Est-il permis en France de s’interroger sur les rapports entre la justice, le pouvoir politique et la presse ? Non, réponds François Hollande. Et pourtant…
Le 2 mars, François Hollande, président de la République à titre provisoire, a condamné depuis la Corse l'appel de François Fillon à manifester au Trocadéro. « Il ne peut pas y avoir de manifestations dans notre pays, dans notre République, qui puisse mettre en cause les institutions, la justice ou le travail de la police dans le cadre des enquêtes », a-t-il déclaré, avant d'ajouter « Je déplore profondément qu'il puisse y avoir cette mise en cause et cette interpellation par la rue de ce que sont nos règles de droit. » Ainsi, critiquer l'institution judiciaire reviendrait à piétiner l'état de droit !
Tel n'est pourtant pas le sentiment d'avocats comme Me Guillaume Jeanson, qui s'interroge, sur le Figarovox, « quant à la soudaineté, à la précipitation et à l'orchestration de ce qui s'apparente, qu'on le veuille ou non, à une magnifique opération de déstabilisation d'une mouvance politique, jusqu'ici fortement pressentie en tête de la prochaine élection présidentielle ». Voire à une double opération, puisqu'à l'affaire Fillon s'ajoute celle des présumés emplois fictifs du Front national, ce qui conduit Me Jeanson à souligner « la similitude de la période choisie pour ces mises en examen ». Le parquet national financier a en effet agi avec une célérité inhabituelle, puisque la publication de l'article du Canard enchaîné et l'ouverture de l'enquête préliminaire sur les emplois présumés fictifs de Pénélope Fillon ont eu lieu le même jour, 25 février. Mais après tout, si le candidat à la présidence de la République a agi malhonnêtement, ne vaut-il pas mieux que les Français en soient informés avant de l'élire ?
Il n'empêche que cette coïncidence entre l'action judiciaire et la campagne médiatique est choquante, comme le sont les entorses répétées au secret de l'instruction (récemment encore, comment le Journal du dimanche s'est-il procuré les procès-verbaux d'audition de Pénélope Fillon ?) et le peu de cas qui est fait de la présomption d'innocence. Ces différents éléments conduisent à se demander quelle est la part de la justice et celle de la politique, et à soupçonner une intervention de l'exécutif. Le soupçon est d'autant plus légitime que la Cour européenne des droits de l'homme a épinglé en 2008 et en 2010 le manque d'indépendance du parquet français, placé sous l'autorité du garde des Sceaux. Sous le quinquennat de François Hollande, cet emploi a été tenu pendant près de quatre ans par Christiane Taubira, qui n'a pas manqué de « gauchir » son ministère en nommant aux postes stratégiques des magistrats membres du syndicat de la magistrature, ou au moins connus pour leur orientation à gauche comme Eliane Houlette.
Cette dernière s'est vu confier la direction du parquet national financier lors de l'installation de cette institution, en 2014, après l'affaire Cahuzac. C'est elle qui, en tant que procureur financier, a ouvert l'enquête sur Pénélope Fillon.
Un levier pour changer la société
Plus généralement, le renforcement de l'influence du Syndicat de la magistrature n'est pas sans conséquences. Cette organisation a obtenu 25,2 % des suffrages des magistrats aux élections professionnelles de 2013, mais son influence ne se calcule pas au nombre de ses adhérents. Imprégnée par l'esprit soixante-huitard (elle est née le 8 juin 1968), elle voit dans la justice « un levier pour obtenir un changement radical de la société » observe Jean-Claude Magendie, Premier président honoraire de la cour d'appel de Paris, qui constate en outre qu’ « en fin connaisseur du trotskisme, (le SM) a habilement investi les lieux d'influence, l'École nationale de la magistrature en particulier »(1). En mai 2015, Christiane Taubira avait d'ailleurs nommé l'ancienne présidente du syndicat, Emmanuelle Perreux, au poste de directrice adjointe de l'École, chargée du recrutement et de la formation des magistrats.
C'est aussi une personnalité du SM, Nicole Maestracci, que Taubira appela en septembre 2011 pour présider le comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, qui prépara sa réforme pénale. Ancienne militante trotskiste, présidente jusqu'en 2012 de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) et premier président de la Cour d'appel de Rouen, Nicole Maestracci a été nommée au Conseil constitutionnel par François Hollande en 2014 en remerciement de ses bons offices.
Le SM fut pourtant bousculé par une polémique lors de la révélation de l'existence du « mur des cons », sur lequel les magistrats de gauche avaient "punaisé" des personnalités de droite et des parents de victimes. La présidente du SM, Françoise Martres, fut mise en examen en 2014 pour injures publiques, mais aucune sanction n'a encore été prise. Seul, le journaliste Clément Weill-Raynal, « coupable » d'avoir filmé le mur et vivement critiqué par le Syndicat national des journalistes pour cette « volonté délibérée de nuire à des magistrats », fut mis à pied une semaine par la direction de France Télévisions une autre forme de connivence entre les milieux médiatique et judiciaire.
Hervé Bizien monde&vie 16 mars 2017
(1) In Enquête. Le vrai pouvoir des juges rouges, par Pauline Quillon, Valeurs actuelles, 4 juillet 2014.