Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1888

  • Éloge de la frontière

    Ce titre fut un billet de Paul-Marie Couteaux donné aux Epées en décembre 2005 (n°18) du temps que les royalistes faisaient de belles choses ensemble. Le succès relatif du nouveau Front national à l'élection présidentielle a dévié les thèmes de campagne des candidats sélectionnés par le Système pour le second tour. Le président-candidat a découvert la frontière. C'est de Toulouse que nous avons entendu ce morceau de bravoure tracé de la plume des "nègres" de l'Elysée :

    «Depuis 30 ans une partie des élites et le système, notamment médiatique, ont confondu le sentiment national hautement humaniste avec le nationalisme qui est une idéologie dangereuse». «Le patriotisme, c'est l'amour de la patrie, le nationalisme c'est la haine de l'autre.» Ces élites «ont ouvert la porte à la loi des communautés et des tribus». «A l’intérieur des frontières de la France, il n’y a pas de frontières religieuses, ethniques.»
    Frontières, le mot fut placé cinquante fois au moins. M. Sarkozy n'a pas eu le temps de tirer sa leçon de l'histoire de France, qui depuis les premiers rois mit en coïncidence un territoire, la nation qui y vit, la langue commune qu'elle y parle, les marchés où elle échange et la monnaie du prince qui y circule ; il y a des historiens dans l'équipe de campagne. Ils lui ont appris, que les frontières furent patiemment repoussées par la monarchie jusqu'à ce que Vauban borne le "jardin à la Française de Keyserling" ; que la nation prit conscience de ses frontières puisqu'on les défendait âprement et les crût naturelles alors qu'elles avaient été créées artificiellement par un Etat opiniâtre ; que si les nations de Russie, de Pologne, d'Allemagne se contentaient d'aires aléatoires, la France avait "bâti" son périmètre pour en sauver l'intégrité. Restait à fermer la béance du nord-est en poursuivant la marche au Rhin. L'histoire n'a pas fini le travail des rois, la République avait pris la suite... jusqu'à la guerre des nationalismes, répétée deux fois, qui se termina par un projet d'abolition des frontières. Nous arrivons au bout de l'expérience ! Mais ce n'est pas le sujet du jour.

    Quoiqu'il advienne de cette ligne de démarcation dans les années futures, ces frontières sont en empreinte dans le mental de chacun de nous. Individuelle et portative, il faut utiliser la frontière intérieure sans attendre la réhabilitation politique de la frontière extérieure qui peut très bien ne pas se faire, par molesse ou sous pression des partis de l'étranger.

    Relevons la frontière intérieure
    Alors sans attendre le label Made in France achetons français. Apprenons à retourner les étiquettes des vêtements, à lire les mentions d'origine sur les produits qui nous tentent. Même un peu plus cher, préférons le produit national, quitte à freiner un peu notre consommation. Achetons des Citroën, des Renault, des Peugeot, des Smart, des Yaris ; construites même ailleurs, il en retombera quelque chose chez nous. Prenons Air-France quand nous partons ; Air France quand nous revenons. Partagé largement, ce travail de désillement du consommateur finira pas améliorer nos comptes commerciaux.

    Mais une frontière, même mentale, est une limite à franchir, sinon elle ne sert pas à grand chose. Elle n'existe en chacun que s'il a conscience de la sauter. Le Français est en même temps casanier, et c'est normal dans le plus beau pays du monde, et curieux d'autrui, à tel point qu'on nous fit le reproche d'être forts en conquêtes mais peu résistants à les conserver. La nation a besoin d'améliorer sa pratique des langues étrangères en commençant par celles qui nous entourent. Il faut quitter les vacances bronze-cul et prendre l'habitude de visiter nos voisins, puis derrière eux plus loin, les leurs, et ainsi de suite jusqu'à franchir un jour l'Himalaya pour rencontrer l'outre-monde. Nous avons la chance d'habiter le continent d'excellence, ne nous lassons pas de le parcourir. L'ouverture d'esprit que nous en retirerons servira à nourrir créativité et inovation dont ce pays a tant besoin pour se relever. Il est inutile pour cela d'appeler au brassage des idées étrangères chez nous, comme en sont si friandes nos parasélites parisiennes. Allons plutôt nous-mêmes les brasser dans leurs pays d'origine comme nous sûmes le faire au temps béni des colonies. Nous étions quand même moitié moins cons quand nous parcourions l'empire, au lieu de le faire défiler chez nous comme aujourd'hui.

    Mais une frontière mentale peut être trompeuse aussi
    Ne créons pas un monde lithographique en quadrichromie prisonnier de notre hexagone intérieur. Soyons ouvert à quiconque veut partager nos valeurs, avec parfois l'enthousiasme un peu agaçant du nouveau converti ; facilitons-lui l'accès des codes civilisationnels qu'il veut acquérir, et osons lui signifier également nos "interdits" qui participent de notre génie territorial. Faut-il encore nous-mêmes bien les connaître ! Un approfondissement de la civilisation française devrait être programmé en lieu et place de la théorie du genre par exemple, et poursuivi bien après la fin des études. Réhabilitons la littérature classique, pour s'apercevoir qu'elle nous étonne encore. Relire les Caractères de La Bruyère engendre une émotion textuelle qui rivalise avec celle que procure du Proust. On l'a oublié.

    Il n'est donc pas besoin d'attendre que le sauveur quinquennal remette en vigueur nos frontières pour les disposer chacun dans nos idées et dans nos activités les plus banales. Qui nous en fera le reproche ? C'est pur patriotisme finalement, et rien de nationaliste.

    http://royalartillerie.blogspot.fr

  • Le liberalisme

    Le Libéralisme est un très important sous-produit du Rationalisme, et ses origines et son idéologie doivent être clairement exposés.
    La période des «Lumières» de l'histoire occidentale, qui commença après la Contre-Réforme, mit de plus en plus l'accent sur l'intellect, la raison et la logique, en se développant. Au milieu du 18ème siècle, cette tendance produisit le Rationalisme. Le Rationalisme considérait toutes les valeurs spirituelles comme ses objets et se mit à les réévaluer du point de vue de la «raison». La logique inorganique est la faculté que les hommes ont toujours utilisée pour résoudre des problèmes de mathématique, d'ingénierie, de transport, de physique ou dans d'autres situations concrètes. Leur insistance au sujet de l'identité et du rejet de la contradiction est praticable dans l'activité matérielle. Ils fournissent aussi une satisfaction intellectuelle en matière de pensée purement abstraite, comme les mathématiques et la logique, mais si elles sont poursuivies suffisamment loin elles se transforment en simples techniques, en simples hypothèses dont la seule justification est empirique. La fin du Rationalisme est le Pragmatisme, le suicide de la Raison.
    Cette adaptation de la raison aux problèmes matériels provoque la transformation de tous les problèmes en problèmes mécaniques lorsqu'ils sont examinés à la «lumière de la raison», sans aucun ajout mystique de pensée ou de tendance diverse. Descartes voyait les animaux comme des automates, et environ une génération plus tard, l'homme lui-même fut rationalisé en automate -- ou, ce qui revient au même, en animal. Les organismes deviennent des problèmes de chimie et de physique, et les organismes supra-personnels n'existèrent simplement plus, car ils ne sont pas sensibles à la raison, n'étant ni visibles ni mesurables. Newton fit régenter l'Univers et les étoiles par une force régulatrice non-spirituelle; le siècle suivant enleva à l'homme son esprit, son histoire et ses affaires.
    La raison déteste l'inexplicable, le mystérieux, le clair-obscur. Dans un problème pratique de machinerie ou de construction de bateau, on doit sentir que tous les facteurs sont connus et contrôlés. Il ne doit rien y avoir d'imprévisible ou hors de contrôle. Le Rationalisme, qui est le sentiment que tout est soumis à la Raison et complètement explicable par elle, rejette par conséquent tout ce qui n'est pas visible et calculable. Si une chose ne peut réellement pas être calculée, la Raison dit simplement que les facteurs sont si nombreux et si compliqués que sur un plan purement pratique ils rendent le calcul impraticable, mais ne le rendent pas théoriquement impossible. Ainsi la Raison a aussi sa Volonté-de-puissance: tout ce qui ne se soumet pas est déclaré récalcitrant, ou son existence est simplement niée.
    Lorsqu'il tourna son regard vers l'Histoire, le Rationalisme vit la tendance toute entière comme évoluant vers la Raison. L'homme avait «émergé» pendant tous ces millénaires, il progressait de la barbarie et du fanatisme jusqu'à la lumière, de la «superstition» à la «science», de la violence à la «raison», du dogme à l'esprit critique, de l'obscurité à la lumière. Plus de choses invisibles, plus d'esprit, plus d'âme, plus de Dieu, plus d'Eglise ni d'Etat. Les deux pôles de la pensée sont «l'individu» et «l'humanité». Tout ce qui les sépare est «irrationnel».
    Cette dénonciation des choses comme étant irrationnelles est en fait correcte. Le Rationalisme doit tout mécaniser, et tout ce qui ne peut pas être mécanisé est nécessairement irrationnel. Ainsi la totalité de l'Histoire devient irrationnelle: ses chroniques, ses processus, sa force secrète, le Destin. Le Rationalisme lui-même, étant un sous-produit d'un certain stade de développement d'une Haute Culture, est également irrationnel. Pourquoi le Rationalisme connaît une phrase spirituelle, pourquoi il exerce sa brève domination, pourquoi il se transforme une fois de plus en une religion -- ces questions sont historiques, donc irrationnelles.
    Le Libéralisme est le Rationalisme dans la politique. Il rejette l'Etat en tant qu'organisme, et ne peut le voir que comme le résultat d'un contrat entre des individus. Le but de la Vie n'a rien à faire des Etats, car ils n'ont pas d'existence indépendante. Ainsi le «bonheur» de «l'individu» devient le but de la Vie. Bentham traduisit cela aussi grossièrement qu'il le pouvait en lui donnant le sens collectif du «plus grand bonheur du plus grand nombre». Si les animaux en troupeau pouvaient parler, ils utiliseraient ce slogan contre les loups. Pour la plupart des humains, qui sont le simple matériel de l'Histoire, et non ses acteurs, «bonheur» signifie bien-être économique. La Raison est quantitative, pas qualitative, et transforme donc l'homme moyen en «Homme». L'«Homme» est une chose de nourriture, de vêtement, d'abri, de vie sociale et familiale, et de loisirs. La politique demande quelquefois de sacrifier sa vie pour des choses invisibles. Cela est contre le «bonheur», et ne doit pas exister. L'économie, cependant, n'est pas contre le «bonheur», mais se développe presque en même temps que lui. La Religion et l'Eglise souhaitent interpréter la Vie entière sur la base de choses invisibles, et militent donc contre le «bonheur». L'éthique sociale, d'un autre coté, assure l'ordre économique, donc favorise le «bonheur».
    Ici le Libéralisme trouve les deux pôles de sa pensée: l'économie et l'éthique. Ils correspondent à l'individu et à l'humanité. L'éthique est bien sûr purement sociale, matérialiste; si l'éthique plus ancienne est conservée, son ancien fondement métaphysique est oublié, et il est promulgué comme un impératif social, et non religieux. L'éthique est nécessaire pour maintenir l'ordre nécessaire comme cadre de l'activité économique. A l'intérieur de ce cadre, cependant, «l'individu» doit être «libre». Voilà le grand cri du Libéralisme, «liberté». L'homme est seulement lui-même, et il n'est lié à rien sauf par son choix. Donc la «société» est une «libre» association d'hommes et de groupes. L'Etat, cependant, est non-liberté, contrainte, violence. L'Eglise est non-liberté spirituelle.
    Toutes les choses du domaine politique furent transmutées par le Libéralisme. La guerre fut transformée soit en compétition, vue sous l'angle économique, soit en différence idéologique, vue sous l'angle éthique. A la place de l'alternance rythmique et mystique de la guerre et de la paix, il voit seulement la concurrence perpétuelle de la compétition ou du contraste idéologique, qui en aucun cas ne devient violent ou sanglant. L'Etat devient une société ou une humanité sur le plan éthique, un système de production et de commerce sur le plan économique. La volonté d'atteindre un but politique se transforme en fabrication d'un programme «d'idéaux sociaux» sur le plan éthique, de calcul sur le plan économique. Le pouvoir devient de la propagande, sur le plan éthique, et de la régulation, sur le plan économique.
    La plus pure expression de la doctrine du Libéralisme fut probablement celle de Benjamin Constant. En 1814 il poussa en avant ses idées de «progrès» de «l'homme». Il regardait l'époque des Lumières au 18ème siècle avec sa tournure individualiste-humanitaire, comme un simple préliminaire à la vraie libération, celle du 19ème siècle. L'économie, l'industrialisme, et la technique représentaient les moyens de la «liberté». Le Rationalisme était l'allié naturel de cette tendance. La Féodalité, la Réaction, la Guerre, la Violence, l'Etat, la Politique, l'Autorité -- tous étaient vaincus par la nouvelle idée, supplantés par la Raison, l'Economie, la Liberté, le Progrès et le Parlementarisme. La Guerre, étant violente et brutale, était déraisonnable, et est remplacée par le Commerce, qui est intelligent et civilisé. La Guerre est condamnée à tous points de vue: économiquement elle est une perte même pour le vainqueur. Les nouvelles techniques de guerre -- l'artillerie -- rendaient obsolètes l'héroïsme personnel insensé, et donc le charme et la gloire de la guerre disparaissaient avec son inutilité économique. Dans les temps anciens, les peuples guerriers avaient subjugué les peuples marchands, mais plus maintenant. A présent les peuples marchands devenaient les maîtres de la Terre.
    Un moment de réflexion montre que le Libéralisme est entièrement négatif. Il n'est pas une force formatrice, mais toujours et seulement une force désintégratrice. Il souhaite déposer les autorités jumelles de l'Eglise et de l'Etat, leur substituant la liberté économique et l'éthique sociale. Il se trouve que les réalités organiques ne permettent que deux possibilités: l'organisme doit être fidèle à lui-même, ou il devient malade et détourné, une proie pour les autres organismes. Donc la polarité naturelle des dirigeants et des dirigés ne peut pas être abolie sans annihiler l'organisme. Le Libéralisme n'obtint jamais un succès complet dans sa lutte contre l'Etat, en dépit du fait qu'il s'engagea dans l'activité politique, au cours du 19ème siècle, en s'alliant avec toutes sortes d'autres forces désintégratrices de l'Etat. Ainsi il y avait les Nationaux-Libéraux, les Sociaux-Libéraux, les Libres Conservateurs, les Libéraux-Catholiques. Ils s'allièrent donc avec la démocratie, qui n'est pas libérale, mais irrésistiblement autoritaire dans le succès. Ils sympathisèrent avec les Anarchistes lorsque les forces de l'Autorité cherchèrent à se défendre contre eux. Au 20ème siècle, le Libéralisme se joignit au Bolchevisme en Espagne, et les Libéraux européens et américains sympathisèrent avec les Bolcheviks russes.
    Le Libéralisme peut être défini seulement négativement. Il est une simple critique, pas une idée vivante. Son grand mot «liberté» est un négatif -- il signifie en fait, libéré de l'autorité, c'est-à-dire désintégration de l'organisme. Dans ses derniers stades il produit l'atomisation sociale dans laquelle non seulement l'autorité de l'Etat est combattue, mais même l'autorité de la société et de la famille. Le divorce obtient le même rang que le mariage, les enfants le même rang que les parents. Cette pensée constamment négative conduisit des activistes politiques comme Lorenz V. Stein et Ferdinand Lassalle à désespérer de lui en tant que véhicule politique. Ses attitudes étaient toujours contradictoires, il recherchait toujours un compromis. Il cherchait toujours à «équilibrer» la démocratie et la monarchie, les patrons et les travailleurs, l'Etat et la Société, le législatif et le judiciaire. Pendant une crise, le Libéralisme en tant que tel était introuvable. Les Libéraux se retrouvaient dans un camp ou dans un autre lors d'un affrontement révolutionnaire, selon la consistance de leur Libéralisme, et son degré d'hostilité à l'autorité.
    Ainsi le Libéralisme en action était tout aussi politique que tout Etat. Il obéissait à la nécessité organique par ses alliances politiques avec les groupes et les idées non-libéraux. En dépit de sa théorie de l'individualisme, qui bien sûr exclurait la possibilité qu'un homme ou un groupe puisse appeler un autre homme ou un autre groupe à sacrifier ou à risquer sa vie, il soutenait des idées «non-libres» comme la Démocratie, le Socialisme, le Bolchevisme, l'Anarchisme, tous demandant le sacrifice de sa vie.
    II / A partir de son anthropologie de la bonté naturelle de la nature humaine en général, le Rationalisme produisit au 18ème siècle l'Encyclopédisme, la Franc-maçonnerie, la Démocratie, et l'Anarchisme, ainsi que le Libéralisme, chacun avec ses ramifications et ses variantes. Chacun joua son rôle dans l'histoire du 19ème siècle et, du fait du détournement critique de toute la civilisation occidentale entraîné par les premières Guerres Mondiales, même au 20ème siècle, où le Rationalisme est grotesquement déplacé, et se transforma lentement en Irrationalisme. Le corps du Libéralisme n'était même pas enterré au milieu du 20ème siècle. Par conséquent, il est nécessaire même aujourd'hui de diagnostiquer la grave maladie de la Civilisation Occidentale comme étant le Libéralisme, compliqué d'un empoisonnement étranger.
    Du fait que le Libéralisme voit la plupart des hommes comme harmonieux, ou bons, il s'ensuit qu'ils devraient être autorisés à faire ce qu'ils veulent. Comme il n'y a pas d'unité supérieure à laquelle ils sont tous liés, et dont la vie supra-personnelle domine les vies des individus, chaque champ de l'activité humaine ne sert que lui-même -- aussi longtemps qu'il ne souhaite pas devenir autoritaire, et reste dans le cadre de la «société». Ainsi l'Art devient «l'Art pour l'amour de l'Art», l'art pour l'art. Tous les domaines de la pensée et de l'action deviennent également autonomes. La religion devient une simple discipline sociale, car être plus signifierait assumer l'autorité. La science, la philosophie, l'éducation, tous sont également des mondes en eux-mêmes. Aucun n'est le sujet de quelque chose de supérieur. La littérature et la technique sont dotées de la même autonomie. La fonction de l'Etat est simplement de les protéger par des brevets et des copyrights. Mais par-dessus tout -- l'économie et la loi sont indépendantes de l'autorité organique, c'est-à-dire de la politique.
    Les lecteurs du 21ème siècle trouveront difficile à croire qu'autrefois l'idée prévalait que chaque personne devait être libre de faire comme ça lui plaisait en matière économique, même si son activité personnelle impliquait la famine de centaines de milliers de gens, la dévastation complète de zones forestières et minérales, et l'affaiblissement de la puissance de l'organisme; qu'il était tout-à-fait permis pour un tel individu de s'élever au-dessus de l'autorité publique affaiblie, et de dominer par des moyens privés les pensées intimes de populations entières par son contrôle de la presse, de la radio et du cinéma.
    Ils trouveront encore plus difficile de comprendre comment une telle personne pouvait s'adresser à la loi pour appuyer sa volonté destructrice. Ainsi un usurier pouvait, même au milieu du 20ème siècle, invoquer avec succès l'assistance de la loi pour déposséder un certain nombre de paysans et de fermiers. Il est difficile d'imaginer comment n'importe quel individu pouvait ainsi affaiblir l'organisme politique, plus qu'en transformant le sol en poussière, selon la phrase du grand Freiherr von Stein.
    Mais cela était la conséquence inévitable de l'idée de l'indépendance de l'économie et de la loi par rapport à l'autorité politique. Il n'existe rien de supérieur, pas d'Etat; il y a seulement les individus s'affrontant les uns les autres. Il est donc naturel que les individus les plus astucieux économiquement accumulent la plus grande partie de la richesse mobile dans leurs mains. Cependant, s'ils sont de vrais Libéraux, ils ne désirent pas l'autorité en plus de cette richesse, car l'autorité comporte deux aspects: le pouvoir, et la responsabilité. L'individualisme, psychologiquement parlant, est de l'égoïsme. «Bonheur» = égoïsme. Rousseau, le grand-père du Libéralisme, était un vrai individualiste, et abandonna ses cinq enfants à l'Assistance publique. La loi, étant un domaine de la pensée et de l'effort humains, possède autant d'indépendance et autant de dépendance que tout autre domaine. A l'intérieur du cadre organique, elle est libre de penser et d'organiser son matériel. Mais comme d'autres formes de pensée, elle peut être enrôlée au service d'idées extérieures. Ainsi la loi, originellement un moyen de codifier et de maintenir la paix intérieure de l'organisme en conservant l'ordre et en empêchant les disputes privées de s'aggraver, fut transmuée par la pensée libérale en un moyen de maintenir un désordre interne, et de permettre aux individus économiquement forts de liquider les faibles. Cela fut appelé «le règne de la loi», «l'Etat de droit», «l'indépendance de la Justice». L'idée de faire intervenir la loi pour rendre sacro-saint un certain genre d'affaires n'était pas une idée originale du Libéralisme. Déjà à l'époque de Hobbes, d'autres groupes l'essayaient, mais l'esprit incorruptible de Hobbes déclara avec la plus grande clarté que le règne de la loi signifie le règne de ceux qui déterminent et administrent la loi, que le règne d'un «ordre supérieur» est une phrase vide, qui trouve un sens seulement par le règne concret de certains hommes et de certains groupes sur un ordre inférieur.
    C'était de la pensée politique, qui est dirigée vers la répartition et le mouvement du pouvoir. C'est aussi de la politique d'exposer l'hypocrisie, l'immoralité et le cynisme de l'usurier qui demande l'appui de la loi, ce qui signifie richesse pour lui et pauvreté pour des millions d'autres, et tout cela au nom de quelque chose de supérieur, quelque chose ayant une validité supra-humaine. Lorsque l'Autorité ressurgit une fois de plus contre les forces du Rationalisme et de l'Economie, elle commence immédiatement par montrer que le complexe d'idées transcendantales dont s'est équipé le Libéralisme est aussi valide que le Légitimisme de l'ère de la Monarchie Absolue, et pas plus. Les Monarques étaient les plus puissants protagonistes du Légitimisme, les financiers du Libéralisme. Mais le monarque était lié à l'organisme par toute son existence, il était responsable organiquement même quand il n'était pas responsable de fait. Ainsi Louis XVI et Charles 1er [d'Angleterre]. D'innombrables autres monarques et souverains absolus avaient dû s'enfuir à cause de leur responsabilité symbolique. Mais le financier a seulement le pouvoir, pas de responsabilité, même pas symbolique, car le plus souvent son nom n'est pas publiquement connu. L'Histoire, le Destin, la continuité organique, la Renommée, tous exercent une puissante influence sur un souverain politique absolu, et de plus sa position le place entièrement en-dehors de la sphère de la basse corruption. Le financier, cependant, est une personne privée, anonyme, purement économique, irresponsable. Il ne peut en rien être altruiste; son existence même est l'apothéose de l'égoïsme. Il ne pense pas à l'Histoire, à la Renommée, au progrès de l'organisme, au Destin, et de plus il est éminemment corruptible par des moyens vils, car son désir dominant est celui de l'argent et toujours plus d'argent.
    Dans sa lutte contre l'Autorité le Libéralisme financier élabora une théorie selon laquelle le pouvoir corrompt les hommes. C'est pourtant la vaste fortune anonyme qui corrompt, car il n'y a aucune limitation supra-personnelle au-dessus d'elle, comme celle qui met le véritable homme d'Etat complètement au service de l'organisme politique, et le place au-dessus de la corruption.
    Ce fut précisément dans les domaines de l'économie et de la loi que la doctrine libérale eut les effets les plus destructeurs sur la santé de la Civilisation Occidentale. Il importait peu que l'esthétique devienne indépendante, car la seule forme d'art qui avait encore un avenir en Occident, la Musique Occidentale, ne prêtait pas attention aux théories et poursuivait sa grande course créatrice jusqu'à son terme avec Wagner et ses épigones. Baudelaire est le grand symbole de l'art pour l'art: la maladie comme beauté. Baudelaire est ainsi le Libéralisme dans la littérature, la maladie comme principe de vie, la crise comme santé, l'esprit morbide comme vie spirituelle, la désintégration comme but. L'homme comme un individualiste, un atome sans connexions, la conception libérale de la personnalité. Ce fut dans les domaines de l'action plutôt que de la pensée que les dommages furent les plus grands.
    Permettre à l'initiative, pour les questions économiques et techniques, de rester aux individus, soumis à un faible contrôle politique, aboutit à la création d'un groupe d'individus dont les volontés personnelles étaient plus importantes que le destin collectif de l'organisme et des millions de gens de la population. La loi qui servait cet ordre de choses avait complètement divorcé d'avec la moralité et l'honneur. Pour désintégrer l'organisme sur le plan spirituel, la moralité qui était reconnue fut séparée de la métaphysique et de la religion et reliée seulement à la «société». La loi pénale reflétait le Libéralisme financier en punissant les crimes de violence et de passion, mais pas des choses telles que détruire les ressources nationales, gaspiller des millions sans nécessité, ou l'usure à une échelle nationale.
    L'indépendance de la sphère économique était un article de foi du Libéralisme. Ce n'était pas sujet à discussion. Cela évolua même en abstraction nommée «l'homo economicus», dont les actions pouvaient être prévues comme si l'économie était un vacuum. La gain économique était sa seule motivation, l'avidité seule l'aiguillonnait. La technique de succès était de se concentrer sur son propre gain et d'ignorer tout le reste. Cet «homo economicus» était pourtant l'homme normal pour les Libéraux. Il était l'unité de base de leur image du monde. «L'Humanité» était la somme totale de ces grains de sable économiques.
    III / Le type d'esprit qui croit à la «bonté» essentielle de la nature humaine culmina dans le Libéralisme. Mais il existe une autre anthropologie politique, qui reconnaît que l'homme est disharmonieux, problématique, dual, dangereux. C'est la sagesse générale de l'humanité, et elle se reflète dans le nombre de gardes, de clôtures, de coffres-forts, de serrures, de prisons et de policiers. Chaque catastrophe, incendie, tremblement de terre, éruption volcanique, inondation, suscite des pillages. Même une grève de la police dans une ville américaine fut le signal d'un pillage des magasins par les êtres humains respectables et bons.
    Donc ce type de pensée part des faits. Cela est la pensée politique en général, en opposition avec la simple pensée sur la politique, la rationalisation. Même la vague de Rationalisme ne submergea pas cette sorte de pensée. Les penseurs politiques diffèrent grandement en créativité et en profondeur, mais ils s'accordent à dire que les faits sont normatifs. Le mot même de théorie a été déconsidéré par les intellectuels et les Libéraux qui l'utilisent comme marotte pour décrire comment ils voudraient que les choses soient. A l'origine, la théorie était l'explication des faits. Pour un intellectuel qui se livre à la politique, une théorie est un but; pour un véritable homme politique, sa théorie est une limite.
    Une théorie politique cherche à trouver dans l'histoire les limites du politiquement possible. Ces limites ne peuvent pas être trouvées dans le domaine de la Raison. L'Ere de la Raison est née dans un bain de sang, et passera de mode dans un bain de sang encore plus grand. Avec sa doctrine opposée à la guerre, à la politique, et à la violence, elle a présidé aux plus grandes guerres et révolutions depuis 5 000 ans, et elle introduisit l'Ere de la Politique Absolue. Avec son Evangile de la Fraternité de l'Homme, elle apporta sur une grande échelle la famine, l'humiliation, la torture et l'extermination dans l'Histoire, contre des populations à l'intérieur de la Civilisation Occidentale, après les deux premières Guerres Mondiales. En mettant hors la loi la pensée politique, et en transformant la guerre en un combat moral au lieu d'un combat pour la puissance, elle jeta dans la poussière la chevalerie et l'honneur d'un millénaire. La conclusion irrésistible est que la Raison devint aussi politique lorsqu'elle entra dans la politique, même si elle utilisait son propre vocabulaire. Quand la Raison dépouillait un ennemi vaincu d'un territoire, après une guerre, elle appelait cela une «désannexion». Le document établissant la nouvelle situation était appelé un «Traité», même s'il avait été imposé par un blocus alimentaire. L'ennemi politique vaincu devait admettre dans le «Traité» qu'il était «coupable» [du déclenchement] de la guerre, qu'il est moralement indigne de posséder des colonies, que seuls ses soldats avaient commis des «crimes de guerre». Mais quel que soit le déguisement moral, quel que soit le vocabulaire idéologique, c'est seulement de la politique, et l'Ere de la Politique Absolue en revient une fois de plus au type de pensée politique qui part des faits, qui reconnaît la puissance et la volonté de puissance des hommes et des organismes supérieurs comme des faits, et trouve toute tentative de décrire la politique en termes de morale aussi grotesque que cela le serait de décrire la chimie en termes de théologie.
    Il existe toute une tradition de pensée politique dans la Culture Occidentale, dont quelques-uns des principaux représentants sont Machiavel, Hobbes, Leibnitz, Bossuet, Fichte, de Maistre, Donoso Cortes, Hippolyte Taine, Hegel, Carlyle. Alors que Herbert Spencer décrivait l'histoire comme un «progrès» allant de l'organisation militaro-féodale jusqu'à l'organisation commerciale-industrielle, Carlyle montrait à l'Angleterre l'esprit prussien du Socialisme Ethique, dont la supériorité interne exercerait sur toute la Civilisation Occidentale, pendant l'Ere Politique à venir, une transformation aussi fondamentale que l'avait fait le Capitalisme pendant l'Ere Economique. C'était une pensée politique créatrice, mais elle ne fut malheureusement pas comprise, et l'ignorance qui en résulta permit des influences déviatrices, qui jetèrent l'Angleterre dans deux Guerres Mondiales insensées dont elle émergea en ayant presque tout perdu.
    Hegel postula un développement de l'humanité en trois phases, depuis la communauté naturelle, jusqu'à la communauté bourgeoise, puis à l'Etat. Sa théorie de l'Etat est entièrement organique, et sa définition du bourgeois est très appropriée pour le 20ème siècle. Pour lui le bourgeois est l'homme qui ne souhaite pas quitter la sphère de la sécurité politique interne, qui s'établit lui-même, avec sa propriété privée sanctifiée, comme un individu contre l'ensemble, qui trouve un substitut à sa nullité politique dans les fruits de la paix et de ses biens et une parfaite sécurité pour en jouir, et qui souhaite donc être dispensé du courage et rester à l'abri de la possibilité d'une mort violente. Avec ces mots, il décrivit le véritable Libéral.
    Les penseurs politiques mentionnés ne jouissent pas de la popularité auprès des grandes masses humaines. Aussi longtemps que les choses vont bien, la plupart des gens ne souhaitent pas entendre parler de lutte pour la puissance, de violence, de guerres, ou de théories les concernant. Ainsi, aux 18ème et 19ème siècles se développa l'état d'esprit selon lequel les penseurs politiques -- et Machiavel fut la première victime -- étaient des hommes méchants, avec un mauvais atavisme, assoiffés de sang. La simple affirmation que les guerres continueraient toujours était suffisante pour déconsidérer l'auteur comme une personne désirant que les guerres continuent. Attirer l'attention sur le vaste et impersonnel rythme de la guerre et de la paix révélait un esprit malade avec une déficience morale et une tare émotionnelle. Décrire les faits était considéré comme les souhaiter et les créer. Aussi tard qu'au 20ème siècle, quiconque soulignait la nullité politique de la «Société des Nations» était un prophète du désespoir. Le Rationalisme est anti-historique; la pensée politique est de l'histoire appliquée. Pendant la paix il est impopulaire de mentionner la guerre, pendant la guerre il est impopulaire de mentionner la paix. La théorie qui devient la plus rapidement populaire est celle qui fait l'éloge des choses existantes et de la tendance qu'elles sont supposées illustrer, comme étant clairement le meilleur ordre et ayant été préparé par toute l'histoire antérieure. Hegel était donc anathémisé par les intellectuels à cause de son orientation pro-étatique, qui faisait de lui un «réactionnaire», et aussi parce qu'il refusait de se joindre à la foule révolutionnaire.
    Comme la plupart des gens souhaitent entendre seulement des discours soporifiques sur la politique, et non pas des appels à l'action, et comme en régime démocratique ce que la plupart des gens souhaitent entendre est important pour la technique politique, les politiciens démocrates développèrent au 19ème siècle toute une dialectique de la politique des partis. L'idée était d'examiner le domaine de l'action d'un point de vue «désintéressé», moral, ou économique, et de trouver que l'adversaire était immoral, non-scientifique, non-économique -- bref il était politique. C'était la chose diabolique qui devait être combattue. Le propre point de vue de l'observateur était entièrement «non-politique». Politique était un mot péjoratif pendant l'Ere Economique. Curieusement cependant, dans certaines situations, habituellement celles impliquant des relations avec l'étranger, «non-politique» pouvait aussi être un terme péjoratif, signifiant qu'un homme ainsi décrit manquait d'habileté dans les négociations. Le politicien devait aussi feindre une répugnance à accepter un poste. Finalement une manifestation de «volonté populaire» soigneusement préparée brisait sa répugnance, et il consentait à «servir». Cela était décrit comme du machiavélisme, mais évidemment Machiavel était un penseur politique, et non un adepte du camouflage. Un livre écrit par un politicien ne se lit pas comme Le Prince, mais fait l'éloge de l'espèce humaine entière, à l'exception de certaines personnes perverses les adversaires de l'auteur.
    En réalité le livre de Machiavel a une tonalité défensive, justifiant politiquement la conduite de certains hommes d'Etat en donnant des exemples tirés des invasions étrangères en Italie. Pendant le siècle de Machiavel, l'Italie fut envahie à plusieurs reprises par les Français, les Allemands, les Espagnols et les Turcs. Lorsque les armées de la Révolution Française occupèrent la Prusse, et associèrent les sentiments humanitaires des Droits de l'Homme avec la brutalité et le pillage à grande échelle, Hegel et Fichte restaurèrent une fois de plus Machiavel en tant que penseur. Il représentait un moyen de défense contre un ennemi armé d'une idéologie humanitaire. Machiavel montrait le véritable rôle joué par les sentiments verbaux dans la politique.
    On peut dire qu'il y a trois attitudes possibles envers le comportement humain, sur la question de l'évaluation de ses motivations: la sentimentale, la réaliste, et la cynique. La sentimentale attribue une bonne motivation à tout le monde, la cynique une mauvaise motivation, et la réaliste recherche simplement les faits. Lorsqu'un sentimental, par exemple un Libéral, entre en politique, il devient par force un hypocrite. L'exposition définitive de cette hypocrisie crée le cynisme. Une partie de la maladie spirituelle qui suivit la Première Guerre Mondiale fut une vague de cynisme qui surgit de l'hypocrisie manifeste, révoltante et incroyable des petits hommes qui présidaient aux affaires à cette époque. Cependant Machiavel avait un esprit incorruptible et n'écrivait pas d'une manière cynique. Il cherchait à dépeindre l'anatomie de la politique avec ses problèmes et ses tensions particuliers, intérieurs et extérieurs. Pour la fantastique maladie mentale du Rationalisme, des faits désagréables sont des choses regrettables, et en parler c'est les créer. Un politicien minable du type libéral cherchait même à empêcher de parler de la 3ème Guerre Mondiale, après la Seconde. Le Libéralisme est, en un mot, de la faiblesse. Il désire que chaque jour soit un anniversaire, la Vie une longue fête. L'inexorable mouvement du Temps, le Destin, l'Histoire, la cruauté de l'accomplissement, la dureté, l'héroïsme, le sacrifice, les idées supra-personnelles -- voilà l'ennemi.
    Le Libéralisme est une évasion, depuis la dureté jusqu'à la douceur, de la masculinité à la féminité, de l'Histoire au troupeau en train de brouter, du Destin au Bonheur. Nietzsche, dans son dernier et plus grand ouvrage, désigna le 18ème siècle comme le siècle du féminisme, et mentionna immédiatement Rousseau comme le guide de l'évasion de masse d'en-dehors de la Réalité.
    Francis Parker Yockey  http://www.voxnr.com

  • Histoire de la revue "Vouloir"

    Texte viré de "Wikipedia"!!

    « Vouloir » était une revue culturelle pluridisciplinaire, liée au début de son existence à la vaste nébuleuse des publications dites de « nouvelle droite », avant de s’en détacher en 1992. Elle a été fondée en novembre 1983 par Robert Steuckers et Jean-Eugène van der Taelen.

    En octobre 1980, Robert Steuckers fonde, avec l’assistance d’un groupe d’amis, la revue « Orientations », qui s’inscrit, à l’époque, dans le cadre des activités du GRECE-Belgique (« Groupement de Recherches et d’Etudes sur la Civilisation Européenne »), dirigé par Georges Hupin. Ce fut une conférence sur les théories géopolitiques, tenue à la Tour du Midi à Bruxelles, qui fut l’occasion de lancer cette publication qui devait épauler, sur le plan théorique, la revue de Georges Hupin, « Pour une Renaissance Européenne », organe de liaison des membres et amis du GRECE-Belgique. « Orientations » devait être l’organe belge francophone correspondant à la revue « Etudes et Recherches » émanant du SER (« Secrétariat Etudes & Recherches ») du GRECE français, où oeuvrait notamment Guillaume Faye.
    Un premier numéro (n°0) d’Orientations paraît le jour de la conférence sur les théories géopolitiques, le 30 octobre 1980, où Robert Steuckers et J. de Raffins d’Ourny prirent la parole. Ce numéro fut essentiellement consacré au livre du Général Baron autrichien Heinrich Jordis von Lohausen (« Mut zur Macht. Denken in Kontinenten », 1979), aux travaux de l’Américain Colin S. Gray (qui relancera les théories géopolitiques aux Etats-Unis), à l’ouvrage de Guido Giannettini (sur le conflit sino-soviétique en Extrême-Orient) et sur les atlas historiques de l’historien et géographe écossais Colin McEvedy.
    La parution d’ « Orientations » est alors interrompue car Robert Steuckers deviendra de mars 1981 à décembre 1981 le secrétaire de rédaction de la revue « Nouvelle école », dirigée par Alain de Benoist. Steuckers participera à deux dossiers de « Nouvelle école », l’un consacré à Vilfredo Pareto, l’autre à Martin Heidegger. A la suite de divergence de vues entre les deux hommes, Steuckers revient à Bruxelles et relance aussitôt « Orientations ».
    Trois numéros paraîtront en 1982, avant que Steuckers n’interrompe la parution pour raisons de service militaire ;  l’un de ces numéros sera consacré à la vision de l’histoire d’Oswald Spengler ; le second à des mélanges (dont un article important du Dr. Armin Mohler, théoricien de la « révolution conservatrice » et animateur principal, à l’époque, de la « Siemens Stiftung » de Munich) ; le troisième à la problématique, très actuelle, du national-neutralisme allemand. La Ville de Berlin, encore divisée, venait, par une exposition magistrale, de renouer avec son passé prussien ; l’hostilité à l’installation des missiles américains en RFA faisait basculer plusieurs figures marquantes de la gauche allemande dans le camp national (dont le fils de Willy Brandt, Peter Brandt, auteur d’un ouvrage de référence sur la question à l’époque), sans pour autant épouser les thèses de l’extrême droite nationaliste. Steuckers prenait, mutatis mutandis, pour modèle la politique de la revue allemande « Wir Selbst », dirigée par Siegfried Bublies à Coblence. Bublies, issu des milieux de la droite nationale, avait opté pour une ouverture à gauche et venait de lancer, fin 1979, sa revue « Wir Selbst » (traduction du gaélique irlandais « Sinn Fein ») qui connaîtra un succès retentissant et fera beaucoup parler d’elle. Au début, cette ouverture à gauche, renforce encore le froid entre Steuckers et l’équipe parisienne autour d’Alain de Benoist, qui officie à l’époque dans la presse conservatrice (Figaro Magazine, Magazine Hebdo), plus ou moins liée au RPR, alors même que les cadres du GRECE avaient invité Steuckers à prononcer une conférence à leur tribune interne (celle du « Cercle Héraclite ») sur le national-neutralisme allemand et que cette conférence n’avait rencontré aucune objection.
    Un quatrième numéro paraît dès l’automne 1983, quand Steuckers rentre des armées et s’installe définitivement à Bruxelles. A la parution de ce quatrième numéro, Jean-Eugène van der Taelen, qui soutenait « Orientations » depuis le printemps 1982, suggère de donner un rythme plus régulier aux parutions et offre gratuitement les infrastructures de son entreprise pour organiser débats et conférences. Pour Jean-Eugène van der Taelen, les dossiers d’ « Orientations » étaient trop copieux pour assurer une parution régulière et fidéliser les abonnés et sympathisants. Jean-Eugène van der Taelen accepte donc de parrainer les revues et les initiatives du SER belge, qui prendra alors le nom d’EROE (« Etudes, Recherches et Orientations européennes ») pour éviter de dépendre de Paris et pour assurer une indépendance totale des groupes non français, comme le souhaitaient également les Milanais, regroupés autour de Stefano Vaj.
    Pour assurer une parution régulière, avec une publication plus réduite quant au nombre de pages, et pour marquer l’indépendance des pôles belges vis-à-vis de Paris, « Vouloir » devient l’organe de l’EROE et fonctionnera sans recevoir d’instruction du GRECE parisien. Jean-Eugène van der Taelen invente le nom et le graphisme (première mouture) de « Vouloir », qui est lancé en novembre 1983.
    La revue contient dans un premier temps des recensions de livres et de brefs éditoriaux collés à l’actualité. Elle annonce les conférences et colloques de l’EROE qui se tiendront de 1984 à 1991. Cette année-là, « Vouloir » prendra la place d’ « Orientations » (qui cessera de paraître avec son treizième numéro, consacré à la figure du philosophe pessimiste roumain Emil Cioran). « Vouloir » publiera des dossiers sur le nationalisme, le futurisme (tous deux avec la participation de Charles Champetier, futur adjoint d’Alain de Benoist), les nations celtiques de Grande-Bretagne (Pays de Galles, Cornouailles, Ecosse ; avec l’appui de l’association britannique IONA), le post-modernisme (surtout tel qu’il fut présenté par l’Allemand Welsch), le judaïsme contemporain, l’économie, l’islam, le national-communisme, le conflit des Balkans, etc. En tout, 113 numéros paraîtront. Outre Steuckers, les principaux collaborateurs de « Vouloir » furent Ange Sampieru et Louis Sorel.
    L’intérêt de la revue résidait essentiellement dans le fait qu’elle publiait un très grand nombre de traductions de l’allemand, de l’italien, de l’espagnol et du russe (dont plusieurs textes d’Alexandre Douguine / Dugin). Les textes émanaient pour la plupart de revues plus ou moins proches de la mouvance « nouvelle droite ».  
    En 1994, la revue reçoit une nouvelle numérotation et fait paraître neuf numéros jusqu’en 1999. Les dossiers de cette période ont été consacrés aux visions de l’Europe, à Julius Evola, à la guerre dans les Balkans, au socialisme belge, à la modernité, au communautarisme américain contemporain, à Martin Heidegger, à Ernst Jünger (pour son centenaire), à la Russie, à la révolution conservatrice allemande, au néo-paganisme actuel, à la géopolitique et à la « Nouvelle droite » (dossier très critique scellant la rupture définitive avec les réseaux d’Alain de Benoist, survenue quelques années plus tôt).
    Le dossier géopolitique, de 1997, a été établi en hommage au Général-Baron Heinrich Jordis von Lohausen, pour son 90ième anniversaire. Ce dossier contenait un texte de Guido Giannettini, sur la vision eurasienne du pantouranisme turc, et plusieurs textes du géopolitologue suédois Bertil Häggman, animateur d’un centre géopolitique à Helsingborg en Suède. Louis Sorel et Robert Steuckers y traitaient des grandes figures de la géopolitique, articles complétés de bibliographies assez complètes de Haushofer et de Mackinder. Ce numéro atteste de la continuité des recherches entreprises par l’équipe de « Vouloir », ce qui distingue la revue des autres entreprises de « Nouvelle droite » où les ruptures et les recompositions idéologiques, les changements d’options philosophiques, se succédaient à un rythme assez rapide, provoquant le désarroi chez bon nombre de lecteurs.
    En butte à l’hostilité constante d’Alain de Benoist, qui ne voulait pas d’autres revues rédigées en français dans la mouvance qu’il considérait comme la sienne, « Vouloir » a néanmoins coopéré loyalement avec le GRECE entre 1983 et 1987 et, après une première rupture de deux années, entre 1989 et 1992 (à la demande initiale de Charles Champetier, qui finira par adopter, à l’encontre de la revue belge, les positions hostiles d’Alain de Benoist). En 1992 survient la crise définitive, qui consomme la rupture entre Alain de Benoist et Charles Champetier, d’une part, et Robert Steuckers et Jean Eugène van der Taelen, d’autre part. En 1993, après la disparition d’ « Orientations », « Vouloir » prend sa place et son supplément devient « Nouvelles de Synergies Européennes » à partir de mai 1994. Cette fois, les deux revues s’inscrivent dans le cadre de l’Association « Synergies Européennes », qui sera créée par des dissidents du GRECE, des animateurs de l’EROE et des lecteurs de « Vouloir », après la rupture de décembre 1992 avec le GRECE, centré autour d’Alain de Benoist. Désormais les deux groupes organiseront leurs propres universités d’été.
    Jean-Eugène van der Taelen meurt en janvier 1996.
    En 1999, la revue « Vouloir » cesse de paraître. Son supplément « Nouvelles de Synergies Européennes » parait jusqu’en octobre 2002. « Au fil de l’épée », devenu supplément de « Nouvelles de Synergies Européennes », survit jusqu’en novembre 2003. Depuis lors, les textes sont envoyés sur la « Grande Toile » et repris par plusieurs sites, d’obédiences diverses.
    « Vouloir » n’a jamais soutenu aucun parti politique ni servi de tribune pour autre chose que l’EROE ou « Synergies Européennes ».

    http://robertsteuckers.blogspot.fr/

  • Exécution du duc d'Enghien

    Dans la nuit du 20 au 21 mars 1804, à deux heures du matin, le duc d'Enghien (32 ans) est fusillé dans les fossés du château de Vincennes.

    Louis Antoine Henri de Bourbon, prince de sang royal, est le dernier rejeton de la lignée prestigieuse des Condé.  Réfugié dans le grand-duché de Bade, un pays neutre, il n'a rien tenté contre la France révolutionnaire. La police française l'accuse cependant d'avoir organisé avec le général Pichegru et Georges Cadoudal un complot contre le Premier Consul Napoléon Bonaparte.

    En le faisant enlever et sommairement exécuter, ce dernier terrorise l'opposition royaliste et lève les ultimes obstacles à la proclamation de l'Empire... 

    Fabienne Manière
     
    De la Révolution à l'Empire

    Le 21 mars 1804, le jour même où meurt le duc d'Enghien, est promulgué le Code Civil. Avec ce document, qui est l'aboutissement d'un travail de dix ans, la Révolution française donne le meilleur d'elle-même et rend son tablier. Son oeuvre est achevée, d'autant que Bonaparte a établi la paix aux frontières et ramené la concorde religieuse et la prospérité.

    Dans le même temps, l'exécution nocturne du duc d'Enghien annonce la dictature personnelle de Napoléon et son interminable litanie de batailles, avec au final l'abaissement durable de la France sur la scène internationale.

    Complot royaliste

    Georges Cadoudal (32 ans), à l'origine sans le vouloir de la mort du duc d'Enghien, est un chef chouan réfugié à Londres. Fidèle à la monarchie, il a été nommé lieutenant général par le comte d'Artois, frère cadet de feu Louis XVI, qui règna beaucoup plus tard sous le nom de Charles X.

    Cadoudal a formé le projet d'enlever le Premier Consul et de l'amener en Angleterre. Avec l'aide du gouvernement anglais, il  débarque en secret près du Tréport le 23 août 1803. Il s'acquiert la complicité du général Pichegru qui débarque à son tour et tente d'entraîner dans le complot son camarade de combat, le général Moreau. Mais celui-ci refuse.

    Il n'empêche que la police, ayant eu vent du complot, arrête le prestigieux vainqueur de Hohenlinden. Cette arrestation suscite des rumeurs dans l'opinion publique, qui doute de la bonne foi du Premier Consul et le soupçonne de vouloir éliminer ses rivaux. Devant l'impéritie de ses policiers, Bonaparte commence à le regretter d'avoir retiré à Joseph Fouché le ministère de la Police Générale...

    Heureusement, la police se rattrappe en arrêtant aussi le général Pichegru puis les autres instigateurs du complot. Cadoudal est lui-même arrêté rue Monsieur-le-Prince, à Paris, dans des conditions tragiques (il tue deux agents avant de se rendre) le 9 mars 1804. L'opinion se retourne en faveur du Premier Consul.

    L'enquête policière révèle alors que les comploteurs attendaient l'arrivée d'un «prince du sang», autrement dit un membre de l'ancienne famille royale. Sans doute s'agissait-il du comte d'Artois. Un plan d'insurrection plus ou moins fantaisiste, transmis par un agent double, Méhée de la Touche, dévoile les noms d'émigrés établis en pays de Bade, parmi lesquels le duc d'Enghien.

    Complot napoléonien

    Le 10 mars, Bonaparte réunit son conseil aux Tuileries. À l'instigation de Talleyrand, ministre des Relations Extérieures, et de Fouché, ministre de la police, il se laisse convaincre d'arrêter le duc d'Enghien pour faire un exemple. Au deuxième Consul Cambacérès, qui vota autrefois la mort du roi Louis XVI et se permet d'émettre quelques réserves, il lance : «Vous êtes bien avare, aujourd'hui, du sang des Bourbon !».

    Le prince, tout occupé de son prochain mariage avec sa cousine, la princesse Charlotte de Rohan-Rochefort, de cinq ans plus âgée que lui mais à laquelle le lie une longue intimité, est enlevé par une troupe d'un millier de gendarmes dans la nuit du 14 au 15 mars à Ettenheim, près du Rhin, au mépris du droit international.

     Sans comprendre ce qui lui arrive, il est incarcéré le 20 mars dans le château de Vincennes, à l'est de Paris. Le soir même, à 11 heures, il est interrogé par une commission extraordinaire présidée par le général Hullin, en présence du chef de la police secrète, le colonel de gendarmerie Savary, futur duc de Rovigo.

    La commission l'accuse d'avoir comploté contre la sûreté de l'État, ce qui est faux, et d'avoir reçu de l'argent de l'Angleterre, ce qui est vrai. Comme Hulin ne sait pas sous quel chef d'accusation le condamner, il rédige le jugement en laissant en blanc les articles censés justifier l'exécution : «... Et lui a appliqué l'article xxx de la loi du xxx ainsi conçu xxx et, en conséquence, l'a condamné à la peine de mort. Ordonne que le présent jugement sera exécuté de suite à la diligence du capitaine rapporteur...».

    Le jeune homme est aussitôt fusillé dans les fossés, à la lumière d'une lanterne. À ses côtés se tient Mohilof, le chien que lui a offert sa chère Charlotte. Après l'exécution, la dépouille au visage défiguré par les balles est jetée dans une fosse creusée quelques heures plus tôt. Les soldats, honteux de leur geste, s'abstiennent de dépouiller le cadavre de ses vêtements et de ses objets de valeur comme le règlement les y autorise. Après la chute de l'Empire, on retrouvera dans la sépulture des pièces et une montre en or.

    Avant de mourir, le prince a eu le temps de confier à un gendarme une enveloppe à l'attention de sa fiancée, dans laquelle il a glissé une mèche de ses cheveux et un mot. L'enveloppe ne sera jamais jamais transmise à sa destinataire. Celle-ci, inconsolable, portera pendant 30 ans, jusqu'à sa mort, le deuil de son fiancé.

    Le général Pichegru se «suicide» peu après dans sa cellule. Le général Moreau, qui a seulement eu le tort de ne pas dénoncer le complot, est exilé. Quant à Georges Cadoudal, il est guillotiné avec onze complices le 25 juin 1804. «Nous voulions faire un roi, nous avons fait un empereur», a-t-il confié avec amertume dans sa prison.

    Vers l'Empire

    En exécutant le jeune duc d'Enghien, le Premier Consul a voulu terroriser l'opposition royaliste une bonne fois pour toutes en lui montrant qu'il n'était disposé à aucun accommodement avec elle. Il a aussi voulu prouver aux anciens jacobins et à tous ceux qui, à un titre ou un autre, ont tiré parti de la Révolution, qu'il était le meilleur rempart pour préserver les acquis de celle-ci et le retour de la prospérité.

    Le meurtre aboutit au résultat escompté, contrairement au jugement d'Antoine Boulay de la Meurthe, un fidèle de Bonaparte : «C'est pire qu'un crime, c'est une faute». Cette formule est souvent attribuée à tort au ministre des Relations Extérieures, Talleyrand. Ce dernier, qui a en vérité encouragé le Premier Consul à commettre le crime, aurait seulement laissé tomber en apprenant la nouvelle : «Bah ! ce sont les affaires».

    http://www.herodote.net

  • Le fondamentalisme en Iran, création anglo-américaine

    Les naïfs imaginent sans doute que l'identité iranienne correspond au fondamentalisme islamique qui y règne depuis 1979. Rien n'est plus faux. L'identité iranienne est une identité impériale, indo-européenne et perse. En effet, tous les historiens de l'Iran s'accordent à dire que, dès les dynasties bouyides et samanides (du 9e au 11e siècle), l'islamisation a dû composer avec de multiples recours au passé impérial irano-perse. L'identité iranienne se situe entièrement dans l'œuvre du poète Ferdowsi et du philosophe mystique Sohrawardi. Il faudra la catastrophe des invasions mongoles d'un Tamerlan pour réduire cette merveilleuse synthèse civilisationnelle à néant, pour précipiter l'Iran dans le déclin, du moins jusqu'à l'avènement des Séfévides. Les iranologues contemporains se divisent quant à savoir si la reprise en main de l'impérialité perse par les Séfévides a été ou non un bienfait pour l'Iran : les uns affirment que cet avènement dégage l'Iran de la cangue islamique sunnite, de la double emprise arabe et ottomane ; les autres disent qu'en privilégiant le chiisme, en en faisant une religion d'Etat, les Séfévides ont réduit à la marginalité le zoroastrisme, expression identitaire iranienne plurimillénaire qui avait survécu vaille que vaille sous l'islam pré-séfévide. Trancher dans cette querelle d'historiens n'est pas notre propos ici, mais d'examiner comment le fondamentalisme de l'ayatollah Khomeiny s'est imposé dans un État impérial qui entendait s'inscrire dans d'autres traditions, dans des traditions de plus grande profondeur temporelle.
    EVALUATION POSITIVE DU RÔLE DES SÉFÉVIDES EN EUROPE
    L'avènement des Séfévides est généralement vu d'un bon œil dans l'historiographie traditionnelle européenne, pour plusieurs raisons :
    - L'empereur séfévide ayant épousé une princesse byzantine de Trébizonde va dès lors tenter de venger Byzance contre les Ottomans sunnites, qui reprennent à leur compte le vaste territoire où s'était préalablement exercée la souveraineté romaine/byzantine. De cette manière, le conflit séculaire entre la Romania orientale et les empires perses reprenait mais sous d'autres signes.
    - L'empereur séfévide se pose ainsi comme le principal ennemi à l'est de l'empire ottoman qui assiège l'Europe sur le Danube et en Méditerranée. Il est l'allié de revers de Charles Quint. L'œuvre politique des Séfévides et leur action militaire ont donc contribué à alléger la pression ottomane en Europe. En 1529, le sultan doit lever le siège de Vienne parce que les Perses attaquent à l'est. Cette guerre se soldera par une défaite perse et par l'émergence d'une frontière qui existe toujours aujourd'hui : en effet, la frontière entre l'Irak (à l'époque conquête récente de Soliman le Magnifique) et l'Iran, d'une part, entre la Turquie et l'Iran, d'autre part, demeure quasiment celle qui a résulté de cette guerre perso-ottomane du 16e siècle. Elle sanctionne également la division des peuples kurde, azéri et arménien, partagés entre les deux empires.
    Les empereurs séfévides vont donc privilégier le chiisme, en faire l'islam de leur empire, contre les sunnites, accusés de collusion avec les Ottomans, et contre les zoroastriens, dont le nombre se réduira au minimum dans l'empire perse. Une bonne partie d'entre ceux-ci va émigrer vers l'Inde, où ils constituent toujours la minorité des Parsi. Les Séfévides s'opposeront aussi aux fraternités soufies. En ce sens, les Séfévides commettent une série d'entorses à l'identité iranienne, car les synthèses lumineuses qui voyaient le jour dans l'Iran d'avant Tamerlan et s'y succédaient par transition plus ou moins douce étaient bien plus fécondes que le sera le futur chiisme d’État des Séfévides. Les historiens critiques à l'endroit du chiisme d’État, imposé par les Séfévides, accusent ceux-ci d'avoir utilisé deux instruments non iraniens pour faire triompher leur cause : les Qizilbakh turkmènes et les théologiens chiites arabes, deux forces religieuses qui ne puisaient pas dans le vieux fonds iranien/persan. Le chiisme restera religion d’État jusqu'aux Pahlevi.
    Khomeiny s'inscrit dans cette tradition tout en rompant aussi avec elle, comme nous allons le voir.
    LES MOLLAHS, CLERGÉ CHIITE
    La principale caractéristique du chiisme perse est la présence d'un clergé, celui des mollahs. Le jargon médiatique a parlé, depuis l'avènement de Khomeiny, de "mollahcratie". La présence de ce clergé fait de l'empire perse séfévide et post-séfévide un Etat fort différent de l'empire ottoman sunnite, qui est, lui, dépourvu de clergé organisé. En ce sens, on a parfois qualifié l'empire séfévide de "césaropapiste". Le système est en tout cas dual, comme à Byzance et en Occident au temps des Othoniens dans le Saint Empire, avant la querelle des Investitures. L'empire perse séfévide présente donc deux sphères autonomes, celle du "politique", apanage du Shah, et celle de la religion, apanage du clergé chiite. La sphère de la religion reçoit tour à tour deux interprétations :
    - celle des Akhbaris, mystiques, qui fondent la légitimité religieuse sur le charisme du mollah ou de l’imam ;
    - celle des Ouzoulis, interprètes plus rationnels du droit qui demandent simplement de se soumettre au jugement de l'homme cultivé, du clerc, sans déployer d’incantations "mystiques".
    Le chiisme d’État encourage également les pèlerinages, non pas vers La Mecque, comme dans la tradition sunnite arabe et ottomane, mais vers le tombeau des Imams, des grands hommes ou des poètes, tradition qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours. Les wahhabites saoudiens perçoivent dans cette pratique chiite et persane des pèlerinages une hérésie inacceptable.
    Le chiisme d’État repose sur un messianisme particulier : celui qui attend le Mahdi, le retour de l’imam caché. Cette attente messianique postule, pour le croyant, d'agir toujours pour cet Imam caché. Dans l'histoire perse, depuis l'avènement des Séfévides, le messianisme a adopté une attitude essentiellement quiétiste : le croyant devait attendre la fin des temps pour agir réellement, dans la concrétude mondaine, sous la direction mystique et avisée du Mahdi. Khomeiny va bousculer cette tradition : il va vouloir combattre tout de suite afin de créer un Etat chiite-islamique pur pour pouvoir saluer l'avènement du Mahdi, pour être présent et en armes tors de son arrivée.
    AVANT KHOMEINY : LE QUIÉTISME
    Quelle fut l'attitude face au Shah avant Khomeiny ? Le quiétisme religieux de l'ère séfévide percevait le Shah comme une personne sacrée, comme l'ombre de Dieu sur la Terre. Seul prélude à l'attitude hostile d'un souverain iranien au clergé des mollahs, attitude qui caractérisera ultérieurement le règne des deux Shahs Pahlevi : le puissant Nadir Shah, au XVIIIe siècle, s'opposera à la hiérocratie chiite en lui coupant les vivres. Avec les Shahs de la nouvelle dynastie Qadjar, on assiste à une réconciliation avec le clergé mais sous l'influence accentuée des Ouzoulis. Shahs Qadjar et Ouzoulis jettent les bases d'un nouveau partage du pouvoir. Les Ouzoulis récupèrent les dotations au clergé, auparavant ôtées par Nadir Shah, et raffermissent du même coup leurs positions dans les domaines de la justice et de la conciliation juridique. Les effets de cette nouvelle donne politico-religieuse font que le Shah se voit petit à petit dépouillé de ses attributs "divins". La position du Shah est désacralisée mais non pour autant délégitimée. Le Shah et le clergé chiite demeurent donc tous deux des représentants de l'Imam caché. Le Shah doit assurer dans la concrétude politique et quotidienne l'ordre réclamé par la religion, notamment il doit garantir dans le pays le règne de la justice (sociale). Les clercs, dans ce partage des tâches, détiennent le savoir religieux et le leadership spirituel, posé comme intangible et incontestable. Les clercs disent la justice et deviennent les protecteurs du peuple contre les abus des propriétaires terriens, des gendarmes et de l’État. On percevra en Europe catholique des attitudes similaires : en Irlande contre le pouvoir britannique, en Flandre contre les institutions de l’État belge (notamment dans les rangs du bas clergé rural), en Croatie contre le pouvoir royal serbe, en France rurale contre les inventaires de la première décennie du XXe siècle, etc.
    Deux événements vont bouleverser les équilibres de la société iranienne à la fin du XIXe siècle : la régie des tabacs, entreprise lucrative, devient un monopole anglais et prive du coup l’État perse d'une formidable source de revenu. De plus, cette disposition installe une forme de semi-colonialisme dans la plus ancienne aire impériale de l'histoire des peuples de souche indo-européenne. Second événement : l'établissement d'une constitution, calquée sur la loi fondamentale belge, en 1906-1907. En 1906, les clercs refusent cette constitution parce qu'elle est un élément étranger et ne correspond en rien aux traditions chiites. En 1907, le clergé fait volte-face et l'accepte parce que cette constitution, finalement, contient bon nombre de clauses qui le favorisent. Malgré cette acceptation initiale, les réactions ne tardent pas : le Shaykh Fazlullah Nouri proclame que la constitution et le parlementarisme sont contraires à l'esprit de l'islam et réduisent finalement le pouvoir du clergé chiite organisé (on peut tracer un parallèle avec les réactions diverses des catholiques belges : depuis les ultramontains, engagés socialement, jusqu'aux daensistes soucieux de la condition ouvrière, aux étudiants louvanistes de l'ACJB, à bon nombre d'éléments du mouvement flamand catholique et aux rexistes d'avant-guerre, ils auront, face à cette constitution et au parlementarisme, des réactions similaires).
    CRITIQUE DE LA CONSTITUTION À LA BELGE, PROPOSÉE PAR LES BRITANNIQUES ET LEURS ALLIÉS
    Quels arguments avance le Shaykh Fazlullah Nouri ? Le Parlement, qui est légiférant, implique, dit-il, un système où c'est la majorité qui décide en fin de compte. Or une telle majorité met tout le monde sur un pied d'égalité (chrétiens, arméniens, juifs, zoroastriens, forces para-maçonniques, etc.), y compris, au-delà de tous clivages religieux, les "ignorants". De telles majorités, composées d'éléments disparates et inégaux, bat en brèche les prérogatives du clergé, représentant de l'Imam caché. Fazlullah Nouri reproche aussi au constitutionnalisme de mouture belge, que les Anglais imposent indirectement à la Perse des derniers Qadjar, de fixer d'avance et pour l'éternité des droits et des devoirs, sans qu'il ne soit plus possible de les adapter au gré des circonstances réelles de la société ou des conjonctures politiques (on retrouve ce reproche chez Max Weber et Cari Schmitt, critique particulièrement pertinent de la "nomocratie", vecteur d'immobilisme ou d'intransigeance abstraite). Dans le contexte d'un Iran devenu monarchie constitutionnelle à la belge, le clergé devient une institution parmi d'autres, ruinant du même coup la dualité traditionnelle héritée des empereurs séfévides et reposant sur la personne du Shah et sur le clergé. L'avènement de la constitution et du parlementarisme entraîne l'émergence d'une administration moderne, qui empiète automatiquement sur les prérogatives traditionnelles du clergé. Les critiques du Shaykh Nouri ressemblent, mutatis mutandis, à celle d'un Max Weber : si les fonctionnaires sont bons, intègres, formés à bonne école et recrutés par examens, ils constitueront un bienfait pour l’État. Au contraire, si les fonctionnaires sont nommés au pro rata des voix accordées à des pochards, des politiciens de café du commerce, des corrompus véreux, des prostituées recyclées, des déments narcissiques ou des imbéciles finis, le fonctionnariat, devenu ainsi pléthorique, sera rapidement une calamité, comme on le constate dans bon nombre de pays européens, Belgique en tête.
    Le système constitutionnaliste perse survivra à peine à la première guerre mondiale. Reza Khan, devenu Reza Shah en 1926, s'opposera tant aux corrompus du parlementarisme qu'au clergé ; dans son opposition à la religion islamique, on peut voir une imitation de son homologue turc Mustafa Kemal Atatürk. L'attitude que les deux Shahs Pahlevi imposent au clergé est celle du quiétisme. Le fils, Reza Shah, qui monte sur le trône en 1941, organise, avec l'ayatollah Boruyerdi, la conférence de Qom en 1949, où le clergé promet de ne pas s'immiscer dans les affaires politiques de l'empire. Tout clerc qui désobéirait à l'esprit de la conférence de Qom se verrait immédiatement exclu de la classe des clercs.
    L'IRAN PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE ET L'OPTION PRO-AMÉRICAINE
    Comment, dans un tel contexte, va naître le fondamentalisme chiite de Khomeiny ? D'abord un rappel historique : Britanniques et Soviétiques violent la neutralité iranienne en 1941. Le pays est occupé, divisé en deux zones, avec les Soviétiques au nord et les Britanniques au sud. Reza Shah est éliminé, envoyé en exil aux Seychelles puis en Afrique du Sud, où on le laisse mourir d'un cancer non soigné. Son fils Mohammed Reza Pahlavi est intronisé empereur à la place de son père. Les Américains envoient des équipes d'ingénieurs civils pour réorganiser les chemins de fer iraniens et parfaire une logistique qui mène du golfe Persique à la Caspienne et de la Caspienne à la Volga pour alimenter en matériels américains l'armée soviétique aux abois depuis ses revers de 1941 et de l'été 1942. La logistique transiranienne, organisée par les Américains, permettra de bloquer l'avance allemande en direction du Caucase méridional et des puits de pétrole azerbaïdjanais et en direction de Stalingrad, Astrakhan et la Caspienne. Mohammed Reza Shah va parier sur les Américains. Pourquoi ? Quel est son raisonnement en 1944-45 ? Les Américains ne sont pas des occupants militaires, contrairement aux Soviétiques et aux Britanniques. Ils n'ont pas de frontières communes avec l'Iran. Le jeune Shah craint surtout une annexion des provinces azerbaïdjanaises de l'Iran par l'Azerbaïdjan soviétique. Il croit aussi que les troupes soviétiques refuseront d'évacuer les rives caspiennes de l'Iran. Ensuite, il a peur de voir les Britanniques absorber le Baloutchistan iranien, de le joindre à la province du même nom dans le Pakistan actuel, qui faisait partie, à l'époque, des possessions indiennes de la Couronne britannique.
    L'Iran, en dépit de son occupation, connaît un boom économique pendant la seconde guerre mondiale, assorti d'un exode important de ruraux vers les villes. En 1942, Téhéran est secouée par des émeutes de la faim. Après la guerre, et avec la chute des productions militaires destinées aux Soviétiques et aux Alliés occidentaux, l'Iran doit affronter les problèmes posés par le trop-plein démographique urbain. Il les règle en distribuant à ces foules des grandes villes les dividendes du pétrole. En 1953, le Dr Mossadegh, un nationaliste laïque, entend nationaliser les pétroles, toujours sous contrôle anglais, et rejeter l'inféodation de l'Iran aux États-Unis. Le Shah craint une alliance entre nationalistes et communistes, qui serait appuyée par l'URSS. Mais le clergé et les bazaris, les commerçants du Bazar de Téhéran, ne soutiennent pas le Dr Mossadegh. Celui-ci est renversé par un putsch, soutenu par Washington et Londres, mais les questions soulevées par lui, surtout la nécessité de nationaliser les pétroles et d'acquérir une autonomie énergétique, demeurent depuis lors les questions cruciales de la politique iranienne : elles seront au centre de la polémique contre le Shah ; elles sont au centre de la polémique entre l'américanosphère et Ahmadinedjad aujourd'hui.
    LA RÉFORME AGRAIRE
    Après le départ de Mossadegh, le Shah prend conscience de la nécessité d'une révolution sociale en Iran, une révolution qu'il voudra "blanche", c'est-à-dire téléguidée d'en haut, depuis l'empyrée du pouvoir impérial. Elle vise trois réformes essentielles : l'organisation d'un système éducatif moderne et performant (y compris pour les filles), détaché du clergé ; le droit de vote pour les femmes ; la réforme agraire. C'est la réforme agraire qui freinera le succès de la « révolution blanche » en raison d'une donnée incontournable : seulement 11 % du sol iranien sont cultivables ; or 22 % de la population active (encore aujourd'hui) sont dans l'agriculture. Avant la révolution blanche, le système était latifundiste, constitué de grandes propriétés terriennes. Chacun, sur son lopin, produit pour sa famille, avec, éventuellement, un petit surplus. Ce système se révèle insuffisant pour nourrir correctement les masses urbaines : il faut importer des céréales américaines, donc consentir à la dépendance alimentaire. Avec la réforme agraire, chaque paysan reçoit son lopin en pleine propriété. Les grands propriétaires sont dédommagés. Mais à chacun de ces paysans devenu propriétaire se pose un problème crucial : comment va-t-il financer l'achat de machines pour mettre en valeur ses nouvelles terres ? Un grand nombre de ces nouveaux petits propriétaires sont donc contraints à l'exode vers les villes, après avoir abandonné leur lopin. Une partie de cette masse est absorbée par l'industrie. Une autre partie reste sur le carreau. Les masses urbaines sont gonflées par ce nouvel afflux de population. Du coup, les dividendes pétroliers ne suffisent plus pour les nourrir.
    Le Shah aurait pu sortir de cette impasse en 1973, quand l'OPEP décida d'augmenter le prix du brut pour assurer le financement d'infrastructures dans les pays exportateurs de pétrole. C'est la raison pour laquelle il apporta son soutien à l'OPEP, majoritairement arabe, en dépit de la solidarité inflexible qu'il manifestait à l'égard des États-Unis. Cette option de l'empereur pour une solidarité entre pays producteurs de pétrole va définitivement lui aliéner Washington. Les relations n'étaient déjà plus au beau fixe depuis Kennedy, qui se méfiait du développement de l'armée iranienne, capable de devenir l'instrument d'une puissance régionale indélogeable et incontournable, surtout à proximité des puits de la péninsule arabique et à hauteur du Détroit d'Ormuz.
    L'AXE ÉNERGÉTIQUE PARIS/BONN/TÉHÉRAN
    Pour le spécialiste suédois de la géopolitique pétrolière William Engdahl, la colère américaine contre le Shah vient de la volonté du monarque 1) de doter son pays d'un programme nucléaire destiné non pas à l'Iran seul mais à tout l'espace circum-iranien, 2) de diversifier la dépendance iranienne vis-à-vis du pétrole et 3) de coopérer avec la France (l'uranium de Tricastin) et avec l'Allemagne (la compagnie KWU est appelée à construire deux réacteurs, avec, en sus, un financement complémentaire de 19 milliards de DM, consenti en 1977 pour la construction d'autres infrastructures). Cette coopération euro-iranienne n'allait pas en sens unique : les Iraniens investissaient en Allemagne (25 % du capital de Krupp) et en France dans les entreprises gérant les technologies du nucléaire. Un Axe énergétique Paris-Bonn-Téhéran se mettait en place : voilà pourquoi il fallait éliminer le Shah, après avoir liquidé, par l'intermédiaire de la Bande à Baader, le président de la Dresdner Bank, Jûrgen Ponto (assassiné le 31 juillet 1977), et le patron des patrons allemand, Hanns-Martin Schleyer, tous deux avocats d'une modification complète du système économique international, après que Nixon eut déclaré la non-convertibilité du dollar en or. Ce double assassinat en Allemagne, faut-il le préciser, suit celui du roi Fayçal d'Arabie, perpétré le 25 mars 1975 ; le monarque séoudien avait tenté de réorganiser l'OPEP, de concert avec le Shah, prouvant par là même que le système que préconisaient les deux hommes n'était pas belligène en dépit de l'hostilité ancestrale entre Arabes sunnites/wahhabites et Perses chiites. Washington, affolée face à la redistribution des cartes qui s'opérait sur la scène internationale, applique, via Kissinger, une politique intransigeante à l'endroit de ses alliés officiels, quasi une politique de collision frontale, prouvant que les « bonnes intentions » affichées par les Américains depuis la fin des années 1940 n'étaient que des leurres ; les alliés, qu'ils fussent d'anciens alliés ou d'anciens vaincus, demeuraient, dans le fond, des concurrents des États-Unis, donc des ennemis à abattre au moment opportun.
    LA CIA PARIE SUR KHOMEINY
    Pour recréer, au moins artificiellement, la confiance perdue dans les opinions publiques "alliées", pour retoucher ce tableau pessimiste, tissé de conflictualités réelles et résurgentes, en dépit des alliances officielles, il fallait inventer une nouvelle idéologie édulcorante : ce sera l'idéologie des « droits de l'homme », portée par le nouveau président des États-Unis, promu dans les média en 1975 et intronisé en 1976 : Jimmy Carter, ancien cultivateur de cacahuètes en Géorgie. La diplomatie américaine évolue très rapidement dans les années 1960 et 1970 : elle est marquée par le passage de la diplomatie classique de Kissinger au temps de Nixon à une diplomatie modifiée et axée sur la confrontation directe ou indirecte avec les alliés officiels de Washington, puis à la diplomatie cartérienne des « droits de l'homme ». Dans ce contexte bouillonnant et tourbillonnant, la CIA est appelée à agir rapidement, avant que les alliés ne comprennent réellement ce qui arrive. Elle va parier sur les mollahs iraniens parce qu'ils ne suggèrent aucun projet "moderniste", contrairement au Shah (ou au roi Fayçal, en dépit des blocages potentiels de l'idéologie wahhabite). Le calcul des services américains est le suivant : si les mollahs n'ont pas de grands projets de modernisation, les dividendes pétroliers suffiront pour apaiser le pays et ses masses déclassées à la suite de l'échec (relatif) de la réforme agraire. Il n'y aura pas de programme nucléaire, donc aucune coopération future de réelle importance avec les puissances économiques européennes, qui demeureront dès lors inféodées aux États-Unis, sans risquer de faire cavaliers seuls. La CIA va donc créer le personnage de Khomeiny, le choisir comme figure privilégiée du bouleversement appelé à neutraliser l'Iran, à le plonger dans un marasme de longue durée, l'empêchant ainsi de devenir une puissance régionale qui compte.
    LE PROGRAMME DE LA "RÉVOLUTION BLANCHE"
    Qui est Khomeiny ? Avant toutes choses, il est hostile au quiétisme traditionnel adopté par les chiites depuis l'avènement des Qadjar et la Conférence de Qom de 1949. Ce quiétisme va perdurer sans heurts jusqu'à la mort de l'ayatollah Boruyerdi en 1961. Le quiétisme a été une période faste pour le clergé chiite : son autonomie était garantie par le principe de dualité et ses écoles, comme du reste tout le système scolaire iranien, vont se redresser dans les années 1950. En 1959, quand le Shah annonce qu'il va introduire le vote des femmes et amorcer la réforme agraire, le clergé n'appelle nullement à manifester, alors que les thèmes étaient sensibles, susceptibles de provoquer une vigoureuse contestation de nature religieuse. En 1961, une fois l'ayatollah Boruyerdi disparu, le Shah annonce le programme entier de sa « révolution blanche », que le peuple pourra accepter après référendum, prévu pour le 26 janvier 1963. Ce programme comprenait :
    - la réforme agraire ;
    - la nationalisation des forêts ;
    - la privatisation des entreprises nationales ;
    - la participation et l'intéressement des travailleurs (projet calqué sur les projets gaulliens) ;
    - la réforme électorale ;
    - la création d'un « corps d'alphabétisation ».
    Mais simultanément, à l'annonce de cet ambitieux programme de modernisation de l'Iran, le Shah traite les clercs de "parasites", de « réactionnaires noirs » et d'« animaux impurs ». En substance, il déclare : « Nous en avons assez des parasites sociaux et politiques ; j'abhorre la "réaction noire" encore plus que la "destruction rouge". » Ce discours sanctionne la rupture entre le pouvoir royal/impérial et le clergé.
    L'ENGRENAGE
    En 1962, Khomeiny avait déjà tenu quelques discours incendiaires contre le droit de vote des femmes. En janvier 1963, à la veille du référendum qui doit légitimer le programme de la « révolution blanche », il déclare s'opposer à la réforme agraire, alors que le clergé ne l'avait jamais rejetée auparavant. Pourquoi cette nouvelle hostilité ? Parce que cette réforme touche aussi les terres détenues par les fondations religieuses. En mars 1963, les étudiants en théologie manifestent à Qom, à l'instigation de Khomeiny. La répression est dure. Le 3 juin 1963, c'est le jour de l'Achoura, fête de première importance chez les chiites duodécimains ; elle consiste en une procession en souvenir de l'assassinat du troisième Imam Hussain sur ordre du Calife sunnite Yazid, en 680 à Kerbala (Irak actuel). Pour expliquer de manière succincte l'importance à la fois religieuse et politique de l'Achoura, disons que chaque croyant doit promettre, ce jour-là, de « prendre la place d'Hussain, de voler à son secours », contre l'injustice commise par Yazid. Sont des "Yazids" tous ceux qui enfreignent les lois de l'islam et commettent l'injustice. Dans un tel contexte religieux, le Shah était devenu un Yazid. Le 3 juin 1963, donc, jour de l'Achoura, Khomeiny tonne un discours incendiaire qui conduit immédiatement à son arrestation. Celle-ci déclenche des manifestations dans toutes les villes d'Iran, orchestrées par les bazaris. Troubles et répression s'ensuivent, contraignant Khomeiny à prendre en 1964 le chemin de l'exil, d'abord en Turquie, puis en Irak, où il s'installera à Nadjaf, près du tombeau d'Ali. Enfin, à Neauphle-le-Château en France, quand le pouvoir baathiste irakien, laïque et républicain, l'expulse par crainte d'une contagion en Irak même, au sein de la forte minorité chiite du Sud.
    LA "RENAISSANCE THÉOLOGIQUE" DE KHOMEINY
    À Nadjaf, la pensée de Khomeiny va prendre les contours précis que nous lui connaissons depuis 1978. On parle à son propos d'une « renaissance théologique ». L'ayatollah en exil va briser d'abord la dualité Shah/clergé qui avait caractérisé l'Iran chiite depuis les Séfévides. Il déclare en effet que la monarchie est incompatible avec l'islam ; cela implique que tant que llman ou le Mahdi restent cachés, seuls les clercs ont droit au pouvoir (« velayet-e faqih »). Il réhabilite le culte du martyr, refoulé par le quiétisme dominant avant sa « renaissance théologique » : si l'on meurt en combattant le Shah, désormais totalement délégitimé et ramené à la figure négative d'un Yazid, on acquiert automatiquement le statut de martyr. En résumé, c'est un appel aux suicidaires, dont on va faire des kamikazes dans les champs de mines ou des preneurs de tranchées (pendant la longue guerre Iran/Irak de 1980-88). Sur le plan plus strictement politique, Khomeiny avance pendant son exil irakien deux leitmotive : 1) il faut en finir avec l'immunité dont jouissent tous les citoyens américains actifs sur le territoire iranien - immunité dont ils jouissaient aussi par ailleurs en Grande-Bretagne depuis 1942 et en Allemagne depuis l'occupation de 1945 - ; 2) il fustige l'endettement de l'Iran, argument plus concret que le Shah retiendra comme valable, dans la mesure où tous ses propres efforts pour conduire à l'autarcie énergétique de l'Iran, notamment sur le plan nucléaire, furent simultanément des efforts pour le dégager de l'endettement. Pendant son exil, Khomeiny soulèvera d'autres polémiques, comme, en 1967, contre le train de lois sur la protection de la famille ou, en 1971, contre les dépenses entraînées par les fêtes de Persépolis, destinées à donner un lustre inégalé au principe monarchique achéménide, revendiqué par les deux Shahs de la dynastie Pahlevi. En 1976, Khomeiny s'insurge contre l'introduction du calendrier achéménide, perçue comme une atteinte directe à l'islam, à la liturgie duquel il oppose une autre liturgie, se référant à un passé préislamique, donc relevant de la "jalilliyah", aux yeux des islamistes.
    Dans les années 1970, les clercs réussissent à organiser les masses issues de l'exode rural, concentrées dans les grandes villes iraniennes et que, dans les années 1950 et 1960, l'industrie, en phase de croissance rapide, absorbait aisément. À la veille du premier choc pétrolier, consécutif à la guerre du Yom Kippour de 1973, cette absorption du boom démographique iranien n'est plus possible et la rente pétrolière, aussi fabuleuse soit-elle, ne parvient pas à satisfaire les besoins des déclassés. A partir de 1975, la tension monte donc. Mais il faudra attendre deux ans environ pour que le pays explose : le 3 novembre 1977, le fils de Khomeiny meurt dans des circonstances mystérieuses. Aussitôt, des manifestations violentes éclatent à Téhéran, juste avant la période de l'Achoura. Or la tradition chiite veut que s'il y a un mort par violence pendant ce temps sacré, on doit le commémorer par des processions quarante jours plus tard. Ce sera l'enchaînement fatal qui aura raison du pouvoir impérial : les processions tournent à la manifestation ou à l'émeute ; les forces de l'ordre réagissent : il y a des morts. Qu'il faut commémorer quarante jours plus tard, par d'autres processions/manifestations qui seront réprimées tout aussi durement par la police, avec mort d'hommes. Le scénario s'est répété inlassablement.
    LA PRESSE FLÉTRIT KHOMEINY, LES ÉTUDIANTS EN THÉOLOGIE MANIFESTENT À QOM
    En janvier 1978, la presse officielle publie un article virulent et caustique contre Khomeiny où le dignitaire religieux est campé comme la tête des « réactionnaires noirs alliés aux communistes » ; on l'accuse d'être un étranger, un Pakistanais et non un Iranien de souche, dont les ancêtres, qui s'appelaient Hindi, auraient changé de nom en s'établissant dans la petite ville de Khomein. L'article accuse encore Khomeiny d'être un « espion britannique », de mener une vie de luxe et de luxure, et d'être un « érotomane pathologique » (sous prétexte qu'il avait commenté certains poèmes soufis à connotations érotiques). A la suite de cet article, de nouvelles émeutes éclatent à Qom, menées, une fois de plus, par les étudiants en théologie. Ils réclament le retour de Khomeiny, le rétablissement de la constitution de 1906-1907. Ils n'exigent pas encore l'avènement d'une République islamique. Omission qui laisse subodorer en filigrane, derrière le discours islamiste véhément et apparemment anti-occidental, une volonté américaine, puisque lïdee d'une constitution de type belge, importation britannique, avait déjà suscité le scepticisme de tous les partis perses de l'époque, sauf ceux qui cherchaient délibérément la protection britannique. Les émeutes déclenchées à Qom par les étudiants en théologie enclenchent un nouvel engrenage fatidique.
    L'opposition est encore composite début 1978. L'ayatollah Madari veut simplement la constitution sans abolir la monarchie. Le théoricien Ali Shariati se revendique d'un chiisme socialiste, séduisant pour tous les sociaux révolutionnaires du pays qui se disent religieux mais anticléricaux. Il y a ensuite les partisans de Khomeiny qui veulent un retour aux principes purs de l'islam, à la façon des hanbalistes dans le monde sunnite mais en conservant lïdée d'un clergé dominant, propre au chiisme et conforme aux principes de sa propre « renaissance théologique », élaborée lors de son exil irakien. Il y a ensuite la masse des contestataires laïques du pouvoir impérial : les anciens du Front National du Dr Mossadegh et les communistes du Toudeh, flanqués de leurs milices, les « Moudjahid-din du Peuple » (qui deviendront ultérieurement, après leur éviction par les khomeinystes, le noyau dur de la Garde Républicaine de Saddam Hussein, y compris lors de la guerre Iran/Irak). Khomeiny, qui sortira vainqueur du lot, radicalise donc un mouvement, né dans les années 1960 et demeuré jusqu'alors fort modeste, qui poursuivait quatre objectifs principaux :
    0 Rejeter définitivement le quiétisme conventionnel des dignitaires du clergé chiite iranien depuis les Shahs de la dynastie Qadjar et la Conférence de Qom (1949), sanctionnée par l'ayatollah Boruyerdi, décédé en 1961. L'abolition du quiétisme implique une repolitisation de l'islam, de renouer avec des principes d'action.
    - Réorganiser le clergé, en faire une instance combattante dans l'arène politique iranienne.
    - Rationaliser et centraliser les finances du clergé, afin de le doter d'une autonomie permanente au sein de la société iranienne.
    - Améliorer la formation du clergé.
    Au départ, la volonté d'atteindre ces quatre objectifs ne s'oppose pas nécessairement à la personne du Shah ni à la modernisation de la société.
    LE CHUSME SOCIALISTE D'AU SHARIATI
    Ali Shariati, théoricien d'une « révolution socialiste chiite », formule une idéologie contestatrice plus "moderne", que l'on peut classer parmi les « messianismes du tiers-monde », comme on les désignait à l'époque où la décolonisation venait de se dérouler à grande échelle sur le globe. Il appelle 1) à rejeter le quiétisme, à l'instar des religieux adeptes de Khomeiny ; 2) réclame le droit à la parole pour les intellectuels non cléricaux qui s'inscrivent dans le cadre du chiisme (il élargit ainsi la notion de clercs et flanque ipso facto le clergé d'une caste militante d'intellectuels et d'écrivains chiites non affectés par le quiétisme et animés par la volonté de faire triompher la justice sur la terre) ; 3) opère une distinction entre le « chiisme des Séfévides » (et des Pahlevi), qu'il catalogue comme "corrompu", et le « chiisme d'Ali », chiisme pur des origines, impliquant tout à la fois un retour au prophète et à l'Imam Ali, tout en réclamant l'avènement permanent de la justice sociale, à l'instar des messies zoroastriens, manichéens ou mazdéens de l'histoire iranienne préislamique. Cette distinction postule une imitation active d'Ali, dans le quotidien politique, dans l'effervescence mondaine.
    La femme a un rôle primordial à jouer dans ce contexte : elle doit se montrer active sur le plan politique et religieux ; l'idéal qu'elle doit incarner rejette tout à la fois le modèle occidental de la femme émancipée et le modèle de la femme musulmane recluse. Ali Shariati développe là une idéologie contestatrice typiquement chiite et iranienne. Son anti-occidentalisme rejoint sur quelques points celui de Khomeiny ou d'autres militants islamistes (y compris sunnites). Ses sources d'inspiration sont : 1) l'écrivain Jalal Al-e Ahmad (1923-1969) qui avait théorisé la notion de « pays infecté » — par l'Occident s'entend. Via les cercles de Shariati, l'idée d'un « empoisonnement occidental » ou d'une « infection occidentale » se répand dans les esprits ; 2) Shariati s'inspire de l'Antillais Franz Fanon, poète du tiers-monde, très en vogue auprès du FLN et dans les milieux contestataires de la planète dans les années 1960. Fanon déclare qu'il est licite de « tuer les vecteurs de l'infection ». De là, l'idée d'une « violence désinfectante ». Ali Shariati s'inscrit dans le cadre de la gauche planétaire de son époque ; pour lui, l'infection ne vient pas de l'homme lui-même mais de l'extérieur. L'homme est donc bon ; par la grâce de cette bonté, il peut commettre toutes les « violences désinfectantes » imaginables, y compris celles qui pourraient être clairement interprétées comme des crimes purs et simples, et peut donc tuer les « vecteurs d'infection » qu'il juge tels, indépendamment du fait que la personne ainsi visée soit "infectante" ou non, soit un ennemi conscient ou un quidam sans intention de nuire. Toute anthropologie optimiste peut ainsi conduire au carnage universel.
    En 1979, après le départ du Shah pour un exil dont il ne reviendra jamais, ces forces composites arrivent toutes au pouvoir mais, au cours de l'année, les partisans de Khomeiny, regroupés autour des Pasdarans de la révolution islamiste, accaparent le pouvoir, contraignent bon nombre d'opposants laïques à prendre la fuite à l'étranger ou les assassinent. Les Américains sont désillusionnés : la disparition d'une masse de manœuvre politique composite les laisse dans le désarroi, masse que des fondations, instituts ou autres instances, issues du « soft power », auraient pu manipuler à loisir car toute pluralité composite ne sert pas le peuple qu'elle est censée gouverner mais sert l'étranger hégémonique qui peut la manœuvrer à son gré, en favorisant tantôt une faction tantôt l'autre et en fomentant crises et troubles civils.
    La prise du pouvoir par les Pasdarans de Khomeiny va induire les Américains à parier sur Saddam Hussein, à en faire l'instrument d'une guerre d'usure contre l’Iran (et simultanément contre l’Irak lui-même), qui durera huit longues années, les États-Unis fournissant directement ou indirectement des armes aux deux belligérants. Cette guerre éliminera le trop-plein déjeunes mâles, qui constituait un potentiel révolutionnaire dans les zones urbaines et péri-urbaines d'Iran, ôtant du même coup aux Américains cet instrument dont ils s'étaient servis pour abattre le Shah. Ce « Youth Bulge » ne pourra pas s'utiliser contre Khomeiny et ses successeurs.
    D'où l'hostilité permanente contre l’Iran et la volonté, toujours plus actuelle, de l'abattre.
    Robert STEUCKERS* Écrits de Paris
    * .Extrait d'une conférence prononcée entre autres au « Cercle Proudhon » (Genève, avril 2009)

  • ERNST JÜNGER : PRÉSENT !

    Dans sa cent-troisième année, l'ancien combattant de la guerre 14-18 est mort. L'écrivain allemand au beau visage distingué avait presque traversé dans sa totalité le XXème siècle (il était né dans la ville célébrissime de Heidelberg).
    Son oeuvre et son engagement politique d'avant la seconde guerre furent controversés et il a du subir la bave haineuse de la gauche allemande même si l'écrivain devait en rire avec morgue en pensant que François Mitterrand l'admirait beaucoup, lui qui n'avait sans doute pas compris dans toute sa profondeur la portée politique et idéologique de l'oeuvre.
    L'ancien soldat de retour du front avait écrit « Orages d'acier », livre qui exaltait la guerre, Elle permettait à l'homme de se réaliser, de se métamorphoser et de se confronter au plus grand des défis. Elle est en quelque sorte la mère de l'homme (« la guerre notre mère »), Cela nous rappelle Mussolini lorsqu'il en vantait aussi les vertus curatives : « elle guérit de la tremblote ». L'idéal guerrier et chevaleresque, sa spiritualité inhérente étaient loués au plus haut point. Jünger dans son livre la mobilisation totale avait même inversé Clausewitz : la politique devenant la continuation de la guerre.
    A notre époque où la guerre peut devenir une guerre presse-boutons l'idéal guerrier n'est pourtant pas mort. Nous devons être des guerriers politiques, culturels et idéologiques, De nos jours, il n'y a plus de front. Le combat est partout dans nos villes, nos banlieues, nos quartiers, nos rues, nos immeubles, à l'école, au travail...
    Jünger était avant tout un écrivain mais avait un peu étudié la philosophie. On ne peut parler de lui sans faire référence aux deux philosophes assez proches sur le plan politique (avec bien sûr des nuances) Nietzsche et Heidegger.
    On trouve des thèmes récurrents aux uns et aux autres assez proches. Jünger avait bien sur lu Nietzsche et avait personnellement connu Martin Heidegger (ils habitaient la même région : le Bade-Wurtemberg en pays souabe).
    L'idéal guerrier s'accompagne bien évidemment du mépris pour le bourgeois : peureux, couard, grelotteux, sans spiritualité, politiquement libéral-démocrate dont le seul but dans la vie est la recherche de la sécurité, du confort et du bien-être matériel. Tout ceci s'oppose aux valeurs héroïques du soldat : le courage, l'audace, l'acceptation du risque et de la hiérarchie. Le guerrier possède et domine cette violence parfois nécessaire pour accoucher de l'être, ceci s'appelle l'impératif ontologique de la violence.
    Le bourgeois incarne socialement le « nihilisme européen » terme clef que nous allons expliciter. La peste spirituelle de l'Europe est le nihilisme. La France et sa culture droitdelhommesque, avec ses idéaux de gauche qui ont même empoisonné la droite en est le plus «bel» exemple et sans doute le pays le plus avancé dans ce domaine de décomposition spirituelle.
    Les idéaux français ou européens des «Lumières» : droits de l'homme, raison, idéal scientiste, universalisme, économisme, moralité kantienne, conception abstraite de l'homme auquel on nie tout aspect charnel, égalitarisme qui implique la suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre. Bref tout ce qui est mortifère et l'apologie de tout ce qui détruit notre culture, notre pays, notre peuple. Les symptômes actuels de ce nihilisme sont une partie de la jeunesse européenne qui renie son pays, sa culture et se réfugie dans la drogue, le sexe, la débauche, ...
    Nietzsche avait parfaitement vu que ces valeurs elles-mêmes étaient conformément à leur essence intrinsèquement nihilistes, leur état actuel de décomposition (voir la France actuelle) reflète leur potentiel de départ (et que cela ne vient pas comme le croient encore certains idéologues de gauche d'une baisse de l'idéal initial). Jünger et Heidegger par leur engagement politique de départ, même s'ils ont un peu divergé après, ont donc voulu dépasser le nihilisme européen : « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve ». Cette phrase résolument optimiste d'Hölederlin redonnait espoir à Jünger et à Heidegger.
    L'engagement nationaliste était une façon de s'opposer sous une forme authentique au nihilisme européen qui obsédait tant les penseurs de génie européens. Pour eux, seule l'Allemagne pouvait avoir cette mission de renouveau spirituel. La défaite momentanée des mouvements nationalistes des années trente ne doit pas faire oublier leur origine intellectuelle, spirituelle et philosophique, le problème étant loin d'être réglé. Le nihilisme européen a atteint en France et en Europe un paroxysme et seul un mouvement nationaliste et spirituel fort pourra répondre à  cette menace persistante pour l'avenir de la France, de l'Europe et de l'Occident. 
    Patrice GROS-SUAUDEAU