Il existe, dans l’histoire du socialisme français, un courant souterrain, hérétique, marginalisé et refoulé. Il constitue une sensibilité occultée parmi les tendances qui ont prévalu dans la gauche de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui – tendances représentées par les couples rivaux et complémentaires Jaurès et Guesde, Blum et Cachin, Mollet et Thorez, Mitterrand et Marchais. Si l’on envisage l’histoire du socialisme sous l’angle de la coupure entre une « première » et une « deuxième » gauche – l’une centraliste, étatiste, anticapitaliste, l’autre plus sociale, réformatrice, démocratique –, il s’agirait d’une « troisième gauche » beaucoup plus radicale, qui est restée, depuis toujours, hors du jeu politique, parlementaire et ministériel.
Il ne s’agit pas d’un groupe ou d’une tendance organisée, encore moins d’un parti : tout au plus d’une constellation intellectuelle et politique, dont les étoiles les plus visibles sont Auguste Blanqui, Georges Sorel, Charles Péguy et Bernard Lazare. En essayant de redécouvrir cette « tradition cachée » du socialisme français, escamotée aussi bien par le silence des uns que par les tentatives de « récupération » des autres – par exemple celle (qui a fait long feu) de la « deuxième » gauche de s’approprier Sorel –, nous n’avons nullement l’intention de proposer une nouvelle orthodoxie à la place de celles qui existent déjà. Ce serait d’ailleurs impossible, tant ces penseurs présentent entre eux autant de différences que d’affinités.