Entretien de François Bousquet avec David Boughezala
Daoud Boughezala. Vous consacrez le premier chapitre de votre essai Biopolitique du coronavirus. Télétravail, famille, patrie, aux théories complotistes qui font actuellement florès. A l’ère de la scolarité obligatoire, de l’accès gratuit au savoir et à l’information, comment expliquez-vous leur essor ? Vit-on une crise de l’esprit scientifique et rationnel moderne ?
François Bousquet. Avons-nous jamais été des agents rationnels, des animaux pourvus seulement d’une froide raison calculante ? On peut en douter. Notre imagination a toujours été très active. Le complotisme le prouve à sa manière. C’est d’abord un imaginaire folklorique, souvent sympathique, mais accolé à une sorte de délire interprétatif. Cet imaginaire a brutalement resurgi après le 11 Septembre 2001 et la seconde guerre d’Irak. Peut-être sa longue hibernation n’était-elle qu’un effet d’optique que l’avènement du Web a brisée. Internet n’a d’ailleurs pas réinventé le complot, il l’a seulement sorti de ses niches antimaçonniques, rosicruciennes, soucoupistes. Viral, le complot est devenu mondial, en haut débit et libre accès. C’est la nouveauté. Pour le reste, le complotisme répond à un besoin fondamental de l’âme humaine : l’intentionnalité. Les créationnistes parleraient de dessein intelligent, mais le dessein ici est indifféremment intelligent ou malveillant. C’est ce que Léon Poliakov a appelé d’une formule saisissante la « causalité diabolique ». À elle seule, elle illustre la permanence du miraculeux, de la pensée magique, de l’acteur tout-puissant qui met un visage sur des processus qui sans cela resteraient impersonnels. Comment détester la logique abstraite du capital ou de la mondialisation ? En lui donnant les traits de Bill Gates !
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