La droite existe autant que la gauche. C’est-à-dire qu’elle n’existe pas. La deuxième guerre mondiale a éradiqué sous les bombes et les balles ses prétentions antimodernes, mais non son souvenir, qui subsiste, comme un Grand méchant Loup, pour faire peur et légitimer le libéralisme. Le heurt entre Est et Ouest n’était, somme toute, qu’une concurrence mondiale entre deux versions de l’utilitarisme productiviste, l’une, qui avait, sans trop en être sûre, l’avenir pour elle, et qui règne en ce moment sur le monde, et l’autre, plus rugueuse, charriant encore quelque résidu de réflexes traditionnels et de revendications antimodernes.
Tout cela est devenu du passé, et nous ne le ressusciterons pas : fascisme et communisme sont des formules vides. Reste le libéralisme.
Celui-là, sauf à se renier – ce qu’il est capable, du reste, de faire temporairement, comme on l’a vu en Italie, où fut nommé à la tête du pays un représentant des banques sans aucune crédibilité électorale – se trouve contraint, bien qu’il rechigne de plus en plus souvent à l’admettre, à garantir le pluralisme et un semblant de lutte démocratique. Tout cela est vain, parce que le système est cadenassé, et qu’une pensée unique pèse comme un ciel lourd sur les esprits.
Répétons brièvement ce qui sépare « gauche » et « droite », quitte à se lasser, ou à fatiguer le lecteur (mais il paraît que la pédagogie, c’est la répétition). Il y aurait des questions « sociétales », telles que le mariage gay, le droit de vote aux étrangers, l’euthanasie, la « gauche » étant favorable au « mouvement », et la « droite » sensible aux réticences d’un électoral encore attaché aux valeurs morales. Il faut bien convenir que cette vision antagoniste est quelque peu pipée, non seulement parce que, même les libéraux réputés « conservateurs », comme Ron Paul ou David Cameron,s’accordent sur ces « réformes avec la « gauche » californienne, mais que dans les faits, malgré les tentatives de récupération d’un Copé, la « droite » française n’a pas voté massivement contre le mariage gay, loin de là, préférant en majorité s’abstenir. En vérité, la logique libérale, fondée sur l’amoralité du marché et de l’argent, et sur l’individualisme hédoniste, réconcilie autant la « droite » que la « gauche », dans leurs penchants économistes ou libertaires.
Néanmoins, il est nécessaire qu’il y ait une fracture, une dissension, sinon la formule UMPS (pour ne parler que de la France), d’ailleurs de moins en moins utilisée par le FN, risque de passer pour une réalité, et laisser accroire qu’il n’y aurait qu’un seul parti de gouvernement en France.
Au fond, les oligarques de notre pays n’ont pas trop de souci à se faire, puisque 58% des électeurs français ont voté, aux dernières élections législatives, pour cette UMPS qui se partage le pouvoir par alternance. Ce qui prouve que les Français croient encore à l’existence d’une vie politique. Contre toute évidence.
La « gauche » de gouvernement n’ose plus trop se réclamer du peuple, et encore moins des ouvriers. On les comprend. Tout le monde sait quel est son électorat, bobos de centre-ville et populations bigarrée de la « diversité ». Un clientélisme bruyant et efficace. Cela étant dit, elle a les mêmes maîtres que la « droite », la finance internationale, l’Amérique libérale, le marché, Bruxelles atlantique, etc.
Qu’est-ce donc alors que la « droite » ? Sur ce point, il faut avouer que Copé a pris une longueur d’avance sur Fillon, qui, semble-t-il, exprime davantage une France catholique tentée par le centrisme. Copé, qui a bien appris de Sarkozy, sait que les mots sont des électrons libres, que la sphère politique est en lévitation, détachée du terreau réel de la société, que la politique est affaire de communication publicitaire, et qu’à ce compte, il vaut mieux être conquérant, sûr de soi et dominateur. Agiter les clochettes sécuritaires, la peur de l’immigré (avec quelque relent raciste), la haine du fainéant de fonctionnaire, le mépris du cas social irrécupérable, c’est toujours une rhétorique de café de commerce susceptible de toucher une certaine frange de la population.
En outre, dans le jeu de chaises musicales qu’est devenue la politique politicienne, il faut bien un air qui entraîne et anime cette danse d’assis professionnels. Par exemple, on accusera l’autre camp de ne pas en faire assez, l’astuce du système démocratique moderne étant de griller l’adversaire en lui faisant porter le chapeau de la crise. Le peuple n’a ni mémoire, ni jugeote. L’illusion « démocratique » ne tiendrait pas si l’on rappelait les faits, les paroles, et si l’on savait peser. Or, la réalité est transparente, pourvu qu’on s’en tienne à elle, pure et dure : la « gauche » n’a jamais fait qu’appliquer toutes les mesures engagées ou annoncées par la bande à Sarkozy : Traité budgétaire européen, Règle d’or, soumission du budget national à Bruxelles, déréglementation du droit du travail, TVA « sociale », démolition de l’Ecole républicaine, etc. S’il n’était pas nécessaire de faire croire à une différence de programme, la « droite » devrait applaudir des deux mains. Ce ne sont pas les dizaines de milliers d’emplois programmés dans l’Education nationale (et il faudrait voir de plus près ce qu’il en est exactement), qui font une différence essentielle.
Le scénario espagnol donne du reste le la à ce qui va se passer. Le rôle de la « droite », dans cette intrigue de Polichinelle, est de faire croire que ces satanés « socialistes », toujours aussi empêtrés dans leur idéologie bureaucratique et sociale, bloquent les réformes « nécessaires » et « vitales » (en quoi ils seraient responsables de la crise). Nous savons que tout cela n’est qu’une mise en scène, et que ces soi-disant critiques visent deux choses : d'une part faire croire qu’il existe un écart encore substantiel entre « droite » et « gauche », d’autre part préparer les mesures drastiques qui viseront à accélérer le mouvement de libéralisation de l’économie et de la société, le démantèlement de toutes les protections sociales, la privatisation de secteurs entiers, notamment de la fonction publique, la précarisation, déjà bien entamée par le gouvernement actuel, des populations, et l’intégration, projetée par toutes les équipes américanisées au pouvoir, dans le grand marché transatlantique et, à terme, la transformation du territoire national (auquel les socialistes auront enlevé l’armée et la défense) en protectorat dirigé par un gouverneur rétribué par Washington.
Alors, est-il bien utile de rechercher des « accords », un terrain d’entente avec des politiciens qui s’apparentent plus à des traîtres qu’à de bons Français ? Paris vaut-il une messe ?
Une telle question supposerait que Paris existât encore, et que la messe ne soit autre chose qu’un effet d’annonce, une astuce de communication (ce qu’elle était du reste en partie pour Henri IV, l'un des fondateurs de l'Etat moderne !).
Dès lors qu’on a compris à qui on a affaire, la seule solution est l’affrontement direct, et la dénonciation itérative. L'on ne cessera jamais de mette ces roitelets à nu.
Je veux bien que la politique soit aussi du compromis, de la parole corrigée, tordue, de l’efficacité. Mais à quel prix ? Entendons-nous : un militant de l’UMP, au moment où les partis sont réduits à une poignée de membres très intéressés par les places à prendre, sait très bien pourquoi il a adhéré, et quelles sont les positions de Sarkozy et de Copé. Serrer la main à un tel être est plus qu’une erreur, c’est une faute de goût. Et les électeurs ? Je demande donc : un homme (ou une femme !) engagé doit-il courber l’échine devant le roi-peuple ? Ce dernier, l’épicier, le boucher, le garçon de café, l’employé de bureau, doit-il imposer sa vision du monde ? Est-ce cela, la République ? Et si l’on possède encore quelque dignité, et un peu de foi dans le pays profond, n’y a-t-il pas plus de chance, à moyen terme, d’être considéré par la Nation en ayant, malgré et contre tout, continuer à proférer une vérité, qui peut déplaire, plutôt que d’avoir vendu son âme pour une platée de lentilles électorale ?