La mondialisation est un phénomène formidable, et tout particulièrement pour notre quotidien du soir, comme on disait avant. Ainsi Le Monde vous tient-il quotidiennement informés des feux en Australie et de la bonne tenue du marché automobile français.
Incendie ? Automobile ? Ben non, l’association n’a pas réveillé la docte rédaction. Pour les odeurs de voitures cramées qui montent de Strasbourg, des banlieues de Paris et d’ailleurs, de nombreuses métropoles régionales et parfois mêmes de petites villes périphériques, non, Le Monde n’a plus ni odorat ni vue ni envoyé spécial. À l’heure où j’écris, ce 2 janvier, soit presque quarante-huit heures après les faits, aucun article de synthèse. En revanche, Philippe Martinez, Carlos Ghosn, et Emmanuel Macron au Salon de la BD à Angoulême sont suivis de près. Cédric Pietralunga tweete le scoop de la visite présidentielle prévue fin janvier. Au Monde, on regarde décidément très loin par-dessus ces fumées du 31…
Mais la mondialisation du Monde et du monde selon Macron ne peut toutefois empêcher que la réalité de ces voitures en feu, le soir du 31, ne remonte sur les réseaux sociaux, par un tweet de Trump ou via les vidéos des racailles qui s’en vantent. Et la presse régionale ne peut pas ne pas les évoquer, sous peine de perdre encore davantage en crédibilité.
Donc, il y eut Strasbourg, comme vous le relatait notre ami alsacien José Meidinger. Mais l’Ouest et le Sud-Ouest ne furent pas épargnés.
À Nantes, dans le quartier Malakoff, au moins quinze voitures ont été incendiées mais d’autres zones de la villes ont été touchées, selon Ouest-France, comme l’a indiqué au quotidien une source policière : « On en a eu un peu partout. »
À Limoges, entre 26 et 36 voitures ont été incendiées, selon Le Populaire du Centre. Interrogé, le directeur de cabinet du préfet a déclaré que « les secours et les forces de l’ordre ont été pris à partie, notamment par des jets de projectiles de la part de petits groupes ».
À Bordeaux non plus, Sud-Ouest n’a pas pu cacher la réalité : « Tensions à Bordeaux pour la nuit du réveillon : des voitures et des poubelles brûlées. » C’est le quartier des Aubiers qui a été particulièrement touché, mais en fait, plusieurs communes de l’agglomération ont été concernées. Le quotidien régional n’en sait pas plus que le communiqué de la préfecture : « Les services de police ont dû gérer des tensions qui ont commencé tôt mardi soir avec des groupes de jeunes et qui se sont traduits par des feux de véhicules et de poubelles dans plusieurs villes de la métropole. Il y a eu des interpellations suite à des jets de projectiles sur les forces de l’ordre. »
Le Monde ne dit rien. Pour l’instant. La presse régionale dit un peu. Ne restent plus que les tweets désespérés des malheureux propriétaires des voitures brûlées.
Il y a des zones de non-droit, en France, c’est bien connu. Il y a aussi des zones blanches, où les communications ne passent pas, où la presse ne semble pas enquêter et s’en tenir aux communiqués de la préfecture. Cela ressemble à une communication de guerre, d’ailleurs. Nos journalistes devraient y réfléchir. Il y a aussi des périodes blanches, du 31/12, « très tôt » jusqu’au 1er ou au 2 très tard, on sera désormais prié de se concentrer… je ne sais pas… sur les vœux d’Emmanuel Macron ? Pourquoi ne pas les étirer, d’ailleurs : 18 minutes, puis 36, puis 48 heures. Avant de rejoindre le Festival de la BD à Angoulême pour lancer sa nouvelle année en fanfare.
Angoulême ? La Charente libre nous apprend que la ville a eu aussi ses « violences urbaines » et ses « voitures brûlées », le soir du 31. Avant de s’intéresser à l’hypothétique visite de notre Président-Potemkine au festival des bulles, Le Monde pourrait peut-être enquêter sur les fumées de Soyaux, non ?
Mais, en fait, dès 2017 – le 4 janvier, délai de réveil -, Le Monde nous avait prévenus en expédiant le phénomène en un titre shakespearien : « Voitures brûlées à la Saint-Sylvestre : beaucoup de bruit pour rien », sociologue à l’appui : « Ce chiffre [des voitures brûlées] est sûrement un symptôme de quelque chose, mais on ne sait pas de quoi. En tout cas, il n’explique rien et ne raconte rien. »
Rien, compris ?