géopolitique - Page 887
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PALESTINE
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De tout et de rien
La semaine de Pierre Lanoe (3)
Sur Gaza
Gaza me pose problème…
Bien sûr, la solidarité contre l’agression israélienne s’impose.
Mais mon enthousiasme d’hier pour la résistance de ce petit territoire s’est bien amoindrie.
Entre temps le Hamas a pris partie en faveur des assassins qui sont à l’œuvre en Syrie et a été chercher ses soutiens au Qatar, en Égypte et en Arabie saoudite…
D’où cette situation étrange de voir s’affronter à Gaza deux camps qui ont le même allié et qui sont ailleurs des alliés objectifs.
Si l’on doit se mobiliser et se battre pour faire connaître une résistance populaire, incontestablement ce n’est plus celle de Gaza qui doit avoir prioritairement nos suffrages, mais celle du peuple syrien regroupé derrière son gouvernement légitime.
Tarek Oubrou
Le recteur de la mosquée de Bordeaux a acordé à L’Express un entretien des plus intéressant.
Il n’est pas inutile d’en citer quelques extraits :
« En partant des réalités concrètes qui l'entoure. Il faut que les musulmans puissent accorder leurs gestes à leur foi sans perturber le fonctionnement de la société par des revendications outrancières, quitte à renoncer à une certaine visibilité. Le "tout ou rien" est néfaste et aboutit à une voie sans issue, qui alimente la peur chez les non-musulmans. On est musulman lorsqu'on a la foi; c'est la grâce de Dieu qui sauve. Les pratiques cultuelles, elles, sont aménageables. Les prières peuvent être effectuées après le travail, par exemple, ou le jeûne du ramadan reporté en cas de maladie. Le vrai problème concerne les comportements qui relèvent de l'éthique personnelle et qui sont devenus des marqueurs pour beaucoup de musulmans: manger halal, porter le voile... Avec le halal, nous ne sommes pas dans le sacré. Le fidèle a seulement pour obligation d'alléger au maximum la souffrance de l'animal. Quant au voile, je n'ai trouvé aucun texte qui oblige la femme à se couvrir la chevelure. Le combat que les musulmans ont mené pour le port du voile me désole, parce qu'il donne une image négative de la façon dont l'islam perçoit la femme. Cette tendance à tout ritualiser conduit certains fidèles à parler plus de la pratique que de Dieu lui-même! » (…)
Les imams sont malheureusement souvent les ventriloques des associations qui les salarient et qui sont tenues le plus souvent par des migrants de la première génération. Ces associations ne veulent pas d'imams intellectuels mais des imams venus du bled, qui ne leur coûte pas cher, ne font pas de vagues, et qui maintiennent le statu quo théologique. » (…)
« L'engagement dans la société: voilà l'antidote à l'esprit de victimisation si répandu dans la communauté musulmane. » (…)
« Il n'existe pas d'islam de France, mais un islam maghrébin de France. »
Décès de Pino Rauti
A l’âge de 86 ans, Pino Rauti s’est éteint le 2 novembre dernier à son domicile romain. Si en Italie, le décès à fait le une de tous les quoitidiens et si sa mémoire a été honorée par toute les familles de la droite italienne (même Gianfranco Fini qui le combattit pourtant pendant de longues années lui a rendu hommage), en France la nouvelle est passée inaperçue ou presque. Pourtant, Rauti eut dans notre pays, durant les années 1960/1980, une influence intellectuelle non négligeable et son combat servit d’exemple à bien des militants français (ainsi, par exemple, Ordre nouveau, le fameux mouvement nationaliste des années 1970, emprunta son nom à l’organisation extra-parlementaire Ordine nuovo qu’il dirigeait alors).
Le lendemain de sa mort le quotidien La Republica a écrit qu’il « représentait le fascisme de gauche qui s’opposait au fascisme de droite incarné par Giorgio Almirante, puis par Gianfranco Fini. Idéologiquement, il prônait la socialisation des grandes entreprises et il se revendiquait d’un anticapitalisme et d’un tiers-mondisme issus de sa conception du fascisme. » Même si elle n’est pas tout à fait exacte (Rauti affirmant clairement qu’il ne se « sentait pas néofasciste car le fascisme est mort, il appartient à l’histoire et ne peut être ressuscité »), cette présentation permet de comprendre le Pino Rauti des années 1970/1990 qui fut le leader d’une version italienne du nationalisme-révolutionnaire européen. Mais l’homme était complexe et sa vision du monde traditionaliste fit qu’il fut aussi, paradoxalement, un grand réactionnaire… et que sa longue vie politique et militante connut plusieurs retournements.
Le FMI craint une révolution sociale
Dans une note rédigée pour le récent sommet du G20, les experts du FMI expriment leurs doutes sur l’efficacité de l’action de la BCE en Grèce face au « risque que l’austérité ne devienne politiquement et socialement intenable ».
Une même crainte est apparue dans le journal La Tribune qui, faisant sa une sur « l’Euro est sauvé… et alors ? » explique que, au vu des manifestations qui se multiplient en Espagne, au Portugal, en Grèce, « le danger d’une révolte sociale et politique ne doit pas être pris à la légère ».
Si seulement c’était vrai ! http://www.voxnr.com -
La guerre qui se profile au Sahel sous la loupe d'Hubert Vedrine
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Retour de la géopolitique et histoire du concept : l'apport d'Yves Lacoste
Conférence prononcée à l'Université de Hanovre en avril 1994
Le thème de mon exposé est de vous donner cet après-midi un "panorama théorique de la géopolitique" et d'être, dans ce travail, le plus concis, le plus didactique ‹et peut-être, hélas, le plus schématique‹ possible. Un tel panorama nécessiterait pourtant plusieurs heures de cours, afin de n'omettre personne, de pouvoir citer tous les auteurs qui ont travaillé cette discipline et ont contribué à son éclosion et à son expansion.
Le temps qui m'est imparti me permet toutefois de ne me concentrer que sur l'essentiel, donc de me limiter à trois batteries de questions, qui se posent inévitablement lorsque l'on parle de géopolitique aujourd'hui.
1. Questions générales : Pourquoi le géopolitique a-t-elle été tabouisée pendant autant de temps ? Cette tabouisation trouve-t-elle son origine dans le fait que certaines autorités (politiques ou intellectuelles) non censurées sous le Troisième Reich aient été influencées par les écrits de Haushofer ? Quelles sont les différences entre géopolitique, géostratégie et géographie politique ? La géopolitique est-elle véritablement une démarche scientifique ? Cette série de question, le géopolitologue français ‹néologisme introduit par le général Pierre-Marie Gallois qui entend éviter de la sorte la connotation péjorative que l'on attribue parfois au mot ³politicien²‹ Yves Lacoste se l'est posée : nous nous référerons à ses arguments, d'autant plus qu'un copieux Dictionnaire de géopolitique vient de sortir de presse à Paris sous sa direction.
2. Histoire du concept : Avant que l'on ne parle explicitement de géopolitique, existait-il une ³conscience géopolitique² implicite ? Pratiquait-on un politique spatiale équivalente à la géopolitique ? Dans quelle mesure César, quand il conquiert la Gaule, bat les Vénètes (1), bloque Arioviste et les tribus helvètes, installe la nouvelle frontière sur le Rhin (2), fait une incursion en Britannia, a-t-il le sens de l'espace, possède-t-il un Raumsinn, au sens où l'entendait Ratzel ? Comment les intellectuels de l'antiquité, du moyen-âge, de la renaissance et des temps modernes, conceptualisaient-il cette politique de l'espace, que nous renseignent les sources à ce sujet ? En compagnie du Général Pierre-Marie Gallois nous allons procéder à une brève enquête dans les écrits des grands prédécesseurs des géopolitologues du 19ième et du 20ième siècles. L'enquête de Pierre-Marie Gallois constitue une excellente introduction à l'histoire du concept de géopolitique, mais le chercheur ne saurait s'en contenter : un recours à toutes les sources s'avèrent impératif, y compris une exploration complète de celles que mentionne la Zeitschrift für Geopolitik de Haushofer, notamment pour l'impact de Herder (3).
3. Enfin, quelles sont les théories fondamentales des géopolitologues conscients, qui utilisent le terme ³géopolitique² dans l'acception que nous lui connaissons toujours aujourd'hui ? Quelles sont les étapes les plus importantes dans le développement de leur pensée ? Qu'ont-ils appris des événements historiques qui se sont succédé ? Comment ont-ils réussi ou n'ont-ils pas réussi à moduler théorie et pratique ?
1. Yves Lacoste et le retour de la géopolitique en France.
Qui est Yves Lacoste ? D'abord un géographe qui a travaillé sur le terrain. Ainsi, en 1957, il fait paraître une étude remarquable sur l'Afrique du Nord (4), qui ne reçoit pas l'accueil qu'elle aurait mérité, sans doute parce que l'engagement social et socialiste de l'auteur est extrêmement sévère à l'encontre de la politique coloniale française et même à l'égard de la politique de protectorat menée par Lyautey (5) au Maroc. Aujourd'hui, Yves Lacoste enseigne à Paris et dirige le CRAG (Centre de Recherches et d'Analyses Géopolitiques). En 1976, il a fondé la revue Hérodote (6), où transparaît encore son engagement humaniste de gauche, mais atténué par rapport à celui du temps de la guerre d'Algérie. Hérodote publie régulièrement des dossiers bien documentés sur les grandes aires géographiques de notre planète (aires islamiques, sous-continent indien, océans, Mitteleuropa, Balkans, Asie du Sud-Est, URSS/CEI, etc.). Face à ces initiatives, dont l'ancrage initial était à gauche, Marie-France Garaud, candidate malheureuse à la présidence en 1981, publie la revue illustrée Géopolitique, disponible en kiosque. Le géopolitologue Hervé Coutau-Bégarie, dont l'œuvre est déjà considérable (7), écrit surtout dans Stratégique. Enfin, à Lyon, le professeur Michel Foucher (8) dirige un institut de géopolitique et de cartographie très productif. On découvre des cartes émanant de cet institut dans des revues grand public tel l'hebdomadaire de gauche Globe (9) ou le journal des industriels L'Expansion (10). Michel Foucher est aussi un spécialiste de l'étude de la genèse des frontières, une discipline qu'il qualifie du néologisme d'"horogénèse".
La dernière grande production d'Yves Lacoste est un Dictionnaire de géopolitique, où il récapitule ses théories et ses définitions de la géopolitique, de la géostratégie, de la "géographicité", etc., dans un langage particulièrement clair et didactique. Son mérite est d'avoir réhabilité en France le concept de géopolitique et d'avoir levé l'interdit qui frappait ce mot et cette discipline depuis 1945.
Dessiner des cartes
Comment Lacoste justifie-t-il cette réhabilitation ? Examinons sa démarche. ³Géographie² signifie étymologiquement ³dessiner la terre², autrement dit, dessiner des cartes. Or les cartes sont soit des cartes physiques (indiquant les fleuves, les montagnes, les lacs, les mers, etc.) soit des cartes politiques, indiquant les résultats finaux de la ³géographie politique². Les cartes poli-tiques nous montrent les entités territoriales, telles qu'elles sont et non pas telles qu'elles sont devenues ou telles qu'elles devraient être. Elles n'indiquent ni l'évolution antérieure réelle du territoire ni l'évolution ultérieure potentielle, que voudrait éventuellement impulser une volonté politique. Les cartes politiques indiquent des faits statiques et non pas des dynamiques. Selon ce raisonnement, les cartes physiques relèvent de la géographie, les cartes politiques de la ³géographie politique². La géopolitique, elle, dessine des cartes indiquant les mouvements de l'histoire, les fluctuations passées, susceptibles de se répéter, etc.
Surtout après la seconde guerre mondiale, rappelle Lacoste dans son Dictionnaire, on a assisté à l'émergence d'un débat épistémologique, pour savoir quels critères différenciaient fondamentalement la géographie et la géopolitique. La première affirmation dans la corporation des géographes universitaires a été de dire que seule la géographie était ³scientifique² ; la géopolitique, dans cette optique, n'était pas scientifique parce qu'elle était spéculative, stratégique donc subjective, visionnaire donc irrationnelle. Mais cette affirmation de la scientificité de la géographie fait éclore une série de problèmes, implique les nœuds de problèmes suivants:
- la géographie est une science hyper-diversifiée;
- plusieurs dimensions de la géographie ne sont pas encore définitivement fixées ou n'ont jamais pu être enfermées dans un cadre délimité ;
- les facteurs humains jouent en géographie politique un rôle considérable ; or tous les facteurs humains qui influent sur la géographie possèdent nécessairement une dimension stratégique, tournée vers l'action, mue par des mobiles irrationnels (gloire, vengeance, désir de conversion religieuse, avidité matérielle, etc.);
- les géographes, même ceux qui se montrent hostiles à la géopolitique, sont contraints d'opérer une distinction entre ³géographie physique² et ³géographie humaine/politique², prouvant ainsi que l'hétérogénité de la géographie entraîne la nécessité d'une approche plurilogique dans l'appréhension des faits géographiques ;
- la géographie humaine/politique est donc une science de la terre, telle qu'elle a été transformée et marquée par l'homme en tant que zoon politikon.
La géographie humaine/politique ouvre la voie à la géopolitique proprement dite en révélant ses propres dimensions stratégiques. Les frontières entre la géographie et la géopolitique sont donc poreuses.
³La géographie, ça sert à faire la guerre²
Le constat de cette porosité confère un statut très hétérogène à la géographie d'aujourd'hui. Aspects physiques et aspects humains se chevauchent constamment, si bien que la géographie en vient à devenir la science qui examine le dimension spatiale de tous les phénomènes. Dans ce contexte, Lacoste pose une question provocante mais qui n'est justement provocante que parce que nous vivons dans une époque qui est idéologiquement placée sous le signe de l'irénisme (= du pacifisme). Et cette question provocante est celle-ci : pourquoi l'homme, ou plus exactement l'homo politicus, l'homme qui décide (dans un contexte toujours politique), le souverain, fait-il dessiner des cartes par des géographes qui sont toujours des ³géographes du roi² ? Depuis 3000 ans en Chine, depuis 2500 ans dans l'espace méditerranéen avec Hérodote, on dessine des cartes pour les rois, les empereurs, les généraux, les stratèges. Pourquoi ? Pour faire la guerre, répond Lacoste. Malgré son engagement constant dans les rangs de la gauche française, Lacoste écrit un livre qui porte cette question comme titre : La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre. Automatiquement, il met un point final à l'ère irénique dans laquelle les géographes avaient baigné.
La géographie, au départ, sert donc à dresser des cartes qui sont autant de ³représentations opératoires². Mais celui qui a besoin de ³représentations opératoires² et s'en sert, spécule aussi (et automatiquement) sur la modalité éventuelle future que prendra la volonté de son adversaire ou de son concurrent. L'objet de cette spéculation est donc une volonté, qui comme toutes les volontés à l'œuvre dans le monde, n'est pas par définition rationnelle et a même des dimensions irrationnelles et subjectives. La géographie devient ainsi un savoir qui a une pertinence politique, qui est destiné à l'action. La géographie, en tant que science, implique qu'il y ait Etat, Staatlichkeit.
Géographie et pédagogie populaire
Par ailleurs, Lacoste insiste sur la nécessité de répandre la géographie dans le peuple par la voie d'une ³pédagogie populaire², qui communiquerait l'essentiel par des méthodes didactiques, dont les ³cartes suggestives² (11). Cette volonté de pédagogie populaire a conduit à la création de sa revue Hérodote. Lacoste se réfère explicitement aux géographes prussiens, serviteurs pédagogiques de leur Etat : Ritter (12), Humboldt (13), Ratzel (14). En Angleterre, à la suite de ces modèles allemands (15), Halford John Mackinder (1861-1947) travaille pour que l'Université d'Oxford se dote à nouveau d'une chaire de géographie : elle n'en avait plus depuis la disparition de celle de Hakluyt au XVIième siècle (16). En France, après 1870, la propagande en faveur du retour de l'Alsace et de la Lorraine conduit à l'édition de livres pour la jeunesse, où deux jeunes Alsaciens voyagent en ³France de l'Intérieur², apprenant de la sorte à connaître les innombrables facettes de ce pays de plaine et alpin, atlantique et méditer-ranéen, continental et maritime, etc.
Mais le principal modèle de Lacoste reste le géographe Elisée Reclus (1830-1905), militant libertaire engagé dans l'aventure de la Commune de Paris (1871), théoricien d'un anarchisme humaniste, contraint à vivre en exil à Bruxelles où il enseignera à l'³Université nouvelle², pionnière de méthodes d'enseignement nouvelles à l'époque (17). L'engagement militant de Reclus l'a conduit à être ostracisé par sa corporation. Son œuvre était considérée à l'époque comme de la pure spéculation dépourvue de scientificité. Aujourd'hui, les géographes doivent bien reconnaître que ses travaux sont une véritable mine de renseignements précieux. La pédagogie populaire prussienne et britannique, les livres de jeunesse mettant en scène deux garçons alsaciens en France, l'œuvre de Reclus, prouvent, selon Lacoste, que toute tentative visant à extirper la dimension stratégique-subjective dans l'étude de la géographie est une démarche non politique voire anti-politique. La dimension militante, celle de l'engagement, comme chez Reclus, revêt également une importance primordiale, qu'il est vain de s'obstiner à ignorer. Face à ces tentatives de réduction, Lacoste parle de ³régression épistémologique², surtout à notre époque, où les historiens ont élargi le regard qu'ils portent sur leur domaine en amplifiant considérablement le concept d'³historicité². Lacoste regrette que les géographes, eux, au contraire, ont rétréci leur regard, leur propre concept de ³géographicité².
Nomomanie
Lacoste déplore également la domination de la ³nomomanie² : la plupart des géographes veulent édicter des lois et des normes, ce qui, en bout de course, s'avère impossible dans une science aussi hétérogène que la géographie. Les lois, les constantes, se chevauchent et s'imbriquent sans cesse, sont soumises aux mutations perpétuelles d'un monde toujours en effervescence, in Gärung, auraient dit les géographes de l'école de Haushofer (18). Les faiblesses de la géopolitique française, estime Lacoste, c'est la timidité, le manque d'audace, de la plupart des géographes qui n'ont pas osé spéculer aussi audacieusement que Haushofer. Il nous donne deux exemples dans son Dictionnaire de géopolitique :
a) Le géographe Paul Vidal de la Blache (1845-1918) (19), dont l'œuvre était considérée comme rigoureusement scientifiques par ses pairs, a dû assister au boycott de son ouvrage patriotique sur l'Alsace-Lorraine, précisément parce qu'il trahissait un engagement. Les géographes ont boudé ce livre.
b) Le géopolitologue suisse Jean Bruhnes (1869-1930) (20) était également considéré comme un éminent scientifique, sauf pour son livre Géographie de l'histoire, de la paix et de la guerre (1921), jugé trop ³stratégique², donc trop ³subjectif².
Pour Lacoste, l'Allemand Karl Ernst Haushofer (1869-1946) et le Suédois Rudolf Kjellén (1864-1922), de même que certains de leurs homologues et élèves allemands, ont connu un plus grand retentissement en matière de ³pédagogie populaire². Lacoste admire chez Haushofer la capacité de dessi-ner et de publier des cartes suggestives claires.
Après la seconde guerre mondiale, le monde des géographes universitaires retombe dans la nomomanie, trahit une nouvelle timidité face à la spéculation, l'audace conceptuelle et la rigueur pratique de la stratégie. Mais, l'œuvre de Lacoste le prouve, cette nomomanie et cette réticence ont pris fin depuis quelques années. D'où, il lui paraît légitime de poser la question : quand cette mise à l'écart systématique de la géopolitique a-t-elle pris fin ? Pour lui, le retour des thématiques géopolitiques dans le débat en France est advenu au moment du conflit entre le Vietnam et le Cambodge en 1978.
L'URSS contre la Chine, le Vietnam contre le Cambodge
J'aurais tendance à avancer cette date de six ans pour le monde anglo-saxon. En effet, lorsque Washington, sous la double impulsion de Nixon et de Kissinger, se rapproche de Pékin, en vue d'encercler l'URSS et de rompre totalement et définitivement la solidarité entre les deux puissances communistes, la solidarité idéologique cède le pas au jeu de la puissance pure, à l'intérêt géopolitique. Les Etats-Unis ne se préoccupent plus du régime intérieur de la Chine : ils s'allient avec elle parce que l'ennemi principal, à cette époque, est l'URSS. Même raisonnement côté chinois : l'allié est américain, même s'il est capitaliste, contre le Russe communiste qui menace la frontière nord et masse ses divisions le long du fleuve Amour. En 1978, en France, quand le Cambodge reçoit le soutien de la Chine contre le Vietnam, allié de Moscou et incité par les Soviétiques à prendre les Chinois à revers, le raisonnement de Pékin saute aux yeux : il encercle le Vietnam qui participe à l'encerclement de la Chine. Le Cambodge doit prendre Hanoi à revers. La pure gestion de l'espace prend donc le pas sur la fraternité idéologique ; le communisme n'est plus monolitihique et le monde n'est plus automatiquement divisé en deux camps homogènes. À Paris, où beaucoup d'intellectuels s'étaient positionnés, à la suite de Sartre, pour un communisme existentialiste, pur, parfaitement idéal, ce fractionnement du camp communiste est vécu comme un traumatisme.
En 1979, la guerre en Afghanistan rappelle d'anciennes inimitiés dans la région, à l'époque où l'Empire britannique tentait de contenir l'avance des Russes en direction de l'Océan Indien. En avril 1979, la BBC explique le conflit par une rétrospective historique qui n'était pas sans rappeler les leçons de Homer Lea au début du siècle (21). De 1980 à 1988, la guerre entre l'Iran et l'Irak remet à l'ordre du jour toute l'importance géostratégique du Golfe Persique (22). Ces événements tragiques rendent à nouveau légitimes les interrogations géopolitiques.
Depuis, l'édition française est devenue très féconde en productions géopolitiques. La géopolitique est désormais totalement réhabilitée en France. Les fonctionnaires et les étudiants peuvent accéder à un savoir géopolitique pratique et prospectif, le capilariser ensuite de façon diffuse dans tout le corps social.
2. La pensée prégéopolitique
Pour le Général Gallois, la pensée pré-géopolitique commence dès l'attention que porte le stratège militaire au climat sous lequel doivent évoluer ou manœuvrer ses troupes, puis aux relations qui s'instituent entre un peuple donné et un climat donné. Chez Aristote, la pensée prégéopolitique s'exprime très densément dans une phrase en apparence anodine : "Un territoire possède des frontières optimales quand il permet à ses habitants de vivre en autarcie". In nuce, nous percevons là déjà toute la problématique du grand espace (chez Haushofer et Carl Schmitt), de l'économie à l'échelle continentale (chez Oesterheld) (23), et, celle, élaborée sous le IIIième Reich, de l'autonomie alimentaire (Nahrungsfreiheit) dans les travaux de Herbert Backe (24), de l'héritage théorique en économie de Friedrich List (25) et du problème crucial des monocultures et des cultures vivrières dans le tiers-monde.
En Chine, rappelle Gallois, Sun Tsu nous livre une pensée pré-géopolitique dans ses réflexions sur le climat et sur la ³géomorphologie de l'espace conflictuel². Dans le monde arabe, Ibn Khaldoun (1332-1406) insiste lui aussi sur l'importance des facteurs climatiques. Il ajoute des réflexions pertinentes sur la dialectique Ville/Campagnes, en opposant des cités sédentaires, vectrices de civilisation, à des campagnes où règnent les tribus nomades. Ni l'Afrique saharienne ni les ³steppes de Scythie² ne peuvent faire l'histoire ou créer la civilisation car leur immensité et leur quasi ³anécouménité² rendent ce travail patient de la culture urbaine précaire sinon impossible. Sont seules vectrices de civilisation les ³bandes latitudinales² où se concentrent les écoumènes parce que leurs territoires sont fertiles et variés. Ibn Khaldoun amorce aussi ce jeu d'admiration et de rejet de l'urbanisation, que l'on retrouvera chez Ratzel ou chez Spengler. Autre idée lancée pour la première fois : une trop grande extension de l'empire ou de l'aire civilisationnelle conduit à son déclin et à son effondrement. Ibn Khaldoun a en tête la disparition précoce de l'empire arabe des débuts de l'Islam. Aujourd'hui, cette notion d'³hypertrophie impériale² a été relancée par Paul Kennedy dans The Rise and Fall of the Great Powers. L'œuvre d'Ibn Khaldoun reste une référence pour les géopolitologues.
Machiavel (1469-1527) évoque la nécessaire unité de l'Etat, de frontières optimales et/ou naturelles. Ses vues seront étoffées et complétées par Bodin, Montesquieu et Herder, qui les replacera dans une perspective organique.
3. L'essentiel de l'œuvre des géopolitologues conscients
L'ère des géopolitologues conscients démarre avec Halford John Mackinder, dont le regard, dit Gallois, est celui un ³satellite². En effet, la vision de Mackinder, bien que ³mercatorienne², est un regard surplombant jeté sur la Terre. Le Français Chaliand, auteur d'atlas géostratégiques récents, juge ce regard trop horizontal et, en ce sens, ³prégaliléen²; mais peut-on reprocher ce regard prégaliléen à un Mackinder qui élabore l'essentiel de sa théorie en 1904, quand les Pôles arctique et antarctique n'ont été ni découverts ni explorés, quand l'aviation militaire n'existe pas encore et ne peut donc franchir l'Arctique en direction du heartland sibérien? Du temps de Mackinder, effectivement, le centre-nord et le nord de la Sibérie sont inaccessibles et inexpugnables, l'arme mobile des thalassocraties, soit les fameux ³dreadnoughts² des cuirassiers britanniques, ne peut atteindre ces immensités continentales. Si les puissances maritimes sont maîtresses de la meilleure mobilité de son temps, les puissances continentales sont handicapées par la lenteur des communications par terre. Mackinder et ses collègues des écoles de guerre britanniques craignent la rentabilisation de ces espaces par la construction de lignes de chemin de fer et le creusement de canaux à grand gabarit. Voies ferroviaires et canaux augmentent considérablement la mobilité continentale et permettent de mouvoir de grosses armées en peu de temps.
Pour la géostratégie anglo-saxonne de Mackinder, la réponse aux canaux en construction et aux chemins de fer transcontinentaux (en l'occurrence transsibériens) est le ³containment², stratégie concrétisée par la création d'alliances militaires, telles l'OTAN, l'OTASE, etc.. Pour Spykman, disciple américain de Mackinder pendant la deuxième guerre mondiale, le maître du monde est celui qui contrôle les ³rimlands² voisins du ³heartland². De sa relecture de Mac-kinder, Spykman déduit les principes suivants, toujours appliqués mutatis mutandis par les stratèges et diplomates américains contemporains :
- Diminuer toujours la puissance des grands Etats du rimland au bénéfice des petits Etats (c'est la raison pour laquelle, par exemple, les petits États de l'UE bénéficient proportionnellement de davantage de sièges au Parlement de Strasbourg que les grands Etats).
- Spykman constate qu'il y a désormais un ³front arctique², ce qui oblige les géopolitologues à modifier complètement leur cartographie ; ce sera l'œuvre de géographes français comme Chaliand et Foucher.
- Implicitement, l'œuvre de Spykman vise à contrer toute unification eurasiatique, telle que l'on imaginée un Troubetzkoï en Russie, de même qu'un Staline quand il rentabilise les zones industrialisables de la Sibérie et le fameux ³triangle de Magnitogorsk², un Prince Konoe au Japon (26). La raison pratique de cette hostilité permanente à toute forme de concentration de puis-sance sur la masse continentale eurasienne est simple : l'Amérique ne pourrait survivre en tant que grande puissance dominatrice sur la planète si elle devait faire face à trois côtes océaniques hostiles à son expansion (pacifique, atlantique et arctique). L'Amérique serait ainsi condamnée à végéter sur son territoire et son appendice ibéro-américain risquerait de se tourner vers l'Europe, par fidélité culturelle hispanique, latine et catholique.
Conclusion : depuis la plus haute antiquité chinoise, quand les géographes et stratèges de l'Empereur commençaient à dresser des cartes pour faire la guerre, jusqu'aux réflexions et corrections actuelles, les notions de la géopolitique ne sont jamais caduques, même si elles peu-vent s'effacer pendant quelque temps. Aujourd'hui, un ensemble de questions que l'on avait pensées obsolètes, reviennent à l'avant-plan et au grand galop. Ce sont les suivantes :
- Les projets pantouraniens et eurasiens des géopolitologues russes, turcs et allemands.
- La chute du Rideau de Fer remet à l'avant-plan l'axe danubien en Europe, reliant par voie fluviale la Mer du Nord à la Mer Noire, au-delà de toute immixtion possible d'une puissance mari-time contrôlant la Méditerranée. La liaison fluviale Rotterdam/Constantza et maritime (Mer Noire) Constantza/Caucase, plus l'accès, via cette même Mer Noire, au trafic des grands fleuves russes et ukrainiens, implique une formidable synergie euro-russe, accroissant formidablement l'indépendance réelle des peuples européens. Tout ralentissement de cette synergie est une manœuvre anti-européenne et russophobe.
- La création de barrages sur le Tigre et l'Euphrate, la neutralisation de la Mésopotamie par la Guerre du Golfe, la raréfaction concomittante de l'eau au Proche-Orient sont des facteurs potentiels d'effervescence et de conflits, aux-quels il s'agit d'être très attentif.
- La montée en puissance économique du Japon suscite une question, d'ailleurs déjà posée par Shintaro et Ishihara (27): l'Empire du Soleil Levant peut-il dire ³non² (à l'Amérique) et commencer des relations privilégiées avec la Russie et/ou l'Inde ?
- L'Océan Indien, tout comme au temps de la splendeur de l'Empire britannique, reste une zone génératrice de surpuissance pour qui le contrôle ou d'indépendance pour les riverains, s'il n'y a pas une grande puissance thalassocratique capable de financer le contrôle du grand arc terrestre et maritime, partant du Cap pour atteindre Perth en Australie.
Karl Haushofer disait que le monde était en effervescence. Le gel des dynamiques pendant la guerre froide et l'illusion pacifiste ont pu faire croire, très provisoirement, à la fin de cette effervescence. Il n'en est rien. Il n'en sera jamais rien.
Robert Steuckers [Synergies Européennes, Vouloir, Mai, 1997] -
Mali : l’indécision française peut-elle déboucher sur la création d’un « Sahélistan » ?
Au mois de janvier 2012, au Mali, la résurgence d’une crise née au moment des indépendances, imposait de fixer l’abcès afin d’éviter sa dissémination et pour ensuite le traiter en profondeur à travers trois volets :- Politique, en prenant en compte la légitime revendication des populations nordistes, notamment celle des Touareg,- Diplomatique, en faisant comprendre à l’Algérie que si ses intérêts régionaux n’étaient à l’évidence pas ceux de la France, les nôtres ne s’effaceraient pas devant les siens,- Militaire, en appuyant les Touareg contre les groupes islamiques qui, à l’époque, totalisaient moins de 300 combattants qui avaient commis l’erreur de sortir de la clandestinité désertique pour se rassembler à Gao et à Tombouctou.Au lieu de cela, dans la plus totale indécision doublée d’un manque absolu de vision géostratégique, la France :- S’est réfugiée à l’abri du principe de l’intangibilité des frontières,- A cédé devant les exigences algériennes de non intervention,- A camouflé sa pusillanimité derrière l’argument d’une « action » de la CEDEAO, ce « machin », ce « volapuk », cette tour de Babel, dont l’efficacité militaire relève de la méthode Coué,- A laissé les islamistes liquider militairement les Touareg.Le résultat de cette addition de démissions décisionnelles est qu’un incendie limité pouvant être rapidement éteint, notamment au moyen d’une de ces opérations « discrètes » que nos forces savent encore si bien mener, est aujourd’hui devenu un foyer régional de déstabilisation. En effet :1) Le Mnla ayant été militairement défait et repoussé vers la frontière algérienne, les islamistes qui ne risquent plus d’être pris à revers sur leur flanc nord ont désormais toute la profondeur saharienne pour manœuvrer. Quant à leur flanc ouest, il semble également s’ouvrir car au sein des tribus arabes de Mauritanie, certains, de plus en plus nombreux, commencent à se poser des questions…2) Sur le flanc oriental la situation leur devient également de plus en plus favorable car le chaos en retour se fait sentir en Libye où tout le sud du pays est mûr pour devenir un nouveau Mali. Quant au sud de la Tunisie, la contamination y a largement commencé.3) La contagion n’est plus qu’une question de temps au Tchad et au Darfour cependant qu’un continuum fondamentaliste est en passe de s’établir avec les islamistes de Boko Haram du nord Nigeria.Ainsi donc, le « Sahélistan », fantasme il y a encore quelques mois, devient-il peu à peu réalité. L’une de ses forces est qu’il s’agit d’une résurgence historique ramenant directement aux jihad sahéliens du XIX° siècle qui enflammèrent la totalité de la région depuis le Soudan à l’Est jusqu’au Sénégal à l’Ouest[1]. Or, l’islamisme sahélien de 2012 s’abreuve à cette « fontaine de rêve » fermée par la colonisation. Comment cette réalité inscrite dans la longue durée peut-elle être comprise par des journalistes ou des politiciens esclaves de l’immédiateté et de leur inculture ? Comment pourrait-elle l’être par ces « africanistes » élyséens dont la principale activité semble être de torpiller les informations que les militaires font « remonter » depuis le terrain ?Dans le Sahel, au cœur de ce qui fut notre « pré carré », ceux qui inspirent la politique de la France ont donc laissé s’écrire le même scénario que celui que nous avons connu dans la région des Grands Lacs et qui peut être exposé en quatre points :1) Une erreur d’analyse reposant sur la priorité donnée aux postulats idéologiques aux dépens des réalités géographiques, anthropologiques et historiques.2) L’absence de toute véritable stratégie de défense.3) Le tropisme de l’abandon de nos alliés ou amis.4) La place laissée libre à des acteurs extérieurs. Dans le cas présent, l’Algérie et les Etats-Unis qui attendent le moment propice pour intervenir, mais à leur manière. Les conséquences de l’incompétence hexagonale seront alors camouflées sous l’alibi facile de « complot anglo-saxon » contre les intérêts français...Alors que tout ce qui se passe dans la zone concernée nous est connu, alors que nous savons tout, et au-delà, de ceux qui la déstabilisent, alors que nous y disposons de tous les réseaux utiles, alors enfin que, parfaitement immergées, nos forces auraient pu rapidement « régler » le problème, l’Elysée a laissé la situation lui échapper.Faut-il s’en étonner quand la tête de l’Etat dodeline entre indécision et repentance ?Bernard Lugan http://bernardlugan.blogspot.fr23/11/12
[1] Voir à ce sujet les pages 431-452 ainsi que les cartes de mon Histoire de l’Afrique des origines à nos jours. 1246 pages, Ellipses, 2010. L’ouvrage peut être directement commandé ici.
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Bataille pour l’Arctique
Depuis quelques mois, flambée des prix des hydrocarbures et crise alimentaire en vue, les spectateurs avisés auront noté la hausse substantielle de dépêches d’actualité concernant la zone arctique. Ce n’est pas une surprise, après les ressources Opep, l’off-shore russe, l’Arctique représente la 3e et dernière étape d’extraction énergétique, avant le basculement aux « techniques d’extractions avancées » (EOR).
Certains prédisent déjà aujourd’hui que l’Arctique, plus que le Heartland, représentera le théâtre de conflit majeur du XXIe siècle.
Comme l’expliquait très bien Krauss Clifford, journaliste et membre du CFR (Think Tank très profondément Atlantiste), « les différends territoriaux concernent les États du monde entier, mais c’est bien en Arctique que les experts s’attendent à voir le plus de conflits » (Krauss Clifford, The New York Times, oct. 2005).
L’Arctique est la région entourant le pôle Nord de la Terre, aux abords du cercle polaire Nord. L’Arctique inclut le Groenland (territoire autonome du Danemark), une partie du Canada, de la Russie, des Etats-Unis (Alaska), de l’Islande, de la Norvège, de la Suède, de la Finlande et la totalité de l’océan Arctique. Le nom Arctique vient du grec ancien ἄρκτος (árktos) qui signifie ours. Il est intéressant de noter qu’on ne trouve les ours polaires que sur la "Terre des Ours" (Arctique) et pas en Antarctique. Si cette région du Nord, au-delà du cercle polaire, couvre 8 % de la superficie du globe, elle ne compte qu’à peine 1 % de la population mondiale. Les trois quarts des habitants sont en Russie.
Dès la fin de la guerre froide, les pays riverains de l’Arctique (Russie, Canada, Norvège, Danemark, Etats-Unis) constituent trois grandes instances de coopération régionale :
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le Conseil de l’Arctique créé en 1996 sur une initiative canadienne, réunissant les huit États arctiques et les populations autochtones, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Pologne ;
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la Coopération de Barents décidée le 11 janvier 1993 à la suite d’une initiative norvégienne. Son but est de favoriser les contacts entre les individus de la région de Barents, ainsi que son développement économique. Le Conseil euro-arctique de la mer de Barents réunit les ministres des Affaires étrangères des six pays membres et de la Commission européenne. La France a le statut d’observateur ;
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le Conseil des Etats de la mer Baltique (CEMB), créé en 1992, réunit les pays riverains de la mer Baltique. Le Conseil, par son intitulé, favorise les coopérations inter-arctique en rapprochant ses membres de la Russie notamment.
La région arctique, dans laquelle vivent entre deux et quatre millions de personnes, s’est transformée ces dernières années en pomme de discorde entre les Etats riverains. Et il y a de quoi : ce territoire de seulement 1,2 million de km² de fonds marins contiendrait tout simplement 25 % des réserves mondiales d’hydrocarbures !
Pour résoudre les tensions, lors de la dernière réunion du conseil de l’Arctique les Etats ont confirmé le maintien des accords issus de la convention des Nations unies de Montego Bay (CMB) du 10 décembre 1982, sur le droit de la mer qui a permis la création de la ZEE et surtout la théorie des secteurs (qui définit tout territoire sans maître adjacent comme le prolongement naturel d’un territoire étatique. Cette théorie réserve aux seuls Etats dotés d’un littoral sur l’Arctique la souveraineté des terres émergées de cet océan). Ses dispositions donnent encore lieu à des interprétations contestées et tous les pays riverains de l’Arctique entretiennent des contentieux, mais la Russie, dont la côte arctique embrasse 160° de longitude, a été la plus grande bénéficiaire de cette théorie et l’a naturellement reprise à son compte en 1926. En revanche, les autres Etats riverains (Danemark, Norvège et Etats-Unis) s’y sont opposés, le Canada l’ayant abandonné récemment. La Russie entend donc maintenir la réclamation de ces droits sur le plateau continental au-delà de la zone de 200 milles, conformément aux objectifs de l’opération Arctica 2007.
Bien que l’accès à ces ressources soit difficile, la fonte des glaces facilite l’accès aux gisements d’hydrocarbures. Pourtant, selon les estimations des spécialistes, notamment de chez Rosneft, d’ici 2030, il faudra dépenser 345 milliards d’euros pour effectuer la prospection et prouver l’existence des ressources, et plus d’un milliard d’euros pour effectuer leur mise en valeur. "Ces sommes ne sont prévues dans aucun budget. Bien plus, il faut reconnaître que Gazprom et Rosneft n’ont ni l’expérience ni les technologies nécessaires pour travailler dans les conditions du plateau continental arctique", affirme Mikhaïl Kroutikhine, en effet "les chiffres peuvent doubler, voire tripler sur le plateau arctique. Par conséquent, l’extraction ne sera rentable qu’à la condition d’une hausse des prix des ressources énergétiques jusqu’à un point qu’il est difficile d’imaginer aujourd’hui", résume l’expert.
Cette fonte des glaces a une autre conséquence d’une importance capitale, elle permet de rentabiliser de nouveaux corridors de transports. Parmi les principaux :
- la Route Grand Nord contourne le continent eurasiatique par le Nord et permet de passer de l’Atlantique au Pacifique en longeant les côtes de la Sibérie. Longue de 13 000 km, elle traverse les mers de Kara, de Lapev, de Sibérie orientale et des Tchoutchktes. Elle est considérée aujourd’hui « comme la voie de communication unique et la plus accessible qui relie Mourmansk à Vladivostok et les gisements naturels du Grand Nord russe, de Sibérie et de l’Extrême-Orient entre eux ». Inaugurée à la fin du XIXe siècle, c’est Gorbatchev qui, le 1er juillet 1991, fera ouvrir par l’URSS cette route maritime du Nord à toutes les nations. Pour la développer, les Russes vont développer une flotte de 75 navires à étrave et coque renforcée dès 2010 pour principalement transporter les exportations de pétrole et de gaz du Grand Nord russe. Cette route GN (en rouge sur la photo) ;
- la Route Pont Arctique qui relie le port de Mourmansk à celui de Churchill, au nord du Canada. Elle est ouverte de juillet à octobre et serait le chemin le plus court pour acheminer l’abondant pétrole russe vers les marchés canadien et américain.
Par conséquent, la Russie doit être prête à la guerre dans l’Arctique pour « protéger ses intérêts nationaux s’ils sont menacés, car la région contient de grands dépôts inexploités de ressources naturelles », a récemment déclaré Vladimir Chamanov. En effet, à la suite de l’opération sus-citée Arctica, de nombreux pays ont contesté le droit de la Russie de réclamer les surfaces territoriales qu’elle estime lui être due. Par conséquent, celle-ci a immédiatement révisé les programmes militaires pour accélérer le développement de troupes dans l’Arctique, en cas de conflit potentiel.
La presse « internationale » depuis l’année dernière a dénoncé de façon perpétuelle les revendications russes en parlant notamment de « bataille pour l’Arctique » ou encore de « guerre froide pour l’Arctique », mais également la militarisation de la situation. En effet, l’Ours a dans le désordre, violé l’espace aérien norvégien, fait patrouiller des chasseurs bombardiers (Tupolevs) ou encore accéléré le développement du « Boulava ». A cela s’ajoute les déclarations de la Russie sur sa préparation armée à défendre son territoire, et aussi ses frontières.
Pourtant, très curieusement, personne n’a « dénoncé » les récentes grandes manœuvres militaires des Américains, ceux-ci ayant récemment procédé à 12 jours d’exercice à grande échelle en Alaska, impliquant environ 5 000 personnes, 120 avions et plusieurs navires de guerre. La Russie, par la voix du lieutenant colonel Chamanov, a affirmé ne pas pouvoir ignorer une telle démonstration de force militaire à proximité des régions essentielles arctiques. Est-ce que ces manœuvres ont un lien avec les prédictions du « North Institut », Think Tank violemment atlantiste (tout comme le CFR) et qui « ressort » le risque d’une alliance (continentale) Russie-Chine et une prise de contrôle des réserves du Nord Heartland (lire à ce sujet le scénario II sur la constitution d’un corridor énergétique eurasiatique) ? Il est vrai que, récemment, des États comme l’Iran ont exprimé leur visée sur le continent blanc.
L’Arctique est donc devenu le théâtre des opérations sur lequel tous les pions du grand échiquier sont présents et témoignant bien de la totale continuité de la guerre froide (à plus basse intensité) que les Américains et les Russes n’ont jamais cessé de se livrer.
Au plus fort moment de ce conflit gelé (coïncidence), les Etats-Unis ont compris l’intérêt de l’Arctique, sa traversée constituant pour ses bombardiers B52, puis pour ses missiles, le plus court chemin en direction... de l’Union soviétique. Ils ont développé un réseau nordique de bases aériennes, qui a progressivement perdu de son importance avec le développement des missiles et du ravitaillement en vol. Au début des années 60, le commandement du NORAD a converti ces bases en des centres de détection, qui ont été modernisés dans les années 80, et rebaptisés North Warning System (NWS). Aujourd’hui, les Etats-Unis maintiennent leurs efforts pour y renforcer le réseau des sites radars nécessaires à l’alerte avancée de leur défense antimissile. « La stratégie américaine d’affrontement avec l’URSS remonte de plus en plus vers le Nord [...], la bataille de l’Atlantique évolue pour aboutir, à partir de 1985, à une bataille purement américaine et sous-marine, la bataille de l’Arctique permettant la confluence des deux flottes atlantique et pacifique. Elle entraîne la marginalisation progressive de l’Europe de l’Ouest ».
Durant la guerre froide, l’Arctique a été le théâtre d’un duel russo-américain où les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) américains se sont toujours efforcés de pister les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) soviétiques. Seuls les Américains et les Russes possèdent de tels sous-marins, capables de naviguer en milieu polaire. Il est raisonnable de penser que l’océan Arctique continue à abriter aujourd’hui des sous-marins américains et russes, non plus dans le cadre d’une guerre sous-marine déclarée entre deux superpuissances, mais plutôt dans celui d’une stratégie de dissuasion « tous azimuts ». De surcroît. Aujourd’hui, l’océan Arctique permet de faire peser une menace de représailles nucléaires sur toutes les grandes villes de l’hémisphère Nord.
De nombreux thinks tanks américains réfléchiraient déjà aux implications en matière d’équipement et d’entraînement. Dans son livre Globalization and Maritime Power, Sam Tangredi consacre un chapitre entier aux implications stratégiques et économiques du réchauffement de l’Arctique. L’auteur regrette que les Etats-Unis n’y aient pas encore affiché une position de leadership, alors qu’ils « devraient et pourraient » le faire. Il imagine déjà les conséquences stratégiques de la réduction de la calotte glaciaire ; qui obligerait en particulier l’US Navy à mener une « vieille mission dans une région nouvelle », qui est celle de la protection des voies maritimes.
Pourtant malgré ces tensions ravivées, la Russie « ne redoute pas un conflit d’intérêts entre les différents Etats riverains de l’océan Arctique », a déclaré Sergueï Lavrov lors de la conférence des cinq pays arctiques. "Nous ne partageons pas les prévisions pessimistes de montée en puissance d’un conflit d’intérêts entre les Etats arctiques et extrarégionaux, qui envisageraient presque une "bataille de l’Arctique" sur fond de réchauffement climatique, qui facilite l’accès à des ressources naturelles dont le prix flambe dernièrement et ouvre de nouvelles voies de transport maritime".
Le chef de la diplomatie russe estime que l’ensemble des problèmes de la région doivent être résolus de manière civilisée en se basant sur le droit international et les négociations.Que conclure ? La zone arctique n’est pas seulement la zone énergétique essentielle pour la période d’après Opep, qui est sans doute très proche. Elle est aussi et probablement devenue le principal théâtre des opérations, car, après la bataille pour le Heartland (qui contrôle le heartland contrôle le monde), peut-être pourra-t-on dire « qui contrôle l’Arctique contrôle le monde ».
« Conquis par les airs et sous la glace, l’Arctique a été le siège du seul véritable changement stratégique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le cœur de la stratégie océanospatiale américaine face à l’union soviétique. Il est désormais le centre de gravité géographique désert et glacé de la CSCE » (Guy Labouérie en 1993).
A méditer. (son site) mardi 15 juillet 2008
Sources :
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Vers la fin du nouvel ordre mondial ?
Pour la première fois depuis la chute de l’URSS et l’avènement du nouvel ordre mondial, la Russie mène une opération militaire hors de ses frontières, dans un pays voisin et souverain et ce afin de défendre des citoyens russes. Le jeudi 7 août 2008 restera dans les annale car l’opération militaire russe actuellement en cours va modifier à "jamais" les relations internationales.
Comment en est-on arrivé là et pourquoi cette petite bande de territoire semble avoir tellement d’importance pour Moscou, Tbilissi, Washington ou encore l’UE ? Et quelles sont les perspectives ?
La Géorgie, pion du grand échiquier
En novembre 2003, la Géorgie a été victime d’un « coup d’Etat démocratique » : la Révolution des roses, une des Révolutions colorées organisées par la CIA et des officines « proches » afin de renverser des régimes des Etats jugés trop proches politiquement de Moscou ou ceux sur des emplacements stratégiques. Ont principalement été visés des Etats comme la Serbie, l’Ukraine ou encore la Géorgie (lire à ce sujet mon article).
La Serbie parce que alliée de la Russie dans les Balkans, l’Ukraine et la Géorgie parce que stratégiques dans la volonté d’encerclement (containment) de la Russie, ces deux Etats étant membres actifs du GUUAM.
Depuis la prise de pouvoir de Mikhail Saakachvili, la Géorgie est devenue un allié indéfectible de Washington, le président a lui-même été formé par Georges Soros, l’homme derrière les Révolutions colorées d’Europe centrale, l’investisseur du groupe Carlyle... Des ministres de l’actuel gouvernement sont des anciens collaborateurs du financier américain au sein de sa fondation. Un certain nombre de jeunes conseillers de Saakachvili ont également été formés aux Etats-Unis dans le cadre des échanges universitaires mis en place et gérés par la Fondation privée de Soros. Le gouvernement américain, quant à lui, a doublé son aide économique bilatérale à la Géorgie qui atteint aujourd’hui 185 millions de dollars. De plus, la Maison-Blanche est engagée dans un programme de formation des forces spéciales de l’armée géorgienne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste dans la région avec l’aide d’Israël, lire à ce sujet cet article extrêmement bien documenté. À la mi-juillet, les troupes états-uniennes et géorgiennes ont tenu un exercice militaire commun dénommé « réponse immédiate » impliquant respectivement 1 200 États-Uniens et 800 Géorgiens.
J’ai déjà également traité de l’importance de la guerre énergétique en cours et notamment du pipeline BTC. Ce pipeline devant permettre de passer outre la Russie, et de desservir l’Europe du Sud via la Géorgie, la Turquie et Israël, qui souhaite par ce biais jouer un rôle essentiel dans la région bien sûr, en contournant la Russie, mais surtout dans la ré-exportation du pétrole vers l’Asie ! La revue russe Kommersant ne titrait-elle pas le 14 juillet 2006 que : « Le pipeline BTC a considérablement changé le statut des pays de la région et cimenté une nouvelle alliance pro-occidentale. Ayant influé pour la construction de l’oléoduc vers la Méditerranée, Washington a pratiquement mis en place un nouveau bloc avec l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et Israël. »
Ces coups d’Etats fomentés par la CIA aux frontières de la Russie, l’extension à l’est de l’Otan, l’installation du système de radars américains en Europe centrale, les négociations d’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Otan (bloquées fort heureusement par l’Allemagne), mais surtout l’extension de l’UE (désormais sur la mer Noire) et la terrible affaire du Kosovo ont été considérées par la Russie comme autant d’agressions indirectes et de viol du droit international qu’on lui prétend lui « opposer » pourtant officiellement partout.
Juillet / août 2008
Le 12 juillet 2008, une annonce du ministère géorgien de la Défense déclarait que les troupes états-uniennes et géorgiennes « s’entraînent durant trois semaines sur la base militaire de Vaziani » près de la capitale géorgienne, Tbilissi (AP, 15 juillet 2008). Ces exercices, qui se sont achevés à peine une semaine avant l’attaque du 7 août, étaient la répétition générale évidente d’une opération militaire qui, selon toute probabilité, avait été planifiée en étroite coopération avec le Pentagone.
Dans un premier temps, la Géorgie, puissamment armée et entraînée par l’Amérique et Israël, a contesté l’organe chargé de régler le conflit – la Commission mixte de contrôle – qui est coprésidé par la Russie, la Géorgie, l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du Sud.
Le 7 août, coïncidant avec la cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques de Beijing, le président de Géorgie ordonne d’attaquer militairement tous azimuts la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali. Une attaque militaire d’assez haute intensité pour « rétablir l’ordre constitutionnel ». La Russie a alors réagi comme se doit de réagir un Etat souverain chatouillé sur sa frontière et dont les citoyens sont menacés militairement. Elle a répliqué afin de chasser les soldats géorgiens et de protéger ses citoyens. L’attaque contre l’Ossétie a abouti à l’affrontement direct avec les forces russes.
Ces cinq derniers jours, les combats ont été extrêmement violents, ce soir, mardi, l’armée géorgienne a été repoussée hors d’Ossétie et les combats entre troupes russes et géorgiennes se seraient rapprochés de l’est du pays, vers la capitale Tbilissi. Comme l’affirme Alexandre Lomaia, le chef du Conseil national de sécurité géorgien, « Nous n’avons pas capitulé, notre armée reste en bon ordre malgré les pertes… Je peux vous assurer que nous recevons une aide militaire de l’étranger… Et nous la recevrons jusqu’à ce que nous ayons chassé les Russes du pays. »
Le Kremlin a ouvertement accusé l’Amérique de « favoriser » la Géorgie. Comme le Premier ministre, Vladimir Poutine, l’a dit lui-même : « Ce n’est pas le cynisme des politiques (américains) qui étonne (...) mais c’est le niveau de ce cynisme, la capacité à présenter ce qui est blanc en noir, ce qui est noir en blanc, la capacité à présenter l’agresseur en victime de l’agression » … « Saddam Hussein devait être pendu parce qu’il a détruit quelques villages chiites, mais les autorités géorgiennes actuelles doivent être défendues alors qu’elles ont rayé de la Terre en une heure des dizaines de villages ossètes, qu’elles ont écrasé vieillards et enfants avec leurs chars et qu’elles ont brûlé vif les gens dans leurs maisons ». Pourtant malgré l’aide internationale l’armée russe est en train de « très sérieusement » affaiblir la force militaire géorgienne, afin de simplement éviter qu’une opération d’une telle ampleur ne puisse se reproduire.
« Qu’est-ce qui peut empêcher les Russes d’aller jusqu’à Tbilissi ? … Saakachvili a pensé qu’il allait pouvoir regagner du terrain par la force. Imaginer que cette petite avancée tactique serait acceptée par la Russie est le calcul de quelqu’un de stupide », reconnaissait hier un diplomate européen plein d’amertume. Effectivement, si l’on regarde les forces en présence, on ne peut comprendre le geste de folie de Mikhail Saakachvili, sauf si ce dernier a naïvement cru que le fait d’être dans les bonnes grâces des Occidentaux lui donnait tous les droits…Jugez vous-même :
RUSSIE : 1 000 000 d’hommes / 23 000 tanks / 26 000 pièces d’artillerie / 1 802 avion de combats / 1 932 hélicoptères.
GEORGIE : 32 000 hommes / 128 tanks / 109 pièces d’artillerie / 8 avions d’attaques / 37 hélicoptères.
Comment dans ces conditions et sans l’aval de certains le Petit Poucet géorgien pouvait-il penser faire tomber l’ogre russe, ce dernier bénéficiant en plus de l’appui des milices ossètes et des volontaires cosaques ! Les vrais responsables des tragiques événements ne sont pas la Russie, qui ne fait que défendre des citoyens russes victimes d’une agression militaire de l’armée géorgienne, mais bel et bien la politique de fou de l’Amérique dans cette partie du monde, Amérique qui a fait miroiter à Saakachvili tout et n’importe quoi, de l’Union européenne à l’Otan, celui-ci n’ayant en fait servi que de marionnette pour permettre la création du pipeline BTC sus-cité, et servir de fusible pour chatouiller l’ours sur sa frontière…
Comme tout fusible, ce dernier va finir par brûler et ce sont les civils géorgiens et ossètes qui vont et ont déjà commencé à en faire les frais. Parallèlement, un second front s’est ouvert en Abkhazie. La Géorgie vient tout simplement de disparaître en tant qu’Etat souverain.
De l’Ossétie au Kosovo, l’échec de l’Otan
Derrière le conflit qui aboutira sans doute à la partition territoriale de l’Ossétie et de l’Abkhazie, comment ne pas voir un des ricochets de la politique irrationnelle de Washington dans les Balkans et notamment la sombre affaire du Kosovo ? Certes, les cas de figures sont différents, certes les Ossètes n’ont pas envahi l’Ossétie comme les Albanais le Kosovo, mais puisque les Américains ont prouvé que l’on pouvait modifier les frontières des Etats sans aucune raison au mépris des peuples et de toutes les règles de droit international, pourquoi ce qui serait valable pour les Kosovars ne le serait pas pour les Ossètes ou les Abkhazes ? Vladimir Poutine avait parlé de l’Amérique dans des termes "post-guerre froide", comparant ce pays à : "un loup affamé qui mange et n’écoute personne"… Au début de cette année, le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, avait prévenu son homologue américain que : "la reconnaissance du Kosovo constituerait un précédent pour l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud". Mais celui-ci n’a pas été écouté.
Naïvement, Saakashvili a pensé que d’être dans les bonnes grâces du Pentagone lui conférait un blanc-seing et le droit de recourir à la force sans aucune raison. En ce sens, un parallèle est faisable entre le viol de la souveraineté territoriale de la Serbie (à savoir la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, alors que la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l’ONU - qui réaffirmait sans ambiguïté la souveraineté de la Serbie sur ce territoire) et l’agression militaire contre l’Ossétie de jeudi dernier.
Néanmoins, s’il est facile d’agresser un voisin faible, il l’est beaucoup moins contre un voisin fort, à savoir la Russie. Cette dernière affirme en outre que près de 2 000 civils auraient péri dans les combats, que 30 000 réfugiés auraient fui en Ossétie du Nord et parle habilement et ouvertement de génocide à l’encontre du peuple ossète, des termes qui rappellent ceux utilisés par l’Otan pour justifier sa campagne de bombardements en Serbie en 1999.
En ce sens, la réaction russe de ces derniers jours est non seulement parfaitement justifiée, mais elle est saine pour l’Europe et l’humanité tout entière : elle prouve que l’Otan ne peut impunément violer les règles de droit international sans que personne ne s’y oppose. Si l’implication de Washington semble évidente pour les Russes, il semble certain que les premiers qui le nient ont lourdement sous-estimés la capacité de réaction russe.
Vers la fin du nouvel ordre mondial
L’opération militaire en cours a un sens bien plus important que le seul affrontement russo-géorgien. En effet, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, la confrontation Russie-Amérique vient de tourner à l’avantage des Russes. Pour la première fois, un coup d’arrêt clair et net est imposé a l’aigle, par un ours réveillé et en colère. Pour la première fois surtout, la Russie vient de s’opposer militairement et de façon "indirecte" à l’Amérique en dehors de ses frontières. Il ne faut pas se tromper sur le sens réel des événements et essayer de comprendre la démonstration de forces des Russes. Le trio "Medvedev-Poutine-Lavrov" vient simplement de mettre fin au système unilatéral agencé par l’Otan pendant la guerre du Golfe de 1991.
Après la décennie de l’effondrement (de 1990 à 1999), la décennie de l’extension à l’est de l’Otan et parallèlement du réveil russe (de 1999 à 2008), il est fort plausible que nous entrions dans la décennie du reflux à l’Ouest et du regain d’influence russe sur les anciennes marches de l’Empire.
Eltsine n’avait rien pu faire face à l’endormissement de l’ours, Poutine l’a réveillé, celui-ci est désormais éveillé et attentif. Alors que se tendent les relations russo-américaines via l’Europe de l’Est et le Caucase, se dessinent sensiblement de nouvelles frontières du monde de demain.
Plus qu’un message à l’humanité, la Russie a montré sa détermination et sa capacité à répondre désormais à toute agression injustifiée. Pour les Européens qui se cherchent toujours une réelle politique militaire, l’heure approche où il faudra prendre position pour ou contre la Russie et par conséquent devoir imaginer à très court terme de se séparer de l’Otan pour former la grande alliance continentale pré-esquissée par le général de Gaulle et souhaitée par Vladimir Poutine aujourd’hui : l’alliance continentale Euro-Russe, seule garante de la paix sur notre continent.
Dans le cas contraire, l’Europe se coupant de la Russie et de ses voisins se suiciderait littéralement, condamnée à ne rester que la vassale de l’Amérique, en froid avec son principal fournisseur énergétique.
par (son site)
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La Russie, l’Occident et l’Allemagne
Extrait d’un entretien accordé par Alexandre Douguine au magazine allemand “Zuerst”
Q.: Monsieur Douguine, l’Occident ne se trouve-t-il pas dans une mauvaise situation?
AD: Absolument. Mais la situation dans laquelle se débat l’Occident est différente de celle en laquelle se débat la Russie. Regardez l’Europe: l’UE se trouve dans un état de crise profonde; la rue en Grèce se rebelle ouvertement, l’Europe centrale et septentrionale croupit sous les charges sociales, politiques et économiques apportée par l’immigration de masse depuis ces dernières décennies. Même les Etats-Unis sont plongés dans une crise profonde. Mais, pourtant, c’est cette crise qui va faire se corser la situation. Car dans de telles situations d’instabilité et de précarité, ce sont toujours les partisans de lignes dures qui finissent par avoir le dessus. Aux Etats-Unis, actuellement, on évoque ouvertement une guerre contre l’Iran, même si à New York un bon paquet de citoyens américains manifestent contre Wall Street. On ne discute plus que du moment idéal pour commencer la prochaine guerre. Lénine disait en son temps: hier, c’était trop tôt, demain ce sera trop tard.
Q.: Vous defendez l’idée d’une alliance eurasiatique. Cette idée n’implique-t-elle pas que les Etats européens se détachent progressivement de l’UE bruxelloise, un processus à prévoir pour le moyen voire le long terme, et se donnent de nouvelles orientations. Est-ce là une hypothèse réaliste?
AD: La Russie est l’allié naturel d’une Europe libre et indépendante. Il n’y a donc pas d’autres options. Bien sûr, l’Europe actuelle n’envisage pas cette option, car elle est systématiquement refoulée par le fan-club transatlantique des égéries des “Pussy riots”. Mais cela pourrait bien vite changer. Qui imaginait, au début de l’été 1989, que le Mur de Berlin allait tomber en automne? Une poignée d’esprits lucides que l’établissement considérait comme fous ou dangereux.
Q.: Comment voyez-vous l’avenir des relations germano-russes, tout en sachant que celles-ci ont été jadis bien meilleures?
AD: Il y a beaucoup de liens entre l’Allemagne et la Russie. Nous avons une longue histoire commune. On aime à l’oublier aujourd’hui, surtout dans le vaste Occident. Lors de la signature de la convention de Tauroggen en 1812, le Lieutenant-Général prussien Johann David von Yorck a négocié de son propre chef un armistice entre le corps prussien, contraint par Napoléon de participer à la campagne de Russie, et l’armée du Tsar Alexandre. La Russie a soutenu la révolte prussienne contre les Français, ce qui a permis de lancer la guerre de libération des peuples contre Napoléon. La diplomatie russe a permis aussi en 1871 que le Reich allemand de Bismarck puisse devenir réalité sur l’échiquier européen. La Russie a toujours soutenu le principe d’une Allemagne forte sur le continent européen. Otto von Bismarck recevait souvent l’appui de Saint-Pétersbourg. Ce ne sont là que deux exemples: la liste des coopérations germano-russes est longue et, à chaque fois, les deux protagonistes en ont bénéficié. Sur le plan culturel, les relations sont tout aussi étroites: philosophes russes et allemands s’appréciaient, se sentaient sur la même longueur d’onde. Mais nous nous sommes également opposés dans des guerres sanglantes mais, Dieu merci, cette époque est désormais révolue.
Q.: Et aujourd’hui?
L’Allemagne est le pilier porteur de l’économie européenne. L’économie européenne, c’est en réalité l’économie allemande. L’idée sous-jacente de l’économie allemande diffère considérablement de l’idée qui sous-tend la praxis économique du capitalisme occidental et britannique. En Allemagne, on mise sur l’industrie, de même que sur une création de valeurs réelles par le biais de la production de biens et non pas sur le capitalisme financier et bancaire qui, lui, ne repose sur rien de matériel. Aujourd’hui l’Allemagne est contrôlée par une élite exclusivement imprégnée d’idéologie “transatlantique”, qui empêche tout rapprochement avec la Russie. En Russie, on a aujourd’hui des sentiments pro-allemands. Poutine, on le sait, passe pour un grand ami de l’Allemagne. Mais malgré cela, le gouvernement de Berlin, et aussi l’opposition à ce gouvernement, essaie d’intégrer encore davantage l’Allemagne dans une UE en mauvaise posture, tout en renonçant à de larges pans de la souveraineté allemande. Pour l’Allemagne, une telle situation est dramatique!
Q.: Dans quelle mesure ?
AD: L’Allemagne est aujourd’hui un pays occupé, déterminé par l’étranger. Les Américains contrôlent tout. L’élite politique allemande n’est pas libre. Conséquence? Berlin ne peut pas agir pour le bien du pays comme il le faudrait, vu la situation. Pour le moment, l’Allemagne est gouvernée par une élite qui travaille contre ses propres intérêts. Nous, les Russes, pouvons aider l’Allemagne parce que nous comprenons mieux la situation de votre pays, en état de servilité, et parce que nous travaillons à créer des réseaux germano-russes en divers domaines. Nous pourrions travailler avec divers groupes au sein de la République Fédérale, nous pourrions améliorer nos relations culturelles. Je crois fermement qu’un jour se recomposera une Allemagne libre, forte et autonome en Europe, qui lui permettra de jouer un rôle d’intermédiaire entre l’Est et l’Ouest du sous-continent. Le rôle que jouent actuellement les vassaux de l’eurocratie bruxelloise et de Washington ne permet pas de forger un vrai destin pour l’Allemagne.
Q.: Monsieur Douguine, nous vous remercions de nous avoir accordé cet entretien.
Entretien paru dans le magazine “Zuerst!”, Oktober 2012, http://www.zuerst.de/ ).
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Pierre Hillard sur l’actualité du mondialisme
En cette fin d’année, le chercheur en géopolitique Pierre Hillard (livres ici) décrypte l’actualité du mondialisme en une vingtaine de minutes.
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Erdogan plus fort que Charles X : L’AKP en Turquie, une Restauration réussie ?
par Nicolas Gauthier.
Passé de la domination ottomane à la colonisation occidentale, le monde arabo-musulman se cherche. Après une séquence laïque et socialiste, concepts directement importés d’Occident, le “salut” viendrait-il de l’ancienne tutelle turque ? Laquelle aurait réussi cette restauration de l’ordre ancien que la France aurait jadis manquée… L’AKP plus forte que Charles X ? C’est à croire.
Comparaison n’est certes pas raison, mais certains parallèles valent néanmoins. Quand, en 1824, Charles X monte sur le trône de France, après la période transitoire incarnée par Louis XVIII, cet homme, pourtant imprégné de pensée contre-révolutionnaire, raisonne un peu, c’est le comble, comme un révolutionnaire. Et estime donc qu’il est possible de faire table rase du passé, d’agir comme si, justement, rien ne s’était passé depuis 1789. À ceux qui pensaient faire naître un “homme nouveau”, il entend ressusciter un “homme ancien”… Et, pire, tient une partie de l’opinion publique, républicains et bonapartistes, pour quantité négligeable. En 1830, les Trente glorieuses l’emporteront dans la tourmente. Charles X ignorait l’histoire. L’histoire aura eu tôt fait de l’oublier.
En 2003, Recep Tayyip Erdogan, devient Premier ministre turc. Premier à avoir été élu dans des conditions “normales”, après des années de kémalisme autoritaire et de dictature militaire. A-t-il retenu les leçons du passé ? Ça y ressemble. Issu de ces confréries soufies persécutées par Kemal Atatürk, mais remontant aux premiers temps de l’islam, il sait que l’arbre, avant d’être tronc et branches, est avant tout racines. Que la Turquie, avant que d’avoir été kémaliste, a agrégé des peuples aussi variés que les Hittites, les Phrygiens, les Cimmériens, les Lyciens, les Grecs, les Gaulois, les Romains, les Byzantins et… même les Ottomans. La Turquie, bien que musulmane, est aussi chrétienne, tandis que le paganisme gréco-romain a également contribué à façonner son paysage. De ce passé, il ne fera donc pas table rase.
Kemal Atatürk avait voulu encaserner l’islam et transformer les imams en équivalents de nos prêtres jureurs d’autrefois ? Erdogan libère cet islam, tout en prenant le risque de sa diversité : des soufis aux chiites alévis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils ont une pratique assez décontractée du Coran et de la Sunna. Et même redonne le droit aux Kurdes de parler kurde, de s’habiller kurde et de pratiquer cet islam kurde qui laisse parfois perplexes les islamologues les plus érudits.
Dans la foulée, en 2004, anniversaire de la chute de Constantinople, Erdogan a-t-il proposé aux chrétiens turcs de rouvrir la cathédrale Sainte-Sophie, transformée par Atatürk en musée, afin que la messe de Pâques puisse y être dite. Depuis, les musulmans aimeraient qu’un tel privilège leur soit accordé, mais entre l’afflux de touristes et la restauration des miniatures byzantines, l’affaire risque bien de prendre encore un peu de temps.
Au contraire d’un Charles X donc, Recep Tayyip Erdogan sait qu’il lui faut aussi composer avec le kémalisme et ses révolutionnaires acquis laïques. Interdire le voile a causé bien des problèmes ; le rendre obligatoire aboutirait à autant de soucis. Il est donc laissé à l’appréciation de chacune et il n’est pas rare de voir, dans les vieux quartiers d’Istambul, et ce en plein Ramadan, deux amies, l’une voilée et l’autre en mini-jupe. Qu’importe, tant qu’on est Turque et qu’on en est fière…
L’actuel Premier ministre aura donc compris qu’en un pays où l’histoire, la grande histoire, se niche à chaque coin de rue et derrière chaque pierre, il n’avait d’autre moyen de composer. Ainsi, le moindre vestige, fut-il le plus modeste, pierres éparses léguées par les Grecs, restes de temples dus aux Romains, est-il soigneusement entretenu et en permanence visité. Seul petit détail : on y verra toujours le drapeau national, planté bien en vue.
Ce patriotisme inclusif, au contraire d’un nationalisme naguère exclusif, culmine à Ephese, là où la Vierge Marie a séjourné en compagnie de saint Jean l’Évangéliste. On peut y voir les vestiges de la première église qui lui fut consacrée. Les Turcs en sont plus que fiers et à en croire les guides, c’est tout juste si la mère du Christ n’est pas née à Ankara, ville fondée il y a plusieurs siècles par les Gaulois, ces Galates ayant donné leur nom au célèbre club de football stambouliote, le Galatasaray. Bref, de l’art de restaurer le califat sans le dire.
Alors que les Arabes s’embourbent dans leurs printemps, les Turcs, forts de leur passé, anticipent déjà l’avenir. Un exemple ? Pourquoi pas…
© Publié précédemment sur www.bvoltaire.fr