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entretiens et videos - Page 794

  • Entretien avec Charlotte d’Ornellas à propos de la Syrie

    Charlotte d’Ornellas, qui nous fait l’immense plaisir de collaborer quotidiennement à contre-info.com, connait bien la Syrie. Elle livre un témoignage poignant sur ce que vivent les populations en Syrie. Elle balaye plusieurs sujets comme le sort des chrétiens d’Orient, les sanctions internationales, l’image de la France en Syrie etc… Reportage d’Armel Joubert des Ouches pour Reinformation.tv :

    http://www.contre-info.com/

  • Entretien de juin 2015 - Transition énergétique, retraites, armée, Mali

  • Infrastructures, bases militaires, finance… : la discrète mais redoutable stratégie de la Chine pour projeter sa puissance sur les 5 continents

    Table ronde menée par atlantico.fr, avec :

    ♦ Christian Harbulot, historien, politologue et expert international en intelligence économique, directeur associé du cabinet Spin Partners ; il est également directeur de l’Ecole de Guerre Economique et membre fondateur du nouvel Institut de l’intelligence économique.

    ♦ Valérie Niquet, maître de recherche et responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), directeur du centre Asie IFRI, professeur au Collège interarmées de défense (CID-Ecole Militaire) où elle assure le cours de géopolitique de la Chine.

    ♦ Laurent Alexandre, chirurgien de formation, également diplômé de Science Po, d’HEC et de l’ENA ; il a fondé dans les années 1990 le site d’information Doctissimo. Il le revend en 2008 et développe DNA Vision spécialisée dans le séquençage ADN. Auteur de La mort de la mort paru en 2011,  Laurent Alexandre est un expert des bouleversements que va connaître l’humanité grâce aux progrès de la biotechnologie.

    ♦ Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

    La Chine a récemment dévoilé son étude de faisabilité du réseau ferroviaire qui connectera l’Atlantique au Pacifique. Un investissement colossal qui, en plus de faciliter le transport de marchandises, s’inscrit dans une stratégie de développement d’une puissance multidimensionnelle.

    Atlantico : Globalement, comment peut-on décrire l’organisation chinoise de sa puissance ? De quoi s’inspire-t-elle et comment cette dernière peut-elle être mise en oeuvre ?

    Christian Harbulot : Pour comprendre la mutation de la Chine, il est nécessaire de s’interroger sur des exemples antérieurs qui lui ont peut-être servi, non pas de modèle mais, de cas d’école pour trouver des solutions à la question centrale : « Comment combler un retard économique corrélatif à un déficit de puissance ? ». La Chine a pris exemple sur le Japon. Pour éviter de se faire coloniser par les puissances occidentales, le Japon a initié une politique de réformes. Affaibli par des siècles de repli sur lui-même, l’empire du Soleil Levant dut relever plusieurs défis :

    – l’élaboration d’une infrastructure industrielle et portuaire nécessaire à la modernisation de son armée et de sa marine,

    – la mutation de l’organisation de la société (revalorisation du rôle des marchands par rapport au monde paysan),

    – la création d’une sphère d’influence en Asie.

    Pour atteindre cet objectif, le Japon devait combler son retard dans la plupart des domaines industriels. Le rattrapage n’était possible qu’en opérant des raccourcis. Les priorités d’intérêt national (marine, ports, industries de défense) nécessaires à la préservation de l’indépendance nécessitaient une remise à niveau rapide des connaissances par rapport aux nations les plus avancées et constituant une menace potentielle. Le rattrapage des économies occidentales a été possible grâce à ce qu’il est convenu d’appeler une pratique du raccourci, c’est-à-dire en assimilant le niveau le plus élevé de la connaissance technique, développé des pays en cours d’industrialisation. En recourant à ce stratagème, le Japon ne faisait que reproduire une démarche initiée en Occident au début des révolutions industrielles, soit pour remettre à niveau des manufactures, soit pour briser un lien de dépendance.

    Cette démarche particulière est symbolisée à l’époque par le slogan « un pays riche, une armée forte ». L’occupation de la Mandchourie a donné aux Japonais l’occasion de bâtir un processus industriel articulé autour d’une compagnie de chemins de fer qui gérait aussi bien les activités économiques (le groupe Nissan est né là-bas) que l’administration locale, l’éducation et la police. Les Japonais avaient pris exemple sur les compagnies de chemin de fer américaines qui étaient à l’origine de la croissance industrielle des Etats-Unis entre la côte atlantique et la côte pacifique. Les Chinois ont subi dans un premier temps les conséquences de cette colonisation économique du Japon puis ont appris à en tirer les leçons.

    Valérie Niquet : La Chine a une stratégie de puissance, qui prend des formes différentes et mobilise des moyens très divers pour renforcer la présence et l’influence de la Chine très au-delà de son environnement géographique immédiat. Cette stratégie de puissance répond à des objectifs de développement et d’influence, au service des intérêts vitaux définis par Pékin. Le premier de ces intérêts étant la survie du régime. Toutefois, si la Chine a une stratégie de puissance et d’influence, le succès n’est pas toujours au rendez-vous. Au contraire, la montée en puissance de l’influence chinoise, notamment dans le secteur économique, peut susciter des réactions de rejet. De même, en Asie, la mobilisation d’une thématique hyper nationaliste autour de la défense des « intérêts vitaux », notamment sur mer, a suscité une contre réaction qui nuit à l’affirmation de la puissance chinoise dans sa région.

    Atlantico : Deuxième canal de Panama ; en Himalaya, nouvelle route de la soie ; chemin de fer en Amérique du Sud ; présence sur le continent africain. La Chine investit des sommes colossales dans le développement des infrastructures mondiales. Quels sont les objectifs visés ?

    Valérie Niquet : La multiplication des investissements particulièrement impressionnants dans le secteur des infrastructures dans les pays émergents répond à des objectifs multiples. Il s’agit d’abord, pour des raisons économiques, d’accompagner la stratégie du go out encouragée par pékin dès le milieu des années 1990. L’économie chinoise a besoin de nouveaux marchés, d’un accès assuré aux ressources énergétiques et aux matières premières. Ceci d’autant plus que la croissance qui ralentie en Chine aujourd’hui impose de trouver aussi de nouveaux débouchés pour les grandes entreprises chinoises de construction d’infrastructures qui ont vu les opportunités se réduire en Chine même. Ce phénomène est au cœur des projets de nouvelle route de la soie, vers l’Asie centrale, projets qui s’accompagnent du projet de création d’une banque d’investissement pour les infrastructures en Asie où la Chine pourrait jouer un rôle leader.

    Mais au-delà de ces enjeux économiques, la multiplication des grands projets, soutenus par la puissance financière de la République populaire de Chine (RPC), vise également à illustrer et renforcer l’image de puissance de la Chine, acteur majeur sur la scène internationale. Derrière ces ambitions, on trouve le facteur premier de la stratégie extérieure de la RPC qui est la nécessité  de trouver des relais de légitimité, fondés sur le prestige et le développement économique, qui puisse assurer la survie du régime.

    Christian Harbulot : Dans un contexte différent du Japon, l’évolution de la Chine contemporaine s’inscrit dans cette problématique de politiques de raccourcis dont la finalité est d’assurer la pérennité d’un régime opposé au système occidental. Depuis la création de la République populaire en 1949, la stratégie des dirigeants du Parti communiste chinois a été conditionnée par le rapport de force constant qui les a opposés au monde capitaliste. Le développement de l’économie chinoise était conçu selon des critères de planification socialiste. Il n’était donc pas question de compétition entre économies de marché mais de complémentarité entre les économies de type socialiste. Si la disparition de l’URSS a remis en cause cette différenciation dans le mode de développement, elle n’a pas pour autant fait disparaître les rapports de force géopolitiques entre la Chine et les Etats-Unis. La Chine reste un risque potentiel militaire et économique pour les Etats-Unis et vice versa.

    Pour rattraper son retard sur les pays industrialisés, la Chine communiste n’avait pas d’autre choix que de suivre un chemin parallèle à la voie empruntée par le Japon de l’ère Meiji. Le passage à l’économie de marché a obligé ce pays à prendre des raccourcis par le biais des transferts de technologie et des captations de connaissance dans les pays industrialisés. La rapidité d’exécution de la manœuvre (un siècle pour le Japon, trente pour la Chine)  souligne l’intensité de la démarche chinoise qui est comparable aux démarches japonaise et coréenne dans la mesure où l’optique de développement est indissociable d’une vision politique de puissance. Dans le cas du Japon (ère Meiji), la politique de raccourcis venait en appui d’une volonté de préserver l’indépendance. Dans le cas de la Corée du Sud (post guerre de Corée), elle s’inscrivait dans la perspective de faire jeu égal puis de dépasser la Corée du Nord. Dans le cas de la Chine (post Bande des quatre), le challenge était double : changer de modèle économique et se hisser au plus haut niveau de l’économie mondiale. Le point commun à ces trois démarches est la priorité donnée à la conquête des marchés extérieurs afin d’accumuler de la richesse pour consolider les fondements militaires et géopolitiques de la puissance. Dans les trois cas, la politique de raccourcis est articulée avec des mesures de nature protectionniste.

    Atlantico : Avec les investissements de Pékin en Grèce, dont l’ambition est de faire du Pirée l’un des ports « les plus compétitifs du monde » (voir ici), la Chine ne semble pas indifférente au vieux monde. Quels sont les projets chinois en Europe et aux Etats-Unis ? Comment la Chine investit-elle dans les pays occidentaux comparativement aux autres ?

    Valérie Niquet : La chine s’intéresse aux pays émergents. Elle s’intéresse également, et plus particulièrement depuis la crise financière de 2008, à l’Union européenne.

    Là encore les objectifs sont multiples. Il s’agit de trouver de nouveaux marchés pour les produits chinois – dont le coût est mieux adapté aux capacités des consommateurs – en Europe orientale. Les investissements chinois dans le port du Pirée, doivent s’entendre d’abord comme la volonté de faciliter l’accès des produits chinois aux marchés européens. La Chine est également présente dans le secteur de la construction d’infrastructure où ses entreprises jouissent d’un avantage significatif en matière de coûts. Enfin, on assiste – toujours pour des raisons d’accès aux marchés – à une délocalisation des ateliers chinois, dans le secteur du cuir ou du textile, en Italie par exemple. Délocalisation qui permet de bénéficier du label UE.

    Enfin, on a pu constater que les investissements chinois auprès de certains Etats européens après la crise financière avaient également pour objectif de tenter de gagner des soutiens au sein de la commission européenne. Par ailleurs, l’intérêt des capitaux chinois pour des entreprises européennes – notamment dans certains secteurs technologiques de pointe – doit également être noté.

    Christian Harbulot : C’est une question qui mériterait une étude à part entière. Les Chinois reprennent la démarche japonaise des années 1980 (création de points d’appui comme les Japonais en ont  saisi l’opportunité en Grande Bretagne et en Italie, quitte à construire à l’époque ce qu’on a appelé des usines tournevis qui étaient des usines de montage sans grande valeur ajoutée pour le pays d’accueil). Les Chinois ont une approche un peu similaire dans certains pays qui leur donnent une possibilité d’approche plus facile que d’autres. Le cas du Pirée est un test important pour évaluer la portée de leur déterminisme stratégique. Mais de manière générale, les Chinois ont une politique très opportuniste. Ils prennent là où on les laisse prendre. Le secteur de l’industrie du contreplaqué en garde, en France, un triste souvenir. Mais les Français savent aussi apprendre et les remettre à leur place comme ce fut le cas en Basse Normandie.

    Atlantico : La stratégie de grignotage territorial de la Chine semble désormais s’étendre aux eaux internationales…

    Valérie Niquet : C’est à partir des années 1970 que la Chine a commencé à affirmer ses revendications dans la zone, et notamment à partir de l’affaiblissement du Vietnam qui était en guerre. Dans les années 1980, la Chine s’empare d’un premier archipel, celui des Îles Paracels, revendiquées par le Vietnam et qu’elle occupe aujourd’hui. Au fur et à mesure du développement de ses capacités navales, qui au début était très limitées, la Chine a étendu ses prises de position en fonction des opportunités en mer de Chine Méridionale, en saisissant un certain nombre d’îlots qui appartenaient soit au Vietnam, soit au Philippines, dans l’archipel des Spratleys. Depuis la fin des années 2000, la Chine a renforcé considérablement ses revendications et ses avancées. En 2009, elle a notamment commencé à parler de ses intérêts vitaux sur mer -ce qui était nouveau – en multipliant les incidents et les incursions en Mer de Chine méridionale. La cible favorite étant les Philippines et le Vietnam.

    Depuis cette année, la Chine a choisi une nouvelle stratégie. Pour essayer de conforter sa présence, elle renforce et multiplie les constructions sur les îlots. Les objectifs sont multiples : accélérer pour marquer son territoire, renforcer ses revendications en Mer de Chine méridionale,  et donner aux gardes côtes et aux bateaux de pêche chinois des lieux où relayer la présence chinoise, pour imposer ses positions dans la région.

    Atlantico : Outre les avantages économiques et stratégiques, la Chine peut-elle en retirer un avantage sur la scène diplomatique mondiale ?

    Valérie Niquet : La multiplication des partenariats avec les pays émergents notamment a également pour objectif de renforcer, dans l’idéal, l’influence de la Chine et son poids sur la scène internationale. Au delà de ses capacités d’actions financières et économiques, la Chine bénéficie également d’un multiplicateur de puissance exceptionnel avec son statut de membre permanent – doté d’un droit de veto – au sein du conseil de sécurité de l’ONU. Pour Pékin, toute réforme du Conseil de sécurité intégrant d’autres grandes puissances asiatiques telles que l’Inde ou le Japon, entraînerait une diminution relative de son statut de grande puissance et d’unique représentant, au sein du Conseil de sécurité, du monde de développement.

    En renforçant sa présence en Afrique, en Amérique latine, ou en Asie centrale, la Chine peut également renforcer son image de puissance globale, au-delà du théâtre asiatique. Il s’agit également pour Pékin de proposer et de légitimer un contre modèle opposé aux valeurs des démocraties libérales.

    Christian Harbulot : Le Bureau de l’information du Conseil des affaires d’Etat de Chine a publié en octobre 2011 un livre blanc intitulé « Le Développement pacifique de la Chine ». Divisé en cinq parties, il présente le plan du développement de la Chine pour les dix ans à venir, ses principes de politique extérieure, ses contextes historiques et économiques, sa réalité sociale et ses changements à opérer, ainsi que l’influence mondiale qu’elle souhaite exercer.

    Avec ce livre blanc, la Chine cherche à rassurer le monde sur ses visées hégémoniques en prônant le développement pacifique pour la construction d’un monde plus harmonieux, tout en affirmant son rôle d’acteur majeur économique et politique sur la scène internationale.

    Pour mieux accélérer son développement, la Chine fonde sa stratégie sur trois axes majeurs :

    – Sa farouche volonté d’indépendance et d’ouverture à l’égard des autres pays ou nations du monde ;

    – Le rappel d’une défense de ses intérêts nationaux ;

    – Sa nécessité d’accéder à plus de ressources énergétiques des autres pays tels que l’Afrique, les pays émergents.

    La coexistence d’un discours apaisant avec la volonté clairement exprimée de jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Cette dialectique paradoxale est au cœur de l’ensemble de la politique globale de la Chine.

    Atlantico : Comment la Chine envisage-t-elle sa domination dans le domaine monétaire ?

    Antoine Brunet : Il y a quelques années, la Chine autorisait que des conversions de dollars australiens en yuans et de yuans en dollars australiens puissent s’effectuer sans difficulté sur le territoire de la République populaire de Chine. Auparavant, la Chine avait déjà autorisé que des conversions puissent s’effectuer en Chine entre le yuan chinois et le yen japonais.

    Ce type de mesures s’ajoute aux initiatives de la Chine  encourageant de multiples pays à commercer avec elle en facturant leurs échanges réciproques non plus en dollars américains mais soit en yuans, soit dans la monnaie du pays partenaire.

    La Chine a pris une série d’autres initiatives pour que les banques centrales de certains pays partenaires puissent se constituer concrètement des réserves de change en yuan : ces quelques banques centrales sont en effet désormais autorisées à acheter et à détenir des titres à court terme émis en yuan par l’Etat chinois, (elles sont par ailleurs autorisées à effectuer à tout moment la démarche symétrique : liquider ces titres et reconvertir les yuans récupérés dans leur monnaie nationale).

    Toutes ces initiatives chinoises convergent vers un seul objectif : promouvoir le statut international du yuan au détriment du statut international du dollar ; et cela jusqu’à ce que le dollar soit définitivement détrôné par le yuan, jusqu’à ce que la monnaie du monde ne soit plus le dollar mais bel et bien le yuan.

    Jusque récemment, toutes les matières premières importantes étaient cotées en dollar (pétrole, gaz naturel, charbon, métaux, matières premières agricoles,…). Cela avait pour conséquence que les pays exportateurs facturaient en dollar, et seulement en dollar, les matières premières qu’ils livraient à l’exportation et se faisaient ensuite régler en dollar, et seulement en dollar, à l’échéance convenue.

    En conséquence de cette pratique, le dollar était auréolé de son prestige et les banques centrales des pays tiers acceptaient, très volontiers d’accumuler des dollars pour un montant de plus en plus considérable. Et cette propension des banques centrales des pays tiers à accepter d’accumuler les dollars qui sortaient du territoire américain (après avoir été émis soit par les banques commerciales américaines, soit par l’Etat américain lui-même) permettait elle-même au système bancaire américain de pouvoir émettre des dollars très largement et sans contrainte particulière. C’est d’ailleurs grâce à cette configuration très particulière que le système bancaire américain a pu financer depuis 2008, des déficits budgétaires colossaux et répétés sans que ni les marchés américains ni l’économie américaine n’en soit sanctionnés. C’est cela que l’on peut désigner comme le privilège du dollar.

    C’est aussi ce privilège que patiemment, depuis 2008 aussi, la Chine a entrepris de remettre en cause avant de l’abattre. Et toutes les initiatives énumérées au début de cet article y contribuent fortement.

    Les dirigeants du Parti Communiste chinois n’oublient pas que si l’URSS a perdu en 1989 la première guerre froide avec les Etats-Unis, c’est en très bonne partie parce que, dépourvue du privilège monétaire, elle n’avait pas eu la capacité financière de répondre par une course aux armements à la guerre des étoiles que les Etats-Unis leur infligèrent à compter de 1982 et qu’ils financèrent très facilement grâce au privilège du dollar. Il y a une articulation très significative entre les initiatives monétaires de la Chine et ses initiatives militaires et territoriales.

    Atlantico : La recherche scientifique et la technologie servent-ils également la construction de la puissance chinoise ? Comment ?

    Laurent Alexandre : Il existe actuellement 5 équipes dont l’objet de la recherche porte sur la modification génétique des embryons. Pour l’instant, une seule d’entre-elle a pu publier ses résultats, lesquels ne sont que partiellement positifs. Cela ne pouvait pas conduire à faire des bébés, mais c’est un premier pas qui a été jugé comme très transgressif : aucune équipe européenne ou américaine n’aurait osé les mener. On pourrait aussi citer l’armée chinoise qui collabore avec plusieurs entreprises pour mettre au point des intelligences artificielles supérieures, et il y a fort à croire que les précautions en la matière ne sont pas les mêmes que dans les pays Occidentaux.

    Les bébés à la carte – faire des bébés plus intelligents, moins malades – c’est un objectif géopolitique stratégique, il est clair que produire des Bill Gates à la chaîne quand on veut devenir une grande puissance technologique, ce n’est pas idiot, même si ce n’est pas moral de notre point de vue judéo-chrétien. Les Chinois n’ont jamais adhéré à l’éthique judéo-chrétienne. Les Chinois ont une éthique utilitariste, tout ce qui est utile est simplement bon. Tout ce qui concourt à la nation est simplement utile. C’est une inversion par rapport à nos critères moraux. Ils n’ont pas fini de nous inquiéter, de nous dépasser.

    En somme, et dans un certain nombre de cas lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre la stratégie de puissance, la Chine ne s’encombre pas des barrières éthiques occidentales. Cette volonté de puissance est assimilable à un bonapartisme technologique que l’on retrouve également dans les technologies : l’une des plus grandes réussites chinoise est probablement la mise au point du super-calculateurs le plus puissant au monde (Tianhe 2), qui réalise 33 millions de milliards d’opérations par seconde.

    Et si ses têtes pensantes vont faire leurs études à Harvard ou à Berkeley, la Chine propose à ses chercheurs expatriés un million de dollars pour qu’ils organisent leur laboratoire au pays natal. Aucun chercheur français ne se voit proposer 1 million de dollar

    Publiée le 12 Juin 2015

    Voir aussiLa Chine parie sur l’Amérique du Sud

    SourceAtlantico .fr

    http://www.polemia.com/infrastructures-bases-militaires-finance-la-discrete-mais-redoutable-strategie-de-la-chine-pour-projeter-sa-puissance-sur-les-5-continents/

  • La construction d'une cité parallèle

    Dissident catholique tchèque, Václav Benda (1946-1999) a développé sous le régime communiste l’idée d’institutions parallèles pouvant redonner vie au corps social et préparer l’avènement d’une société libre. À l’initiative de Stéphen de Petiville, différents textes de Benda ont été traduits et publiés en français sous le titre La Polis parallèleL'Homme Nouveau a interrogé Tugdual Derville sur ce sujet. Extrait :

    3cfb1100bec134db37944be376f27da7"[...] Cette polis parallèle française se tisse déjà depuis des décennies dans le terreau de notre nation... Un terreau social, culturel, spirituel. Mais nous ne le savions pas. Nous n’imaginions pas possible cette réaction de cristallisation provoquée par une réforme hautement symbolique de déconstruction sociale. Cette loi Taubira fut la goutte d’eau – funeste ou salutaire ? – qui fit déborder le vase. Elle a révélé des forces insoupçonnées de résilience, de créativité, d’audace. Elle a produit, dans toutes les générations, une nouvelle énergie et de nouvelles promesses de fécondité. [...]

    Quelle est la frontière entre construction d’un communautarisme et construction de la polis parallèle ?

    C’est un point très bien vu par Václav Benda. Il ne s’agit pas pour lui de créer ex nihilo un nouveau monde « alternatif »... Ni de préparer en catimini je ne sais quel coup de force.Il est significatif que Benda ait pris le soin d’en dissuader ses contemporains, alors que le totalitarisme communiste était autrement plus répressif que celui de la pensée unique d’aujourd’hui. Plutôt que de nous imaginer hors du monde, en ghetto méprisant, nous devons habiter cette société, c’est-à-dire y occuper comme il le suggère tout l’espace laissé vacant par le pouvoir dominateur. La vacuité anthropologique, philosophique et spirituelle de la « pensée unique » ouvre des boulevards à l’initiative. Le sel n’est pas fait pour rester en tas.Progressivement, nous fécondons notre propre pays, stérilisé par l’individualisme libertaire.Mais nous ne sommes pas seuls. Bien des personnes de bonne volonté qui errent aujourd’hui dans cette société éclatée ou « liquide » se trouveront demain à nos côtés, compagnons de route pour participer à cette transformation.Pour cela, il faut continuer à expérimenter, montrer, expliquer, accueillir, ouvrir...Les évènements de janvier 2015 ont mis à jour des expériences magnifiques qui préexistaient comme le Cours Alexandre-Dumas à Montfermeil. Il attire parce qu’il offre une réponse prophétique à un problème sur lequel l’idéologie dominante se casse les dents.Inutile de pavoiser : nous assumons simplement de construire la politique dont notre monde a besoin...

    Nos initiatives n’auront de sens que si elles sont capables de resserrer les liens entre de multiples composantes de la société autour d’un projet commun, jusqu’à régénérer le tissu social, à la manière d’une nouvelle peau, qui s’arrime par tous ses pores au corps tout entier. Il faut « former des cadres », souligne Benda. [...]"

    Michel Janva

  • « Nous sommes en train de vivre une mosaïque d’effondrements » : la fin annoncée de la civilisation industrielle

    Sur les neuf frontières vitales au fonctionnement du « système Terre », au moins quatre ont déjà été transgressées par nos sociétés industrielles, avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité ou le rythme insoutenable de la déforestation. Transgresser ces frontières, c’est prendre le risque que notre environnement et nos sociétés réagissent « de manière abrupte et imprévisible », préviennent Pablo Servigne et Raphaël Stevens, dans leur livre « Comment tout peut s’effondrer ». Rappelant l’ensemble des données et des alertes scientifiques toujours plus alarmantes, les deux auteurs appellent à sortir du déni. « Être catastrophiste, ce n’est ni être pessimiste, ni optimiste, c’est être lucide ». Entretien. 
    Basta ! : Un livre sur l’effondrement, ce n’est pas un peu trop catastrophiste ? 
    Pablo Servigne et Raphaël Stevens : La naissance du livre est l’aboutissement de quatre années de recherche. Nous avons fusionné des centaines d’articles et d’ouvrages scientifiques : des livres sur les crises financières, sur l’écocide, des ouvrages d’archéologie sur la fin des civilisations antiques, des rapports sur le climat… Tout en étant le plus rigoureux possible. Mais nous ressentions une forme de frustration : quand un livre aborde le pic pétrolier (le déclin progressif des réserves de pétrole puis de gaz), il n’évoque pas la biodiversité ; quand un ouvrage traite de l’extinction des espèces, il ne parle pas de la fragilité du système financier… Il manquait une approche interdisciplinaire. C’est l’objectif du livre. 
    Au fil des mois, nous avons été traversés par de grandes émotions, ce que les anglo-saxons appellent le « Oh my god point » (« Oh la vache ! » ou « Oh mon dieu ! »). On reçoit une information tellement énorme que c’en est bouleversant. Nous avons passé plusieurs « Oh my god points », comme découvrir que notre nourriture dépend entièrement du pétrole, que les conséquences d’un réchauffement au-delà des 2°C sont terrifiantes, que les systèmes hautement complexes, comme le climat ou l’économie, réagissent de manière abrupte et imprévisible lorsque des seuils sont dépassés. Si bien que, à force de lire toutes ces données, nous sommes devenus catastrophistes. Pas dans le sens où l’on se dit que tout est foutu, où l’on sombre dans un pessimisme irrévocable. Plutôt dans le sens où l’on accepte que des catastrophes puissent survenir : elles se profilent, nous devons les regarder avec courage, les yeux grand ouverts. Être catastrophiste, ce n’est ni être pessimiste, ni optimiste, c’est être lucide. 
    Pic pétrolier, extinction des espèces, réchauffement climatique… Quelles sont les frontières de notre civilisation « thermo-industrielle » ? 
    Nous avons distingué les frontières et les limites. Les limites sont physiques et ne peuvent pas être dépassées. Les frontières peuvent être franchies, à nos risques et périls. La métaphore de la voiture, que nous utilisons dans le livre, permet de bien les appréhender. Notre voiture, c’est la civilisation thermo-industrielle actuelle. Elle accélère de manière exponentielle, à l’infini, c’est la croissance. Or, elle est limitée par la taille de son réservoir d’essence : le pic pétrolier, celui des métaux et des ressources en général, le « pic de tout » (Peak Everything) pour reprendre l’expression du journaliste états-unien Richard Heinberg. A un moment, il n’y a plus suffisamment d’énergies pour continuer. Et ce moment, c’est aujourd’hui. On roule sur la réserve. On ne peut pas aller au-delà. 
    Ensuite, il y a les frontières. La voiture roule dans un monde réel qui dépend du climat, de la biodiversité, des écosystèmes, des grands cycles géochimiques. Ce système terre comporte la particularité d’être un système complexe. Les systèmes complexes réagissent de manière imprévisible si certains seuils sont franchis.Neuf frontières vitales à la planète ont été identifiées : le climat, la biodiversité, l’affectation des terres, l’acidification des océans, la consommation d’eau douce, la pollution chimique, l’ozone stratosphérique, le cycle de l’azote et du phosphore et la charge en aérosols de l’atmosphère. 
    Sur ces neuf seuils, quatre ont déjà été dépassés, avec le réchauffement climatique, le déclin de la biodiversité, la déforestation et les perturbations du cycle de l’azote et du phosphore. L’Europe a par exemple perdu la moitié de ses populations d’oiseaux en trente ans. La biodiversité marine est en train de s’effondrer et les premières « dead zones » (zones mortes) apparaissent en mer. Ce sont des zones où il n’y a carrément plus de vie, plus assez d’interactions du fait de très fortes pollutions (voir ici). Sur terre, le rythme de la déforestation demeure insoutenable. Or, quand nous franchissons une frontière, nous augmentons le risque de franchissement des autres seuils. Pour revenir à notre métaphore de la voiture, cela correspond à une sortie de route : nous avons transgressé les frontières. Non seulement nous continuons d’accélérer, mais en plus nous avons quitté l’asphalte pour une piste chaotique, dans le brouillard. Nous risquons le crash. 
    Quels sont les obstacles à la prise de conscience ? 
    Il y a d’abord le déni, individuel et collectif. Dans la population, il y a ceux qui ne savent pas : ceux qui ne peuvent pas savoir par absence d’accès à l’information et ceux qui ne veulent rien savoir. Il y a ceux qui savent, et ils sont nombreux, mais qui n’y croient pas. Comme la plupart des décideurs qui connaissent les données et les rapports du GIEC, mais n’y croient pas vraiment. Enfin, il y a ceux qui savent et qui croient. Parmi eux, on constate un éventail de réactions : ceux qui disent « à quoi bon », ceux qui pensent que « tout va péter »… 
    L’alerte sur les limites de la croissance a pourtant été lancée il y a plus de 40 ans, avec le rapport du physicien américain Dennis Meadows pour le Club de Rome (1972). Comment expliquer cet aveuglement durable des « décideurs » ? 
    Quand un fait se produit et contredit notre représentation du monde, nous préférons déformer ces faits pour les faire entrer dans nos mythes plutôt que de les changer. Notre société repose sur les mythes de la compétition, du progrès, de la croissance infinie. Cela a fondé notre culture occidentale et libérale. Dès qu’un fait ne correspond pas à ce futur, on préfère le déformer ou carrément le nier, comme le font les climatosceptiques ou les lobbies qui sèment le doute en contredisant les arguments scientifiques. 
    Ensuite, la structure de nos connexions neuronales ne nous permet pas d’envisager facilement des évènements de si grande ampleur. Trois millions d’années d’évolution nous ont forgé une puissance cognitive qui nous empêche d’appréhender une catastrophe qui se déroule sur le long terme. C’est l’image de l’araignée : la vue d’une mygale dans un bocal provoque davantage d’adrénaline que la lecture d’un rapport du GIEC ! Alors que la mygale enfermée est inoffensive et que le réchauffement climatique causera potentiellement des millions de morts. Notre cerveau n’est pas adapté à faire face à un problème gigantesque posé sur le temps long. D’autant que le problème est complexe : notre société va droit dans le mur, entend-on. Ce n’est pas un mur. Ce n’est qu’après avoir dépassé un seuil – en matière de réchauffement, de pollution, de chute de la biodiversité – que l’on s’aperçoit que nous l’avons franchi. 
    Ne pouvons-nous pas freiner et reprendre le contrôle de la voiture, de notre civilisation ? 
    Notre volant est bloqué. C’est le verrouillage socio-technique : quand une invention technique apparaît – le pétrole et ses dérivés par exemple –, elle envahit la société, la verrouille économiquement, culturellement et juridiquement, et empêche d’autres innovations plus performantes d’émerger. Notre société reste bloquée sur des choix technologiques de plus en plus inefficaces. Et nous appuyons à fond sur l’accélérateur car on ne peut se permettre d’abandonner la croissance, sauf à prendre le risque d’un effondrement économique et social. L’habitacle de notre voiture est aussi de plus en plus fragile, à cause de l’interconnexion toujours plus grande des chaînes d’approvisionnement, de la finance, des infrastructures de transport ou de communication, comme Internet. Un nouveau type de risque est apparu, le risque systémique global. Un effondrement global qui ne sera pas seulement un simple accident de la route. Quelle que soit la manière dont on aborde le problème, nous sommes coincés. 
    Les manières dont l’effondrement pourraient se produire et ce qui restera de la civilisation post-industrielle est abondamment représentée au cinéma – de Interstellar à Mad Max en passant par Elysium – ou dans des séries comme Walking Dead. Cet imaginaire est-il en décalage avec votre vision du « jour d’après » ? 
    Parler d’effondrement, c’est prendre le risque que notre interlocuteur s’imagine immédiatement Mel Gibson avec un fusil à canon scié dans le désert. Parce qu’il n’y a que ce type d’images qui nous vient. Nos intuitions ne mènent cependant pas à un monde version Mad Max, mais à des images ou des récits que nous ne retrouvons que trop rarement dans les romans ou le cinéma. Ecotopia, par exemple, est un excellent roman utopiste d’Ernest Callenbach. Publié aux États-Unis en 1975, il a beaucoup inspiré le mouvement écologiste anglo-saxon, mais n’est malheureusement pas traduit en français. Nous ne pensons pas non plus que ce sera un avenir à la Star Trek : nous n’avons plus suffisamment d’énergies pour voyager vers d’autres planètes et coloniser l’univers. Il est trop tard. 
    Il y a une lacune dans notre imaginaire du « jour d’après ». L’URSS s’est effondrée économiquement. La situation de la Russie d’aujourd’hui n’est pas terrible, mais ce n’est pas Mad Max. A Cuba, le recours à l’agroécologie a permis de limiter les dégâts. Mad Max a cette spécificité d’aborder un effondrement à travers le rôle de l’énergie, et de considérer qu’il restera encore assez de pétrole disponible pour se faire la guerre les uns contre les autres. Les scientifiques s’attendent bien à des évènements catastrophistes de ce type. Dans la littérature scientifique, l’apparition de famines, d’épidémies et de guerres est abordée, notamment à travers la question climatique. L’émigration en masse est déjà là. Il ne s’agit pas d’avoir une vision naïve de l’avenir, nous devons rester réalistes, mais il y a d’autres scénarios possibles. A nous de changer notre imaginaire. 
    Existe-t-il, comme pour les séismes, une échelle de Richter de l’effondrement ? 
    Nous nous sommes intéressés à ce que nous apprennent l’archéologie et l’histoire des civilisations anciennes. Des effondrements se sont produits par le passé, avec l’Empire maya, l’Empire romain ou la Russie soviétique. Ils sont de différentes natures et de degrés divers. L’échelle réalisée par un ingénieur russo-américain, Dmitry Orlov, définit cinq stades de l’effondrement : l’effondrement financier – on a eu un léger aperçu de ce que cela pourrait provoquer en 2008 –,l’effondrement économique, politique, social et culturel, auxquels on peut ajouter un sixième stade, l’effondrement écologique, qui empêchera une civilisation de redémarrer. L’URSS s’est, par exemple, arrêtée au stade 3 : un effondrement politique qui ne les a pas empêchés de remonter la pente. Les Mayas et les Romains sont allés plus loin, jusqu’à un effondrement social. Cela a évolué vers l’émergence de nouvelles civilisations, telle l’entrée de l’Europe dans le Moyen Âge. 
    Quels sont les signes qu’un pays ou une civilisation est menacé d’effondrement ? 
    Il y a une constante historique : les indicateurs clairs de l’effondrement se manifestent en premier lieu dans la finance. Une civilisation passe systématiquement par une phase de croissance, puis une longue phase de stagnation avant le déclin. Cette phase de stagnation se manifeste par des périodes de stagflation et de déflation. Mêmes les Romains ont dévalué leur monnaie : leurs pièces contenaient beaucoup moins d’argent métal au fil du temps. Selon Dmitry Orlov, nous ne pouvons plus, aujourd’hui, éviter un effondrement politique, de stade 3. Prenez le sud de l’Europe : l’effondrement financier qui a commencé est en train de muter en effondrement économique, et peu à peu en perte de légitimité politique. La Grèce est en train d’atteindre ce stade. 
    Autre exemple : la Syrie s’est effondrée au-delà de l’effondrement politique. Elle entame à notre avis un effondrement social de stade 4, avec des guerres et des morts en masse. Dans ce cas, on se rapproche de Mad Max. Quand on regarde aujourd’hui une image satellite nocturne de la Syrie, l’intensité lumineuse a diminué de 80% comparé à il y a quatre ans. Les causes de l’effondrement syrien sont bien évidemment multiples, à la fois géopolitiques, religieuses, économiques… En amont il y a aussi la crise climatique. Avant le conflit, des années successives de sécheresse ont provoqué des mauvaises récoltes et le déplacement d’un million de personnes, qui se sont ajoutées aux réfugiés irakiens, et ont renforcé l’instabilité. 
    Même simplifiée, cette classification des stades nous permet de comprendre que ce que nous sommes en train de vivre n’est pas un événement homogène et brutal. Ce n’est pas l’apocalypse. C’est une mosaïque d’effondrements, plus ou moins profonds selon les systèmes politiques, les régions, les saisons, les années. Ce qui est injuste, c’est que les pays qui ont le moins contribué au réchauffement climatique, les plus pauvres, sont déjà en voie d’effondrement, notamment à cause de la désertification. Paradoxalement, les pays des zones tempérées, qui ont le plus contribué à la pollution, s’en sortiront peut-être mieux. 
    Cela nous amène à la question des inégalités. « Les inégalités dans les pays de l’OCDE n’ont jamais été aussi élevées depuis que nous les mesurons », a déclaré, le 21 mai à Paris, le secrétaire général de l’OCDE. Quel rôle jouent les inégalités dans l’effondrement ? 
    Les inégalités sont un facteur d’effondrement. Nous abordons la question avec un modèle nommé « Handy », financé par la Nasa. Il décrit les différentes interactions entre une société et son environnement. Ce modèle montre que lorsque les sociétés sont inégalitaires, elles s’effondrent plus vite et de manière plus certaine que les sociétés égalitaires. La consommation ostentatoire tend à augmenter quand les inégalités économiques sont fortes, comme le démontrent les travaux du sociologue Thorstein Veblen. Cela entraîne la société dans une spirale consommatrice qui, au final, provoque l’effondrement par épuisement des ressources. Le modèle montre également que les classes riches peuvent détruire la classe des travailleurs – le potentiel humain –, en les exploitant de plus en plus. Cela fait étrangement écho aux politiques d’austérité mises en place actuellement, qui diminuent la capacité des plus pauvres à survivre. Avec l’accumulation de richesses, la caste des élites ne subit l’effondrement qu’après les plus pauvres, ce qui les rend aveugles et les maintient dans le déni. Deux épidémiologistes britanniques, Richard Wilkinson et Kate Pickett, montrent aussi que le niveau des inégalités a des conséquences très toxiques sur la santé des individus. 
    Le mouvement de la transition, très branché sur les alternatives écologiques, s’attaque-t-il suffisamment aux inégalités ? 
    Le mouvement de la transition touche davantage les classes aisées, les milieux éduqués et bien informés. Les classes précaires sont moins actives dans ce mouvement, c’est un fait. Dans le mouvement de la transition, tel qu’il se manifeste en France avec Alternatiba ou les objecteurs de croissance, la question sociale est présente, mais n’est pas abordée frontalement. Ce n’est pas un étendard. La posture du mouvement de la transition, c’est d’être inclusif : nous sommes tous dans le même bateau, nous sommes tous concernés. C’est vrai que cela peut gêner les militants politisés qui ont l’habitude des luttes sociales. Mais cela permet aussi à beaucoup de gens qui sont désabusés ou peu politisés de se mettre en mouvement, d’agir et de ne plus se sentir impuissant. 
    Le mouvement de la transition est venu du Royaume-Uni où, historiquement, le recours à l’État providence est moins fort. « N’attendons pas les gouvernements, passons à l’action », est leur leitmotiv. Il s’agit de retrouver des leviers d’action là où une puissance d’agir peut s’exercer, sans les politiques ni l’État : une rue, un quartier, un village. Le rôle des animateurs du mouvement est de mettre chacun, individu ou collectif, en relation. 
    Le mouvement de la transition semble être configuré par les espaces où un citoyen peut encore exercer sa puissance d’agir : la sphère privée, sa manière de se loger ou de consommer, son quartier... Le monde du travail, où cette puissance d’agir est actuellement très limitée, voire empêchée, mais qui demeure le quotidien de millions de salariés, en est-il de fait exclu ? 
    Pas forcément. C’est ce qu’on appelle la « REconomy » : bâtir une économie qui soit compatible avec la biosphère, prête à fournir des services et fabriquer des produits indispensables à nos besoins quotidiens. Cela ne se fait pas seulement sur son temps libre. Ce sont les coopératives ou l’entrepreneuriat tournés vers une activité sans pétrole, évoluant avec un climat déstabilisé. Ce sont aussi les monnaies locales. Tout cela représente aujourd’hui des millions de personnes dans le monde. Ce n’est pas rien. 
    La transition, c’est l’histoire d’un grand débranchement. Ceux qui bossent dans et pour le système, qui est en voie d’effondrement, doivent savoir que cela va s’arrêter. On ne peut pas le dire autrement ! Il faut se débrancher, couper les fils progressivement, retrouver un peu d’autonomie et une puissance d’agir. Manger, s’habiller, se loger et se transporter sans le système industriel actuel, cela ne va pas se faire tout seul. La transition, c’est un retour au collectif pour retrouver un peu d’autonomie. Personnellement, nous ne savons pas comment survivre sans aller au supermarché ou utiliser une voiture. Nous ne l’apprendrons que dans un cadre collectif. Ceux qui demeureront trop dépendants vont connaître de grosses difficultés. 
    Ce n’est pas un peu brutal comme discours, surtout pour ceux qui n’ont pas forcément la capacité ou la marge de manœuvre d’anticiper l’effondrement ? 
    La tristesse, la colère, l’anxiété, l’impuissance, la honte, la culpabilité : nous avons successivement ressenti toutes ces émotions pendant nos recherches. Nous les voyons s’exprimer de manière plus ou moins forte au sein du public que nous côtoyons. C’est en accueillant ces émotions, et non en les refoulant, que nous pouvons faire le deuil du système industriel qui nous nourrit et aller de l’avant. Sans un constat lucide et catastrophiste d’un côté, et des pistes pour aller vers la transition de l’autre, on ne peut se mettre en mouvement. Si tu n’es que catastrophiste, tu ne fais rien. Si tu n’es que positif, tu ne peux pas te rendre compte du choc à venir, et donc entrer en transition. 
    Comment, dans ce contexte, faire en sorte que l’entraide et les dynamiques collectives prévalent ? 
    Le sentiment d’injustice face à l’effondrement peut être très toxique. En Grèce, qui est en train de s’effondrer financièrement, économiquement et politiquement, la population vit cela comme une énorme injustice et répond par la colère ou le ressentiment. C’est totalement légitime. La colère peut être dirigée, avec raison, contre les élites, comme l’a montré la victoire de Syriza. Mais elle risque aussi de prendre pour cible des boucs émissaires. On l’a vu avec le parti d’extrême droite Aube dorée qui s’en prend aux étrangers et aux immigrés. Traiter en amont la question des inégalités permettrait de désamorcer de futures catastrophes politiques. C’est pour cela que les syndicats et les acteurs des luttes sociales ont toute leur place dans le mouvement de la transition.

  • TVL : Hervé Juvin :"Nous sommes un continent vieux, riche, vide et menacé."

  • Exclusif — Interview de Serge Federbusch 3/3 : Charlie et l’esprit munichois face à l’islam

    Dernier volet de notre entretien avec Serge Federbusch. Cette fois-ci, c’est l’auteur de La Marche des lemmings, ouvrage consacré à la manipulation politico-médiatique des attentats de janvier, qui évoque avec nous cette question révélatrice de la complaisance vis-à-vis de l’islam.

    Petit détour par la politique politicienne. NKM, que vous appelez Nathalie Fiasco Morizet, se présente malgré sa campagne calamiteuse en leader de l’opposition municipale. Son arrogance, sa méconnaissance flagrante des dossiers et la désaffection de ses partisans la rendent pourtant bien peu crédible.

    NOVOpress : De l’extérieur l’opposition municipale semble inaudible : qu’en est-il réellement et pourquoi une telle absence de mobilisation politique sur des projets controversés comme le financement d’associations communautaristes ou la carte citoyenne ouvrant tous droits aux immigrants sur Paris ?

    Serge Federbusch : La droite ne croit plus à ses chances de reconquérir Paris. Elle l’a donc laissé à cette incompétente et mégalo notoire. Mais le jour où elle dévissera au niveau national, les quelques ambitieux qui souffrent dans son sillage la dévoreront toute crue !

    Cette soi-disant opposition a justement été totalement transparente lors de la mise en scène des hommages « je suis Charlie » organisés par la Mairie de Paris dès le surlendemain des attentats. Pourtant comme vous le décrivez très bien dans votre dernier livre « la marche des Lemmings » la récupération était évidente. Il fallait éviter tout doute et toute réflexion sur l’attitude du pouvoir avant et pendant ces massacres et surtout toute désignation de coupable.

    NOVOpress :: Est-ce comme pour le PS une volonté de chercher les voix du vote musulman au prix d’une lâcheté politique totale ?

    Serge Federbusch : Le clientélisme est évident comme cause explicative de l’indulgence coupable dont l’islam régressif jouit en France.

    On a l’impression d’une certaine connivence entre la droite et la gauche sur le sujet : Soutien total au communautarisme musulman (fête du ramadan à la mairie de paris, aides aux associations communautaristes, constructions de lieux de culte), gratuité et aides innombrables aux populations immigrées (transport, soins, carte de citoyen de paris ouvrant tous les droits), cités de dealers (quartier Riquet/Stalingrad, 18 371 hab. 21,5 % de chômeurs, 33,6 % d’immigrés)*, déni de toute violence immigrée (plainte contre Fox News sur les zones de non-droit à Paris).

    NOVOpress : Paris n’est-il pas en train de devenir une extension de la Seine Saint-Denis ?

    Serge Federbusch : La dualisation de Paris, entre Ouest surtaxé et Est clientélisé s’accroît et le PS dorlote naturellement les électeurs d’origine immigrée.

    Serge-Federbusch-la-marche-des-lemmings

    Serge Federbusch
    La marche des lemmings, Ixelles éditions

    Et après ce que vous appelez « le carnaval des importants » du 11 janvier pour la liberté d’expression et le vivre ensemble, la tête du cortège Anne Hidalgo s’enfonçait encore plus dans le cynisme et le déshonneur quelque jours plus tard en déclarant lors d’une interview à Direct Matin qu’il fallait « éviter tous les amalgames et garantir la sécurité totale des musulmans à Paris », en désignant les tueurs de Charlie comme d’anonymes « terroristes sans foi ni loi », puis portaient plainte pour diffamation contre le journal FoxNews qui dénonçait des zones de non-droit à Paris et enfin contre le dessinateur Ri7, à cause d’un dessin publié dans Riposte Laïque où on la voyait léchant des babouches d’un imam.

    NOVOpress : La théâtralisation du 11 janvier ne serait-elle pas plutôt le « carnaval des tartuffes » ?

    Serge Federbusch : C’était surtout le moment d’un double dérivatif : occulter la faillite des services de police et de renseignement et occulter la complaisance vis-à-vis de l’islam en cours de repli communautaire.

    En fait le fameux « esprit du 11 Janvier » ne fait-il pas plutôt penser à un « esprit de Vichy », où comme vous l’expliquez dans votre livre à défaut de nommer les bourreaux la foule des manifestants — victimes potentielles – s’est identifiée aux victimes symboliques : « véritable sublimation victimaire, c’est tout le groupe qui prendra la place des victimes sacrifiées de Charlie afin de ne pas parler des coupables. »
    Et comme pour Vichy, notre République s’est suicidée face à l’invasion extra Européenne, on se rassure en exaltant un esprit de sacrifice, une culpabilité collective, on trouve le soulagement dans le déni de masse, Hollande fait don de son corps à la France en marchant fièrement face à un ennemi invisible.
    Les pacifistes du « vivre ensemble » deviennent les collaborateurs du « pas d’amalgame » et le « Travail Famille Patrie » d’antan se déclame en « Diversité/antiracisme/repentance », les modernes milices antiracistes traquent au nom de ce nouvel ordre moral les déviants comme Zemmour, Onfray ou vous-même.

    NOVOpress : N’avez-vous pas l’impression d’être dans l’avant-garde de la résistance face à la capitulation des politiques dans la guerre de civilisation qui est en cours, la dernière phrase de votre livre prédisant que « tôt ou tard les lemmings vont devoir apprendre à lutter ? »

    Serge Federbusch :: C’est une sorte de nouvel esprit munichois qu’on voit se développer. À chaque moment de l’Histoire, le fascisme, la collaboration et la résistance changent de visage. C’est toute la difficulté pour l’Homme libre de savoir reconnaître ses nouveaux ennemis qui souvent prennent l’apparence d’anciens amis.

    http://fr.novopress.info/189378/exclusif-interview-serge-federbusch-33-lesprit-munichois-face-lislam/

  • Quand Marine Le Pen subit les accusations pavloviennes de Jean-Marie Le Guen

    Excédée à juste titre d’être systématiquement interrompue par les éructations de son agresseur, elle n’a pu résister à la tentation, lui adressant cette saillie : « Vous êtes un malotru, Monsieur ! »

    Ce dimanche 15 juin 2015, Marine Le Pen était l’invitée de l’émission « BFM Politique ».

    « Jusqu’ici, tout va bien ! » comme disait Steve McQueen dans Les Sept Mercenaires à propos d’autre chose ! Jusqu’ici seulement, car pour porter la contradiction, Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État chargé des Relations avec le Parlement, s’était porté volontaire.

    Avant cela, Marine Le Pen avait pu développer ses idées plus sereinement, notamment sur la question des migrants ou des mesures économiques à mettre en place à destination des petites et moyennes entreprises. Mais à partir de l’arrivée de cet énervé sur le plateau, un florilège de poncifs d’appellation socialiste contrôlée s’est déversé sur le parti « d’extrême droite » qui inquiète tant les états-majors des formations « républicaines » – restant encore à démontrer, au passage, le républicanisme de ceux-là qui accueillent volontiers une armée d’invasion sur notre sol.

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