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tradition - Page 345

  • Les classiques de la culture européenne – Servitudes et grandeurs militaires, Alfred de Vigny

    Ce qui est mémorable est «digne d’être conservé dans les mémoires des hommes» dit Le Robert. Celle des Français, en ce début de siècle, semble de plus en plus courte. Dans le seul domaine littéraire, des auteurs tenus pour majeurs par des générations de lecteurs sont tout simplement tombés aux oubliettes. Pas seulement des écrivains anciens, de l’Antiquité, du Moyen Age, de la Renaissance ou des Temps modernes mais aussi des auteurs proches de nous, disparus au cours du XXème siècle.

    Cette suite de recensions se propose de remettre en lumière des textes dont tout « honnête homme » ne peut se dispenser. Ces choix sont subjectifs et je les justifie par le seul fait d’avoir lu et souvent relu ces livres et d’en être sorti enthousiaste. Ils seront proposés dans le désordre, aussi bien chronologique que spatial, de manière délibérée. A vous de réagir, d’aller voir et d’être conquis ou critique. En tout cas, bonne lecture !

    *** Les quatre précédents “MEMORABLES” sont Thomas Hardy – Le Maire de Casterbridge,  Charles de Coster – La légende d’Ulenspiegel au pays de Flandre et ailleurs, Liam O’Flaherty – Insurrection et Alphonse de Châteaubriant – La Brière.

    Servitudes et grandeurs militaires, Alfred de Vigny

    Avec Lamartine, Alfred de Vigny (1797-1863) est probablement le moins lu des romantiques français, du moins aujourd’hui. Sa vie est parcourue de succès sans suite, de désillusions, d’échecs. Toutes les misères et les coups bas de la vie littéraire qu’il rechercha parfois puisqu’il brigua cinq fois l’Académie française. A sa réception, en 1846, il se fit étriller par le comte Molé, pur représentant et même cacique du juste milieu louis-philippard. Pour Molé, il incarnait l’aristocrate respectueux de son lignage, imbu de valeurs qui lui étaient étrangères – au tout premier rang, l’honneur que Vigny définissait comme « la pudeur virile ».

    Et Vigny était insupportable car il n’était pas de son temps : « J’appartiens à cette génération née avec le siècle, qui, nourrie de bulletins par l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue, et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. »

    A 17 ans, alors qu’il prépare Polytechnique au lycée Napoléon, il assiste à l’occupation de Paris par les coalisés autrichiens, prussiens et russes. De famille royaliste, pour plaire à sa mère qui lui a enseigné la fidélité au souverain « légitime », il entre dans l’armée. Il n’en tirera qu’ennui et amertume. La grandeur est passée, il ne reste plus que la servitude d’autant moins supportable que l’armée, la chose militaire sont passées de mode. Vigny reste sous l’uniforme jusqu’en 1821. De son « inutile amour des armes » il tire son chef d’œuvre, ce « Servitude et grandeur militaires » paru en 1835.

    Il se compose de trois récits, Laurette ou Le Cachet rouge, La Veillée de Vincennes, La Vie et la mort du capitaine Renaud ou La Canne de Jonc. Trois contes pour illustrer, pour nourrir une réflexion sur la guerre qui a marqué son enfance : « Vers la fin de l’Empire, je fus un lycéen distrait. La guerre était debout dans le lycée, le tambour étouffait à mes oreilles la voix des maîtres, et la voix mystérieuse des livres ne nous parlait qu’un langage froid et pédantesque (…). Lorsqu’un de nos frères, sorti depuis quelques mois du collège, reparaissait en uniforme de housard et le bras en écharpe, nous rougissions de nos livres et nous les jetions à la tête des maîtres. »

    Dans « Lorette », le narrateur accompagne Louis XVIII en fuite vers la Belgique alors que Napoléon, évadé de l’île d’Elbe, accourt pour reprendre le pouvoir. Il croise un vieil officier accompagné d’une femme qui lui raconte l’« histoire du cachet rouge ». Commandant du brick « Le Marat » en 1797, il a conduit un jeune déporté à Cayenne avec ordre d’ouvrir les instructions secrètes du Directoire une fois en mer. C’est l’ordre de fusiller le prisonnier pour lequel il s’est pris d’affection. Il obéit mais promet de s’occuper de sa femme qui l’a accompagné. Le proscrit passé par les armes, la fureur du commandant éclate : « La pauvre République est un corps mort ! Directeurs, Directoire, c’en est la vermine ! Je quitte la mer ! » Jusqu’à sa mort à Waterloo, le commandant veillera sur Lorette devenue folle.

    Dans le second récit, un vieil adjudant d’artillerie vit ses dernières années de service au fort de Vincennes. Ses souvenirs conduisent le narrateur à décrire la vie de paria, de réprouvé du soldat de métier. Pour la société civile, il n’est qu’un matricule et elle lui dénie toute humanité. Par pudeur, il la dissimule : « Les choses se passent ainsi dans une société d’où la sensibilité est retranchée. C’est un des côtés mauvais du métier des armes que cet excès de force où l’on prétend toujours guinde son caractère. On s’exerce à durcir son cœur, on se cache de la pitié, de peur qu’elle ne ressemble à la faiblesse ; on se fait effort pour dissimuler le sentiment divin de la compassion, sans songer qu’à force d’enfermer un bon sentiment on étouffe le prisonnier. »

    Le capitaine Renaud est habité par le sentiment de l’honneur, le respect de la parole donnée. Il sert l’Empire jusqu’à la fin. Il vit la guerre comme une passion : « C’est une sorte de combat corps à corps contre la destinée, une lutte qui est la source de mille voluptés inconnues au reste de hommes, et dont les triomphes sont remplis de magnificence ; enfin c’est l’amour du danger. »

    Mais la guerre est biface, Mars et Bellone, l’autre divinité qui incarne davantage ses atrocités. En 1814, durant la campagne de France, le capitaine Renaud a mené l’assaut d’un bivouac endormi de soldats russes. Ils ont été égorgés et parmi eux un tout jeune homme que Renaud a voulu épargner mais qu’il a tué avec son sabre en le recueillant blotti contre lui. Le jeune Russe avait une canne de jonc que Renaud gardera toute sa vie jusqu’à ce 27 juillet 1830 où un autre enfant, un gamin des rues, le blesse mortellement, durant cette journée de barricades :

    « La guerre est maudite de Dieu et des hommes mêmes qui la font et qui ont d’elle une secrète horreur, et la terre ne crie au ciel que pour lui demander l’eau fraîche de ses fleuves et la rosée pure de ses nuées. »
    Ce qui ne fait pas de Vigny un pacifiste, loin de là. Mais il a parfaitement vu le passage d’une guerre encore codifiée qui ne vise pas à anéantir l’adversaire à une guerre totale aux « cruautés froides ». Le passage de l’une à l’autre étant le fait de la Révolution française. D’où, chez cet aristocrate cette interrogation ultime : « Que nous reste-t-il de sacré ? » et sa simple réponse : l’honneur.

    Jean-Joël Bregeon pour Novopress Breizh http://fr.novopress.info

    * Alfred de Vigny, Servitude et Grandeur militaires, Folio, 1992.

  • L’éloquence chez les Gaulois

    La vulgate historique nous dit que de nos ancêtres gaulois, il ne reste rien. La langue, les coutumes, tout aurait été balayé en deux ou trois siècles par Rome, et remplacé par une culture purement gréco-latine.

    Si je prends une carte de France et que je la compare aux frontières de la Gaule antique telle que décrite par César, je vois pourtant, non une ressemblance, mais plutôt une gémellité quasi-parfaite.

    Objection, me diront certains, la Gaule de Vercingétorix comprenait la Belgique et la Suisse. Certes ; mais tout le monde sait bien que Suisses et Belges francophones ne sont rien d’autre que des Français que des événements historiques, qu’il ne nous appartient pas de relater ici, ont un jour séparé de la mère-patrie. La langue française est en même temps le marqueur d’une appartenance culturelle séculaire et une part essentielle de cette culture. Nous pouvons en conclure que les Gaulois actuels sont tout simplement les Européens de langue maternelle française. La Belgique wallonne risque fort, d’ailleurs, de retourner à la France d’ici peu.

    Quant à la Suisse germanophone et à la Belgique néerlandophone, qui faisaient aussi partie de la Gaule antique, il nous suffira de préciser qu’elle n’ont été germanisées que pendant les invasions barbares. On nous dit que les Francs et autres peuplades d’outre-Rhin ont toujours été extrêmement minoritaires en Gaule, ce qui est vrai, mais on devrait préciser que, dans les régions frontalières du monde germanique, ce n’est pas simplement à la prise du pouvoir politique par quelques bandes d’aventuriers que nous avons assisté, mais à l’arrivée brutale de peuples entiers, qui ont soit chassé, soit submergé les autochtones dont l’identité celtique s’est effacée par dissolution ethnique.

    La partie de la Suisse et de la Belgique actuellement francophones sont celles qui, à l’époque du déferlement venu d’outre-Rhin, étaient restées majoritairement gauloises.

    Cette objection étant éclaircie, et sans oublier d’autres exceptions comme la Corse, conquise ultérieurement, cette analogie ethno-géographico-linguistique évidente nous oblige à considérer la Gaule comme source du peuple ayant donné à la France son identité, et à constater qu’il n’y a aucune rupture profonde entre le peuple gaulois et le peuple français, du moins jusqu’à des événements migratoires récents qui tendent à remplacer définitivement la conception ethnique du mot « Français » par une définition juridique et contractuelle.

    Depuis très longtemps, nous vivons sur un mensonge : la croyance qu’une nation peut abandonner tout socle ethnique historique pour n’être plus qu’un club politique, l’adhésion de peuples venant de tous les coins du monde à deux ou trois grands principes abstraits devant suffire à assurer leur insertion dans la société humaine d’origine.

    Le mot « France » symbolise à lui seul ce mensonge.

    En 1792, pendant une de ces périodes incertaines ou il suffit d’un rien pour que l’histoire bascule dans un sens ou dans un autre, plusieurs pétitions furent adressées à la Convention pour que la France reprenne le nom de Gaule. Voilà par exemple celle du citoyen Ducalle :

    « CITOYENS ADMINISTRATEURS,

    Jusques à quand souffrirez-vous que nous portions encore l’infâme nom de Français ? Tout ce que la démence a de faiblesse, tout ce que l’absurdité a de contraire à la raison, tout ce que la turpitude a de bassesse, ne sont pas comparables à notre manie de nous couvrir de ce nom.

    Quoi ! Une troupe de brigands (les Francs conquérants) vient nous ravir tous nos biens, nous soumet à ses lois, nous réduit à la servitude, et pendant quatorze siècles ne s’attache qu’à nous priver de toutes les choses nécessaires à la vie, à nous accabler d’outrage, et lorsque nous brisons nos fers, nous avons encore l’extravagance bassesse de continuer à nous appeler comme eux !

    Sommes-nous donc descendants de leur sang impur ? À Dieu ne plaise, citoyens, nous sommes du sang pur des Gaulois !

    Chose plus qu’étonnante, Paris est une pépinière de savants, Paris a fait la révolution, et pas un de ces savants n’a encore daigné nous instruire de notre origine, quelque intérêt que nous ayons à la connaître. »

    « Il est deux qualités, disait César, plus importantes que tout pour les Gaulois : bien se battre et bien parler. » Cette dernière assertion, au vu de notre histoire, semble se vérifier. L’éloquence fut, jusqu’à nos jours, un élément tout à fait central dans la façon dont de grands hommes surent s’imposer.

    Remontons beaucoup plus loin dans le temps, au IIe siècle de notre ère. Un Grec, Lucien de Samosate, se trouve, en terre gauloise, face à une représentation d’Ogmios, équivalent selon lui d’Hercule. Ogmios a bien les attribut d’Hercule : couvert d’une peau de lion, il porte à la main droite une massue, dans la gauche un arc, à ses épaules un carquois. Mais, alors qu’Hercule est chez les Grecs un personnage jeune et musclé, Ogmios a l’apparence d’un vieillard décrépit.

    Plus étrange encore : le bout de la langue d’Ogmios est percé par de petites chaînettes, qui relient le dieu gaulois à une multitude d’hommes aux oreilles attachées par ces liens. Le dieu marche en entraînant ces hommes derrière lui, tout en se retournant vers eux pour exhiber un large sourire, alors que ceux-ci, loin de paraître contraints, le suivent avec un bonheur visible.

    À ce stade, Lucien de Samosate se trouve dans le brouillard le plus complet quant à la signification de cette scène. Voyant son désarroi, un Gaulois, parlant le grec, lui donne la clef de cette allégorie :

    « Je vais vous donner le mot de l’énigme, car je vois bien que cette figure vous jette dans un grand trouble. Nous autres, Celtes, nous représentons l’éloquence, non comme vous, Hellènes, par Hermès ! Mais par Hercule, car Hercule est beaucoup plus fort. Si on lui a donné l’apparence d’un vieillard, n’en soyez pas surpris, car seule l’éloquence arrive dans sa vieillesse à maturité, si toutefois les poètes disent vrai : “ L’esprit des jeunes gens est flottant mais la vieillesse s’exprime plus sagement que la jeunesse. ” C’est pour cela que le miel coule de la bouche de Nestor et que les orateurs troyens font entendre une voix fleurie de lis, car il y a des fleurs du nom de lis si j’ai bonne mémoire. Ne vous étonnez pas de voir l’éloquence représentée sous forme humaine par un Hercule âgé, conduire de sa langue les hommes enchaînés par les oreilles ; ce n’est pas pour insulter le dieu qu’elle est percée. Je me rappelle d’ailleurs que j’ai appris chez vous certains ïambes comiques : “ Les bavards ont tous le bout de la langue percé. ” Enfin, c’est part son éloquence achevée, pensons-nous, qu’Hercule a accompli tous ses exploits et par la persuasion, qu’il est venu à bout de tous les obstacles. Les discours sont pour lui des traits acérés qui portent droit au but et blessent les âmes. Vous-mêmes dites que les paroles sont ailées. »

    Cette conception gauloise de l’autorité est le contraire exact de la conception romaine ou islamique, où seul la trique et la promesse d’avantages matériels peuvent entraîner des millions d’hommes à la suite d’un seul.

    Relisons Camille Jullian : « L’action de Vercingétorix était à la fois plus limitée et plus vaste que celle d’un dictateur militaire. Elle était d’abord tempérée par les rapports permanents avec les chefs supérieurs des cités confédérées ; il n’était pas dans la nature des Gaulois d’obéir sans condition et sans discussion au général qu’ils avaient élu même à l’unanimité [...] Il fallait, avant les questions importantes, que Vercingétorix les réunit en conseil ; il fallait, après l’événement, qu’il rendit compte de ce qu’il avait fait [...] »

    Vercingétorix, en charge non pas d’un « État », mais de tribus totalement indépendantes qui avaient décidé de se coaliser autour de lui contre l’envahisseur, devait sans cesse prouver qu’il était le plus apte à les mener à la victoire. Les Gaulois le suivirent parce qu’ils reconnurent aussi en lui un idéaliste qui ne cherchait aucun intérêt personnel, qui avait décidé de lier irrévocablement son destin à celui de son peuple. C’est d’ailleurs en toute logique qu’il finit, cinq ans après la reddition d’Alésia, étranglé comme une bête dans une prison romaine.

    Vercingétorix employa, pour fédérer autour de son nom la majorité des tribus gauloises, deux armes, le courage et l’éloquence, qui confirment parfaitement le propos de César.

    par André Waroch http://www.europemaxima.com

  • L’Autorité selon Maurras

    Résumer la pensée de Maurras sur l’autorité n’est pas une tâche facile tant son oeuvre est vaste et tant cette idée occupe une place considérable dans l’ensemble de ses théories. Aussi prendrons-nous pour guide et comme référence le seul recueil Mes idées politiques qui présente un choix très intéressant de textes sur l’autorité. Ceux-ci se trouvent principalement au début du célèbre "Avant-propos", La Politique naturelle, dans le chapitre sur « L’Inégalité protectrice », ainsi que dans le corps du recueil, au chapitre sur « L’Autorité » justement, mais aussi à celui sur « La Liberté ».
    On peut induire de ces pages les notes ou caractéristiques de l’autorité pour Maurras. Elle est ou doit être, selon les cas, naturelle, bienfaisante, polie par l’Histoire, éclairée, nécessaire et, en quelque sorte, consubstantielle à la liberté.
    Naturelle et bienfaisante
    Elle se trouve d’abord à l’origine de toute société, c’est-à-dire dans la cellule familiale qui, quelle que soit sa forme particulière, fait toujours bénéficier l’enfant, sans que celui-ci ait rien fait pour la mériter, de l’autorité nourricière, protectrice et éducatrice des adultes : « On ne saurait prendre acte en termes trop formels, ni assez admirer ce spectacle d’autorité pure, ce paysage de hiérarchie absolument net. » Cette autorité protectrice née de l’inégalité des termes figurés par l’enfant et les parents continue longtemps à être la source de ses progrès : « Tout joue et va jouer, agit et agira, décide et décidera, procède et procèdera par des actions d’autorité et d’inégalité, contredisant la falote hypothèse libérale et démocratique. » L’idée maîtresse de Maurras est ici de nous faire méditer sur le premier visage de l’autorité, le plus universel aussi. Ce visage n’est pas celui de la tyrannie ou de la dictature mais de la protection, de l’éducation et de l’amour. La philosophie politique moderne l’a oublié en confondant dans un même rejet l’autorité elle-même et ses formes dégradées ou perverties : « Cette Physique archique et hiérarchique n’a rien de farouche. Bien au rebours ! Bénigne et douce, charitable et généreuse, elle n’atteste aucun esprit d’antagonisme entre ceux qu’elle met en rapport. »
    Polie par l’Histoire et éclairée
    Pour Maurras, l’autorité est aussi un don que possèdent certains individus : « Sa liberté [à l’homme d’autorité] s’impose naturellement à la liberté d’autrui, sa dignité est rayonnante, elle entraîne et transporte. » Dans celui qui la possède l’autorité est « du même ordre que la vertu ou le génie ou la beauté. » Mais cette autorité née des qualités individuelles n’est pas celle à qui Maurras confie la plus haute valeur politique. L’autorité qui vaut pour la cité est celle qui dure et que l’Histoire ratifie. L’exemple le plus éclatant lui en est fourni par l’accession au trône des Capétiens : « Les Français du Xe siècle s’étaient rangés autour de la race qui, depuis cent années et plus, les avait toujours défendus efficacement. » L’exercice de l’autorité chez un ambitieux arrivé au pouvoir par la brigue ou la force est souvent la cause du despotisme mais il en va autrement quand la durée n’est plus celle de l’homme mais celle de la dynastie : « Quand le pouvoir est élevé et qu’il dure, quand il dure un peu, l’effet est tout contraire, l’apprentissage des responsabilités se fait et leur expérience perfectionne au lieu de gâter. »
    Seule l’autorité du prince légitime, héritier d’une lourde responsabilité qu’il n’a pas choisie par passion mais à laquelle tout concourt à le former par devoir, peut être considérée comme éclairée et c’est alors seulement qu’elle se distingue du "pouvoir" : « L’idée d’autorité ne signifie […] point seulement le pouvoir et le grand pouvoir exercés par un homme ou par un groupe d’hommes, mais de plus il enferme la connaissance de l’objet sur lequel s’exerce et s’applique ce pouvoir. » La politique est l’art royal et l’apprentissage du futur roi, qui s’apparente à la formation d’un artisan, est la condition de son succès comme « la garantie la plus précieuse et souvent la seule, contre les abus du pouvoir. » Maurras peut alors ironiser sur un célèbre mot de Voltaire : « Celui qui a dit qu’il fallait une religion pour le peuple a dit une épaisse sottise. Il faut une religion, il faut une éducation, il faut un jeu de freins puissants pour les meneurs du peuple, pour ses conseillers, pour ses chefs. » Aujourd’hui, dans le régime d’opinion cet art et cette science ont disparu et l’autorité n’est plus qu’un "pouvoir", illégitime de surcroît : « Les chefs subsistent et leur pouvoir augmente, mais ce sont des chefs barbares livrés aux impulsions de la passion ou de l’intérêt. »
    Consubstantielle à la liberté
    Le libéralisme politique dans lequel nous baignons depuis au moins deux siècles et demi nous a conditionnés à admettre comme une évidence l’opposition entre les libertés individuelles et l’autorité. Maurras s’attache spécialement à détruire ce préjugé : « Un peuple a besoin d’un chef comme un homme de pain. » En effet, quand la cité est menacée et envahie, que ses remparts s’écroulent faute d’avoir été conservés par les soins d’une autorité vigilante, que restet-il aux malheureux citoyens asservis par une domination étrangère, qu’elle soit militaire, culturelle ou économique ? Comment user de sa liberté quand le défaut de gouvernement nous rend esclaves des accidents de l’Histoire ? « L’autorité ne serait pas une nécessité politique éternelle si, parallèlement à cet instinct directeur qui constitue le fond et l’âme des chefs, il n’existait dans l’âme des sujets et des citoyens un instinct d’obéissance, esprit de suite, disait Richelieu, qui est l’expression vivante du plus grand intérêt des foules : être gouvernées et bien gouvernées, dans un bon sens, avec fermeté. »
    Mais pour Maurras l’autorité n’est pas seulement la condition de la liberté. Prolongeant sa réflexion, il va jusqu’à les identifier l’une à l’autre : « Toutes les libertés réelles, définies et pratiques, sont des autorités. » Cette affirmation nous renseigne sur la conception que se faisait Maurras de la liberté, en accord avec les antiques définitions de philosophes comme Platon et Aristote : « La liberté n’est pas au commencement, mais à la fin. Elle n’est pas à la racine, mais aux fleurs et aux fruits de la nature humaine ou pour mieux dire de la vertu humaine. » Elle ne se confond ni avec la licence, ou liberté de faire n’importe quoi, ni avec la Liberté abstraite et divinisée de l’individu-roi que la République a inscrite sur ses frontons, mais avec la possibilité pour chaque communauté, pour chaque famille, de concourir à sa façon et selon sa nature propre au Bien commun.
    Cette conception de la liberté est à l’origine des idées décentralisatrices de Maurras et de son rejet du jacobinisme, comme de sa défense des droits corporatistes et syndicaux, ou de ceux des congrégations religieuses, contre les empiètements et les violences de l’État républicain. Elle est aussi à la racine de cette magnifique définition de l’autorité politique (à relire pour la confronter, par exemple, au médiocre article de Diderot sur le même sujet dans L’Encyclopédie) : « Quand une humaine liberté se trouve au plus haut point et qu’elle a rencontré d’humains objets auxquels s’appliquer et s’imposer, quel nom prend-elle ? Autorité. Une autorité n’est donc qu’une liberté arrivée à sa perfection. »
    Stéphane BLANCHONNET  L’Action Française 2000 du 20 octobre au 2 novembre 2005

  • Les manifs pour tous en direct (actualisez votre page)

    Dijon : de 12h30 à 17h00.

    Ambiance familiale et détendue : pique-nique et musique.

    Dij1 Dij3
    Arrivée du car de l'Yonne

    2000 personnes selon les organisateurs : familles, enfants, de nombreux jeunes font de ce rendez-vous de la famille un événement festif mais très fortement déterminé. On ne lâche rien...

    Niort : à partir de 12h30.

    Niort

    Chartres : à partir de 13h00.

    Lyon : de 14h00 à 18h15.

    Les premières photos avant 13h00 et le ton est donné : mai 68 est mort.

    L1  Lé

    Anecdote lyonnaise : "Des CRS Tres souriants acceptent devant moi des drapeaux de la manif pour tous,donnes par un membre du staff,alors qu'ils déjeunent dans leur camion.Je manifeste ma surprise .un commandant de section me demande de ne pas prendre de photo:"vous comprenez,madame,nous on a des familles.si nos chefs apprennent qu'on pactise avec l'ennemi,on perd notre boulot".

    L3  L5

    L6  L9

    Musulmans pour l'enfance.

    Les Forces de l'ordre sont en place!

    L10  La

    Arrivée des élus.

    L12  L20

    Arrivée des montagnards.

    L13

    La place Bellecour se remplit!

    L1

    Slogans lyonnais :

    "Hollande t'es foutu, les Français lâchent pas la rue"

    "Taubira, serre les fesses, on arrive à toute vitesse"

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    L21

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    L01

    Le cortège se dirige vers la rue Édouard Herriot

    Fb

    Frigide Barjot est arrivée à Lyon : elle s'est trompée de manif !?

    L2

    Le message est très clair !

    L65

    L3

    "place Bellecour bouchée : on stagne alors que les premiers sont partis depuis 30mn"

    Monseigneur Le Gal est dans le cortège.

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    La place Bellecour se vide enfin...

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    Montpellier : de 14h30 à 16h30.

    Mt1 

    Paris : à partir de 15h00.

    Pour la RATP, pas de manif aujourd'hui ! C'est ce qu'on verra...

    PasDeManifRATP

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    Le calme avant la manif...

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    Conférence de presse de Ludovine de la Rochère, présidente de la MPT 

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    Ile d'Oléron : à partir de 15h00.

    Saint-Raphaël : à partir de 15h00.

    Rennes : de 15h00 à 18h00.

    Avant d'arriver :

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    La foule arrive :

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    Toulouse : à partir de 15h30. 

    Premiers préparatifs à Toulouse : 

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    Canon à eau contre mères de famille et enfants en poussette?

    Lille : à partir de 15h30.

    Amiens : à partir de 16h30.

    Dreux : à partir de 16h30.

    Soustons : ce matin, plusieurs centaines de personnes.

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    Photo(5)

    (Dans le Figaro)

    Lahire  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • Réflexions sur divers mythes de sacrifice divin

     

    Réflexions sur divers mythes de sacrifice divin
    L’une des actions les plus curieuses du dieu nordique Odin est l’épisode d’auto-pendaison décrit dans les strophes 139-142 du Havamal, dans l’Edda poétique [1]. Odin est le « Père de Tout » dans le panthéon des Ases, et certains indicateurs puissants de sa souveraineté (connaissance magique et connaissance des runes) furent gagnés par cet acte d’autosacrifice. Etant donné la position d’Odin comme dieu majeur et la nature particulièrement spectaculaire de son sacrifice, il n’est pas surprenant que des comparaisons soient souvent faites entre cet épisode mythologique et celui de la crucifixion de Jésus Christ au Golgotha [2]. Jésus fonctionne essentiellement comme un « dieu suprême » dans l’iconographie chrétienne, car il est le point focal du Nouveau Testament et l’intermédiaire avec le monde des hommes, alors que le « Dieu Père » techniquement plus puissant est devenu une figure plus vague par rapport à son ancienne prédominance dans l’Ancien Testament. Ainsi, l’une des plus importantes tâches des premiers missionnaires chrétiens dans les territoires germaniques de l’Europe fut de convaincre les peuples païens qu’ils devaient accepter le Christ comme leur Sauveur, le mettre à la place d’Odin, et abandonner ce dernier avec le reste de ses homologues divins. Il est certainement possible que ce processus puisse avoir été quelque peu facilité par les similarités superficielles entre l’acte d’auto-pendaison d’Odin et le motif de la crucifixion du Christ [3]. Comme l’a remarqué Kevin Crossley-Holland :
    « Les parallèles entre la mort d’Odin et la crucifixion du Christ sont frappants : tous deux meurent volontairement ; Odin est percé d’une lance et le Christ aussi ; Odin fait allusion à l’absence d’une boisson revivifiante et le Christ se voir offrir du vinaigre ; Odin hurle ou crie avant de mourir, et le Christ crie ‘d’une voix forte’. » [4]
    Etant donné ces similarités, il n’est pas surprenant que pendant des années les spécialistes se soient souvent demandé si cela pouvait indiquer une influence chrétienne – ou même une source chrétienne partielle – pour l’épisode du Havamal, comme cela pourrait aussi être le cas pour certains autres passages de l’Edda poétique. Ce qui est beaucoup moins fréquemment discuté, c’est la nature de ces actes ou rituels ou actions sacrificiels en eux-mêmes, et les implications résultantes pour ceux qui aligneraient leur attitude spirituelle sur l’une ou l’autre de ces déités. Examinés depuis cette perspective, les détails entourant les « morts » sacrificielles d’Odin et du Christ peuvent être considérés à de nombreux égards comme presque diamétralement opposés. Et si l’on examine attentivement les raisons d’être de ces deux sacrifices religieux, il devient également évident que sur un plan métaphysique ils ont très peu en commun.

    Le sacrifice comme rituel
    Dans le cas de la pendaison d’Odin sur l’arbre du monde Yggdrasil, le fait que le récit soit fait à la première personne est de première importance. Le récit commence ainsi :
    Je sais que je pendis
    A l’arbre battu des vents
    Neuf nuits pleines,
    Navré d’une lance
    Et donné à Odin,
    Moi-même à moi-même donné,
    A cet arbre
    Dont nul ne sait
    D’où proviennent les racines.
    Point de pain ne me remirent
    Ni de corne ;
    Je regardai en dessous,
    Je ramassai les runes,
    Hurlant, je les ramassai,
    De là, retombai. [5]
    Il est immédiatement évident que la pendaison d’Odin est volontaire, faite « par lui-même, pour lui-même ». Si cela apparaît incontestablement comme une chose déplaisante pour l’individu moyen, il faut reconnaître que ce n’est pas un simple acte de masochisme. Une telle action a de nombreux précédents dans diverses cultures autour du monde, et peut être vue comme un rite chamanique ou initiatique – mais en tous cas, un rite qui accomplit une fonction importante. D’autres aspects de la persona d’Odin confirment une telle tendance, comme le note Mircea Eliade dans son Histoire des idées religieuses :
    « Nous avons certainement ici un rite initiatique de structure para-chamanique. Odin reste pendu à l’arbre cosmique ; Yggdrasil signifie ‘le cheval (drasil) d’Ygg’, l’un des noms d’Odin. La potence est appelée le ‘cheval’ du pendu, et nous savons que les victimes sacrifiées à Odin étaient pendues à des arbres. En se blessant lui-même avec sa lance, en s’abstenant d’eau et de nourriture, le dieu subit une mort rituelle et acquiert une sagesse secrète de type initiatique. L’aspect chamanique d’Odin est confirmé par son cheval à huit pattes, Sleipnir, et par les deux corbeaux qui lui disent tout ce qui se passe dans le monde. Comme les chamans, Odin peut changer de forme et envoie son esprit au loin sous forme d’un animal ; il cherche la connaissance secrète parmi les morts et l’obtient ; il déclare dans le Havamal (strophe 158) qu’il connaît un charme qui peut faire descendre un pendu de la potence et parler avec lui ; il est instruit dans l’art du seidr, une technique occulte de type chamanique. » [6]
    Un élément clé du chamanisme, qui le différencie d’autres activités occultes comme le « voyage astral » ou le voyage « surnaturel », est que le chaman doit impérativement revenir de ses voyages dans d’autres dimensions de la réalité avec quelque chose de positif – pas seulement pour lui-même, mais aussi pour les membres de sa tribu. Cela prend généralement la forme de pouvoirs de guérison ou de connaissances qui aideront à combattre des démons ou des entités spécifiques qui causent des maladies psychologiques ou physiologiques. Dans le cas d’Odin ce paradigme est évident pour l’acquisition des runes, qui ont de nombreux usages magiques, mais en plus de cela la toute première rune qu’il obtient « est appelée aide, et l’aide elle peut t’apporter / Dans le chagrin et la douleur et la maladie » [7].
    La nature de l’auto-pendaison d’Odin peut être vue comme un voyage ou une « descente » dans un autre royaume (puisqu’il dit qu’il regarde « en-dessous », c’est probablement une allusion à Hel, le domaine des morts, où il peut acquérir une connaissance et une sagesse spéciales de la part de ses résidents). Dans un autre sens, pour emprunter un terme de Nietzsche, c’est un exercice de « maîtrise de soi » par lequel Odin se soumet à des extrêmes de tension (attaché ou pendu à un arbre), de souffrance (blessé par une lance), et de famine ou de jeûne (se privant de nourriture et de boisson). Chacun de ces actes à lui seul pourrait conduire à une altération de l’état de conscience, et dans le cas d’Odin ils sont combinés et donc amplifiés dans un effrayant rituel qui le mène au bord de la mort, lui permettant d’avoir un regard pénétrant dans les mystères du royaume où résident les morts. Si le moyen employé est l’abnégation de soi, le but ultime est l’avancement de soi. En subissant cette épreuve et en la surmontant, Odin revient dans les mondes plus familiers des dieux et des hommes comme un être supérieur ayant acquis une illumination et des pouvoirs nouveaux. Son rite est accompli avec succès, et confirme finalement sa position d’entité suprême parmi les dieux des Ases.
    L’action d’Odin est généralement considérée comme un exercice chamanique, mais il y a un certain nombre d’autres explications possibles, toutes de nature ritualiste. L’une des plus élaborées fut proposée par Jere Fleck dans son essai de 1971, « Odin’s Self-Sacrifice – A New Interpretation », qui utilise du matériel de mythologie comparée indo-européenne pour arriver à une explication plus détaillée de la nature et de la fonction du sacrifice [8]. L’une des conclusions les plus valables pour lesquelles Fleck fournit des preuves convaincantes est l’idée qu’Odin doit avoir été pendu à l’arbre dans une position inversée. Cette position inversée fournit aussi la seule explication raisonnable au fait qu’Odin a pu se pencher vers le bas et ramasser les runes en-dessous (en présumant que ces dernières étaient des objets tangibles, ce que suggère la description), une action qui serait physiquement impossible s’il était suspendu dans une position normale. Fleck discute aussi du parallèle résultant entre l’Odin suspendu à l’envers et l’image du « pendu » dans le Tarot des Arcanes Majeures, qui ouvre un autre champ de comparaisons symboliques.
    Quelle que soit sa forme ou sa motivation exacte, le rituel de l’auto-pendaison a peu de chances d’être une anomalie introduite dans l’histoire d’Odin par un scribe chrétien ultérieur, car la nature sinistre du rite est pleinement en accord avec le caractère du dieu. Les étudiants de la littérature mythologique et historique du Nord préchrétien trouveront des mentions de pratiques cultuelles qui reflètent clairement des aspects clés de l’autosacrifice d’Odin [9]. De plus, je remarquerai simplement qu’une analyse plus allégorique montre que le rituel est un parfait reflet des principales caractéristiques d’Odin. Il est celui qui incite à la bataille et au conflit, dans ce cas à l’intérieur de son propre être ; il est un audacieux promeneur et voyageur, qui voyage dans d’autres royaumes simplement pour se « tester » lui-même ainsi que ses aptitudes ; et surtout il est un collecteur de sagesse, qui dans un autre mythe essentiel sacrifie l’un de ses yeux pour obtenir la connaissance contenue dans le Puits de Mimir. Considérant l’endroit où l’autosacrifice d’Odin a lieu, cela ne semble pas être une allusion à la croix chrétienne. Les peuples germaniques voyaient l’arbre du monde, Yggdrasil, comme une forme d’axe cosmique, un mât vertical et interconnectant au centre des neuf mondes, et il est donc entièrement logique que le dieu suprême choisisse ce même arbre comme le site de son rite le plus personnel. En faisant cela il put obtenir un aperçu dans le fonctionnement mystérieux du plus grand univers lui-même.
    La crucifixion de Jésus est un type d’événement entièrement différent ; les circonstances qui l’entourent sont si fortement en opposition avec celles qui viennent d’être discutées que tout lien significatif entre elles est hautement douteux [10]. Vue dans son contexte historique, la crucifixion du Christ est un acte entièrement « mondain ». La crucifixion était simplement une forme extrême d’exécution. Elle était bien sûr délibérément douloureuse et donc réservée à certains types de criminels, mais son but ultime était de tuer. Par conséquent, en laissant de coté toutes les croyances spirituelles concernant le mécanisme de la mort elle-même, il n’y a rien d’intrinsèquement métaphysique dans la crucifixion. Par opposition à Odin, le plus élevé des dieux germaniques, qui se pend à Yggdrasil, le plus important des arbres, Jésus était considéré par la société en général, en Judée, comme une figure humble, un hérétique blasphématoire, et fut cloué à la croix de la manière la plus dégradante. Crossley-Holland affirme que la mort du Christ est « volontaire » comme celle d’Odin, mais ceci est contestable. Il est vrai qu’elle peut être volontaire au sens où Jésus la provoque par ses activités et ses sermons, qui sont perçus comme une menace pour l’establishment religieux juif existant. Il accepte aussi volontairement sa condamnation et ne résiste pas aux soldats romains qui l’emmènent, devenant le premier martyr – et en même temps le martyr absolu – du christianisme. Néanmoins, cette forme de mort « volontaire » est au fond une soumission ; elle n’est pas choisie par le Christ, elle n’est pas non plus le résultat d’une action spécifique et active de sa part, mais plutôt l’œuvre de forces externes. Par contre, le sacrifice d’Odin est à la fois volontaire et choisi ; de plus, il est entrepris et accompli par lui-même.
    La condamnation à mort du Christ survient à cause de la trahison de Judas, après quoi il est déclaré coupable de blasphème par le tribunal juif local, le Sanhédrin. Mais pour le crucifier un décret des Romains est nécessaire, car ils sont la puissance régnante habilitée à prononcer la peine capitale. Jésus est amené devant les autorités romaines, et est disculpé deux fois. Alors qu’il croit lui-même être le « fils de Dieu », la réalité de la question est que le gouvernement romain impérial, le plus puissant dans le monde, ne fait aucun cas de lui ou de ses enseignements. Ils ne veulent même pas faire l’effort de le tuer, et c’est seulement sur l’insistance du Sanhédrin et de segments de la population locale qu’ils y consentent finalement.
    Lorsqu’elle est examinée en détail, l’exécution ultérieure a très peu en commun avec le sacrifice d’Odin. Jésus est soumis au fouet avant d’être cloué sur la croix, ce qui était une procédure standard. On ne lui offre jamais de nourriture ou d’eau, mais plutôt une boisson analgésique amère avant le début du clouage, et certains récits disent qu’après avoir été mis en croix on lui présente un linge trempé dans du vinaigre, comme humiliation supplémentaire. Jésus crie un certain nombre de fois, en particulier pour s’écrier : « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? ». Ses cris sont des cris de douleur et de frustration, à la différence du cri (de victoire ?) d’Odin qui est émis juste au moment du « triomphe » quand survient l’acquisition des mystères runiques. La mort de Jésus sur la croix est simplement la route désagréable par laquelle il atteint « l’autre monde » ou « le ciel », où il reste « à la droite du Père » [11].

    La signification du sacrifice
    Le mot sacrifice vient du nom latin sacrificium, qui vient de l’adjectif sacer, « sacré, saint, consacré », et le verbe sacrare, « rendre sacré ou saint ». Le sacrifice est un rituel religieux qui a été interprété de diverses manières par les anthropologues, les historiens, les psychologues, et d’autres, et il y a diverses explications concernant sa fonction dans différents systèmes religieux. Le sacrifice peut être vu comme une forme de communication entre les mondes du profane et du sacré. Par conséquent, lorsqu’une chose vivante est offerte en sacrifice elle doit être tuée ; la communication a lieu quand l’objet du sacrifice (le « messager ») voyage vers l’autre monde non-matériel [12]. Le sacrifice sert souvent à initier un échange de cadeaux entre hommes et dieux, par quoi une offrande est faite avec l’espoir qu’elle sera acceptée. En retour, un dieu ou des dieux accompliront une requête ou accorderont une récompense positive à celui qui a accompli le rite ou, par extension, à ses compagnons. Dans un sens cynique, certaines formes de sacrifice peuvent aussi être considérées comme une forme de « pot-de-vin » religieux, par lequel un dieu est apaisé : celui qui sacrifie doit présenter une offrande pour continuer à recevoir la bienveillance de la déité, qui détient le pouvoir de rendre la vie misérable pour l’humain [13]. Une forme apparentée de sacrifice est celle de la purification ou de l’expiation – en d’autres mots, pour l’homme (que ce soit un individu ou un groupe collectif plus grand) qui a précédemment transgressé une ordonnance divine, c’est un moyen de s’amender devant le dieu et de rectifier la situation. Dans ces derniers scénarios la distance naturelle entre dieu et homme est soulignée, et l’homme vit dans la crainte de ce qui pourrait arriver s’il ne sacrifie pas en accord avec la coutume.
    La mort du Christ ne peut être comprise comme un sacrifice religieux que si l’on accepte sa signification d’après la doctrine théologique chrétienne. Le Christ est « sacrifié » par d’autres, et cela n’implique jamais qu’il avait besoin que cela se produise pour pouvoir obtenir un gain personnel dans l’autre monde. Si l’acte de le crucifier servait un bénéfice opportun sur le plan matériel, c’était celui de supprimer un élément gênant pour la société. La mort elle-même est assez banale : comparé à la plupart des crucifixions, il mourut assez rapidement et sans beaucoup de façons, avec seulement des phénomènes « surnaturels » mineurs accompagnant l’événement – les récits bibliques font état d’un « obscurcissement du ciel » et ainsi de suite, mais cela ressemble davantage à un embellissement poétique ultérieur. L’importance de la crucifixion ne vient donc pas tant de l’action que de la notion de la personne exacte à qui elle fut faite. Il est le « fils de Dieu », un être « perfectionné », et pourtant ironiquement il subit une mort particulièrement dégradante des mains de ceux qui sont oublieux de sa stature.
    Cependant, un échange sacrificiel fondamental se produit ici, d’après la doctrine chrétienne. Jésus ne meurt pas pour ses propres péchés – car, en termes chrétiens, pourrait-on dire qu’il en ait commis ? –, mais pour ceux de l’humanité. C’est un exemple d’un acte expiatoire particulier, comme le dit E.O. James : « Quelle que soit l’interprétation du récit de ce qui a eu lieu, le fait demeure que la Passion et la mort du Christ introduisirent dans la tradition du Messie juif l’ancienne conception du Roi Sauveur divin souffrant et mourant pour le salut de l’humanité » [14]. Il a été sacrifié afin de « prendre sur lui les péchés du monde ». D’après la croyance chrétienne, cet état de péché existe à l’intérieur de tout être humain et est appelé « péché originel », ses racines remontant à la désobéissance d’Adam dans le Jardin d’Eden. Un paradoxe est ainsi créé, car si en subissant sa crucifixion Jésus a vraiment pris sur ses épaules les péchés de l’humanité, on pourrait logiquement supposer qu’à partir de ce moment l’homme n’en a plus eu. L’histoire du monde ultérieure et ses effusions de sang – dont un bon nombre fut accompli au nom du Christ – démontrent amplement la fausseté de toute affirmation disant que l’homme se serait débarrassé de sa tendance aux dénommés péchés, donc cet « enlèvement du péché » fut un acte symbolique plutôt que littéral. En gardant intact le concept du « péché originel » tout en proférant simultanément l’affirmation métaphysique extravagante sur les implications de la crucifixion du Christ, une formule d’extorsion spirituelle fut instaurée par la doctrine chrétienne. Par conséquent, celle-ci demande un autre sacrifice : pour recevoir le « salut », on doit placer sa foi en Jésus et l’accepter comme « Seigneur » – après tout, il subit magnanimement la torture et même la mort en votre nom. Si vous ne lui donnez pas toute votre foi, vous ne recevrez aucune récompense après votre mort. En plus de cela il y a la menace de l’enfer pour ceux qui n’adoptent pas la foi, qui augmente encore le degré de contrainte. La mort de Jésus peut être vue comme intégrale pour tout cela aussi, car il était nécessaire qu’il remonte au ciel pour finalement rendre son Jugement sur chaque homme après l’Apocalypse.
    Le sacrifice d’Odin ne se prête à aucun parallèle expiatoire, car son acte est entièrement auto-contenu : il est son récipient. Pour faire entrer le rite d’Odin dans une telle équation, la seule solution métaphysique serait de dire que son « moi inférieur » ou « irrésolu » – c’est-à-dire son état d’être initial – a été sacrifié et immolé afin de se reconfigurer dans un « moi supérieur », ou afin de le « recevoir ». De cette manière le moi inférieur est détruit et laissé en arrière, donc il ne peut pas y avoir de demande de « subornation » de la part du moi supérieur. Le sacrifice atteint son but désiré et est donc complet. Le meilleur paradigme explicatif serait certainement celui d’un échange sacrificiel. Odin fait une offrande (son corps, sa raison, et son âme) afin de recevoir un niveau d’illumination supérieur, ou, pourrait-on dire, plus profond. C’est une formule d’auto-transcendance, et Odin poursuit en expliquant ses conséquences quelques strophes plus loin dans son récit :
    Alors je commençai à prospérer,
    Et à obtenir la sagesse,
    Je grandis et j’étais bien ;
    Chaque mot me menait à un autre mot,
    Chaque action à une autre action. [15]
    Ici Odin, conscient de lui-même, comprend comment il fonctionne dans son état nouvellement atteint, recevant la sagesse et employant des mots (c’est-à-dire l’art de la communication – rien de surprenant, étant donné qu’il a maintenant acquis les runes, symboles écrits des phonèmes germaniques originels). Sa connaissance et ses mots conduisent à des actions, qui à leur tour engendrent d’autres actions, probablement plus grandes. Le philosophe ésotériste Julius Evola explique la dynamique de l’acte dans ces termes :
    « La même idée d’une force primordiale qui réagit contre elle-même, qui se libère et accède à un plan supérieur de l’être définissant son aspect divin particulier (la « forme plus haute et plus parfaite de soi-même » des Upanishads) … est exprimée par le sacrifice d’Odin à l’arbre cosmique Yggdrasil, qui permet à Odin de tirer de l’abysse la sagesse transcendante contenue dans les runes et de la mettre en pratique ; en outre, dans une version particulière de ce mythe, Odin, vu comme un roi, est celui qui par son sacrifice montre la voie qui conduit au Walhalla, c’est-à-dire le type d’action qui permet à une personne de participer à l’immortalité héroïque, aristocratique et ouranienne. » [16]
    Un cycle accéléré d’évolution a été initié qui n’est pas seulement terrestre, mais plutôt « magique » dans son essence même. Ce n’est pas seulement un exercice d’esprit nouménal et d’esprit numineux, mais il se manifeste aussi par des actions dans le monde phénoménal. Odin a subi une épreuve et a obtenu en retour la récompense de la vision magique, qu’il met ensuite en pratique tangible sur le plan matériel tout comme sur le plan spirituel.

    Les implications d’un dieu sacrifié
    Le christianisme requiert une foi absolue, ou il devient insensé. Si la foi en Jésus en tant que messie n’est pas présente, sa vie et sa mort ont peu d’importance. Si l’on veut trouver des pacifistes éloquents dans l’histoire, il y a certainement de meilleurs exemples que Jésus – ses enseignements ne deviennent uniques ou impératifs que si la doctrine chrétienne est réellement vraie. Si d’autre part on tente de voir le Christ comme un simple modèle historique ou mythique, il serait difficile à imiter, et beaucoup de ses actions apparaissent complètement absurdes. Sa « réalité » est bien éloignée de notre réalité européenne indigène, et à de nombreux égards elle est incompréhensible. Une analyse ingénieuse de cette énigme a été faite par Lawrence Brown dans son histoire spenglerienne de l’Europe, The Might of the West, et mérite d’être citée en entier :
    « Comment peut-on respecter, et à plus forte raison adorer, un personnage qui est tellement simplet qu’il ne sait pas que les gens ne peuvent pas vivre comme les oiseaux et les plantes, qui ne peut pas se protéger contre un traître stupide qu’il connaît déjà, qui ne peut pas trouver de réponse intelligente à une accusation mortelle mais improuvable, qui ne comprend pas quand toute l’affaire est transmise à une juridiction différente ? … Au lieu de comprendre que sa physique n’était pas notre physique, que la réalité pour lui n’était pas ce que la réalité est pour nous, nous voulons qu’il soit motivé par des calculs et des principes qui nous motiveraient. Et ainsi ses motivations, au lieu d’être différentes, deviennent ineptes, et un puissant conquérant prétendu qui eut le courage de plier le ciel et la terre à sa volonté devient une victime pusillanime de petites erreurs, de petites intrigues, de petits hommes. Peut-être que son sens de la réalité était faux et que le nôtre est juste – ou du moins c’est ce qu’il semble aujourd’hui. Mais dans son propre monde, dans le concept levantin qui ne peut jamais entièrement séparer ce monde de l’autre, il est le héros épique par excellence. Lui seul osa arrêter l’horloge du monde. C’est vrai, elle ne s’arrêta pas, et nous Occidentaux ne croyons pas qu’on puisse arrêter cette horloge. Mais nous ne pouvons pas voir Jésus des deux manières à la fois. Si nous persistons à le juger d’après notre sens du réel, il devient familier mais vide. Si nous le jugeons d’après son propre sens du réel, il devient l’un des hommes les plus puissants de l’histoire et l’un des plus tragiques – mais un étranger complet. » [17]
    Si nous voulons regarder les morts sacrificielles d’Odin et de Jésus comme des épisodes mythiques plutôt que comme des « vérités » théologiques, ce sont encore les différences qui sont plus évidentes que les similarités. Et si nous prenons ces sacrifices comme des instructions allégoriques pour notre propre comportement ? La torture et les tourments de Jésus sont censés être une voie vers le salut, et il s’ensuit en effet que ses enseignements encourageaient ceux désireux d’atteindre le « ciel » à être doux, humbles, pacifistes, à « tendre l’autre joue », etc. Le fait que durant toute l’histoire les chrétiens ont souvent mal interprété ces enseignements, ou commis la violence malgré ceux-ci, est à coté de la question. Dans le cas d’Odin, nous avons un archétype complètement différent. Il est caractérisé par un effort vers l’auto-connaissance ; par un certain type audacieux d’égoïsme ; par un désir d’évolution indépendante ; par la fierté de ses propres accomplissements (incluant sa remarque qu’on ne lui a pas donné de pain ou de boisson pendant sa pendaison, ce qui pourrait être vu comme une manière de vanter son endurance) ; par des voyages intrépides vers des endroits et des états de conscience inconnus ; et par un désir de transformer les idées et les mots en actions. La pendaison d’Odin est un paradigme symbolique d’auto-initiation, de développement personnel, et de devenir soi-même ; c’est à de nombreux égards l’antithèse du symbole du Christ torturé, qui est fréquemment décrit dans l’iconographie chrétienne comme docilement cloué sur la croix. Cela implique une négation complète du domaine physique, c’est-à-dire la terre et le monde des actions. Un sacrifice permanent comme celui du Christ ne peut en fin de compte symboliser qu’une utopie mystique (c’est-à-dire le « salut » et le ciel), en d’autres mots, une utopie complètement séparée de la réalité terrestre [18].
    La compréhension de l’incompatibilité de ces allégories n’est bien sûr pas nouvelle. Le gouffre entre les deux orientations spirituelles, l’attitude ethnique-religieuse d’« acceptation du monde » contre l’attitude universaliste de « rejet du monde », devinrent évidents sur le plan pratique lorsque des efforts furent entrepris pour christianiser les tribus germaniques d’Europe du Nord durant le premier millénaire de l’Ere Commune [19]. Le fait que le Christ avait été sacrifié d’une manière vaguement similaire à celle d’Odin a pu favoriser le processus d’acceptation d’une vision-du-monde étrangère, mais une telle similarité était loin d’être suffisante pour convaincre les païens d’adopter la nouvelle foi. On peut trouver une indication curieuse de cela dans le Heliand, une version précoce des Evangiles chrétiens écrite en vieux-saxon vernaculaire. Conçu par un poète missionnaire anonyme du IXe siècle de l’ère chrétienne, le Heliand replace l’histoire de la vie de Jésus dans un arrangement complètement nouveau. Jésus n’est plus un prophète juif renégat dans le monde poussiéreux de la Judée sous contrôle romain, mais un chef de tribu germanique habitant dans la forêt, avec un groupe de guerriers dévoués l’entourant à la place des apôtres. La nature pacifiste de ses enseignements est adroitement reformulée de manière à apparaître à peu près inoffensive pour une audience païenne germanique, et la scène culminante de la crucifixion est modifiée par rapport à sa forme originale. Ici le poète a décrit les dernières heures terrestres de Jésus comme une noble bataille entre Christ le Drohtin (chef de tribu) et sa bande guerrière contre les soldats romains. Après avoir été tué, le Sauveur monte au ciel où il s’assoira pour l’éternité sur son trône, « et de là il voit toutes choses, le Christ régnant voit tout ce qui se passe dans le monde » [20]. Cette image finale est distinctement odinique [21], et n’est qu’une parmi beaucoup d’allusions semblables dans le Heliand. Combinées à cet habile « changement d’image » d’une figure du Christ qui serait acceptable pour un païen germanique, il y a d’innombrables exhortations disant que l’on ne doit avoir « aucun doute » après avoir reçu la nouvelle doctrine. Car si quelqu’un conteste ou continue à douter de son article de foi fondamental, le fondement entier de la doctrine chrétienne s’écroule. C’est un contraste radical avec la figure d’Odin, dont la nature inquisitive et questionnante le conduit même à s’« attaquer » lui-même, si cela favorise son propre développement et son propre bénéfice ultimes. Jésus demanderait que vous misiez tout sur une promesse de récompense dans l’autre-monde, jouant ainsi de la peur innée de la mort chez l’homme, alors que l’exemple d’Odin fournit un paradigme de recherche pour le triomphe sur soi-même et l’évolution dans le monde du présent, par lequel on peut accomplir sa propre gloire et, grâce à ses actions, rester dans la mémoire de sa tribu et de sa descendance. En imitant Jésus vous devriez rester fidèle et même souffrir dans l’espoir de recevoir le « salut » divin d’en-haut ; alors qu’en suivant l’exemple donné par Odin – subir ses propres sacrifices et initiations sur les arbres enchantés de la connaissance, de l’intelligence, et du danger –, le demi-dieu inspirant du respect et de la crainte que vous avez des chances de rencontrer se développera puissamment à l’intérieur de vous-même.
    Michael Moynihan http://www.voxnr.com
    Notes :
    Traduction d'un l’article en anglais paru dans le journal TYR, vol. 2, 2003-2004.
    Mes remerciements à Ronald Murphy, S.J., qui a gentiment fourni l’information additionnelle concernant la scène de crucifixion en bronze reproduite dans cet essai. Cette même image apparaît sur la couverture de la fascinante étude de Fr. Murphy, The Saxon Savior: The Transformation of the Gospel in the Ninth-Century Heliand (New York: Oxford, 1989).
    Une première version de cet essai est originellement parue dans Rûna n° 4 (1999).
    [1] Les strophes qui suivent (143-165) doivent aussi être gardées à l’esprit, puisqu’elles exposent les détails de la magie runique d’Odin qu’il a apprise par son rite d’autosacrifice.
    [2] Un exemple succinct se trouve aux pages 42-43 du livre de E.O.G. Turville-Petre, Myth and Religion of the North (New York: Holt, Reinhart and Winston, 1964).
    [3] Le cas d’Odin n’est pas le seul « sacrifice » de dieu païen qui a des similarités avec des aspects du christianisme. Divers auteurs ont soutenu que les scribes bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament ont fondé une grande partie de leur théologie sur des sources païennes, amalgamées pour créer une « nouvelle » religion. Des exemples de travaux de vulgarisation dans ce genre incluent Kersey Graves, The World’s Sixteen Crucified Saviors (New York: Truth Seeker, 1875 ; nombreuses réimpressions) ; J.M. Robertson, Pagan Christs (London: Watts, 1903 ; édition abrégée New York: Dorset, 1996), et Lloyd Graham, Deceptions and Myths of the Bible (New York: Bell, 1979). De tels livres – ainsi que diverses affirmations faites dans cet essai – ne plairont probablement pas beaucoup à certains lecteurs chrétiens. Mon intention ici n’est cependant pas d’attaquer l’adhésion d’une personne à un ensemble particulier de croyances religieuses. Celles-ci concernent l’individu, de même que c’est la prérogative de l’individu de réfléchir – et en fin de compte de les accepter ou de les rejeter – sur les significations profondes des systèmes de croyance auxquels il a été exposé.
    [4] Kevin Crossley-Holland, The Norse Myths (New York: Pantheon, 1980), p. 187. Turville-Petre discute ces similarités encore plus en détail (voir note 9), et remarque (p. 43) : « Si le mythe de la pendaison d’Odin ne dérive pas de la légende du Christ mourant, les deux scènes se ressemblaient si fortement qu’elles finirent par être confondues dans la tradition populaire ».
    [5] J’ai pris cette version dans l’excellente traduction de The Poetic Edda par Henry Adams Bellows (New York: American-Scandinavian Foundation, 1923), où elle apparaît aux pages 60-67.
    [6] Mircea Eliade, A History of Religious Ideas, vol. 2 (Chicago: University of Chicago, 1982), p. 160.
    [7] Havamal, strophe 147. Bellows, The Poetic Edda, p. 63.
    [8] Publié dans Scandinavian Studies, vol. 43, pp. 119-142 et 385-413. Je remercie Stephen Flowers pour avoir attiré mon attention sur cet article.
    [9] Cette question est spécialement traitée, par exemple, aux pages 42-50 de Turville-Petre, Myth and Religion of the North. D’autres détails intéressants peuvent être trouvés dans mon article dans TYR, vol. 1, pp. 89-91.
    [10] J’ai basé mes commentaires des détails de la crucifixion sur deux sources : d’abord, l’analyse détaillée de 340 pages de tout l’événement dans Haim Cohn, The Trial and Death de Jesus (New York: Harper & Row, 1971) ; ensuite, l’analyse « scientifique » d’un article intitulé « On the Physical Death of Jesus Christ » par William D. Edwards, M.D., Wesley J. Gabel, M.Div., et Floyd Hosmer, M.S., AMI, paru originellement dans un numéro de 1986 du Journal of the American Medical Association et qui fut plus tard réimprimé sous une forme abrégée comme appendice à Tortures and Torments of the Christian Martyrs par Rev. Antonio Gallionio (Los Angeles: Feral House, 1989).
    [11] Comme Joscelyn Godwin me l’a signalé, une histoire apocryphe connue sous le nom de « Les tourments de l’Enfer » dit que durant l’intervalle entre sa crucifixion et sa résurrection, le Christ descendit en Enfer ou dans le Hadès pour apporter le salut aux âmes captives en ce lieu. Cette histoire, une addition du IVe siècle à l’Evangile de Nicodème, ressemble à une concession syncrétique ou à un enjolivement opportun pour rendre les enseignements chrétiens plus acceptables pour les non-croyants. Une telle histoire pouvait aider à convaincre un converti réticent que ses propres ancêtres (qui ne pouvaient pas avoir entendu parler des Evangiles) pouvaient aussi atteindre le ciel par quelque mystère de la grâce du Christ. Mais apparemment quelques missionnaires ne comprenaient pas l’utilité de cela. Tel fut le cas de Wulfram, qui fut envoyé convertir les Frisons à la fin du VIIe siècle et au début du VIIIe. D’après la Vita Wulframi, le dernier roi païen, Radbod, était sur le point de recevoir le baptême lorsqu’il demanda à Wulfram si ses ancêtres étaient au ciel et en enfer. Le missionnaire répondit qu’ils étaient en enfer, avec tous les autres incroyants. Radbod interrompit alors la cérémonie, et déclara qu’il préférait être damné et vivre en enfer avec ses honorables ancêtres plutôt que de monter au ciel avec une « bande de mendiants ».
    [12] Pour une investigation sociolinguistique des implications de ces termes et leurs origines culturelles dans les anciennes pratiques religieuses indo-européennes, voir Emile Benveniste, Indo-European Language and Society (Coral Gables: University of Miami, 1973), pp. 452-456. A cet égard, il est également intéressant d’examiner les origines étymologiques du mot « victime ». Le fait qu’Odin semble voyager vers le royaume des morts durant son rite d’auto-pendaison fait fortement écho à cette notion indo-européenne de sacrifice.
    [13] Les diverses définitions du sacrifice, ainsi que sa fonction de « pot-de-vin » religieux, sont discutées aux pages 13-35 de E.O. James, Sacrifice and Sacrament (London: Thames and Hudson, 1962).
    [14] James, Sacrifice and Sacrament, p. 73.
    [15] Havamal, strophe 142. Bellows, The Poetic Edda, p. 61.
    [16] Julius Evola, Revolt Against the Modern World, transl. Guido Stucco (Rochester, Vermont: Inner Traditions, 1995), pp. 30-31.
    [17] Lawrence Brown, The Might of the West (Washington, D.C. and New York: Joseph Binns, 1963), pp. 224-225.
    [18] Une clarification nécessaire : mon intention ici n’est pas de dépeindre Odin comme une sorte de gourou déifié enseignant le « développement personnel » à l’humanité, et son caractère symbolique global comporte de nombreux aspects problématiques dus à sa nature à plusieurs facettes. Dans les temps anciens il est probable que seul un petit nombre de gens le considéraient comme leur dieu-patron, et ceux-ci étaient généralement des membres de la plus haute aristocratie. Les épreuves demandées à ceux qui voulaient se dédier à lui étaient souvent extrêmes, et pouvaient entraîner la mort pour l’adepte. Odin est aussi bien connu pour sa nature trompeuse et moralement ambigüe, qui, si elle était activement imitée par une partie importante de la population, entraînerait probablement un désastre pour n’importe quelle société.
    [19] Pour une discussion détaillée de ces questions dans le contexte des conversions germaniques continentales, voir James C. Russel, The Germanization of Early Medieval Christianity (New York: Oxford, 1994). Les chapitres 3 (« Sociohistorical Aspects of Religious Transformation ») et 4 (« Sociopsychological Aspects of Religious Transformation ») sont particulièrement intéressants à cet égard.
    [20] G. Ronald Murphy, S.J., The Saxon Savior (New York: Oxford, 1989), p. 115.
    [21] Dans le commentaire de sa traduction du Heliand, Murphy note : « Dans les Ecritures le Christ est assis à la droite du Père, mais il n’y a pas de commentaire sur le regard qu’il porte sur le monde. Dans la mythologie germanique, une caractéristique ultime de Woden est qu’après avoir souffert sur l’arbre, il regarde toujours le monde depuis son trône et est au courant de tout ce qui se passe » (The Heliand: The Saxon Gospel, transl. G. Ronald Murphy [New York: Oxford, 1992], p. 198, note 319). Plus spécifiquement, les corbeaux d’Odin, Hugin et Munin, lui servent « d’yeux et d’oreilles » en partant en reconnaissance et en lui racontant tout ce qui se passe dans Midgard.
  • Voilà l’ennemi…

    Quand la République est érigée en idéologie, elle prend les allures d’une religion. Celle du diable. Ça se passe de commentaires…

    http://www.contre-info.com/

  • Manif pour tous : une machine bien huilée

    C'est ce que constate le Monde

     

    "Six mois que le sujet du mariage homosexuel est entré en débat. Six mois que La Manif pour tous fourbit ses armes. Aujourd'hui, le collectif est rodé et d'autant plus déterminé à se faire entendre que la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux personnes de même sexe vient d'être votée. Avant un rassemblement national, le 26 mai à Paris, le mouvement porté par Frigide Barjot tient ses troupes en haleine. Manifestations à foison à Paris et en régions, multiplication des happenings devant des bâtiments officiels ou auprès d'élus socialistes, poussée de groupes de veilleurs partout en France".

    Lahire  http://www.lesalonbeige.blogs.com/

  • La querelle du paganisme et du christianisme

    Il y a un "esprit" rivarolien, il n'y a pas de doctrine rivarolienne. Depuis leur fondation, Rivarol et ECRITS DE PARIS fédèrent des lecteurs issus de courants très divers. Nos détracteurs nous définissent volontiers tels les vaincus de 1945 ; ce qui n'est pas tout à fait faux, s'il est vrai que Rivarol et ECRITS DE PARIS incarnent ce courant d'idées animant la vraie droite. Mais qu'est-ce que la droite ? De Joseph de Maistre à Mussolini, de saint Thomas d'Aquin à Donoso Cortès, de Bossuet à Franco, de Maurras à Julius Evola, de la monarchie légitimiste au national-socialisme, des catholiques intégristes (toutes tendances confondues) aux néo-païens, il y a des différences doctrinales telles que l'on peut se demander parfois si l'identité de l'esprit rivarolien n'est pas une sensibilité réactive réduite à la dénonciation d'ennemis communs, mais sans unité intrinsèque. On peut toutefois avancer une définition consensuelle. Mérite d'appartenir à la famille des rivaroliens toute personne posant au principe de ses choix politiques la thèse suivante : l'Europe charnelle et territoriale, chargée de son héritage spirituel et ethnique, ainsi prise en ses composantes germanique, celtique et gréco-latine, constitue l'élément intellectuel et physique en lequel la condition humaine accède à la pleine conscience d'elle-même, et par là prend son sens et justifie son existence ; et cela doit être tenu pour vrai non seulement pour les Européens, mais pour tous les peuples de la terre. Reste à se demander ce en quoi consiste cet héritage européen, lequel s'explicite en nations européennes chacune dotée d'un génie propre et insubstituable. Abordons aujourd'hui la question suivante : le christianisme est-il consubstantiel - non seulement de fait mais en droit - à l'identité européenne ? Un problème aussi lourd ne saurait sans ridicule être traité en quelques lignes. Ne seront développées ici que quelques suggestions.
    Le désir le plus profond de l'homme, induit par sa différence spécifique (animal raisonnable), est le désir de connaître. Comme le faisait observer - bien avant Heidegger - Arthur de Gobineau dans son fameux « Essai sur l'origine de l'inégalité des races humaines » (livre I) notre civilisation occidentale « a poussé loin l'esprit compréhensif et la puissance de conquête, qui en est une conséquence : comprendre tout, c'est tout prendre ». Il n'est aucune force créatrice, aucune culture, qui ne s'enracine dans le désir de connaître, lequel culmine dans la contemplation de l'être en tant qu'être. Toute culture est projection d'un idéal expressif de ce que l'homme a à être ; après Pindare (Les Pythiques, 2, 72), même un Nietzsche (Le Gai Savoir § 270) invitait son prochain à devenir ce qu'il est (« du sollst der cerdan, der du bist ») ; devenir ce qu'on est, c'est se conformer à son essence. Mais ce que l'on nomme l'essence d'un être, son paradigme, sa raison d'être, cela désigne une participation à l'acte d'être, c'est-à-dire une modalité dans l'être, ou encore une certaine manière d'être un être. Or c'est de l'acte d'être que l'essence tire son être d'essence et son intelligibilité : l'essence dit le possible, par opposition à l'existence qui dit la réalité, mais même le possible doit avoir une existence de possible pour être dit possible, à peine de n'être rien ; aussi la représentation culturelle de l'essence humaine sera-t-elle d'autant plus exacte que sera plus développée la spéculation sur l'être en tant qu'être. Quand on a tout dit d'un être, il reste à se demander ce que c'est que d'être de l'être ; et ce que l'on sait de cet être est en dernier ressort suspendu à la compréhension de ce qu'est l'être en général. On dira qu'être de l'être, c'est tout simplement n'être pas du néant, et qu'il n'y a pas lieu de s'interroger longuement sur une chose aussi évidente, que ces spéculations sont oiseuses. Le problème est que le néant tient sa définition de celle de l'être dont il n'est que la négation. « Pourquoi y a-t-il de l'être et non pas plutôt rien ? », se demandaient Leibniz et Heidegger. L'homme est immergé dans un monde dont il est solidaire, c'est-à-dire dans un ensemble d'êtres dont l'acte d'exister ne s'impose pas de lui-même, et la recherche du "pourquoi" du monde enveloppe le souci du sens de l'existence de l'homme.
    Méditer sur l'être en tant qu'être, tel fut bien l'effort sublime de la pensée universelle, en Orient et en Occident, et à peu près à la même époque, en rupture avec cette pensée mythique qui faisait le berceau intellectuel de l'humanité. Mais c'est en Grèce, et seulement en Grèce que la philosophie est née ; c'est ainsi par le souci philosophique que se définit d'abord l'esprit occidental. Les premiers penseurs de la Grèce, contemporains à peu près du brahmanisme puis du bouddhisme (6e et 5e siècles, les Upanishad furent composées entre le 8e et le 6e siècle) se sont demandé, comme physiologues, quelle est la nature profonde du réel. Thalès de Milet disait que la nature profonde des choses (et ce qu'il y a de plus profond en elles, c'est bien qu'elles sont de l'être) est eau. Pour Anaximène, elle était air, pour Anaximandre, elle était "apeiron" (l'infini au sens d'indéfini) ; pour Démocrite elle était atome, pour Empédocle d'Agrigente elle était les quatre éléments (eau, terre, feu, air) combinés par l'Amour et la Haine ; pour Pythagore elle était nombre. Pour les Orientaux elle était "Brahma", puissance absolue immanente au monde en lequel elle se manifeste, et associée, comme chez Empédocle, à deux principes contraires (Vishnou qui conserve et Çiva qui détruit), dans une confuse intuition païenne de la Trinité, à l'Est comme à l'Ouest. Puis, s'approfondissant, la pensée universelle a compris que les êtres donnés à notre expérience sont en devenir, que le devenir semble constituer ce qu'il y a de plus commun aux êtres (qui tous naissent et périssent), que l'être en général est aussi ce qui est commun à tous, qu'ainsi l'être en tant qu'être peut être identifié à l'universel devenir (Heraclite). Cependant, ils se sont promptement avisés du fait que devenir consiste à se contester, ainsi à n'être pas ce qu'on est, que donc ce qui est devenir n'est pas le paradigme de ce qui est vraiment, et que l'être en tant qu'être est irréductible à ce qui devient. Dès lors, ce qui est, ce ne sont pas les choses qui sont en devenir, c'est l'essence immobile des choses mobiles, c'est leur concept ou leur idée : ce triangle tracé dans le sable s'effacera, mais non l'idée de triangle et ses propriétés logiques. Ce qui est vraiment, c'est l'idée de ce qui est, c'est l'idéal dont le réel mobile n'est que la réalisation contingente et illusoire, à tout le moins structurellement inadéquate. Or l'idée en général, c'est ce qui est pour la pensée, ce qui subsiste dans la pensée, de sorte que ce qui est, c'est la pensée de l'être, c'est elle qui est être véritablement ; être et pensée ne font qu'un, comme l'enseignera Parménide dans son poème. « Pantarei », dit Heraclite, mais le philosophe qui saisit le devenir n'est pas lui-même en devenir, au moins quant à sa pensée, puisqu'elle peut se l'objectiver, ainsi s'en émanciper, afin d'attester qu'il n'est pas ce qui mérite le nom d'être. Cela dit, penser est penser qu'on pense, sans quoi, ne sachant même pas que quelque chose lui est donné à penser, le moi ne penserait pas. Aussi la pensée, qui est l'être saisi dans son fond, est aussi cogito, l'être en tant qu'être est un cogito. Et c'est à partir de maintenant que se produit une césure qui décide de la dualité du développement de l'Orient et de l'Occident. À l'Est comme à l'Ouest, on prend conscience du constat suivant : l'être en tant qu'être est pensée, ainsi cogito, mais le cogito est duel, sujet et objet, scindé, il consiste dans l'acte d'être pour soi-même un autre ; or l'absolu est simple, parce que, s'il était composé, alors il requerrait un principe de composition qui lui serait antérieur, et alors il ne serait pas l'absolu. La décision orientale est la suivante : l'absolu, étant simple, est au-delà de la pensée, et de ce fait il est au-delà de l'être même, de cet être que les premiers penseurs tenaient pour l'absolu. L'absolu est au-delà de l'être, au-delà de l'essence entendue selon son étymologie : au-delà de l'étance ou étoffe de ce qui est en tant qu'il est, et que les philosophes (moment platonicien, puis aristotélicien, de la pensée universelle) avaient désignée telle la cause (transcendante, puis immanente) de ce qui est, à savoir son essence (au sens devenu classique de quiddité), ainsi son idée. Et si l'absolu est au-delà de l'essence, il est au-delà de l'intelligible, il échappe à tout concept, et tel est bien le constat de penseurs aussi divers que le Platon du livre 6 de la République, de Plotin, de Maître Eckhart, de Descartes (les essences sont créées par un Dieu fantasque qui, tel le dieu de l'islam, décide du vrai et du faux en les créant), de Pascal (notre raison n'est bonne qu'à nous faire prendre conscience de notre misère et de notre finitude), mais aussi de Kant, maître de la modernité, pédagogue du mondialisme démocratique : l'être, dans sa différence d'avec son apparaître, échappe au concept ; il n'est connaissable que comme phénomène construit, ainsi « pour nous » mais non « en soi ». L'absolu est au-delà de notre souci d'intelligibilité : tel est aussi le constat -horresco referens - du saint Thomas d'Aquin de la « Somme théologique » (question 3 article 5) : Dieu n'est pas substance, car tout genre (dont la catégorie de substance) est composé, or Dieu est simple, et ainsi Dieu échappe à tout genre, il échappe à nos catégories et, parce que Dieu est l'être même (celui dont l'essence est d'exister), alors l'être échappe à nos catégories. Qu'est-ce à dire, sinon que, au rebours de l'aristotélisme, les catégories de notre pensée sont des catégories de la pensée de l'être et non point de l'être que la pensée pense ? Et si saint Thomas s'en était tenu là, saint Thomas aurait déjà été kantien, ce que ne cessent d'affirmer sans vergogne nos penseurs contemporains, tel Jean-Luc Marion, dans le sillage de Gilson et de Sertillanges, tous thomistes démocrates-chrétiens. Or notons ceci : si l'absolu est au-delà de l'être, à tout le moins de l'être connaissable, cependant qu'on tient à maintenir la thèse selon laquelle il est, c'est que l'être en tant qu'être est inintelligible, au moins pour nous ; c'est qu'il échappe à tout concept, et voilà que l'on voit poindre l'apophatisme générateur de nihilisme, lequel ne sera évité que par le recours à la foi, mais désormais à une foi qui déclarera la raison incompétente pour donner sens à la vie, ainsi à une foi entée sur le sentiment, sur la volonté pure, sur l'autorité arbitraire ou sur l'élan vital. Et l'apophatisme (de Dieu et de l'être, on ne peut savoir que ce qu'ils ne sont pas) est bien la racine du nihilisme : le mot "sens" a deux sens : signification (intelligibilité) et direction (finalité), lesquelles renvoient à la même chose (l'essence d'un être est sa finalité). Aussi, déclarer que l'être en tant qu'être est inintelligible, c'est lui dénier toute raison d'être, c'est le rendre absurde.
    Tel est au fond le dernier mot de la sagesse orientale, ou plutôt du moment oriental de la pensée universelle : l'absolu est au-delà de l'être, il est l'Ineffable, l'Un, l'inobjectivable et donc l'inconnaissable. Il échappe au Logos et il n'est pas Logos. Mais à ce titre même il est, en toute logique et en droit, immanent au monde : en vertu de son indétermination radicale, il ne possède rien qui le distingue de ce dont il est l'autre. Si tout son "être" est d'être autre, et ainsi d'être autre que l'être, il est "neens", néant, de sorte que, s'il est quand même quelque chose plutôt que rien, cet autre que l'être ne saurait être un autre être (il aurait en commun avec l'être d'être de l'être, et il ne serait pas absolument autre), mais simplement il est comme l'envers de l'être, sa face cachée ; en termes logiques, pour attester la différence de deux choses, il faut qu'elles soient comparables, mais elles doivent avoir quelque chose de commun pour être comparables, elles ne sauraient être à ce point différentes l'une de l'autre qu'elles ne puissent être comparées entre elles ou référées à un terme commun, de sorte que, ce qui consiste dans l'acte d'être le « tout autre » de ce qui est et de ce dont on peut parler, eh bien !, on n'en peut même pas parler pour dire de lui qu'il est autre ; le « tout autre » en vient à se confondre avec ce à quoi il s'oppose. La maximisation de l'apophatisme aboutit à l'athéisme, et elle s'anticipe dans l'immanentisme. L'absolu des Orientaux est l'en-soi du réel, toute son efficience consiste à se manifester dans les êtres divers, il n'a pas d'être propre en dehors de sa manifestation qui pourtant ne l'épuisé pas, mais bien plutôt ne le révèle qu'en le voilant. Tel est bien l'être de Heidegger, cet être qui, dans sa « différence ontologique » d'avec l'étant, « se déclôt dans la dispensation de présence », ne se dévoile qu'en se voilant. Tel est aussi le dernier mot du polythéisme en général : les dieux sont autant de manifestations ou d'avatars d'un absolu inconnaissable, incapable de se dire lui-même adéquatement dans une manifestation qui serait sa Parole et son autorévélation ; s'il le pouvait, il serait cet absolu inclusif de sa manifestation, il serait son dire de soi, il serait sujet, et ainsi il serait un être, un étant ; il serait cet acte d'être identique à son essence. Il ne serait pas ineffable, au-delà de l'être et de la pensée, il serait l'être qui est sa pensée. Et le polythéisme multiplie à l'infini les dieux pour signifier, désespérément et inadéquate-ment, l'infinité d'un absolu que ce même polythéisme, parce qu'il est apophatiste, est incapable de penser autrement que comme immanent au monde. Puis donc que le moment oriental de la pensée est l'apophatisme, alors, quand la pensée nourrit sa vocation à rejoindre l'absolu, elle ne peut le faire qu'en renonçant à elle-même, à son appétit d'intellection, à son désir d'arraisonnement de l'être en tant qu'être par concept, elle doit s'abandonner elle-même, et elle ne peut se mettre en rapport avec l'absolu qu'en tentant de se fondre en lui, de se résorber en lui ; il s'agira de tenter de « vivre l'expérience du divin », de coïncider avec lui sans se l'objectiver, de se fondre en lui dans et par la réalisation d'un "Soi" universel supposé sommeiller au fond de chacun, et dont la conscience individuelle n'est que le paravent illusoire et momentané.
    L'Occident au contraire, c'est le refus prométhéen du renoncement à soi de la pensée conceptuelle. L'absolu est au-delà des êtres (puisqu'ils sont en devenir et contingents), mais il est lui-même être afin d'être intelligible, il est donc étant pour être objectivable. Pour être un étant (c'est-à-dire un être) tout en étant au-delà des étants, il doit être transcendant. Tel est le contenu de la cime de la spéculation grecque, platonicienne (dans son enseignement ésotérique) et aristotélicienne, inchoativement anticipée dans ce moment de la sagesse égyptienne qu'était le culte d'Aton (dieu solaire unique) se substituant à celui d'Amon (le « dieu caché »). Tel est aussi le contenu de l'enseignement mosaïque. Tel est le contenu de ce qui peut être nommé le moment juif de la pensée universelle. Et, pour être immanent dans sa transcendance même, être intelligible et échapper à toute finitude, il doit être trinitaire : seul ce qui a ce qu'il est, ainsi ce dont l'être est d'avoir ce qu'il est, ou encore ce qui consiste dans l'acte de se donner soi-même à soi-même, est capable de donner sans rien perdre, de se manifester sans déchoir, puisqu'en se donnant il ne fait que se conforter dans son être ; par là et en retour, il est capable de se dire univoquement dans sa manifestation, parce qu'il est en mesure de s'identifier à elle sans cesser de lui être transcendant. Et c'est ce que signifie l'Incarnation. Il en résulte que la pensée occidentale, actualisée dans la métaphysique grecque et vouée à se reconnaître dans ce qui la sublime et qui n'est autre que le christianisme, est le dépassement et l'assomption de la pensée orientale. La pensée orientale fidèle à elle-même est ainsi en demeure de se reconnaître le statut de moment de la pensée occidentale, et de plébisciter son magistère. En retour, la pensée occidentale n'est fidèle à son essence qu'en se reconnaissant telle la vérité de la pensée orientale qu'elle reconnaît tel son moment obligé qu'elle assume. Si elle refuse de l'assumer par haine du christianisme, elle rechute, quoiqu'elle en ait, dans cette pensée orientale qu'elle abhorre, et telle est bien l'errance en laquelle nous entraîne, en dernier ressort, la pensée de Heidegger :
    « Il faut réfléchir à ce fait que la société d'aujourd'hui n'est que l'absolutisation de la subjectivité moderne, et qu'à partir de là, la philosophie qui a surmonté le point de vue de la subjectivité n'a nullement droit au chapitre » (1). Dans la même intervention, Heidegger affirmait : « Et l'idée fondamentale de ma pensée est précisément que l’Être, ou encore le pouvoir de manifestation de l’Être, a besoin de l'Homme, et qu'inversement l'Homme n'est Homme que dans la mesure où il se trouve dans le pouvoir de manifestation de l’Être [...] On ne peut interroger l'Etre sans interroger l'essence de l'Homme ».
    Ce qui est important, c'est ceci : dans son souci (légitime) d'écarter le subjectivisme pour s'effacer dans la contemplation de l'être en tant qu'être, Heidegger réhabilite le subjectivisme en interdisant à l'être en tant qu'être d'être sujet, personnalité, pensée et raison. Car rendre l'être en tant qu'être intrinsèquement dépendant de l'homme, c'est déifier la subjectivité humaine sous couvert de l'humilier.
    Au reste, il en est aujourd'hui de la philosophie de Heidegger comme il en fut de celle de Nietzsche. Primitivement exalté par le néo-paganisme dans son culte de la force, le nietzschéisme fut bientôt - et à bon droit - récupéré par des penseurs de gauche - très souvent juifs - reconnaissant en lui une grandiose et esthétisante mise en forme justificatrice de leur propre subjectivisme, ainsi une légitimation du monde moderne. Heidegger fut indubitablement un compagnon de route de la NSDAP dont il s'efforça, sans bonheur, à mettre en forme la doctrine qu'appelait ce mouvement (au vrai, il ne "roula" que pour l'aile gauche d'un mouvement qui, tiraillé entre scientistes et révolutionnaristes, ne trouva aucun penseur susceptible de donner forme rationnelle aux intuitions de Hitler, fors peut-être les élans insuffisants et équivoques, mais se voulant chrétiens, d'un Alphonse de Chateaubriant pour lequel Hitler le catholique - même s'il ne l'était pas assez - avait la plus grande admiration). Mais c'est aujourd'hui la pensée de gauche, souvent juive qui, à bon droit encore (de Martin Buber à Jacques Derrida, en passant par Michel Foucault), le célèbre aujourd'hui, adaptant au "Dasein" collectif d'Israël, ou de la communauté mondiale en totalité, ce que Heidegger avait voulu penser pour les intérêts du seul peuple allemand.
    L'apophatisme moderne est lui-même un effet du subjectivisme : si l'on ne sait rien de Dieu, on ne sait même pas qu'il est, d'où une tendance presque invincible à l'athéisme, ou bien à une conception de la foi qui la déconnecte de la raison, mais qui par là absolutise la volonté, ou le délire de l'imagination mythologique. Dans les deux cas, la liberté est émancipée du magistère du logos, et le sujet s'absolutise. Cela dit, objectivement habité par un désir infini qui atteste sa dépendance (désirer, c'est manquer), cependant qu'il s'absolutise et refuse toute dépendance, un tel sujet entend se nourrir de son propre désir, et il convertit son désir de Dieu en désir d'être Dieu, ou désir de se déifier ; ce qui donne historiquement les figures du marxisme et du consumérisme libéral, lesquels sont autant d'actualisations de l'idée démocratique.
    Concluons : comme on l'a vu, c'est dans la spéculation occidentale - prise en tant qu'inclusive de ce moment oriental de la pensée universelle que l'Occident assume en le dépassant - que culmine le savoir métaphysique ; c'est dans le christianisme que se révèle l'effectivité de l'Objet - divin - de ce savoir. Force est donc d'en déduire ceci : quelque infidèles (et Dieu sait s'ils l'ont été !) qu'aient pu être maints chrétiens occidentaux à l'égard de l'héritage prodigieux -païen- de la pensée européenne, le christianisme doit être reconnu comme consubstantiel au génie européen ; il l'assume sans s'y réduire, et il est seul à le transcender en le magnifiant. Le moment juif de la pensée universelle est l'acte à raison duquel la pensée orientale accuse réception de sa vocation à son propre dépassement, à la manière de la chrysalide qui ne satisfait son vœu le plus intime qu'en se convertissant (crucifiement plébiscité) en papillon ; et de même que le papillon s'anticipe en ce dont il se fait provenir en le niant souverainement, de même le christianisme, en son exigence de rationalité intégrale promue par la spéculation grecque et confirmée par la Révélation, s'anticipe en son autre (le judaïsme) qu'il réduit au statut de moment subordonné de sa propre complétude indépassable, indépassable parce que systématique, et systématique parce qu'elle est inclusive de ce qui la conteste. Aussi, tout refus du christianisme, assumé dans l'élément de la pensée occidentale, est objectivement porteur, selon un mouvement dialectique se gaussant des aversions subjectives, d'un retour au judaïsme ; si les néo-païens ne l'ont pas compris, les juifs, eux, l'ont parfaitement reconnu :
    « Il n'y a [entre Juifs et chrétiens] ni héritage commun ni dialogue. Le christianisme est issu de sources juives, mais c'est une religion grecque [...] pour nous, du point de vue de la foi, le christianisme n'a aucune importance. Mais, pour les chrétiens, depuis l'an 33, le fait même de l'existence d'un judaïsme est impensable [...] la base de la foi chrétienne est la négation de la légitimité du judaïsme. Le christianisme se considère comme le seul judaïsme authentique [...] les papes [d'avant Vatican II] accomplissaient ce qui devait être accompli : la liquidation du judaïsme »(2).
    Ce qui presque invinciblement fourvoie la sensibilité de l'Occidental néo-païen, lui enjoignant de s'opposer au christianisme comme à un apport pervers dénaturant le génie européen, c'est l'idée que le christianisme est historiquement issu de sources juives supposées intrinsèquement étrangères à la pensée occidentale. Le néo-paganisme, qui se targue d'être le dépositaire exclusif du génie occidental, ne tolère et supporte le christianisme qu'à la condition de le réduire à une idée juive complètement vidée de son contenu et progressivement remplie par des éléments culturels païens ayant vocation à se débarrasser à terme de toute référence biblique. Là contre, il convient de faire observer deux choses. D'abord, si vraiment le christianisme était un rejeton de la pensée orientale ou sémitique supposée incompatible avec le génie de l'Europe, il faudrait vraiment douter du génie de l'Europe ; si l'Europe s'est fait si aisément subvertir pendant vingt siècles par une pensée empoisonnée, s'il fallut attendre Nietzsche et la modernité pour s'en rendre compte, c'est vraiment que la force d'affirmation de soi de l'Occident était bien faible, et dans l'hypothèse on peut se demander ce qui mériterait d'être sauvé en lui. Loin de promouvoir le génie de l'Europe, le néo-paganisme s'en fait l'idée d'un organisme débile ouvert à tous les vents corrupteurs.
    Par ailleurs, si le papillon trouve sa source dans la chrysalide, il n'est pas moins évident que la chrysalide procède du papillon ; elle est posée par lui comme cet élément sacrificiel dont il se fait victorieusement provenir en la niant. L'affirmation du Dieu transcendant - qui plus est de ce Dieu capable, parce que trinitaire, de se faire immanent sans cesser d'être transcendant - est la vérité du génie rationnel de la pensée occidentale, c'est-à-dire de la pensée universelle faisant culminer son génie en Occident. Et la chrysalide juive était, comme on l'a vu, ce en quoi tendait à renoncer à lui-même l'esprit oriental. Deux visions du monde en compétition dont chacune renonce à assumer l'autre et à la dépasser, ce sont des vues du monde qui consentent à se placer au même niveau ; l'une pourra l'emporter sporadiquement sur l'autre, mais ce ne sera jamais qu'une victoire précaire et accidentelle, parce qu'elle laisse subsister hors de soi ce qu'elle combat ; surtout, deux visions du monde consentant chacune à n'occuper qu'une place particulière acceptent chacune d'être limitée par l'autre, au point de ne se définir que par rapport à l'autre que de ce fait elle présuppose et qu'en dernier ressort elle renonce à vaincre souverainement. Une vision du monde n'est jamais victorieuse de toutes les autres qu'à proportion de son aptitude à les assumer en les niant, en les rabaissant au statut de simples moments d'elle-même. En renonçant à se sublimer en christianisme, le judaïsme s'est refusé à lui-même, à la manière d'une chrysalide préférant pourrir en se crispant sur elle-même plutôt que de s'accomplir en mourant à elle-même. En se refusant à cueillir dans le judaïsme l'affirmation surnaturelle dont son génie naturel pressentait le besoin comme de ce qui l'accomplissait ultimement, le paganisme, devenu antichrétien par ce refus même, est tel un papillon incapable de s'épuiser à produire la chrysalide dont il se fait procéder. Il devient stérile et n'a d'autre vocation que d'être balayé par l'histoire.
    Le génie occidental païen, conscience de soi du génie de la pensée universelle, était parvenu aux limites de ce que la raison naturelle peut atteindre par ses propres forces : toute philosophie possible a été au moins esquissée par les Grecs. Un progrès supplémentaire appelait une Révélation surnaturelle. Il était donc logique, afin d'attester le caractère surnaturel (incommensurable à l'ordre naturel) de son Origine, que la Révélation s'incarnât dans un élément historiquement extérieur à celui de la raison occidentale. Mais extériorité historique n'est pas hétérogénéité essentielle.
    Nul n'ignore aujourd'hui, surtout chez les Rivaroliens, l'influence hégémonique de la pensée juive sciemment destructrice des traditions européennes et, au vrai, de toute tradition enracinée. Aussi la tentation est-elle grande, pour un Européen, de renoncer à l'héritage chrétien quand ce dernier - surtout depuis que ses dépositaires les plus autorisés en viennent, par une aberration révoltante, à cautionner un tel point de vue - prétend se définir comme frère cadet du judaïsme. Afin de ne pas tomber dans le piège ci-dessus décrit, il convient de rappeler trois choses simples :
    Ce qui est premier en intention est ultime en exécution ; le christianisme ne procède nullement du judaïsme, c'est le judaïsme qui procède proleptiquement du christianisme.
    De plus, l'erreur théologique (depuis Vatican II) des "autorités" apparentes de l'Eglise catholique, quelque périlleuse qu'elle soit, est une errance accidentelle, et non l'expression des contradictions intrinsèques du message chrétien. L'esprit démocrate-chrétien, rendu possible par Léon XIII, développé par Benoît XV, par Pie XI et par Pie XII, est une perversion surnaturaliste de la saine philosophie convoquée par l'explicitation du dogme catholique encore respecté par ces papes, mais bientôt attaqué à son tour par les successeurs modernistes de ces derniers ; c'est cela même que ne veulent pas comprendre, au plus grand détriment de la Tradition, les supposés défenseurs contemporains du catholicisme intègre. Et c'est sur cette méprise que jouent les néo-païens pour rejeter le christianisme en bloc.
    Enfin, la charge de légitime aversion que suscite en autrui l'entreprise délétère du judaïsme moderne n'est pas imputable à son origine orientale (cette dernière, comme on l'a vu, relève méthodologiquement de la pédagogie divine, et non de l'essence de ce qui est à transmettre) ; une telle charge trouve sa source réelle dans le fait que le judaïsme n'est devenu l'ennemi du genre humain qu'en se refusant à sa sublimation chrétienne. Ce n'est pas le paganisme qui est l'objet de l'aversion des juifs, c'est le christianisme. Et le judaïsme n'est antipaïen que parce qu'il est conscient - mieux que les néo-païens - de la vocation chrétienne du paganisme véritable.
    L'Europe est chrétienne par essence. Les détracteurs du christianisme sont des détracteurs de l'Europe, ils sont les alliés objectifs du judaïsme. Un temps viendra, qui n'est probablement pas très éloigné, où la ligne de démarcation entre fossoyeurs et propugnateurs de l'héritage européen se révélera dans sa claire nudité : seront du côté de l'Europe les vrais catholiques ; rejoindront les assassins de l'Europe les antichrétiens de tout poil, même ceux d'entre ces derniers qui prétendent sauver l'Europe en exténuant ce qui, en elle, reste du catholicisme. Les néo-païens ne retiennent de l'Europe que ce qui les arrange, reconstruisant les racines du génie européen au gré de leurs passions subjectivistes tout inspirées par les idées modernes issues de la Renaissance : panthéisme, gnosticisme, nominalisme, scientisme, nihilisme subjectiviste se voulant héroïque, romantisme, etc. Les choses ne sont certes pas simples, les apparences sont trompeuses ; et il est plus facile de réduire le christianisme à ses caricatures (surtout quand les dépositaires de l'autorité chrétienne en sont en partie responsables), afin de se targuer d'un retour aux grandeurs antiques et païennes supposées incompatibles avec le christianisme - par là elles-mêmes dénaturées et réduites au cache-sexe d'un abandon à la modernité qu'on prétend combattre mais dont on se satisfait complaisamment - que de faire l'effort de penser de manière rigoureuse, et de penser avec sa raison au lieu de divaguer avec ses tripes, ses images, ses rancœurs, ses références littéraires adolescentes (si séduisantes quand vient l'âge de la sénilité) et ses anathèmes faciles. S'il est permis d'illustrer ce qui précède par un détail minuscule, il n'est pas inopportun de faire mémoire du ralliement d'un Alain de Benoist, d'un Alain Soral - autant d'esprits fanatiquement antichrétiens - à la cause de Marine Le Pen : leur Europe, leur paganisme, c'est le « club Med » pour Blancs qu'ils appellent de leurs vœux ; leur "héroïsme" est celui des surhommes de bandes dessinées, leur "culture" celle des esthètes décadents. Leur ralliement (eux les supposés champions de la lutte contre l'Amérique et ses affidés), explicite ou tacite, à un mouvement politique atlantiste, libéral, antirévisionniste, démocrate et sioniste, ne s'explique pas seulement par leur haine - qui les unit entre eux - de la morale et de la vision du monde catholiques. Il s'explique aussi par leur dilection inavouée et inavouable pour ce que leur paganisme d'intention leur interdit d'aimer, mais que leur paganisme réel reconstruit et artificieux - à savoir un néo-paganisme n'ayant de païen que le nom - leur fait logiquement rencontrer et plébisciter : la déification de l'homme, matrice de la modernité et de ses vices (subjectivisme, avortement, euthanasie, individualisme, etc.). Il n'y a pas plus de différence, quant au fond, entre le néo-paganisme et le mondialisme, qu'entre les responsables de la droite libérale et ceux du Parti socialiste. Le paganisme réel était objectivement l'attente, quoique non subjectivement consciente, du christianisme qui l'assume et le transfigure, par là le révèle à lui-même en l'achevant (aux deux sens du terme) ; le néo-paganisme est le refus de la vérité du paganisme réel, à savoir du catholicisme, ainsi le refus de l'essence du paganisme, mais en se parant des attributs les plus extérieurs, les plus accidentels et les plus datés du paganisme. Le pape saint Pie X se plaisait à dire (ce n'était pas tout à fait une boutade) que les racines du modernisme se trouvent dans l'orgueil et dans l'étude des Pères de l’Église. Les modernistes en religion, par-delà l'œuvre dogmatique de la Scolastique, ont excipé - profitant de l'indétermination conceptuelle des commencements - d'un retour aux Pères de l’Église (apophatisme unilatéral), ainsi d'un "traditionalisme" verbal supposé plus vénérable que celui du concile de Trente, pour faire dire à la doctrine des Pères le contraire de ce dont elle était objectivement porteuse, afin de faire se fourvoyer l'Eglise tout entière dans le modernisme qui détruit la Tradition. De même les néo-païens allergiques à l'héritage chrétien, par-delà l'assomption catholique du paganisme, excipent d'un retour au paganisme le plus inchoatif (Nietzsche et Heidegger ne juraient que par les Présocratiques, Platon et Aristote annonçant par trop évidemment le christianisme), pour faire dire à ce dernier le contenu de ce que proclame la modernité subjectiviste. Nous connaissons bien les néo-païens, nous savons leurs slogans, leurs tics cérébraux, leurs lubies, leur mauvaise foi, leur haine de la raison, leur misologie ; « nous ne voulons plus des grenouilles de bénitier, nous voulons nous réconcilier avec le monde, renouer avec ce monde d'avant l'idée de péché, les chrétiens nous donnent la lèpre de la mauvaise conscience et nous aliènent la faveur du peuple qui veut jouir, nous en avons assez d'être ghettoïsés, nous devons faire corps avec l'esprit du monde moderne pour parvenir au pouvoir, et c'est seulement après que nous y serons parvenus qu'il nous sera donné de l'orienter vers nos idéaux élitistes et prométhéens ; le catholicisme est moribond, finissons-en avec lui en hurlant avec les loups ; c'est lui qui nous "plombe" en suscitant l'animadversion du corps social ; appuyons-nous sur l'islamophobie à la mode, fût-elle inspirée par les Juifs, soyons rusés, plus malins que le Malin, pour en finir avec l'immigration, il sera temps ensuite de se retourner contre les Juifs ; soyons efficaces, les idées n'ont de valeur que par les passions qu'elles inspirent, etc. ». Une telle engeance ne comprend pas qu'il faut être Dieu pour être plus malin que le diable, qu'il faut être du côté de Dieu pour combattre le démon, qu'il y a une espèce de logique irrationnelle des passions, que le déchaînement des passions une fois libérées n'est plus maîtrisable, sauf s'il a été inspiré par la raison qui doit leur demeurer immanente pour ne pas se faire subordonner par elles. Un modernisme gnostico-scientiste réservé aux seuls Blancs est une idée aussi contradictoire que celle d'un cercle carré. Le modernisme technico-scientiste est inspiré par le subjectivisme, et le subjectivisme est porteur de l'esprit démocratique et du mondialisme aussi sûrement que la fille de joie l'est de la chaude-pisse. Epouser le modernisme consumériste et technico-scientiste pour le faire se retourner contre le mondialisme, c'est aussi intelligent que de justifier la prostitution pour lui faire combattre les maladies vénériennes. On peut bien, à court terme, contribuer à sauver le corps malade en favorisant les maladies de l'âme, par exemple justifier les prélèvements d'organes sur les moribonds (ainsi les assassiner) pour transplanter ces organes chez les grands accidentés ; c'est cependant perdre son âme, or le corps ne vit en dernier ressort que par l'âme. Des organes tout neufs habités par une âme moribonde ne sont pas vivants longtemps ; il est plus expédient de soigner son âme, même sous le rapport de l'intérêt du corps.
    On ne peut pas sauver l'Occident sans être catholique. Le meilleur de l'apport intellectuel des néo-païens, dans leur critique du christianisme, se réduit (ce qui n'est pas négligeable) à une invitation, adressée aux catholiques, de prendre acte de leurs propres dévoiements, de leur défaut de catholicité ; mais il serait suicidaire de jeter le bébé avec l'eau du bain.
    « La Chrétienté a fait l'Europe, la Chrétienté est morte, l'Europe va crever » (Bernanos). « Ce qui est enjeu est bien plus que la survie de telle ou telle nation, c'est l'héritage tout entier de la civilisation : la sagesse grecque, l'ordre romain et le salut par la révélation chrétienne » (Charles Pérègrin de Corday).
    À vue d'homme, nous sommes seuls, désespérément seuls, déjà vaincus : trahis par les "autorités" religieuses conciliaires et modernistes qui occupent, occultent et éclipsent la Rome catholique ; incompris et insultés par les néo-païens ; marginalisés par les catholiques traditionalistes pusillanimes incapables de comprendre que la subversion dans l'Eglise ne date pas de Vatican II, et hallucinés par une conception judéomorphe de la France (« nouveau peuple élu ») ; vomis par la modernité maçonnique libérale et socialiste ; promis à regorgement par le ressentiment des foules innombrables (musulmanes ou non) du Tiers-monde insurgé ; haïs par les Juifs dont l'Histoire semble saluer aujourd'hui la victoire sans condition. Mais nous avons raison, et nous savons que nous avons raison contre tous. Et la raison, qui prend son temps, a toujours raison. La victoire finale nous appartient.
    STEPINAC. Ecrits de Paris juillet 2011
    1.    Heidegger, déclaration du 25 septembre 1969, sur la chaîne allemande ZDF ; voir Magazine littéraire, Hors-série, n° 9, mars-avril 2006.
    2.    Professeur Yeshayahou Isaï  Leibovitz, Le Nouvel Observateur, 24/12/1992.

  • Méridien Zéro n°142 - La colère qui gronde. En écoute ICI

     

    Le vendredi 26 avril, Méridien Zéro vous a proposé un panorama actu largement consacré à la situation française et tout spécialement au foisonnement d'évènements entourant la loi sur le mariage homo.

    A la barre, le Lt Sturm accompagné de Maurice Gendre, Monsieur K et Adrien Abauzit.

    Lord Igor à la technique.

    Pour écouter l'émission...c'est ICI

    MZ142

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