culture et histoire - Page 1597
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Vae Victis - De Près Comme De Loin
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"Le capitalisme a organisé la dépendance à l'argent"
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« La Révolution française » de Philippe Pichot-Bravard
Retour sur la Révolution française
« Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu de manière directe ou indirecte, comme modèle la Terreur et comme référence Robespirre. » (Ronald Sécher)
Une révolution sémantique
Une des grandes innovations de la Révolution française réside dans la manipulation sémantique à laquelle ses idéologues se sont livrés. Des mots tels que patrie, nation et peuple ont été redéfinis de façon à les inscrire dans la perspective révolutionnaire.
« Pour les révolutionnaires, pour Brissot, pour Condorcet, pour Guadet, la “patrie” se définit par des idées et non par une histoire, un territoire et une population. La patrie n’est plus la terre des pères mais la communauté des citoyens. Pour les révolutionnaires, les termes patrie, constitution, liberté, pacte social et Révolution sont interchangeables. Cette définition idéologique de la patrie donne à la lutte qui commence son caractère idéologique. L’ennemi n’est pas uniquement en dehors des frontières. Est ennemie toute personne qui n’adhère pas à la Constitution, toute personne qui rejette la Révolution … A l’inverse est patriote toute personne qui adopte les idéaux de la Révolution, où qu’elle se trouve. »
De ces modifications du sens de mots clefs tels que nation ou patrie, il résulte une ambiguïté qui est toujours d’actualité. Quand les hérauts contemporains de l’idéologie révolutionnaire, y compris les souverainistes « chevènementistes », parlent de nation française, ils ne parlent pas de la communauté issue des communautés historiques installées dans les terroirs de France depuis des lustres, ils parlent de l’agrégat d’individus vivant en France aujourd’hui et qui partagent l’idéologie issue de la Révolution française. Ces derniers constituent le camp des républicains, lesquels ont le devoir de dénoncer à la vindicte publique, comme en 1793, les mal-pensants rétifs à l’idéologie des droits de l’homme et à tous les principes issus de cette révolution.
Un gouvernement génocidaire
Jusqu’à la découverte par Reynald Sécher (Vendée : du génocide au mémoricide, Cerf, 2011) à la Bibliothèque Nationale en 2011 des ordres manuscrits signés par Barère, Billaud-Varenne, Robespierre … concernant l’extermination systématique des Vendéens, la justification officielle de ces crimes commis contre une population bien précise reposait sur la nécessité qui s’imposait au gouvernement révolutionnaire d’éradiquer une révolte qui mettait en péril le pays engagé par ailleurs dans une guerre étrangère. Par ailleurs, les historiens favorables à cette révolution ont toujours nié la volonté génocidaire et ont expliqué les crimes commis au sud de la Loire par la médiocrité ou l’extrémisme de certains généraux :
« Ainsi, Jean-Clément Martin fait de la Terreur le fruit conjugué du péril extérieur et de la faiblesse de l’Etat … Cette affirmation n’a qu’un but, explicitement assumé : dédouaner le gouvernement révolutionnaire de 1793 de toute parenté avec les expériences totalitaires du XXe siècle. »
Le problème est que toutes ces justifications ressassées depuis plus de deux siècles sont fausses. Les « grands ancêtres » ont bien inventé le génocide idéologique et les génocideurs soviétiques, chinois ou cambodgiens ont été leurs héritiers, comme l’a dit Alexandre Soljenitsyne lors de son voyage en Vendée. Comme l’a écrit Reynald Sécher : « Tous les régimes totalitaires du XXe siècle ont eu, de manière directe ou indirecte, pour modèle la Terreur et pour référence Robespierre » et, plus loin : « Si, comme le dit Rafael Lemkin, les génocides ont existé de tout temps, le génocide des Vendéens, lui, est le premier génocide légal, c’est-à-dire voté par les représentants du peuple, et le premier génocide moderne de type proto-industriel ».
Un trotskysme français
Bien avant Napoléon Bonaparte, qui fut dans sa jeunesse un Jacobin très militant, les révolutionnaires ont imaginé d’exporter par la guerre leur révolution dans toute l’Europe pour l’unifier autour des idées révolutionnaires.
« L’Assemblée n’est pas éloignée de croire que les armées révolutionnaires seront accueillies triomphalement par tous ceux qui, hors des frontières, “gémissant sous le joug des despotes ”, mettent leurs espoirs dans la Révolution française. Il suffit à la France révolutionnaire de tendre la main aux peuples pour que les « tyrans couronnés » soient balayés. »
Bonaparte sera fidèle à cette orientation et il tentera de conquérir les esprits en écrasant militairement toutes les monarchies européennes et en imposant les principes révolutionnaires dans le sillage de ses victoires. On sait comment toute cette épopée délirante générée par l’hubris d’un révolutionnaire doublé d’un aventurier s’est terminée : la ruine de la France, une profonde saignée démographique et l’occupation de notre pays par les puissances victorieuses.
Girondins et Jacobins
Beaucoup de gens opposent les Girondins aux Jacobins, en particulier quand il s’agit des libertés locales. Ainsi il y aurait, face au centralisme jacobin, un fédéralisme girondin qui pourrait constituer la base théorique d’une autre façon de concevoir la France. Tout cela est infondé, comme l’a écrit Mona Ozouf et comme le rappelle Philippe Pichot-Bravard :
« Ce qui rapproche les Girondins des Montagnards est plus important que ce qui les éloigne … Née de l’antagonisme entre Brissot et Robespierre à propos de la déclaration de guerre, l’opposition des Girondins et des Montagnards est d’abord un conflit de personnes et de caractères avant d’être un conflit d’idées. »
Les Girondins n’ont jamais été partisans du fédéralisme mais ils ont été accusés de fédéralisme par leurs concurrents jacobins. En réalité, la différence résidait dans le fait que les Girondins souhaitaient la participation des citoyens des villes de province et refusaient le monopole que s’étaient octroyé les révolutionnaires parisiens. Il n’y a pas là d’embryon d’une conception fédérale de la France, contrairement à ce qu’on entend fréquemment. Jacobins et Girondins étaient aussi centralistes et partisans de l’uniformisation les uns que les autres.
Mona Ozouf écrivait dans le Monde des débats de janvier 2001 :
« A l’origine, Girondins et Jacobins n’étaient que deux factions qui se disputaient le pouvoir … En outre, il leur arrivait de partager le même vocabulaire et d’échanger leurs arguments. La République ? “C’est elle qu’il faut envisager sans cesse, avec l’entière abstraction de tout lieu et de toute personne ”. Quel exalté parle ici ? Chevènement ? Pasqua ? Mais non, c’est Buzot, pur Girondin. Il faut donc réviser nos réflexes. Les Girondins ont tous été Jacobins à un moment quelconque, si on entend par là l’appartenance au Club de la rue Saint-Honoré ; Jacobins aussi si on définit le jacobinisme par le patriotisme exclusif et le rêve fiévreux d’une France guerrière rédemptrice de l’humanité. »
La Révolution contre la démocratie
Il est évident pour quasiment tout le monde que la Révolution de 1789 a instauré la démocratie en France. Cette banalité est très contestable parce qu’en fait les révolutionnaires ont mis en place un système représentatif et non pas une démocratie. Ils opposaient de manière très claire celui-ci à celle-là, comme l’expliquait Siéyès dans un très important discours prononcé le 7 septembre 1789. Nous avons hérité de ce système représentatif qui est aux antipodes de la démocratie comme nous le verrons dans un prochain article. Ce système représentatif qui prétend être « la » démocratie est à l’origine du malaise explosif que nous connaissons.
La révolution n'est pas terminée
Vincent Peillon a écrit dans son livre intitulé La Révolution française n’est pas terminée (Le Seuil, 2008) :
« La Révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu […] 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau […]. La Révolution implique l’oubli total de ce qui précède la Révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines. »
Et dans le Journal du dimanche du 2 septembre 2012 il précisait sa pensée en déclarant que le rôle fondamental de l’école consistait à « arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix ». Il nous dit donc très clairement que le projet révolutionnaire de construction (il s’agit bien de constructivisme) d’un homme nouveau que tous les régimes socialistes et communistes ont essayé de mettre en œuvre, à la suite de la Révolution française, est toujours d’actualité. Il s’agit de tirer un trait sur tous les errements hérités de l’histoire pour laisser se développer librement des esprits débarrassés de tous les miasmes du passé.
Nous sommes toujours là dans l’utopie de l’homme nouveau mais V. Peillon l’aborde du point de vue libéral/libertaire qui est marqué par le fantasme narcissique de l’autoengendrement. Cette approche peut sembler plus acceptable que celles des regrettés régimes soviétique et maoïste mais en fait le résultat est le même parce qu’une fois qu’on a dépouillé les enfants de tous leurs héritages, il faut bien combler le vide et c’est là qu’interviennent les pédagogues chargés d’installer dans les jeunes cerveaux un « logiciel » culturel prétendument neutre mais qui est en fait très tendancieux. En quoi la culture très marquée idéologiquement et très contestable de MM. Meirieu et consorts est-elle préférable à la culture issue des familles et des communautés d’appartenance ?
Toute cette entreprise qui se présente comme « libératrice » est en fait une entreprise de « formatage » culturel totalitaire ; les idéologues de gauche, y compris les libéraux-libertaires, sont incapables de se départir de leur tendance maladive à la reconstruction de l’humanité malgré toutes les catastrophes que cette obsession a engendrées dans le passé. Cette tendance constructiviste a sa source dans la croyance selon laquelle l’homme est une tabula rasa au moment de sa naissance ; cette croyance a été démentie par les éthologues, mais Vincent Peillon préfère se bercer des illusions héritées de la philosophie du XVIIIe siècle.
Il est temps d’en finir avec la référence obligatoire et unique à la Révolution française, non pas pour en revenir à l’Ancien Régime, mais pour penser un républicanisme débarrassé de l’idéologie des droits de l’homme, du libéralisme, de l’individualisme et de l’égalitarisme.
Bruno Guillard, 31/3/2014
Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, éd. Via Romana, préface de Philippe de Villiers, février 2014, 294 pages.
Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit et maître de conférences en histoire du droit public. Il a publié plusieurs ouvrages dont une Histoire constitutionnelle des Parlements de l’ancienne France (Ellipses, 2012) et un ouvrage intitulé La Révolution française qui vient de paraître aux éditions Via Romana.
http://www.polemia.com/la-revolution-francaise-de-philippe-pichot-bravard/
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Pierre Hillard présente son nouveau livre : Chroniques du mondialisme
Pierre Hillard est un chercheur en géopolitique, jouissant désormais d’une notoriété certaine.
Nous relayons régulièrement l’actualité et les travaux de ce spécialiste du mondialisme.
Le dernier ouvrage de cet auteur catholique vient de paraître :
Chroniques du mondialisme. 212 p. Ed. Retour aux sources. 19 €.
Pour l’acheter, c’est par ici.Pierre Hillard le présente dans cette vidéo :
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Urbanisme à la française : comment la France est devenue moche (extrait)
PARIS (NOVOpress) – Article de Télérama (une fois n’est pas coutume) de février 2010, posté sur le blogue internationalnews.fr.
Échangeurs, lotissements, zones commerciales, alignements de ronds-points… Depuis les années 60, la ville s’est mise à dévorer la campagne. Une fatalité ? Non : le résultat de choix politiques et économiques. Historique illustré de ces métastases périurbaines.
Un gros bourg et des fermes perdues dans le bocage, des murs de granit, des toits d’ardoise, des tas de foin, des vaches… Et pour rejoindre Brest, à quelques kilomètres au sud, une bonne route départementale goudronnée. C’était ça, Gouesnou, pendant des décennies, un paysage quasi immuable. Jean-Marc voit le jour dans la ferme de ses parents en 1963. Il a 5 ans lorsqu’un gars de Brest, Jean Cam, a l’idée bizarre d’installer en plein champ un drôle de magasin en parpaing et en tôle qu’il appelle Rallye.
Quatre ans plus tard, les élus créent un peu plus au nord, à Kergaradec, un prototype, une ZAC, « zone d’aménagement concerté » : les hangars y poussent un par un. Un hypermarché Leclerc s’installe au bout de la nouvelle voie express qui se construit par tronçons entre Brest et Rennes. Puis viennent La Hutte, Conforama et les meubles Jean Richou… 300 hectares de terre fertile disparaissent sous le bitume des parkings et des rocades. Quelques maisons se retrouvent enclavées çà et là. La départementale devient une belle quatre-voies sur laquelle filent à vive allure R16, 504 et Ami 8. Un quartier chic voit le jour, toujours en pleine nature, qui porte un nom de rêve : la Vallée verte…
C’est à ce moment-là que ça s’est compliqué pour les parents de Jean-Marc. Avec l’élargissement de la départementale, ils sont expropriés d’un bon bout de terrain et ne peuvent plus emmener leurs vaches de l’autre côté de la quatre-voies. Ils s’adaptent tant bien que mal, confectionnent des produits laitiers pour le centre Leclerc, avant de se reconvertir : la jolie ferme Quentel est aujourd’hui une des salles de réception les plus courues de Bretagne. Les fermes voisines deviennent gîte rural ou centre équestre.
La Vallée verte, elle, se retrouve cernée de rangées de pavillons moins chics : « Nous, on a eu de la chance, grâce à la proximité de l’aéroport, les terres tout autour de la ferme sont restées inconstructibles. » Aujourd’hui, quand il quitte son bout de verdure préservé pour aller à Brest, Jean-Marc contourne juste la zone de Kergaradec, tellement il trouve ça moche : « C’est à qui fera le plus grand panneau, rajoutera le plus de fanions. Comme si tout le monde hurlait en même temps ses messages publicitaires. »
Source : internationalnews.fr
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Armées Privées - guerres militaires
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Il y a 60 ans, Dien Bien Phu...
Du 13 mars au 7 mai 1954, l'élite de l'armée française, retranchée à Dien Bien Phu, affronta l'armée vietminh du général Giap. Retour sur un holocauste.
Le 13 mars a sonné un anniversaire tragique, celui du commencement, voilà 60 ans, de la bataille de Dien Bien Phu. Peu après 17 heures, ce jour-là, l'artillerie vietminh, dont la présence et l'importance devait considérablement surprendre le commandement français, ouvrit le feu contre le camp retranché.
Pour les Français comme pour le Vietminh, le combat qui s'engageait devait être une démonstration de puissance. Il manifesta la défaite de la France dans ce conflit commencé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, après la déclaration d'indépendance de la République démocratique du Viêt Nam par Hô Chi Minh en septembre 1945.
Le vietminh, qui bénéficie pleinement de l'appui de la Chine depuis la victoire définitive de Mao Tsé-Toung en 1949, a déjà infligé aux Français une défaite sur la RC4 en 1950. Le général de Lattre de Tassigny, envoyé par Paris pour rétablir la situation, a renoué avec les victoires, mais il est mort en janvier 1952. Le général Salan, qui lui a succédé, a lui aussi connu le succès contre le général viet Vo Nguyen Giap, en remportant la bataille de Na San, fin 1952, avant d'être remplacé en mai 1953 par le général Henri Navarre, qui doit empêcher le vietminh de progresser au Laos. À cette fin, Navarre se rallie à la stratégie du « hérisson », qui a réussi à Na San : l'implantation de camps retranchés à partir desquels peuvent être lancées des opérations offensives. Pour implanter son nouveau camp, il choisit une petite plaine de 17 kilomètres de long sur 7 de large, entourée de collines, traversée du nord au sud par une rivière, la Nam Youn, et au centre de laquelle se trouve un village : Dien Bien Phu. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Japonais y ont installé un aérodrome.
Le 20 novembre 1953, le 6e Bataillon de parachutistes coloniaux (6e BPC) et le 2e Bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes (1er RCP), respectivement commandés par les commandants Bigeard et Bréchignac, s'emparent de Dien Bien Phu, où d'autres unités paras sont larguées les jours suivants. Pendant quatre mois, des troupes et du matériel sont aéroportés dans le camp retranché, organisé autour de la principale piste d'aviation qu'entourent plusieurs centres de résistance, baptisés de noms féminins : Anne-Marie, Huguette, Françoise, Claudine, Junon, Eliane, Dominique, Béatrice au nord-est, Gabrielle, Isabelle à part, 5 kilomètres plus au sud. Ces centres de résistance sont eux-mêmes divisés en points d'appui: Dominique 1, Dominique 2, etc.
Des canons en pièces détachées
Giap réagit rapidement, en ordonnant à quatre divisions d'élite vietminh de faire mouvement vers Dien Bien Phu, pour une attaque qu'il fixe au 25 janvier, et qui sera finalement reportée. Dans la perspective d'une conférence qui doit se tenir en avril, à Genève, entre les puissances occidentales, la Chine et le vietminh, une victoire spectaculaire contre l'armée française serait évidemment très bienvenue.
Les militaires français, pour leur part, envisagent le bras de fer avec optimisme. Ils considèrent que Giap, trop éloigné de ses bases, sera confronté à de sérieux problèmes d'approvisionnement, alors que l'aérodrome garantira le ravitaillement du camp retranché et l'acheminement des renforts ; et que l'ennemi ne pourra amener sur place qu'un faible nombre de pièces d'artillerie, que les canons français, de plus fort calibres, n'auront pas de mal à contrebattre. C'est pourquoi les fortifications, à Dien Bien Phu, ne sont pas bétonnées, mais construites en terre, rondins, sacs de sable et tôles...
Or, Giap a compris le raisonnement de ses adversaires et trouvé la solution. Cette solution, c'est l'utilisation de 260 000 coolies, hommes, femmes (surtout) et enfants, qui accompliront, souvent pieds nus, des centaines de kilomètres, de jour comme de nuit, en portant des charges d'une quarantaine de kilos ou en poussant des milliers de vélos Peugeot bricolés pour pouvoir véhiculer jusqu'à 250 kg de matériel. « Pour l'état-major français, il était impossible que nous puissions hisser de l'artillerie sur les hauteurs dominant la cuvette de Diên Bien Phu et tirer à vue, expliquera le général viet. Or, nous avons démonté les canons pour les transporter pièce par pièce dans des caches creusées à flanc de montagne et à l’insu de l'ennemi. Navarre avait relevé que nous n'avions jamais combattu en plein jour et en rase campagne. Il avait raison. Mais nous avons creusé 45 km de tranchées et 450 km de sapes de communications qui, jour après jour, ont grignoté les mamelons. »
Des combats d'une âpreté inouïe
Les Français sont placés sous le commandement du colonel Christian de Castries (nommé général pendant la bataille). La garnison du camp retranché, d'un effectif de 10800 hommes au début de la bataille, 14000 à la fin, regroupe l'élite de l'armée française, parachutistes, légionnaires, tirailleurs algériens et marocains, plus deux bataillons thaïs, appuyés par des unités de génie, de l'artillerie et dix chars.
En face, Giap aligne 65 000 hommes en mars, 80 000 en mai, pas d'aviation, mais une artillerie nombreuse et enterrée, qui dès le 13 mars crée la surprise chez les Français.
D'entrée de jeu, en effet, leurs défenses sont écrasées sous les obus ennemis de gros calibre : pas plus que l'aviation, les canons français ne sont capables de faire taire les pièces ennemies, nombreuses et bien protégées. Le colonel Piroth, commandant l'artillerie française, s'en jugeant responsable, se suicidera le 15 mars.
Le 13, sur Béatrice, premier centre de résistance attaqué par les viets, le chef de bataillon Pégot, qui commande le 3e bataillon de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, est tué dans son abri avec ses adjoints. Un autre projectile tombe un peu plus tard sur l'abri du lieutenant-colonel Gaucher, chef de corps de la 13e DBLE et commandant du sous-secteur, et lui arrache les deux bras.
Les combats prennent tout de suite une âpreté et une sauvagerie inouïes. Tout au long de la bataille, les viets creusent, comme des taupes, des tranchées dont ils surgissent pour donner l'assaut, sans souci des pertes humaines, sous les obus de leur propre artillerie, précédés par les « volontaires de la mort » portant des charges de plastic au bout de longs bambous. « Les minces silhouettes surgissent devant les tranchées en rangs serrés, au coude à coude, elles tombent sous les rafales des défenseurs et sous les obus viets, et d'autres sans cesse les remplacent, montant sur les rangées qui sont tombées », écrit Georges Blond(1). Vague après vague, elles finissent par submerger les légionnaires, qui se battent à un contre dix et se font tuer sur place.
Des antennes médicales débordées
Après Béatrice, vient le tour de Gabrielle. Deux régiments attaquent le 5e bataillon du 7e régiment de tirailleurs algériens, qui se défend si farouchement que la 308e division vietminh doit être relevée : en six heures, elle a eu 1200 tués et le double de blessés. Mais Gabrielle finit aussi par tomber, le 15 mars, malgré une contre-attaque de secours trop tardive, conduite par des parachutistes et appuyée par des chars.
La prise des deux centres de résistance a cependant coûté très cher à Giap, qui se contente jusqu'à la fin du mois de mars de bombarder copieusement le camp retranché et en particulier la piste d'aviation, rendue définitivement inutilisable à partir du 27 mars. Cela non plus, n'avait pas été prévu. Dien Bien Phu est désormais isolée, le ravitaillement, les munitions et les renforts ne peuvent qu'être parachutés, sous les tirs de la DCA ennemie, et l'évacuation des blessés devient impossible. Le médecin-commandant Grauwin, en revanche, gagne une aide précieuse avec l'arrivée d'une jeune convoyeuse de l'air, Geneviève de Galard, bloquée à Dien bien Phu.
Très vite, les antennes médicales, prévues pour accueillir quelques dizaines de blessés, sont d'ailleurs débordées. 4000 hommes y seront soignés avec des moyens de fortune, dans des conditions abominables.
Grauwin évoquera plus tard le pullulement des asticots « grouillant dans les couvertures sales, les draps, les plâtres, les pansements », ainsi que le « trou des amputés », « où l'on jette les membres broyés que l'on a séparé du vif en salle d'opération. .. ». Servent aussi comme infirmières les prostituées du BMC, des Algériennes de la tribu des Ouled-Naïl dont Georges Blond saluera le courage et qui ne reviendront pas des camps viets.
Les attaques reprennent le 30 mars, les soldats de Giap s'emparant de nombreux points d'appui. Le lendemain, Dominique 2 et Eliane 1 sont réoccupées à grand prix par les parachutistes des 8e et 6e BPC, qui doivent néanmoins abandonner les positions reprises, faute de pouvoir y être relevés.
À partir du 20 avril, commence la mousson, les fortes pluies tropicales, qui gêne l'aviation et dont un ancien de Dien Bien Phu a décrit les effets : « Dix, vingt centimètres d'eau dans les tranchées encombrées de macchabées. Dans les abris, dix centimètres de boue. Plus jamais rien de sec, ni la nourriture, ni les vêtements. Ne plus jamais se dévêtir ni se déchausser la peau des pieds pourrie. Et l'horreur des latrines, dégoulinantes, répandant leurs ruisseaux atroces... »(2). L'odeur de la mort y plane, comme sur les champs de bataille de 14 : « Entre la mi-avril et la capitulation, la plus grande partie de la surface du camp retranché est devenue une juxtaposition de charniers affreux qui ont plusieurs fois changé de mains. »(3).
Le hurlement des orgues de Staline
Tout au long du mois d'avril, les Viets rongent en effet les positions françaises, dont le périmètre diminue. Jusqu'au début de mai, des renforts sont pourtant parachutés dans la fournaise - non seulement les régiments paras, comme le 2e BEP ou le Ie1 BPC, mais aussi des volontaires dont c'est le tout premier saut et que n'effraie pas le risque de la casse, ni celui de tomber chez l'ennemi. Malgré cela, le 15 avril, il ne reste que 3500 hommes en état de se battre. Les derniers jours, on voit des blessés graves, y compris des manchots ou des unijambistes, rejoindre les postes de combat: à Dien Bien Phu, l'héroïsme est quotidien.
Saignés à blanc, les défenseurs du camp retranché tiennent toujours. Le 6 mai, cependant, le dénouement approche ; les combattants encore à peu près valides envisagent de tenter de percer les lignes vietminh, pour échapper à la capture et tenter de rejoindre une colonne de secours, la colonne Crèvecoeur. Mais le piège est solide et vers 19 heures, après une nouvelle préparation d'artillerie, les troupes de Giap attaquent partout. Les Français se battent à un contre cent, se faisant tuer sur place. Et soudain, « un bruit effroyable retentit, une sorte de hurlement suivi d'une explosion », écrit Geneviève de Galard(4). Ce sont les redoutables « orgues de Staline », lance-roquettes tirant douze torpilles à la fois, qui font pour la première fois leur apparition dans la bataille. Les Viets ont creusé une sape sous Eliane 2, y font sauter une charge qui éventre le sommet du point d'appui.
Dien Bien Phu tombe le lendemain, 7 mai. A 5 kilomètres au sud, sur Isabelle, seul point d'appui que les viets ne tiennent pas encore, les survivants des deux bataillons du colonel Lalande tentent la percée. Une centaine d'entre eux seulement parviendra à forcer la souricière et à atteindre vivants Muong Saï, poste français à 200 km à l'ouest. Beaucoup d'autres mourront, perdus dans la jungle.
Quant à leurs camarades, ils prennent par milliers le chemin des camps de concentration viets. Sur 11 721 prisonniers, 3 290 seulement en reviendront.
Hervé Bizien monde & vie 18 mars 2014
1.2.3. : Georges Blond, la Légion étrangère, Stock.
4. Geneviève de Galard, Une femme à Dien Bien Phu, Les Arènes.
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Le jugement
Juger revient à établir un rapport entre deux notions. On peut par exemple juger les autres, ce qui peut paraître insupportable pour certains : « Un tel est un minable », « Telle femme est belle ou laide », « Un tel est un psychopathe ».
Dans tout jugement il y a une part de création de vérité, d'affirmation de soi, d'engagement, ce qui peut s'opposer à l'humilité judéo-chrétienne : « Qui suis-je pour juger ? » (Pape François). On ne juge pas uniquement les autres, mais aussi tout objet, tout acte. En plus des jugements de valeurs et de faits (« le toit est gris »), existent les jugements de goûts (« telle œuvre est belle ou réussie »). Juger est en fin de compte lié à l'activité de penser. Penser, c'est juger. Penser est aussi dominer, car juger est aussi s'approprier le monde ou les autres.
Kant
Dans la critique du jugement (Urteil) Kant analyse le terme. En logique, tout énoncé relie deux concepts : le sujet et le prédicat. « Le mur est blanc » (S est P). Ce jugement peut être vrai ou faux. La critique du jugement analyse la raison en tant qu'elle a la faculté de porter des jugements.
Dès que nous parlons nous jugeons. Le philosophe distingue les jugements analytiques et les jugements synthétiques.
Il y a aussi les jugements a priori nécessaires et universels. Ils ne viennent pas de l'expérience. Ils conditionnent notre pensée comme les énoncés mathématiques. Les jugements empiriques viennent de l'expérience « la mer est bleue ».
Un jugement est analytique lorsque le prédicat ne fait que dire ce qui est déjà dans sujet (« les corps sont étendus »). Dans la notion de corps se trouve déjà l'étendue.
Dans le jugement synthétique, le prédicat ajoute quelque chose au sujet (« les corps sont pesants »).
Pour Kant seuls les jugements synthétiques a priori sont « scientifiques ». Ils nous apprennent quelque chose tout en étant nécessaires et universels.
Le philosophe dans « Critique de la raison pure » se pose la question : comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Il verra dans le sujet les formes a priori qui constituent l'objet.
Les deux sources de la connaissance sont la sensibilité par laquelle les impressions sont reçues et l'entendement qui permet de les penser. Sans résumer ici la critique de la raison pure, l'espace et le temps sont les formes a priori de la sensibilité.
La sensibilité est passive, l'entendement est une fonction active.
Les formes a priori de la pensée sont appelées par Kant catégories de l'entendement. La catégorie capitale est celle de la causalité. Elle est a priori et ne provient pas de l'habitude à la différence de Hume. Les catégories a priori viendraient sans qu'il le dise de la structure de notre cerveau.
Descartes - Spinoza
Pour Descartes, le jugement est l'expression de ma liberté. C'est décider en face de l'existant en engageant sa responsabilité. Juger est prendre parti dans un monde qui peut sembler sans signification.
Spinoza qui a critiqué l'idée de la liberté ne voit bien sûr dans le jugement aucun acte libre. Si j'ai l'idée d'un triangle et que je vois une forme géométrique qui a l'aspect d'un triangle, comment pourrais-je juger autrement ?
« Nul, ayant une idée vraie, n 'ignore que l'idée vraie enveloppe la plus haute certitude ; avoir une idée vraie, en effet ne signifie rien, sinon connaître une chose parfaitement ou le mieux possible ; et certes, personne ne peut en douter, à moins de croire que l'idée est quelque chose de muet comme une peinture sur un panneau et non un mode de penser, savoir l'acte même de connaître ». (Spinoza - Ethique)
L'erreur n'est qu'une connaissance mutilée et imparfaite pour Spinoza, à la différence de Descartes pour qui l'erreur nait d'un acte de volonté. On accorde son assentiment alors qu'il n'y a pas lieu de la donner à une idée confuse. À la différence de Descartes, Spinoza ne voit pas l'engagement du sujet dans le jugement.
Jugement et croyance
Saint Augustin avait déjà remarqué que la foi n'est pas limitée au religieux. Toute connaissance est aussi une croyance. Dans toute connaissance, il y a un pari, comme dans le pari de Pascal sur la foi.
« Savoir, c 'est toujours engager le sujet dans l'objet, risquer une hypothèse, une idée dans les faits et y croire d'autant plus qu'elle explique davantage. Toute connaissance est un mixte de science et de foi, une croyance : croire est le propre de l'homme » (Jean Lacroix).
« J'ai donc du supprimer le savoir pour y substituer la croyance » (Kant, Critique de la raison pure).
L'acte de juger ne se limite pas au monde des idées. Juger est un acte social qui agit sur les êtres. Le psychiatre qui jugeant qu'un tel est fou, quels que soient les termes techniques à sa disposition, décide l'enfermement. Le juge au tribunal déclare un tel « coupable » ou « irresponsable ». Tel jugement sur une œuvre peut faire la gloire ou la ruine d'un artiste. L'homme politique juge parfois l'adversaire ou même l'ennemi. « Le Front National est le mal absolu » (Pierre Mauroy). Quelle métaphysique de la politique !
Juger établit des relations entre les représentations, mais parfois à quel prix et avec quelle violence ? Le jugement des hommes avec ses effets autoréalisateurs peut parfois à juste titre faire peur.
Patrice GROS-SUAUDEAU
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Laurent Ozon et les Troupes d'Occupation Mentale. Réponse aux menteurs.
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Vae Victis - La Joie Partout