Mathieu Bock-Côté
Les célébrations entourant le jubilé du règne d’Elizabeth II rappellent que la monarchie ne représente pas chez les Anglais qu’un régime politique parmi d’autres, mais un pilier irremplaçable de leur identité nationale – peut-être en est-elle même le noyau -, dans la mesure où elle condense leur histoire et en marque la continuité au fil des siècles dans un pays qui préfère la tradition à la révolution, et qui n’a fait dans son histoire, en 1688, une révolution que l’on dit glorieuse que pour restaurer la tradition. La Grande-Bretagne se méfie de l’abstraction dans la construction de la société et, à travers la monarchie, rappelle que la légitimité politique ne saurait se constituer exclusivement autour d’une idée, mais a souvent besoin de s’incarner, ce qui heurte la modernité, qui tend à désincarner les institutions et les symboles, pour les transformer en processus censés rationaliser intégralement l’ordre social. D’ailleurs, s’il n’en est plus vraiment ainsi aujourd’hui, longtemps, les Britanniques ont préféré aux droits de l’homme les droits des Anglais, comme si les droits provenaient moins d’un décret universel que d’une tradition donnée, à partir de laquelle une communauté a fait l’expérience du monde pour mieux l’apprivoiser.