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tradition - Page 349

  • Abstention sur la loi Taubira ? Elle ne mérite pas la voix des pro-famille

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  • Quel rôle les dieux grecs ont-ils joué dans la guerre de Troie ?

    Au chant III de l'Iliade, Priam s'adresse à Hélène : "Tu n'es, pour moi, cause de rien, les dieux seuls sont cause de tout : ce sont eux qui ont déchaîné cette guerre" (III, 164-165). Les vieux Troyens, au demeurant, quand ils voient Hélène marcher sur les remparts, sont prêts à excuser tout à la fois Troyens et Achéens "si pour telle femme, ils souffrent si longs maux. Elle a terriblement l'air, quand on l'a devant soi, des déesses immortelles" (III, 156158). Hélène n'y serait pour rien ou plutôt, quand bien même y serait-elle pour quelque chose, ce serait la faute de cette part "divine" qui est en elle, cette beauté qui, précisément, la met du côté des dieux et matérialise une destinée de nature divine. Voyons les faits. Dans l'Iliade, il faut se rendre au chant XXIV pour trouver une allusion à l'événement qui déclencha la guerre de Troie alors que les dieux délibèrent au sujet du cadavre d'Hector, Héra, Poséidon et Athéna conservent leur rancune à l'égard de Troie et de Priam : "ils pensent à l'affront qu'en son aveuglement Pâris à ces déesses autrefois infligea : lors, dans sa bergerie elles étaient venues, mais il leur préféra celle qui lui fit don d'un objet de douloureux désir" (XXIV, 28-30). À Héra et à Athéna Pâris-Alexandre préféra Aphrodite qui lui fit don d'Hélène. Mais Pâris n'était en fait que l'instrument d'une querelle qu'aux noces de Thétis et de Pélée, Éris avait suscitée entre les trois déesses pour savoir laquelle des trois était la plus belle.

    L'épisode figure dans les Chants Cypriens, une épopée perdue qui racontait les événements antérieurs à ceux qui sont évoqués dans l'Iliade, depuis les noces de Thétis et de Pélée jusqu'à la capture de Chryséis, la fille d'un prêtre d'Apollon, par Agamemnon. La guerre de Troie y apparaît en définitive comme le fruit d'un complot ourdi par Zeus et par Thémis. Zeus cherchait, en effet, à délivrer la terre du poids de tant de mortels ; Gaia, accablée par le nombre des hommes et par leur impiété, s'était plainte auprès de lui qui, d'abord, provoqua la guerre des Sept contre Thèbes puis qui, sur les conseils de Mômos ("Sarcasme"), maria Thétis à un mortel (ce sera Pélée et de l'union naîtra Achille) et engendra lui-même une fille très belle (de son union avec Léda naîtra Hélène). C'est ce qu'Euripide rappellera en faisant d'Hélène un instrument dont les dieux se sont servi pour dresser Grecs et Phrygiens les uns contre les autres "et provoquer des morts afin d'alléger la Terre outragée par les mortels sans nombre qui la couvraient" (Hélène, 1639-1642).

    De l'origine de la guerre à l'histoire des batailles, tout, en apparence, dépend d'eux, l'idée même qui fait naître l'action puis le résultat d'une entreprise. D'emblée, à propos de la querelle entre Achille et Agamemnon, le poète le dit : "Qui des dieux les mit donc aux prises en telle querelle et bataille ? Le fils de Létô et de Zeus" (I, 8-9) : Apollon a vu l'un de ses prêtres, Chrysès, méprisé par Agamemnon (à qui il a refusé de rendre sa fille) et il descend des cimes de l'Olympe décocher, neuf jours durant, ses traits à travers l'armée jusqu'à ce qu'Achille appelle les gens à l'assemblée et que Calchas révèle l'origine de son courroux. On le sait, Agamemnon contraint de rendre sa captive, fera enlever Briséis, la "part d'honneur" d'Achille qui s'en va alors implorer sa mère. C'est précisément au moment où Zeus répond à la plainte de Thétis outragée en la personne de son fils qu'il fait parvenir un message à Agamemnon sous la forme d'un songe mensonger qui vient, alors que celui-ci est endormi, se poster au-dessus de son front : "Je suis, sache-le, messager de Zeus... Il t'enjoint d'appeler aux armes tous les Achéens chevelus – vite, en masse. L'heure est venue où tu peux prendre la vaste cité des Troyens. Les Immortels, habitants de l'Olympe, n'ont plus sur ce point d'avis qui divergent. Tous se sont laissé fléchir à la prière d'Héra. Les Troyens désormais sont voués aux chagrins. Zeus le veut" (Iliade, II, 26-33). Et puisqu'Agamemnon croit qu'il va le jour même prendre la cité de Priam, ignorant l'oeuvre que médite Zeus, il relance l'affrontement... Le monde homérique est donc peuplé de divinités en relation pour ainsi dire permanente avec les humains. Le dieu peut être favorable, défavorable, hostile ou bienveillant mais dans tous les cas de figures, il va de soi que son intervention est normale. On peut même aller jusqu'à dire que l'intervention des dieux est au coeur de la psychologie des héros d'Homère (Chantraine, 1952 : 48), ce que deux vers de l'Odyssée résument : "les dieux peuvent rendre fou l'homme le plus sage, tout comme ils savent inspirer la sagesse au moins raisonnable" (XXIII, 11-13).  

    Si le dieu inspire la crainte ou la colère, donne l'élan de l'action, cela ne signifie pas que les héros sont dépourvus d'une volonté et d'un caractère qui leur sont propres. Causalité divine et causalité humaine coexistent, se doublent et se combinent comme le montre particulièrement la collaboration, voire la symbiose, qui se manifeste entre Athéna et Ulysse. Et lorsqu'à la fin de l'Iliade, Achille s'entend dire par Thétis que, selon la volonté de Zeus, il faut rendre le corps d'Hector, lui-même se laisse toucher par la pensée de son père que lui rappelle Priam, manque de se fâcher à nouveau, puis accepte... Dans de nombreux cas, au demeurant, ce sont les décisions prises par les héros et leurs actions qui poussent les dieux à intervenir : ainsi, quand Achille se bat avec Memnon, les deux mères divines, Thétis et Éos, entrent en scène. 

    Ce rapprochement du divin et de l'humain commande en définitive la place des dieux dans l'épopée où le seuil que constitue l'immortalité tend à être sans cesse franchi. Achille est le fils de Thétis, Énée est le fils d'Aphrodite, Hélène est la fille de Zeus... Ces liens de parenté ne sont qu'un élément qui explique l'intérêt que les dieux manifestent à l'égard des hommes. Leur acharnement dans la lutte vient d'une façon générale de leur attachement pour certains mortels, leurs mérites ou leur piété – ou, inversement de leur aversion – et de la nécessité qu'il y a pour eux à exiger des honneurs de la part des hommes. Prenant parti pour les uns ou pour les autres – Héra, Athéna, Poséidon sont de tout coeur avec les Achéens, Apollon est tout entier du côté des Troyens, Aphrodite n'a d'yeux que pour Énée... – les dieux se retrouvent combattant les uns contre les autres.  

    Or, précisément, tout à leur passion pour les affaires des hommes les dieux agissent et réagissent comme des hommes. Zeus a beau y faire, lui, le roi, l'aîné, le père souverain, il doit constamment rappeler à l'ordre sa famille prête à désobéir et à en découdre, ce qui ne manque pas de donner à l'épopée ici et là des allures de comédie. Et chacun de se quereller, de venir se plaindre à lui, de se moquer des uns et des autres. Et lui d'interdire aux dieux de se mêler de la guerre, de menacer de ses coups, de promettre le "Tartare brumeux" à ceux qui désobéissent. Lui-même craint sa femme, Héra, toujours prompte à le tancer : "... même sans cause, elle est toujours là à me chercher querelle en présence des dieux immortels, prétendant que je porte aide aux Troyens dans les combats" (Iliade, I, 518-521). Celle-ci peut le berner, en éveillant son désir puis en l'endormant (Iliade, XIV, 158-350) pour laisser Poséidon donner toute sa mesure dans le secours qu'il apporte aux Achéens. Ces histoires tout humaines dont l'épopée regorge mettent en lumière le caractère anthropomorphique des dieux et les limites de leurs pouvoirs.

    On comprend alors que lorsque les dieux descendent de l'Olympe pour intervenir directement dans la mêlée, c'est sous une forme humaine, en prenant, le plus souvent, l'aspect d'un proche de la personne à qui ils veulent apparaître. Ce type d'épiphanie est fréquent : Aphrodite apparaît à Hélène sous les traits d'une ancienne servante mais elle est reconnue : sa gorge splendide, sa belle poitrine, ses yeux fulgurants sont ceux d'une déesse (Iliade, III, 396-398). Athéna vient au secours de Diomède qui la reconnaît et s'installe sur son char, saisissant le fouet et les rênes pour conduire les chevaux contre... le dieu Arès (Iliade, V, 839-842). Souvent, le dieu se cache dans une nuée aux yeux de la foule et ne se laisse voir que par le personnage à qui il veut se manifester : Apollon se fait reconnaître auprès d'Hector (Iliade, XV, 247-266) mais, au milieu des Troyens, il s'enveloppe d'un nuage (307). Parfois, lorsque le dieu apparaît sous les traits d'un proche, il peut laisser les mortels dans l'illusion : Apollon apparaît à Hector sous les traits de son oncle maternel, le vieil Asios, l'encourage à repartir au combat mais reste incognito (Iliade, XVI, 718). Les personnages d'Homère s'attendent à tout moment à rencontrer un dieu sous une forme humaine ; d'où la crainte, dans la bataille, de se trouver face à face avec un dieu : "Serais-tu quelque Immortel descendu des cieux ? Je ne saurais combattre une des divinités célestes" crie Diomède à Glaucos (Iliade, VI, 128). S'il arrive parfois que les dieux interviennent dissimulés, par une métamorphose, dans le corps d'un animal par exemple, la norme est bien une représentation anthropomorphique des dieux.  

    On peut donc dire qu'en jouant leur rôle dans la guerre de Troie, les dieux révèlent, par la grâce du poète, leur anthropomorphisme, non seulement plastique mais fondamental : les dieux agissent et se conduisent comme des hommes. Autrement dit, la poésie épique donne une forme organique et visible à la sphère du divin et, en faisant des dieux les protagonistes d'un récit, elle leur attribue les qualités spécifiques aux individus : ils ont un nom, une "personnalité" et un caractère particuliers (Vegetti, 1993 : 388). Et pourtant... Les dieux sont bien différents. D'une certaine façon, ils apparaissent comme des héros dont l'areté (la valeur) aurait été poussée jusqu'à ses extrêmes limites : ils les surpassent par la beauté, la force, l'intelligence. L'éclat surgit dès qu'il est question d'un dieu. Laissons parler Thétis : "Zeus à la grande voix, assis à l'écart, sur le plus haut sommet de l'Olympe aux cimes sans nombre" (Iliade, I, 498-499). À cette image de la majesté divine, il faut ajouter ce trait qui change tout : les dieux sont immortels. Après avoir donné à Pélée des chevaux immortels qui pleurent la mort imminente de leur jeune maître Achille, Zeus se lamente : "Pauvres bêtes ! Pourquoi vous ai-je donc données à Sire Pélée - un mortel ! – vous que ne touche ni l'âge ni la mort ? Est-ce donc pour que vous ayez votre part de douleurs avec les malheurs humains ? Rien n'est plus misérable que l'homme entre tous les êtres qui respirent et marchent sur la terre" (Iliade, XVII, 443-447). Affirmation d'une supériorité qui fait des dieux des maîtres fondamentalement séparés des hommes.  

    Nul doute que lorsqu'elle prend forme, l'épopée a pour toile de fond quantité de récits mythiques traditionnels sur les divinités et les puissances naturelles qui habitent et dominent le monde. Mais le plus remarquable est que pour faire le récit des derniers jours de la guerre de Troie, le poète, en sélectionnant, en mettant en œuvre et en réélaborant un immense matériau, a esquissé pour les siècles à venir la figure de ce qu'est un dieu grec.

    Editions Klincksieck

  • “Ô filles de l’eau” : Nolwenn Leroy en concert à Nantes

    “Ô filles de l’eau” : Nolwenn Leroy en concert à Nantes

    NANTES (NOVOpress Breizh) – Nolwenn Leroy sera en concert à la Cité des congrès, à Nantes, le 14 mai prochain. La chanteuse bretonne présentera «O filles de l’eau » son tout dernier album.

    Après le succès phénoménal rencontré par « Bretonne » – plus d’un million trois cents mille exemplaires vendus en France et à l’étranger – la chanteuse finistérienne nous revient avec un nouvel album de chansons originales, « Ô filles de l’eau », sorti fin novembre dernier. Dans celui-ci, Nolwenn Leroy aborde le thème de la mer et des femmes sur un mode « pop-folk celtisant », avec « Juste pour me souvenir » comme titre phare. Le succès est encore au rendez-vous : deux mois après sa sortie, l’album est déjà certifié triple disque de platine.

    Si Nolwenn Leroy délaisse cette fois le chant traditionnel, son inspiration demeure plus que jamais celtique : « La sirène, c’est le mythe de l’éternel féminin de l’océan, c’est celui du désir, de la séduction. La sirène peut être aussi dangereuse. C’est une source d’inspiration pour tous les artistes… Cet album, que j’ai écrit et composé s’inscrit dans une forme de continuité du son qui est le mien depuis une dizaine d’années, de cette pop folk que j’aime. On y retrouve des instruments celtique comme la harpe, la flûte irlandaise » (Presse-Océan, 29/04/2013).

    « C’est un vrai bonheur de jouer à Nantes », affirme la chanteuse bretonne. Assurément, c’en sera un également de venir l’écouter.

    http://fr.novopress.info

  • L’attitude des catholiques dans les manifestations : Une certaine ligne de crête étroite et ventée

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    Laurence Maugest appelle à un rassemblement des catholiques.
    Les adversaires de la loi Taubira n’ont pas tous les mêmes attaches philosophiques et religieuses. Mais ils ont tous en commun de croire qu’il y a du divin dans la vie et chez l’homme, et que le monde ne se réduit pas à l’individualisme marchand. Reste que, parmi les participants à la Manifestation pour tous, les catholiques fournissent les gros bataillons. Laurence Maugest analyse ici leur attitude entre affirmation et discrétion et Polémia donne à ses lecteurs son point de vue, point de vue d’une manifestante catholique.
    Polémia.

    Les événements qui accompagnent l’examen de la loi concernant l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ont révélé très clairement des positions parfois extrêmement antagonistes dans les rangs des catholiques. Il y a, d’un côté, les catholiques intégrés au mouvement de la Manifestation pour Tous et qui ont reçu et suivent pour la plupart la consigne de ne pas montrer d’appartenance religieuse.
    Pour certains, être catholique inclut la manière de faire pour ne pas le paraître…

    Le catholicisme classique cultive l’œcuménisme et la sacrosainte ouverture. Cela, jusqu’à intégrer dans des cursus de formation à la religion catholique, dédiés à des néophytes, cet esprit œcuménique dès le démarrage de leur initiation. N’est-il pas nécessaire de bien connaître sa religion, d’être bien enraciné dans ses traditions et élevé par sa spiritualité avant de s’intéresser à d’autres cultes ?

    Il paraît peu probable que l’on puisse trouver autant d’ouverture chez les juifs ou les musulmans – ce qui est en définitive cohérent et sensé : il est difficile d’imaginer un professeur de français utiliser le temps de son cours à la promotion des bienfaits des mathématiques. Lorsqu’il s’agit de la religion du baptême et de l’immersion, cela est bien incompréhensible.

    Alors que se passe-t-il chez les catholiques ?

    Les influences psychanalytiques et les représentations sociales ont-elles réussi à persuader les catholiques que nous risquons tous la triste névrose, le cerceau dans les cheveux et la jupe plissée pour nos filles charmantes ? Pour conjuguer ces forces obscures, qui ne proviennent plus du Diable mais seraient sécrétées par un inconscient tumultueux et hédoniste écrasé sous la morale chrétienne, nous devons afficher un ton jeune, le franco-anglais étant vivement conseillé. Il nous faut affuter nos signes extérieurs d’équilibre parfait. Ce qui signifie, à la mode du diktat de l’égalitarisme : faire l’apologie des autres religions et de leurs intellectuels. Pour ces personnes, être catholique inclut la manière de faire pour ne pas le paraître.

    Contre la déconstruction des valeurs humaines

    Dans cette même résistance contre ce projet de loi, il y a d’autres types de pratiquants. Ils manifestent contre la déconstruction des valeurs humaines (eugénisme, banalisation de l’avortement, mariage de personnes de même sexe, utilisation des embryons à des fins scientifiques…) en mettant très largement en avant leur appartenance religieuse. Ils ont le mérite d’être sincères et congruents. Mais, ont-ils conscience que, dans la société déchristianisée qui est la nôtre, le crucifix est trop souvent perçu comme une « arme » au mieux dérisoire, au pire maléfique ? Même si cela est incompréhensible, voire accablant, pour le croyant, c’est un état de fait dont les raisons sont à chercher dans l’évolution individualiste et matérialiste du monde contemporain.

    La désacralisation et la réduction de l’être humain à un amas cellulaire asexué et inculte, sans histoire et « hors sol », sont intimement liées. Les catholiques qui s’assument sont plus courageux que les catholiques masqués, certes, mais, néanmoins, les signes d’appartenance religieuse que les « traditionalistes » affichent ne peuvent plus trouver dans le regard de l’homme du XXIe siècle l’alchimie nécessaire à leur métamorphose en symboles.

    Ils demeurent tristement des signes sociologiques, des signes d’une corporation d’hommes jugés sclérosés, rétrogrades au regard d’une idée de modernité qui ne peut, il est vrai, s’appliquer qu’au domaine de la matière. Il s’avère que dans les dimensions plus élevées de la pensée et de la spiritualité, les progrès de l’homme du XXIe siècle sont définitivement incertains.

    L’obsessionnelle recherche de modernité

    Néanmoins, il nous faut réaliser que cette obsessionnelle recherche de modernité, parfaitement fantomatique et insensée, brouille la lecture de ce qui est fondamental. Sans chercher aucune compromission, en évitant toute lâcheté, ne serait-il pas plus fructueux, tout en se présentant clairement comme catholiques, de dénoncer l’horreur certaine que représente la « chosification » de l’être sans s’attacher uniquement à sa religiosité ? En effet, n’est-ce pas l’intuition que l’homme a du respect qu’il doit se porter qu’il faut éveiller ? Car c’est bien l’intuition de sa singularité sacrée qui se lève contre sa maltraitance. Les agnostiques, les athées ou encore les amnésiques de la question religieuse auront ainsi plus de chance d’être touchés. Engagés dans ce mouvement, concentrés et dégagés du brouhaha ambiant qui vend, à peu de frais, le nihilisme, ils réaliseront peut-être que la parole du Christ aiguise notre intuition au monde et fait de notre dignité une évidence.

    Une telle approche ne partirait pas du dogme, trop stigmatisé pour être entendu par l’homme contemporain, mais de la parole vierge du Christ – cette parole qui s’est glissée dans les  rouages de la société où elle se lénifie et perd son rôle capital d’aiguillon de la responsabilité de chacun d’entre nous. Métamorphosée, trop humanisée, cette parole mutée, essorée, crée un état d’esprit qui joue la facilité et transforme l’idée même de charité en permissivité. Il faut revenir à la parole originale qui s’adresse au possible que détient chaque cœur humain.

    Révéler la part de divinité dans l’homme

    Ce qui rend le christianisme inacceptable à notre époque est qu’il révèle à l’homme sa part de divinité en lui. L’homme de la postmodernité veut bien jouer à se prendre pour Dieu aux manettes de sa haute technicité, mais, lorsqu’il réalise que Dieu est en lui, un Dieu incontrôlable, bien au-dessus de sa très virtuelle toute-puissance scientiste et qu’il ne s’agit plus d’un « jeu », cela le terrifie. L’homme du XXIe siècle, embourbé dans le quotidien, ne peut être que déstabilisé par une telle révélation. Alors, il se perd dans le divertissement, se rehausse dans une agressivité de parade et réduit le christianisme à ses oripeaux sociologiques démunis de l’essentielle spiritualité. C’est là, en quelque sorte, une victoire ultime du matérialisme qui cherche à détrousser, en un même temps, la religion de son âme et l’âme des hommes.

    Mais peut-on récupérer ces âmes qui s’ignorent par des signes ostentatoires dont la dimension symbolique reste invisible au plus grand nombre ? Ligne de crête entre une argumentation uniquement dogmatique, inerte, sans vie et la compromission qui porte l’écho du chant du coq. Serait-il possible de débroussailler une troisième voie ?  Loin de « l’humanisme » qui place l’Homme au centre de tout, cette troisième voie serait l’expression de la grandeur potentielle de l’Homme que nous signifient le Christ, les Pères de l’Église et les philosophes chrétiens : le sens qui se révèle à sa tendresse, à sa réceptivité, à  son intuition et en cela rappelle à l’homme qu’il possède bien ces qualités. Il s’avère que l’homme moderne qui a une assurance absolue et puérile en sa technicité a perdu une grande part de sa confiance, voire de la visibilité qu’il devrait avoir de ses qualités d’homme, dépouillées des babioles de sa modernité.

    Cette voie serait si singulière que le relativisme dominant et tueur s’écraserait dans sa platitude intrinsèque. Cette voie chercherait la nature de l’homme derrière ses gadgets modernistes et le mènerait vers la contemplation du monde réel qui borde l’émerveillement. Cette approche est à réserver, en premier lieu, aux jeunes avant que ne s’étiole, dans les vapeurs de la virtualité qui les étouffent, leur réceptivité à la beauté et à la complexité du monde réel. Notre société se dédouane de ces dimensions de tendresse et d’amour qui se liquéfient dans « les Droits de l’homme ». Cette délégation de ce qu’il y a de plus grand en nous engendre un contexte d’irresponsabilité et de passivité funestes.

    Les Dix Commandements, par leur appel à la vigilance de l’homme, aiguisent sa conscience d’être au monde source de réalisations utiles et respectueuses. On entend trop souvent qu’il faut que l’Eglise se modernise. Assimiler ce souffle incessant de plus de deux mille ans à une bâtisse à réhabiliter et à mettre au « goût du jour », n’est-ce pas engloutir notre dernier espoir de transcendance dans le magma du matérialisme actuel ? La recherche et le rejet du modernisme, en introduisant la notion de temps, ne sont-ils pas destructeurs du sacré intemporel de la présence divine ? En cela, les tensions continuelles entre « les modernistes » et « les traditionalistes » pourront, si elles persistent, être le coup de grâce donné au catholicisme. Le poison vient souvent de l’intérieur…

    Lorsqu’il est question de Dieu, le catholique ne doit-il pas, dans ce qu’il est, dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait, se regrouper vers l’essentiel et être le héraut d’un éclat sacré et intemporel ? Afin d’éviter les pièges bêtifiants des représentations sociales que nous imposent les médias, il nous faut nous dégager du monde des apparences et du dérisoire où ils nous tiennent serrés, traverser le miroir, revenir à la déclinaison du verbe être et puiser dans la loi naturelle ce qui nous « anime ».

    Laurence Maugest 19/04/2013 http://www.polemia.com
    Image : manifestation du 17 novembre 2012
    Crédit photo : Civitas

  • Paris : les veilleurs rassemblés au Louvre se mettent en marche

     30 avril 2013 Ce soir, les veilleurs parisiens se sont rassemblés au Louvre :

     

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    Puis, ils se sont levés et marchent dans Paris :

     

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    Michel Janva  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • L'Action française dans la ligne de Jeanne d'Arc

    Le 29 mai 2005 les Français ont eu à se prononcer par référendum sur la question qui leur était posée : « Approuvez- vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe ? » Près de 55 % de votants ont dit non. Vous pouvez être fier, mon cher ami, de la campagne que vous avez menée courageusement, sans faiblir. Une fois encore l'Action française a servi la France. Elle a fédéré les bonnes volontés. vous avez appliqué avec intelligence et loyauté, dans la clarté, notre principe d'action. Drapeau déployé, vous avez travaillé, sans équivoque, aux côtés de ceux qui – même nos ennemis sur bien des points – voulaient eux aussi empêcher une faute grave, qui mettait en péril de mort l'existence de notre nation.
    Ainsi, grâce à vous, avons-nous fait notre devoir, et avons-nous montré, par l'ouverture de notre action, le chemin de l'unité et de la réconciliation françaises.
    Le lendemain du vote, le lundi 30 mai était le jour anniversaire du bûcher de Rouen, puisque c'est le 30 mai 1431 que Jeanne d'Arc a été brûlée vive, sur la place du marché, pour avoir obéi à ses voix en empêchant la fusion du royaume de France avec l'Angleterre.
    N'est-ce pas un signe ? Sainte Jeanne d'Arc est morte, martyre et victorieuse, pour avoir combattu pour la pleine souveraineté de la France. Nous avons suivi son exemple. En ce début du XXIe siècle l'échec d'une politique suicidaire, criminelle, reprend et continue l'action providentielle qui, six siècles plus tôt, assura l'indépendance, l'existence, de notre patrie.
    Une pensée s'impose à moi. Je vous la soumets. Car il convient à présent de tirer les leçons que comporte l'événement de mai 2005.
    Une enfant héroïque
    Un grand nombre de gens connaît mal, ou ignore, l'histoire de Jeanne d'Arc. Beaucoup n'ont pas réfléchi sur la vie, merveilleuse et pure, d'une enfant héroïque, d'une jeune fille de notre terre, de notre lignage. Ils ignorent bien des obstacles qu'elle dut surmonter ; les choix politiques qu'elle fit ; l'importance exceptionnelle, déterminante, du sacre... Victoires, capture, emprisonnement... Procès de condamnation ; procès de réhabilitation... Canonisation... que de sujets de méditation ! Or nous, d'A.F., nous sommes des Compagnons de Jeanne. Nous méritons ce titre gagné en premier, par Maurice Pujo, votre père, par Maxime Real del Sarte, par Charles Maurras,... par les dix mille jours de prison de nos aînés d'avant 1914. Nous sommes qualifiés. Obligés.
    Un même élan du coeur et de l'esprit a poussé nos anciens, il y a un siècle, à se grouper, à créer un journal, des revues, un institut, des équipes de camelots, pour défendre sur tous les terrains la France attaquée dans son histoire, à l'école, à l'armée, en justice, et combattre de prétendus intellectuels et des germanisants.
    L'image de Jeanne a rassemblé une foule de jeunes gens, qui, peu après, en 1914, devaient sacrifier leur vie. Avant que l'Église l'eût élevée sur ses autels, elle était à leurs yeux la sainte de la Patrie.
    Il faut lire, comme moi dans mon enfance, l'édition destinée à l'école primaire, des pages écrites par Michelet. (Le livre s'était imposé en dépit de l'hostilité d'universitaires sectaires, tel Thalamas.) Jules Michelet avait été bouleversé par la parution du travail scientifique de Jules Quicherat, le Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d'Arc. L'âme ardente, pure, inspirée, et l'héroïsme de la Pucelle d'Orléans ont ému aux larmes Michelet.
    L'historien avait pris connaissance des documents authentiques. En effet – la chose est inouïe – nous possédons mot à mot chacune des paroles dites par l'accusée, chacune des questions qui lui ont été posées, chacune de ses réponses. La plus fidèle et la plus complète des sténographies est à notre disposition. Des notaires, c'est-à-dire des greffiers, prenaient par écrit tout ce qui était dit au tribunal. Immédiatement. Puis, l'audience terminée, ils comparaient leurs textes afin de corriger la moindre erreur. Après quoi ils dressaient le procès-verbal, le compte-rendu intégral soigneusement contrôlé. Ceci, en langue française, tels que les propos avaient été ténus. Ensuite, comme le procès devait être tout entier rédigé en latin, le compte-rendu français était traduit phrase par phrase, le texte original français avait ainsi son double en langue latine, officielle. L'une et l'autre versions se confirmaient en se comparant. Les écrits sont là, en plusieurs exemplaires authentifiés, certifiés conformes par les magistrats et les notaires alors en fonction. Quelle merveille ! Ces documents ont passé les siècles, immuables.
    Puis le procès en réhabilitation fit entendre à nouveau les juges et les témoins survivants. Ce procès du procès projetait une nouvelle lumière critique.
    L'essence de la politique
    Si je vous rappelle, mon cher ami, ces choses que vous savez, ce n'est pas pour ressasser une gloire passée, ni me faire l'écho des manifestations que l'A.F. organise depuis un siècle. C'est parce que l'actualité oblige à l'action. Il faut trouver les moyens d'apprendre au peuple français – pour qu'il devienne conscient et fier de lui-même – l'essence de la politique inspirée par le Ciel à Jeanne d'Arc.
    En servant Jeanne nous sommes utiles, car nous servons l'histoire et l'avenir ; nous faisons soit découvrir soit approfondir une doctrine de salut public, celle de l'A.F. Nous reprenons le combat de la Pucelle d'Orléans en l'adaptant au temps présent. Il faut protéger notre existence, en recherchant la concorde et la paix avec les autres nations. « Tu aimeras le prochain comme toi-même ».
    À l'occasion, soit de manifestations habituelles (fêtes des rois, Cortège traditionnel..) soit d'événements ou d'incidents, il y aurait lieu de former des rassemblements, de donner des conférences étudiées. Cela, plusieurs fois par an. Les thèmes et les occasions s'offrent, nombreux : fêtes des rois, fête de Jeanne d'Arc, anniversaire de la délivrance d'Orléans ou des autres villes libérées (Beaugency, Patay...), même le 14 juillet, – le sacre de Reims, Paris, Compiègne, l'emprisonnement, les procès, la littérature (Péguy !), l'histoire, le culte voué à la Libératrice...
    Politique d'abord
    Sans entrer dans les détails, il y a , parmi de nombreux sujets de réflexion, certains d'une très haute importance.
    Ainsi, Maurras a souligné la stratégie de Jeanne préférant hâter la marche sur Reims plutôt que de couper l'armée anglaise de ses bases. Ce choix se justifiait par ses avantages politiques. À la place de succès militaires dont l'intérêt immédiat était évident, Jeanne a préféré le sacre qui consacrait l'autorité souveraine, force supérieure aux autres. Politique d'abord !
    Une étude paraît mériter tous nos soins. Jeanne d'Arc a rejeté toutes sortes de solutions, même celle qui paraissait la plus avantageuse, la plus sûre, et qui, réunissant des forces et des intérêts puissants, semblait logique, naturelle et juste. Elle avait mission de Dieu de bouter l'Anglais hors de France.
    L'alliance de la France et de l'Angleterre apportait aux deux royaumes la paix et la puissance. Elle mettait fin à la guerre. Elle fondait les deux États en un seul, plus riche et plus fort que chacun d'eux. Tout était avantage. Et même la France y gagnait : le Roi de France avait été le suzerain ; les rois d'Angleterre étaient d'origine française. Ils pouvaient, ils devaient s'entendre. Dans ses périodes de lucidité Charles VII laissait se faire une politique matrimoniale allant dans ce sens de l'union. Isabeau de Bavière rendait impossible au dauphin Charles l'accession au trône. La voie royale d'une paix enrichissant les deux royaumes s'offrait aux sages. La Sorbonne était favorable.
    Les rébellions de toutes sortes, celles des grands, celles des insurgés comme les Cabochiens après Étienne Marcel, manifestaient la gravité et la généralité du mal. Le meurtre était partout. Pour en terminer avec une lutte qui n'en finissait pas il fallait que les deux pouvoirs en conflit s'entendissent.
    C'eût été la mort de la France. L'histoire de Jeanne d'Arc est celle du miracle français.
    L’Action Française 2000 du 15 septembre au 5 octobre 2005

  • Mgr Aillet appelle à ne rien lâcher

    Dans son éditorial du mois de mai :

     

    "À condition qu’elle demeure pacifique, évitant soigneusement de se laisser piéger par les multiples provocations à la violence de la part d’une poignée d’extrémistes prêts à en découdre, voire de policiers en civil infiltrés, cette mobilisation est pleinement légitime. Le 17 avril au soir à Paris, j’ai été le témoin fier et ému devant la gravité calme et silencieuse de centaines de jeunes « veilleurs pour la famille », engagés dans un « sitting » aux Invalides au nom de leur « résistance spirituelle ». Aucune provocation, y compris de policiers désarmés par leur attitude pacifique, n’a pu entamer cette non-violence, moins empruntée à une technique de comportement qu’au ressort de leur vie intérieure. Ces jeunes manifestants, qui se refusent à faire passer leur intérêt particulier avant le bien commun de la société et qui demeurent dans le respect des personnes, ont besoin d’être encouragés par des pasteurs qui leur rappellent que « la fine pointe du combat que nous avons à mener n’est pas une lutte idéologique ou politique. Elle est une conversion permanente pour que nos pratiques soient conformes à ce que nous disons… Alors, l’écart qui doit apparaître entre notre manière de vivre et les conformismes de la société ne pourra pas être perçu comme un jugement pharisien, mais comme un espace d’appel et comme une espérance » (cardinal André Vingt-Trois). Ces jeunes auront besoin d’être accompagnés spirituellement, voire formés à une action sociale et politique conforme à l’enseignement de l’Église, pour pérenniser ce « printemps des consciences » dont ils sont appelés à être les acteurs privilégiés. Il ne faut donc rien lâcher, ni dans la fermeté de la mobilisation, ni dans la douceur qui seule convertit en nous la violence en force d’âme ! D’ailleurs, l’approbation parlementaire, voire l’avis favorable du Conseil constitutionnel et même les décrets d’application ou les ordonnances du gouvernement, ne changeraient rien à notre opposition de fond, car « il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes » (Ac 5, 29), selon le mot de l’apôtre Pierre comparaissant devant le Sanhédrin. C’est qu’un Parlement n’a pas autorité pour redéfinir le mariage qui est d’institution divine.

    Mais il convient que cette résistance soit spirituelle, en puisant à la source de la prière, et morale, en inscrivant les convictions anthropologiques que nous défendons dans nos modes de vie quotidienne. Il faudra donc avoir le courage de résister au monde ambiant, ainsi que le suggérait le cardinal Joseph Ratzinger, en 2004, se prenant à rêver le futur d’une « Église intériorisée », « qui ne se targuera pas d’un mandat politique, qui ne fera pas les yeux doux ni à la droite ni à la gauche », une Église de pauvres, petit troupeau qui redonnera l’espérance à un peuple immense, à condition « d’avoir le courage et la force de se montrer différent de ce que propose la modernité ». [...]"

    Michel Janva   http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Le Discours du rectorat : Martin Heidegger

    L’Université allemande envers et contre tout elle-même

    Prendre en charge le rectorat, c’est assumer l’obligation de diriger l’esprit de cette École supérieure. La décision d’accepter de suivre, chez les maîtres et les élèves, s’éveille et prend force seulement à partir du véritable et commun enracinement dans l’essence de l’Université allemande. Or cette essence ne parvient à la clarté, à la hauteur et à la puissance que si, avant tout et toujours, ceux qui dirigent sont eux-mêmes dirigés – dirigés par le caractère inexorable de la mission spirituelle qui force le destin du peuple allemand à recevoir l’empreinte typique de son histoire.

    Savons-nous ce qu’il en est de cette mission spirituelle ? Que la réponse soit oui ou bien non, inévitable demeure la question : sommes-nous, corps des maîtres et corps des élèves de cette École supérieure, sommes-nous véritablement et en commun enracinés dans l’essence de l’Université allemande ? Cette essence a-t-elle une vraie force pour marquer de son empreinte notre Dasein ? Seulement, sans doute, à condition que cette essence, de fond en comble, nous la voulions. Mais qui pourrait en douter ? Couramment, on fait prévaloir comme caractéristique essentielle de l’Université le fait qu’elle « s’administre elle-même » ; cela doit être maintenu. Toutefois, avons-nous aussi médité a fond ce que cette revendication d’autonomie administrative exige de nous ?

    Autonomie administrative, cela veut pourtant bien dire : nous fixer à nous-mêmes la tâche, et déterminer nous-mêmes la démarche susceptible de la faire devenir réelle, afin, la même, d’être nous-mêmes ce que nous avons à être. Mais savons-nous donc qui nous sommes nous-mêmes, ce corps des maîtres et des élèves de la plus haute école du peuple allemand ? pouvons-nous même au premier chef le savoir sans le plus constant et le plus tranchant retour méditatif sur nous-mêmes ?

    Ni la connaissance de la situation actuelle de l’Université, ni la familiarité avec son histoire antérieure ne garantissent à elles seules un savoir suffisant de son essence – à moins qu’auparavant, avec clarté et tranchant, nous délimitions cette essence pour l’avenir ; qu’en une telle limitation de soi-même, nous voulions cette essence ; et qu’en un tel vouloir, nous soyons envers et contre tout nous-mêmes.

    S’administrer soi-même ne tient que sur le fond de la méditation qui se reprend soi-même. Le retour méditatif sur soi-même, à son tour, n’a lieu que si l’Université allemande a la force de se maintenir elle-même envers et contre tout. Allons-nous accomplir ce maintien, et comment ?

    L’Université allemande se maintenant elle-même envers et contre tout, ce n’est rien d’autre que la volonté qui veut en commun son essence de manière conforme à l’origine. L’Université allemande est pour nous l’École supérieure qui, à partir de la science et grâce à la science, entreprend d’éduquer et de discipliner les dirigeants qui veillent sur le destin du peuple allemand. Le vouloir qui veut l’essence de l’Université allemande veut du même coup la science, en ceci qu’il veut la mission historiquement spirituelle du peuple allemand comme peuple se connaissant en son État. Science et destin allemand, il faut qu’ils accèdent ensemble – dans la volonté de l’essence à la puissance. Et ils y parviendront, et n’y parviendront que si nous autres – corps des maîtres et corps des élèves – d’abord exposons la science à sa plus intime nécessité, et si ensuite nous faisons face au destin allemand en sa plus extrême urgence.

    L’essence de la science, nous n’en faisons assurément pas l’expérience en sa nécessité la plus intime tant que, discourant sur le « nouveau concept de la science », nous dénions à une science qui n’est que par trop celle d’aujourd’hui son autonomie et son absence de présuppositions. Cette façon de faire uniquement négative et qui ne remonte guère au-delà des dernières décennies finit par n’être que l’apparence d’un effort véritable portant sur l’essence de la science.

    Voulons-nous saisir l’essence de la science ? Alors il faut affronter d’abord la question critique : la science doit-elle pour nous continuer d’être, ou bien devons-nous la laisser courir vers une fin rapide ? Que science, au premier chef, il doive y avoir, voilà qui n’est jamais absolument nécessaire. Si la science doit être, et si elle doit être pour nous et par nous, à quelle condition peut-elle alors véritablement continuer ?

    Seulement si nous nous plaçons à nouveau sous la puissance du commencement de notre Dasein historique par l’esprit. Ce commencement est la rupture par laquelle s’ouvre la philosophie grecque. Là se dresse l’être humain de l’Occident : à partir de l’unité d’un peuple, en vertu de sa langue, pour la première fois tourne vers l’étant en entier, il le met en question et le saisit en tant que l’étant qu’il est. Toute science est philosophie, qu’elle soit capable de le savoir et de le vouloir, ou non. Toute science reste imbriquée dans ce commencement de la philosophie. C’est de lui qu’elle puise la force de son essence, à supposer au premier chef qu’elle reste encore à la hauteur de ce commencement.

    Nous voulons ici regagner pour notre Dasein deux propriétés qui caractérisent l’essence originalement grecque de la science. Chez les Grecs circulait un vieux récit, selon lequel c’est Prométhée qui aurait été le premier philosophe. C’est à ce Prométhée-là qu’Eschyle fait dire une parole qui énonce l’essence du savoir :

    « Savoir, pourtant, est de beau coup moins fort que nécessité. »
    (Prom., 514, ed. Wit.)

    Cela veut dire : chaque savoir des choses demeure d’abord livré sans défense à l’excessive puissance du destin et reste sans parole devant elle.

    C’est justement pourquoi il faut que le savoir déploie sa plus haute provocation – face à laquelle seulement se dresse l’entière puissance du retrait de l’étant – afin de rester réellement sans parole. C’est ainsi justement que l’étant s’ouvre en son inapprofondissable inaltérabilité, et donne au savoir sa vérité. Ce verdict sur la féconde impuissance du savoir est une parole des Grecs, chez qui l’on voudrait à trop bon marché trouver l’exemple prototypique d’un savoir purement axé sur lui-même et, par là, oublieux de soi – ce que l’on nous interprète comme l’attitude « théorique ». Mais qu’est-ce que la theoria pour les Grecs ? On répond : la pure considération, qui demeure liée uniquement à ce qui est en question, dans sa plénitude et son exigence. Ce comportement considérateur devrait même, si l’on se réfère aux Grecs, n’avoir lieu qu’a dessein de lui-même. Mais cette référence n’est pas juste. Car d’abord la « théorie » n’a pas lieu à dessein d’elle-même, mais uniquement dans la passion de rester proche de l’étant comme tel et sous son astreinte. En outre, les Grecs luttaient justement afin de comprendre et d’accomplir ce questionnement considérateur comme une modalité, voire comme la modalité la plus haute de l’energeia, de l’« être-à-l’oeuvre » humain. ils ne songeaient nullement à aligner la praxis sur la théorie, mais à l’inverse visaient à entendre la théorie elle-même comme la mise en œuvre la plus haute d’une praxis de bon aloi. Pour les Grecs, la science n’est pas un « bien culturel » ; elle est au contraire le lieu médian qui détermine au plus intime tout le Dasein du peuple et de l’État. La science, pour eux, n’est pas non plus un simple moyen de rendre conscient ce qui est inconscient ; elle est la puissance qui tient acéré et enserre de partout le Dasein tout entier.

    Science : en questionnant, tenir debout au milieu de l’étant en entier constamment en train de s’abriter dans le retrait. Cette persévérance à l’œuvre y sait du même coup qu’elle est impuissante devant le destin.

    Voilà ce qu’est initialement la science. Mais le commencement ne se trouve-t-il pas deux mille cinq cents ans derrière nous ? Le progrès humain n’a-t-il pas fait changer aussi la science ? Certes ! L’interprétation ultérieure du monde par la théologie chrétienne, aussi bien qu’après, la pensée mathématiquement technique des Temps modernes, ont éloigné la science de son commencement, pour ce qui est du temps comme du contenu. Mais par là, le commencement lui-même n’est en rien dépassé, et encore moins aboli. Car, à supposer que la science originalement grecque soit quelque chose de grand, alors c’est le commencement de cette grandeur qui demeure en elle ce qu’il y a de plus grand. L’essence de la science ne pourrait même pas être vidée et usée, comme c’est le cas aujourd’hui, malgré tous les résultats et toutes les « organisations internationales », si la grandeur du commencement ne tenait pas encore. Le commencement est encore. II ne se trouve pas derrière nous comme ce qui a été il y a bien longtemps ; tout au contraire, il se tient devant nous. En tant que ce qu’il y a de plus grand, le commencement est passé d’avance au-dessus de tout ce qui allait venir, et ainsi déjà au-dessus de nous-mêmes, pour aller loin au-devant. Le commencement est allé faire irruption dans notre avenir : il s’y tient comme la lointaine injonction à nous adressée d’en rejoindre à nouveau la grandeur.

    C’est seulement si nous nous rallions résolument à cette lointaine injonction, afin de regagner la grandeur du commencement, c’est seulement alors que la science va nous devenir la nécessité la plus intime du Dasein. Autrement, elle demeure une occurrence où nous nous trouvons par hasard, ou bien le confort paisible d’une occupation sans péril, celle de contribuer au simple progrès des connaissances.

    Mais si nous nous rallions à la lointaine injonction du commencement, la science ne peut que devenir ce qui a lieu au plus profond du Dasein qui est, par l’esprit, celui de notre peuple. Et surtout si notre Dasein le plus propre se trouve même devant un grand changement, si est vrai ce qu’a dit, cherchant passionnément le Dieu, le dernier philosophe allemand, Frédéric Nietzsche, a savoir : « Dieu est mort », s’il nous faut prendre au sérieux cet abandonnement de l’homme d’aujourd’hui au milieu de l’étant, qu’en est-il alors de la science ?

    Alors, ce qui était initialement la tenue des Grecs – l’endurance admirative devant l’étant – se change en celle d’être, pleinement à découvert, expose à ce qui est en retrait et incertain, c’est-à-dire a ce qui est problématique, i.e. digne d’être mis en question. Questionner, alors, n’est plus seulement la phase dépassable qui précède la réponse, laquelle ne serait autre que le savoir. Questionner au contraire devient en soi même la figure où culmine le savoir. Le questionnement déploie alors sa force la plus grande, celle d’ouvrir et découvrir l’essentiel de toute chose. Questionner force alors à simplifier à l’extrême le regard portant sur l’incontournable.

    Questionner ainsi fait se briser l’isolement et la sclérose des sciences en disciplines séparées, les ramène de leur dispersion sans limite et sans but en champs et secteurs dissociés, et expose de nouveau la science immédiatement à la fécondité et aux bienfaits de toutes les puissances configuratrices-de-monde du Dasein humain et historique – telles que sont là : nature, histoire, langue ; peuple, mœurs, État ; poésie, pensée, foi ; maladie, folie, mort ; droit, économie, technique.

    Si nous voulons l’essence de la science en ce sens, à savoir : questionnant, faire face à découvert au milieu de l’incertitude de l’étant en entier, alors vouloir ainsi va donner à notre peuple son monde, celui du péril le plus intime et le plus extrême, c’est-à-dire son monde spirituel au vrai sens du terme. Car « esprit », ce n’est ni la subtilité vide ni le jeu sans engagement du bon sens ni l’exercice interminable de l’entendement se livrant à ses analyses, et encore moins la raison universelle. L’esprit, c’est au contraire : dans un accord au ton de l’origine, savoir s’être résolu pour l’essence de l’être. Et le monde spirituel d’un peuple n’est pas l’étage surajouté d’une culture, pas plus que l’arsenal des connaissances et des valeurs employables. C’est au contraire la puissance de la mise à l’épreuve la plus profonde des forces qui lient un peuple à sa terre et à son sang, comme puissance du plus intime éveil et du plus extrême ébranlement de son Dasein. Seul un monde spirituel est garant pour le peuple de sa grandeur. Car il force à décider constamment entre vouloir la grandeur et laisser faire le dévalement ; il force à ce que cette constante décision devienne la cadence qu’il s’agit d’imprimer à la marche que notre peuple a entamée vers son histoire future.

    Si nous voulons cette essence de la science, alors il faut que le corps des maîtres de l’Université se porte effectivement aux avant-postes du péril qu’est la constante incertitude du monde. Si là il tient ferme, autrement dit : si lui croît de là – dans l’essentielle proximité de l’astreinte de toute chose le questionnement commun et le dire accordé au ton d’une communauté, alors il aura la force de diriger. Car ce qu’il y a de décisif dans le fait de diriger, ce n’est pas d’aller simplement en tête, mais bien la force de pouvoir aller seul, non par entêtement et désir de dominer, mais en vertu d’une destination (la plus profonde) et d’un devoir (le plus ample). Une telle force lie à l’essentiel, fait la sélection des meilleurs et éveille la véritable disposition à suivre chez ceux qui ont repris courage. Mais cette disposition à suivre, nous n’avons pas même à l’éveiller. Le corps des étudiants allemands est en marche. Qui cherche-t-il ? II cherche les dirigeants par lesquels il veut voir sa propre destination élevée à la vérité fondée en savoir et installée au sein de la clarté de parole et d’œuvre qui l’interprètent et la font devenir agissante.

    De cette résolution, en laquelle font corps les étudiants allemands – celle de faire face au destin allemand en son urgence la plus extrême -, vient une volonté qui veut l’essence de l’Université. Cette volonté est une vraie volonté, pour peu que le corps étudiant allemand, par le nouveau droit des étudiants, se place lui-même sous la loi de son essence et ainsi d’abord circonscrive cette essence. Se donner à soi-même la loi, telle est la liberté la plus haute. La « liberté universitaire » (qu’on a tant chantée) est chassée de l’Université allemande ; car cette liberté-là était de mauvais aloi, étant uniquement négative. Elle signifiait avant tout : insouciance, arbitraire des intentions et inclinations, absence de liens dans les faits et gestes. Le concept de la liberté, pour l’étudiant allemand, est à présent ramené à sa vérité. De celle-ci se déploient désormais lien et service du corps étudiant allemand. Le premier lien est celui qui lie à la communauté du peuple. II oblige, en portant sa part et en prenant part, à participer aux peines, aux aspirations et aux savoir-faire de toutes les catégories sociales et de toutes les parties du peuple. Ce lien est désormais concrétisé et ancré dans le Dasein étudiant par le service du travail.

    Le deuxième lien est celui qui lie à l’honneur et au destin de la nation, au milieu des autres peuples. II demande – assurée en savoir et savoir-faire, et tendue par la discipline – la disponibilité à payer de sa personne jusqu’au bout. Ce lien embrasse et traverse à l’avenir le Dasein étudiant tout entier comme service de défense.

    Le troisième lien du corps étudiant est celui qui lie à la mission spirituelle du peuple allemand. Ce peuple œuvre à son destin cependant qu’il installe son histoire au beau milieu de la manifesteté qu’est désormais l’excessive puissance de toutes les puissances configuratrices-de-monde du Dasein humain, et que du même coup il se regagne sans cesse de haute lutte son monde spirituel. C’est en étant exposé de la sorte à la plus extrême problématicité de son propre Dasein, que ce peuple a la volonté d’être un peuple spirituel. II réclame de lui-même et pour lui-même, en ceux qui le dirigent et veillent sur lui, la clarté la plus tranchante du savoir le plus haut, le plus ample et le plus riche. Une jeunesse étudiante qui tôt se risque au cœur de l’âge viril, et tend l’arc de son vouloir sur le destin futur de la nation, une telle jeunesse se force, du plus profond d’elle-même, à servir ce savoir. Pour elle, le service du savoir, il ne sera plus permis qu’il lui soit la formation anodine et rapide menant à une profession « distinguée ». C’est bien parce que l’homme d’État et le maître d’école, le médecin et le juge, le prêtre et l’architecte dirigent le Dasein du peuple et de son État, le gardent en ses rapports fondamentaux aux puissances configuratrices-de-monde et ne le laissent pas s’émousser, que le service du savoir à la responsabilité des professions et de l’éducation qui y mène. Le savoir n’est pas au service des professions, mais à l’inverse : les professions appellent à se réaliser le savoir suprême et essentiel que le peuple à de son Dasein tout entier, et elles le mettent en œuvre. Or ce savoir ne nous est pas la tranquille prise de connaissance d’entités et de valeurs en soi, mais bien la mise en péril la plus aiguë du Dasein au milieu de l’excessive puissance de l’étant. C’est donc au premier chef la problématicité de l’être qui extorque au peuple son travail et sa lutte, le forçant à prendre la forme de son État, dont font partie les professions.

    Les trois liens – par le peuple, au destin de l’État, dans la mission spirituelle – sont, pour l’essence allemande, d’égale originalité. Les trois services qui de là prennent naissance – service du travail, service de défense et service du savoir – sont également nécessaires et de rang égal.

    Le savoir qui a connaissance du peuple en prenant part à son travail, le savoir qui a connaissance du destin de l’Etat en se tenant prêt pour lui, ces deux savoirs forment, dans l’unité avec le savoir qui à connaissance de la mission spirituelle, l’essence originale et pleine de la science dont la mise en œuvre est notre tâche – à supposer que nous nous ralliions à la lointaine injonction du commencement de notre Dasein historique par l’esprit.

    Telle est la science qui est en vue quand l’essence de l’Université allemande est circonscrite comme École supérieure qui, à partir de la science et par la science, entreprend d’éduquer et discipliner les dirigeants qui veillent sur le destin du peuple allemand.

    Ce concept original de la science n’oblige pas seulement à adopter vis-à-vis de ce qu’on traite, une attitude de pure objectivité ; il oblige avant tout à être essentiel et simple dans le questionnement au milieu du monde spirituel et historique qui est celui du peuple. De fait, c’est même seulement de là qu’une attitude de pure objectivité peut véritablement tirer sa justification – s’y fonder et y trouver son mode et sa limite.

    La science, en ce sens, il faut qu’elle devienne la puissance qui donne forme aux corps de l’Université allemande. Une double exigence s’y trouve sous-entendue : corps des maîtres et corps des élèves doivent d’abord, chacun à sa manière, être saisis par le concept de la science, et demeurer sous son emprise. Mais du même coup, ce concept de la science doit intervenir en changeant les grandes formes au sein desquelles les maîtres et les élèves, chaque fois, travaillent en commun scientifiquement : dans les facultés et dans les groupements d’étudiants affiliés selon la matière choisie.

    La faculté n’est faculté que si elle va jusqu’à être un pouvoir – enraciné dans l’essence de la science qui est la sienne -, le pouvoir de légiférer dans le domaine de l’esprit, en vue de donner forme aux puissances du Dasein sous l’astreinte desquelles elle ne cesse de se trouver, pour, sous cette forme, les intégrer au monde spirituel du peuple, monde lui-même un.

    Le groupement d’étudiants n’est un tel groupement que si d’avance il prend sa place dans le domaine de cette législation spirituelle, et ainsi démantèle le cloisonnement par matières, en surmontant ce qu’a d’étriqué et de mauvais aloi une formation superficielle qui ne vise qu’à déboucher sur une profession.

    À l’instant même ou les facultés et les groupements d’étudiants mettent en train les questions essentielles et simples de leur science, maîtres et élèves sont aussi déjà empoignés par les mêmes ultimes nécessités et astreintes qui concernent le Dasein du peuple et de l’État.

    Toutefois, la mise en forme définitive de l’essence originale de la science demande tant de rigueur, tant de responsabilité et de patiente maîtrise qu’au regard de ce dessein, continuer consciencieusement à appliquer les méthodes de travail reçues, pas plus que pousser à leur réforme, ne peuvent faire le poids.

    S’il a fallu aux Grecs trois siècles pour seulement mettre en bonne voie et sur un terrain solide la simple question : qu’est-ce que la science ? -, comment nous serait-il permis à nous de croire que la clarification et le déploiement de ce qu’est l’Université allemande va pouvoir se faire dans le semestre en cours, ou dans le suivant ?

    Mais, à partir de ce qui vient d’être esquissé, nous savons déjà une bonne chose : l’Université allemande ne parviendra à sa forme et à sa puissance que si les trois services – service du travail, service de défense et service du savoir – trouvent ensemble originalement leur unité pour ne faire plus qu’une seule force capable d’imprimer sa marque typique. Cela veut dire :

    Vouloir l’essence, du côté des maîtres, voilà qui doit d’abord s’éveiller, puis se fortifier en devenant la simplicité et l’ampleur du savoir connaissant l’essence de la science. Vouloir l’essence, du côté des élèves, voilà qui doit se forcer à atteindre la plus haute clarté et discipline du savoir, et contribuer à intégrer dans l’essence de la science – dans l’exigence qu’elle y soit déterminante – la science qui doit en être partie intégrante, celle qui concerne le peuple et son État. Les deux vouloirs, il faut qu’ils se forcent mutuellement à engager la lutte où ils s’affrontent l’un l’autre. Toutes les capacités de la volonté et de la pensée, toutes les forces du cœur, toutes les aptitudes du corps doivent être développées par la lutte, exaltées dans la lutte et gardées sauves comme lutte.

    Nous choisissons la lutte du savoir, la lutte de ceux qui questionnent, et nous professons avec Carl von Clausewitz : « Je renonce à l’espoir frivole d’être sauvé par la main du hasard. »

    La communauté en lutte des maîtres et des élèves ne fera, pourtant, de l’Université allemande le lieu de la législation spirituelle, elle ne mettra en œuvre en elle le lieu médian du rassemblement le plus tendu pour le service suprême du peuple en son État, que si le corps des maîtres et le corps des élèves disposent leur Dasein avec plus de simplicité, plus de tranchant et en limitant leurs besoins encore plus que tous les autres compatriotes. Diriger implique en tout état de cause que ne soit jamais refusé à ceux qui suivent le libre usage de leur force. Or suivre comporte en soi la résistance. Cet antagonisme essentiel entre diriger et suivre, il n’est permis ni de l’atténuer, ni surtout de l’éteindre.

    La lutte seule tient ouvert cet antagonisme et implante en tout le corps des maîtres et élèves cette tonalité fondamentale à partir de laquelle se maintenir envers et contre tout soi-même, en s’établissant au sein de ses propres limites, transforme la résolution du retour méditatif sur soi-même en véritable pouvoir de s’administrer soi-même.

    Voulons-nous l’essence de l’Université allemande ou ne la voulons-nous pas ? Libre à nous : allons-nous – et jusqu’où – nous mettre de fond en comble, et pas seulement incidemment, en peine de cette méditation de soi et de ce maintien de soi envers et contre tout ? Ou bien, avec les meilleures intentions, ne ferons-nous que changer de vieilles institutions pour les remplacer par de nouvelles ? Personne ne nous empêchera de le faire.

    Mais personne non plus ne va nous demander si nous voulons ou non, alors que la force spirituelle de l’Occident fait défaut et que l’Occident craque de toutes ses jointures – alors que l’apparence de culture, en sa décrépitude, implose et attire toutes les forces dans la confusion, pour les laisser s’asphyxier dans la démence. Que quelque chose de tel ait lieu, ou n’ait pas lieu, cela dépend uniquement de ceci : nous voulons-nous encore comme peuple d’histoire et d’esprit, nous voulons-nous à nouveau – ou bien ne nous voulons-nous plus ? La décision sur ce point, chacun la partage avec les autres, même là, et surtout là où il esquive la décision.

    Mais nous voulons que notre peuple accomplisse sa mission historique.

    Nous nous voulons nous-mêmes. Car la jeunesse, la plus jeune force de notre peuple – celle qui, par-dessus nous, déjà tend au loin – la jeunesse a déjà décidé.

    La magnificence pourtant et la grandeur de cette rupture et de ce départ, nous ne la comprenons entièrement que si nous portons en nous le profond et ample consentement d’où la vieille sagesse grecque a puisé cette parole :

    « Tout ce qui est grand s’expose a la tempête… »
    (Platon, Politeia, 497 d9)

    Martin Heidegger, 27 mai 1933. http://dhdc2917.eu/

  • Machiavel et la révolution conservatrice – par Dominique Venner

    PARIS (via le site de Dominique Venner) - Portée par le printemps français, la révolution conservatrice est à la mode. L’un de ses plus brillants théoriciens mérite d’être rappelé, même si son nom fut longtemps décrié. Il est en principe peu flatteur d’être qualifié de « machiavélique » sinon de « machiavélien ». On voit en effet se dessiner comme un soupçon de cynisme et de fourberie. Et pourtant ce qui avait conduit Nicolas Machiavel à écrire le plus célèbre et le plus scandaleux de ses essais, Le Prince, était le souci et l’amour de sa patrie, l’Italie. C’était en 1513, voici donc exactement 500 ans, comme pour le Chevalier de Dürer récemment évoqué. Époque féconde !  Dans les premières années du XVIème siècle, Machiavel était pourtant bien le seul à se soucier de l’Italie, cette « entité géographique » comme dira plus tard Metternich. On était alors pour Naples, Gènes, Rome, Florence, Milan ou Venise, mais personne ne se souciait de l’Italie. Il faudra pour cela attendre encore trois bons siècles. Ce qui prouve qu’il ne faut jamais désespérer de rien. Les prophètes prêchent toujours dans le désert avant que leurs rêves ne rencontrent l’attente imprévisible des foules. Nous sommes ainsi quelques-uns à croire en une Europe qui n’existe que dans notre mémoire créatrice.

     

    Né à Florence en 1469, mort en 1527, Nicolas Machiavel était une sorte de haut fonctionnaire et de diplomate. Ses missions l’initièrent à la grande politique de son temps. Ce qu’il y apprit fit souffrir son patriotisme, l’incitant à réfléchir sur l’art de conduire les affaires publiques. La vie l’avait placé à l’école de bouleversements majeurs. Il avait 23 ans quand mourut Laurent le Magnifique en 1492. La même année, l’ambitieux et voluptueux Alexandre VI Borgia devint pape. D’un de ses fils, nommé César (en ce temps-là, les papes se souciaient peu de chasteté), il fit prestement un très jeune cardinal, puis un duc de Valentinois grâce au roi de France. Ce César, que tenaillait une terrible ambition, ne sera jamais regardant sur les moyens. En dépit de ses échecs, sa fougue, fascina Machiavel.

    Mais j’anticipe. En 1494, survint un événement immense qui allait bouleverser pour longtemps l’Italie. Charles VIII, jeune et ambitieux roi de France, effectua sa fameuse « descente », autrement dit une tentative de conquête qui bouscula l’équilibre de la péninsule. Après avoir été bien reçu à Florence, Rome et Naples, Charles VIII rencontra ensuite des résistances et dut se replier, laissant un épouvantable chaos. Ce n’était pas fini. Son cousin et successeur, Charles XII, récidiva en 1500, cette fois pour plus longtemps, en attendant que survienne François Ier. Entre-temps, Florence avait sombré dans la guerre civile et l’Italie avait été dévastée par des condottières avides de butin.

    Atterré, Machiavel observait les dégâts. Il s’indignait de l’impuissance des Italiens. De ses réflexions naquit Le Prince en 1513, célèbre traité politique écrit à la faveur d’une disgrâce. L’argumentation, d’une logique imparable, vise à obtenir l’adhésion du lecteur. La méthode est historique. Elle repose sur la confrontation entre le passé et le présent. Machiavel dit sa conviction que les hommes et les choses ne changent pas. C’est pourquoi le conseiller florentin continue à parler aux Européens que nous sommes.

    À la façon des Anciens – ses modèles – il croit que la Fortune (le hasard), figurée par une femme en équilibre sur une roue instable, arbitre la moitié des actions humaines. Mais elle laisse, dit-il, l’autre moitié gouvernée par la virtus (qualité virile d’audace et d’énergie). Aux hommes d’action qu’il appelle de ses vœux, Machiavel enseigne les moyens de bien gouverner. Symbolisée par le lion, la force est le premier de ces moyens pour conquérir ou maintenir un Etat. Mais il faut y adjoindre la ruse du renard. En réalité, il faut être à la fois lion et renard. « Il faut être renard pour éviter les pièges et lion pour effrayer les loups » (Le Prince, ch. 18). D’où l’éloge, dépourvu de tout préjugé moral, qu’il fait d’Alexandre VI Borgia qui « ne fit jamais autre chose, ne pensa jamais à autre chose qu’à tromper les gens et trouva toujours matière à pouvoir le faire » (Le Prince, ch. 18). Cependant, c’est dans le fils de ce curieux pape, César Borgia, que Machiavel voyait l’incarnation du Prince selon ses vœux, capable « de vaincre ou par force ou par ruse » (Ibid. ch. 7).

    Mis à l’Index par l’Église, accusé d’impiété et d’athéisme, Machiavel avait en réalité vis-à-vis de la religion une attitude complexe. Certainement pas dévot, il se plie cependant aux usages, mais sans abdiquer de sa liberté critique. Dans son Discours sur la première décade de Tite-Live, tirant les enseignements de l’histoire antique, il s’interroge sur la religion qui conviendrait le mieux à la bonne santé de l’Etat : « Notre religion a placé le bien suprême dans l’humilité et le mépris des choses humaines. L’autre [la religion romaine] le plaçait dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les autres choses aptes à rendre les hommes forts. Si notre religion exige que l’on ait de la force, elle veut que l’on soit plus apte à la souffrance qu’à des choses fortes. Cette façon de vivre semble donc avoir affaibli le monde et l’avoir donné en proie aux scélérats » (Discours, livre II, ch. 2). Machiavel ne se risque pas à une réflexion religieuse, mais seulement à une réflexion politique sur la religion, concluant : « Je préfère ma patrie à mon âme ».

    Dominique Venner http://fr.novopress.info

    Pour les citations, je m’en rapporte aux Œuvres de Machiavel, traduction et présentation par Christian Bec, Robert Laffont/Bouquins, 1996.

  • Mariage gay : la résistance des édiles s'organise

    Lu dans Minute :

     

    "En cas de promulgation de la loi sur le mariage homosexuel, les maires seront légalement obligés de célébrer de telles unions, à moins de déléguer la cérémonie à un autre élu de leur conseil municipal, qui peut d’ailleurs être un membre de leur opposition.

    Mais certains, en refusant de déléguer ou en ne trouvant aucun élu prêt à le faire à leur place, risquent des poursuites de la part des préfets, voire une suspension temporaire. Cela pourrait être particulièrement le cas dans certaines communes rurales. Pourtant, deux maires de Dordogne, à Abjacsur- Baudiat (650 habitants) et Connezac (79 habitants) ont déjà fait savoir à la presse qu’ils ne transigeraient pas avec leurs convictions profondes. Pour Xavier Lemoine, maire (PCD-UMP) de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), que « Minute » a joint, la question est complexe en l’état actuel des choses:

    « Il faut d’abord que la loi sorte indemne de son examen par le Conseil constitutionnel. Il faut ensuite voir quelles seront les conséquences des manifestations des 5 et 26 mai, tout le monde étant à cran et nos jeunes ayant reçu un traitement assez hallucinant de la part du pouvoir ces derniers jours. Si le gouvernement reste sourd à nos revendications, les maires seront évidemment en première ligne. Je préfère donc ne rien dire sur le sujet pour l’instant avant d’avoir fait le tour de la question avec mes collègues. C’est une question de prudence. »

    Le gouvernement va avoir du fil à retordre… Les maires n’oublient visiblement pas que nous sommes à quelques mois d’élections municipales où la gauche emploiera tous les moyens pour éviter une déroute prévisible. De son côté, Jacques Remiller, maire UMP de Vienne (Isère) adversaire malheureux du rapporteur de la loi Taubira, Erwann Binet, lors des dernières législatives, attend sereinement la suite des évènements, d’autant plus qu’il ne se représentera pas en 2014 :

    « Ma carrière politique s’est fondée sur des valeurs, je ne vais pas les renier, quitte à en payer le prix. Mais je reste serein, j’en veux pour preuve le cas de Noël Mamère qui, après avoir célébré un mariage homosexuel à Bègles, n’avait fait l’objet que d’un mois de suspension de son mandat de maire. »

    De leur côté, plusieurs dizaines de milliers d’élus locaux ont signé l’appel du Collectif des maires pour l’enfance animé par Franck Meyer, maire Nouveau centre de Sotteville-sous-le-Val (Seine-Maritime) et Philippe Brillault , maire CNIP du Chesnay (Yvelines). On peut espérer que le gouvernement ait du fil à retordre dans les mois qui viennent s’il persiste dans son obstination à imposer cette loi pour le moins controversée".

    Lahire   http://www.lesalonbeige.blogs.com/