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géopolitique - Page 762

  • Quand Laurent Fabius ment ouvertement sur l'attaque au gaz attribuée à Bachar Al Assad en Syrie

  • Vendredi, à la Traboule, carnet de voyage de Noël en Syrie

    LYON (NOVOpress) – Vendredi 7 février, le cercle de Précy recevra à la Traboule Damien Rieu, Benjamin Blanchard et Charles de Meyer, et ce pour un carnet de voyage de Noël en Syrie. La conférence aura lieu vendredi à 20 heures, 5 montée du Change dans le 5ème arrondissement de Lyon.

  • LES ETATS-UNIS PERSISTENT ET SIGNENT

    "Nous continuerons à espionner"
    Chems Eddine Chitour*
    Ex: http://metamag.fr
    Le dernier discours d'Obama a fait l'objet d'une analyse par de nombreux pays et médias. Si les pays occidentaux amis peuvent être «rassurés qu'ils ne seront plus espionnés,» ils ne peuvent faire autrement que d'y croire. Les autres, tous les autres savent à quoi s'en tenir. Ils continueront à être espionnés sans d'ailleurs savoir qu'ils sont espionnés. En fait, l'espionnage américain est sélectif. S'agissant des nations développées technologiquement, cela sera surtout un espionnage économique et technologique. En dehors des pays industrialisés occidentaux à qui Obama promet la paix, il reste les pays émergents au premier rang desquels la Chine qui est particulièrement surveillée à la fois sur le plan économique mais aussi sur le plan militaire. Tout est bon pour la déstabiliser... en vain.
    Les révélations de Snowden
    Tout est parti des révélations d'un transfuge de la CIA. «Edward Snowden, à l'origine des fuites sur le programme de surveillance américain Prism, a dérobé environ 1,7 millions de documents secrets relatifs aux opérations de renseignement menées par les forces armées états-uniennes, rapporte l'agence Associated Press se référant au Pentagone. La plupart des documents dérobés par le lanceur d'alerte contiennent des informations sur les opérations courantes de l'armée de Terre, de l'US Air Force et de l'US Navy, est-il indiqué dans un rapport secret du département militaire américain. (...) Début juin [2013], Edward Snowden, informaticien a révélé à deux quotidiens, le Guardian et le Washington Post, l'existence d'un programme informatique secret baptisé PRISM. Ce programme permet à la NSA et au FBI d'accéder à des données concernant des personnes vivant hors États-Unis via neuf géants de l'Internet, dont AOL, Apple, Facebook, Google, Microsoft, PalTalk, Skype, Yahoo! et YouTube et Verizon.
    Ce fut un tollé en Occident! Les Etats-Unis n'ont-ils pas confiance dans leurs alliés les plus proches ? Les Européens s'en remettent au bon coeur des Américains, pensant naïvement qu'ils avaient un statut privilégié. Ils s'aperçoivent qu'en face de l'Empire, c'est encore et toujours des vassaux
    Les rodomontades de l'Europe en face de la détermination américaine
    Sacrifiant à un rituel qui tient plus de l'amour-propre blessé que d'une réelle opposition à laquelle eux-mêmes n'y croient pas, les Européens décident de «réagir». Nous lisons: «La commission du Parlement européen chargée d'enquêter sur les programmes de surveillance de la NSA en Europe a réagi assez négativement au discours du président Obama sur la réforme des activités des services de renseignements américains, vendredi 17 janvier. L'un de ses rapporteurs, le travailliste britannique, Claude Moraes, a réaffirmé les exigences européennes: «Les autorités américaines doivent mettre fin au système actuel de discrimination, dans lequel les citoyens européens ont moins de droits que les citoyens américains en matière de protection de la vie privée, y compris devant les tribunaux américains. Nous aurions préféré entendre un message plus rassurant sur ces questions.»
    «Selon lui, le discours du président Obama est d'autant plus décevant que l'Union européenne négocie depuis des mois avec les Etats-Unis sur ces points précis - notamment le droit pour un citoyen européen de porter plainte devant un tribunal américain pour violation de sa vie privée. (...) Par ailleurs, le 9 janvier, la commission avait décidé, par 36 voix contre 2, de solliciter le témoignage d'Edward Snowden, (...) L'audition se ferait par liaison vidéo entre Bruxelles et la Russie - en différé, pour des raisons de sécurité.» 
    Nous sommes à peu près sûrs que cela ne se passera pas, et que cette menace est de fait un coup d'épée dans l'eau. On ne menace pas l'Empire, on demande humblement d'être adoubé par lui, quand bien même il est sur le déclin, sa capacité opérationnelle est intacte «En attendant, poursuit le journaliste, la commission d'enquête a publié un rapport préliminaire préconisant la suspension de plusieurs accords d'échange de données personnelles entre l'Europe et les Etats-Unis, le développement d'un «cloud» européen souverain, de nouvelles lois assurant une meilleure protection des lanceurs d'alerte, et la promotion de l'usage du cryptage et des logiciels libres. Le rapport final devrait être adopté fin janvier, puis soumis au vote de l'assemblée plénière à la fin du mois de février.» 
    On le voit, l'Europe est en plein combat d'arrière-garde, elle menace sans trop grande conviction donnant le temps à Obama de leur donner une réponse un peu crédible. Obama prévient que la NSA va continuer à espionner les étrangers
    Les Etats-Unis persistent et signent : « C'est notre devoir d'espionner tout le monde. »
    Après avoir annoncé une réforme limitée des opérations de surveillance américaines, le président Barack Obama a enfoncé le clou, samedi 18 janvier, dans une interview à la télévision publique allemande ZDF. «Nos agences de renseignement, comme les agences allemandes et toutes les autres, vont continuer à s'intéresser aux intentions des gouvernements de par le monde, cela ne va pas changer.» Il a toutefois assuré que la chancelière Angela Merkel n'avait «pas à s'inquiéter» de cette surveillance, alors qu'un de ses téléphones portables aurait été écouté par l'agence de renseignement NSA, ce qui a fait scandale en Allemagne. Et il a insisté sur «la relation d'amitié et de confiance» qui lie selon lui les deux pays.»
    «Mais loin de lui l'idée de renoncer à des pratiques dont la révélation l'an dernier par l'ancien consultant de la NSA Edward Snowden a profondément entaché la relation transatlantique. La collecte de données par le renseignement américain, est «au service de nos objectifs diplomatiques et politiques», a expliqué le président. «Et ce n'est pas la peine d'avoir un service de renseignement s'il se limite à [collecter] ce qu'on peut lire dans le New York Times ou dans Der Spiegel. La vérité c'est que par définition le travail du renseignement est de découvrir: que pensent les gens? Que font-ils ?»
    Les Etats-Unis promettent la fin des écoutes des dirigeants alliés
    Dans son discours, le président américain Barack Obama a détaillé, vendredi 17 janvier, les premières modifications qu'il entend apporter à certaines des activités de surveillance controversées de l'Agence nationale de sécurité (NSA) américaine, sept mois après le début des révélations contenues dans les documents d'Edward Snowden. La quasi-intégralité de la liberté d'action de la NSA en matière de surveillance est préservée, seule une petite partie des 46 propositions remises en décembre par un comité d'experts ayant été avalisées. M.Obama a annoncé qu'il allait demander à la communauté du renseignement d'arrêter d'espionner les dirigeants de pays alliés, «à moins que notre sécurité nationale soit en jeu». «Les dirigeants étrangers alliés doivent être sûrs qu'ils peuvent nous faire confiance» a-t-il expliqué, ajoutant que les citoyens du monde entier devaient savoir que la NSA ne les surveillait pas sauf s'ils «menacent la sécurité nationale».
    «Une annonce à laquelle s'est empressée de réagir Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne: «La Commission européenne a demandé en novembre de mettre en oeuvre des actions pour restaurer la confiance. Les déclarations du président Obama sont un pas dans la bonne direction. Je suis encouragée par le fait que les citoyens non américains vont pouvoir bénéficier de protection contre l'espionnage, mais j'attends de voir ces engagements se concrétiser avec des lois.»
    Le principal changement concerne le programme de collecte de métadonnées téléphoniques (qui appelle qui, où et quand), la première révélation et celle qui a le plus frappé outre-Atlantique. M.Obama a reconnu que sans «garde-fous suffisants, les risques pour la vie privée étaient réels» et que ce programme n'avait jamais fait l'objet d'un «véritable débat public». Mais, désormais, la NSA devra obtenir une autorisation de la justice à chaque fois qu'elle voudra acquérir ces métadonnées. Actuellement, une seule et unique ordonnance secrète de la justice autorise une collecte massive de ces données.» 
    D'autres changements concernent la publication de décisions de justice secrètes importantes, une évaluation annuelle des pratiques d'interceptions électroniques, ainsi que la création d'un poste de diplomate spécialisé dans les questions de renseignement. «Le monde attend de nous que le numérique soit synonyme de progrès, pas de contrôle gouvernemental. Le monde est exigeant envers les Etats-Unis. Grâce à la force de notre démocratie, nous ne devons pas avoir peur de ces attentes», a conclu M.Obama à l'issue d'un discours sans surprise ni véritable changement en profondeur des pratiques de la NSA. Ces changements ne concernent en effet qu'une partie minime des programmes de la NSA. Outre le programme Prism, qui permet d'aller piocher dans les serveurs de certains géants du Web, Barack Obama n'a rien dit par exemple du programme Bullrun, qui vise à affaiblir les technologies de chiffrement grand public utilisé par des centaines de millions d'internautes au quotidien.»
    Les prouesses de la NSA
    La NSA intercepte 200 millions de SMS quotidiennement. Non contente d'espionner d'une façon traditionnelle, la NSA innove. On rapporte que l'Agence de sécurité nationale américaine (NSA) intercepte quotidiennement jusqu'à 200 millions de textos par jour dans le monde, écrit le quotidien britannique Guardian, se référant aux documents fournis par l'ex-agent de la CIA Edward Snowden. En avril 2011, les services spéciaux américains interceptaient quelque 194 millions de textos par jour. Le programme spécial qui a pour nom de code «Dishfire» leur permettait d'obtenir des informations sur la localisation de l'expéditeur, ainsi que sur ses contacts et ses transactions financières, ajoute le Guardian. « Les SMS : une mine d'or à exploiter », révélant que le programme a permis de collecter en moyenne 194 millions de textos par jour en avril cette année-là. (...) « La NSA travaille à expurger les données superflues (concernant les citoyens américains, Ndlr), ainsi que celles des innocents citoyens étrangers aussi tôt que possible dans le processus » de collecte, s'est défendue l'agence américaine dans un communiqué ». 
    Par ailleurs, selon un document fourni par Edward Snowden, l'agence de renseignement a piraté un réseau Internet français pour accéder aux données du câble. L'Agence de sécurité américaine, la NSA, a réussi à pirater en février 2013 le réseau informatique d'un groupe de sociétés qui gère un gros câble informatique reliant la France, l'Afrique et l'Asie, apprend-on lundi 30 décembre 2013.
    De plus, l'agence de renseignements américaine a pu installer un logiciel espion sur près de 100.000 ordinateurs à travers le monde, créant ainsi un réseau utilisable pour des opérations de piratage. Dans la plupart des cas, le programme en question a été introduit via des réseaux informatiques, mais la NSA a également eu recours à une technique secrète qui permet d'accéder aux machines non-connectées, rapportait  le New York Times, citant des membres de l'administration, des experts en informatique et des documents divulgués par Edward Snowden. Exploitée depuis 2008 au moins, cette technique fonctionnerait à l'aide de fréquences radiophoniques émises par des circuits imprimés ou des cartes USB insérées secrètement dans les machines cibles. Parmi les cibles principales de ce programme baptisé Quantum, figurent certaines unités de l'armée chinoise, que Washington accuse de cyber espionnage, toujours selon le New York Times. Des programmes mouchards auraient également été implantés dans des réseaux de l'armée russe, de la police mexicaine et des cartels de narcotrafiquants, des institutions européennes chargées des échanges commerciaux ou d'alliés tels que l'Arabie Saoudite, l'Inde et le Pakistan.
    Enfin, pour le futur, l'Agence nationale de sécurité américaine (NSA) cherche à créer un ordinateur quantique à même de décrypter presque n'importe quel code de sécurité, selon le Washington Post qui cite des documents divulgués par l'ancien consultant Edward Snowden. (...) En 2009, des informaticiens avaient certes réussi à découvrir les clés de cryptage d'un chiffre de 768 bits en utilisant des ordinateurs classiques. Mais il leur a fallu presque deux ans et des centaines de machines pour y parvenir, rappelle le Washington Post. Selon les experts, il est encore bien trop tôt pour dire quand un ordinateur quantique opérationnel pourra voir le jour et beaucoup doutent que la NSA soit sur le point de réussir toute seule dans son coin.» (Nouvel Observateur 15 janvier 2014)
    Et maintenant ?
    Le processus d'espionnage des «faibles» va reprendre dans l'ombre. Aux Etats-Unis, même avec le nouveau cadrage qui gère plus la forme que le fond, les rapports vont se construire sous la pression de l'opinion publique pour préserver avant tout et exclusivement la vie «privée» des citoyens américains. Si aux Etats-Unis avec les lois de plus en plus contraignantes Big Brother arrivera à savoir tout sur vous. Last but not least pour tous les autres, c'est la «liberté du renard dans le poulailler». les Européens protestent, les pays émergents tentent de trouver la parade, les autres, tous les autres ne savent même pas qu'ils sont espionnés. Personne ne croit à cette réforme cosmétique de la NSA qui est un état dans l'état. Julian Assange, leader de WikiLeaks, a dénoncé la vacuité du discours d'Obama. En gros Barack dit: «C'est notre intérêt de vous espionner donc on continuera au nom des Droits de l'Empire sur les vassaux et sur les esclaves. Exit les Droits de l'homme». De plus et comme le disait Jacques Chirac, "les promesses n'engagent que ceux qui y croient". Les Européens peuvent-ils faire autrement ? La question reste posée.
    *Ecole Polytechnique enp-edu.dz
    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/01/29/temp-413460ba15609a5e0ee5331c97e13adb-5284833.html

  • La « guerre civile » centrafricaine

    Source : Notes géopolitiques (ESC Grenoble)

    Une nouvelle fois, la République centrafricaine bascule dans l’anarchie et la violence. Si l’indifférence a initialement prévalu, elle a fait place à une résolution de l’ONU autorisant en décembre dernier le déploiement de l’armée française dans le cadre de l’opération Sangaris. Mais contrairement à l’intervention au Mali, cette opération ne semble pas soutenue par l’opinion. En cause, un mandat d’interposition ambitieux et un environnement complexe qui rend la compréhension de ses objectifs malaisée.

    « La RCA constitue un cas géopolitique singulier », prévient le professeur Patrice Gourdin dans un remarquable article du site Diploweb.com. La République centrafricaine vit depuis près de 55 ans à l’ombre des coups d’États, des mutineries et de la corruption, constituant tout à la fois un drame humanitaire et un sérieux défi de sécurité régionale. Incapable de contrôler son territoire et entourée de pays turbulents, la RCA est aujourd’hui plus qu’un État failli…

    Née en 1960 sur les décombres de l’Empire colonial français, la République centrafricaine correspond géographiquement à l’ancien Oubangui-Chari, un espace frontière très ancien assurant la transition entre l’Afrique noire et le monde arabe. Avec son indépendance, le pays ouvre « une longue période d’instabilité et de coups d’États, menés sous le regard du voisin tchadien, des autorités politiques françaises à Paris et des militaires français restés dans le pays », rapporte Jean-Christophe Victor. De la période Bokassa (1965-1979) à la transition assurée par Michel Djotodia (août 2013 – janvier 2014), la RCA n’est jamais parvenue ensuite à assurer une gouvernance politique stable et pérenne. Sur les plans socio-économiques, le bilan est également désastreux

    Enclavé, le pays est le 4e plus pauvre du monde. Pourtant, il ne manque pas d’atouts: eau, diamant, or, fer, uranium, cuivre, etc. Mais l’imbrication étroite entre intérêts publics et privés a eu raison de son développement. L’actuelle guerre civile s’inscrit dans cette chronologie d’un État toujours en quête de lui-même, d’un territoire instable, vulnérable à toutes les agressions.

    Retour sur la mécanique de la crise

    Les prémices de la crise actuelle apparaissent en mars 2013, avec le renversement du président François Bozizé suite à la prise de Bangui par les rebelles de la Séléka (alliance en sango). Ce mouvement récent est une coalition d’opposition hétéroclite constituée à la fois de petits partis politiques, de forces rebelles et de « coupeurs de route ». La caractéristique notable de la Séléka est sa coloration religieuse musulmane, alors que la République centrafricaine est à très forte majorité chrétienne. Partis du nord du pays, les rebelles prennent rapidement le contrôle du territoire, en dépit de l’interposition des Forces multinationales de l’Afrique centrale (FOMAC). Vainqueur sur le terrain, l’homme fort de la rébellion, Michel Djotodia, s’autoproclame président pour une période de transition et dissout la Séléka.

    Un nouvel acte s’ouvre avec le début des affrontements entre des partisans de l’ancien régime et les nouvelles autorités, d’abord dans la partie ouest de la RCA, puis un peu partout dans le pays. Beaucoup d’ex-rebelles refusent de désarmer et se livrent à de violentes exactions contre la population, principalement chrétienne. Ils sont rejoints « par des seigneurs de guerre centrafricains, tchadiens et soudanais », révèle Patrice Gourdin. Face à l’incapacité des forces sécuritaires à protéger la population, des milices d’autodéfense – les anti-balaka (anti-machette en sango) – organisent sa protection. Les affrontements entre ex-Séléka et anti-balaka, dont les victimes restent majoritairement des non-combattants, échappent à tout contrôle politique et plongent le conflit dans une dimension confessionnelle. Ce dernier aspect, lourd de menaces, est probablement la grande nouveauté dans un pays marqué jusqu’alors par des différends essentiellement ethniques.

    Fin 2013, la situation est telle qu’elle fait craindre à l’ONU un génocide. Le Conseil de sécurité adopte le 5 décembre une résolution autorisant le déploiement d’une Mission de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA). Sous la pression de la Communauté internationale, représentée pour l’essentiel par l’ancienne puissance coloniale française, Michel Djotodia démissionne le 10 janvier de ses fonctions. Il est remplacé dix jours plus tard par Catherine Samba-Panza. Mais les appels au cessez-le-feu ne sont pas entendus. Dès lors, le bilan ne cesse de s’alourdir: plusieurs milliers de morts, près de 500000 déplacés, la moitié du pays en situation d’insécurité alimentaire et un flot croissant de réfugiés dans les pays voisins.

    Quels intérêts français en Centrafrique ?

    Aux côtés des 5000 hommes de la MISCA, la France déploie environ 1600 militaires en RCA. L’opération Sangaris vise deux objectifs: rétablir une sécurité minimale dans le pays et faciliter la montée en puissance opérationnelle de la MISCA. La France honore ici à la fois son statut de membre du Conseil de sécurité de l’ONU et les liens particuliers qu’elle a développés avec la RCA depuis son indépendance. Les deux pays sont en effet liés par un accord de partenariat de défense depuis 1960. Dans ce cadre, « la France intervient donc à plusieurs reprises, en plus d’assurer de manière quasi-permanente depuis presque cinquante ans la formation et l’entraînement des forces armées centrafricaines », rappelle l’analyste Florent de Saint Victor pour le Centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) de l’Ecole militaire.

    À ces motivations d’ordre humanitaire et diplomatique s’ajoute la défense d’intérêts moins lisibles, mais néanmoins stratégiques. Paris cherche pour l’essentiel à « préserver une influence dans la région (une quarantaine de votes quasi automatiques africains aux Nations unies, la zone monétaire CFA et ses intérêts économiques). Il s’agit d’éviter que la Centrafrique ne se transforme définitivement en zone de non-droit entraînant les pays voisins dans une grave instabilité avec le risque de développement d’organisations islamistes radicales à la manière de Boko Haram dans le nord du Nigéria », analyse le colonel Michel Goya sur son blog La voie de l’épée.

    La RCA est en effet « au carrefour de nombreux mouvements de rébellions étrangers qui utilisent les zones grises frontalières depuis plusieurs décennies : Soudan (djandjawid), Sud Soudan et Ouganda (LRA), RDC, Congo, Tchad », rappelle Florent de Saint Victor. « Ces mouvements font des alliances de circonstance avec les différents gouvernements centrafricains qui se sont succédé, avec les rebelles centrafricains et avec les milices ethniques ou les malfrats, les braconniers et autres coupeurs de route qui sont particulièrement présents dans les parcs animaliers du Nord Est de la RCA et auprès des mines du Sud-ouest. » De la stabilité de la RCA dépend donc pour partie la stabilité du cœur de l’Afrique. Du Tchad à la République Démocratique du Congo, en passant par le Soudan et le Sud-Soudan, les risques et les logiques d’escalades ne manquent pas. D’autant que l’on assiste, ici aussi, à une forme de « cannibalisation de l’islam national par l’islam transnational », observent les auteurs de Centrafrique, pourquoi la guerre ? (Lavauzelle, 2014).

    L’échec des organisations internationales ?

    « Depuis la fin des années 1990, l’ONU est associée aux tentatives de stabilisation de la RCA », observe Patrice Gourdin. « Jusqu’à aujourd’hui [décembre 2013], de par le manque d’empressement des principaux États, les résultats ne sont guère probants ». Après le tournant de la crise à l’été dernier, un rapport des Nations Unies alerte la communauté internationale sur une situation jugée pré-génocidaire. La mise en œuvre de la MISCA, avec soutien militaire français, est alors décidée.

    Une tentative de plus vouée à l’échec ? Le journaliste Jacques Hubert-Rodier n’a-t-il pas raison de souligner « le jeu dangereux des interventions » (Les Échos, 27/01/2014), car « depuis la fin de la guerre froide, la quasi-totalité des interventions militaires des grandes puissances a abouti à un changement de régime sans parvenir toujours à stabiliser la situation » ?

    S’agissant de la République centrafricaine, la question de l’efficacité des grandes organisations internationales se pose d’évidence. Depuis 20 ans, les forces armées de RCA ont toujours dû être appuyées et soutenues par différents programmes de formation extérieurs, avec un succès des plus limités. Pire, il en va de même pour les contingents déployés dans le cadre des missions sous égide d’organisations africaines. Hier, ce fut les FOMUC, MISAB, FOMAC et autres MICOPAX ; aujourd’hui, la MISCA. La faiblesse des organisations régionales africaines s’explique par la mauvaise qualité de leur outil militaire, davantage conçu dans une optique clanique que nationale, mais également par le parti pris d’une partie des contingents des Etats membres. La RCA est ainsi l’otage du jeu des rivalités pour la puissance régionale auquel se livrent ses voisins – qui composent l’essentiel de la MISCA…

    De son côté, l’Union européenne peine à s’engager. L’annonce de l’envoi de 500 hommes n’est proportionnée ni à son poids militaire théorique, ni au défi de la situation sécuritaire sur place. Comme souvent, l’UE privilégie une aide sous la forme d’une contribution financière, en coordination avec celle de l’ONU. Ce choix portera-t-il plus de fruits que la multitude de contributions censée améliorer le sort de la RCA depuis des années? Il est permis d’en douter.

    Sans État ni réelle ossature politico-administrative, la République centrafricaine peut difficilement faire bon usage de cette aide. Et la France n’a pas vocation à la suppléer dans cette tâche. Rapportant l’analyse d’un ancien Premier ministre centrafricain, Patrice Gourdin estime que la faillite politique du pays est symptomatique de l’incapacité plus générale des chefs d’États africains à « gérer des territoires et des États hérités de la colonisation, qu’ils ont laissé sombrer en déliquescence, faute de conscience nationale et de préparation ».

    Si l’heure n’est pas à l’optimisme – le spectre d’un nouveau Rwanda n’étant toujours pas écarté -, il convient néanmoins de se féliciter de la mobilisation internationale et régionale. Il y a quelques semaines encore, la situation centrafricaine ne bénéficiait d’aucune priorité, et le règne de la barbarie semblait garanti. L’essentiel reste cependant à faire pour contribuer à une stabilisation durable du pays

     Pour aller plus loin

    http://theatrum-belli.org/la-guerre-civile-centrafricaine/

  • L’UEzi deux millions d’euros pour la censure !

    Christof Lehmann (nsnbc) - Selon une déclaration publiée par le parti conservateur pan-européen  MELD, la Commission européenne projette d’investir environ deux millions d’euros pour restreindre les reportages des médias critiques envers l’UE - ainsi que des opinions critiques de l’UE sur des réseaux sociaux tels que  Facebook et Twitter jusqu’aux élections au Parlement européen en 2014.

    Selon le MELD, l’UE projette des mesures, incluant des amendes pour les médias, obligeant les médias à publier des rétractations ou des corrections, et refusant les journalistes critiquant l’UE et l’accès aux médias. D’autres mesures que projettent les Commissaires de l’UE non-élus incluent le contrôle de voix critiques de l’UE dans les réseaux sociaux. Dans des annonces dans les journaux danois, le MELD déclare qu’il trouve les mesures projetées inacceptables et les considère comme une agression contre la liberté d’expression et anti-démocratiques.

    Les affirmations du MELD sont corroborées par un article du Daily Telegraph. Selon l’article, le Daily Telegraph a vu des propositions de dépense confidentielles et des documents internes, projetant une vaste campagne de propagande sans précédent en amont et au cours des élections au Parlement européen en 2014.

    Le Telegraph rapporte que l’une des clés de la stratégie sera « les outils de contrôle de l’opinion publique » et “identifier très tôt si les débats politiques parmi les followers sur les réseaux sociaux et les blogs ont le potentiel de susciter l’intérêt des médias et des citoyens”.

    Selon les propositions confidentielles de dépense, le journal britannique rapporte que le budget pour une « analyse qualitative des médias » doit être augmenté de £1.7 million. Alors que la plus grande partie des fonds doit être trouvée dans des budgets existants, il serait question de lever l’année prochaine 797,000 livres britanniques supplémentaires, et cela malgré des appels pour que les dépenses de l’UE reflètent l’austérité nationale. Selon la proposition confidentielle, rapporte leTelegraph, l’UE est censée porter une attention spéciale aux pays qui ont vécu un élan d’euro-scepticisme.

    “Les communicants institutionnels du Parlement doivent avoir la capacité de contrôler les conversations publiques et le ressenti sur le terrain et en temps réel pour comprendre les « sujets à la mode » et pouvoir réagir vite, d’une façon ciblée et pertinente pour se joindre à la conversation et en influencer le cours, par exemple en fournissant des faits et des chiffres pour déconstruire les mythes. »

    En dehors du MELD, Paul Nuttall, le député leader du UKIP, a critiqué les propositions. Selon Nuttall, la campagne transgresserait la neutralité de la fonction publique de l’UE en transformant les fonctionnaires en une « patrouille de trolls » épiant l’Internet pour réaliser des contributions politiques indésirables et superflues aux débats sur les réseaux sociaux.

    Selon le Telegraph, Nuttall a déclaré : “Dépenser plus d’un million de livres pour que les fonctionnaires de l’UE deviennent des trolls sur Twitter pendant leurs heures de bureau est un gaspillage et c’est vraiment ridicule.”  A part être ridicule, la campagne de propagande est la suite d’une tendance anti-démocratique et potentiellement dangereuse qui a été observée dans des états européens membres de l’OTAN depuis 2011.

    Au début du soi-disant Printemps Arabe en Libye et en Syrie, plusieurs rédacteurs en chef de médias indépendants, y compris le scribe, ont remarqué que les réseaux sociaux ont été inondés par une désinformation sur le rôle de l’OTAN dans les guerres contre la Libye et la Syrie pendant que quelques médias indépendants, y compris le site Web Stop NATO, sous la direction de Rick Rozoff, nsnbc no spin news, le blog qui a précédé nsnbc international, ont été suspendus pendant les journées cruciales de la campagne de l’OTAN contre le gouvernement libyen.

    Les projets de l’UE pour refuser l’accès des journalistes critiques aux briefings de presse et aux événements concernant les élections constituent une tentative de facto de manipuler l’opinion politique dans l’Union européenne. Les campagnes pour mettre les médias à l’amende sont susceptibles de cibler en particulier les médias qui critiquent les politiques de l’UE et constituent une attaque de la liberté de la presse. De plus, faire payer des amendes aux médias est particulièrement rude pour les médias indépendants qui ne perçoivent pas de subventions professionnelles ou gouvernementales.

    SourceAcseipica.blogspot.fr

    http://francelibre.tumblr.com/post/75080256058/luezi-deux-millions-deuros-pour-la-censure#.UutXSfYsRXY

  • France – Arabie saoudite : liaison dangereuse

    Des voix s'élèvent à Washington pour réexaminer les liens troubles entre Al-Qaïda et l'Arabie saoudite à propos du 11 septembre.

    Au moment où les États-Unis et la Russie démontrent qu’une sortie de crise pacifique est possible à propos de l’Iran, Paris choisit de s’aligner sur les positions bellicistes de l’Arabie saoudite face à la Syrie et l’Iran.
    Comment expliquer que la France qui, du général de Gaulle jusqu’à Jacques Chirac, avait maintenu séculairement notre tradition d’équilibre en politique étrangère, puisse aujourd’hui autant s’en écarter ?
    L’Arabie saoudite est certes le premier producteur et exportateur de pétrole mais elle est, avant tout, le cœur « nucléaire » d’un islam rigoriste, conquérant et même terroriste. Longtemps allié des États-Unis aux côtés d’Israël pour détruire les régimes arabes modernisateurs, le royaume wahhabite est, partout dans le monde, la source première de la radicalisation de l’islam. Tant que l’État profond saoudien et ses services secrets séviront, aucun islam apaisé ne pourra l’emporter dans le monde musulman, aucune tradition locale ne pourra tempérer le Coran et aucune paix véritable ne sera possible entre le monde islamique et les autres civilisations. L’État saoudien est responsable de l’implosion syrienne et des 130 000 morts qui en résultent, des décapitations de chrétiens par les hordes salafistes, comme il est sans doute derrière l’attentat de Volgograd en Russie.
    Est-ce donc avec ce pays qui coupe des mains d’enfants, réprime physiquement les homosexuels et réduit les femmes et les travailleurs immigrés à l’esclavage, que le « pays des droits de l’homme » entend refonder sa politique arabe au Moyen-Orient? J’ai toujours défendu la realpolitik et je ne ne suis pas un partisan de l’idéalisme en politique étrangère, mais il y a des limites au cynisme et au « court-termisme ». Or, avec l’Arabie saoudite, nous, Français, entrons en contradiction avec ce que nous sommes !
    Nous avons, au minimum, 6 millions de musulmans qui vivent sur le territoire français, dont l’immense majorité est sunnite. Voulons-nous que l’enchevêtrement économique de la France et de l’Arabie saoudite favorise la radicalisation des Français musulmans ? On ne peut pas faire la guerre contre le fondamentalisme islamique, soutenu par l’Arabie saoudite et le Qatar, au Mali et jusqu’en Centrafrique, et prétendre, en même temps, faire de Riyad notre meilleur allié au Moyen-Orient. Notre politique étrangère ne peut s’asseoir sur ce paradoxe intenable alors que bien d’autres choix sont possibles, à commencer par un retour en Iran, un pays bien plus prometteur sur le plan économique et humain.
    L’Iran a autant de pétrole (2e réserve mondiale) et bien plus de gaz (2e réserve mondiale) que l’Arabie saoudite ; c’est surtout un État multimillénaire solide qui se réformera quand l’Arabie saoudite, wahhabite dans ses fondements, ne pourra le faire. Avec la Russie, l’Iran est sans doute l’allié stratégique et énergétique naturel de l’Europe, sur le continent eurasiatique où la Chine de demain pèsera lourd.
    Les États-Unis sont en train de se dégager en douceur de l’alliance avec l’Arabie saoudite et ce n’est pas un hasard si, au même moment, des voix (Congrès, justice) s’élèvent à Washington pour réexaminer les liens troubles entre Al-Qaïda et l’Arabie saoudite à propos du 11 septembre. Il n’est pas impossible que les Américains « gardent au chaud » quelques révélations qui pourraient s’avérer bien embarrassantes pour la France lorsque celle-ci se sera enfoncée plus profondément et imprudemment encore dans l’alliance saoudienne…

    Aymeric Chauprade

    http://www.voxnr.com/cc/etranger/EFAEpEylukoLgdTnwq.shtml

  • Nation et nationalisme, Empire et impérialisme, dévolution et grand espace

    Communication au XXIVe Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991.
    Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis et camarades,
    Le thème de notre colloque d'aujourd'hui est à la fois intemporel et actuel.
    Actuel parce que le monde est toujours, envers et contre les espoirs des utopistes cosmopolites, un pluriversum de nations, et parce que nous replongerons tout à l'heure à pieds joints dans l'actualité internationale, marquée par le conflit, donc par la pluralité antagonistes des valeurs et des faits nationaux.
    Intemporel parce que nous abordons des questions que toutes les générations, les unes après les autres, remettent inlassablement sur le tapis. En traitant de la nation et du nationalisme, de l'Empire et de l'impérialisme, nous touchons aux questions essentielles du politique, donc aux questions essentielles de l'être-homme, puisque Aristote déjà définissait l'homme comme un zoon politikon, comme un être ancré dans une polis, dans une cité, dans une nation. Ancrage nécessaire, ancrage incontournable mais ancrage risqué car précisément il accorde tout à la fois profondeur, sens de la durée et équilibre mais provoque aussi l'enfermement, l'auto-satisfaction, l'installation, la stérilité.
    Devant le retour en Europe de l'Est et de l'Ouest d'un discours se proclamant nationaliste, il est impératif de comprendre ce double visage que peut prendre le nationalisme, de voir en lui cet avantage et ce risque, cette assurance que procure l'enracinement et ce dérapage qui le fait chavirer dans l'enfermement. Quant à la notion d'empire, elle a désigné au Moyen Âge le Reich centre-européen, sorte d'agence qui apaisait les conflits entre les diverses ethnies et les multiples corps qui le composait ; puis elle a désigné, sous Bonaparte, le militarisme qui tentait d'imposer partout en Europe des modèles constitutionnels marqués par l'individualisme bourgeois, qui méconnaissaient les logiques agrégatrices et communautaires des corps de métier, des « républiques villageoises » et des pays charnels ; ensuite, elle a désigné l'impérialisme marchand et thalassocratique de l'Angleterre, qui visait l'exploitation de colonies par des groupes d'actionnaires, refusant le travail parce que, lecteurs de la Bible, ils voyaient en lui une malédiction divine ; leur aisance, leur oisivité, ils la tiraient des spéculations boursières.
    Cette confusion sémantique, qui vaut pour le terme « nation » comme pour le terme «empire», il importe que nous la dissipions. Que nous clarifions le débat. C'est notre tâche car, volontairement, nous parions pour le long terme et nous refusons de descendre directement dans l'arène politicienne qui nous force toujours aux pires compromis. Si nous ne redéfinissons pas nous-mêmes les concepts, si nous ne diffusons pas nos redéfinitions par le biais de nos stratégies éditoriales, personne ne le fera à notre place. Et la confusion qui règne aujourd'hui persistera. Elle persistera dans le chaos et de ce chaos rien de cohérent ne sortira.
    Commençons par définir la nation, en nous rappelant ce qu'Aristote nous enseignait à propos du zoon politikon ancré dans sa cité. Le politique, qui est l'activité théorique surplombant toutes les autres activités de l'homme en leur conférant un sens, prend toujours et partout son envol au départ d'un lieu qui est destin. À partir de ce lieu se crée une socialité particulière, étayée par des institutions bien adaptées à ce paysage précis, forcément différentes des institutions en vigueur dans d'autres lieux. Nous avons donc affaire à une socialité institutionnalisée qui procure à sa communauté porteuse autonomie et équilibre, lui assure un fonctionnement optimal et un rayonnement maximal dans son environnement. Le rayonnement élargit l'assise de la socialité, crée le peuple, puis la nation. Mais cette nation, produit d'une évolution partie de l'ethnos originel, se diversifie à outrance au cours de l'évolution historique. En bout de course, nous avons toujours affaire à des nations à dimensions multiples, qui se déploient sur un fond historique soumis à tous les aléas du temps. Toute conception valide de la nation passe par une prise en compte de cette multidimensionalité et de ce devenir. Le peuple est donc une diversité sociologique qu'il faut organiser, notamment par le truchement de l'État.
    L'État organise un peuple et le hisse au rang de nation. L'État est projet, plan : il est, vis-à-vis de la concrétude nation, comme l'ébauche de l'architecte par rapport au bâtiment construit, comme la forme par rapport à la matière travaillée. Ce qui implique que l'État n'a pas d'objet s'il n'y a pas, au préalable, la concrétude nation. Toutes les idéologies statolâtriques qui prétendent exclure, amoindrir, juguler, réduire la concrétude, la matière qu'est la nation, sont des sottises théoriques. Le peuple précède l'État mais sans la forme État, il ne devient pas nation, il n'est pas organisé et sombre rapidement dans l'inexistence historique, avant de disparaître de la scène de l'histoire. L'État au service de la concrétude peuple, de la populité génératrice d'institutions spécifiques, n'est pas un concept abstrait mais un concept nécessaire, un concept qui est projet et plan, un projet grâce auquel les élites du peuple affrontent les nécessités vitales. L'État — avec majuscule — organise la totalité du peuple comme l'état — sans majuscule — organise telle ou telle strate de la société et lui confère du sens.
    Mais il est des États qui ne sont pas a priori au service du peuple : Dans son célèbre ouvrage sur la définition du peuple (Das eigentliche Volk, 1932), Max Hildebert Boehm nous a parlé des approches monistes du concept État, des approches monistes qui refusent de tenir compte de l'autonomie nécessaires des sphères sociales. Ces États capotent rapidement dans l'abstraction et la coercition stérile parce qu'ils refusent de se ressourcer en permanence dans la socialité populaire, dans la « populité » (Volkheit), de se moduler sur les nécessités rencontrées par les corps sociaux. Cette forme d'État coupée du peuple apparaît vers la fin du Moyen Âge. Elle provoque une rupture catastrophique. L'État se renforce et la socialité se recroqueville. L'État veut se hisser au-dessus du temps et de l'espace. Le projet d'État absolu s'accompagne d'une contestation qui ébauche des utopies, situées généralement sur des îles, elles aussi en dehors du temps et de l'espace. Dès que l'État s'isole de la socialité, il ne l'organise plus, il ne la met plus en forme. Il réprime des autonomies et s'appauvrit du même coup. Quand éclate la révolution, comme en France en 1789, nous n'assistons pas à un retour aux autonomies sociales dynamisantes mais à un simple changement de personnel à la direction de la machine État. Les parvenus remplacent les faisandés au gouvernail du bateau.
    C'est à ce moment historique-là, quand la nation concrète a périclité, que nous voyons émerger le nationalisme pervers que nous dénonçons. Le discours des parvenus est nationaliste mais leur but n'est pas la sauvegarde ou la restauration de la nation et de ses autonomies nécessaires, de ses autonomies qui lui permettent de rayonner et de briller de mille feux, de ses autonomies qui ont une dynamique propre qu'aucun décret ne peut régenter sans la meurtrir dangereusement. L'objectif du pouvoir est désormais de faire triompher une idéologie qui refuse de reconnaître les limites spatio-temporelles inhérentes à tout fait de monde, donc à toute nation. Une nation est par définition limitée à un cadre précis. Vouloir agir en dehors de ce cadre est une prétention vouée à l'échec ou génératrice de chaos et d'horreurs, de guerres interminables, de guerre civile universelle.
    Les révolutionnaires français se sont servis de la nation française pour faire triompher les préceptes de l'idéologie des Lumières. Ce fut l'échec. Les nationaux-socialistes allemands se sont servis de la nation allemande pour faire triompher l'idéal racial nordiciste, alors que les individus de race nordique sont éparpillés sur l'ensemble de la planète et ne constituent donc pas une concrétude pratique car toute concrétude pratique, organisable, est concentrée sur un espace restreint. Les ultramontains espagnols se sont servis des peuples ibériques pour faire triompher les actions du Vatican sur la planète. Les banquiers britanniques se sont servis des énergies des peuples anglais, écossais, gallois et irlandais pour faire triompher le libre-échangisme et permettre aux boursicotiers de vivre sans travailler et sans agir concrètement en s'abstrayant de toutes les limites propres aux choses de ce monde. Les jésuites polonais ont utilisé les énergies de leur peuple pour faire triompher un messianisme qui servait les desseins de l'Eglise.
    Ce dérapage de l'étatisme, puis du nationalisme qui est un étatisme au service d'une abstraction philosophique, d'une philosophade désincarnée, a conduit aux affrontements et aux horreurs de la guerre de Crimée, de la guerre de 1870, de la guerre des Boers, des guerres balkaniques et de la guerre de 1914. Résultat qui condamne les nationalismes qui n'ont pas organisé leur peuple au plein sens du terme et n'ont fait que les mobiliser pour des chimères idéologiques ou des aventures colonialistes. Inversément, cet échec des nationalismes du discours et non de l'action concrète réhabilite les idéaux nationaux qui ont choisi l'auto-centrage, qui ont choisi de peaufiner une socialité adaptée à son cadre spatio-temporel, qui ont privilégié la rentabilisation de ce cadre en refusant le recours facile au lointain qu'était le colonialisme.
    Pour sortir de l'impasse où nous ont conduit les folies nationalistes bellogènes, il faut opérer à la fois un retour aux socialités spatio-temporellement déterminées et il faut penser un englobant plus vaste, un conteneur plus spacieux de socialités diverses.
    Le Saint-Empire du Moyen Âge a été un conteneur de ce type. En langage moderne, on peut dire qu'il a été, avant son déclin, fédératif et agrégateur, qu'il a empêché que des corps étatiques fermés ne s'installent au cœur de notre continent. La disparition de cette instance politique et sacrée à la suite de la fatale calamité des guerres de religion a provoqué le chaos en Europe, a éclaté l'œkoumène européen médiéval. Sa restauration est donc un postulat de la raison pratique.
    À la suite des discours nationalistes fallacieux, il faut réorganiser le système des États européens en évitant justement que les peuples soient mobilisés pour des projets utopiques irréalisables, qu'ils soient isolés du contexte continental pour être mieux préparés par leurs fausses élites aux affrontements avec leurs voisins. Il faut donc réorganiser le continent en ramenant les peuples à leurs justes mesures. Ce retour des limites incontournables doit s'accompagner d'une déconstruction des enfermements stato-nationaux, où les peuples ont été précisément enfermés pour y être éduqués selon les principes de telle ou telle chimère universaliste.
    Le retour d'une instance comparable au Saint-Empire mais répondant aux impératifs de notre siècle est un vieux souhait. Constantin Frantz, le célèbre philosophe et politologue allemand du XIXe siècle, parlait d'une «communauté des peuples du couchant», organisée selon un fédéralisme agrégateur, reposant sur des principes diamétralement différent de ceux de la révolution française, destructrice des tissus sociaux concrets par excès de libéralisme économique et de militarisme bonapartiste.
    Guillaume de Molinari, économiste français, réclamait à la fin du XIXe siècle la construction d'un « marché commun » incluant l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la France, la Hollande, la Belgique, le Danemark et la Suisse. Il a soumis ses projets aux autorités françaises et à Bismarck. Lujo Brentano envisage à la même époque une union économique entre l'Autriche-Hongrie et les nouveaux États balkaniques. L'industriel autrichien Alexander von Peez, par un projet d'unification organique de l'Europe, entend répondre aux projets américains de construire l'Union panaméricaine, qui évincera l'Europe d'Amérique latine et amorcera un processus d'« américanisation universelle ».
    Gustav Schmoller affirme que toute politique économique européenne sainement comprise ne peut en aucun cas s'enliser dans les aventures coloniales, qui dispersent les énergies, mais doit se replier sur sa base continentale et procéder à grande échelle à une « colonisation intérieure ». Jäckh et Rohrbach théorisent enfin un projet de grande envergure : l'organisation économique de l'Europe selon un axe diagonal Mer du Nord/Golfe Persique. L'objectif de la théorie et de la pratique économiques devait être, pour ces deux économistes des vingt premières années de notre siècle, d'organiser cette ligne, partant de l'embouchure du Rhin à Rotterdam pour s'élancer, via le Main et le Danube, vers la Mer Noire et le Bosphore, puis, par chemin de fer, à travers l'Anatolie et la Syrie, la Mésopotamie et le villayat de Bassorah, aboutir au Golfe Persique. Vous le constatez, on retombe à pieds joints dans l'actualité. Mais, ce projet de Jäckh et de Rohrbach, qu'a-t-il à voir avec le thème de notre colloque ? Que nous enseigne-t-il quant au nationalisme ou à l'impérialisme ?
    Beaucoup de choses. En élaborant leurs projets d'organisation continentale en zones germanique, balkanique et turque, les puissances centrales de 1914 réévaluaient le rôle de l'État agrégateur et annonçaient, par la voix du philosophe Meinecke, que l'ère des spéculations politiques racisantes était terminée et qu'il convenait désormais de faire la synthèse entre le cosmopolitisme du XVIIIe siècle et le nationalisme du XIXe siècle dans une nouvelle forme d'État qui serait simultanément supranationale et attentive aux ethnies qu'elle englobe. L'Entente, porteuse des idéaux progressistes de l'ère des Lumières, veut, elle, refaire la carte de l'Europe sur base des nationalités, ce qui a fait surgir, après Versailles, une « zone critique » entre les frontières linguistiques allemande et russe.
    Nous découvrons là la clef du problème qui nous préoccupe aujourd'hui : les puissances porteuses des idéaux des Lumières sont précisément celles qui ont encouragé l'apparition de petits États nationaux fermés sur eux-mêmes, agressifs et jaloux de leurs prérogatives. Universalisme et petit-nationalisme marchent la main dans la main. Pourquoi ? Parce que l'entité politique impérialiste par excellence, l'Angleterre, a intérêt à fragmenter la diagonale qui s'élance de Rotterdam aux plages du Koweit. En fragmentant cette diagonale, l'Angleterre et les États-Unis de Wilson brisent la synergie grande-continentale européenne et ottomane de Vienne au Bosphore et de la frontière turque aux rives du Golfe Persique.
    Or depuis la chute de Ceaucescu en décembre 1989, tout le cours du Danube est libre, déverrouillé. En 1992, les autorités allemandes inaugureront enfin le canal Main-Danube, permettant aux pousseurs d'emmener leurs cargaisons lourdes de Constantza, port roumain de la Mer Noire, à Rotterdam. Un oléoduc suivant le même tracé va permettre d'acheminer du pétrole irakien jusqu'au cœur industriel de la vieille Europe. Voilà les raisons géopolitiques réelles de la guerre déclenchée par Bush en janvier dernier. Car voici ce que se sont très probablement dit les stratèges des hautes sphères de Washington :
        « Si l'Europe est reconstituée dans son axe central Rhin-Main-Danube, elle aura très bientôt la possibilité de reprendre pied en Turquie, où la présence américaine s'avèrera de moins en moins nécessaire vu la déliquescence du bloc soviétique et les troubles qui secouent le Caucase ; si l'Europe reprend pied en Turquie, elle reprendra pied en Mésopotamie. Elle organisera l'Irak laïque et bénéficiera de son pétrole. Si l'Irak s'empare du Koweit et le garde, c'est l'Europe qui finira par en tirer profit. La diagonale sera reconstituée non plus seulement de Rotterdam à Constantza mais du Bosphore à Koweit-City. La Turquie, avec l'appui européen, redeviendra avec l'Irak, pôle arabe, la gardienne du bon ordre au Proche-Orient. Les États-Unis, en phase de récession, seront exclus de cette synergie, qui débordera rapidement en URSS, surtout en Ukraine, pays capable de redevenir, avec un petit coup de pouce, un grenier à blé européen auto-suffisant.
        Alors, adieu les achats massifs de blé et de céréales aux États-Unis ! Cette synergie débordera jusqu'en Inde et en Indonésie, marchés de 800 millions et de 120 millions d'âmes, pour aboutir en Australie et en Nouvelle-Zélande. Un grand mouvement d'unification eurasienne verrait le jour, faisant du même coup déchoir les États-Unis, en mauvaise posture financière, au rang d'une puissance de second rang, condamnée au déclin. Les États-Unis ne seraient plus un pôle d'attraction pour les cerveaux du monde et on risquerait bien de voir s'effectuer une migration en sens inverse : les Asiatiques d'Amérique, qui sont les meilleurs étudiants d'Outre-Atlantique, retourneraient au Japon ou en Chine ; les Euro-Américains s'en iraient faire carrière en Allemagne ou en Italie du Nord ou en Suède. Comment éviter cela ? En reprenant à notre compte la vieille stratégie britannique de fragmentation de la diagonale ! Et où faut-il la fragmenter à moindres frais ? En Irak, pays affaibli par sa longue guerre contre l'Iran, pays détenteur de réserves pétrolières utiles à l'Europe ».
    La stratégie anglo-américaine de 1919, visant la fragmentation des Balkans et du Proche-Orient arabe et projetant la partition de la Turquie en plusieurs lambeaux, et la stratégie de Bush qui entend diviser l'Irak en trois républiques distinctes et antagonistes, sont rigoureusement de même essence. L'universalisme libéral-capitaliste, avatar des Lumières, instrumentalise le petit-nationalisme de fermeture pour arriver à asseoir son hégémonie.
    Au seuil du XXe siècle comme au seuil du XXIe, la necessité d'élargir les horizons politiques aux dimensions continentales ont été et demeurent nécessaires. Au début de notre siècle, l'impératif d'élargissement était dicté par l'économie. Il était quantitatif. Aujourd'hui, il est encore dicté par l'économie et par les techniques de communications mais il est dicté aussi par l'écologie, par la nécessité d'un mieux-vivre. Il est donc aussi qualitatif. L'irruption au cours de la dernière décennie des coopérations interrégionales non seulement dans le cadre de la CEE mais entre des États appartenant à des regroupements différents ou régis par des systèmes socio-économiques antagonistes, ont signifié l'obsolescence des frontières stato-nationales actuelles.
    Les énergies irradiées à partir de diverses régions débordent le cadre désormais exigu des États-Nations. Les pays riverains de l'Adriatique et ceux qui forment, derrière la belle ville de Trieste, leur hinterland traditionnel, ont organisé de concert les synergies qu'ils suscitent. En effet, l'Italie, au nom de la structure stato-nationale née par la double action de Cavour et de Garibaldi, doit-elle renoncé aux possibles qu'avaient jadis concrétisé l'élan vénitien vers la Méditerranée orientale ? La Sarre, la Lorraine et le Luxembourg coopèrent à l'échelon régional. Demain, l'axe Barcelone-Marseille-Turin-Milan fédèrera les énergies des Catalans, des Languedociens, des Provençaux, des Piémontais et des Lombards, en dépit des derniers nostalgiques qui veulent tout régenter au départ de Madrid, Paris ou Rome. Ces coopérations interrégionales sont inéluctables.
    Sur le plan de la politologie, Carl Schmitt nous a expliqué que le Grand Espace, la dimension continentale, allait devenir l'instance qui remplacera l'« ordre concret » établi par l'État depuis Philippe le Bel, Philippe II d'Espagne, François I, Richelieu ou Louis XIV. Ce remplacement est inévitable après les gigantesques mutations de l'ère techno-industrielle. Schmitt constate que l'économie a changé d'échelle et que dans le cadre de l'État, figure politique de la modernité, les explosions synergétiques vers la puissance ou la créativité ne sont plus possibles. Le maintien de l'État, de l'État-Nation replié sur lui-même, vidé de l'intérieur par tout un éventail de tiraillements de nature polycratique, ne permet plus une mobilisation holarchique du peuple qu'il n'administre plus que comme un appareil purement instrumental. Sa décadence et son exigüité appellent une autre dimension, non obsolète celle-là : celle du Grand Espace.
    Si le Grand Espace est la seule figure viable de la post-modernité, c'est parce qu'on ne peut plus se contenter de l'horizon régional de la patrie charnelle ou de l'horizon supra-régional de l'État-Nation moderne. L'horizon de l'avenir est continental mais diversifié. Pour pouvoir survivre, le Grand Espace doit être innervé par plusieurs logiques de fonctionnement, pensées simultanément, et être animé par plusieurs stratégies vitales concomitantes. Cette pluralité, qui n'exclut nullement la conflictualité, l'agonalité, est précisément ce que veulent mettre en exergue les différentes écoles de la post-modernité.
    Cette post-modernité du Grand Espace, animé par une pluralité de logiques de fonctionnement, condamne du même coup les monologiques du passé moderne, les monologiques de ce passatisme qu'est devenue la modernité. Mais elle condamne aussi la logique homogénéisante de l'impérialisme commercial et gangstériste des États-Unis et la monologique frileuse des gardiens du vieil ordre stato-national.
    Pour organiser le Grand Espace, de Rotterdam à Constantza ou le long de toute la diagonale qui traverse l'Europe et le Proche-Orient de la Mer du Nord au Koweit, il faut au moins une double logique. D'abord une logique dont un volet réclame la dévolution, le recentrage des énergies populaires européennes sur des territoires plus réduits, parce que ces territoires ne seront alors plus contraints de ne dialoguer qu'avec une seule capitale mais auront la possibilité de multiplier leurs relations interrégionales. Ensuite une logique qui vise l'addition maximale d'énergies en Europe, sur le pourtour de la Méditerranée et au Proche-Orient.
    L'adhésion à la nation, en tant qu'ethnie, demeure possible. Le dépassement de cet horizon restreint aussi, dans des limites élargies, celles du Grand Espace. L'ennemi est désigné : il a deux visages selon les circonstances ; il est tantôt universaliste/mondialiste, tantôt petit-nationaliste. Il est toujours l'ennemi de l'instance que Carl Schmitt appelait de ses vœux.
    Que faire ? Eh bien, il faut :
        Encourager les logiques de dévolution au sein des États-Nations
        Accepter la pluralité des modes d'organisation sociale en Europe et refuser la mise au pas généralisée que veut nous imposer l'Europe de 1993
        Recomposer la diagonale brisée par les Américains
        Organiser nos sociétés de façons à ce que nos énergies et nos capitaux soient toujours auto-centrés, à quelqu'échelon du territoire que ce soit
        Poursuivre la lutte sur le terrain métapolitique en s'attaquant aux logiques de la désincarnation, avatars de l'idéologie des Lumières.
    Pour conclure, je lance mon appel traditionnel aux cerveaux hardis et audacieux, à ceux qui se sentent capables de s'arracher aux torpeurs de la soft-idéologie, aux séductions des pensées abstraites qui méconnaissent limites et enracinements. À tous ceux-là, notre mouvement de pensée ne demande qu'une chose : travailler à la diffusion de toutes les idées qui transgressent les enfermements intellectuels, le prêt-à-penser.
    Je vous remercie.
    ► Robert Steuckers, Communication au XXIVe Colloque du GRECE, Paris, le 24 mars 1991.
    http://robertsteuckers.blogspot.fr/2014/01/nation-et-nationalisme-empire-et.html

  • Halte à l’impérialisme démocratique, par Jean Bonnevey

    Syrie – Centrafrique – Ukraine : la stratégie des bons sentiments.

    Il n’y a pas de révolution spontanée. La conférence de Genève prouve que la guerre civile syrienne est bien une guerre internationale. La reprise des émeutes en Ukraine montre l’extrémisme des manifestants sans nier la répression du régime. L’élection d’une femme à la présidence à Bangui ne gomme pas les racines religieuses et ethniques d’un bourbier africain.

    Dans chacun de ces conflits, l’occident atlantique a décrété le bien et le mal par rapport au dogme démocratique. Il se condamne à être partial et à n’avoir qu’une compréhension partielle des problèmes. Partout on reproduit les erreurs inexpiables du Rwanda ou de l’Irak et on ne tire leçon de rien. 

    Il aura fallu des mois à la communauté internationale pour convaincre la Coalition nationale syrienne (CNS), principal conglomérat de l’opposition syrienne à l’étranger, de se retrouver dans la même pièce que le régime syrien.
    Genève 2 est avant tout une tentative pour l’ONU et les grandes puissances de masquer leur incapacité à enrayer la descente aux enfers de la Syrie depuis près de trois ans. L’opposition très divisée au régime d’Assad veut obtenir un départ du pouvoir qu’il refuse et l’un des participants régional majeur du conflit, l’Iran, est exclu, ce qui est objectivement une erreur.

    Si les débats entre le régime syrien et l’opposition se dérouleront à huis clos à partir de vendredi, la séance d’ouverture de la conférence de paix sur la Syrie, baptisée Genève II, a permis de donner une idée plus précise de l’empoignade à venir. Et ceux qui spéculaient sur la bonne volonté de Damas pour négocier un transfert du pouvoir à une autorité de transition sont désormais fixés.

    En position de force sur le terrain face à une rébellion en proie à de graves querelles intestines, 1400 morts dans une guerre interne [des jihadistes] en un mois, le chef de la diplomatie syrienne a rejeté tout départ de Bachar el-Assad. En réponse au secrétaire d’État américain John Kerry, qui venait de rappeler que le président syrien ne ferait pas partie d’un gouvernement de transition, Walid Mouallem a répondu vertement : «Monsieur Kerry, personne au monde n’a le droit de conférer ou de retirer la légitimité à un président [...], sauf les Syriens eux-mêmes». Qui peut dire le contraire.

    En Ukraine, le gouvernement qui pensait avoir repris la main a commis une erreur. En promulguant la loi contre les rassemblements, il n’a fait que provoquer une radicalisation. Aujourd’hui, il est beaucoup plus difficile de maîtriser cette contestation du régime.

    De son côté, l’opposition est dépassée par la radicalisation du mouvement. Ils pensaient passer par la voie légale pour trouver une issue à la crise, mais ils se demandent s’ils ne vont pas être obligés de suivre les manifestants dans leur mouvement. C’est la légitimité du pouvoir qui est mise en cause, alors que Viktor Ianoukovitch vise clairement la réélection, notamment avec la signature des accords avec la Russie. La Russie est en fait l’objectif des occidentaux avec une volonté de diaboliser Poutine avant les Jeux Olympiques de Sotchi.

    Quand au Centrafrique, une femme est élue à la présidence pour la joie des journalistes femmes et féministes, dont acte, mais cela ne résoudra pas le fond du problème. Il est ailleurs. Dans ce pays, où la France est intervenue le 5 décembre, «nous avons sous-estimé l’état de haine et l’esprit revanchard, l’esprit de représailles», a admis le ministre français Le Drian. «Il y a un mandat des Nations unies qui prévoit en particulier que les forces africaines de la Misca se renforcent pour arriver à 6.000 militaires», a rappelé M. Le Drian. «Elles sont en train de se constituer, même si ça a pris un peu de temps, et je pense qu’avec l’arrivée des soldats rwandais et des soldats du Burundi, on aura là une force significative», a dit le ministre.

    Dans chaque cas les forces auto-proclamées du bien sous-estiment la haine des autres et font donc des analyses fausses aux conséquences terrifiantes pour les populations concernées. L’impérialisme démocratique est peut-être démocratique, mais c’est avant tout un impérialisme et le pire qui soit, celui de l idéologie au mépris des réalités.

    Jean Bonnevey

    Source : Metamag.

    http://fr.novopress.info/154207/halte-limperialisme-democratique-jean-bonnevey/#more-154207

  • Crise ukrainienne : entretien avec Xavier Moreau

    KIEV (NOVOpress) – Éditorialiste du site d’analyses de géopolitique www.realpolitik.tv, russophone, Saint-Cyrien et officier parachutiste, titulaire d’un DEA de relations internationales à Paris IV Sorbonne, Xavier Moreau vit et travaille à Moscou. A ce titre, il bénéficie d’un accès à des informations directes en provenance d’Ukraine, non déformées par le prisme des médias occidentaux. Il a bien voulu répondre aux questions de Novopress sur la crise que traverse l’Ukraine depuis de nombreuses semaines.

    Quelles sont les origines de la crise que traverse aujourd’hui l’Ukraine ?

    Les origines sont diverses. Du point de vue de l’Histoire européenne, le contrôle de l’Ukraine est un enjeu stratégique pour la Russie, la Pologne et l’Allemagne. Il est devenu, par la suite, un enjeu pour les États-Unis, dont l’idéologie géopolitique affirme la nécessité de contrôler la plaine ukrainienne, afin d’empêcher la puissance eurasiatique russe d’être européenne. A l’heure où les Américains se retirent d’Europe, chasser les Russes d’Ukraine éviterait une remise en cause trop rapide de l’hégémonie atlantiste. Ces différentes forces s’appuient sur les différentes composantes de l’Ukraine moderne, issues de la deuxième guerre mondiale.

    Les diplomaties américaine et allemande sont passées maîtresses dans l’art d’utiliser ces groupuscules (…)

    La non-signature de l’accord de coopération, qui n’apportait absolument rien à l’Ukraine, n’est bien sûr qu’un prétexte.

    Ces manifestations d’une opposition pro-européenne sont-elles à classer dans la série des révolutions de couleur qui ont secoué l’Europe centrale et orientale depuis le début des années 2000 ?

    Elles se rapprochent davantage des crises yougoslave ou syrienne. Les révolutions colorées sont arrivées à l’issu d’un processus électoral litigieux et avaient donc une légitimité, sans doute contestable, mais réelle. Dans le cas de l’Ukraine, il s’agit de déstabiliser un pouvoir légitime et démocratiquement élu aux moyens de bandes armées extrémistes. En Bosnie, au Kosovo et en Syrie, elles étaient composées d’islamistes, en Croatie et en Ukraine de fascistes. Les diplomaties américaine et allemande sont passées maîtresses dans l’art d’utiliser ces groupuscules, qui étaient d’ailleurs déjà présents en 2004 à Kiev. C’est à ce moment que nous avons commencé à parler de l’alliance orange/brune.

    Quelles sont les forces en présence ?

    Du côté du gouvernement légal et légitime, on trouve le Parti des Régions, qui s’appuie sur l’Ukraine de l’Est, fortement industrialisée et russophone, ainsi que sur la Crimée, qui est en fait une terre russe, donnée en cadeau à la République Socialiste Soviétique d’Ukraine en 1954 par Nikita Khrouchtchev. Le Parti des Régions est actuellement tiraillé entre les personnages qui composent son élite, et dont les intérêts divergent. C’est ce qui explique le marasme politique actuel.

    Du côté de l’opposition, nous trouvons le parti UDAR de Vitali Klitschko qui est une construction germano-américaine. Vitali Klitschko semble plein de bonne volonté, mais s’est révélé être un parfait imbécile. Son absence totale de sens politique lui fait exécuter sans nuance les consignes du département d’État américain. Il portera une grave responsabilité si le pays bascule dans la guerre civile.

    Nous trouvons également Arseni Iatseniouk, qui appartient à l’équipe de Yulia Timoshenko. Il est de ce fait bien moins légitime que Vitali Klitschko, dont l’honnêteté ne peut être remise en cause. Il est important de souligner, qu’aucun de ces deux membres de l’opposition ne sont véritablement reconnus par les manifestants. Vitali Klitschko s’est d’ailleurs adressé aux extrémistes ukrainiens dans sa langue natale qui est le russe. Vous pouvez imaginer leur réaction…

    Le troisième mouvement d’opposition est le parti fasciste « Svoboda », ancien parti social-national d’Ukraine, qui affiche un rejet radical de tout ce qui est russe ou russophone. Il est influent principalement dans l’extrême ouest de l’Ukraine autour de la Galicie. Dans son giron, s’affolent une galaxie de mouvements encore plus radicaux et sectaires, difficilement contrôlables, mais qui bénéficient, malgré leur antisémitisme affiché, du soutien des occidentaux (États-Unis, Union Européenne, Allemagne, Pologne…). Sans eux, le mouvement d’Euromaïdan aurait pris fin sans violence, dès le mois de décembre.

    Viktor Ianoukovytch a-t-il fait une erreur en proposant à l’opposition d’intégrer le gouvernement ukrainien ?

    Il essaie de jouer au plus fin, et veut vraisemblablement mettre en évidence l’inaptitude à gouverner de l’opposition et son incapacité à sortir l’Ukraine de cette crise. La véritable question est de savoir pourquoi Viktor Ianoukovytch laisse 2000 fascistes à Kiev – et quelques centaines en région – déstabiliser gravement l’Ukraine, alors que la légitimité et la légalité sont de son côté.

    Je pense qu’il y a deux raisons principales. La première est liée au caractère de Viktor Ianoukovytch, qui pour être franc, n’est pas quelqu’un de très courageux. Le politologue russe, Gleb Pavlovski, proche de Vladimir Poutine, avait d’ailleurs signalé la lâcheté du Président ukrainien en 2004. Bien qu’assuré du soutien russe, il avait préféré abandonné le pouvoir à Viktor Iouchtchenko‎, dont la victoire n’était pas plus certaine que la sienne.

    La deuxième raison n’est pas plus glorieuse. Viktor Ianoukovytch, aidé de ses fils, aurait passé les trois premières années de son quinquennat à rançonner les oligarques ukrainiens, y compris ceux qui l’ont aidé à être élu. Il se serait ainsi mis à dos nombre d’entre eux. La fortune colossale, ainsi accumulée par sa famille, pourrait être saisie dans le cadre de sanctions américaines ou européennes.

    Ce sont ces deux raisons qui expliquent le mieux, l’inaction du Président ukrainien. Quelle que soit l’issue de cette crise, le Parti des Régions doit changer de leader.

    Quelle issue voyez-vous à la crise ukrainienne ?

    C’est difficile à dire. L’enchainement des événements est révolutionnaire dans le sens où des groupes peu nombreux mais hyper violents affrontent un pouvoir faible. En revanche, tant que la police ou l’armée n’ont pas été retournées, le pouvoir en place peut reprendre la main en quelques jours face aux extrémistes de l’ouest. Cela ne se fera pas sans violence, ni-même sans morts, mais n’importe quel État d’Europe de l’Ouest n’aurait jamais permis l’envahissement de bâtiments ministériels, quitte à tirer sur des manifestants armés.

    Pourquoi la communauté européenne soutient-elle des manifestants pourtant ultra-violents ?

    Tout d’abord, il faut rappeler qu’en matière de politique étrangère, l’Union européenne est une chambre d’enregistrement des décisions prises par Washington et Berlin. Ce soutien aux groupuscules fascistes et antisémites n’est cependant pas étonnant. Le département d’État américain sait parfaitement bien que les leviers sur lesquelles il s’appuie habituellement (médias, partis libéraux ou sociaux-démocrates, minorités sexuelles…) ne sont pas suffisamment contrôlés ou influents pour faire basculer politiquement l’Ukraine. La solution est donc de lancer une campagne de déstabilisation de type révolutionnaire, et cela ne peut se faire qu’au moyen de l’un des quatre piliers traditionnels de l’influence américaine (trotskisme, fascisme, islamisme ou crime organisé). L’issue la plus favorable pour les révolutionnaires serait la mise en place d’un « gouvernement fasciste de transition », sur le modèle de ce qui s’est fait en Croatie, où un gouvernement social-démocrate a succédé à celui de Franco Tudjman et a fait rentrer le pays dans l’UE et dans l’OTAN.

    Dans le pire des cas, même s’il échoue, le gouvernement américain aura transformé l’Ukraine en champ de ruine, culpabilisant les Européens de ne pouvoir régler un conflit en Europe sans l’OTAN. C’est peut-être là que l’Allemagne et la Pologne hésiteront à suivre le jusqu’auboutisme américain, d’autant plus que contrairement aux années 90, la Russie soutiendra loyalement la partie russe et russophone. L’autre élément pourrait jouer en faveur du pouvoir légal est la multiplication des actes antisémites par les groupuscules fascistes. L’ambassade israélienne à Kiev a d’ailleurs lancé un appel au gouvernement ukrainien.

    Xavier Moreau, merci.

    Propos recueillis par Guy Montag pour Novopress

    http://fr.novopress.info/154173/crise-ukrainienne-entretien-xavier-moreau/#more-154173

  • Le silence et la trahison qui valaient 3 milliards de dollars

    Mais pourquoi donc l’Arabie saoudite a t-elle décidé d’équiper l’Armée libanaise de 3 milliards d’armement français, alors que durant les dernières semaines ses relais au Liban ne cessaient de dénoncer le slogan « Peuple-Armée-Résistance » et de mettre en cause la collusion entre militaires et Hezbollah ? Et si cette soudaine générosité était le prix du silence libanais, celui de l’oubli des centaines de victimes du terrorisme saoudien au pays du Cèdre, et de la trahison française de ses engagements au Proche-Orient ?

    La visite de François Hollande —accompagné de 30 patrons de grandes entreprises— en Arabie saoudite, les 29 et 30 décembre 2013, devait porter principalement sur des questions économiques et sur l’avenir de la Syrie et du Liban. Les questions de politique internationale devaient être discutées à la fois entre Français et Saoudiens, mais aussi en présence de leaders libanais, le président Michel Sleiman et l’ancien Premier ministre libano-saoudien Saad Hariri (considéré comme membre biologique de la famille royale), ainsi que le président de la Coalition nationale syrienne, le Syro-Saoudien Ahmad Assi Jarba [1]

    Au cours de la visite, l’Arabie saoudite annonça soudainement offrir 3 milliards de dollars d’armement français à l’Armée libanaise. Cette générosité intervient hors du calendrier pré-établi, alors qu’une conférence internationale doit, en février ou mars, collecter de l’argent pour le Liban en général et son armée en particulier. Jamais le Liban n’avait reçu un tel don.

    L’annonce a été faite solennellement par le président libanais, Michel Sleiman. Ce général, qui était devenu chef d’état-major de l’Armée libanaise pour que d’autres n’accèdent pas à ce poste, a été imposé président pour les mêmes raisons par la France et le Qatar. Son élection par le Parlement est anticonstitutionnelle (article 49 [2]) et ses fonctions ne lui furent pas remises par son prédécesseur, mais par l’émir du Qatar. Lors de son intervention télévisée au peuple libanais, le président Sleiman se réjouit du « makrouma » royal, c’est-à-dire du don que le souverain avait fait à son serviteur et, de manière incongrue, il conclut par un « Vive l’Arabie saoudite ! ».

    Cette annonce a été vivement saluée par l’ancien Premier ministre Saad Hariri qui s’est efforcé d’y voir le premier pas vers un futur désarmement du Hezbollah.

    La décision de Riyad ne peut que surprendre : en effet, au cours des derniers mois, le camp pro-saoudien du 14-Mars, Saad Hariri en tête, n’a cessé de critiquer la proximité entre l’Armée et le Hezbollah.

    Dans les jours suivants, une vaste campagne d’affichage sur les murs de Beyrouth célébrait l’amitié entre le Liban et l’Arabie saoudite, qualifiée de « Royaume du Bien » (sic).

    À vrai dire, cette affaire n’a aucun sens.

    Pour la comprendre, il aura fallu attendre quelques jours.

    Le 1er janvier 2014, soit quatre jours après l’annonce saoudienne, on apprenait que l’Armée libanaise avait arrêté Majed al-Majed, un ressortissant saoudien chef des Brigades Abdallah Azzam, une branche d’Al-Qaida au Liban.

    Mais on apprenait un peu plus tard que cette arrestation avait eu lieu grâce à une alerte de l’Agence de renseignement de la Défense états-unienne (DIA), le 24 décembre. Washington avait alors informé l’Armée libanaise que Majed al-Majed venait d’être hospitalisé pour subir une dialyse. L’Armée libanaise fut rapide à le localiser à l’hôpital Makassed, et l’aurait arrêté lors de son transport en ambulance vers Ersal, le 26 décembre, c’est-à-dire trois jours avant l’annonce saoudienne.

    Durant plus d’une semaine, l’arrestation du leader d’Al-Qaida au Liban fut un secret d’État. Le Saoudien était officiellement recherché par son pays pour terrorisme, mais officieusement il était considéré comme un agent des services de renseignement saoudiens placé sous les ordres directs du prince Bandar Ben Sultan. Il avait reconnu publiquement avoir organisé de nombreux attentats, dont celui contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth, le 19 novembre 2013, qui avait fait 25 morts. C’est pourquoi, l’Armée libanaise informa Riyad et Téhéran de sa prise.

    Parmi les affaires intéressant le Liban, Majed el-Majed joua un rôle important dans l’organisation d’une armée jihadiste, le Fatah al-Islam.
    En 2007, ce groupe tenta de soulever les camps palestiniens du Liban contre le Hezbollah et de proclamer un émirat islamique au Nord du pays. Cependant, son commanditaire, l’Arabie saoudite, le laissa tomber sans préavis à la suite d’une rencontre entre le président Ahmadinejad et le roi Abdallah. Furieux, les jihadistes se présentèrent eux-mêmes en armes à la banque des Hariri pour y être payés. Après quelques affrontements, ils se replièrent au camp de Nahr el-Bared, dont l’Armée libanaise fit le siège. À l’issue de plus d’un mois de combats, le général Chamel Roukoz [3] donnait l’assaut et les écrasait. Durant cette guerre anti-terroriste, l’Armée libanaise perdit 134 soldats [4].

    Majed al-Majed était en contact personnel, direct et secrets, avec de nombreux dirigeants politiques arabes et occidentaux. Devant les enquêteurs, il a eu le temps de confirmer son appartenance aux services secrets saoudiens. Il est clair que ses aveux pouvaient être de nature à bouleverser la politique régionale. Particulièrement s’il avait incriminé l’Arabie saoudite ou le 14-Mars libanais.

    Le vice-président de la Commission parlementaire iranienne de la Sécurité nationale évoquait une proposition saoudienne de 3 milliards de dollars pour ne pas enregistrer les aveux de Majed al-Majed et pour l’extrader vers Riyad [5]. Le quotidien Al-Akhbar, avançait que le détenu était de toute manière en danger de mort et risquait d’être supprimé par ses commanditaires pour s’assurer qu’il ne parle pas [6].

    Le lendemain de cet éditorial, l’Armée libanaise annonçait sa mort. Le corps de Majed el-Majed était autopsié, mais contrairement à la procédure pénale, par un seul médecin. Celui-ci concluait à un décès des suites de sa maladie. Sa dépouille était transférée en Arabie saoudite et enterrée en présence de sa famille et de celle des Ben Laden.

    L’Iran exige des explications plus claires du Liban sur l’arrestation et la mort de Majed al-Majed. Mais sans trop d’insistance car le président Rohani tente par ailleurs de se rapprocher de l’Arabie saoudite.

    C’est la sixième fois que le chef d’une organisation terroriste pro-saoudienne opérant au Liban échappe à la justice. Ce fut ainsi le cas de Chaker Absi, d’Hicham Kaddoura, d’Abdel Rahmane Awadh, d’Abdel Ghani Jawhar et plus récemment d’Ahmad al-Assir.

    Quoi qu’il en soit, si le roi Abdallah a bien déboursé 3 milliards de dollars, bien peu arriveront à l’Armée libanaise.
    - Premièrement, cette somme inclut traditionnellement les « libéralités » royales à ceux qui ont servi le souverain. Ainsi, conformément au Protocole, le président Michel Sleiman a t-il immédiatement reçu, à titre personnel, 50 millions de dollars, et le président François Hollande une somme proportionnelle à sa fonction, dont on ignore le montant ainsi que s’il l’a acceptée ou non. Le principe saoudien de la corruption s’appliquera identiquement à tous les dirigeants et hauts-fonctionnaires libanais et français qui ont participé et participeront à la transaction.
    - Deuxièmement, l’essentiel de la somme sera versé au Trésor public français, charge à la France de transférer au Liban des armes et de la formation militaire. Il s’agit là de la rétribution de l’engagement militaire secret de la France, depuis 2010, pour fomenter des troubles en Syrie et renverser l’alaouite Bachar el-Assad que le Serviteur des Deux Saintes Mosquées ne peut accepter comme président d’une terre à majorité musulmane [7]. Cependant, comme il n’existe pas de catalogue des prix, Paris évaluera selon son bon vouloir ce que représente cette donation. De même que Paris choisira le type d’armes et de formation qu’il donnera. D’ores et déjà, il n’est pas question de fournir de matériel qui puisse ultérieurement être utilisé pour résister efficacement à l’ennemi principal du Liban, Israël.
    - Troisièmement, si cet argent n’est pas fait pour aider l’Armée à défendre le pays, c’est qu’il est destiné au contraire à la diviser. L’Armée libanaise était jusqu’ici le seul corps à la fois intègre et multi-confessionnel du pays. Les formations qui seront dispensées par la France viseront à « franciser » les officiers, plus qu’à leur transmettre un savoir-faire. L’argent restant sera utilisé à construire de belles casernes et à acheter de belles voitures de fonction.

    Toutefois, la donation royale risque de ne jamais parvenir du tout au Liban. En effet, selon l’article 52 de la Constitution [8], pour être perçu, le don doit être approuvé d’abord par le Conseil des ministres, puis soumis au Parlement. Or, le cabinet démissionnaire de Najib Mikati ne s’est pas réuni depuis 9 mois et n’a donc pas pu transmettre cet accord au Parlement pour qu’il le ratifie.

    Présentant l’accord aux Libanais, le président Michel Sleiman a cru bon de préciser, sans qu’on lui demande, que les négociations de Riyad n’ont aucunement porté sur un possible ajournement de l’élection présidentielle et une prorogation de son mandat, ni sur la composition d’un nouveau gouvernement. Cette précision fait sourire, tant il est évident que ces points étaient au centre des discussions.

    Le président s’est engagé auprès de ses interlocuteurs saoudiens et français à former un gouvernement de « technocrates », sans chiites, ni druzes, et à l’imposer au Parlement. Le terme « technocrate » s’applique ici à de hauts-fonctionnaires internationaux qui ont fait leur carrière à la Banque mondiale, au FMI etc. en montrant leur docilité à la doxa états-unienne. Il faut donc comprendre que le gouvernement sera composé de pro-US, dans un pays où la majorité résiste à l’Empire. Mais ne peut-on pas se trouver une majorité au Parlement avec 3 milliards de dollars ?

    Malheureusement, le prince Talal Arslane, héritier des fondateurs de la principauté du Mont-Liban au XIIe siècle et président du Parti démocratique, a immédiatement pris à parti le président Sleiman en lui rappelant que, conformément à l’Accord de Taëf [9], l’Exécutif est aujourd’hui le monopole du Conseil des ministres [10] et que celui-ci doit refléter la composition confessionnelle du pays [11]. Dès lors, un gouvernement de technocrates constitue une violation de cet accord et le président Sleiman serait considéré comme un putschiste, indépendamment de sa capacité à corrompre le Parlement.

    L’affaire ne se termine probablement pas là : le 15 janvier, l’Armée libanaise arrêtait dans un raid à la frontière syrienne, Jamal Daftardar, un des lieutenants de Majed al-Majed.

    Le président François Hollande sera certainement désolé de l’échec de son homologue libanais à vendre son pays pour 50 millions de dollars, mais vu de Paris, la seule chose qui compte c’est la répartition des 2 995 000 000 dollars restants.

    [1] Ahmad Assi Jarba est membre de la tribu bédouine des Chamar, dont le roi Abdallah est issu. Avant les événements, il avait été condamné pour trafic de drogues en Syrie. Les Chamar sont des nomades qui évoluent dans le désert d’Arabie et de Syrie.

    [2] « Les magistrats et les fonctionnaires de la première catégorie ou son équivalent dans toutes les administrations publiques, établissements publics et toute autre personne morale de droit public ne peuvent être élus au cours de l’exercice de leur fonction et durant les deux années qui suivent la date de leur démission et de la cessation effective de l’exercice de leur fonction ou de la date de leur mise à la retraite. »

    [3] Le général Roukoz, sans aucun doute le militaire le plus prestigieux du Liban, aurait dû être nommé chef d’état-major. Mais il se trouve être le gendre du général Michel Aoun, président du Courant patriotique libre, allié au Hezbollah.

    [4] « Le dossier des mercenaires du Fatah al-Islam est clos », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 27 août 2007.

    [5] “S. Arabia Offers $3bln to Lebanon In Return for Infamous Terrorist”, Fars News, 4 janvier 2014.

    [6] “Don’t Let Majed al-Majed Be Killed” par Ibrahim al-Amin, Al-Akhbar (version anglaise publiée le 4 janvier 2014).

    [7] Depuis la signature du Traité de Lancaster House, la France et le Royaume-Uni sont intervenus en Libye et en Syrie pour y organiser de pseudos-révolutions et en renverser les États. Toutefois, l’opération syrienne s’avérant être un échec, Londres s’en est retirée, tandis que Paris continue à soutenir activement la « Coalition nationale » dirigée par le Saoudo-syrien Ahmad Assi Jarba.

    [8] « Le Président de la République négocie les traités et les ratifie en accord avec le Chef du gouvernement. Ceux-ci ne seront considérés comme ratifiés qu’après accord du Conseil des ministres. Le Gouvernement en informe la Chambre des députés lorsque l’intérêt du pays et la sûreté de l’État le permettent. Les traités qui engagent les finances de l’État, les traités de commerce et tous les traités qui ne peuvent être dénoncés à l’expiration de chaque année ne peuvent être ratifiés qu’après l’accord de la Chambre des députés. »

    [9] « Accord de Taëf », Réseau Voltaire, 23 octobre 1989.

    [10] « Le Conseil des ministres représente le pouvoir exécutif »

    [11] « Tout pouvoir qui contredit la charte de vie commune est illégitime et illégal ».