La violente campagne de dénigrement dont le géographe est victime est un signal d’alarme, s’inquiètent plus d’une cinquantaine d’universitaires dans une lettre ouverte initiée par Xavier-Laurent Salvador et signée notamment par Jean-Michel Blanquer et Luc Ferry.
Tribune collective
L’affaire survenue le premier avril 2025 sur le campus de Bron (université Lyon 2), visant le géographe Fabrice Balanche, est d’apparence simple, mais elle révèle un tournant inquiétant dans le rapport que les universités françaises entretiennent avec la liberté académique, la neutralité du service public et la gestion des conflits idéologiques contemporains. Fabrice Balanche, maître de conférences habilité à diriger des recherches, spécialiste reconnu de la Syrie et des dynamiques géopolitiques du Moyen-Orient, a été la cible d’une violente campagne de dénigrement orchestrée par un groupe d’étudiants se présentant comme « militants antiracistes ». Lui reprochant un supposé soutien au régime syrien de Bachar el-Assad ainsi que des positions prétendument « islamophobes », ces étudiants ont exigé son éviction de l’université, allant jusqu’à publier des visuels diffamatoires et à perturber son enseignement. La violence du procédé contraste avec la rigueur du travail académique de Fabrice Balanche, dont les publications sont reconnues dans la communauté scientifique internationale. Mais ce n’est pas ici la qualité du savoir qui est jugée : c’est sa conformité à un récit idéologique. La présence même de Balanche dans l’espace universitaire devient un affront aux yeux de militants pour qui l’université ne doit plus être un lieu de recherche libre, mais un instrument au service de luttes identitaires.
L’élément religieux n’est pas secondaire dans cette affaire : il est central. Durant le ramadan, le même groupe d’étudiants avait organisé dix dîners de rupture du jeûne sur le campus, en dehors de tout cadre cultuel officiel. Loin d’être de simples gestes de convivialité, ces iftars ont servi à inscrire visiblement et durablement une pratique religieuse dans l’espace universitaire, au mépris du principe de neutralité du service public. Il ne s’agissait pas tant d’exprimer une foi individuelle que de marquer un territoire idéologique et identitaire, prélude à une offensive plus politique.
Dans ce contexte, la mise en cause de Fabrice Balanche apparaît comme une manœuvre stratégique. Loin d’être spontanée, elle s’inscrit dans une logique de propagande souvent relayée en France par des milieux islamo-gauchistes. La campagne contre Fabrice Balanche visait donc à délégitimer un universitaire dont les travaux contredisent certains récits militants sur la Syrie, en le caricaturant comme un suppôt du régime, quitte à travestir ses analyses, à ignorer ses sources et à attaquer sa personne plutôt que ses idées.
Mais le plus grave n’est peut-être pas l’attaque elle-même. Le plus préoccupant est la réaction – ou plutôt l’absence de réaction – de l’institution universitaire. L’administration de Lyon 2 s’est montrée d’une extrême prudence, puis d’une complaisance glaçante. La présidente de l’université, Isabelle von Bueltzingsloewen, au lieu de soutenir l’un de ses enseignants agressé dans l’exercice de ses fonctions, a choisi de remettre en question sa légitimité scientifique en contestant publiquement sa liberté académique. Ce geste marque une véritable rupture morale. Cet abandon d’un collègue constitue un acte d’indignité.
Dans un premier temps, aucune mise au point claire n’a été faite, aucune défense ferme de la liberté académique n’a été formulée. Il a fallu attendre la mobilisation d’universitaires français et étrangers, ainsi que la motion unanime de l’UFR Temps et territoires dénonçant une atteinte grave à la liberté académique, pour que l’institution reconnaisse enfin l’ampleur du problème. Mais, à ce stade, le mal est fait : le signal envoyé est que l’université recule quand il faudrait résister. Ce recul prend la forme d’un évitement, d’une faiblesse institutionnelle qui permet aux forces les plus radicales d’imposer leur loi sur le terrain universitaire. Plutôt que d’affirmer des principes clairs – liberté académique, neutralité de l’espace public, primauté du savoir sur l’idéologie –, l’université laisse s’installer un rapport de force où les plus bruyants, les plus agressifs, les plus aptes à instrumentaliser les émotions et les symboles dictent leur agenda.
Cette passivité n’est pas sans conséquences. Elle encourage la censure et l’autocensure. Elle incite les enseignants-chercheurs à éviter certains sujets, à euphémiser leurs propos, à contourner les zones sensibles, de peur d’être dénoncés, harcelés ou lâchés par leur propre institution. Elle transforme les universités en lieux de surveillance mutuelle, où la liberté de penser devient suspecte, où la complexité scientifique doit céder au simplisme militant.
Ce qui s’est passé à Bron n’est donc pas un simple incident : c’est un signal d’alarme. Nous ne laisserons pas l’un des nôtres affronter seul cette offensive. Nous nous tenons résolument aux côtés de Fabrice Balanche, à la fois pour le défendre publiquement, mais aussi pour l’assister concrètement sur le plan judiciaire. Nos collectifs sont mobilisés et disposent des ressources nécessaires pour faire valoir le droit, la justice et l’honneur du service public. L’université française doit se ressaisir. Elle doit redire fermement que la recherche n’est pas un crime, que l’analyse critique n’est pas une agression, que la rigueur scientifique ne doit pas céder aux passions identitaires. Enfin, il faut tirer toutes les conséquences de cette crise : la présidente de l’université Lyon 2 ne peut pas rester en fonction après un tel reniement des principes fondamentaux de la république universitaire. Nous demandons sa démission.
Source : Le Figaro 19/4/2025