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culture et histoire - Page 1016

  • Fin de la Ve République Vers une nouvelle révolution nationale ?

    Le titre de cet article n'est pas une plaisanterie, mais une question que nous devons nous poser après une réflexion mûrie sur la séquence historique que nous traversons et qui touche à sa fin.

    L'examen de l'histoire républicaine depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à nos jours, me mène à croire que la République vit à nouveau sa crise chronique. Et je vais tâcher, à quelques jours du premier tour de l'élection présidentielle, de vous proposer un diagnostic de l'état de santé de la Ve République.

    La période actuelle, comme je vais le montrer, ressemble étrangement à la fin du XIXe siècle où la République avait été remise en cause, notamment parles ligues, et plus encore à la fin des années trente.

    Fin du XIXe siècle: la IIIe République tremble dès sa naissance

    Contrairement à ce que l'on pourrait spontanément croire, les débuts de la IIIe République ne sont pas ceux d'un régime solide. C'est un régime vicié, qui est mort, à la fin des années 1930 de ses péchés originels.

    L'année suivant son établissement (1870), lors des élections de février 1871, les Français élisent une écrasante majorité de monarchistes. Les républicains n'obtiennent la majorité à la Chambre qu’en 1876 et 1877 et au Sénat en 1879, après voir pris la présidence, ils font un score de 50,50 % aux élections législatives de 1881, avec 451 sièges contre 90 aux monarchistes bénéficièrent d'un vote protestataire qui affaiblit (temporairement) les républicains.

    L’historien Christophe Prochasson expliquera ce « miracle politique » par l'entrée enjeu des instances économiques, sociales ou politiques et il ajoute : « il n’en demeure pas moins vrai que la célérité avec laquelle la République s'est installée au niveau de la représentation nationale et de l'appareil d’État ne laisse pas d'étonner et conduit à s'interroger sur la vigueur et la profondeur de cet enracinement. Si les républicains remportèrent ces victoires politiques, ni les valeurs ni même le fonctionnement de la République n'étaient encore bien établis. Les références anciennes prévalaient encore. L'histoire a vu se reproduire ces décollages entre l'avènement de forces politiques et l'état idéologique des sociétés dont elles font la conquête presque par malentendu »(1).

    Il s'agit bien d’une conquête du pouvoir que les Républicains ont entamée à partir de 1789, et ils n’ont fini par atteindre leur qu’à la suite de près d’un siècle de lutte acharnée contre l’esprit français.

    Et lorsqu’ils l’ont enfin conquis, comme les socialistes contemporains, cela n’a été que pour répandre la corruption au sommet de l'appareil d’État.

    En voici un exemple, rapporté par Prochasson : « la prétendue intégrité de M. Grévy, cet austère républicain, vétéran à la présidence de la République, n'échappa guère à la tentation. Les frasques de son gendre, Daniel Wilson, richissime homme d'affaires et député radical, agioteur et trafiquant de décoration, ne le dédouanent pas du profit personnel qu'il tira de son honorable fonction. Jules Grévy s'enrichit très notablement durant sa présidence. En 1881, lorsqu'il maria sa fille à Wilson, il ne pouvait encore allouer à celle-ci qu'une fraction de l'indemnité présidentielle. À sa mort, en en septembre 1891, il laissa à sa descendance une succession de 7 millions, ce qui revient à placer Grévy "parmi les Français les plus riches de son temps" ». Et ce n'est pas tout ! Le même Grévy, président de la République usa et abusa de pratiques népotistes, constitua et renforça un authentique clan Grévy. Le cadet, Paul, devint sénateur du Jura en 1880, grâce à des pressions exercées sur les maires et les conseillers généraux. Le puîné, Albert, connut lui aussi une ascension fulgurante : vice-président de la Chambre en 1879, il fut nommé, en mars, gouverneur général de l'Algérie à titre provisoire pour pouvoir cumuler les deux traitements de sa nouvelle et de son ancienne fonction. L'affaire Grévy et son entourage n’étaient pas une exception, mais, une parmi tant d'autres qui éclataient les unes après les autres : le scandale du Panama, des faillites à répétition (celle du Comptoir d’escompte de Paris, celle des cuivres...). Il y avait, comme de nos jours, une interaction malsaine entre les hommes politiques et le monde de la finance, bref une corruption consubstantielle au régime républicain(2).

    Les ligues antirépublicaine et anti-juives

    Les adversaires de la République n'avaient pas de gros efforts à faire pour trouver des arguments contre ce Régime de corrompus.

    En réaction à cet état de fait, dans les années 1890, les royalistes en particulier et les nationalistes en général, créèrent les ligues qui s'attaquèrent virulemment à la République et à ses soutiens, à savoir les juifs, les francs-maçons et les protestants. La principale ligue, l'Union nationale, catholique et nationaliste, fondée en 1893, accepta la stratégie de Ralliement des différentes ligues.

    Les ligues sont nées, certes en opposition à la République, mais plus profondément, pour redéfinir une identité nationale - perturbée par ce corps étranger : la République et ses sectes -, refondée sur la base du catholicisme, en en traçant les contours.

    La définition d'une identité nationale, si elle est inclusive, est aussi nécessairement exclusive , dès lors, pointer du doigt l'étranger à exclure est mécanique. Les nationalistes, monarchistes, et même bonapartistes - Charles Maurras, Maurice Barrés, Jules Lemaître et d'autres comme Edouard Drumont qui créa en 1901 le Comité national antijuif qui devint en 1903 la Fédération nationale antijuive qui propose de « combattre les influences pernicieuses de l'Oligarchie judéo-financière au complot occulte » -, désignèrent, pour tracer le contour de l'identité française, ses ennemis les groupes et communautés soutenant la République et la laïcisation de la société les francs-maçons, les juifs et les protestants.

    Avant de poursuivre, et afin d'évacuer la thèse de l'antisémitisme hystérique qui ne se fonderait que sur une « haine du juif parce que juif » et une théorie infondée du complot judéo-maçonnique, il faut souligner l'action des juifs dans l'édification de la République dès les débuts de la Révolution.

    En effet, comme je l'ai exposé dans un article du 16 février 2017 dans les colonnes de RIVAROL, les juifs ont contribué par des apports idéologiques(3) et matériels à la Révolution française. Je ne reprendrai pas ici tout mon propos, mais je citerai à nouveau le penseur et révolutionnaire Anacharsis Cloots (1755-1794), député de l'Oise à la Convention - d'origine prussienne mais qui fut proclamé citoyen français par l'Assemblée nationale législative le 26 août 1792 - qui écrivit dans son fameux ouvrage La République universelle (1792) que « Nous (les Révolutionnaires) trouverons encore de puissants auxiliaires, de fervents apôtres dans les tribus judaïques, qui regardent la France comme une seconde Palestine. Nos concitoyens circoncis nous bénissent dans toutes les synagogues de la captivité. Le juif, avili dans le reste du monde, est devenu citoyen français, citoyen du monde, par nos décrets philosophiques. Cette fraternisation alarme beaucoup les princes allemands, d'autant plus que la guerre ne saurait ni commencer ni durer en Allemagne, sans l'activité, l'intelligence, l'économie et le numéraire des juifs. Les magasins, les munitions de toute espèce sont fournis par les capitalistes hébreux, et tous les agents subalternes de l'approvisionnement militaire sont de la même nation. Il ne faudra que s'entendre avec nos frères les rabbins, pour produire des effets étonnants, miraculeux. J’ai reçu à cet égard des des réponses infiniment satisfaisant dèmes commettants du Nord. La cause des tyrans est tellement désespérée, que les aliments les plus sains se changent pour eux en poison subtil. On accusa les juifs, dans les siècles des ténèbres d'empoisonner les sources ou les puits ; et voici que dans notre, siècle lumineux, les juifs, en fournissant viandes pures, aideront l'humanité à exterminer la tyrannie.»(4)

    Par ailleurs, l'écrivain et journaliste politique juif (et au-dessus de tout soupçon), Bernard Lazare (1865-1903), dans son livre L'antisémitisme, son histoire et ses causes, après avoir mentionné l'émancipation des juifs le 27 septembre 1791 par l'Assemblée constituante, souligna à propos de la révolution de 1848 que « de nouveau, ils (les juifs) durent leur indépendance à l'esprit révolutionnaire qui, une fois encore, vint de France. Nous verrons du reste qu'ils ne furent pas étrangers à ce grand mouvement qui agita toute l'Europe, en certains pays, notamment en Allemagne, ils aidèrent à le préparer, et ils furent les défenseurs de la liberté. Ils furent aussi parmi les premiers à en bénéficier, car on peut dire qu'après 1848 l’antijudaïsme légal est fini en Occident ; peu à peu les dernières entraves tombent, et les dernières restrictions sont abolies. En 1870, la chute du pouvoir temporel des papes fit disparaître le dernier ghetto occidental, et les Juifs purent être des citoyens même dans la ville de saint Pierre »(5).

    Malgré la disparition du l'antijudaïsme légal, l'antijudaïsme réel (que l'on ne peut contenir par des lois !) ressurgit en France, quatre ans après la parution du livre de Bernard Lazare. À partir de 1897, via les ligues, éclatent des violences antisémites d'ampleur variable dans la France métropolitaine. À partir de janvier 1898, dans 55 villes se propagent dés violences, en trois vagues successives : la première concerne 23 villes, la seconde 19 villes et une troisième durant la dernière semaine de février. D'autres plus importantes éclatent en octobre à Paris, mais aussi à Marseille, Nantes, Rouen, Lyon ou Nancy, et ensuite en Algérie (d'une extrême violence), à Alger, Oran, Constantine, Blida, Sétif, Mostaganem...

    Aux ligues nationalistes, se mêlent, et il faut le souligner, la Ligue radicale socialiste antijuive créée en 1892 qui devint en 1897 la Ligue antijuive d'Alger. Max Régis, le futur maire d'Alger élu en novembre 1898, en était le président(6).

    Ces violences ponctuent (et ne concluent pas) cette lutte qui oppose depuis 1789 la France catholique à ses ennemis que sont  les francs-maçons, les juifs et les protestants qui sont d'ailleurs surreprésentés dans la haute administration(7) et qui travaillent à laïciser la société française en chassant l’Église (fermeture de 125 écoles libres et expulsions des congrégations à la suite de la loi de 1905). En 1911, le sénateur de la Manche, Adrien Gaudin de Vilaine, déclare. « Autrefois l'université n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, elle était libre, maintenant elle est livrée, pieds et poings liés, à quelques renégats juifs mal blanchis et protestants sectaires. Je remarque et je dois à la vérité de dire que tous les directeurs de l'enseignement, lorsqu'ils ne sont pas juifs, sont protestants, aussi ne suis-je pas étonné du programme établi à l'heure actuelle. Au nom de la dignité française, je dois dire aussi que ces hommes ne sont pas français. »(8)

    Les années 1930 : de troublantes similitudes avec les années  2010

    Les années 1930 se caractérisent, comme la fin du XIXe siècle, par une délégitimation du pouvoir corrompu, entraînant une crise de régime et qui a culminé, cette fois, à sa chute à la suite de la débâcle militaire face à l'Allemagne à qui elle a déclaré la guerre. La question juive, comme dans les années 1890, a resurgi en même temps que la crise du régime, et ce n'est pas un hasard. Souvenons-nous de l'affaire Stavisky qui éclata en 1934 ; Serge Alexandre Stavisky était un banquier juif et escroc qui, avec la complicité d'hommes politiques, avait organisé une énorme fraude qui lui permit d'empocher 200 millions de francs. Cette affaire avait conduit à l'émeute antiparlementaire du 6 février 1934 qui a failli faire tomber la République.

    Si donc la révolution nationale du Maréchal Pétain a pu arriver, malgré l’occupation dont sont directement responsables les dirigeants de la IIIe République peuple français, étourdi par 70 ans républicanisme, avait perdu ses repères politiques et sociaux, à quoi s’est ajoutée une débandade de la classe politique républicaine. Le peuple français des années 1930, comme aujourd'hui, vivait une crise d’identité majeure.

    Le rôle historique de la révolution national fut alors d'accomplir ce qu'avaient entamé les ligues, et plus particulièrement Charles Maurras (qui qualifia de « divine surprise » l'avènement de Pétain), à savoir une redéfinition de l'identité française, lui fixant des repères stables, ce qui faisait et fait toujours défaut à la République.

    Inutile de dresser ici la liste des affaires qui ont éclaté ces 20 dernières années. Inutile aussi de faire le décompte des hommes politiques corrompus aujourd'hui et qui sont à la tête de l’État en interaction directe avec les banques juives. Macron est à lui seul une synthèse.

    La déligitimation du pouvoir est au moins aussi importante que dans les années 1930, et la Crise du régime ne saurait tarder...

    Vraisemblablement, d’une manière ou d'une autre, la Ve République s'effondrera comme la IIIe s'est effondrée : par pourrissement. C'est le destin de la République.

    Mais une question reste en suspens quelle force politique et sociale sera capable, sur les ruines de cette République déjà mourante, de faire une révolution nationale qui fixera des repères stables aux Français ?

    Il est probable que plusieurs années s'écouleront avant qu'un personnage et une force émergent du chaos qui nous attend.

    Jean TERRIEN. Rivarol du 20 avril 2017

    1). Christophe Prochasson, dans Histoire de l'extrême droite en France, sous la direction de Michel Winock, 2015, Seuil, p. 52.

    2). Christophe Prochasson, op. cit. pp. 57-58.

    3). Sur les origines kabbalistiques de la religion de la République, voir : Youssef Hindi, La mystique de la laïcité. Généalogie de la religion républicaine, de Junius Frey à Vincent Peillon, Editions Sigest, 2017

    4). Anacharsis Cloots, La République universelle, ou Adresse aux tyrannicides, 1752, pp. 186-187

    5). Bernard Lazare, L'antisémitisme, son histoire et ses causes, 1894, éditions KontreKulture, 2012, p. 119.

    6). Pierre Birnbaum, dans Histoire de l'extrême droite en France, pp. 108-109.

    7 Voir la proportion de protestants dans la haute administration sous la IIIe République dans Vincent Peillon, Une religion pour la République, 2010, Le Seuil, pp. 118-119. 8. Rapporté par Pierre Birnbaum, op. cit.

  • 1917 : les Etats-Unis entrent en guerre

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    Cette entrée en belligérance a révolutionné durablement la communication politique

    Il y a cent ans, la politique américaine mettait un terme définitif à son isolationnisme, celui qu’avait préconisé la Doctrine de Monroe (« L’Amérique aux Américains »). Cette doctrine impliquait la neutralité américaine dans tous les conflits qui déchiraient l’Europe. En 1917, les Etats-Unis disent adieu à cette neutralité et entrent en guerre aux côtés des Alliés franco-britanniques. Le Président américain James Monroe avait souligné, dans les années 1820,  que les Etats d’Amérique entraient dans un processus irréversible d’indépendance et se détachaient ainsi des puissances européennes, du Vieux Monde. Monroe évoquait alors l’émergence de deux sphères politiques (le Vieux et le Nouveau Mondes) et l’avènement d’un principe de non immixtion des Etats-Unis d’Amérique dans les conflits européens. Suite à cette déclaration de leur Président, les Etats-Unis ont pu développer une stratégie hémisphérique brillante, ont consolidé leurs acquis territoriaux et les ont protégés. L’Europe, elle, ne s’occupait que d’elle-même en cette période post-napoléonienne : elle entendait conférer aux Etats qui la constituaient une épine dorsale constitutionnelle destinée à les stabiliser. Pendant ce temps, les Etats-Unis bâtissaient leur propre Etat aux dimensions continentales, avec la ferme intention de le rendre militairement invulnérable. Sur le plan de la sécurisation militaire, les Etats-Unis acquièrent, dans le dernier tiers du 19ème siècle, l’Alaska et annexent les Iles Hawai, parachevant de la sorte leur projet stratégique. En entrant en belligérance dans la première guerre mondiale, déclenchée en Europe par les puissances européennes, les Etats-Unis manifestent ipso facto la prétention d’agir activement sur la scène mondiale, en y imprimant leur volonté, comme l’histoire ultérieure le démontrera.

    L’entrée en guerre des Etats-Unis a surpris car, à l’automne 1916, le Président américain Woodrow Wilson avait fait campagne pour les Démocrates avec le slogan ‘He kept us out of war !’ (« Il nous a maintenu hors de la guerre »). Il a été réélu. Se maintenir hors de la guerre qui faisait rage en Europe fut le message principal du mouvement politique animé par Wilson. Mais cette promesse n’a duré que quelques mois, au bout desquels les Etats-Unis sont bel et bien entrés en guerre. Une victoire des puissances centrales, c’est-à-dire l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois, avec la Bulgarie et l’Empire ottoman comme partenaires mineurs, était parfaitement envisageable au printemps de 1917. L’entrée en guerre des Etats-Unis, d’abord contre l’Allemagne seule, peut donc être considérée comme décisive dans la défaite des puissances centrales. La supériorité des Alliés en troupes et en armes a fait la décision au détriment de l’Allemagne sur le front occidental.

    Sur les plans idéologique et moral, cette entrée en guerre a été décrite comme « une croisade nécessaire contre les monarchies militaristes et autoritaires de l’Empire allemand et de l’Autriche-Hongrie ». A cela s’ajoute la conscience d’une mission quasi religieuse et bien précise : « Rendre la monde sûr pour la démocratie ». Mais ce conglomérat de moralisme et d’idéologie à connotations puritaines était pur discours : derrière lui se profilaient des motivations essentiellement économiques. Les dettes de guerre inter-alliées, soit les dettes contractées entre Alliés et celles contractées entre les Alliés et les puissances associées, avaient pour créancier principal les Etats-Unis et comme débiteur principal la Grande-Bretagne : cette dernière avait contracté la grosse masse de ses endettements auprès du gouvernement fédéral américain. Au total, les crédits pris sur le système financier américain s’élevaient à un capital de 26,5 milliards de dollars (somme sur laquelle intérêt était dû). Une victoire des puissances centrales aurait eu des conséquences considérables sur le système financier américain. Il fallait l’éviter à tout prix. En entrant en guerre, Wilson rendait un immense service aux intérêts vitaux du secteur financier américain.

    Dans l’espace-temps qui va de l’automne 1916 au printemps 1917, nous avons assisté à un renversement total de l’opinion publique aux Etats-Unis. Ce renversement inaugure dans l’histoire mondiale l’avènement du marketing politique moderne et du modelage médiatique des mentalités. Le plus important des experts en ce façonnage des mentalités nouvelles fut Edward Louis Bernays, né à Vienne en 1891. On le considère désormais comme le père des techniques de « relations publiques » et de l’art des « spin-doctors ». Ce fut lui qui transforma la notion de « propagande », la débaptisa en « relations publiques ». Il était fasciné par la capacité à « produire des opinions ». Bernays était l’un des neveux de Sigmund Freud. Il s’est efforcé de populariser les thèses psychanalytiques de Freud aux Etats-Unis. Bernays était fasciné par l’idée freudienne qu’il existait des forces cachées et irrationnelles qui poussaient les hommes à l’action. Il avait reconnu le fait que les sociétés humaines étaient dirigées sur les plans économique, politique et social par une poignée d’hommes puissants « qui tiraient les ficelles de l’opinion publique » après avoir donné les directives adéquates. Quand il a fallu, en 1916/1917, faire basculer l’opinion publique américaine et lui faire accepter l’entrée en guerre du pays-continent, le jeune Edward Bernays prit contact avec le « Committee on Public Information », chargé de préparer à la guerre et au sang à verser tous ceux qui doutaient du bien fondé d’une immixtion américaine dans la grande guerre européenne, et, finalement, l’opinion publique toute entière des Etats-Unis. Bernays a eu l’intelligence de faire miroiter aux opinions publiques américaine et européenne l’idée d’un nouvel ordre mondial sécurisé et pacifique, que les armées américaines allaient promouvoir par leur engagement dans les combats. « Rendre le monde sûr pour la démocratie » (« Make the world safe for democracy »), tel était son slogan-clef, celui qui devait présenter l’entrée en guerre comme le seul projet possible.

    Après la fin des hostilités, Bernays accompagna la délégation américaine regroupée autour du Président Wilson lors des conférences de la paix de la banlieue parisienne. Il s’est rapidement aperçu que le champ d’application de sa praxis d’influence des sociétés pouvait s’étendre non seulement en temps de guerre mais aussi en périodes de paix. Il voyait la nécessité de créer « une ingénierie du consensus » (« engineering of consent »), c’est-à-dire, à ses yeux, une nouvelle science basée sur les techniques de la formation des opinions.

    Bernhard Löhri.

    (article paru dans « zur Zeit », Vienne, n°14/2017, http://www.zurzeit.at ).

    http://euro-synergies.hautetfort.com/

  • Cortège traditionnel de Jeanne d’Arc 2017

    Paris : Le Cortège traditionnel de Jeanne d'Arc 2017 aura lieu le dimanche 14 mai.

    Rendez-vous à 10 heures, place de l’Opéra.

    Le cortège marchera jusqu'à la statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides. 

  • Les Etats-Unis d’Amérique, un Empire du XXe siècle, par Philippe Conrad

    NRH-Etats-Unis-Empire-1.jpgTous ceux qui avaient misé ces dernières années sur le repli de l’Amérique et l’avaient cru confirmé par les discours de son nouveau président en auront été pour leurs frais. En réagissant instantanément et unilatéralement au bombardement chimique prêté à Bachar El-Assad, les États-unis ont tenu à montrer qu’ils demeuraient la première puissance du monde et qu’ils entendaient le rester.

    En une salve de missiles de croisière Tomahawk, ils ont « puni » le dirigeant syrien, rappelé aux Russes qu’ils n’entendent pas se voir écartés du règlement des crises proche-orientales, satisfait leurs alliés israélien et saoudien et envoyé un avertissement à l’Iran et au Hezbollah pour les dissuader de pousser leurs pions dans une région totalement déstabilisée depuis la désastreuse intervention engagée en Irak en 2003. Pour couronner le tout, on apprend qu’un groupe aéro-naval américain est en cours de déploiement au large des côtes coréennes…

    Des gesticulations politico-stratégiques par lesquelles Donald Trump entend montrer que l’Amérique, apparemment tentée par un certain repli, n’a pas dit pour autant son dernier mot dans les affaires du monde, même si l’ordre planétaire établi à son profit en 1945 commence à être jugé anachronique par beaucoup, au moment où un monde multipolaire semble devoir remplacer « l’empire bienveillant » que George Bush père appelait de ses voeux en 1991. Il va donc falloir relativiser le « déclin » d’une Amérique qui conserve de sérieux atouts, un siècle après s’être imposée, à la faveur de la guerre de 1914-1918, comme une véritable puissance mondiale.

    Le peuplement rapide par les immigrés européens d’un espace aux immenses ressources et son rapide développement industriel ont fait dès 1890 de ce nouveau monde la première puissance économique de la planète. Mais, bientôt, le percement de l’isthme de Panama et les interventions au Mexique, dans les Caraïbes ou aux Philippines font des États-unis une « république impériale » combinant l’usage de la force militaire et une « diplomatie du dollar » qui assurent sa mainmise indirecte sur l’hémisphère occidental dont le président Monroe a annoncé, dès 1823, qu’il devait demeurer sa chasse gardée.

    En 1914, la neutralité s’impose. Le caractère composite de la population d’origine européenne et les convictions pacifistes du président Wilson condamnent toute idée d’intervention dans le conflit opposant les puissances de la vieille Europe. Il faut la guerre sous-marine allemande, les projets de la Wilhelmstrasse d’entraîner le Mexique dans une guerre contre son puissant voisin, mais aussi les liens économiques et financiers établis avec l’Angleterre et la France pour changer la donne.

    Entrée dans la guerre en avril 1917, l’Amérique apporte à ses « associés » ses formidables capacités industrielles et navales, un soutien financier désormais assuré dans la durée et, à terme, la perspective d’engager jusqu’à trois millions de soldats en Europe si la guerre doit s’y prolonger pour longtemps. De quoi faire du président Wilson l’arbitre de la conférence de la Paix. Il y impose certes nombre de ses vues mais pour être désavoué par le Congrès puis par les électeurs quand il regagne son pays.

    Vient alors le temps de l’isolationnisme avec l’America First du président Harding et de ses successeurs. dont F. d. Roosevelt qui renoue certes avec la société des Nations imaginée par Wilson, mais doit accepter les lois de neutralité censées garantir le maintien de l’isolationnisme américain. L’attaque japonaise de Pearl Harbor remet pourtant en cause le dogme de la non-intervention et les États-unis se retrouvent bientôt à la tête des puissances alliées.

    Une fois la victoire obtenue, l’Amérique assure à elle seule, face à une Europe, une URSS et un Japon dévastés, 60 % de la production mondiale et est en mesure d’installer un ordre international qui va durer jusqu’au début du siècle suivant. Première puissance économique et militaire du monde, profitant de l’hégémonie du dollar, contrôlant pour l’essentiel l’innovation technologique, bénéficiant à travers l’universalité de leur langue et de l’expansion planétaire de l’american way of life d’une domination culturelle sans précédent, les États-unis semblent en mesure, surtout après la chute de l’URSS, de maintenir pour longtemps leur statut « d’hyperpuissance ».

    Alfredo Valladao pouvait bien prophétiser en 1993 que « le XXIe siècle serait américain » (Alfredo Valladao, Le XXIe siècle sera américain, Éd. La découverte, 1993), le tragique propre à l’histoire est venu bouleverser les prospectives les plus assurées. Un siècle après l’émergence de l’Amérique impériale, les cartes sont rebattues et de nombreux possibles se dessinent. Rien n’est acquis mais il apparaît toutefois clairement que l’Amérique n’a pas dit son dernier mot.

    Philippe Conrad

    Editorial du n° 90 de la Nouvelle Revue d’Histoire
    Dossier : 1917, l’émergence de l’Amérique impériale

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