Sur la Syrie, de récentes déclarations de François Hollande viennent rappeler crûment que la France n'a plus les moyens de ses ambitions."Nous étions en capacité de frapper la Syrie. Peu de pays peuvent avoir cette souveraineté, cette liberté, cette capacité." Cette déclaration de François Hollande sur la Syrie, passée presque inaperçue lors de sa conférence de presse du 14 janvier, est pourtant surprenante à plus d'un titre. D'abord parce qu'elle révèle l'amertume et la déception qu'éprouve encore le président français cinq mois après un épisode militaro-diplomatique dans lequel Paris a été carrément lâché par les États-Unis, quelques heures seulement avant une opération militaire soigneusement préparée.
géopolitique - Page 763
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Syrie : les fanfaronnades du président Hollande
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L'Eurasisme - La quatrième théorie politique
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Au Moyen-Orient, la terrible défaite de l'Occident
Dominique Moïsi professeur au King'sCollege de Londres, est conseiller spécial à l'Ifri(Institut français des relations internationales).
Bachar Al Assad est toujours au pouvoir en Syrie. Et Al Qaida reste puissante en Irak. Deux symboles de l'échec cuisant de l'Occident, incapable de bâtir une stratégie commune. Premier responsable, les Etats-Unis.
Bachar Al Assad est toujours au pouvoir à Damas et le drapeau noir d'Al Qaida flotte sur les villes de Fallouja et Ramadi en Irak. Au-delà du fait que le processus de fragmentation en Syrie a désormais gagné l'Irak, il existe une cause commune entre ces deux réalités que l'on pourrait résumer d'une simple formule : l'échec de l'Occident. La prise, même temporaire, des villes de Fallouja et de Ramadi par des milices sunnites se réclamant d'Al Qaida est un symbole fort et humiliant même de l'échec de la politique menée par l'Amérique en Irak. Un peu plus de dix années après le renversement du régime de Saddam Hussein et après des centaines de milliers de morts du côté irakien et plus de 5.000 du côté américain, on ne peut arriver qu'à une bien triste conclusion : tout cela pour ça ! En Syrie, c'est le même constat d'échec qui s'impose. Bachar Al Assad et ses alliés et soutiens fidèles que sont la Russie et l'Iran sortent renforcés de leur confrontation avec l'Occident. Massacres de civils y compris par le biais des armes chimiques n'y ont rien fait. Le régime tient bon - même s'il ne contrôle plus des parties importantes de son territoire - fort du soutien de ses alliés et, plus encore, de la faiblesse de ses opposants et de ceux qui les soutiennent.
En réalité, du Moyen-Orient à l'Afrique, c'est toute la question de l'intervention extérieure qui se voit ainsi reposée dans un univers largement post-américain. Quand et comment intervenir à bon escient ? Quand à l'inverse, la non-intervention, devient-elle, « plus qu'un crime, une faute », pour reprendre la célèbre formule de Talleyrand au lendemain de l'assassinat du duc d'Enghien en 1804 ?
Quand faut-il intervenir ? L'urgence humanitaire est un concept d'une grande flexibilité. Le sort des civils syriens est-il moins tragique que celui des Libyens ? Pourquoi en 1992 intervenir en Somalie et non pas au Soudan alors que les souffrances des Soudanais sont au moins égales, sinon supérieures, à celles des Somaliens ? La décision d'intervention traduit pour partie des émotions sélectives, qui peuvent elles-mêmes correspondre à des sensibilités ou plus prosaïquement à des intérêts bien compris. L'intervention est d'autant plus probable qu'elle suit la réussite d'une première action ou, à l'inverse, si elle succède à une décision d'abstention qui a laissé derrière elle un mélange de massacres et de remords. La tragédie de l'Afrique des Grands Lacs en 1994 - sans parler du massacre de Srebrenica en Bosnie en 1995 - a certainement contribué à la décision occidentale d'intervenir au Kosovo en 1999. En réalité, l'intervention par un pays donné, à un moment donné, suppose la rencontre entre de multiples facteurs : l'existence d'une culture interventionniste, un sentiment d'urgence, un minimum d'empathie avec le pays ou la cause qui justifient l'intervention, enfin, bien sûr, l'existence de moyens perçus, à tort ou à raison, comme suffisants et adaptés.
Au-delà de la question du « quand », se pose celle du « comment », les deux étant de fait souvent indissolublement liées. Intervenir seul présente de nombreux avantages : rapidité d'exécution, et donc souvent efficacité de mise en oeuvre. L'armée française n'était pas mécontente de se retrouver seule au Mali. A l'inverse, si elle ralentit le calendrier des opérations, la constitution de coalitions fournit un supplément de légitimité à l'intervention et un partage des coûts et des risques entre les différents acteurs. Il est probable que la France, qui, sur la lancée du Mali, s'est engagée en Centrafrique dans un conflit encore plus incertain, souhaiterait s'y trouver moins seule, tant pour des raisons de coûts et de moyens que pour des raisons politiques. On ne souhaite pas partager un succès, on veut par contre ne pas se retrouver seul dans une impasse éventuelle.
En réalité, l'échec de l'Amérique, en Irak tout comme en Syrie, est celui de l'Occident dans son ensemble, même si la part de responsabilité de Washington est incontestablement plus grande.
L'échec est généralement le produit de la rencontre entre trois facteurs principaux qui sont presque toujours les mêmes : l'arrogance, l'ignorance et l'indifférence. L'arrogance conduit à surestimer ses capacités et à sous-estimer les capacités de résistance de son adversaire. Il est tellement facile de gagner la guerre et de perdre la paix. La « démocratie à Bagdad allait conduire à la paix à Jérusalem ». Le slogan de certains néoconservateurs américains a viré à la catastrophe en Irak. L'arrogance est toujours, pour partie au moins, le produit de l'ignorance. Que sait-on des cultures et de l'histoire des populations que l'on veut sauver du chaos ou de ses dictateurs ? Les officiers coloniaux qui, hier, traçaient des lignes dans le sable pour créer les frontières de nouveaux empires ou de nouveaux Etats faisaient fi des complexités tribales et religieuses locales. Aujourd'hui, c'est sans doute pis encore. C'est l'ignorance pure et simple qui l'emporte.
Enfin, il y a le péché d'indifférence. Certes, l'EIIL (l'Etat islamique en Irak et au Levant) inquiète légitimement Washington et conduit à un rapprochement entre les positions américaines et celles de Téhéran sur l'Irak. Mais le point de départ a été, en Syrie, la peur de l'Amérique de prendre ses responsabilités. Le résultat est clair. Une double défaite pour l'Occident stratégique et éthique. Washington a offert sur un plateau d'argent une victoire diplomatique éclatante à Moscou et permis le maintien au pouvoir de Bachar Al Assad.Source: http://www.lesechos.fr/
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Soft power russe : Relire d’abord Tchakhotine…
Rien n’est plus fluide, plus insaisissable et plus puissant que cette influence diffuse que l’on nomme Soft power. Sans bruit, sans démonstration de force, elle pénètre les esprits, vainc par la conviction, d’autant plus redoutable qu’elle joue sur les registres de l’empathie, du débat d’idées, de la culture...
Il est de bon ton, depuis un an, d’évoquer sans cesse en France et ailleurs le Soft power russe.
Bien entendu ce dernier est présenté en « Occident » comme la nouvelle stratégie du Kremlin pour imposer sa supposée politique de puissance sur la scène internationale, dans la lignée du « bourrage de crâne » pratiqué autrefois par l’URSS vis-à-vis des opinions publiques européennes. Suscitant critiques et méfiance, le Soft power russe n’en est pourtant qu’aux prémices de son déploiement. De ce constat nous pouvons tirer une leçon : La Russie doit concevoir sa stratégie d’influence avec beaucoup de doigté et de professionnalisme afin de ne pas prêter le flanc aux attaques des agents d’influence adverses.Il convient en premier lieu de définir quels seront les meilleurs agents de ce Soft power. Il est évident selon certains que le Soft power russe est déjà une réalité. Tant du point de vue culturel que scientifique, la Russie n’a plus à faire la preuve de son attractivité. Pourtant est-ce une forme efficace d’influence ? Il est permis d’en douter. Il suffit d’observer le cas français pour s’en convaincre. Le Français est une des langues les plus pratiquées au monde. La culture française, notre modèle de civilisation, de Voltaire à Chanel en passant par Versailles ou notre gastronomie constitue toujours un vrai potentiel de séduction et d’attractivité. Mais celui-ci s’adresse essentiellement aux élites étrangères, qui ont les moyens d’accéder à sa connaissance. Combien d’Américains du Middle West ou de Chinois du Shaanxi sont-ils capables de placer correctement la France sur une carte ou connaissent-ils Camus ? Bien peu. Il en va de même pour l’écrasante majorité de la population française et européenne vis-à-vis de Pouchkine, de Rachmaninov ou de Mendeleïev… Aux côtés de milliers d’amoureux de la culture russe, les masses ignorent tout de la Russie. Seule la culture américaine qui base son rayonnement sur le plaisir du plus grand nombre, les joies simples, le divertissement, est par essence populaire, voire populiste et conquiert les populations dans le monde entier.
Si la culture ne suffit pas, il faut lui adjoindre d’autres éléments civilisationnels et politiques afin de former un outil de Soft power efficient, efficience dont la pérennité nécessite un constant perfectionnement par l’agrégation de nouveaux arguments, de nouveaux idéaux...Nous connaissons ceux affichés par les Etats-Unis : Individualisme, liberté d’entreprendre, liberté de conscience, foi en l’avenir…le rêve américain. De quoi, sur le papier, séduire bien des esprits. Mais cela ne suffit pas nécessairement non plus. Le cas français le démontre une fois encore. Depuis deux siècles nous nous érigeons en champions des Droits de l’Homme et de certaines valeurs « universelles. » Or, indépendamment du fait qu’il n’a jamais pu être démontré, du point de vue du raisonnement philosophique, que de telles valeurs existent, force est de constater que les idéaux vantés par la France sont de plus en plus vécus dans le monde comme un néo-colonialisme moral. Il faut donc se méfier des valeurs qu’on met en avant. Celles-ci peuvent séduire comme provoquer un effet boomerang.
A cette aune la Russie, qui par la voix de Vladimir Poutine vient de se proclamer comme le défenseur des valeurs traditionnelles ou conservatrices, Dieu, la famille, la patrie…vise-t-elle juste ? Oui, dans la mesure où on assiste en Europe à une montée des partis aux discours identitaires, patriotiques, exaltant des idéaux identiques. Non, dans la mesure où elle va susciter le raidissement des « progressistes ». Immanquablement, l’offensive conservatrice de Moscou provoquera une contre-attaque virulente des médias « occidentaux » qui, pour la plupart, ne se reconnaissent nullement dans le modèle de société vanté par les autorités russes mais cultivent d’autres idéaux : Individualisme, matérialisme, hédonisme, insoumission aux autorités, quelle que soit leur nature. Promis au pilori le modèle russe, qu’on ne manquera pas de rapprocher du fameux « Orthodoxie, autocratie, génie national » d’Ouvarov, sera d’autant plus contesté qu’il est, aux yeux des leaders d’opinion « occidentaux » aussi contestable sur le fond qu’approximatif sur la forme.
Car il n’y a pas de secrets : Un Soft power efficace passe par une bonne communication. Or les autorités russes accusent de graves lacunes en la matière vis-à-vis de nos sociétés de l’image et des faux-semblants. On peut penser ce que l’on veut de Nadejda Tolokonnikova. On peut juger scandaleuse son action dans la cathédrale du Christ Sauveur. Mais il y a une chose qu’on ne saurait lui dénier : un incontestable talent en matière de communication vis-à-vis de sa vraie cible , les médias, notamment « occidentaux ». Sexy, souriante, « guerrière » au poing levé ou affichant sa moue boudeuse dans son Tee-Shirt « No pasaran », clin d’œil à tous les éléments de la gauche européenne, elle a tout compris des règles du marketing politique et de ce ton entre insolence et indignation qui fait les stars à Paris ou à Londres. C’est à ce type de talent, celui de cette « classe créative », de ces « fils de pub » maîtrisant parfaitement les codes de notre société post-moderne, vide de réflexion mais avide de slogans, que l’on doit confier « l’habillage » politique du Soft power conservateur. A défaut celui-ci ne sera pas « vendeur ». Il sera « ringard » et inaudible. Pour convaincre « l’Occident », il faut d’abord relire Tchakhotine.
Philippe Migault
Source: Ria Novosti
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L’Iran tricard à Genève 2 : les raisons d’un retournement
Du côté de l’ONU, grosse déception de son président, le Sud-Coréen Ban Ki-moon.
Hier, l’Iran devait participer au Genève 2, conférence internationale consacrée à la Syrie, à condition toutefois que Téhéran admette le départ de Bachar el-Assad comme préalable aux négociations. Aujourd’hui, rétropédalage dès potron minet, la capitale iranienne refusant de passer sous les fourches caudines en question.
De source sûre, on nous assure que la diplomatie iranienne n’a pas changé de position : « Quand on s’assoit à une table pour négocier, il ne saurait y avoir de préalable à toute forme de discussion. Tout le reste n’est qu’enfumage… » Du côté de l’ONU, grosse déception de son président, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, qui, ayant pesé de tout son poids dans la balance pour que l’Iran soit admis à la table des négociations, rappelle que sans Téhéran aucune issue n’est possible.
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{Après la polémique avec les Usa} ... Israël se chamaille avec l'UE sur la colonisation
Sources : Afp via L'express
Jérusalem - Israël a vertement répliqué vendredi aux condamnations européennes de la colonisation, s'engageant dans une rixe diplomatique avec son principal partenaire commercial, trois jours après celle qui a éclaté avec son allié stratégique américain.
Israël se chamaille avec l'UE sur la colonisation
Israël a vertement répliqué vendredi aux condamnations européennes de la colonisation, s'engageant dans une rixe diplomatique avec son principal partenaire commercial, trois jours après celle qui a éclaté avec son allié stratégique américain.
Les ambassadeurs britannique, français, italien et espagnol ont été convoqués au ministère des Affaires étrangères, au lendemain de la convocation d'ambassadeurs israéliens dans ces mêmes pays en réponse à l'annonce il y a une semaine de plans de quelque 1.800 nouveaux logements dans les colonies.
Le ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman "a ordonné la convocation des ambassadeurs britannique, français, italien et espagnol", a indiqué son porte-parole.
Ils se sont vu signifier que "leur position sans cesse partiale contre Israël et en faveur des Palestiniens était inacceptable" et mettait "en péril les possibilités de parvenir à un accord entre les deux camps", a précisé le porte-parole.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait déjà accusé l'Union européenne (UE) d"'hypocrisie" après la convocation de ses ambassadeurs "à cause de la construction de quelques maisons", lui reprochant de ne pas faire de même pour les "appels à la destruction d'Israël" de la part de personnalités palestiniennes.
"Ce deux poids-deux mesures n'aide pas à la paix, je pense que cela la repousse", a-t-il déclaré jeudi soir lors de ses voeux à la presse étrangère.
Cette passe d'armes avec l'UE se produit alors que la crise avec les Etats-Unis provoquée par la charge du ministre de la Défense Moshé Yaalon contre le secrétaire d'Etat John Kerry risque de laisser des traces, selon les commentateurs israéliens.
Le chef de la diplomatie américaine, "animé par une obsession incompréhensible et une sorte de messianisme, ne peut rien m'apprendre sur le conflit avec les Palestiniens", avait lancé M. Yaalon dans des conversations privées citées par le Yediot Aharonot, des propos dont il s'est excusé mardi soir après une journée d'altercation publique entre les deux pays.
Le plan Kerry 'se réduit comme peau de chagrin'
Selon le correspondant militaire du Yediot, l'administration américaine a identifié depuis longtemps le ministre de la Défense comme un des obstacles aux efforts de M. Kerry, qui a réussi à relancer les négociations de paix fin juillet pour une durée de neuf mois.
"Si la mission de Kerry échoue, les déclarations de Yaalon serviront de preuve au secrétaire d'Etat qu'Israël ne prenait pas au sérieux le processus de paix et l'a fait dérailler", écrit-il.
L'éditorialiste vedette du journal souligne de son côté que le document que le secrétaire d'Etat américain veut faire approuver par les dirigeants israéliens et palestiniens "se réduit comme peau de chagrin et la date en est repoussée de semaine en semaine".
Durant sa dernière navette au Proche-Orient, qui s'est achevée le 6 janvier, M. Kerry a présenté aux deux parties un projet d'"accord-cadre" traçant les grandes lignes d'un règlement définitif sur les frontières, la sécurité, le statut de Jérusalem et le sort des réfugiés palestiniens.
Par ailleurs, le comité Al-Qods (Jérusalem, en arabe), présidé par le roi du Maroc et rassemblant une quinzaine de pays musulmans, qui se réunit vendredi et samedi à Marrakech (sud du Maroc) en présence du président palestinien Mahmoud Abbas, adressera un "message fort" contre la colonisation, selon le ministre marocain des Affaires étrangères Salaheddine Mezouar.
Menahem Kahana
http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFApEulpFpzFYlRrjI.shtml -
Poutine pourrait riposter à l’attaque de l’Arabie saoudite à Volgograd
Les services de enseignement russes auraient obtenu des preuves solides impliquant directement l’Arabie saoudite dans le double attentat terroriste qui a frappé la ville de Volgograd.
Les attaques ont tué plus de 32 personnes et blessé plus de 100 autres. La plupart des victimes étaient des civils.
Selon une source officielle russe informelle, rapporté par l’agence Fars, le service fédéral de sécurité de Russie (FSB) a informé le président Vladimir Poutine du lien entre l’Arabie saoudite et le massacre de Volgograd.
Ce ne serait pas une surprise pour Poutine ; le dirigeant russe a été averti par le chef du renseignement saoudien, le prince Bandar Bin Sultan, lors d’une réunion privée houleuse de quatre heures en juillet dernier, que des terroristes wahhabites basés dans la région russe du Nord-Caucase cibleraient les jeux Olympiques d’hiver de Sotchi.
Volgograd est un carrefour reliant Moscou avec le territoire sud de la Russie et en particulier, la ville balnéaire de Sotchi au bord de la mer Noire, où les jeux Olympiques d’hiver doivent débuter à partir du 7 février.
Le double attentat dans le réseau de transport de Volgograd les 29 et 30 décembre sont manifestement une attaque contre le pays organisateur des jeux Olympiques.
L’attentat a causé la mort de plusieurs femmes et enfants, et dans la foulée le président Poutine est apparu livide sur les écrans, affirmant son dégoût envers ces attaques. Il a ainsi déclaré qu’il n’y avait aucune justification que ce soit, pour le meurtre de civils innocents et il a promis de « détruire les terroristes » derrière les attentats.
Cela soulève une question lourde : que va faire Poutine suite aux informations indiquant que les dirigeants saoudiens sont liés aux auteurs du crime de Volgograd ? Car celui-ci peut être interprété comme un acte de guerre.
Il existe des rapports non-confirmés que Poutine et ses officiers supérieurs du renseignement ont déjà élaboré des plans pour détruire systématiquement le soutien de l’Arabie saoudite au terrorisme sur le territoire russe.
L’attaque de Volgograd est la dernière d’une longue série d’actes terroristes liés aux extrémistes du Nord-Caucase, parrainé par les saoudiens. En octobre, un autre attentat suicide sur un autobus bondé à Volgograd a fait six morts.
Le groupe que l’on croit être derrière ces attaques, connu sous le nom de califat du Caucase, est dirigé par Doko Oumarov. L’Arabie saoudite, qui est un important bailleur de fonds de celui-ci, épouse la même idéologie fondamentaliste que les Takfiris parrainés par le royaume et opérant en Syrie, au Liban, au Pakistan, au Yémen et en Irak.
Basé en Tchétchénie et au Daghestan, Oumarov a publiquement déclaré que « tous les moyens nécessaires seraient utilisés pour faire déraper » les jeux Olympiques de Sotchi.
Auparavant, le même réseau s’était rendu coupable d’attentats-suicides causant des dizaines de morts dans le métro de Moscou en 2010 et 2011.
Les extrémistes du Caucase sont connus pour bénéficier du soutien logistique des services secrets américains et saoudiens.
En effet, depuis le début des années 1990, après l’éclatement de l’Union soviétique, les Américains et les Saoudiens ont appliqué la tactique utilisée avec le réseau d’Al-Qaïda en Afghanistan, dans les territoires sud de la Russie, comme un moyen de déstabiliser Moscou. L’un des architectes de ce plan était l’ancien chef de la CIA William Casey. Ces opérations clandestines américaines et saoudiennes ont permis d’alimenter les deux guerres de Tchétchénie de 1994-1995 et 1999-2000.
Bien que Moscou ait depuis réussi à maîtriser la violence à grande échelle dans le califat du Caucase, il y demeure une puissante source de terrorisme et de sabotage, comme la dernière attaque à Volgograd l’atteste.
L’affirmation du chef de l’espionnage saoudien Bandar que les Jeux de Sotchi courraient un risque d’attaque par des groupes terroristes basés au Caucase n’était donc pas une vaine menace.
Rétrospectivement, ses mots apparaissent comme un aveu. Bandar se serait vanté auprès de Poutine : « Nous contrôlons les militants du Caucase. » Cela implique que l’Arabie saoudite peut dicter la conduite de ces groupes terroristes, et la place comme principal commanditaire d’une série de crimes que la Russie a subis depuis vingt ans, le dernier en date à Volgograd.
On ne sait pas quels éléments de preuve précis les renseignement russes ont récemment découvert qui mettent en évidence la participation de l’Arabie saoudite dans le massacre de Volgograd. Mais en plus des vantardises de Bandar, il existe des preuves importantes.
Un des kamikazes du double attentat de Volgograd a été identifié comme le ressortissant russe Pavel Pechyonkin. Il a voyagé en Syrie l’année dernière et a combattu dans les rangs des extrémistes soutenus par les Saoudiens qui tentent de renverser le gouvernement de Bachar el-Assad.
Beaucoup d’autres ressortissants russes ont également été recrutés par des commanditaires saoudiens afin d’obtenir un changement de régime par la guerre en Syrie. Peut-être est-ce en Syrie que le kamikaze de Volgograd a été recruté.
Si les Russes ont acquis des preuves tangibles de collusion entre l’Arabie et le terrorisme sur leur sol, cela constitue une base légale pour la Russie d’envisager des représailles en vertu du principe de légitime défense.
Dans une deuxième rencontre entre Bandar et Poutine, le président russe aurait déclaré au Saoudien en des termes explicites que son soutien au terrorisme était « une arme à double tranchant » qui se retournerait contre ceux qui l’exercent.
Depuis plusieurs années, l’Arabie saoudite a pris le chemin du terrorisme d’État afin de perturber ses voisins du Moyen-Orient. La Syrie, le Liban et l’Irak n’en sont que les dernières victimes. Les Saoudiens ont fait cela en toute impunité au service de l’impérialisme américain, tout comme l’Israël sioniste a également fonctionné comme un syndicat du crime impérial.
L’Arabie saoudite a peut-être manipulé une épée à double tranchant trop imprudemment. Elle a apparemment été prise en flagrant délit dans un attentat contre l’ours russe. Le prince Bandar, nous pouvons en être sûrs, devra procéder à partir de maintenant à plus de vérifications sous sa voiture...
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Le point de vue de « L’Esprit Européen » sur l’entretien d’Aymeric Chauprade par Jacques MARLAUD
Aymeric Chauprade, en géopolitologue averti, soupèse comme il se doit l’importance de la nouvelle Russie, celle du second mandat du Président Poutine, dans les affaires internationales. Si celle-ci n’est pas encore, loin s’en faut, au niveau de son grand rival états-unien, elle a récemment démontré, par sa constance militaro-diplomatique, qu’elle pouvait contester efficacement le monopole de la prise de décision à son grand rival états-unien. La Syrie ne sera pas une deuxième Libye, ni l’Iran un second Irak. Du moins tant que la Russie et ses alliés contrebalanceront l’Occident américanocentré au Conseil de sécurité de l’O.N.U., le poussant à rechercher des solutions négociées aux conflits majeurs du monde au lieu de les envenimer et de les écraser sous les bombes.
Cependant, cette nouvelle Russie, comme le reconnaît Chauprade, reste fragile et vulnérable. Non seulement sa situation économique, toujours trop dépendante de ses exportations de matières premières, notamment les hydrocarbures, et de ses ventes internationales d’armements, requerra bon nombre d’années encore, sans obstacles majeurs, pour hausser sensiblement le niveau de vie de la plus grande partie de sa population et redresser une évolution démographique toujours déficiente, malgré quelques faibles progrès, mais, comme l’a constaté notre géopolitologue lors du Forum de Valdaï cet automne, ses élites économiques et technocratiques restent ancrées dans un credo libéral qui les poussent à tenter de dépasser les États-Unis en rivalisant avec eux dans une course à la croissance indéfinie plutôt que de chercher à développer un modèle alternatif fondé sur une décroissance contrôlée et une démondialisation progressive combinées à l’essor et à la protection d’un marché intérieur tout à fait viable à l’échelle eurasienne… Dans ce sens on peut dire que l’imagination n’est pas encore assez au pouvoir en Russie, alors que le temps lui est compté : une persistance, voire une amplification probable de la crise actuelle, annulerait brutalement une partie de son actuelle croissance déjà affaiblie, générant d’incalculables conséquences sociales et politiques. La Russie se prépare-t-elle à y faire face ?
C’est le credo libéral qu’il faut attaquer concrètement, mais combien le savent-ils, combien le veulent-ils ? Des ébauches de réponses sont élaborées dans ce sens chez les penseurs traditionalistes de l’école eurasienne autour d’Alexandre Douguine. Chauprade les connaît-il ? Il n’en parle pas ici en tout cas.
La renaissance de la religion orthodoxe est sans conteste l’une des meilleures choses qui soit survenue à la Russie post-communiste. Comme le perçoit l’auteur, elle a contribué à redonner une âme et une colonne vertébrale à ce grand pays après la déréliction des années de transition. Néanmoins, elle n’apporte pas la réponse à tout, comme nous venons de le voir à propos du libéralisme triomphant dans la sphère économique. Elle n’a pas empêché non plus la corruption qui ronge encore bon nombre d’institutions et d’entreprises. La réponse à ces défis ne peut être que politique. La grande question reste donc : quelle politique, quel mode de gouvernement à long terme devrait être appliqué en Russie puis, éventuellement, inspirer le reste du monde ? La Russie n’est ni une nation, ni un État théocratique. Elle est un empire pluri-ethnique et pluri-confessionnel. Sa majorité russo-orthodoxe ne l’autorise pas à imposer une vision intégriste et assimilatrice (de type jacobin) qui éraserait les différences entre ses peuples si elle ne veut pas voir surgir de redoutables oppositions centrifuges en son sein. Jusqu’à présent, la nouvelle Russie respecte les différences, notamment grâce à l’autonomie politique et religieuse concédée à ses différentes communautés. Ainsi coexistent pacifiquement chrétiens, juifs, musulmans et athées, Tatars, Russes et Mongoles au sein de la Fédération. L’État y est réellement laïque, non par idéologie comme, souvent, en France où la laïcité, devenue elle-même une croyance, rime avec une attitude hostile envers certaines religions ou, en tout cas, envers leur manifestation publique.
On peut percevoir chez Aymeric Chauprade un biais très net en faveur du christianisme qui semble parfois tourner à l’obsession, lorsqu’il réduit les adeptes des traditions à la seule expression religieuse, et en particulier la chrétienne. Je cite : « C’est toujours une minorité qui est consciente, dans la société, et qui se bat et s’oppose. Elle va se battre, par exemple, pour la liberté de l’homme, ce qui, en fin de compte, veut dire la lutte pour le triomphe d’une vérité chrétienne. […] Et la minorité qui vit et travaille tous les jours avec ces questions se partage en deux groupes : le premier, ce sont ceux qui considèrent l’individualisme général comme la norme, et le deuxième, ce sont ceux qui trouvent indispensable de revenir aux racines chrétiennes. »
Comment peut-il lui échapper que nombre d’adversaires de l’individualisme et du libéralisme ne font pas d’équivalence entre « le combat pour la liberté de l’homme » et « la lutte pour le triomphe d’une vérité chrétienne », qu’ils ont peu ou pas d’affinités avec les « racines chrétiennes », que d’autres recours sont possibles ? Ne voit-il pas qu’on ne ramènera pas le christianisme, mort ou moribond, sur les rivages de l’Europe nihiliste, pas plus qu’on n’y ramènera les Grecs dans toute leur splendeur homérique ? Rien n’est indispensable aux tournants de l’Histoire sauf, peut-être, l’imagination qui permet de recourir aux legs encore vivants, encore compréhensibles et saisissables, non pas comme des orthodoxies, mais comme des sources d’inspiration, et aussi le courage qui nous les fera enseigner à nouveau, au-delà de l’actuelle Fatigue du sens (Richard Millet), aux peuples d’Europe, de culture slave, germanique ou latine, d’obédience chrétienne ou autre, ou d’aucune d’elles.
Certes, il reste ça et là certaines valeurs chrétiennes efficientes, notamment celles qui se sont exprimées lors des grandes manifestations de défense de la famille, et il serait « impolitique » de les ignorer ou de les rejeter. Mais de la même manière, il serait impolitique de rejeter tous ceux qui, dans le grand désarroi de notre interrègne, recourent à d’autres racines, d’autres valeurs, grecques par exemple avec Marcel Conche, impériales avec Peter Sloterdijk – qu’il ne faut pas confondre avec « impérialiste » – (Si l’Europe s’éveille : réflexions sur le programme d’une puissance mondiale à la fin de l’ère de son absence politique, Mille et une nuits, 2003) ou autres : l’immense sagesse de la Bhagavad Gita, par exemple, ou encore celle des études dumézilienne sur l’idéologie tripartie des Indo-Européens, etc. pour réinventer un horizon à la mesure de notre héritage poétique, polythéiste et philosophique.
Si l’on peut s’accorder avec le constat que les hommes s’affirment géopolitiquement, non seulement avec leur position géographique et avec les ressources que celle-ci contient, mais aussi avec leur identité religieuse, on peut trouver un peu courte la liste des choix proposés ici. Je cite : « À travers le verbe être, l’homme définit justement son identité, c’est-à-dire qu’il répond à la question : “ que suis-je en cette vie ? ” Cela concerne les questions de religion; “ je suis chrétien ”, “ je suis musulman ”, “ je suis juif ”. »
Or, ce questionnement de l’être concerne aussi les millions d’Européens qui ne sont ni l’un ni l’autre, de même que les millions de non-Européens qui sont venus s’installer, à notre corps défendant, sur notre vaste continent, je cite : « Ce que nous voulons, c’est que les étrangers s’assimilent, c’est-à-dire deviennent proprement des Français. Cela peut naturellement être lié à l’adoption du christianisme. »
L’assimilation ne se décrète pas. Elle s’effectue à petite échelle lorsque le contexte est favorable, plus facilement entre peuples apparentés et surtout lorsque les assimilateurs sont sûrs d’eux-mêmes. Elle échoue lorsque les disparités sont trop importantes et les impétrants trop nombreux. L’Histoire est pleine de rejets et de reconquistas, mais elle contient aussi quelques illustres métissages réussis, comme ceux qui ont donné naissance à Alexandre Dumas ou à Alexandre Pouchkine, de « bons Européens », s’il en est !
On ne peut que tomber d’accord avec Aymeric Chauprade, Alain de Benoist, Jean Raspail, Richard Millet et Renaud Camus que l’immigration massive est une catastrophe pour l’Europe, que la perspective d’un « grand remplacement » est inacceptable même à longue échéance, tout en divergeant sur la solution à y apporter. Christianisme et nationalisme de type jacobin s’accordent généralement sur une réponse qui combine le rejet absolu (de la masse des arrivants) et l’assimilation totale (de tous ceux qui sont passés et passeront à travers le filtre). Ils ne peuvent admettre de tierce voie qui, outre une politique dynamique d’inversion des flux migratoires, reconnaîtrait les communautarismes existants — pourquoi pas celui des musulmans, puisque nous reconnaissons celui des juifs et des chrétiens — au sein d’une fédération qui veillerait toujours au respect des valeurs collectives, souveraines et sacrées de l’Europe, bien au-delà des misérables « droits de l’homme », et au-dessus de tous les sectarismes, comme référent suprême de notre politeia.
Dans le même ordre d’idées, on peut douter que le Front national, resté essentiellement une affaire de famille, à moins d’un changement radical de son attitude paternaliste, jacobine, anti-européenne, pro-sioniste, etc., devienne le premier parti de France, même si ses adversaires U.M.P.S. font, bon gré mal gré, tout pour y contribuer (voir à ce sujet l’excellente analyse d’Anne Kling, F.N… tout ça pour ça ! Éditions Mithra, 2012). On peut aussi penser, d’un point de vue sincèrement européen, que ce ne serait peut-être pas la meilleure solution pour notre continent — ne serait-ce que parce qu’elle nous empêche d’envisager les alternatives — même si ce parti et ses homologues populistes semblent prendre en compte bien des préoccupations du petit peuple négligées par la classe « bobo » qui nous gouverne…
Que ces interrogations critiques n’empêchent pas, toutefois, de reconnaître le bien fondé de la position grand-européenne d’Aymeric Chauprade et la justesse de son plaidoyer pour un rapprochement sincère et stratégique avec la Russie, seule posture susceptible de détacher notre « petit cap » du Grand Continent (Valéry) de l’emprise du Big Brother atlantiste qui espionne nos communications, colonise nos esprits, en plus de notre économie, et nous enrégimente dans ses désastreuses guerres de conquête coloniale.
Jacques Marlaud http://www.europemaxima.com/
• D’abord mis en ligne sur L’Esprit européen, le 15 décembre 2013.
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« On ne va pas aller mourir pour du pétrole » (entretien avec Aymeric Chauprade)
Aymeric Chauprade, docteur en sciences politiques, savant de renommée internationale, l’un des spécialistes de pointe de la géopolitique en France, assigne à la Russie un rôle de première importance dans la mise en place du monde moderne. En quoi la croissance de l’influence russe est-elle liée à la renaissance de l’Orthodoxie ? Comment notre pays peut-il aider les chrétiens persécutés du Moyen-Orient ? Comment son rôle particulier est-il lié aux protestations récentes de millions de Français contre le mariage homosexuel ?
C’est là le sujet de notre discussion avec Aymeric Chauprade.
La foi et l’argent
Thomas : qu’est-ce qui attire particulièrement votre attention dans la Russie d’aujourd’hui ?
Aymeric Chauprade : Je comprends pourquoi, pour les Français de ma génération ou même plus jeunes, la Russie est si attirante aujourd’hui, et pourquoi les gens apprennent le russe et déménagent ici pour y fonder leur propre affaire. Ce n’est pas une sorte de phénomène marginal, le flot de ces gens est de plus en plus significatif. Ils ne sont pas, bien sûr, des dizaines de milliers, mais ils sont nombreux. Et ce phénomène est nouveau. Avant, les jeunes gens partaient aux U.S.A., brûlaient du « rêve américain ». Et maintenant, vient le remplacer le « rêve russe ». Et il est lié, à la différence du rêve américain, non aux aspects matériels et financiers, mais ce qui est plus important, à la recherche de soi, en tant qu’homme, à un retour aux sources chrétiennes. Pour la plupart des Européens, qui se réfèrent à leur culture chrétienne, la Russie incarne de plus en plus une sorte de contre modèle de l’Europe, en ce qui concerne les valeurs familiales et spirituelles.
Thomas : C’est étonnant, vous avez, pour un étranger, une idée si flatteuse des Russes…
A.C. : Bien sûr, les Russes participent à la société de consommation comme tous les autres dans le monde entier. Mais tout de même, ici, en Russie, on rencontre chez les gens quelque chose de profond, (peut-être la « mystérieuse âme russe » ?), la conviction que l’argent n’est pas dans la vie la valeur suprême. Et cela est vraiment attirant pour les jeunes Français, ceux du moins qui se trouvent en quête de plus profond que l’élargissement de leurs possibilités matérielles. C’est paradoxal, mais c’est un fait. Je vois d’un côté, en Russie, quelque chose de très proche de la culture américaine : le besoin d’amasser, le désir de déballer son niveau de réussite. Mais d’un autre côté, il y a là quelque chose qu’on ne trouve pas dans la culture américaine : si l’on fait connaissance avec un Russe d’une façon moins superficielle, on s’aperçoit que mise à part la soif de réussite, il y a en lui le désir de se trouver lui-même : « Qui suis-je et pourquoi est-ce que je vis » ? Et à mon avis, cela est directement lié en premier lieu au retour des Russes vers la religion, en partie à l’Orthodoxie. C’est une renaissance religieuse, le besoin de restaurer le lien du présent avec toute l’histoire russe. Je n’idéalise pas, cela plane dans l’air et se sent clairement. C’est seulement une réalité qu’on peut constater.
Thomas : Et que s’est-il donc passé pour que la Russie soit brusquement devenue attirante aux yeux des étrangers sur le plan des affaires ? Qu’est-ce qui a changé ?
A.C. : La façon de considérer la Russie a changé. Quand on disait « la Russie » dans les années 90, on comprenait la mafia. Et cela faisait peur de venir travailler ici et y investir de l’argent, on pouvait tout perdre d’un coup. Mais de telles associations n’existent plus. Les gens ont senti que sur le plan économique, ici, c’était maintenant sans danger. Il existe une différence colossale entre le tableau que tracent de la Russie les médias pro-américains et ce que connaissent de la Russie les analystes économiques. Les premiers considèrent tout ce qui est lié à la Russie d’une façon strictement critique.
Les seconds regardent les choses d’une façon lucide et réaliste et savent qu’en Russie, toutes les conditions sont rassemblées pour y conduire des affaires. J’ai personnellement entendu dire lors d’une conférence au directeur d’une compagnie française très importante : « Avant, nos entrepreneurs allaient en Chine, mais en réalité, personne n’a rien pu y gagner, à part les marques de luxe. Aujourd’hui, les compagnies françaises importantes gagnent beaucoup d’argent en Russie. Celui qui investit ici fait de bonnes affaires ».
La comparaison avec la Chine est vraiment intéressante. Il y eut en effet la période du boum chinois, les Européens ont pris pied dans le marché chinois, et au début, semblait-il, les bénéfices croissaient à des rythmes extraordinaires. Mais la différence entre les cultures est telle que les gens tombaient dans une véritable frustration et sortaient de ce marché : ils ne parvenaient pas à être « chez eux » dans cette civilisation, ils restaient de toute façon « étrangers » en Chine. Alors que les Russes et les Français, malgré toutes les différences sont en fin de compte très proches.
Thomas : En quoi la renaissance économique du pays est-elle liée au retour des Russes vers la religion ?
A.C. : J’ai rencontré des Russes qui sont matérialistes à 100 %. Mais j’ai aussi rencontré personnellement ceux qui gagnent beaucoup d’argent mais se souviennent qu’il y a quelque chose de plus grand que l’argent, par exemple le salut de l’âme. Ces entrepreneurs qui sont loin d’être pauvres décident à un certain moment de dépenser une partie (parfois importante) de l’argent gagné pour financer des projets liés à l’Église, à l’éducation, à l’illumination, afin que les gens viennent à la foi en Dieu. C’est à mes yeux très important. À ce propos, cela existe aux U.S.A., dans les milieux protestants. En France, justement, cela nous manque beaucoup, peu de gens qui, ayant gagné beaucoup d’argent voudraient l’affecter à la cause de la renaissance de la religion et des valeurs spirituelles. De mon point de vue, c’est la maladie gravissime de l’Europe Occidentale contemporaine.
Rattraper et dépasser l’Occident ?
Thomas : Quelles sont vos impressions personnelles de votre participation au club de discussion « Valdaï » en septembre 2013 ?
A.C. : Honnêtement, j’en garde des sentiments mitigés. D’un côté, j’ai été impressionné par le niveau du déroulement de l’évènement lui-même, la diversité des experts très intéressants et l’organisation intelligente des discussions. Mais ce qui me troublait d’un autre côté, c’est que la philosophie générale de « Valdaï » est pénétrée de part en part par la vision du monde occidentale et libérale. J’avais l’impression que toute une classe de politiques russes, rassemblés à Valdaï, pas tous mais la majorité, essaie de dépasser l’Occident sur le plan des valeurs libérales. Et ils essaient de le faire de telle manière que la Russie reçoit ces valeurs comme la norme. D’après moi, c’est étrange. La Russie sur le plan spirituel et culturel a toujours suivi son propre chemin historique, et elle a aujourd’hui la possibilité de créer son propre modèle de civilisation sans copier l’Occident. Cela sonnera peut-être comme une provocation, mais quand à Valdaï j’ai entendu certains politiques, j’ai eu l’impression qu’ils se sentaient comme des représentants d’un pays du tiers-monde, et tentaient de toutes leurs forces de se montrer à leur avantage devant l’Occident « civilisé », comme pour dire : « Nous aussi, nous avons le progrès, regardez comme nous sommes libéraux. » Comme s’ils étaient des élèves, et que de l’Occident étaient venus des professeurs qui leur disaient avec condescendance : « Eh bien que voulez-vous, il vous faut encore, bien sûr, travailler à la lutte contre la corruption, à la défense des droits des minorités. Vous avez bien sûr fait des progrès particuliers, mais ce n’est quand même pas suffisant. » Et les savants russes, s’excusant, répondent : « Oui, oui, oui, nous allons essayer, nous allons grandir. » Je considère que la Russie mérite mieux.
Thomas : Mais il y vraiment en Russie de grands problèmes de corruption, tout le monde le sait…
A.C. : Je ne veux pas dire qu’en Russie tout soit rose. Je dis que dans les questions de civilisation et de culture, la Russie a ses réalités historiques, et il n’y a pas de nécessité à l’évaluer toujours sur le fond des pays occidentaux. Il va sans dire qu’en Russie, comme dans tout autre pays, il y a des problèmes. Il faut lutter impitoyablement contre la corruption, Mais soit-dit en passant, il existe aussi de la corruption en Occident.
Thomas : Est-ce possible ?
A.C. : Le fait est que les critères pour déterminer le niveau de corruption de tel ou tel pays sont établis et installés par des agences occidentales et que d’après leurs estimations, en France, en Allemagne ou aux U.S.A. la corruption, cela va sans dire, ne peut exister. C’est pourquoi je ne prendrais pour preuves leurs estimations qu’en Russie tout va mal qu’avec prudence. J’affirme qu’en Europe, la corruption existe aussi. Peut-être n’est-elle pas aussi voyante, aussi criante, mais elle existe. Elle est seulement cachée, masquée, exprimée d’une autre manière que « Je te donne l’argent, tu me fais le contrat ». Dans le cas de l’Occident, il est plutôt question d’une corruption de l’esprit, du caractère des gens eux-mêmes. C’est une sorte de profonde corruption morale, exprimée en cela qu’on a complètement exclu Dieu de notre vie. Mais personne n’a parlé à Valdaï de cette corruption fondamentale du monde occidental.
Il faut défendre les chrétiens
Thomas : Pourquoi les persécutions de chrétiens au Moyen-Orient sont-elles devenues si cruelles ces derniers temps ?
A.C. : En fait, les chrétiens du Moyen-Orient se trouvent depuis longtemps dans une situation de continuelle pression. La Turquie en est l’éclatant exemple. Au début du XXe siècle, huit pour cent de la population turque était chrétienne, et il est aujourd’hui question de quelques centièmes d’un pour cent. Il n’y a pourtant pas, en Turquie, de persécution physique des chrétiens. En revanche, on interdit l’enregistrement de nouvelles paroisses, et les gens sont obligés de quitter le pays d’eux-mêmes. En un mot, on essaie doucement et en silence d’étouffer le christianisme. Et c’est la situation générale des pays du Moyen-Orient.
Mais il y a une autre tendance, une relation ouvertement grossière et cruelle aux chrétiens. Cette tendance s’est activée particulièrement après la guerre d’Irak. Il faut malheureusement reconnaître que les guerres des U.S.A. dans cette région ont facilité à leur manière l’émergence du fondamentalisme islamique, en particulier sunnite. Que ce soit il y a quelques années en Irak ou aujourd’hui en Syrie, ce sont les mêmes extrémistes sunnites. Ils détruisent les églises, scient les croix, profanent les icônes et, bien sûr, éliminent physiquement les chrétiens, parmi lesquels apparaissent à nouveau de véritables martyrs. C’est pourquoi si le régime du président de la Syrie Bachar el Assad s’effondre, il est tout à fait évident que les persécutions ne feront que s’intensifier. En un mot, ces jeux politiques, cette union entre les U.S.A., la Grande-Bretagne et, à mon grand regret, la France, font les affaires des islamistes fondamentalistes dans leur lutte contre les chrétiens. Je souligne que je ne parle pas de l’islam dans son ensemble en tant que religion mais bien des fondamentalistes, c’est-à-dire d’un groupe particulier de gens aux dispositions guerrières à l’intérieur du monde musulman.
La Russie, dans la situation de la persécution des chrétiens au Moyen-Orient peut jouer un rôle vraiment historique, tout à fait dans le courant de toute l’histoire russe. Car au cours de nombreux siècles, jusqu’à la révolution de 1917, la Russie a été le défenseur assidu des chrétiens d’Orient. Et il est indispensable aujourd’hui, à mon avis, qu’elle redevienne ce défenseur. Il faut que la Russie qui se retrouve grâce au renouveau de l’Orthodoxie, envoie au monde le signal : « Nous sommes un État chrétien et les défenseurs des chrétiens. En dehors des chrétiens d’Orient, nous soutiendrons tous les chrétiens qui s’opposent à l’imposition des principes d’individualisme, au Diktat des minorités, à la légalisation du mariage homosexuel et ainsi de suite. Nous les soutiendrons pour défendre les valeurs traditionnelles ». De la sorte, ce sont précisément les valeurs traditionnelles qui deviendront la principale ressource russe, son principal outil, et feront de la Russie un acteur important de la politique mondiale. J’y crois et m’efforce de promouvoir cette idée de toutes les manières. Et je sais qu’en Russie, beaucoup considèrent que c’est justement dans cette direction qu’il faut avancer : s’engager dans l’éducation, expliquer le christianisme aux gens, pour devenir un État qu’on puisse appeler chrétien de plein droit.
Thomas : Le thème de la persécution des chrétiens est-il évoqué par les médias occidentaux ?
A.C. : Ça dépend. Dans l’ensemble, on peut dire que la tendance est de le minimiser. Mais la situation s’arrange petit à petit, car Internet apparaît comme une puissante source d’information alternative. Les ressources d’Internet rappellent aux principaux média traditionnels, par exemple, à des journaux français tels que Le Figaro ou Libération, l’état réel des affaires. Et quand de pareils médias ne disent rien d’un événement comme l’exécution de chrétiens à Maaloula, ces choses surgissent sur Internet, et les médias ne peuvent faire autrement que de les mettre en lumière. C’est pourquoi la situation évolue. Et de plus en plus de chrétiens en France se rendent compte que les chrétiens au Moyen Orient, par exemple les coptes en Égypte, sont réellement en danger.
La France se réveille
Thomas : En avril 2013, la loi sur le mariage homosexuel est entrée en vigueur en France, ce qui a suscité de massives actions de protestations de la part des défenseurs des valeurs traditionnelles. Qu’en pensez-vous ?
A.C. : Il s’est produit en France un événement d’une importance colossale. Bien sûr, auparavant, s’est produit un regrettable événement : la loi sur la légalisation du mariage homosexuel a été adoptée. La plupart des ministres, les socialistes et les « Verts », ont soutenu et soutiennent le mouvement en ce sens.Chaque jour que Dieu fait, pas à pas, ils s’efforcent avec persévérance de détruire l’aspect chrétien de la France contemporaine. Un exemple tout récent : ils ont promu la proposition de supprimer du calendrier français les fêtes chrétiennes pour les remplacer par des fêtes juives et musulmanes. Mais la société réagit quand même. Trois millions de personnes étaient dans la rue pour protester contre la légalisation du mariage homosexuel. Des gens d’âges divers, de bonnes familles, étaient prêts à manifester avec le risque d’être arrêtés, pour dire non à cette loi et défendre la seule conception normale de la famille. Sur ce point, il s’est produit quelque chose de très important. Bien qu’aujourd’hui la vague de protestation ait reflué, elle a enclenché tout un processus, ouvert la voie à tout un mouvement de résistance, comme si un ressort sur la porte s’était tendu sous la pression, la serrure avait été arrachée, et la porte s’était ouverte toute grande. Les gens savent maintenant qu’ils ont une plateforme où ils peuvent se rassembler pour défendre les valeurs familiales traditionnelles. En outre, il y a aussi d’autres directions de « combat » : la question de l’immigration, la question de l’islamisation etc. Je suis persuadé que nous assistons à un processus très important : le réveil des Français. Bien que pour parler d’une façon imagée, les forces du mal soient de toute façon très puissantes.
Thomas : Beaucoup sont persuadés que le mouvement pour la défense des valeurs traditionnelles doit prendre une dimension internationale. Que pensez-vous, sur ce point, d’une collaboration entre le France et la Russie ?
A.C. : C’est justement là-dessus que je m’efforce de travailler. C’est le thème qui m’occupe en permanence. Je suis persuadé que personne ne gagnera dans la solitude. C’est comme la lutte avec le nazisme; la menace était si forte qu’on ne pouvait la contrer qu’en s’unissant, et ce n’est pas par hasard que la Russie a trouvé un allié dans la Résistance française. Nous avons aujourd’hui devant nous une nouvelle forme de totalitarisme. Il n’est extérieurement pas aussi évident, il est masqué, il ne porte pas de casque militaire, mais c’est bien un totalitarisme, quoique rampant, on impose aux gens les valeurs libérales, on met en doute les concepts traditionnels de dignité de la personne, on pousse l’homme à se révolter contre Dieu, et en ce sens, le nouveau totalitarisme revêt des traits vraiment sataniques. Il faut opposer à ce totalitarisme une puissante résistance. Et si la Russie se déclare un État chrétien, et le défenseur des valeurs chrétiennes, cela deviendra justement une réponse, et la création d’un contre-modèle à ce que l’on impose aux gens en Occident. On le leur impose précisément. Je ne considère pas, par exemple, que la légalisation du mariage homosexuel réponde à une position sincèrement motivée des gens ordinaires dans les pays d’Europe. Non, c’est celle de la minorité au pouvoir qui cherche à imposer ses critères au peuple : ils ont fabriqué la théorie du genre qui « fonde » la légalisation des mariages homosexuels. Je suis sûr que les Européens de base eux-mêmes, comme d’ailleurs les Américains, n’en veulent pas. Et si on leur propose un contre modèle, ils l’adopteront. La Russie, en collaboration avec d’autres pays et organisations sociales qui soutiennent la famille traditionnelle peut le réaliser.
Thomas : Mais pourtant, comme les informations nous l’ont appris, bien que trois millions de Français soient sortis dans la rue, pas moins de 60 % de la population française, c’est-à-dire la majorité, soutenaient cette légalisation du mariage homosexuel. Et vous nous dites que ce n’est pas l’avis du peuple…
A.C. : Il faut parler ici de la logique de l’histoire de l’humanité en tant que telle. La majorité des gens, dans n’importe quel pays à n’importe quelle époque est malheureusement passive. C’est seulement un fait historique. Cela concerne n’importe quel peuple. Cela signifie que si un gouvernant inculque le mal, le peuple le reçoit et suit le mal. Si le gouvernant fait le bien, le peuple l’accepte et suit le bien. Cela ne signifie pas que la société est stupide, pas du tout. Simplement la plupart des gens vit au quotidien, s’occupe de ses affaires au jour le jour. Ce n’est pas mal, ce sont de bonnes gens qui éveillent en moi personnellement une vive sympathie. Mais on ne peut pas les appeler des citoyens conscients, on ne peut pas dire qu’ils réfléchissent à ce qui se passe dans leur État. C’est toujours une minorité qui est consciente, dans la société, et qui se bat et s’oppose. Elle va se battre, par exemple, pour la liberté de l’homme, ce qui, en fin de compte, veut dire la lutte pour le triomphe d’une vérité chrétienne. Ce schéma est valable pour toutes les sociétés. Rappelez-vous la Résistance française, dont les participants étaient bien sûr en minorité. Et même en U.R.S.S., il y eut de la même manière le mouvement des dissidents qui résistaient au régime soviétique, et pourtant les Soviétiques en majorité n’étaient pas des partisans du régime déterminés, la majorité simplement se taisait, nageait dans le sens du courant. Je le répète, telle est la philosophie de l’histoire. C’est la minorité active qui fait l’histoire, et la question est seulement de savoir quel choix elle va faire, dans le sens du bien ou dans celui du mal.
Thomas : N’êtes-vous pas seul de cet avis parmi vos collègues en France ? Le fait est que beaucoup généralisent, affirmant : « On considère en Occident… » Comme si l’Occident était quelque chose d’homogène, où l’avis des gens est unifié, et où les experts isolés, par exemple vous-même, vous êtes plutôt l’exception à la règle, le vecteur d’un avis marginal sur les choses. En quoi cela correspond-il à la réalité ?
A.C. : Je trouve important de le dire en Russie, dans une interview pour une publication russe. La réalité objective est la suivante : la majorité des gens en Occident ne réfléchit pas aux questions dont nous parlons maintenant. Et la minorité qui vit et travaille tous les jours avec ces questions se partage en deux groupes : le premier, ce sont ceux qui considèrent l’individualisme général comme la norme, et le deuxième, ce sont ceux qui trouvent indispensable de revenir aux racines chrétiennes.C’est là, je le répète, le tableau objectif. Ce sont ces deux minorités qui créent les partis et les organisations politiques. Ensuite, c’est la question du libre choix des citoyens aux élections. Pour parler de la France,il existe aujourd’hui un parti qui, d’après les analystes, dans un proche avenir deviendra le premier de France par sa popularité, c’est le Front national. Un parti qui se dresse contre le système existant. Ses partisans ne sont pas une minorité, c’est une partie notable des Français qui affirment l’importance des valeurs chrétiennes, la dignité de la personne, le danger de l’islamisation de la France, le refus de participer aux guerres des U.S.A., etc. Il ne convient donc pas de me considérer comme un bien grand original. Non, une grande quantité de gens, en France, raisonnent selon la même logique. Parmi les économistes, parmi les militaires. Si vous pratiquez un sondage chez les officiers, vous verrez que 30 ou 40 % d’entre eux sont disposés envers la Russie de façon très, très positive; beaucoup plus positive qu’envers les U.S.A. J’ai enseigné dix ans à des officiers, j’avais presque trois mille étudiants, je sais de quoi ils parlent et ce qu’ils pensent. Sans conteste, il est parmi eux des « atlantistes » des gens qui sont à cent pour cent pour l’O.T.A.N., qui raisonnent jusqu’à maintenant en termes de guerre froide; soi-disant, « les Russes sont d’affreux communistes ». Mais il y a une part significative d’officiers, particulièrement chez les jeunes, qui raisonnent d’une façon radicalement différente.
Thomas : Vous avez évoqué le parti « le Front national ». En Russie, la tendance est de craindre comme le feu les mots « national », « nationalité » etc. On confond le mot « nationalisme » avec le mot « nazisme ». Et tout ce qui est « national » entraîne une association directe avec fascisme, agression, génocide, camps de concentration, extermination physique des immigrés… Existe-t-il, d’après vous, un nationalisme pacifique et à quoi ressemble-t-il en pratique ?
A.C. : Il existe. L’exemple en est justement le Front national qui s’est déclaré dès le début comme un parti patriotique. Ce n’est pas un parti de nationalistes, si l’on comprend le nationalisme comme un synonyme d’agression. Le parti patriotique s’efforce de conserver le visage historique de la France, défend sa civilisation et sa culture contre les changements du système qui se produisent sous l’influence des étrangers. Il n’a jamais été question de chasser immédiatement du pays tous les immigrés. La question, c’est que le multiculturalisme nuit à la France dans un sens purement démographique, les gens qui sont arrivés des pays arabes et leurs enfants occupent de plus en plus la France et de ce fait, provoquent la guerre civile. Ce que nous voulons, c’est que les étrangers s’assimilent, c’est-à-dire deviennent proprement des Français. Cela peut naturellement être lié à l’adoption du christianisme. Mais pas forcément : celui qui trouve important pour lui de rester dans l’islam doit simplement connaître et accepter la culture française, ne pas obliger sa femme à porter le voile intégral, etc. C’est là le programme du Front national. On n’y trouve pas un mot sur le recours à la force contre les immigrés. En outre, parmi les députés élus à l’assemblée nationale il y a des Arabes, ce que peu de gens savent. Nous pensons simplement qu’une immigration trop abondante nuit à la France. Comme elle nuit à ces mêmes étrangers qui viennent en France
Je suis moi-même partisan du dialogue entre les civilisations. J’ai beaucoup travaillé et enseigné, par exemple au Maroc. J’ai pris parole à l’O.N.U. comme expert du Maroc. J’ai des dizaines d’amis et de collègues parmi les musulmans, je crois en une politique arabe de la France. Les pays arabes sont nos voisins par la Méditerranée. Nous avons d’excellentes relations avec eux. La seule chose que nous devions faire, c’est contrôler les flux migratoires. Car aujourd’hui, cela ne peut pas continuer ainsi. Autrement la société française va tout simplement exploser, parce que la prospérité du gouvernement va s’écrouler, beaucoup de jeunes étrangers viennent en France dans l’espoir de vivre des allocations.
Être ou avoir
Thomas : Vous parlez beaucoup de religion. Dans quelle mesure la religion, en tant que domaine fondamentalement non matériel, peut-être un facteur géopolitique ?
A.C. : La géopolitique comprend au minimum trois choses fondamentales : La première c’est la géographie physique, c’est-à-dire où et comment le pays se situe, qui sont ses voisins, son ouverture sur la mer, etc. La deuxième, c’est la géographie des ressources, le pétrole, le gaz naturel, etc. Et la troisième, c’est la géographie identitaire, comment les gens se voient, quelle est leur identité. C’est relié directement aux conflits ethniques et religieux, car l’identité religieuse est l’une des plus importantes pour l’homme. En ce sens, on peut réduire de façon imagée la problématique de la géopolitique à deux verbes principaux, qui, dans la langue française sont également des auxiliaires qui servent à constituer les temps, le verbe avoir et le verbe être. À travers le verbe être, l’homme définit justement son identité, c’est-à-dire qu’il répond à la question : « que suis-je en cette vie ? » Cela concerne les questions de religion : « je suis chrétien », « je suis musulman », « je suis juif ».
L’identité religieuse a une énorme signification, car elle définit le système de valeurs de cette personne concrète, la façon dont il va percevoir le monde alentour. Et au moment où il se définit et commence à voir le monde précisément comme cela et pas autrement, cela devient un facteur de géopolitique. Car l’homme ne vit pas seul au monde mais en relation avec les autres. En un mot, la religion du point de vue géopolitique n’est pas pour les gens une question de connaissance théologique, ni de vie spirituelle intérieure, mais de recherche de sa propre identité, la tentative de décider « qui je suis » et d’agir en conséquence.
Beaucoup considèrent qu’en géopolitique domine tout ce qui est lié au verbe « avoir » : qui a quelles armes, les ressources naturelles, les technologies etc. C’est bien sûr important, mais ce n’est pas le plus important. Car on ne va pas aller mourir pour du pétrole. En ce sens, c’est le verbe « être » qui occupe la première place : les gens sont prêts à faire la guerre s’ils défendent leur identité, leur vision du monde, ce qui leur est cher.
L’identité religieuse, je le répète, est pour l’homme en un sens la principale, parce que la façon dont voit ses relations avec Dieu, avec l’Absolu, avec les valeurs supérieures, détermine celle dont il va construire ses relations avec tout le reste du monde terrestre.
Thomas : Et quel rôle jouent la religion et la foi dans votre vie ?
A.C. : Je m’intéresse beaucoup à tout ce qui est lié au catholicisme dans le monde contemporain. Mais l’Orthodoxie me fascine, je sens en elle quelque chose d’originel, un christianisme pur qui n’a pas été obscurci, le reflet de la foi des premiers chrétiens. En Occident, nous le savons, ces notions se sont en partie perdues.
Je suis marié, j’ai quatre enfants. Et la religion est pour moi une chose centrale et vitale. Ce qui ne change rien au fait que je suis pécheur, que la force et la profondeur de ma foi sont moindres que je le juge nécessaire. La religion, c’est ce qui permet de rendre plus digne notre façon de vivre et de s’opposer aux séductions du monde, comme par exemple, l’argent et les belles filles, qui sont d’ailleurs très nombreuses en Russie. On ne tient que grâce à la foi, la foi en Celui qui est plus grand que tout cela.
• Propos recueillis par Thomas et mis en ligne sur L’Esprit européen, le 15 décembre 2013.
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[Noël en Syrie] Charles de Meyer à L’Action Française : " Les Syriens attendent des Français de retrouver une marque de l’amitié historique entre nos peuples. "
Charles de Meyer, fondateur de l’association SOS Chrétiens d’Orient et rédacteur en chef de nouvelarbitre.com, revient de Syrie, où il s’est rendu à Noël, alarmé par la détresse des chrétiens. Avant de participer au carrefour royal du 18 janvier, il a bien voulu nous rendre compte de son voyage...
L’AF 2878 - Tout d’abord pourquoi cette association SOS Chrétiens d’Orient ?
CHARLES DE MEYER - Nous avons lancé l’association SOS Chrétiens d’Orient suite à un appel. Un simple appel d’un journaliste qui nous décrivait les exactions commises par les jihadistes dans le village chrétien de Maaloula. Nous considérions alors qu’il nous fallait agir concrètement pour montrer notre solidarité avec les communautés chrétiennes orientales qui souffrent dans un silence accablant depuis des années. Qu’elles soient coptes, syriaques, chaldéennes, grecques orthodoxes ou catholiques latines, toutes les diverses Eglises du Levant sont victimes d’une vision de l’Islam qui n’a aucune humanité pour ceux qui sont vus comme des infidèles. Cette association cherche donc à mener des expéditions en convoyant jouets, couvertures et vêtements auprès de communautés qui sont prises soit dans la guerre civile, soit dans des politiques de discrimination. Elle est pérenne et prévoit de renouveler les convois régulièrement dans l’année afin d’alerter l’opinion publique française et d’affirmer combien l’indignation ne peut suffire devant le martyr de nos frères aînés dans la foi.
Qui avez-vous rencontré ? Dans quelle situation se trouvent aujourd’hui les chrétiens de Syrie ? Quelle est leur disposition d’esprit ?
Nous avons rencontré des Syriens de toutes confessions qui s’accordaient dans le rejet de la barbarie financée par l’Arabie séoudienne sur le sol de leur Nation. Du Grand Mufti de Syrie aux prélats catholiques ou orthodoxes, tous faisaient part de leur écœurement devant l’archaïsme et le fanatisme de combattants souvent étrangers. La situation des chrétiens de Syrie est tout à fait particulière : ces derniers jouissaient en effet d’un dialogue religieux particulièrement avancé pour le Levant avant le début de la guerre civile, ils étudiaient et vivaient en paix depuis des centaines d’années avec leurs compatriotes musulmans. Aujourd’hui comme de nombreuses minorités, ils subissent une recrudescence de haine de la part des combattants.
La Syrie est fière de sa civilisation et de son modèle de société et les Chrétiens cherchent à être des citoyens modèles, ils refusent absolument de se singulariser ou de jouer la carte communautaire. Ainsi, tous nous ont répondu souffrir en premier lieu en tant que Syriens de l’importation de conflits internationaux au cœur de leur pays. Ils sont dans l’incompréhension totale devant l’attitude de l’Occident et particulièrement de la France qui a pourtant un rôle historique de soutien et de protection des chrétiens d’Orient. Des armes et de l’argent français ont en effet contribué à des attaques de villages chrétiens et de monuments historiques syriens. Toutefois, les Syriens sont encore nombreux à parler français, à aimer notre civilisation, ils distinguent aisément l’oligarchie dirigeante du peuple de France, et pour cause, comment assimiler la Terre de Saint Louis et du protectorat de 1920 avec quelques terroristes qui occupent le Krak des chevaliers sur ordre de prédicateurs wahhabites ?
Quel bilan tirez-vous de ce séjour ? Vous interlocuteurs ont-ils souhaité adresser un message aux Français ?
Nous sommes fiers d’avoir pu amener quatre tonnes de jouets, de couvertures et de vêtements auprès des Syriens. Au-delà de l’image conformiste, il y a bien entendu un moment d’humanité très fort dans le regard d’un enfant malade ou traumatisé par le conflit et qui reçoit tout de même un jouet pour Noël. C’est la preuve que nous pouvons tous agir avec humanité et efficacité au service de nos convictions si nous nous en donnons les moyens. Le temps de la réinformation vis-à-vis de la doxa médiatique doit être complété par cette confrontation au réel, et la réalité syrienne est pleine de paradoxes, de douleurs autant que d’un espoir tout à fait admirable.
Les Syriens attendent des Français de retrouver une marque de l’amitié historique entre nos peuples. Nous devons continuer à alerter l’opinion sur les méthodes utilisées par les rebelles soutenus par la France mais nous devons également retourner en Syrie, visiter l’Eglise du baptême de Saint Paul ou les souks. Nos interlocuteurs savent que la France ne se réduit pas à quelques locataires du pouvoir et qu’elle peut redevenir cohérente avec son héritage, à nous de voir !
Propos recueillis par François Marcilhac - L’AF 2878
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