
Peu de peuples ont eu un destin aussi riche que les Normands. À ceux qui auraient encore besoin d'en être convaincus, je conseille de plonger dans le livre de Pierre Aube, Les empires normands d'Orient. Un livre dédié à la mémoire de Jacques Benoist-Méchin. Au courage intellectuel que révèle une telle dédicace l'auteur ajoute une belle maîtrise de conteur : il a su donner à son récit le souffle épique de ces chansons de geste qu'il a largement utilisées, comme sources documentaires, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs.
A furore Normannorum libéra nos Domine (« Libère nous, Seigneur, de la fureur des Normands »)... En adressant cette supplique au ciel, les litanies des moines essayent d'exorciser la menace que font peser sur leurs têtes, au IXe siècle, les raids vikings. Ces saintes gens en rajoutent un peu dans le tableau horrifïque qu'ils nous ont laissé des incursions des « hommes du Nord » (Normands), mais il est vrai que les guerriers Scandinaves ont la main lourde.
Cependant ces pillards rêvent de se transformer en gentlemen farmers. Lorsque le Norvégien Rollon, dynamique chef de bande, eut bien fait peur au roi des Francs Charles le Simple, il lui fit transmettre par l'archevêque de Rouen ses exigences, pour prix d'un retour au calme « Donne-lui une région d'où il tire nourriture et vêtement, jusqu'à ce que la terre que tu lui donnes soit remplie de richesses et rende en ravitaillement, en hommes et en animaux les fruits correspondant aux saisons ». Le roi accorda la terre, et sa fille en prime. Ainsi naquit le duché de Normandie. En ce duché, efficacement organisé et contrôlé par l'autorité ducale, les descendants des Vikings ont parfaitement appliqué le précepte « Croissez et multipliez ». Au point que dans nombre de familles d'une prolifique petite aristocratie, les cadets se sentirent vite à l'étroit. Leur besoin d'air, exalté par un sang resté généreux, les poussa à chercher l'aventure au loin. Y compris en Orient, où le pèlerinage à Jérusalem justifiait une sainte escapade. Et pouvait offrir l'occasion de beaux coups d'épée, comme le constatèrent une quarantaine de chevaliers normands revenant, en 1016, des Lieux Saints.
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