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tradition - Page 286

  • Les Russes sont retournés à la foi chrétienne grâce au vide laissé par le leurre idéologique du communisme

     

    VpLu ici loin de tout laïcisme d'Etat :

     

    "Les Russes sont retournés à la foi chrétienne sans aucune pression de la part de l'Etat et même de l'Eglise, a déclaré le président russe Vladimir Poutine dans un documentaire baptisé "Second baptême de la Russie" réalisé par Mgr Hilarion Alfeyev et diffusé lundi dernier par la chaîne de télévision Rossia.

    "La société russe est retournée elle-même à ses racines, à la religion chrétienne et aux valeurs spirituelles, sans aucune pression de la part de l'Etat et même de l'Eglise… C'était une renaissance naturelle du peuple russe", a indiqué Vladimir Poutine.  "On se demande: pourquoi? Les gens de mon âge se souviennent du code des bâtisseurs du communisme qui était en fait un résumé simpliste des principes éthiques et religieux de toutes les religions modernes. Quand ce code a cessé d'exister, un vide moral s'est formé qu'on ne pouvait combler qu'en retournant aux valeurs authentiques", les valeurs religieuses, a-t-il expliqué.  L'adoption de la foi chrétienne orthodoxe a marqué l'apparition de la nation et de l'Etat centralisé russes. "La nation russe et l'Etat russe reposent sur les valeurs qui étaient communes pour les habitants d'un vaste territoire en Europe où se trouvent actuellement la Russie, l'Ukraine et la Biélorussie. 

    C'est un espace unique des valeurs spirituelles et un facteur sérieux de réunification des peuples", a ajouté le chef de l'Etat russe.  L'Eglise orthodoxe russe et l'Etat russe peuvent coopérer dans de nombreux domaines, ils peuvent notamment aider les handicapés et les détenus, éduquer les enfants et les jeunes, promouvoir les valeurs familiales. "L'Eglise est un partenaire naturel de l'Etat dans ces domaines", a noté Vladimir Poutine. La Russie, l'Ukraine et la Biélorussie célèbrent le 1025e anniversaire de la christianisation de l'ancienne Rus' fin juillet. Des festivités se déroulent dans les trois pays à cette occasion. Dans le même film documentaire, le président russe a révélé qu'il fut baptisé comme enfant. « Ma mère m’a fait baptiser, pour ainsi dire en secret de mon père, qui était membre du Parti communiste. Il n'était pas fonctionnaire, il travaillait à l'usine, mais il a été quand même un militant du parti soviétique. Donc cela m'a aussi touché personnellement et notre famille ».

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  • France, Europe, Vie : une liste pour faire vaciller le système

     

    Béatrice Bourges explique à Nouvelles de France l'intérêt de la liste constituée pour les élections européennes :

     

    "[N]otre annonce a créé la surprise et tant mieux. Ceux qui ont été les plus virulents sont ceux qui font partie du système des partis traditionnels.

    D’une part, l’UMP qui a été prise de court et a eu l’impression de se faire doubler alors que certains cadres sont actuellement en train d’effectuer de grandes manœuvres pour aller draguer les électeurs du FN, tout en continuant à prendre des airs choqués lorsqu’on leur parle de ce parti. Ils vont continuer à appeler au front républicain, ce que je trouve insupportable et d’une grande hypocrisie. Voilà des années qu’ils se trompent d’adversaires.

    D’autre part, le FN qui, avouez le, n’a pas été clair sur les sujets qui nous mobilisent depuis maintenant 10 mois. Il ne suffisait pas de dire qu’on était contre la loi, il fallait le prouver. Mais c’était bien difficile puisqu’on sait qu’à l’intérieur même du FN, les avis sont très partagés. En revanche, certaines personnes à l’intérieur de ces partis se sont battues avec courage et détermination. Je pense par exemple à Marion Maréchal-Le Pen, qui n’a pas eu le droit de monter à la tribune des grandes manifestations alors que son discours était particulièrement clair et sans ambiguïté. Du côté de l’UMP, certains élus se sont aussi battus avec courage. À gauche aussi, on a pu apprécier les prises de position à contre-courant de certains élus particulièrement valeureux, tels Bruno Nestor Azérot.

    Ce qui prouve bien qu’il faut inventer autre chose.

    Le paysage politique va se recomposer autour de deux visions de la société : celle qui est fondée sur le réel, qui a pour objectif le Bien commun. C’est celle qui ouvre notre société à la vie, aussi bien la vie économique, que la vie sociale, sociétale etc. et, a contrario, celle qui nous emmène dans une impasse car fondée sur une vision idéologique et mortifère. C’est celle qui fonde les lois sur le désir des minorités et donc favorise le communautarisme, celle qui veut faire des personnes humaines de simples individus producteurs consommateurs. [...] 

    Patrick Louis était d’accord sur la démarche. J’étais moi-même allée à Lyon pour lui demander de se joindre à l’aventure. Il a accepté rapidement, après avoir obtenu l’accord de Philippe de Villiers. Mais l’opération s’étant faite en quelques jours,  le rôle de chacun n’a pas été suffisamment bien préparé et quelques maladresses, en particulier en temps de parole, ont pu faire croire à Patrick Louis qu’il n’avait pas autant de place dans l’initiative qu’il était en droit de réclamer. Ce que révèle cet épisode, c’est que les personnes ne doivent pas occulter le fond. La convergence entre les hommes se fera le moment venu. [...]

    Les journalistes n’ont pas compris ce qui se jouait. Ils ont donné une vision uniquement centrée sur quelques personnalités politiques. Ce n’est pas surprenant. On ne bouscule pas des décennies de conformisme en une seule conférence de presse !

    [...] Nous n’avons pas pour objectif des pourcentages mais de faire vaciller un système à bout de souffle. La question des résultats attendus est une bonne question si on la resitue dans la perspective européenne. [...]

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  • Une réponse à Boulevard Voltaire (ou du moins à Christine Tasin)

    Sur Boulevard Voltaire, Christine Tasin nous dit le peu de considération qu'elle éprouve pour le Printemps français en général et pour Béatrice Bourges, nommément citée, en particulier. Riposte laïque, qu'elle représente, aurait le filon en matière d'action politique : il faut être anti-islam en France avant tout. Et le Printemps français, en se plaçant sur le plan de la morale, n'aurait rien compris et retomberait dans l'ornière de tous les réacs. Mais le mieux est de la citer : 
    "Non seulement l’aile catholique traditionnelle la plus véhémente – celle qui refuse l’avortement, voire la contraception et, forcément, demain, l’euthanasie -, était là, avec à la fois Civitas – dont le président, Alain Escada, affirme tranquillement que l’homosexualité est un péché (on ne rit pas) et que les homos doivent carrément se faire hara-kiri pour ses beaux yeux – mais, surtout, Fils de France, en la personne de Camel Bechikh, qui était invité aux préparations de manifs en compagnie de Béatrice Bourges et présent à la tribune avec ses femmes voilées… "
    Chère Christine Tasin, toutes les révolutions auxquelles vous avez pu participer intellectuellement (et peut-être plus si affinités, je n'en sais rien) sont des révolutions anti. Vous croyez qu'on fait la Révolution en étant contre. Mais ces révolutions là ont toujours échoué parce qu'elles étaient purement dialectiques. La Révolution contre ? Cela ne va nulle part, on le sait trop aujourd'hui.
     
    La Révolution française (contre l'Eglise et contre les nobles - à la lanterne) a produit le grand déclassement français comme l'a expliqué naguère Pierre Chaunu (ou encore Jean Sédillot). La Commune et la résistance à outrance et sans espoir aux Boches, au nom du nationalisme le plus éruptif à produit le Traité de Versailles et... la guerre suivante - Merci Gambetta. La Révolution russe a engendré des dizaines de millions de morts et une glaciation historique sans exemple. Bref, on ne fait pas une Révolution contre... Aujourd'hui si vous faites une Révolution contre l'islam, cela donnera quoi ? De nouveaux pogroms ?
     
    La seule Révolution qui marche et qui impose sa marque à l'histoire est celle qui va en avant : c'est d'ailleurs pour cela que l'islamisme est tellement a craindre : il a une foi. Demandez aux nombreux Français de souche convertis à l'islam, demandez aux Françaises voilées... Mais vous ne ferez pas face à l'islamisme avec pour seule mot d'ordre la diabolisation et la dialectique.
     
    Vous n'avez pas le choix, Christine Tasin : votre révolution à vous, ça devrait être la Révolution chrétienne, celle pour laquelle marchent la nuit tous ces Veilleurs, celle au nom de laquelle s'insurgent les "Comités d'accueil" pratiquant le harcèlement démocratique un peu partout en France. Celle qui se révolte contre la Police politique. Celle que porte une foi et une espérance pour l'homme. Celle qui refuse que la vie soit un matériau qui se gère, celle qui considère toute vie comme un don. Je pense que c'est ce que vous avez pu ressentir lorsque, avec Pierre Cassen, vous êtes venus au Centre Saint Paul pour un débat animé il y a deux ans : votre place devrait être avec cette France-là..
     
    Le pire ennemi de la France, ce n'est pas l'islam, c'est elle-même. C'est le nihilisme dans lequel elle donne, comme une nouvelle religion, c'est l'à quoi-bonisme de notre société dépressive. Le Printemps français représente l'insurrection de la jeunesse contre la démoralisation obligatoire, contre le "tout vaut tout" qui est synonyme de "rien ne vaut rien". Lorsque la France - ou au moins une large élite de Français jeunes et ardents - aura repris conscience de la beauté de la vie, de la grandeur du destin humain, alors, à cette France là rien ne résistera et surtout pas l'islam. 
     
    Et là bien sûr vous m'arrêtez tout de suite, en me disant que je fais le jeu des réactionnaires que l'on vous a appris à haïr. Pour vous, l'aile catholique la plus véhémente est celle qui refuse l'avortement, la contraception et demain l'euthanasie... Mais c'est toute l'Eglise catholique que vous visez là. Et que proposez-vous en échange de cet idéal que Jean-Paul II a nommé "l'évangile de la Vie" ? La guerre à l'islam ? Ce n'est pas un idéal, c'est une dialectique.
     
    Ce dont la France a besoin, c'est d'un bien commun que chacun puisse nommer. Or les valeurs républicaines dont vous vous réclamez jusqu'à maintenant sont purement négatives : la liberté, mais pour quoi faire ? L'égalité, si c'est pour emm. le voisin qui réussit et justifier les revendications les plus déraisonnables... La fraternité ? Parlons-en : ça débouche sur ce que Mona Ozouf appelait la fête révolutionnaire. En 1792 et 1793 à Paris on a mangé de la chair humaine dans des transes collectives sans nom. La fête révolutionnaire ? Non merci. La Fraternité révolutionnaire ? Elle ne signifie rien puisqu'elle est un décret purement abstrait et sans idée de père et que l'on ne reconnaît comme frère que celui qui a les mêmes idées que soi.
     
    Ce sont les valeurs chrétiennes d'amour, de fécondité, de respect et de responsabilité (s'opposant à la "fraternité" à "l'égalité" et à la "liberté") qui ont fait notre pays. Ce que le printemps français - tout laïc qu'il soit - nous montre, c'est que ce sont ces valeurs, les seules vitales et vitalisantes, les seules qui ne mènent pas à l'apologie de la culture de mort, qui feront notre avenir. Ou nous les adopterons vraiment et nous vivrons. Ou nous les refuserons et nous crèverons dans notre refus compulsif de la vie, de tout ce qui la respecte et de ce qui lui donne sens. Le déclin démographique de notre Pays deviendra irrémédiable et tout ce que vous craignez arrivera, non pas comme vous l'imaginez, d'une attaque islamique, mais d'une immuno-déficience du corps social français, en autodestruction par dépression collective, autodénigrement et non-remplacement des générations. La France tout entière sera un vaste Massif central - vide.
     
    Vous ne voulez pas cela ? Réfléchissez : les valeurs du christianisme (je ne parle pas ici de foi chrétienne, mais dans l'ordre, de l'amour, du respect et de la responsabilité) sont les seules qui permettent à la France de se payer un avenir, loin du nihilisme ambiant. Au lieu de vous enferrer dans une dialectique anti-islam, censée tout conjurer, travaillez à votre manière pour redonner son âme à notre peuple. Je suis à votre disposition quand vous voulez et si vous le souhaitez pour évoquer ces questions fondamentales, qui sont forcément des questions d'âmes. Les problèmes politiques se sont tellement radicalisés aujourd'hui qu'ils sont devenus, vous le sentez en mettant en cause l'islam, des problèmes spirituels.

  • On a aboli l’esclavage, et bientôt, on abolira le mariage gay

    Fabien, porte-parole officiel des Hommen, déclare :

    "Le groupe s’est monté après le 24 mars, quand on a entendu Manuel Valls parler de casseurs et de débordements". "On a compris que malgré 1,4 million de personnes dans la rue, on n’aurait aucune réponse à part celle de la violence, que François Hollande n’en avait rien à faire de la démocratie". 

    Les Hommen revendiquent leur "totale indépendance". Une équipe de coordination s'occupe d'éplucher les profils internet des volontaires afin d'empêcher toute participation de personnes "marquées par un mouvement politique de gauche ou de droite, par La Manif pour tous, le Printemps français et autres veilleurs".

    "Nous nous battrons jusqu’à ce que la loi Taubira ne soit plus qu’un mauvais souvenir pour la France".

    "Ce n'est pas extrémiste mais réaliste". "Quand un gouvernement n’écoute pas son peuple, on glisse vers le totalitarisme, c’est comme ça qu’ont commencé l’URSS et l’Allemagne d’Hitler, dont je rappelle qu’elle était nationale socialiste". "On a aboli l’esclavage, on a aboli la peine de mort, et bientôt, on abolira le mariage gay, c’est ça la marche de l'histoire."

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  • Plantez des socialistes, il poussera des impôts !

    par Aristide Leucaute* - Quand la gauche n’a plus d’idées, elle invente de nouveaux impôts ou augmente ceux qui existent déjà. Une année et quelques mois après son élection, François Hollande a clairement administré la preuve qu’il était un nain politique autiste et sans mains. La révolte gronde pourtant au sein de ses troupes.

    Réforme ou jacquerie fiscale ?

    Lors d’une conférence de presse tenue le 2 juillet dernier à l’Assemblée Nationale, un collectif réunissant des courants du Parti socialiste (Gauche durable, Gauche populaire, Maintenant la Gauche, Un Monde d’Avance) a exhorté le gouvernement à lancer une grande réforme fiscale comprenant notamment « la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG en un grand impôt sur le revenu à la fois progressif, individualisé et prélevé à la source ». Ce même collectif rappelle l’engagement n°14 du programme présidentiel du locataire de l’Elysée qui promettait « une grande réforme permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d’un prélèvement simplifié sur le revenu (PSR) ». Pour faire bonne mesure, on citera également l’engagement n°16, aux termes duquel l’ancien président du Conseil général de Corrèze s’engageait, d’une part, à maintenir « toutes les ressources affectées à la politique familiale », d’autre part, à rendre « le quotient familial plus juste en baissant le plafond pour les ménages les plus aisés, ce qui concernera moins de 5% des foyers fiscaux ». On voit ce qu’il en est aujourd’hui et ce qu’il en sera vraisemblablement demain. Le « grand soir » fiscal, s’il doit avoir lieu durant le présent quinquennat, ne prendra nullement la direction d’une réforme plus qu’impérieuse, mais attisera les braises d’une jacquerie populaire, tant il est vrai que si le pays est riche, l’Etat, comme en 1788, est pauvre. Mais la France, à la veille de la Révolution, souffrait d’un système fiscal structurellement défaillant ne permettant pas d’alimenter régulièrement et de façon optimale le Trésor public. Celle de 2013, en revanche, ne peut prétendre à semblable argumentaire en défense, son système fiscal étant aussi extraordinairement élaboré qu’il est excessivement complexe.

    Contexte monétaire de la fiscalité

    Dans sa salutaire chronique, « Relire Maurras » (AF 2000, n°2866), Louis de Galice exhume opportunément un article du Martégal paru dans L’Action Française du 17 décembre 1925, dans lequel celui-ci écrivait que « dès que l’influence socialiste s’accroît, la confiance, mère du crédit décroît (…) Le socialisme fiscal rend [la] prospérité impossible. Il ne conduit qu’à l’étatisme. Et l’étatisme c’est la mort ». Depuis la fin du XIXe siècle, l’Etat n’a cessé d’enfler, à l’instar de la grenouille qui se voulait plus grosse que le bœuf de Lafontaine. [...]

    La suite dans L’AF n° 2867

    * Aristide Leucate est rédacteur à L’AF, spécialiste des questions politiques et sociales

    http://www.actionfrancaise.net

  • Défendons la vie !

    La défense de la vie fait partie des thèmes privilégiés par Monde et Vie et si nous devions ne nous en tenir qu'à un combat, ce serait celui-là. Raison de plus pour y consacrer un dossier quand l'actualité est particulièrement riche.
    En quarante-huit heures se sont succédé deux bonnes nouvelles : le 23 janvier, l'éclatant succès de la septième marche pour la vie et, le 25, le rejet par les sénateurs d'une « proposition de loi relative à l'aide active à mourir » qui devait faire entrer l'euthanasie dans la législation française.
    Dans les deux cas, les défenseurs de la vie ont reçu des soutiens, espérés dans un cas, inespérés dans l'autre.
    Au premier rang des soutiens espérés à la marche pour la vie figure, bien sûr, celui du pape Benoît XVI, qui a envoyé sa bénédiction aux marcheurs. Vingt-cinq évêques, dont quinze titulaires et parmi eux le cardinal Barbarin, primat des Gaules, avaient également appuyé la manifestation, à laquelle participaient quatre évêques catholiques romains : NNSS Lebrun, Bagnard, Aillet, Laun, ainsi qu'un évêque de l'Eglise syro-orthodoxe.
    On remarquait aussi parmi les marcheurs un certain nombre d'hommes politiques français et d'élus, appartenant à divers partis - et c'est bon signe : Bruno Gollnisch, député européen, Patrick Louis, conseiller régional Rhône-Alpes, Xavier Lemoine, maire de Montfermeil, Guy de Framond, maire du Plantay (Ain), Christophe Bentz, président des Jeunes pour la France, Hubert Veauvy, responsable national des idées pour les jeunes au sein du Parti national chrétien, Carl Lang, président du Parti de la France, Jean-Claude Martinez, ancien député européen... Et deux fois plus de manifestants que l'année précédente : les choses bougent ! Au premier rang des appuis inespérés qui ont permis de faire barrage à l'euthanasie, vient le premier ministre François Fillon. Le texte du projet de loi débattu au Sénat le 25 janvier, après avoir été adopté le 18 janvier par la commission des Affaires sociales du même Sénat, prévoyait que « Toute personne capable majeure, en phase avancée ou terminale d'une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, lui infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou qu'elle juge insupportable, peut demander à bénéficier d'une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort rapide et sans douleur. » La veille du débat, François Fillon a publié une tribune dans Le Monde, dans laquelle il écrivait clairement : « La question est de savoir si la société est en mesure de légiférer pour s'accorder le droit de donner la mort. J'estime que cette limite ne doit pas être franchie. » Cette démarche du Premier ministre a sans aucun doute fait pencher la balance du côté des défenseurs de la vie, au sein d'un Sénat où l'empoignade était rude.
    40 % des femmes avorteront au moins une fois dans leur vie
    Certains élus avaient clairement fait connaître leur opposition à l'euthanasie, comme le sénateur de Paris Yves Pozzo di Borgo (Nouveau Centre), qui s'indignait dans un communiqué : « Ce texte est légitimement dénoncé par les plus hautes autorités morales de notre pays, qu'il s'agisse de l'Ordre des médecins ou de l'Église catholique. Je ne comprends pas que la présidente de la commission des Affaires sociales du Sénat ait pu cautionner une telle proposition de loi. Derrière le droit à mourir dans la dignité se camoufle en fait le droit au suicide assisté. La véritable réponse à apporter aux malades c'est le développement des soins palliatifs dans notre pays. En agitant devant l'opinion certains cas extrêmes et souvent dramatiques on risque d'ouvrir la boîte de Pandore exposant les personnes les plus vulnérables à des dérives incontrôlables. »
    Le député de la Drôme Hervé Mariton, dans un livre d'entretiens qu'il a récemment publié avec le journaliste Fabrice Madouas *, estime lui aussi qu'il est « heureux que le législateur résiste à l'idée que l'euthanasie soit un choix légitime » et que le refus de cette solution « est un mouvement du cœur ».
    Hervé Mariton, fait également état d'un chiffre dramatique : selon l'Institut national des études démographiques, en France, près de 40 % des femmes avorteront au moins une fois dans leur vie. Ce fléau frappe en particulier les jeunes, rançon sinistre de la sexualité précoce des adolescents. Le proviseur d'un lycée professionnel de Crest, ville dont Hervé Mariton est le maire lui a confié que la moitié des jeunes filles de son établissement avaient avorté avant d'atteindre la majorité. On mesure la tragédie que cela représente, non seulement pour les enfants qui sont tués dans le sein de leur mère, mais pour ces mères elles-mêmes : selon un sondage publié par La Croix en février dernier, 83 % des Françaises jugent que « l'avortement laisse traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes » - beaucoup d'entre elles le savent malheureusement d'expérience - et 61 % estiment qu'il y a trop d'avortements. Le député de la Drôme, qui déclare ne pas contester la légalisation de l'avortement rappelle cependant l'article 1er de la loi Veil qui précise : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. » Notre société nage en pleine contradiction ! Le député estime qu'il faudrait davantage informer les Françaises des solutions alternatives à l'avortement et tire la sonnette d'alarme concernant l'autorisation de la recherche sur l'embryon, avant la révision de la loi bioéthique qui interviendra en février. D'autres éléments d'actualité viennent réveiller le débat autour de l'accueil de la vie, comme la demande de reconnaissance en pseudo « paternité d'une lesbienne sur les enfants que sa compagne a eu en recourant aux méthode de fécondation artificielle ; encore, comme la possibilité donnée aux enfants nés sous X de connaître ultérieurement leurs parents naturels - mesure faussement compulsionnelle, qui risque d'accroître encore le nombre des avortements au détriment des procédures d'abandon. Tout se ramène, au fond, à l'avertissement pape Jean-Paul II lors de sa rencontre avec les jeunes au Parc des princes, à Paris, en 1981 « La liberté sexuelle ne fait pas le bonheur l'homme. La société de consommation pas le bonheur de l'homme. » Trente ans plus tard, la liberté sexuelle a fini par réduire l'homme lui-même à un simple objet de consommation.
    Hervé Bizien monde & vie 28 janvier 2011
    * Hervé Mariton, Transmettre pour construire, Pygmalion, 19,90€

  • En souvenir de Julien Freund

    Le 10 septembre 1993, Julien Freund nous a quitté silencieusement. En Europe, il était l'un des plus éminents philosophe de la politique, une référence obligée pour tous ceux qui voulaient penser celle-ci en dehors des sentiers battus. La presse n'en a pas fait écho.

    Né à Henridorff, en Alsace-Lorraine, en 1921, il s'engage dans les rangs de la résistance au cours de la Seconde Guerre mondiale. Dans l'immédiat après-guerre, il enseigne d'abord la philosophie à Metz, puis devient président de la faculté des sciences sociales de l'université de Strasbourg, dont il assurera le développement.

    Inspiré initialement pas la pensée de Max Weber*, un auteur peu connu dans la France de l'époque, Freund élabore petit à petit une théorie de l'agir politique qu'il formule, en ses grandes lignes, dans son maître-ouvrage, L'essence du politique (Sirey, 1965).

    Le politique est une essence, dans un double sens : d'une part, c'est l'une des catégories fondamentales, constantes et non éradicables, de la nature et de l'existence humaines et, d'autre part, une réalité qui reste identique à elle-même malgré les variations du pouvoir et des régimes et malgré le changement des frontières sur la surface de la terre. Pour le dire en d'autres termes : l'homme n'a pas inventé le politique et encore moins la société et, d'un autre côté, en tous temps, le politique restera ce qu'il a toujours été, selon la même logique pour laquelle il ne pourrait exister une autre science, spécifiquement différente de celle que nous connaissons depuis toujours. Il est en effet absurde de penser qu'il pourrait exister deux essences différentes de la science, c'est-à-dire deux sciences qui auraient des présupposés diamétralement opposés ; autrement, la science serait en contradiction avec elle-même.

    Ou encore :

    La politique est une activité circonstancielle, causale et variable dans ses formes et dans son orientation, au service d'une organisation pratique et de la cohésion de la société [...]. Le politique, au contraire, n'obéit pas aux désirs et aux fantaisies de l'homme, qui ne peut pas ne rien faire car, dans ce cas, il n'existerait pas ou serait autre chose que ce qu'il est. On ne peut supprimer le politique  – à moins que l'homme lui-même, sans se supprimer, deviendrait une autre personne.

    Freund, sur base de cette définition de l'essence du politique, soumet à une critique serrée l'interprétation marxiste du politique, qui voit ce dernier comme la simple expression des dynamiques économiques à l'œuvre dans la société. Freund, pour sa part, tient au contraire à en souligner la spécificité, une spécificité irréductible à tout autre critère. Le politique, dans son optique, est « un art de la décision », fondé sur trois types de relations : la relation entre commandement et obéissance, le rapport public/privé et, enfin, l'opposition ami/ennemi.

    Ce dernier dispositif bipolaire constitue l'essence même du politique : elle légitimise l'usage de la force de la part de l'État et détermine l'exercice de la souveraineté. Sans force, l'État n'est plus souverain ; sans souveraineté, l'État n'est plus l'État. Mais un État peut-il cessé d'être "politique" ? Certainement, nous répond Freund :

    Il est impossible d'exprimer une volonté réellement politique si l'on renonce d'avance à utiliser les moyens normaux de la politique, ce qui signifie la puissance, la coercition et, dans certains cas exceptionnels, la violence. Agir politiquement signifie exercer l'autorité, manifester la puissance. Autrement, l'on risque d'être anéanti par une puissance rivale qui, elle, voudra agir pleinement du point de vue politique. Pour le dire en d'autres termes, toute politique implique la puissance. Celle-ci constitue l'un de ses impératifs. En conséquence, c'est proprement agir contre la loi même de la politique que d'exclure dès le départ l'exercice de la puissance, en faisant, par exemple, d'un gouvernement un lieu de discussions ou une instance d'arbitrage à la façon d'un tribunal civil. La logique même de la puissance veut que celle-ci soit réellement puissance et non impuissance. Ensuite, par son mode propre d'existence, la politique exige la puissance, toute politique qui y renonce par faiblesse ou par une observation trop scrupuleuse du droit, cesse derechef d'être réellement politique ; elle cesse d'assumer sa fonction normale par le fait qu'elle devient incapable de protéger les membres de la collectivité dont elle a la charge. Pour un pays, en conséquence, le problème n'est pas d'avoir une constitution juridiquement parfaite ou de partir à la recherche d'une démocratie idéale, mais de se donner un régime capable d'affronter les difficultés concrètes, de maintenir l'ordre, en suscitant un consensus favorable aux innovations susceptibles de résoudre les conflits qui surviennent inévitablement dans toute société.

    On perçoit dans ces textes issus de L'essence du politique la parenté évidente entre la philosophie de J. Freund et la pensée de Carl Schmitt (1888-1985).

    Particulièrement attentif aux dynamiques des conflits, ami de Gaston Bouthoul, un des principaux observateurs au monde de ces phénomènes, Freund fonde en 1970, toujours à Strasbourg, le prestigieux Institut de Polémologie [« J'entends par polémologie, expliquait-il, non point la science de la guerre et de la paix, mais la science générale du conflit au sens du polemos héraclitéen »] et, en 1983, il publie, dans le cadre de cette science de la guerre, un essai important : Sociologie du conflit, ouvrage où il considère les conflits comme des processus positifs : « Je suis sûr de pouvoir dire que la politique est par sa nature conflictuelle, par le fait même qu'il n'y a pas de politique s'il n'y a pas d'ennemi »**.

    Ainsi, sur base de telles élaborations conceptuelles, révolutionnaires par leur limpidité, Freund débouche sur une définition générale de la politique, vue « comme l'activité sociale qui se propose d'assurer par la force, généralement fondée sur le droit, la sécurité extérieure et la concorde intérieure d'une unité politique particulière, en garantissant l'ordre en dépit des luttes qui naissent de la diversité et des divergences d'opinion et d'intérêts ».

    Dans un livre largement auto-biographique, publié sous la forme d'un entretien (L'aventure du politique, Critérion, 1991), Freund exprime son pessimisme sur le destin de l'Occident désormais en proie à une décadence irrémédiable, due à des causes internes qu'il avait étudiées dans les page d'un autre de ses ouvrages magistraux, La décadence (Sirey, 1984). Défenseur d'une organisation fédéraliste de l'Europe, il avait exprimé son point de vue sur cette question cruciale dans La fin de la Renaissance (PUF, 1980). Julien Freund est mort avant d'avoir mis la toute dernière main à un essai sur l'essence de l'économique. C'est le Prof. Dr. Piet Tommissen qui aura l'insigne honneur de publier la version finale de ce travail***, à coup sûr aussi fondamental que tous les précédents. Le Prof. Dr. Piet Tommissen sera également l'exécuteur testamentaire et le gérant des archives que nous a laissé le grand politologue alsacien.

    Dott. Alessandra Colla (revue milanaise Orion n°108, sept. 1993).

    ◘ Notes en sus :

    * : De Max Weber, Freund traduisit Le savant et le politique et Essais sur la théorie de la science (également préfacé par lui). Cf. extraits.

    ** : « La diabolisation de l’ennemi est le prix à payer par ceux qui méconnaissent l’opposition ami-ennemi. D’où les guerres d’extermination qui, visant des ennemis réduits à des incarnations du diable, sont conduites au nom de fins sublimes (paix perpétuelle, fraternité universelle, etc.) » PA Taguieff, Julien Freund, au cœur du politique, La Table ronde, 2008, p. 54. L’ennemi est entendu ici en tant que « polemos » ou « hostis », c’est-à-dire en tant qu’ennemi public, entité qu’il faut distinguer nettement de l’ennemi privé (« ekhthros » ou « inimicus »). En bon penseur machiavélien, Julien Freund décèle le jeu machiavélique de ceux qui rejettent la notion d’ennemi pour utiliser en contrepartie une terminologie moralisatrice évacuant littéralement l’ennemi du genre humain. « L’ennemi revient par la porte de derrière, mais sous une apparence diabolique », écrit à ce propos Taguieff (p. 53).

    *** : L’essence de l’économique, Presses univ. de Strasbourg, 1993 [cf. cet entretien]. P. Tommissen a aussi établi une bibliographie en annexe de Philosophie et sociologie (Cabay, Louvain-la-Neuve, 1984, p. 415-456 : Julien Freund, une esquisse bio-bibliographique).

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  • Comment peut-on ne pas être rebelle ?

    Entretien avec Dominique Venner (2001)

    Nul autre que Dominique Venner n'était mieux qualifié pour ouvrir ce dossier [sur la pensee rebelle]. Car nul autre ne pouvait mieux définir l'esprit de rébellion… L'auteur de l'admirable Cœur rebelle ne s'y disait-il pas lui-même « rebelle par fidélité » ? Et dans son récent Dictionnaire amoureux de la chasse, qu'il faut lire, page après page, au coin du feu, Venner célèbre encore une étonnante figure de rebelle : le braconnier immortalisé par Maurice Genevoix dans Raboliot !

    • Qu'est-ce qu'un « rebelle » ? Est-on rebelle-né, ou le devient-on au hasard des circonstances historiques ? Y a-t-il plusieurs types de rebelle ?

    Dominique Venner : On peut être intellectuellement insoumis, en marge du troupeau, sans être pour autant un rebelle. Paul Morand en est un bon exemple. Dans sa jeunesse, il avait été un esprit libre, sans plus, et un favorisé de la fortune, dans les deux sens du mot. Ses romans un peu déshabillés avaient favorisé son succès. Rien de rebelle ni même d'insolent à cette époque. D'avoir fait involontairement le choix des futurs perdants entre 1940 et 1944, d'avoir persisté ensuite dans ses répulsions, de s'être senti un étranger, voilà ce qui a fait de lui l'insoumis révélé par son Journal.

    Autre exemple très différent, celui d'Ernst Jünger. Bien qu'auteur d'un Traité du rebelle très influencé par les inquiétudes de la guerre froide, Jünger ne fut jamais un rebelle. Nationaliste à l'époque du nationalisme, en froid avec le IIIe Reich comme une bonne partie de la bonne société, lié pendant la guerre aux futurs comploteurs du 20 juillet 1944, iI n'a jamais approuvé le principe de l'attentat contre Hitler. Cela pour des raisons d'ordre éthique. Son itinéraire plus ou moins en marge des modes est très exactement celui de l'anarque, figure dont il fut l'inventeur et la parfaite incarnation après 1932. L'anarque n'est pas un rebelle. C'est un spectateur juché à une altitude telle que la boue ne peut l'atteindre.

    À l'inverse de Morand ou de Jünger, au sein de la génération précédente, le poète irlandais Padrig Pearse fut un authentique rebelle. On peut dire qu'il le fut de naissance. Enfant, il avait appris la geste des combattants de toutes les révoltes de l'Erin. Plus tard, il entreprit d'associer le réveil de la langue gaélique à la préparation de l'insurrection armée. Membre fondateur de la première IRA, il fut le véritable chef du soulèvement de Pâques 1916 à Dublin. Pour cette raison on le fusilla. II mourut sans savoir que son sacrifice serait le levain qui ferait triompher sa cause.

    Quatrième exemple encore différent, Alexandre Soljénitsyne. Jusqu'à son arrestation en 1945, il avait été un excellent Soviétique, se posant peu de questions sur un système dans lequel il était né, accomplissant pendant la guerre son devoir d'officier réserviste de l'Armée rouge sans drame de conscience. Son arrestation, la découverte du Goulag, de l'horreur accumulée depuis 1917, provoquèrent une totale remise en question, tant de lui-même que du monde dans lequel iI avait vécu jusque-là en aveugle. C'est alors qu'il devint un rebelle, y compris aux sociétés marchandes, destructrices de toute tradition et de toute vie supérieure.

    Les raisons d'un Pearse ne sont pas celles d'un Soljénitsyne. II a fallu le choc d'un événement suivi d'un effort intérieur héroïque pour faire du second un rebelle. Ce qu'ils ont en commun, c'est d'avoir découvert par des voies différentes une incompatibilité absolue entre leur être et le monde dans lequel il leur fallait vivre. Tel est le premier trait qui définit le rebelle. Le second est le refus de la fatalité.

    • Quelle différence y a-t-il entre la rébellion, la révolte, la dissidence, la résistance ?

    La révolte est un mouvement spontané, provoqué par une violence injuste, une ignominie, un scandale. Fille de l'indignation, elle est rarement durable. La dissidence, comme l'hérésie, est le fait de se séparer d'avec une communauté, qu'elle soit politique, sociale, religieuse ou philosophique. Ses mobiles peuvent être liés au hasard. Elle n'implique pas d'engager la lutte. Quant à la résistance, au-delà du sens mythique acquis pendant la guerre, elle signifie que l'on s'oppose, sans plus, à une force ou à un système, même de façon passive. Être rebelle c'est autre chose.

    • À quoi un « rebelle » est-il essentiellement… rebelle ?

    Il est rebelle à ce qui lui paraît illégitime, à l'imposture ou au sacrilège. La rebelle est lui-même sa propre loi. C'est ce qui fonde sa spécificité. Son deuxième trait est la volonté d'engager la lutte, fût-elle sans espoir. S'il combat une puissance, c'est parce qu'il en récuse la légitimité, prétendant lui-même à une autre légitimité, au besoin celle de l'âme ou de l'esprit.

    • Quels modèles de « rebelles » offririez-vous, en les choisissant dans l'histoire et la littérature ?

    D'emblée, je pense à l'Antigone de Sophocle. Avec elle, nous sommes dans l'espace de la légitimité sacrée. Antigone est rebelle par fidélité. Elle brave le décret de Créon par respect pour la tradition et le commandement divin  l'ensevelissement des morts  transgressé par le roi. Peu importe que Créon ait ses raisons. Leur prix est un sacrilège. Antigone se croit donc légitimée dans sa rébellion.

    Pour invoquer d'autres exemples, j'ai l'embarras du choix. Durant la guerre de Sécession américaine, les Yankees désignèrent leurs adversaires sudistes sous le nom de rebelles, Rebs. C'était de bonne propagande, mais faux. La Constitution des États-Unis reconnaissait en effet le droit de sécession aux États membres. Et les formes constitutionnelles avaient été respectées par les États du Sud. Le général Robert Lee, un Virginien, futur commandant en chef des armées confédérées, ne se considérait pas comme un rebelle. Après sa reddition en avril 1865, il s'efforça de réconcilier le Sud avec le Nord. C'est à ce moment que se levèrent les vrais rebelles, des femmes et des hommes qui, après la défaite, continuèrent la lutte contre l'occupation du Sud par les armées nordistes et leurs protégés. Certains tombèrent dans le banditisme, comme Jesse James. D'autres transmirent à leurs enfants une tradition qui eut une grande postérité littéraire. Au détour de L'invaincu, le plus beau roman de William Faulkner, on découvre par ex. le portrait fascinant d'une jeune rebelle sudiste, Drusilla, à jamais certaine de son bon droit et de l'illégitimité des vainqueurs.

    • Comment peut-on être rebelle aujourd'hui ?

    Je me demande surtout comment on pourrait ne pas l'être ! Exister, c'est combattre ce qui me nie. Être rebelle, ce n'est pas collectionner des livres impies, rêver de complots fantasmagoriques ou de maquis dans les Cévennes. C'est être à soi-même sa propre norme. S'en tenir à soi quoi qu'il en coûte. Veiller à ne jamais guérir de sa jeunesse. Préférer se mettre tout le monde à dos que se mettre à plat ventre. Pratiquer aussi en corsaire et sans vergogne le droit de prise. Piller dans l'époque tout ce que l'on peut convertir à sa norme, sans s'arrêter sur les apparences. Dans les revers, ne jamais se poser la question de l'inutilité d'un combat perdu. Voir Padrig Pearse.

    J'ai évoqué Soljénitsyne qui incarna l'épée magique dont parle Jünger, « l'épée magique qui fait pâlir la puissance des tyrans ». En cela il est unique et inimitable. II était pourtant redevable à moins grands que lui. Et cela incite à réfléchir. Dans L'archipel du Goulag, il a narré les circonstances de sa « révélation ». En 1945, ils étaient une dizaine de détenus dans la même cellule de la prison de Boutyrki à Moscou, visages hâves et corps abandonnés. Un seul, parmi les détenus, était différent. C'était un ancien garde blanc, le colonel Constantin Iassévitch. On entendait lui faire payer son engagement dans la guerre civile, en 1919. Et Soljénitsyne dit que le colonel, sans parler de son passé, montrait par toute son attitude que la lutte n'avait pas cessé pour lui. Tandis que le chaos régnait dans l'esprit des autres détenus, il avait visiblement un point de vue clair et tranché sur le monde qui les entourait. La netteté de sa position donnait à son corps solidité, souplesse, énergie, malgré son âge. II était le seul à s'asperger d'eau froide chaque matin, alors que les autres détenus croupissaient dans leur crasse et se lamen­taient. Un an plus tard, transféré à nouveau dans cette même prison de Moscou, Soljénitsyne apprit que l'ancien colonel blanc venait d'être exécuté. « C'était donc cela qu'il voyait à travers les murs, de ses yeux restés jeunes… Mais le sentiment incoercible d'être resté fidèle à la voie qu'il s'était tracée lui donnait une force peu commune ». Méditant sur cet épisode, je me dis qu'à défaut d'imaginer jamais devenir un autre Soljénitsyne, il est au pouvoir de chacun d'être à l'image du vieux colonel blanc.

    ► entretien paru dans éléments n°101, mai 2001.

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  • L'oeuvre de Seyyed Hossein Nasr: Islam, connaissance, nature et sacré

    Peu connu du public francophone, parce peu de ses ouvrages ont été traduits en français (bien que les éditions L'Age d'Homme de Lausanne préparent la traduction de l'un de ses livres, L'Islam traditionnel face au monde moderne), Seyyed Hossein Nasr est né à Téhéran, a fait ses études au Massachusetts Institute of Technology et à l'Université d'Harvard. En 1958, il est retourné à Téhéran, où il est devenu directeur de l'Académie impériale iranienne de philosophie en 1974 et professeur de philosophie à l'Université de sa ville natale. Aujourd'hui, il enseigne les sciences religieuses à la Temple University de Philadelphie. Notons aussi que Seyyed Hossein Nasr a été le collaborateur du célèbre islamologue français Henri Corbin dans la rédaction de son Histoire de la philosophie islamique, parue chez Gallimard en 1964. 

    Le premier livre de Seyyed Hossein Nasr que j'ai lu en 1979 était Man and Nature. The Spiritual Crisis of Modern Man   (Mandala Books/Unwin, London, 1968/76). Le propos de cet ouvrage était à la fois religieux et "écologique", bien avant que ce vocable n'ait été à la mode. Seyyed Hossein Nasr, avant tout le monde, nous demandait de ne pas penser séparément la crise spirituelle de l'homme, provoquée par les assauts de la modernité, et la crise écologique, subie par la nature, à cause de la logique accumulatrice et exploitante, inaugurée par cette même modernité. Le tour de force du Prof. Nasr a été d'aborder la double problématique de l'homme et de la nature en se référant au taoïsme, à l'hindouïsme, au bouddhisme, au christianisme et à l'islam.
    Vaste panorama des doctrines traditionnelles, présenté dans une optique qui pose comme axiome, en toute bonne logique traditionaliste et à la suite de Frithjof Schuon, l'"unité transcendante des religions", les travaux de Seyyed Hossein Nasr visent, en fait, à recomposer cette harmonie entre l'homme et la nature qu'a brisée la modernité. La connaissance des doctrines traditionnelles, énoncées avec beaucoup de pédagogie par le Prof. Nasr, doit servir à reconstituer, pièce par pièce, l'unité perdue. La négligence des principes traditionnels a conduit à la crise (morale, politique, écologique). L'omniprésence des effets de cette crise dans la vie quotidienne moderne signale l'absence de "quelque chose". Et ce sentiment d'absence est dû au bannissement de la nature hors de l'environnement quotidien moderne. Dépourvue de toute signification spirituelle, la nature déchoit: elle n'est plus qu'une "chose", exploitable, pillable, instrumentalisable, qui est à la disposition de tous et d'un chacun.
    Parallèlement à cette désacralisation généralisée, à cette triste choséification de l'espace physique naturel, l'expérience religieuse, désormais débarrassée de tout ancrage fécond, n'est plus ouverte sur le cosmos; elle n'est plus qu'une expérience strictement privée entre un homme et son Dieu. Dans un tel appauvrissement de l'expérience religieuse, le cosmos, le monde, ne sont plus perçus comme les oeuvres de Dieu. Contrairement aux autres religions traditionnelles, le christianisme est, dans une certaine mesure, responsable de cette désacralisation, parce qu'il prêche le renoncement au monde et ne lui accorde, par conséquence, aucune importance métaphysique. Il ne s'agit évidemment pas du christianisme médiéval qui a su conserver relativement intactes les grandes doctrines ésotériques, notamment dans les gildes de bâtisseurs de cathédrales, chez les Fedeli d'amore (auxquels appartenait Dante; cf., à ce propos, René Guénon, Aperçus sur l'ésotérisme chrétien, Editions traditionnelles, Paris, 1988), dans les cercles hermétiques de tradition pythagoricienne. Ce christianisme européen médiéval possédait sa science sacrée des objets matériels, capables de conduire l'âme, depuis les ténèbres de la materia prima,  vers la luminosité du monde intelligible.
    Mais cette science sacrée a sans cesse été refoulée par la tentation chrétienne de refuser le monde, d'une part, par la théologie trop rationaliste de l'Occident, d'autre part. Pour Seyyed Hossein Nasr, c'est le contact entre la chrétienté et l'Islam, pendant les croisades, par l'intermédiaire de l'Ordre du Temple notamment, qui réveille les éléments dormants de l'ésotérisme religieux en Europe, après le rejet, au XIième siècle des thèses néo-platoniciennes. En effet, en Islam comme en Chine taoïste, l'observation de la nature et l'expérimentation ont toujours conservé leur attachement aux traditions gnostiques et mystiques, empêchant du même coup que ne s'opère là-bas le divorce complet entre science et sacré, survenu dans l'Europe du XVIIième siècle. En refusant de séparer totalement l'homme de la nature, l'Islam préserve une vision intégrale de l'Univers, non fragmentée, à l'instar de celle de Hugues de Saint-Victor et de Joachim de Flore au Moyen Age, ou de Swedenborg, après la Renaissance. Dans cette perspective cosmique, intégrale, dépourvue de césure, l'homme cherche la transcendance et le surnaturel, non pas en s'opposant à la nature, mais en prenant appui sur cette même nature. Ce n'est qu'en étant ancré dans la nature que l'homme peut correctement la dépasser. L'homme doit apprendre à contempler la nature, non comme si elle était un domaine du réel tout-à-fait indépendant de lui, mais comme si elle était un miroir réfléchissant une réalité supérieure.
    Seyyed Hossein Nasr réhabilite également les traditions animistes ou païennes qui ne véhiculent pas de césure entre l'homme et la nature. D'abord, les traditions des Amérindiens, surtout ceux des Plaines, qui n'ont évidemment pas développé une métaphysique bien articulée mais en possédaient néanmoins les fondements dans leur intériorité et les exprimaient par des symboles très parlants. L'Indien des Plaines était une sorte de monothéiste primordial, écrit Seyyed Hossein Nasr, et voyait dans la nature vierge, les forêts, les arbres, les fleuves et le ciel, les oiseaux et les bisons, les symboles immédiats du monde spirituel. Raison pour laquelle l'Indien refuse que l'on meurtrisse la nature, qu'on la sollicite outrancièrement.
    Ensuite, le paganisme nord-européen, différent du paganisme méditarranéen, urbanisé et dénaturé, attribue également, selon Seyyed Hossein Nasr, une signification symbolique et spirituelle à la nature.
    L'unité entre l'homme et la nature, présente dans les doctrines traditionnelles, dans le christianisme ésotérique, dans la vision du cosmos des Indiens des Plaines et des Nord-Européens, disparaît avec Descartes, qui réduit le réel à l'esprit et à la matière, appauvrissant pendant plusieurs générations la perception occidentale de la nature. Celle-ci n'est plus perçue que sous l'angle d'une physique quantitative et mécanique, qui, d'abord, n'est pas la seule physique possible et qui, ensuite, ne rend compte, justement, que des aspects quantitatifs et mécaniques du monde, laissant de côté une myriade de facettes, d'harmonies, de formes, qui ne sont nullement accidentelles ou négligeables, mais, au contraire, étroitement liées à la racine ontologique des choses. Cette négligence et cette réduction conduisent à un déséquilibre dangereux, au désordre généralisé et à la laideur des productions artistiques et architecturales des hommes, surtout dans un monde comme le monde occidental où il n'y a plus d'autres sciences de la nature et où toute sapientia  a été refoulée. L'Occident en vient ainsi à oublier que les phénomènes participent tous de plusieurs niveaux cosmiques différents et que leur réalité ne s'épuise pas dans un et un seul niveau d'existence. De la même façon qu'un tissu vivant peut être objet d'étude pour le biologiste, le chimiste ou le physicien, ou qu'une montagne peut être objet d'études pour le géologue, le géophysicien ou le géo-morphologue, tout phénomène, quel qu'il soit, doit être observé, analysé et contemplé sous différents angles ou points de vue.
    L'Occident a du mal à se dégager de cette gangue physiciste/mécaniciste. L'attitude romantique envers la nature, première réaction contre le paradigme newtonien et cartésien, est demeurée plus sentimentale qu'intellectuelle, écrit Seyyed Hossein Nasr. Il poursuit: "Cette attitude passive n'a pu inaugurer un nouveau savoir. Quels que soient les services que le mouvement romantique a rendu à l'esprit en rédécouvrant l'art médiéval ou la beauté de la nature vierge, il n'a pu influencer le cours de la science ni ajouter une nouvelle dimension à l'intérieur même de la science...". Plus tard, la théorie de l'évolution, bien que biologisante et non plus unilatéralement mécanicisante, ne reflète que le Zeitgeist  accumulateur, écrit Seyyed Hossein Nasr, sans "ré-organiciser" de fond en comble les sciences physiques, tout en parodiant l'historicisme inhérent à la vulgate chrétienne.
    Et quand la physique newtono-cartésienne s'effondre à la fin du XIXième siècle, l'Occident se retrouve sans aucune force spirituelle capable de ré-interpréter la nouvelle physique et de l'intégrer dans une perspective plus générale et universelle. Par ailleurs, l'effondrement du paradigme mécaniciste ouvre la voie à toutes sortes de mouvements pseudo-spirituels ou occultistes, tandis que les théologiens, maladroits et éloignés de toute véritable sapientia, ne parviennent pas à donner une réponse satisfaisante ou élaborent des corpus boîteux, comme celui de Teilhard de Chardin, qui, écrit Seyyed Hossein Nasr, "est une absurdité sur le plan de la métaphysique et une hérésie sur le plan de la théologie".
    Dans un second ouvrage de Seyyed Hossein Nasr, paru en traduction allemande en 1990
    Seyyed Hossein Nasr, Die Erkenntnis und das Heilige,  (Knowledge and the Sacred) Eugen Diederichs Verlag, München, 1990, 438 S., ISBN 3-424-01031-6
    notre auteur récapitule ses arguments, tout en opposant la connaissance sapentiale et les processus involutifs de désacralisation, l'homme pontifical (de pontifex, pontem-facere, faire de soi un pont entre le ciel et la terre) à l'homme prométhéen. Le propos de Seyyed Hossein Nasr vise à réhabiliter le sacré dans la science, à réouvrir la science aux perspectives métaphysiques, c'est-à-dire aux plans qualitatifs ignorés par le paradigme newtono-cartésien, mais présents dans l'Islam traditionnel, par exemple.
    Pour Seyyed Hossein Nasr, en Islam, religion qui, comme le judaïsme, repose sur la spiritualité abrahamique, le message de la révélation s'adresse essentiellement aux facultés de connaissance; en effet, la révélation islamique s'adresse à l'homme en tant qu'intelligence, capable de faire la distinction entre le réel et l'irréel, de reconnaître et de vénérer l'Absolu. Ce message, écrit Seyyed Hossein Nasr, a été déterminé dans l'histoire par son premier conteneur, c'est-à-dire la mentalité sémitique-arabe, qui lui a conféré une certaine émotionalité, une propension à l'inspiration exaltée, qui, sur le plan théologique, se traduit par une forme d'"anti-intellectualisme" volontaire/volontariste. Il n'en demeure pas moins que cette émotionalité anti-intellectualiste de facture sémitique-arabe n'est qu'un aspect circonstantiel de l'Islam. Son noyau essentiel demeure le primat de la connaissance, auquel émotions, inspirations et exaltations doivent rester subordonnées. Le premier article de la foi islamique Lã ilãha illa¹ Llãh (Il n'y a point d'autre divin que le Divin) s'adresse en premier lieu à la connaissance et non au sentiment ou à la volonté. Le principe de connaissance est le moteur de l'Islam et tous les noms traditionnels relatifs aux écrits sacrés ont un rapport avec la connaissance: al-qur¹ãn (exposé, discours), al-furqãn (distinction), etc. En terre d'Islam, tout au long de l'histoire, nous repérons un véritable culte de la connaissance.
    Culte de la connaissance qui est lié, écrit Seyyed Hossein Nasr, à cette sapientia, cette sophia, qui dépasse la dichotomie conventionnelle entre l'intellectualisme grec et l'"inspirationalisme" hébraïque. La sophia, en effet, n'est ni pure intellectualité ni pure foi. Elle est les deux, à la perfection. Les néo-platoniciens l'ont mise en valeur, mais leur message n'a pas été entièrement compris, du moins dans le contexte chrétien et européen. La tradition chrétienne ne se veut pas a priori un chemin de la connaissance, mais un chemin de l'Amour, ce qui a conduit, dès l'aube de l'ère moderne, à négliger la sagesse/sophia, comme si elle était un corps étranger au sein d'une religion purement éthique, dont le socle serait l'amour pour Dieu et pour le prochain et l'élément central la foi. Certes, écrit Nasr, le christianisme est une religion qui privilégie la voie de l'Amour, mais son histoire révèle tout de même des pistes qui ont valorisé les voies de la connaissance et de la sagesse. Notamment, dans les traditions johannites, qui affirment le primat du logos, source de la révélation et de la connaissance ("Au commencement était le Verbe"). Cette attention moindre du christianisme au primat de la connaissance à conduit à la surévaluation contemporaine de l'éthique, au détriment de la naturalité, du politique et du travail (cf. Sigrid Hunke, Vom Untergang des Abendlandes zum Aufgang Europas. Bewußtseinswandel und Zukunftsperspektiven, Horizonte Verlag, Rosenheim, 1989).
    Ce "chemin de la sagesse", nous le retrouvons à Byzance, où se dresse la construction sacrée la plus belle du christianisme primitif, la Hagia Sophia, dédiée à la Sagesse, représentée par ailleurs sous les traits d'une belle jeune femme, qui sera, tour à tour, la Vierge Marie ou la Béatrice de Dante ou Fatima, la fille du Prophète. Mais ce culte de la sophia et de la gnosis sera graduellement refoulé, si bien qu'en Occident le concept de connaissance sera entièrement sécularisé. Pourtant la dimension sapientiale a été présente dans le christianisme, surtout chez Denys l'Aréopagyte, que le grand métaphysicien indien A. K. Coomaraswamy appelle le plus grand des Européens à côté de Dante. Son message est revenu au IXième siècle grâce aux traductions et aux travaux de l'Irlandais Jean Scot Erigène (810-877), dans le De divisione naturae, écrit entre 864 et 866. Pour Denys l'Aréopagyte et Jean Scot Erigène, la connaissance est centrale, elle est le moteur permanent de tout et non pas le simple moteur premier (à la phrase latine "in principio erat verbum", soit "au commencement était le Verbe", Scot Erigène substitue "in principio est Verbum", "au commencement est le Verbe", signalant par ce présent, qui est au fond intemporel, que le commencement de toute chose réside dans la connaissance). Cette vision du divin renoue avec l'émanatisme néo-platonicien: tout procède du moteur premier, c'est-à-dire du principe supérieur, thèse radicalement différente de celle de l'évolutionnisme, où tout part des êtres les plus bas de l'échelle.
    Jugé hérétique et condamné par le Pape Honoré III en 1225, Jean Scot Erigène est compté parmi les philosophes panthéistes; les penseurs et philosophes islamiques, surtout ceux qui sont marqués par le soufisme, aiment son ¦uvre, comme celle de tous les néo-platoniciens, panthéistes et mystiques européens (Pélage, Maître Eckhart, Nicolas de Cues) car elle correspond à la théorie soufique de la Création que l'on désigne par "le renouvellement de la Création en chaque instant" ou "à chaque souffle" (Tajdîd al-khalq bilanfas), théorie proche de celle qui posent les archétypes se projettant dans l'existence par émanation à chaque instant, émanation qui traverse les hommes, anéantissant leur passé au même moment où elle les renouvelle. Les "expirs" (anfãs) du Clément sont dilatations du divin, c'est-à-dire déploiement de "possibilités relatives" à partir des archétypes; la surabondance de l'Etre "déborde" (afãda) sur les essences limitées. Ibn Arabî identifie l'"Expir" divin à la Nature universelle (at-Tabî'ah), attribuant à celle-ci une fonction cosmogonique analogue à celle que les Hindous désignent comme la Shakti, l'"énergie productive" de la Divinité (source de ce §: Titus Burckhardt, Introduction aux doctrines ésotériques de l'Islam, Dervy-Livres, Paris, 1969).
    L'Occident n'a pas approfondi cette veine mystique et néo-platonicienne, contrairement à l'Inde et à l'Islam. Il a préféré les "synthèses théologiques" de Saint-Bonaventure, de Saint Thomas d'Aquin ou de Duns Scot, mettant l'accent sur la contemplation, le silence contemplatif ou la volonté. Pour Seyyed Hossein Nasr, ces synthèses scolastiques  surtout celle de Thomas d'Aquin, enferment leurs intuitions métaphysiques, qui sont justes, dans le corset étouffant de catégories syllogistiques, dans un rationalisme étroit. La sophia, dans ses avatars christianisés, est ainsi voilée; la connaissance, la sapience, perd son caractère sacré, et un divorce s'instaure entre la philosophie et la sagesse/sophia. Cette théologie et cette philosophie du voilement, amorçant la désacralisation généralisée du savoir et de la connaissance, donne le ton en Occident et refoule dans la marginalité les traditions mystiques (dont celle de Maître Eckhart). Le thomisme a donc été la forme la plus achevée et la plus mûre de la théologie chrétienne: mais il n'était pas pure sapientia et médiatisait dangereusement le rapport entre l'entendement humain et la raison divine.
    Pour comprendre ce processus d'occultation de la sophia et de désacralisation, il faut signaler l'influence exercée par les doctrines d'Ibn Sînâ (Avicenne) et Ibn Rushd (Averroës) dans le monde où le latin était langue savante. La traduction en latin a gommé une bonne part des potentialités scientifiques et sapientiales de ces doctrines: en effet, en Islam, avec Suhrawardî, l'interprétation des travaux d'Avicenne et d'Averroës renforce la scientificité de la science islamique pré-moderne, sans scotomiser le fond sapiential, tandis qu'en Occident latin, les fragments épars les plus rationalistes de ces philosophies s'imposent. L'Occident opte dès lors pour une interprétation rationaliste de l'avicennisme et de l'averroïsme; l'Islam, lui, proclame la primauté de l'intellectio sur la ratiocinatio. Suhrawardî parle d'illumination immédiate par la nature aux dimensions sacrées; l'Occident privilégie les mécanismes médiats du discours.
    La présence de ces doctrines émanatistes, où la nature est respectée en tant que véhicule des grâces divines, dans toutes les traditions islamiques, christianisées, hindoues, chinoises, néo-platoniciennes, etc. permet de parler d'une philosophia perennis ou d'une sanatâna dharma (A.K. Coomaraswamy) ou de "religion pérenne" (F. Schuon; cf. Sur les traces de la religion pérenne, Le Courrier du Livre, Paris, 1982) ou de "vraie religion de l'Europe" (Sigrid Hunke, La vraie religion de l'Europe, Le Labyrinthe, Paris, 1985; le livre de Sigrid Hunke se limite géographiquement à l'Europe). Seyyed Hossein Nasr nous rappelle que l'expression de philosophia perennis remonte au XVIième siècle et se retrouve dans l'oeuvre d'un hébraïsant et arabisant italien, bibliothécaire du Vatican, Agostino Steuco (1497-1548), notamment dans son De perenni philosophia, un ouvrage clef, marqué par les pensées de Marcille Ficin (qui parlait de philosophia priscorium ou de prisca theologia), Pic de la Mirandole et Nicolas de Cues. Dans De pace fidei, Steuco plaide pour une réconciliation ou du moins pour une coexistence harmonieuse des grandes religions, qui s'opérerait par le haut, précisément sur base de la philosophia perennis. Ce recours à la philosophia perennis permet de renouer avec les traditions grecques païennes (Platon, Pythagore, Empédocle, etc.) et celles de l'Iran pré-islamique. La Sophia perennis précède donc les révélations du Livre, ce qui permet de parler de Tradition (primordiale) ou, en arabe, d'al-dîn.
    [Synergies Européennes, Vouloir, Juillet, 1992] http://robertsteuckers.blogspot.fr/

  • SYNTHÈSE NATIONALE N°32 est sorti !

    Au sommaire :
    - Lorsque l'oppression est flagrante, l'insurrection est un devoir... Éditorial de Roland Hélie
    - L'affaire Esteban : le mensonge d'État
    - Il faut dissoudre le Syndicat de la magistrature ! Arnaud Raffard de Brienne
    - Dominique Venner ou la fondation de l'avenir. Georges Feltin-Tracol.
    - Union sacrée des patriotes contre le mondialisme. Richard Roudier
    - 1 million d'emplois nouveaux, c'est possible ! Serge Ayoub
    - Pour une politique de l'énergie. Adrien Vittement
    - Un entretien avec Filip Dewinter. Lionel Baland
    - Louis-Ange Pitou, agent royaliste et chansonnier contre-révolutionnaire oublié. Thiérry Bouzard
    - Retour sur le Limonov d'Emmanuel Carrère. Francis Bergeron
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