Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1259

  • Génocide arménien et populicide vendéen

    Avant le terme gréco-latin génocide, datant de la Seconde Guerre mondiale, le ternie populicide, cent pour cent latin, a été conçu par le Comité de Salut public français. Il fait donc partie des valeurs de la république française qu'on ne rappelle jamais aux enfants des écoles. Rappelons le contexte de sa concrétisation. Les Vendéens, catholiques et monarchistes s'il en est, avaient perçu la décollation du Roi Louis XVI comme un crime. Ils étaient de plus choqués par l'arrestation de leurs prêtres réfractaires envoyés en camp d'extermination à Brouage et remplacés par des prêtres jureurs. De plus, des agents de conscription de la république voulaient les envoyer faire la guerre au profit du régime impie. Ils molestèrent ces envoyés du diable, allèrent se chercher des chefs et se soulevèrent en masse dès 1793, cumulant les victoires. C'est alors que le Comité de Salut public décida le populicide des Vendéens. Il s'agissait de massacrer tous ces brigands (sic), hommes, femmes et enfants, d'exterminer le bétail et de brûler les récoltes. Ont participé à ce péché originel de la république des officiers illustres, comme Turreau, Hoche, Kléber, Marceau, dont les noms ornent l'Arc de Triomphe et les avenues issues de la place de l'Étoile à Paris. Cette politique de la terre brûlée accomplie et les brigands exterminés (on parle de trois cent mille morts), on voulait repeupler la Vendée avec de "bons" citoyens. Tel fut le premier génocide des temps modernes, péché originel de la république française qui n'a jamais été expié.

    Des autochtones de l’Asie mineure

    Le génocide arménien se présente différemment. Les Arméniens, comme les Grecs et d'autres chrétiens des premiers siècles, sont des autochtones de l'Asie mineure où ils se sont installés bien avant notre ère. Les musulmans sont des envahisseurs : Arabes au VIIe siècle, Turcs à partir du Xe siècle, puis Kurdes venus du Zagros et Tcherkèsses, etc. sédentarisés. Les Turcs s'installent et prennent le pouvoir en Asie mineure, puis conquirent l'Europe balkanique et danubienne. Ils encercleront Vienne sans arriver à la conquérir. Le 29 mai 1453, ils s'emparent de Constantinople, dernier îlot de l'Empire byzantin et procèdent à un massacre dé la population. Mais, petit à petit, les chrétiens rescapés s'organisent et le Padisah reconnaît deux Patriarches chrétiens. Le patriarche orthodoxe pour les chrétiens occidentaux, te patriarche arménien pour les chrétiens orientaux. Au sein de l'Empire ottoman, les chrétiens représentent 25 % de la population. Citoyens de deuxième ordre, considérés comme dhimmis ou rayas, n'ayant pas le droit de monter à cheval, ils peuvent néanmoins devenir artisans, musiciens, médecins, fonctionnaires, officiers ou même ministres.

    Massacres précurseurs

    Au XIXe siècle, l'Empire ottoman va de défaite en défaite. Les populations musulmanes (essentiellement Turcs et Kurdes) sont mécontentes et jalouses des richesses des chrétiens, qui sont des travailleurs sérieux, et plus particulièrement des Arméniens. La fin du XIXe siècle marque l'accélération des massacres de chrétiens et plus particulièrement des Arméniens par les Turcs et les Kurdes en Cilicie et dans le Sud-Est. En novembre 1914, l'Empire, très influencé par les Allemands, entre en guerre aux côtés des empires centraux et le Padisah Resad émet un firman aux termes duquel tous les chrétiens de l'Empire devraient être massacrés. Les Kurdes du Sud-Est en profitent pour attaquer les bourgades chrétiennes, mais, ne recevant du pouvoir central ni argent ni munitions pour parachever cette extermination, ils finissent par conclure des trêves avec les chrétiens.

    L'armée russe fait, au cours de l'hiver 1914-1915, une percée spectaculaire jusqu'au Lac de Van et jusqu'à à Bitlis, terres peuplées essentiellement d'Arméniens. Il y a en effet des centaines de villages arméniens avec leurs églises autour du Lac de Van (comme l'atteste la carte de Guréghian). Voyant ces soldats chrétiens arborant des bannières orthodoxes, les chrétiens laissent paraître une allégresse qui va leur coûter cher. Le Comité Union et Progrès qui a le pouvoir sur l'Empire ottoman, est composé de Turcs originaires des Balkans, parfois convertis du judaïsme et qui professent une sorte d'islamisme totalitaire. Il décide l'extermination des Arméniens qui aura des répercussions sur les autres chrétiens : assyriens (essentiellement), chaldéens, grecs, maronites, roums-catholiques, roums-orthodoxes, syriaques catholiques, syriaques orthodoxes, etc.

    Le génocide systématique

    La nuit du 23 au 24 avril 1915, une rafle capture des centaines d'Arméniens à Istanbul. A partir de la lettre à Talaat Pasha, la rafle va s'étendre à toute l'Asie mineure et au Nord de la Syrie. Elle est suivie d'exécutions pour la plupart des hommes. Les vieillards, les femmes et les enfants sont emmenés à pieds en cadrés par une soldatesque cruelle qui achève les traînards à la baïonnette. Les femmes enceintes qui accouchent en chemin doivent le faire sur le bord de la route caillouteuse et voient leurs nouveau-nés assassinés à la baïonnette et les placentas exposés. Ces convois sont conduits en direction du Sud-Est : Alep, Urfa (Edesse), Mardin, et même jusqu'à Deyr-i-Zor en Syrie sur les bords de l'Euphrate, ce qui représente plus de mille kilomètres de calvaire.

    Lorsque la colonne de captifs arrive dans les aires peuplées de Kurdes, les soldats turcs vendent Jes jeunes femmes et les fillettes aux Kurdes qui en feront des prostituées, des épouses surnuméraires, des concubines captives ou des esclaves. Pour cette raison, un nombre important de Kurdes ont des bisaïeules ou des trisaïeules arméniennes. J'en ai rencontré dès mes premiers voyages à partir de 1957, mais, à l'époque, personne n'ébruitait ce métissage et sa descendance. Depuis quelques temps, les média ont abordé ce problème. Un nombre important de personnes élevées dans l'islam se découvrent une ancestralité chrétienne et rencontrent des problèmes d'identité. Mais le retour au christianisme est interdit par les lois islamiques et il correspond en Turquie à une récession sociale, puisque dans ce pays qui fut chrétien, il n'y a plus qu'un chrétien pour mille habitants.

    En souvenir de ce chemin de croix de mille kilomètres subi par les Arméniens, un mémorial sis à Deyr-i-Zor en Syrie sur les bords de l'Euphrate avait été érigé. Il a été dynamité récemment par les djihadistes de l'Etat islamique. Cette obsession de détruire les tombes et les mausolées chrétiens, donc de profaner les sépultures n'est pas l'apanage exclusif de cet Etat islamique extrémiste puisqu'on peut l'observer en Algérie et en Europe, pays peuplés par des musulmans jugés modérés par les média.

    D’autres génocides de chrétiens

    Le génocide systématique va durer aussi longtemps que la Première Guerre mondiale. Ainsi en 1918, lorsque l'Empire ottoman capitule, l’ensemble de l'Asie mineure a été "nettoyé" de ses Arméniens. Dans le Sud-Est, les Kurdes, qui jalousaient les chrétiens et leurs terres, s'en sont pris à tous les chrétiens. Les moines syriaques orthodoxes du monastère Mor Gabriel ont été assassinés et leur monastère occupé par les Kurdes. Les Assyriens (nestoriens, Église de l'Orient), très nombreux dans le Sud-Est, ont dû abandonner leur patriarcat de Qoçannès, leurs églises des bords du Zab et des régions de Gawar et Çemdinan. Un groupe part en direction de l'Iraq. Un autre groupe part en direction du Nord-Est. Ils seront harcelés dans les défilés et les gorges par les Kurdes qui massacrent enfants, femmes vieillards, adultes, prêtres et évêques et finalement le patriarche pris dans le guet-apens que lui a tendu le kurde Simko. Les rescapés du groupe Nord-Est finiront en Iran, dans les régions de Salmas et Ormia, à nouveau massacrés comme tous les chrétiens par les Kurdes, les Azéris et les Turcs appuyés par l'armée ottomane.

    Après ces massacres, chrétiens divers et Arméniens pourront s'établir en Iran, notamment en Azerbaijan de l'Ouest où l'on trouve des monastères arméniens comme Saint Thaddée et Saint Stefan. En 1923, les Assyriens voudront revenir en Asie mineure du Sud-Est, mais Mustafa Kemal, qui tolère les chaldéens rescapés, s'oppose au retour des Assyriens et les fait massacrer par la jeune armée turque qui égale en cruauté l'armée ottomane. C'est cet épisode qu'on appelle le génocide assyrien.

    L’après génocide

    Après la capitulation de 1918, l'armée française occupe la Cilicie et le Sud-Est vidés de leurs Arméniens et protège les rares rescapés. Mais cette armée, battue à Maras, par les insurgés turcs et kurdes kémalistes se replie sur le territoire syrien en abandonnant les chrétiens rescapés (qu'elle accueillera plus tard en Syrie). Mustafa Kémal Ataturk entérinera l'interdiction de retour imposée aux Arméniens qui ont quitté la Turquie et imposera aux Grecs et aux Arméniens rescapés du génocide de s'installer à Istanbul où ils redeviennent très actifs dans l'artisanat et le commerce, mais sont exclus de tous les emplois publics. Grecs et Arméniens acquièrent le statut de minoritaires. Petit à petit, les Grecs quittent Istanbul et vont en Grèce. Lors de mon premier séjour en 1956, ils étaient plus de cinquante mille. Ils ne sont plus que deux mille. Les Arméniens, plus résistants aux vexations, et peu tentés par l'exil en Arménie, alors soviétique, sont restés et sont actuellement au nombre de soixante mille. Mais si, à Istanbul, en 1956, outre le turc moderne, on entendait encore parler grec, arménien et français, en 2015, le turc, encore plus modernisé (ôz turkçé), est concurrencé par le Kurde-kurmanjî et le français disparaît au profit de l'anglais.

    La reconnaissance et la réparation des génocides

    Cent années ont passé depuis la lettre à Talaat Pasa préconisant le massacre de tous les Arméniens. Il en a ainsi disparu un million cinq cent mille dans des circonstances atroces. Les gouvernements turcs successifs n'ont pas reconnu ce génocide et préfèrent parler de guerre civile. Mais on peut remarquer que les gouvernements français n'ont pas reconnu le génocide vendéen, péché originel de la république française, et préfèrent rendre obligatoire l'enseignement de la Shoah en culpabilisant le gouvernement de Vichy et le peuple français ayant subi l'occupation, nonobstant sa participation à la résistance (j'en suis). En fait, les horreurs du génocide vendéen évoquent celles du génocide arménien. Seul le nombre des victimes diffère. Trois cents mille Vendéens pour un million cinq cents mille Arméniens.

    La France a reconnu le génocide arménien par une loi. L'Europe et l’ONU s'en mêlent et ont également reconnu le génocide arménien. Les Arméniens réclament des réparations. Lors de mes voyages récents dans le Sud-Est, j'ai constaté que certains Kurdes reconnaissaient leurs torts. Les uns parlaient d'indemniser ; les autres évoquaient l'éventualité d'un retour des Arméniens et d'une restitution des terres volées, mais pas la restitution des maisons, car la polygamie et la natalité ont fait que les Kurdes sont extrêmement nombreux, soit plusieurs dizaines de millions en Turquie. Outre les villages arméniens, ils ont annexés presque tous les villages chrétiens du Sud-Est. Y a-t-il de la place pour les Arméniens ? Les Arméniens souhaitent-ils reconstruire leurs églises et leurs villages rasés et se réinstaller dans un milieu musulman hostile et rival ? Des syriaques orthodoxes partis dans les années 1980 ont réussi ce retour dans leurs villages du Turabdîn qu'ils ont reconstruits, église comprise, comme Kafro. (Il existe un mémorial du génocide syriaque à Bruxelles.) Les Arméniens ont été tués ou chassés il y a un siècle. Combien d'entre eux sont prêts à revivre une expérience de retour dans des terres déjà surpeuplées ? La réponse appartient aux Arméniens, si l'Occident veut bien les aider.

    Jean-Claude C. Chabrier Rivarol du 5 novembre 2015

    Bibliographie minimale : outre des ouvrages fondamentaux écrits par des chercheurs (dont celui de Raymond Kevorkian) et des dizaines d'ouvrages disponibles (dont celui de Bernard Antony, tout récent), on pourra consulter : Jean V. Guréghian, Les monuments de la région Mouch-Sassoun-Van en Arménie historique, Paris, Sigest, 2008. Ceux qui, comme moi, voudront vérifier ce qui reste des centaines d'églises et de villages arméniens sis autour du Lac de Van trouveront, soit rien parce que tout a été passé au bulldozer, soit des villages occupés par des Kurdes qui se prétendent autochtones. On trouvera dans Jean-Claude C. Chabrier, Chrétientés violentées : Serbie Turquie Iran Iraq Syrie Liban Monde Musiques Album, Paris, arabesques-C.H.R.I.S.T.O.S, 2014 (en vente à nos bureaux 30 euros franco), des renseignements sur ce qui reste de communautés et monuments arméniens. Enfin, on peut envisager la visite d'Anï ou du Musée du Génocide à Erevan. Sur le génocide vendéen, on peut lire les ouvrages de Reynald Sécher, etc.

  • Douze thèses pour un gramscisme technologique

    Journée d’étude sur la réinformation, organisée le 25 octobre 2008 par la Fondation Polémia Communication et Conclusion de Jean-Yves Le Gallou

    L’intitulé de cette communication me conduit à l’introduire par un double rappel historique.

    D’abord par l’évocation d’Antonio Gramsci, référence intellectuelle du parti communiste italien dans les années 1920, surtout connu par ses  « Ecrits de prison », œuvre dans laquelle il s’interroge sur l’absence de la révolution mondiale prônée et annoncée par Marx et sur le maintien des institutions capitalistes. Pour Gramsci, la suprématie de la bourgeoisie s’explique certes par la force mais aussi et surtout par le consentement du prolétariat ; consentement obtenu par « l’hégémonie culturelle ». Selon Gramsci, pour imposer ses vues et sa direction à la société, une oligarchie dominante doit d’abord faire prévaloir ses valeurs et sa conception du monde.

    Cette conception métapolitique a été reprise, dans les années 1965/1985, par le courant de la Nouvelle Droite pour qui la bataille des idées primait sur la bataille politique. « Le Figaro Magazine », à l’époque de Louis Pauwels, fut le fer de lance médiatique de cette stratégie avant d’être « normalisé » par le pouvoir publicitaire qui en a fait un produit tristement banal.

    Il m’a paru intéressant de porter ce type de regard métapolitique sur la situation actuelle et d’examiner les différents moyens que les nouvelles technologies peuvent offrir dans la lutte contre l’idéologie dominante.

    Cela sera l’occasion de développer douze thèses pour un gramscisme technologique.

    1re thèse : Les instruments utilisés pour influencer l’opinion n’ont jamais été aussi puissants.

    D’abord, parce que le temps passé devant la télévision représente aujourd’hui en France près de 20% de la vie éveillée de nos compatriotes (40% du temps hors transports et travail), et que les producteurs d’émissions de télévision se servent de l’information pour faire passer leurs opinions et du divertissement pour promouvoir leurs valeurs (ou antivaleurs).

    Ensuite, parce que les crédits consacrés à la communication et à la publicité n’ont jamais été aussi importants et représentent aujourd’hui plusieurs points du produit intérieur brut (PIB). Or publicité et communication ne se contentent pas de promouvoir des produits commerciaux ou politiques, elles véhiculent aussi des images et des valeurs. Télévision, publicité et communication sont d’ailleurs d’autant plus efficaces pour influencer l’opinion qu’elles agissent davantage au travers de l’émotion qu’au travers de la raison.

    Enfin, pour compléter le dispositif du totalitarisme soft, l’école et l’entreprise sont aussi mobilisées au service du conformisme dominant.

    2e thèse : Ces moyens d’influence ont été utilisés par les élites dominantes pour imposer une idéologie de rupture avec les traditions du passé.

    Au début du XXe siècle, de bons auteurs s’inquiétaient de La Révolte des masses (Ortega y Gasset), mais c’est à La Révolte des élites que nous assistons depuis quarante ans. Pour Christopher Lasch, ce sont les élites économiques, médiatiques et politiques qui imposent aux peuples une idéologie de rupture avec le passé.

    Pour Polémia, http://www.polemia.com/search.php, « la tyrannie médiatique » impose le carré carcéral de l’idéologie dominante et ses 4 dogmes :

    – les bienfaits de la mondialisation ;
    – la rupture avec la tradition ;
    – la gauche présentée comme ontologiquement meilleure que la droite ;
    – l’antiracisme et la culpabilisation des peuples.

    3e thèse : L’idéologie politiquement correcte n’est pas seulement dominante, elle est aussi devenue idéologie unique.

    « La plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas », dit-on. La force de l’idéologie politiquement correcte est d’avoir imposé l’idée que les débats idéologiques étaient dépassés. Mais comme l’a finement observé Dominique Venner dans « Le Siècle de 14 », nous ne vivons pas dans une société a-idéologique mais dans une société saturée d’idéologie, d’une idéologie unique.

    C’est pour cela qu’il n’y a plus de débat idéologique dans les grands médias puisque seuls peuvent s’exprimer – y compris dans les pages « opinions » des quotidiens – ceux qui respectent les canons de l’idéologie unique.

    Depuis 1968, en quarante ans, sur fond de répression judiciaire et de bannissement intellectuel, politique ou médiatique, la liberté d’opinion et la diversité d’expression n’ont cessé d’être réduites.

    4e thèse : L’apparition et le développement d’Internet change la donne dans la bataille des idées.

    La « révolte des élites » a été imposée aux peuples par l’intermédiaire des grands médias centraux : télévisions, radios et grands journaux ; leur mode de fonctionnement est vertical : l’information part d’un émetteur et descend vers un récepteur.

    Internet inverse le rapport de force entre le centre et la périphérie. Sur Internet chacun est à la fois récepteur et émetteur.

    Le monopole de la presse est ainsi brisé. Jean-Paul Cluzel, président de Radio France, en fait le constat désabusé dans « Les Echos » du 14 octobre 2008 : « Sur les sites Internet, les internautes, les jeunes en particulier, trouvent une information brute qui leur paraît plus objective et plus honnête. »

    Plusieurs caractéristiques d’Internet contribuent à briser le monopole de l’idéologie unique diffusée par l’hyperclasse mondiale :

    – d’abord, Internet permet l’extension de la parole privée qui, par nature, est plus libre que la parole publique ; l’usage du pseudonyme peut encore renforcer cette attitude ; et les tabous qui s’imposent dans la vie quotidienne existent moins, voire pas du tout, sur Internet ;

    – ensuite, Internet permet une propagation virale des messages ; propagation qui peut être extrêmement rapide et qui contraint de plus en plus souvent les médias centraux à diffuser des informations initialement occultées ;

    – enfin, les moteurs de recherche n’ont pas – pas encore en tout cas – de conscience politique, ils sont neutres : un fait ou une analyse non conformes ont donc une bonne espérance de vie et de développement sur Internet.

    5e thèse : Internet est un instrument de mobilisation de la majorité silencieuse contre les élites, c’est un outil incomparable de démocratie directe.

    L’usage et les conséquences politiques d’Internet mériteraient d’être analysés de manière approfondie, notamment au regard des expériences étrangères, mais le temps ne m’a pas permis de procéder à cette étude.

    S’agissant de l’expérience française, trois leçons peuvent néanmoins être retenues, à titre d’hypothèses provisoires :

    – Lors d’élections présidentielles ou législatives, le jeu d’images (des hommes ou des formations politiques) imposé par les grands médias centraux reste déterminant ;

    – Lors d’un référendum, l’ensemble des prises de position politiques, patronales, syndicales, intellectuelles et culturelles s’exprimant dans les grands médias peut en revanche être battu en brèche par les opinions dissidentes, relayées sur Internet. C’est ce qui s’est passé le 29 mai 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne ;

    – Lors d’actions locales, Internet peut faire éclater la contradiction entre la « révolte des élites » favorables aux ruptures et au déracinement et l’opinion majoritaire qui n’en veut généralement pas. Cela peut servir pour pousser à refuser telle subvention à un groupe de « rap » ou condamner telle attitude trop complaisante à l’égard d’un campement de nomade illégal : car alors le décideur ne reçoit pas seulement les instructions – tacites ou explicites de prétendues « autorités morales » – il est aussi soumis à la pression en sens contraire de la majorité silencieuse.

    C’est l’un des grands mérites du mouvement des Identitaires que d’avoir théorisé, mais aussi mis en pratique, cette démarche.

    6e thèse : Internet est un moyen de s’affranchir de la tyrannie médiatique et de construire sa réflexion et/ou son action de manière indépendante.

    L’idéologie unique ne s’impose pas seulement par sa pression omniprésente sur les esprits ; elle s’impose aussi par l’élimination pure et simple de la concurrence : dans les grands médias centraux, les pensées (et les actions) dissidentes sont traitées soit par le silence soit par la diabolisation ; le dilemme  pour les non-conformes est alors le suivant : ne pas exister médiatiquement ou parvenir à l’existence audiovisuelle comme agent du « mal », éventuellement repenti.

    Ce phénomène est d’autant plus pervers qu’il structure la représentation et l’action de la dissidence qui se trouve ainsi sommée de choisir entre la pasteurisation de son expression (qui lui fait perdre tout intérêt) et la provocation (qui donne une vision caricaturale des hommes et des idées, surtout quand elle est amenée à être répétée).

    Internet permet de construire la représentation de la pensée et de l’action dissidentes autrement que dans une stricte dépendance à l’égard des médias centraux. Internet rend possible une démarche intellectuelle et/ou pratique indépendante de la pression médiatique.

    7e thèse : Internet est un moyen de contourner le silence médiatique et de redonner le goût de l’action.

    Les adversaires de l’idéologie unique sont parfois démotivés : l’« aquabonisme » contribue à la démobilisation. A quoi bon réfléchir ou agir si nul n’en a connaissance ? A quoi sert-il de produire un texte, s’il n’est pas édité ? A quoi sert-il de conduire une opération, si elle n’est pas rapportée ?

    Internet permet de contourner le silence des grands médias centraux : l’auteur d’un texte devient son propre éditeur ; l’organisateur d’une action devient son propre narrateur ; et si ce qui a été dit ou fait le mérite, la diffusion en sera largement assurée par la propagation virale.

    Certes, cela joue plus à l’échelle des réseaux de proximité que sur un ensemble national ou mondial. Mais une multitude de petites actions valent mieux qu’une… grande inaction ; et de petits tréteaux locaux valent mieux que l’attente eschatologique de la représentation quinquennale du grand spectacle présidentiel.

    D’autant que de petites victoires peuvent construire et structurer des réseaux ensuite disponibles pour d’autres batailles.

    8e thèse : Internet est un moyen de contourner la diabolisation.

    Je voudrais ici évoquer avec prudence un sujet que je connais mal et sur lequel, là aussi, la réflexion devrait être approfondie : le web 2.0, les réseaux sociaux, type « Facebook ».

    Il est certes facile d’en discerner les limites et/ou les inconvénients :

    – faire accéder tout le monde à la « peopolisation » et à ses travers : mais à tout prendre les valeurs véhiculées par une peopolisation de base ont bien des chances d’être plus saines que celles portées par la peopolisation des élites décadentes ;

    – permettre une grande visibilité et donc une grande traçabilité de la vie des participants, en raison de leur sortie de l’anonymat ; mais, a contrario, le web 2.0 donne accès à des profils locaux, intellectuels ou professionnels susceptibles d’être facilement joints (et donc éventuellement mobilisés) par courriels.

    Toute médaille à son avers : et toute personne incluse dans un réseau social peut ensuite, par petites touches, faire connaître ses préférences personnelles, même lorsqu’elles sont dissidentes, avec un moindre risque de diabolisation parce qu’alors les idées (ou les actions) sont incarnées par une personne, et qu’il est plus difficile de diaboliser son prochain que son lointain.

    L’enracinement local a toujours été un moyen de limiter la « diabolisation ». Il en va dans le monde virtuel d’Internet comme dans la vie réelle.

    9e thèse : Accroître le contenu disponible sur Internet en mobilisant toutes les générations et en mettant en ligne davantage d’essais et d’articles de revue.

    La présence et les modes d’expression sur Internet varient naturellement selon l’âge. Mais toutes les générations sont susceptibles d’être mobilisées par le cyber militantisme.

    Il y a d’ailleurs un message à faire passer aux hommes de l’écrit traditionnel : Internet n’est pas le concurrent mais le complément du livre ou de la revue.

    L’édition classique garde sa place parce qu’elle est plus confortable à la lecture, qu’elle est plus adaptée à des textes longs et reste encore souvent jugée plus valorisante. En l’état actuel des choses, Internet n’a pas vocation à remplacer l’essai ou l’article de fond imprimé.

    Pour autant, il est dommage que bien des textes intéressants, importants, voire fondamentaux, ne soient pas disponibles sur Internet. Les arguments malthusiens – à savoir protéger les ventes payantes – couramment utilisés contre la mise en ligne ne sont pas recevables :

    – d’abord, parce qu’en matière d’essais et de revues d’idées, il n’y a pas de modèles économiques purement commerciaux qui soient viables ;

    – parce que la visibilité sur Internet permet souvent d’accéder à de nouveaux clients, y compris payants ;

    – parce que la mise à disposition d’un texte sur Internet lui permet de trouver une nouvelle vie ainsi qu’une diffusion nouvelle ;

    – enfin, parce que la mise en ligne de textes supplémentaires augmente le volume de contenus des sites et contribue ainsi à améliorer leur référencement.

    Il y a donc, pour la bataille des idées, un champ d’expansion à investir : la mise en ligne de textes écrits aujourd’hui en jachère, au regard de la diffusion numérique 

    10e thèse : Livrer la bataille de l’information équitable.

    A la différence des vérités de nature religieuse et des vérités d’ordre scientifique, il n’est en matière d’information et de réinformation que des vérités relatives. Dans l’absolu, une information brute n’existe pas, elle est toujours « anglée ».

    Dans la bataille des idées et de l’information, notre objectif n’est pas d’imposer notre point de vue mais simplement de le faire entendre. Bref de réintroduire de la pluralité dans un monde dominé par l’idéologie unique. Beaucoup d’actions – individuelles à effectuer depuis son ordinateur – sont possibles dans ce domaine : nourrir de commentaires les articles des grands journaux, ou compléter l’encyclopédie collaborative Wikipedia. Ces opérations doivent être conduites avec nuance et intelligence : il s’agit non de substituer une opinion à une autre mais de réexposer des faits dans leur pluralité ou de réparer des omissions.

    Ainsi, sur Wikipedia, l’action la plus utile n’est pas de chercher à changer, à la marge, les rubriques les plus controversées et donc les plus verrouillées (au risque de s’épuiser dans d’incessants allers et retours) ; l’opération la plus performante sera de faire connaître des auteurs ignorés ou incomplètement présentés, des thèses, des théories aujourd’hui non rubriquées ou insuffisamment développées. Il y a tant de vide (et de cases vides) à combler !

    De même, il est possible de « nourrir » le site de vente de livres Amazon de critiques d’ouvrages qui paraissent recommandables. Là aussi cette démarche doit être conduite dans un esprit de réinformation (donner à connaître) et non de propagande (assener une vérité).

    11e thèse : Développer les synergies et explorer la possibilité d’un site de réinformation professionnel.

    L’architecture d’Internet se prête à une logique de gratuité, de bénévolat et de coopération. Des sites sources alimentent des sites majeurs qui sont eux-mêmes  relayés par une multitude de sites rediffuseurs, spécialisés ou localisés.

    Ces différents sites doivent pouvoir entretenir sans complexes des liens entre eux sans se laisser frapper de sidération par la crainte de la diabolisation par contamination ; certes, dans ce domaine, un minimum de prudence n’est pas interdit, mais un naturisme décontracté et assumé est préférable à un excès de pudibonderie !

    Ce n’est pas à l’idéologie dominante de nous dicter notre carnet de relations ou nos liens numériques ! Ici, la résistance morale doit être au service de l’efficacité.

    Reste que les sites majeurs nécessitent des moyens toujours plus importants. De même, un portail européen identitaire comme le suggère Javier Ruiz Portella sur http://www.elmanifiesto.com/impose de trouver des moyens pour constituer une revue d’articles produits de l’espagnol, du français, de l’italien, de l’anglais et de l’allemand.

    Or dans la bataille de l’information sur Internet, les tenants du politiquement correct avancent eux aussi leurs pions : des journaux en ligne tels que Backchich-info, Mediapart ou Rue 89 apparaissent.

    Il est clair qu’il y aurait la place – et certains y pensent – pour un « Rue 89 de droite ». Mais est-ce possible ?

    Pour faire fonctionner un vrai journal généraliste capable de couvrir sérieusement et régulièrement l’actualité il faudrait au moins une dizaine de permanents, donc de salariés.

    Y a-t-il pour un tel projet un modèle économique viable ? Sachant qu’il ne faut compter ni sur l’abonnement payant (ce n’est pas l’esprit des internautes), ni sur la publicité commerciale classique (privative de liberté), ni sur les marchés de complaisance (ni souhaitables, ni possibles).

    Quelles ressources peut-on alors envisager ? Le mécénat, les dons et les abonnements volontaires, d’une part ; les liens Google commerciaux, d’autre part ; les ventes de produits dérivés (livres notamment) enfin.

    Un équilibre économique et commercial est-il possible dans ces conditions ?
    Je l’ignore mais je pense que la question mérite d’être posée et étudiée. Et je propose de faire avancer l’idée d’un fonds de développement des médias identitaires ou d’un fonds de développement de la réinformation. 

    12e thèse : Utiliser le développement de la radio numérique.

    La radio numérique terrestre va arriver. Même si cela peut entraîner des coûts supplémentaires elle offre, à terme, une triple opportunité, en particulier pour Radio Courtoisie, dont toute l’action, et pas seulement le Bulletin de réinformation, est une action de réinformation. C’est notamment :

    – l’opportunité d’une extension de la couverture territoriale de la radio permettant de toucher à terme plus de 80% de la population ;

    – la faculté pour l’auditeur d’écouter la radio en tout lieu (voiture, train, métro) grâce à un terminal de poche ;

    – la possibilité, toujours pour l’auditeur, d’interrompre puis de reprendre une émission.

    Conclusions

    Je ne suis pas naïf.
    Je ne crois pas à la martingale toujours gagnante.
    Je connais les tentatives de censure et de répression sur Internet.
    Je n’ignore pas que ce bel outil peut aussi servir d’alibi à la passivité de l’homme-tronc derrière son écran.
    Et je vois chaque jour les puissants investir la Toile où ils ont, là comme ailleurs, l’avantage de l’abondance financière.

    Pour autant, alors que depuis quarante ans la pression de l’idéologie dominante, l’idéologie perroquet, n’a cessé de se renforcer, Internet peut bouleverser la donne :

    – d’abord, parce que c’est un instrument qui retire du « temps de cerveau disponible » (Le Lay) aux grands médias : c’est toujours ça de pris !

    – ensuite, parce que c’est une arme utilisable du faible au fort ;

    – enfin, parce que c’est une arme au service des minorités agissantes qui sont aussi celles qui font l’histoire.

    Je souhaite donc que le camp libertaro-identitaire ou communautaro-conservateur l’utilise encore davantage, toutes générations confondues.

    Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre l’arrivée d’Internet dans les années 1995 et la montée progressive des mouvements populistes en Europe : en Suède, en Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas, en Flandre, en Suisse, en Autriche, en Italie et même plus récemment en Grande-Bretagne et en Irlande.

    Je ne peux m’empêcher d’interpréter non plus, de manière optimiste, les résultats des dernières élections autrichiennes. Les 16/18 ans sont ceux qui passent relativement le moins de temps devant la télévision et le plus de temps sur Internet : or ils ont voté à plus de 50% pour deux partis populistes qui incarnent la liberté et les valeurs traditionnelles de l’Autriche. Ne boudons pas les bonnes nouvelles !

    de Jean-Yves Le Gallou

    http://archives.polemia.com/article.php?id=1763

  • Anthropologie politique. Une société anti-humaine. L'enracinement territorial

    Tout homme a des racines territoriales, en ce sens qu'il s'identifie à un territoire qui fait partie de son patrimoine moral. Il connaît les lieux de ce territoire, il est attaché à sa physionomie, son histoire et les personnes qui y habitent.

    Le déracinement n'est pas d'aujourd'hui et on a connu, depuis l'Antiquité, des migrations plus ou moins importantes, suivies d'un ré-enracinement, c'est-à-dire de l'appropriation d'un nouveau territoire par les déracinés qui ont donc fait muter leur identité en adoptant une nouvelle terre. Cette terre, avec le temps, pouvait devenir une patrie, c'est-à-dire la terre des pères. Ainsi, les Celtes quittant l'Europe orientale et l'Asie centrale pour l'Europe de l'Ouest se sont-ils déracinés pour s'installer dans des espaces nouveaux dont ils firent leur patrie. Ils les façonnèrent, mais aussi leur culture évolua selon les lieux. C'est pourquoi les Celtes ne sont pas les mêmes selon qu'ils aient vécu en Gaule, sur l'île de Bretagne, en Hispanie ou en Italie du Nord. Les hommes présents avant eux sur ces lieux et les particularités géographiques de leurs nouveaux États ont contribué à les façonner, autant qu'ils les façonnèrent.

    Un phénomène comparable, mais de plus grande ampleur, peut être observé avec la construction des Etats-Unis au XIXe siècle, État né très largement des migrations venues de toute l'Europe, en somme de déracinés qui se sont approprié la terre américaine et en sont devenus les patriotes.

    L'enracinement n'est pas réduit à l'image du clocher et des pâturages. On peut parler, en France ou en Belgique, de ré-enracinement pour les ouvriers du XIXe siècle qui, déracinés de leurs campagnes, jetés dans l'univers déshumanisé des centres industriels, se les sont appropriés, les ont justement humanisés en leur donnant une identité. Il y a, dans ces centres ou anciens centres ouvriers, encore aujourd'hui, une architecture, une culture spécifiques, fruit de la vie de ces hommes pour lesquels ces lieux sont devenus la patrie, la terre des pères.

    L'enracinement est une donnée de nature, en ce sens que l'on naît forcément quelque part et que l'on vit, soit dans ce lieu, soit dans un autre, avec le désir d'y faire souche. Si l'on veut quitter sa terre, ce n'est pas pour devenir un apatride, mais pour faire souche quelque part. En somme, on se sent toujours d'un lieu, ou l'on aspire à se sentir d'un lieu, en somme à avoir une pierre ou reposer notre tête… C'est pourquoi, outre le donné de nature, on peut dire que l'enracinement est un besoin vital. Il ne peut pas y avoir de communauté humaine solide sans la stabilisation du peuplement sur un territoire. Cette communauté ne s'exprime pas seulement par des rapports économiques, mais aussi par des échanges culturels, spirituels, amicaux ou matrimoniaux. Pour que ces échanges soient possibles il faut qu'il y ait, à un moment ou un autre cet enracinement qui façonne l'identité, c'est-à-dire qui contribue autant que ma famille, ma foi et mon métier à dire « qui je suis ».

    Aujourd'hui, en Europe et plus spécialement en France, il est permis de parler de déracinement perpétuel. Celui-ci est d'autant plus préoccupant. En effet, jusqu'au milieu du XXe siècle, les historiens ethnologues pouvaient écrire que les bassins de peuplement français et européens étaient demeurés sensiblement les mêmes depuis la préhistoire. Il n'y avait pas eu de bouleversement humain majeur malgré les invasions, les migrations ou les catastrophes demeurées marginales par rapport au total du peuple. Les hommes avaient changé mais ils étaient, majoritairement, toujours là où s'étaient installés leurs ancêtres dans la nuit des temps.

    Actuellement, la nécessité de quitter sa région ou son pays pour ses études ou pour sa carrière professionnelle entraîne un chamboulement de ces équilibres humains. La tendance s'est inversée et, du moins en France, les jeunes hommes ayant effectué toute leur vie sur un seul territoire sont devenus la minorité, tandis que les autres se sont déracinés pour leurs études ou leur métier. Ce ne serait pas bien grave dans les relations humaines si ce déracinement était suivi d'un ré-enracinement. Mais la multiplication des mouvements géographiques au cours de la vie rend plus difficile le ré-enracinement. En outre, souvent la nouvelle installation se fait dans un territoire déjà bâti et saturé de constructions correspondant à un patrimoine tout à fait étranger, comme les barres HLM où s'entassent des millions de pauvres, sans possibilité pour eux de s'approprier les lieux par la construction.

    Par ailleurs, l'affaiblissement de la structure familiale qui crée des bataillons d'orphelins sociaux, amoindrit encore plus les possibilités de ré-enracinement. En effet, il est plus difficile pour l'homme seul d'être identifié par ses semblables dans un territoire nouveau, et il lui est plus difficile d'y tisser ses liens sociaux. L'isolement social et familial diminue la capacité d'insertion territoriale et donc d'identification. L'orphelin, en somme, à l'échelle d'une région ou d'une ville, devient un apatride.

    Ce sentiment est encore renforcé par l'état actuel des lois de succession, où le partage équitable entre héritiers et le versement de droits à la puissance publique, rend souvent nécessaire la vente de la maison parentale, perçue comme la maison de l'enfance ou des ancêtres, sans qu'il y ait possibilité de racheter un bien dans le même lieu ou dans le voisinage, faute de réunir le capital suffisant à cause de l'éclatement du patrimoine hérité et de sa diminution par la fiscalité.

    On peut dire que tout est fait, dans notre monde, pour créer des générations entières d'apatrides déboussolés et donc d'autant plus fragiles devant l'oppression qu'ils ont moins de repères où se réfugier pour mieux résister.

    Comme pour la famille, ce mal frappe en premier lieu les populations socialement les plus fragilisées, car disposant du moins de ressources financières ou d'assise territoriale pour rester en un lieu sur plusieurs générations ou pour se l'approprier en cas de migration.

    Cet isolement territorial est doublé d'un isolement dans l'emploi.

    A suivre…

    Gabriel Privat

    Du même auteur :

    -          Publié le jeudi 17 septembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. La Famille

    http://www.vexilla-galliae.fr/points-de-vue/editoriaux/1573-anthropologie-politique-une-societe-anti-humaine-l-enracinement-territorial

  • Cercle Henri Lagrange : [Vidéo] Julius Evola : un portrait politique (entretien avec Arnaud Guyot-Jeannin)

    Entretien du Cercle Henri Lagrange avec Arnaud Guyot-Jeannin (journaliste et essayiste) avec un portrait politique de Julius Evola .

    http://www.actionfrancaise.net/craf/?Cercle-Henri-Lagrange-Video-Julius

  • Il y a un lien intellectuel très fort entre communisme et islamisme

    Jean-François Chemain, professeur dans un collège de banlieue, répond àFamille chrétienne. Extraits :

    "L’assaut mené le 18 novembre au matin contre les terroristes s’est déroulé à quelques pas de la basilique Saint-Denis. Quel symbole pour la France !

    Saint-Denis est en effet l’épicentre religieux de la France. La « Plaine du Lendit », entre la colline de Montmartre et Saint-Denis était, avant la conquête romaine, l’ombilic religieux des Celtes. Les druides venaient ici de toutes les Gaules. Selon les chroniqueurs latins, l’empereur Constantin s’y serait converti alors qu’il était « césar » de Gaule et de Bretagne. Il aurait eu la révélation d’un « Dieu unique qui apporte la victoire »… On sait que Denis et son compagnon martyr Éleuthère ont payé de leur vie pour évangéliser la région. À Saint-Denis, était conservée la sainte ampoule qui servait aux sacres des rois de France à Reims. Le cri de guerre de l’époque des rois était « Montjoie Saint-Denis ! » ce qui signifie, selon certains spécialistes, « protège notre pays, saint Denis ! »

    Mais la ville de Saint-Denis est devenue une « banlieue rouge » aux mains des communistes ?

    Pour moi, cette gauche incarne le cléricalisme absolu. Le communisme voulait établir le royaume de Dieu sur terre de manière politique. Il n’est pas antichrétien, seulement anticatholique : l’Église est sa principale concurrente ! Le Parti remplace l’Église. L’invitation évangélique à la « sainteté », de personnelle et facultative, devient une obligation politique collective sous peine de l’enfer sur terre. C’est pourquoi cette gauche a sacralisé le pouvoir politique.

    Mais comment l’islamisme a-t-il pu prendre le relais de l’idéologie communiste ?

    Il y a un lien intellectuel très fort entre communisme et islamisme. Je pense au sociologue Jules Monnerot qui écrivait que le « communisme [était] l’islam du XXe siècle ». Ils partagent le même mécanisme intellectuel, simpliste, qui consiste à dire qu’il existe deux catégories d’êtres humains : les bons et les méchants… Pour les communistes, les bons sont les prolétaires et les mauvais les bourgeois ; pour l’islamisme, les bons sont les « fidèles » et les méchants les « infidèles », dont les chrétiens… Les « bons », qui ne sont que bons, sont intrinsèquement victimes des « méchants », 100 % méchants. Ils forment un peuple élu persécuté. Pour instaurer le royaume de Dieu sur terre, ou mettre fin à l’oppression, il suffit d’éliminer les « méchants ». La violence est légitime, et se justifie en permanence par les éventuelles réactions violentes de ceux qui en sont les victimes. C’est le loup de La Fontaine, qui dévore l’agneau parce que lui, ou son frère, a dit que les loups sont méchants. [...]"

    Michel Janva http://lesalonbeige.blogs.com/my_weblog/web.html

  • 1914-1918 : bourrage de crâne et réinformation

    Auteur à peine connu, lui-même ancien combattant de 1914-1918, Norton Cru a mis son expérience de poilu au service de l’étude et de la critique des témoignages.
    En 1929, son remarquable essai « Témoins » (1), sous-titré de manière explicite « Essai d'analyse et de critique des souvenirs de combattants édités en français de 1915 à 1928 », provoqua de violentes polémiques, avec toute la virulence dont était capable la presse de l’époque. Son ouvrage remettait en cause, par exemple, le caractère véridique et réaliste de romans aussi célèbres que « Le Feu » d'Henri Barbusse ou les écrits de Roland Dorgelès. Seul contre tous, il a dû repartir pour les Etats-Unis reprendre l’enseignement qu’il avait dû quitter en 1914 pour rejoindre le front. Son livre est quasiment tombé dans l’oubli du public mais, heureusement, pas dans celui des universitaires (2).
    Mais si les témoignages des survivants de l’horrible massacre ne correspondaient pas exactement à la réalité des faits, il faut dire que, pendant la longue durée des hostilités, s’était propagée dans les médias de l’époque, c’est-à-dire les journaux à forte imprégnation idéologique, une propagande à la fois naïve et exécrable qui avait conditionné les esprits aussi bien de ceux de l’arrière que ceux des combattants du front eux-mêmes. Aujourd’hui, avec l’amélioration constante et foudroyante des  technologies de communication, on a fait beaucoup mieux en matière de propagande : voir, par exemple, les couveuses du Koweit et les armes de destruction massive (ADM) irakiennes.
    Polémia

    Tous ces bobards dans les journaux, pendant la guerre de 1914-1918 : un cas d’école

    Le 90e anniversaire de l’armistice de 1918 a montré que cette guerre ne cesse pas de hanter la mémoire collective, en particulier par ses atrocités longtemps occultées. Le président de la République a ainsi évoqué, le 11 novembre dernier, avec justesse dans son discours à la Nécropole nationale de Douaumont ces hommes fusillés « pour l’exemple », « dont on avait trop exigé, qu’on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre et qui un jour n’ont plus eu la force de se battre. »

    Un autre aspect de cette guerre mérite aussi d’être gardé en mémoire pour le présent comme pour l’avenir : c’est la mobilisation des journaux soumis à la censure avec leurs colonnes blanches, sous prétexte d’accroître les ressources morales des citoyens du pays en guerre. On l’a nommée « le bourrage de crâne ». On reste médusé. Comment, en effet, les journaux ont-ils pu diffuser si massivement des informations aussi invraisemblables sans craindre de perdre toute crédibilité ?

    I – Une diffusion massive de leurres invraisemblables

     C’est à longueur de colonne qu’ils répandent les informations les plus absurdes.

    1/ Des bobards énormes

    Ces bobards ont trait aux armes. Plus elles sont perfectionnées, moins elles causent de morts et de blessés ! (« Le Temps », 4/8/1914). Celles de l’ennemi, en tout cas, ne sont pas dangereuses ; c’est de la camelote ! (« L’Intransigeant », 17/8/1914) : les obus (shrapnels) éclatent en pluie de fer inoffensive ! Les blessures par balles ne sont pas dangereuses ! Les gaz asphyxiants, eux, ne sont pas bien méchants ! (« Le Matin de Paris », 27/4/1915). En somme, les balles allemandes ne tuent pas ! En revanche, les armes françaises sont, elles, efficaces : la baïonnette est même une arme « poétique », « chevaleresque » même, « d’une sûreté chirurgicale » !… (« L’Echo de Paris », 10/7/1915, « L’Intransigeant », 15/12/1914).

    Les hommes, eux, sont répartis en deux camps évidemment.
    • L’ennemi allemand est taré : il est maladroit dans ses tirs (« L’Intransigeant », 17/8/1914) ; c’est un barbare qui coupe les mains des enfants et attache les prêtres aux battants des cloches ou transforme les cadavres en savon (« The Sunday Chronicle », «  Corriere della Sera », « Le Matin de Paris », fin août 1914) ; c’est même un lâche qu’il faut injurier pour l’obliger à combattre (« L’Echo de Paris », 15/8/1914).
    • Rien à voir, évidemment, avec le soldat français qui, lui, au contraire, est héroïque : il se dispute avec ses camarades pour monter au front (« Le Matin de Paris », 15/11/1914) ; il supporte les blessures avec gaieté, fierté et courage (« L’Intransigeant », 17/8/1914) ; le sens du devoir l’empêche de ressentir la douleur, telle l’ordonnance qui vit sa main tranchée par un éclat d’obus et alla la ramasser encore toute crispée sur le message qu’il apportait au général, avant de s’évanouir (« L’Intransigeant », 3/9/1916) ; la guerre lui paraît, en tout cas, moins redoutable que le baccalauréat (« Le Petit Journal », 11/7/1915 ) ; il se demande même ce qu’il pourra bien faire quand la guerre sera finie (« Le Petit Parisien », 22/5/1915) ; blessé, le soldat souhaite écourter sa convalescence pour repartir au front le plus tôt possible (« Le Petit Journal », 5/5/1916).

    2/ La création d’une hallucination collective
    Ce sont là, on en conviendra, des bobards invraisemblables pour un esprit rationnel, qui contribuent à l’instauration d’une hallucination collective. La relation de cause à effet n’est plus perçue ; l’évidence est niée.
    L’innocuité des armes est proportionnelle à leur perfectionnement ; obus, balles et gaz, armes redoutables, sont présentés comme inoffensifs ; la baïonnette est célébrée, avec fétichisme, comme une personne impatiente de tuer l’ennemi.
    Le jugement sur les hommes est, quant à lui, d’une partialité outrancière selon une distribution manichéenne des rôles caricaturale : l’ennemi allemand est nul ; le soldat français est héroïque. Les faits rapportés sont même contradictoires : l’ennemi est maladroit et ses armes inefficaces, mais il y a pourtant des morts et des blessés français en grand nombre ; l’ennemi est nul, mais le soldat français est héroïque : or « à vaincre sans péril, (ne) triomphe (-t-on pas) sans gloire » ? 

    II – Un faisceau de réflexes stimulés favorisant la réceptivité aux bobards

    Comment les journaux ont-ils pu massivement diffuser de tels bobards sans craindre de perdre tout crédit ? On propose une hypothèse : les lecteurs prenaient ces bobards pour des informations fiables, compte tenu de leur cadre de référence qui les rendait insensibles aux relations de cause à effet, aux contradictions et à la partialité des jugements. Le « bourreur » implique un « bourré » qui consent à ce qu’on lui « bourre » le crâne. Et quelle responsabilité en revient à l’Ecole d’alors ? A quoi donc a servi l’instituteur qu’il est d’usage de couvrir d’éloges et de célébrer comme « le hussard noir de la République » ?

    1/ Le cadre de référence des lecteurs a été formé avant la guerre où étaient inculqués des réflexes de patriotisme et de nationalisme :

             a) Un patriotisme blessé
    Depuis 1871, un patriotisme blessé de défense est inculqué au citoyen français qui doit se préparer à la revanche contre la Prusse/Allemagne pour récupérer les provinces perdues, l’Alsace et la Lorraine. A l’école primaire on apprend à lire dans le livre de Bruno, « Le tour de France par deux enfants », qui mène les écoliers de province en province jusqu’à se heurter « à la ligne bleue des Vosges » au-delà de laquelle vivent sous la botte allemande les chères provinces perdues…

             b) Un nationalisme vengeur
    Ce patriotisme de défense s’accompagne d’un nationalisme vengeur : celui-ci célèbre l’excellence de la nation française ; et simultanément est enseignée la haine du « boche » barbare qui occupe indûment une partie du territoire national.

    2/ Pendant la guerre, trois réflexes principaux sont activement stimulés :

             a) Le premier est « la transe de la forteresse assiégée » qui fait taire toutes les querelles et les critiques face au danger commun. A la déclaration de guerre en août 1914, le pays est tétanisé par le réflexe du patriotisme : c’est « l’Union sacrée » de quasiment toutes les familles d’opinion autour du gouvernement.

             b) Le deuxième est la soumission aveugle à l’autorité qui conduit les citoyens à croire l’information que livre, par le canal des journaux, le gouvernement en charge du salut du pays.

             c) Le troisième est la soumission de l’individu à la pression exercée par le groupe, qui rend difficile toute velléité d’indépendance d’esprit et de doute méthodique, avec la crainte, en se distinguant, de passer pour un traître. Dans le danger, l’individu est contraint de s’intégrer davantage au groupe, pour les informations, les conduites à tenir, l’alimentation, etc.

    3/ Ces trois réflexes sont, en outre, associés à trois autres qui paralysent toute exigence de rationalité :

             a) L’un est évidemment le réflexe inné de la peur.

             b) Le deuxième est le réflexe socioculturel conditionné de compassion et d’assistance à personne en danger. Ce réflexe est stimulé par la division du pays en deux : l’arrière et le front, qui implique une distribution manichéenne des rôles :

    1. au front se trouvent ceux qui exposent leur vie, les courageux, les meilleurs, les héros ;
    2. à l’arrière s’abritent les autres, qui contribuent à l’effort de guerre mais ne peuvent rivaliser avec les héros ; ils sont parfois même suspectés d’être des « tire-au-flanc » ou des profiteurs.

    c) Le dernier réflexe est le réflexe de culpabilité.

    Cette distribution manichéenne des rôles favorise une prise de partie favorable pour ceux du front, les héros, et défavorable pour ceux de l’arrière, qui connaissent, bon gré, mal gré, un sentiment de culpabilité, avivé par des affiches (Cf. « Moi, je verse mon sang. Et vous ? Versez votre or ! »).

    L’inconfort du réflexe de culpabilité peut alors être soulagé de trois manières :

     L’héroïsation à volonté des soldats en est une : elle ne souffre évidemment aucune discussion.
    • L’assistance humanitaire en est une autre, par l’envoi de dons en argent ou en nature (les colis, les parrainages) aux soldats du front.
     La troisième manière n’est pas moins efficace : c’est une possible grande réceptivité à des informations minimisant les dangers encourus par les soldats du front : moins le danger est grand, moins grand est le sentiment de culpabilisation envers les soldats. Paradoxalement, les soldats du front, eux-mêmes, lors des permissions ou à leur retour, contribuent par pudeur ou fanfaronnade, à minimiser les risques encourus, allant ainsi au devant de l’attente des récepteurs culpabilisés dont la peur et la culpabilisation peuvent décroître.

    On peut penser – du moins est-ce une hypothèse plausible – que sous l’empire de ces réflexes conjugués le citoyen est devenu sourd et aveugle à toute rationalité : les bobards les plus invraisemblables pouvaient lui être servis à volonté par des journaux que censuraient les dirigeants politiques et militaires. Ceux-ci avaient ainsi les coudées franches pour agir à leur guise.

    Qu’en serait-il aujourd’hui ? Qui oserait affirmer qu’avec 90 ans d’Ecole publique laïque supplémentaires le niveau culturel atteint par la moyenne des Français les met à l’abri de pareilles aventures hallucinatoires ?

    Paul Villach, 18/11/08
    http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=47397

    Correspondance Polémia
    24/11/08

    (1) Norton Cru, « Témoins », Presses universitaires de Nancy, 1993 (Ed. Les Etincelles, 1929, pour l'édition originale).

    (2) Frédéric Rousseau, « Le Procès des témoins de la Grande Guerre. L'Affaire Norton Cru », Ed. du Seuil, 2003, p. 267.

    http://archives.polemia.com/article.php?id=1802

  • LE CORAN : IMPRESSIONS DE LECTURE

    Cela faisait longtemps que je voulais en avoir le cœur net. J’avais déjà fait quelques tentatives, mais à chaque fois découragées par le rébarbatif de l’entreprise. Et puis, surmontant enfin ma répugnance, j’ai attaqué le monument par la face nord, je veux dire la première sourate. Cette fois c’est la bonne : je lis le Coran. 

    Et cela dans la traduction d’un éminent connaisseur de la langue et de la civilisation arabes : Jacques Berque. L’édition est belle, le papier de qualité, la reliure solide : on peut avoir confiance. Si j’en crois l’abondance et l’érudition (souvent énigmatique pour le néophyte que je suis) des notes de bas de page, je soupçonne le monsieur d’avoir au préalable épluché une bonne partie de la monstrueuse littérature (commentaire, glose, exégèse, interprétation, ...) que le bouquin a suscitée au cours de l’histoire. Et j'estime en avoir lu désormais suffisamment pour commencer à livrer mes impressions de lecture. Et je vais vous dire : si ce n’est pas triste, c’est juste parce que c’est effrayant, le Coran. 

    Première impression : tout ça n’a ni queue ni tête. Le Coran se présente sous la forme d’un innommable fatras, « éparpillé façon puzzle ». Le propos est horriblement décousu, passant à chaque instant d’une idée à l’autre, d’un thème à un autre. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’auteur, qui qu’il puisse être, aurait voulu embrouiller le lecteur, il ne s’y serait pas pris autrement. De quoi se demander d’ailleurs si ce n’est pas le but recherché. 

    Il est rare qu’une sourate comporte la moindre homogénéité, la moindre cohérence, la moindre continuité de son début jusqu’à sa fin (j’excepte à la rigueur la sourate Yusuf, qui raconte à peu près, quoiqu’à sa manière – il faut suivre –, l’histoire de Joseph et de ses frères). Pour l’essentiel, ce sont des pièces et des morceaux rassemblés à la diable. Rares sont les phrases qui vont du début à la fin sans s’interrompre. Comme le dit lui-même Tarek Oubrou (imam de la mosquée de Bordeaux) invité chez Finkielkraut, c’est l’anarchie qui règne. Ce qui m'étonne c'est que ça n’a pas l’air de l’embêter. 

    En plus de me dire que l'islam a quelque chose à voir avec le désordre, j’en tire la réflexion suivante : je me dis que tous les musulmans sincères et assidus, en particulier ceux qui apprennent le Coran par cœur (il paraît qu’ils sont nombreux à s’infliger le pensum), ont la tête farcie de cette bouillie intellectuelle. Comment peut fonctionner un cerveau qui a longuement baigné dans un tel jus de puzzle ? Il y a de quoi avoir peur. 

    Deuxième impression : le Coran n’apporte strictement rien de neuf par rapport à l’Ancien Testament comme au Nouveau. Tout juste cite-t-il des bribes de l’un comme de l’autre, de temps à autres, sans qu’on sache à quelle logique ces parachutages obéissent. Ainsi le livre est-il parsemé de crottes plus ou moins volumineuses de la Torah et des Evangiles, avec une référence obstinée à Abraham, toujours considéré comme le « croyant originel », celui dont l’existence précède jusqu’à « la descente de la Torah comme de l’Evangile » (en contestant au passage la chronologie habituelle). 

    De toute façon, le Coran vient « accomplir » ce que n’ont pas voulu accomplir les juifs et les chrétiens (appelés « les Gens du Livre ») : « Enfin Nous avons fait descendre sur toi l’Ecrit, dans le Vrai, pour avérer ce qui était en cours, en l’englobant ». Traduction : toi le mécréant, j’espère que tu as compris que le Coran est supérieur à l’Ancien et au Nouveau Testaments réunis, puisqu’il les englobe ! 

    Troisième impression : l’infernal ressassement de certaines formules, de certaines affirmations, de certaines idées. Comme si le même marteau voulait vous enfoncer le même clou dans le crâne. A tous les détours des pages, on tombe sur « Dieu est Tout pardon, Miséricordieux ». On tombe aussi sur le « jardin sous lequel les ruisseaux coulent » promis à tous ceux qui adorent Dieu ; sur « Quant aux dénégateurs, eh bien ! Je les châtierai de durs châtiments dans ce monde et dans l’autre ». Bref : apprendre le Coran par cœur, c’est apprendre à rabâcher une Vérité simplissime jusqu’à vous crever les yeux. 

    Jacques Berque, le traducteur, le signale d’ailleurs en note de la sourate XV : « Peut-être qu’il est seulement question des duplications et itérations de l’exposé coranique » (p.277). Va donc pour les duplications et itérations. Le plus curieux ici, c’est que cette composition extrêmement insistante dans la répétition m’a rappelé l’impression que j’avais éprouvée en ouvrant le célèbre et totalement méconnu Mein Kampf, d’un certain Adolf Hitler. Je n'en tire pas de conclusion décisive.

    Une composition, en quelque sorte, organisée en spirale, où les mêmes thèmes reviennent constamment sous des habits un peu différents, comme si l’auteur passait son temps à avancer, tout en récapitulant ce qui a précédé. Jacques Berque, dans ses notes de bas de page, ne parle pas de construction en spirale, il parle d’ « entrelacs » : « Le thème du châtiment des peuples passés n’occupe pas ici la même place que dans "Les Poètes", mais devient partie intégrante d’un discours à entrelacs » (p.271). Va pour les entrelacs. 

    Quant au style, on trouve très peu de phrases simplement déclaratives, mais constamment des exhortations, des impératifs. A chacun d'en tirer les conclusions.

    Quatrième impression : l’humanité se divise en deux. D’un côté ceux qui croient en Dieu, de l’autre le reste de l’humanité. Parmi les composantes de ce dernier (le "reste"), un sort particulier est fait aux « Gens du Livre », autrement dit aux juifs et aux chrétiens, mais l’essentiel, qui est seriné à presque toutes les lignes, c’est l’espèce de mur infranchissable que la « Parole » élève entre les croyants et les autres, irréconciliables par essence. J'attends qu'on m'explique où l'on peut trouver des références communes entre les adorateurs de ce livre-là et les Européens enracinés dans un sol d'origine chrétienne.

    Toutefois, le Coran fait une distinction : si les chrétiens sont plutôt des « égarés » (sous-entendu : qu’on peut espérer ramener dans le bon troupeau), les juifs sont quant à eux des « réprouvés ». Leur destin est tout tracé : « Tandis que les dénégateurs, à rien ne leur serviront auprès de Dieu biens ni progéniture. Ceux-là seront les compagnons du Feu : ils y seront pour l’éternité » (sourate III verset 116). 

    Et pourtant, on lit ailleurs : « Ceux qui croient, ceux qui suivent le Judaïsme, les Chrétiens, les Mandéens, quiconque croit en Dieu et au Jour dernier, effectue l’œuvre salutaire, ceux-là trouveront leur salaire auprès de leur Seigneur. Il n’est pour eux de crainte à nourrir, et ils n’éprouveront nul regret » (sourate II, verset 62). Allez comprendre ! Même que Jacques Berque commente en note : « Verset œcuménique avant la lettre ! » (p.34). 

    Ce qu’il faut retenir ici, c’est que cette division de l’humanité entre le camp du Bien (les croyants) et le camp du Mal (les autres) est rappelée à tout instant, martelée, serinée, parfois trois fois par page. 

    Que ceci soit bien entendu : je ne dis pas que ma lecture est complète, ni qu’elle est neutre. J’ai commencé, je ne sais pas quand je finirai (il me reste à peu près la moitié à ingurgiter). De plus, ma lecture est sans doute pleine de préjugés, voire de partis pris. Mais je ne suis pas a priori islamophobe. Je l’ai dit : ce sont des impressions de lecture. Ma conclusion : imbuvable.

    Je dis seulement que ce que j'ai lu du Coran ne m'encourage pas à l'islamophilie, bien au contraire.

    J’ai lu la Bible. Elle me fait moins peur que le Coran.

    Voilà ce que je dis, moi.

    Note : j'y reviendrai sans doute quand j'aurai achevé la lecture.

    http://lantidote.hautetfort.com/archive/2015/11/19/lire-le-coran-5718449.html

  • Éloge de la beauté des femmes

    Texte tiré des Confessions de Félicula écrites par Ernest Renan sur les origines du christianisme dans la capitale des Gaules et publiées en 1914 par Noémi Renan. Sauf dans la répartition des dons entre les sexes, son propos n'a pas pris une ride quand on le rapproche des conventions sociales islamiques d'aujourd'hui concernant la femme. Arrivent donc à Lyon, derrière les Smyrniotes, une cohorte de saints de Phrygie prêchant l'ascèse totale. Felicula ne se convertit pas à cette nouveauté :

    « J'éprouvais pour ces saints une sorte d'aversion. Ils me faisaient scrupule du moindre ornement, d'une coupe élégante de la robe noire que portaient toutes les sœurs, d'une disposition heureuse de la bande de pourpre que leur condition permettait à certaines. Un tour heureux donné aux cheveux leur paraissait un crime. J'avais pour disposer les bandeaux blonds de ma chevelure un petit art discret de jeune fille. Ramenant sur l'arrière les abondantes masses que me fournissaient mes tempes et le sommet de ma tête, j'en formais par derrière une masse enroulée que retenait une bandelette infibulée d'or. Ils blâmaient ce très innocent artifice. Cette horreur de la beauté me paraissait un blasphème. Pourquoi Dieu a-t-il créé la femme belle, si cette beauté est pour le mal ? Dieu tenterait donc à plaisir sa créature ? Non, j'ai toujours cru et je crois encore, malgré les malheurs de ma vie, que la beauté vient de Dieu, et constitue le meilleur trésor de la femme, même quand elle la garde pour elle seule. Les dons de l'homme sont la force, le courage, la science, le génie. Le don de la femme est la beauté. Par l'éclat seul de sa beauté, elle apprend et prouve ce que le docteur enseigne péniblement et avec de longs détours. Elle est un abrégé de la bonne création, l'argument suprême de Dieu ; car sa beauté n'est au fond que l'argument de sa bonté intérieure, de ses vertus.
    Je sais bien que l'insupportable Fulgentius faisait quelquefois en ma présence d'odieux sophismes sur ce point. "La beauté des femmes, disait-il, me rappelle les temples de l'Egypte. Le dehors ne prouve rien pour le dedans. Voyez le dehors; que c'est beau ! que c'est saint ! Entrez-y; savez-vous ce qu'il y a derrière tout cet appareil ? Quelque bête immonde, un bouc, un serpent." Oh! le vilain homme ! Qu'il était loin des voies de Dieu !
    La preuve, c'est qu'une femme bonne n'est jamais laide. Sa bonté peinte sur sa figure est sa beauté. Nos vieilles diaconesses ne sont jamais laides. Une jeune fille charmante et modeste est toujours assez belle.
    Pothinos (ndlr: premier évêque de Lyon) voyait bien mes innocents artifices et ne les blâmait pas. Irénée ne les voyait pas. Sa sainteté était née avec lui et l'occupait tout entier. Jeune, il était vieillard pour les sens et la sagesse. Quand je voyais louer les grands artistes qui ont fait les statues célèbres qu'on propose à notre admiration, je ne pouvais m'empêcher de penser que la femme qui se pare ou travaille à parer les autres est un grand artiste aussi. Dans l'âge actuel du monde, âge de péché et d'intempéries, la nudité étant justement interdite, l'art de parer la femme avec ses vêtements est le premier des arts. Et peut-être qu'un jour, quand, avec l'innocence et le chaud soleil du royaume de Dieu, reviendra le temps où tous iront nus sans rougir, regrettera-t-on le temps où l'attrait divin de nos formes était dissimulé en partie et rendu par là plus attrayant. J'imagine qu'on en conservera quelque chose, et qu'après la résurrection, il y aura place encore pour cet art divin, par l'emploi discret de certaines bandelettes, par l'agencement de certains bandeaux..

    [Ernest Renan (1823-1892) - manuscrit inachevé]