Beaucoup d’observateurs se sont cependant trouvés rassurés par ses déclarations du 21 juin au Figaro et à sept autres journaux européens où il dit sur le Proche-Orient : « Je n’ai pas énoncé que la destitution de Bachar al-Assad était un préalable à tout. Car personne ne m’a présenté son successeur légitime ! ». Emmanuel Macron déclare en outre donner la priorité à « la lutte absolue contre tous les groupes terroristes, car ce sont eux, nos ennemis » et parce que « c’est dans cette région qu’ont été fomentés les attentats terroristes et que se nourrit l’un des foyers du terrorisme islamiste. »
En admettant que la paix en Syrie ne signifie pas nécessairement le départ de Bachar al-Assad, le nouveau président ouvrait la porte au processus de paix. Sachant que les Russes ne lâcheront jamais le chef d’Etat syrien, la porte était fermée à toute négociation sérieuse aussi longtemps que les occidentaux faisaient de son départ le préalable à la paix. Cette position de fermeture avait été celle de François Hollande, de Laurent Fabius et aussi celle du candidat Macron lors d’une visite qu’il avait faite au Liban pendant sa campagne. On ne saurait cependant se tenir pour pleinement rassuré par les prises de position les plus récentes du nouveau président.
Remis en place par les anti-Bachar
D’abord parce que le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian, ne semble pas être allé aussi loin dans ce que la presse a appelé l’« aggiornamento » français. Or il n’est pas un personnage négligeable : ancien ministre de la Défense où il s’est fait connaitre – en bien – par les cercles transatlantiques qui gouvernent l’Occident, il a été jugé après l’élection d’Emmanuel Macron plus propre que d’autres à occuper le poste difficile de ministre des Affaires étrangères car plus compatible avec les engagements atlantiques pris par la France depuis Nicolas Sarkozy. Compte tenu des exigences de compétence et d’alignement, Macron avait-il vraiment la possibilité de nommer quelqu’un d’autre ?
Peu après sa prise de position sur la Syrie, Macron a fait l’objet d’un rappel à l’ordre sous la forme d’une tribune publiée dans Libération par 100 intellectuels de gauche autoproclamés, relais zélés du militarisme nord-américain, pions infatigables et mobilisables à merci de la croisade anti-Assad. On peut supposer que derrière cette prise de position voyante mais marginale, d’autres avertissements ont été émis de la part de tous ceux qui, en France et à l’étranger, ont soutenu Emmanuel Macron pendant sa campagne et dont aucun ne partage son nouveau point de vue sur la Syrie.
Est-ce pour cela que l’Elysée s’est cru obligé de publier deux jours après, le 5 juillet, un communiqué pour assurer l’opposition syrienne du soutien de la France1? « L’opposition syrienne » ! Sur le terrain, des forces « démocratiques » ayant pour noms Al Qaida (aujourd’hui Fatah al-Cham) et une série d’autres mouvements islamistes, ce qui relativise singulièrement « la priorité à la lutte contre tous les groupes terroristes ».
Macron-Trump, pieds et poings liés ?
Entre temps, Emmanuel Macron a invité Donald Trump à assister au défilé du 14 juillet, invitation à laquelle il n’y a rien à redire, s’agissant de célébrer le 100eanniversaire de l’entrée des Etats-Unis dans la Première Guerre mondiale contre l’Allemagne aux côtés de la France. Certains se sont alors réjouis de voir la France marcher la main dans la main avec l ’Amérique. Mais il s’agit de savoir quelle Amérique.
Peu rassurante est en effet la déclaration conjointe du 27 juin de Donald Trump et Emmanuel Macron. Les deux présidents se sont dits prêts à riposter de manière coordonnée à toute nouvelle attaque chimique du régime syrien, après que les Américains ont accusé Damas de mener des préparatifs en ce sens.
En s’associant à cette déclaration, Emmanuel Macron laisse entendre qu’il est acquis que les précédentes attaques chimiques étaient le fait de Bachar al-Assad, ce qui est très contestable, à moins de croire qu’il est complètement fou – ce qu’il n’est pas – autant que l’idée qu’il pourrait préparer de nouvelles attaques.
Cette allégation est en effet absurde car on ne voit pas quel intérêt auraient le président syrien et son armée, à faire usage de telles armes, de peu d’effet stratégique sur le terrain, mais qui peuvent provoquer une intervention américaine. Dans un cas au moins, l’attaque de la Ghouta en août 2013, des experts au-dessus de tout soupçon2 ont démontré que ce n’était pas l’armée gouvernementale mais Al Nosra (autre nom d’Al Qaida) qui était à l’origine de cette attaque : une attaque classique sous faux pavillon en vue de déclencher des représailles.
Tout laisse penser qu’il en a été de même dans l’attaque du 4 avril près de Khan Cheikhoun qui aurait fait 88 victimes (dont 30 enfants que les propagandistes ne manquent jamais de placer au mauvais endroit !) et qui a amené Trump à bombarder en représailles la base d’Al-Chaayrate près de Homs, première intervention armée ouverte de Washington contre le régime de Damas. On peut en dire autant d’au moins une des deux attaques chimiques qui ont eu lieu près d’Alep.
Souviens-toi de l’été 2013…
Il est intéressant de rappeler le scénario de 2013 :
Le 5 juin 2013, Barack Obama avertit solennellement le gouvernement syrien que toute attaque chimique entraînera des représailles américaines.
Le 21 août, une attaque chimique a lieu dans le faubourg de la Ghouta près de Damas. Il fait, selon les sources, 280 à 1720 victimes, surtout civiles.
L’ensemble des médias et des gouvernements occidentaux tend immédiatement un doigt accusateur vers Assad présenté, sans examen, comme l’auteur de cette attaque. François Hollande et Laurent Fabius pressent Barack Obama d’intervenir militairement (ce qui est peut-être à mettre en rapport avec l’accusation de l’ambassadeur de Syrie aux Nations-Unies selon lequel la coopération militaire française aurait apporté un appui technique à cette opération).
Finalement Barack Obama décide de ne pas intervenir et, pour sortir de la crise, saisit au bond la proposition russe de placer sous contrôle international puis de détruire les armes chimiques des forces gouvernementales. Le Parlement britannique, méfiant sur la version officielle, refusa, quant à lui, d’autoriser une intervention britannique.
L’engrenage des alliances contre la paix mondiale
Le même scénario pourrait se reproduire cet été. L’avertissement américano-français à Assad, qu’aucune crainte raisonnable ne justifie, ouvre la porte à toutes les initiatives sous faux pavillon : soit celles de tel ou tel service secret américain, notamment ceux que Donald Trump a tant de mal à contrôler, soit ceux de pays comme la Turquie, soit les groupes djihadistes qui continuent de grouiller en Syrie.
Ou bien Donald Trump et Emmanuel Macron croient vraiment que Bachar al-Assad prépare une attaque chimique et ils sont gravement désinformés, ou bien ils mijotent un sale coup (« dirty trick ») qui pourrait mettre en péril la paix mondiale.
Qu’un haut responsable du Pentagone ait affirmé contre toute vraisemblance que Bachar el-Assad préparait une telle attaque laisse en effet penser qu’une opération psychologique de grande ampleur est en gestation, et par là même une intervention sur le terrain. On n’est pas rassuré de voir Emmanuel Macron s’impliquer dans une telle affaire.
Barack Obama, qui savait, comme François Hollande, que Bachar al-Assad n’était pour rien dans l’attaque de la Ghouta, avait renoncé, on l’a dit, à mettre sa menace à exécution. Mais Donald Trump, qui le lui a vivement reproché (et voulu démontrer en ripostant le 7 avril sur la base d’Al-Chaayrate à une attaque analogue qu’il était d’une autre trempe), pourra difficilement reculer devant des représailles si une nouvelle attaque chimique est attribuée à Bachar al-Assad.
Si l’intervention américaine était de quelque ampleur, les Russes ne pourraient pas rester inactifs et un engrenage fatal serait ainsi enclenché. On ne peut que regretter qu’Emmanuel Macron ait d’avance apporté sa caution à une possible attaque de la Syrie par les forces de l’OTAN.