    Radio Canada 

    Ex: http://metamag.fr 

    Les Amérindiens ne sont pas exclusivement d'origine asiatique, montre le séquençage complet du plus vieux génome humain connu à ce jour. Les analyses montrent qu'ils partagent aussi des gènes avec les Européens. En effet, ce génome montre des similitudes avec ceux des populations autochtones des Amériques de même que ceux des populations vivant aujourd'hui en Eurasie occidentale, mais pas en Asie orientale.

    L'analyse a été effectuée à partir de l'os d'un enfant mort il y a 24 000 ans près du lac Baïkal, dans le site paléolithique russe de Mal'ta, en Sibérie. L'équipe internationale dirigée par Eske Willerslev, généticien au Muséum d'histoire naturelle du Danemark, a prélevé un minuscule échantillon (0,15 gramme) du squelette de l'enfant dont les restes ont été retrouvés en 1920 sur le site paléolithique de Mal'ta. Elle est ainsi parvenue à en extraire de l'ADN pour analyser son génome, « le plus ancien jamais décrypté à ce jour pour un homme anatomiquement moderne », conclut-elle dans son étude publiée dans la revue Nature. Le groupe de chercheurs a ensuite comparé l'ADN au génome des humains actuels, en particulier des populations amérindiennes, dont la généalogie reste mystérieuse.

    La théorie dominante depuis près de 100 ans laisse à penser que les premiers humains à avoir occupé l'Amérique sont des tribus asiatiques qui auraient franchi le Pacifique en passant par le détroit de Béring, lors d'une glaciation qui avait fait baisser le niveau de la mer entre les côtes sibériennes et l'Alaska.

    Les récentes données montrent maintenant que les Amérindiens semblent en effet être génétiquement proches des populations d'Asie orientale, mais ouvrent également d'autres perspectives. Notamment, des crânes présentant des caractéristiques incompatibles avec une morphologie asiatique et appartenant à des hommes vivant bien avant l'arrivée des Européens suivant la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb.

    En outre, l'ADN mitochondrial de l'enfant sibérien, transmis exclusivement par la lignée maternelle, a pratiquement disparu aujourd'hui, mais il était fréquent (plus de 80 %) chez les chasseurs-cueilleurs européens de la fin du paléolithique et du mésolithique. Pour ce qui est de son ADN nucléaire, transmis par le père via le chromosome Y, il précède celui des populations occidentales actuelles et est à la base de la plupart des lignées amérindiennes, sans ressemblance forte avec les populations asiatiques. Eske Willerslev affirme : « Nous estimons que 14 % à 38 % des ancêtres des Amérindiens peuvent avoir pour origine génétique cette population sibérienne du paléolithique. »

    Ces nouvelles informations laissent à penser que les ancêtres des Amérindiens avaient déjà probablement divergé de ceux des Asiatiques lorsque ce croisement avec les chasseurs-cueilleurs sibériens est survenu. De plus, cette filiation précède le moment où les populations amérindiennes se sont diversifiées dans le Nouveau Monde. Ainsi, selon les auteurs de l'étude parue dans Nature, « la signature génétique occidentale présente chez les Amérindiens actuels ne provient pas seulement de croisements survenus après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, comme on le pense souvent, mais aussi de l'héritage même des premiers Américains. » L'analyse d'un second échantillon d'ADN, prélevé sur un autre individu sibérien vieux de 17 000 ans, a confirmé leurs résultats en aboutissant à une signature génétique similaire.

    NDLR : Le célèbre archéologue russe, Mikhail Gerasimov a déjà établi que les oeuvres d'art préhistorique de la région de Mal'ta présentent de fortes ressemblances avec des figurines féminines d'Europe datant du paléolithique supérieur. Des similitudes semblables concernent les outils et les structures d'habitation.

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/04/20/des-amerindiens-aux-origines-en-partie-europeennes.html 

  • Peau Neuve

    L’ACTION FRANÇAISE 2000 va changer de présentation. Le numéro 2884 est le dernier de son espèce. Pourquoi changer ? Pour apporter aux lecteurs une information plus dense, plus riche, plus dynamique.

     

    Plus dense avec des articles plus courts ; plus riche avec un dossier systématique ; plus dy- namique en poursuivant la complémen- tarité entre le site de l’Action française (www.actionfrancaise.net) et son journal. L’Action Française 2000 est un journal "de combat", comme notre nouveau gouvernement : si ce dernier n’a pas encore fait ses preuves, sinon celle d’être tristement semblable aux précédents, notre journal, lui, peut s’enorgueillir de sa longévité et de la permanence de ses engagements. Depuis sa création, L’Action Française 2000 s’est efforcé d’ac- compagner le débat intellectuel français, en rendant compte du mouvement des idées et en replaçant constamment la réflexion royaliste comme une perspective normale du débat ; il a aussi examiné la place de la France dans le concert des nations, rendu compte des évolutions géopolitiques et regretté les choix hasardeux ou antinationaux de nos dirigeants successifs ; enfin, il a toujours tenu sa position d’observateur éclairé, refusant le jeu des partis et des adhésions partisanes, se donnant toujours le temps d’exposer les principes et d’analyser les propositions, sans trancher en fonction des passions du moment. Dans sa nouvelle formule, L’Action Française 2000 poursuivra cette ligne éditoriale, réaffirmant que « tout ce qui est national est nôtre » : l’évolution des institutions comme les nouveaux faits de société, notre souveraineté en souffrance comme l’économie mondialisée, et surtout l’avenir de l’intelligence, comme s’appellera désormais la rubrique consacrée aux idées et aux débats. À la faveur de sa nouvelle formule, le journal accueillera de nouveaux collaborateurs le combat est ancien mais les troupes toujours renouvelées — et ces pages sont un trait d’union. ❑

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Peau-Neuve

  • 1303 : Le roi seul maître au temporel

    Cette année-là, la dix-huitième de son règne, Philippe le Bel, trente-cinq ans, était le premier souverain d'Europe. Avec l'aide de légistes nourris de la notion romaine de souveraineté, il proclamait à toute occasion et non sans une certaine impétuosité l'indépendance de la couronne qu'il savait recevoir de Dieu seul.

    Le malheur avait voulu que régnât à Rome depuis 1295 un pape de haute culture mais obtus. Ayant succédé au pauvre et éphémère Célestin V dont il avait hâté la fin, le cardinal Caetani, devenu Boniface VIII, se faisait de la fonction papale une idée certes haute mais quelque peu totalitaire, prétendant imposer sa volonté aux rois non seulement dans les domaines de la foi et de la morale (cela ne se discutait pas) mais aussi dans les affaires politiques.

    Certes, la Chrétienté, que Maurras devait admirer comme la « grande fraternité des peuples baptisés » existait encore, mais les États s'affirmaient, s'organisaient, entraient dans l'histoire, devenant de réelles communautés de destin. S'ils pouvaient accepter l'arbitrage pontifical pour régler leurs différends entre eux, ils ne pouvaient admettre un impérialisme papal. Le grand-père du roi Philippe le Bel, Louis IX, que Boniface VIII avait lui-même canonisé en 1297, ne pensait pas autrement.

    Tout avait commencé entre Boniface et Philippe par une basse question d'argent. En principe, étant chargé de l'assistance publique, le clergé ne payait pas d'impôt, mais pour mener la guerre contre les Flamands, le roi, ayant besoin de beaucoup d'argent, leva en 1295, la "décime" que, bon gré mal gré, le clergé accepta. Puis il voulut percevoir un impôt général du "cinquantième", ce dont les évêques allèrent se plaindre à Rome. Le pape publia la bulle Clericis laïcos précisant d'un ton très dur que les rois ne pouvaient lever un impôt sans l'autorisation du Saint-Siège, tandis que le roi interdisait tout passage de monnaie à l'étranger. Suivirent moult bulles papales et déclarations royales, véhiculant menaces et défis avec exagérations des deux côtés, jusqu'au jubilé de 1300 où l'on put croire à un apaisement. Dès l'année suivante Boniface VIII arbora une tiare avec une seconde couronne manifestant son autorité au-dessus des rois. Les positions restaient aussi fermes et les tempéraments tout aussi entiers.

    Pour envenimer les choses, surgit un agité, Bernard Saisset, évêque de Pamiers, qui, fâché avec tout le monde sauf avec le pape, parlait de soulever le Languedoc. Le roi le fit arrêter, le pape le réclama, puis se fâcha et publia la bulle Ausculta filii, affirmant que le pape est au-dessus des rois même au temporel et intimant au roi l'ordre de se débarrasser de ses conseillers. À quoi Philippe répondit en convoquant le dimanche des Rameaux 1302 à Notre-Dame une vaste assemblée d'évêques de clercs, de princes et de barons, et de représentants des communes (une sorte d'embryon d'états généraux) qui marqua l'union intime du roi et de ses sujets sur la grave question de la liberté du royaume. Le garde des Sceaux, Pierre Flotte, affirma que « le roi n'a pas de supérieur au temporel ». Une députation envoyée à Boniface s'entendit dire par celui-ci que si Philippe ne venait pas à résipiscence, « nous le déposerions comme un varlet ». Et sur ce fait de fulminer l'excommunication et de convoquer un concile avec obligation pour les évêques français d'y venir...

    Philippe le Bel, qui venait de subir à Courtrai une défaite contre les Flamands, ne voulait plus tergiverser. Désormais, il allait demander ce qu'aucun roi n'avait jamais osé : la déposition du pape ! Comme le montre Jacques Bainville, ce n'est qu'en voyant que l'intransigeance pontificale pouvait ébrécher son autorité et l'unité morale du royaume que Philippe le Bel frappa le grand coup : il envoya avec une petite troupe et dans le plus grand secret son conseiller Guillaume de Nogaret à Anagni pour qu'il se saisît de la personne du pape et l'amenât à comparaître devant un concile général en vue de sa destitution. La nuit du 7 septembre 1303 eut lieu la rencontre. Le pape fut enlevé, mais plus aucun historien sérieux ne dit qu'il aurait été giflé. Deux jours après, la foule le libérait ; quinze jours plus tard, Boniface VIII mourait d'émotion, assez peu regretté même de son entourage romain.

    Ledit "attentat d'Anagni" ne fut qu'une démonstration audacieuse et risquée d'une juste exaspération. En octobre, le nouveau pape Benoît XI levait les sanctions contre Philippe le Bel et lui consentait la "décime" pour deux ans. Puis l'année suivante, son successeur Clément V allait être le premier pape à s'installer à Avignon, sous protection française.

    Philippe le Bel, que l'on sait par ailleurs extrêmement pieux n'avait point agi par "laïcisme". Il voulait seulement affirmer avec la fougue de la jeunesse d'une nation en pleine éclosion que pour le bien de l'un et de l'autre le pape et le roi devaient être pleinement souverains chacun dans son domaine et que spirituel et temporel ne devaient pas empiéter l'un sur l'autre. On aimerait voir la République agir aujourd'hui de la sorte à l'égard de tous les papes de la pensée unique...

    MICHEL FROMENTOUX  L’Action Française 2000 du 1 er au 14 mai 2008