culture et histoire - Page 1740
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Fraction - Korentin
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Julius Evola : "Les droits supérieurs"
Le militarisme est, comme on le sait, une des bêtes noires des démocraties modernes, et la lutte contre le militarisme un de leurs mots d’ordre préférés, qui va de paire avec un pacifisme hypocrite et la prétention de légitimer la « guerre juste » sous la seule forme d’une nécessaire opération internationale de police contre un « agresseur ». Durant la période qui englobe la Première et la Seconde Guerre mondiale, le « militarisme prussien » est apparu aux démocraties comme le prototype du phénomène à conjurer. Nous constatons ici une antithèse caractéristique, qui concerne moins les relations entre groupes de nations rivales, que deux conceptions générales de la vie et de l’État, et même deux formes de civilisation et de société distinctes et irréconciliables. D’un point de vue historique et concret, il s’agit, d’une part, de la conception qui s’affirma surtout en Europe Centrale et notamment dans le cadre de la tradition germano-prussienne, d’autre part de celle qui s’affirma d’abord en Angleterre, pour passer ensuite en Amérique, et, d’une façon générale, chez les nations démocratiques, en étroite relation avec la primauté accordée aux valeurs économiques et mercantiles, et avec leur développement marqué dans le sens du capitalisme. Quant au prussianisme, nous avons déjà rappelé qu’il tire son origine d’une organisation ascétique et guerrière, celle de l’ancien Ordre des Chevaliers Teutoniques.
Essentiellement, l’antithèse réside dans la conception du rapport qui doit exister entre l’élément militaire et l’élément bourgeois, et donc la signification et la fonction qu’on leur reconnaît respectivement dans l’ensemble de la société et de l’État. Pour les démocraties modernes – selon une conception qui, nous l’avons vu, s’est d’abord imposée en Angleterre, mère-patrie du mercantilisme -, l’élément primordial de la société est représenté par le bourgeois et la vie bourgeoise du temps de paix, dominé par des préoccupations de sécurité physique, de bien-être et de prospérité matérielle, le « développement des lettres et des arts » servant de cadre ornemental. Selon cette conception, c’est en principe l’élément « civil » ou, si l’on préfère, « bourgeois » qui doit gouverner l’État. Ses représentants président à la politique et – selon l’expression bien connue de Clausewitz – ce n’est que lorsque la politique, sur le plan international, doit être poursuivie par d’autres moyens, que l’on a recours aux forces armées. Dans ces conditions, l’élément militaire et, en général, guerrier, est réduit au rôle secondaire de simple instrument et ne doit ni s’intégrer ni exercer une influence quelconque dans la vie collective. Même si l’on reconnaît aux « militaires » une éthique propre, on ne juge pas souhaitable de la voir s’appliquer à la vie normale de la nation. Cette conception se relie étroitement, en effet, à la conviction humanitariste et libérale que la civilisation vraie n’a rien à voir avec cette triste nécessité et cette « inutile boucherie » qu’est la guerre ; qu’elle a pour fondement non les vertus guerrières mais les vertus « civiles » et sociales liées aux « immortels principes » ; que la « culture » et la « spiritualité » s’expriment dans le monde de la « pensée », des sciences et des arts, alors que tout ce qui relève de la guerre et du domaine militaire se réduit à la simple force, à quelque chose de matérialiste, dépourvu d’esprit.
Dans cette perspective, plutôt que d’un élément guerrier et militaire, c’est de « soldats » que l’on devrait parler, car le mot « soldat » très proche par le sens de celui de « mercenaire », désignait à l’origine celui qui exerçait le métier des armes pour recevoir une solde. Il s’appliquait aux troupes à gages qu’une cité enrôlait et entretenait pour se défendre ou pour attaquer, puisque les citoyens proprement dits ne faisaient pas la guerre mais vaquaient, en tant que bourgeois, à leurs affaires privées. Aux « soldats » compris dans ce sens s’opposait le guerrier, membre de l’aristocratie féodale qui constituait le noyau central d’une organisation sociale correspondante et n’était pas au service d’une classe bourgeoise ; c’est le bourgeois, au contraire, qui lui était soumis, sa protection impliquant dépendance, et non suprématie par rapport à celui qui avait droit aux armes.
Malgré la conscription obligatoire et la création des armées permanentes, le rôle reconnu au militaire dans les démocraties modernes demeure plus ou moins celui du « soldat ». Pour elles, répétons-le, les vertus militaires sont une chose, les vertus civiles une autre ; on met l’accent sur les secondes, ce sont elles auxquelles on se réfère, essentiellement, pour modeler l’existence. Selon la formulation la plus récente de l’idéologie qui nous occupe, les armées n’auraient d’autre rôle que celui d’une police internationale destinée à défendre la « paix », c’est-à-dire, dans le meilleur des cas, la vie paisible des nations les plus riches. Dans les autres cas, on voit se répéter, derrière la façade, ce qui se passa déjà pour la Compagnie des Indes et des entreprises analogues : les forces armées servent à imposer et à maintenir une hégémonie économique, à s’assurer des marchés et des matières premières et à créer des débouchés aux capitaux en quête de placements et de profits. On ne parle plus de mercenaires, on prononce de belles et nobles paroles, qui font appel aux idées de patrie, de civilisation et de progrès, mais, en fait, la situation n’a guère changé : on retrouve toujours le « soldat » au service du « bourgeois » dans sa fonction spécifique de « marchand », le « marchand », pris dans son acception la plus vaste, étant le type social, la caste qui trône au premier rang de la civilisation capitaliste.
En particulier, la conception démocratique n’admet pas que la classe politique ait un caractère et une structure militaires ; ce serait, à ses yeux, le pire des maux : une manifestation de « militarisme ». Ce sont des bourgeois qui doivent, en tant que politiciens et représentants d’une majorité, gouverner la chose publique, et chacun sait combien souvent cette classe dirigeante, à son tour, se trouve pratiquement au service des intérêts et des groupes économiques, financiers, syndicaux ou industriels.
À tout cela s’oppose la vérité de ceux qui reconnaissent les droits supérieurs d’une conception guerrière de la vie, avec la spiritualité, les valeurs et l’éthique qui lui sont propres. Cette conception s’exprime en particulier, dans tout ce qui concerne la guerre et le métier des armes, mais ne se limite pas à ce cadre ; elle est susceptible de se manifester aussi sous d’autres formes et dans d’autres domaines, au point de donner le ton à un type sui generis d’organisation politico-sociale. Ici les valeurs « militaires » se rapprochent des valeurs proprement guerrières ; on estime souhaitable qu’elle s’unissent aux valeurs éthiques et politiques pour constituer la base solide de l’État. La conception bourgeoise, antipolitique, de l’ « esprit » est ici repoussée, ainsi que l’idéal humanitaire et bourgeois de la « culture » et du « progrès ». On veut au contraire fixer une limite à la bourgeoisie et à l’esprit bourgeois dans les hiérarchies et l’ordre général de l’État. Cela ne signifie pas, bien entendu, que les militaires proprement dits doivent diriger la chose publique – en dehors de cas exceptionnels, un « régime de généraux » serait, dans les conditions actuelles, fâcheux – mais qu’on reconnaît aux vertus, aux exigences et aux sentiments militaires, une dignité supérieure. Il ne s’agit pas non plus d’un « idéal de caserne », d’une « casernisation » de l’existence (ce qui est une des caractéristiques du totalitarisme), synonyme de raideur et de discipline mécanique et sans âme. Le goût de la hiérarchie, des rapports de commandement et d’obéissance, le courage, les sentiments d’honneur et de fidélité, certaines formes d’impersonnalité active pouvant aller jusqu’au sacrifice anonyme, des relations claires et ouvertes d’homme à homme, de camarade à camarade, de chef à subordonné, telles sont les valeurs caractéristiques vivantes de ce que nous avons appelé la « société d’hommes ». Ce qui appartient au seul domaine de l’armée et de la guerre, ne représente, répétons-le, qu’un aspect particulier de ce système de valeurs.
Julius Evola,
Chapitre IX de "Les hommes au milieu des ruines"
http://la-dissidence.org/2013/09/23/julius-evola-les-droits-superieurs/
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La bibliothèque d’Anne Brassié (arch 1987)
Professeur de lettres, puis attachée de presse dans l’édition. Aujourd’hui lectrice chez un éditeur de livres de poche et journaliste littéraire à la radio. Auteur de la biographie Robert Brasillach, ou encore un instant de bonheur (Éd Laffont)
Ouvrir sa bibliothèque à un ami, c'est lui raconter toute sa vie. Qui vous invite à lire ? Vos parents, vos maîtres en classe et, plus tard dans la vie professionnelle, vos amis. Très petite fille, je me nourrissais de contes et légendes du monde entier. Je m'évadais ainsi et voyageais jusqu'en Chine, sans déranger personne. Mes premières découvertes s'imposèrent : habillés différemment, les mêmes mythes se retrouvaient aux deux extrémités de la terre, les mêmes souffrances humaines, les mêmes rêves de pouvoir et de richesse et les mêmes chemins vers la sagesse. Ne riez donc plus des petites filles en nattes plongées dans leurs contes ! Elles y apprennent la vie.
Dans le bureau de mon père, un magnifique buste de Dante regardait une immense bibliothèque. Sur ses rayons, tous les Balzac recouverts de cuir rouge et de lettres d'or et tous les livres qu'il avait aimés pendant ses études, Gide et Giraudoux, Anouilh et Selma Lagerlöf, Berling. Je me souviens aussi d'un grand livre de photos sur les temples grecs en Sicile qui faisait revivre pour moi toute la Grèce antique.
Un trésor : Victor Hugo
Puis j'eus la chance de rencontrer de merveilleux professeurs de français qui jouaient plus qu'ils ne lisaient chaque scène de Corneille ou de Racine. Je pleurais avec Chimène et Esther, je hurlais avec Camille. Et je restais impressionnée à jamais par ces aspirations vers le devoir patriotique ou la sainteté. J'admirais ces princes idéals comme Auguste dans Cinna qui a tout appris des complots fomentés contre lui, mais veut tout pardonner. Et j'apprenais ce qu’était l'homme avec Montesquieu, ses Persans, et sa théorie de la relativité : « Vérité dans un temps, erreur dans un autre ». L'Iliade et l'Odyssée firent de la Méditerranée un lieu mythique qui le restera pour moi. Les textes latins me donnent en exemple la vertu civique romaine et ses accrocs et me montrent évolutions d'une République vers l'Empire. L'Anglais me donne Shakespeare. Et nous récitions avec ferveur Péguy, Nerval et Baudelaire.
Passionnée de littérature, je décidai de continuer à vivre avec les écrivains et d'enseigner. Je vivrai pauvre, mais intensément. La faculté de lettres de Nanterre ne remplit pas son office. Dans cet endroit démesuré, sale et haineux ( c’était en 66, 67 et 68), je ne trouvai qu'un seul trésor, Victor Hugo ; heureusement, il était de taille, avec Les Travailleurs de la mer ! Et un seul professeur animé par la passion des lettres et acceptant de diriger un travail sur le style de Robert Brasillach dans « Comme le temps passe ». Un ami m'avait donné ce livre, j'en avais bu chaque ligne avec bonheur et je voulais faire durer ce bonheur.
En enseignant, je retransmis les richesses que l'on m'avait données en en ajoutant d'autres avec mes élèves en France et en Afrique. Je goûtais là-bas une autre écriture et une autre poésie, profonde et envoûtante.
Quittant l'enseignement pour l'édition, je plongeai dans la littérature contemporaine française et étrangère. Et je découvre d'immenses auteurs, le Japonais Kawabata, l'Albanais Kadaré, le juif Singer, le Suédois Knut Hansum, l'Américain John Irving. Ma bibliothèque se remplit de livres d'auteurs vivants. Je fais de la place sur mes rayons pour la belle et profonde écriture d'Yves Navarre, l'étrange Bernard Da Costa, Julien Green, Pierre Jean Rémy. Des romancières aussi ressuscitant le passé en de magnifiques fresques historiques, Janine Montupet et Sylvie Dervin.
De bienheureuses circonstances m'introduisirent dans le Saint des saints de la littérature : Le Livre de Poche, le premier de tous, celui de notre enfance. Et là, je travaillais - mais était-ce un travail ? sur les œuvres complètes de Balzac, de Zola, de Stendhal, de tous ces grands monstres par la grandeur et le pouvoir de leur œuvre. Je dévore les merveilleuses lettres de Diderot à Sophie Volland, un Tolstoï peu connu, Résurrection, un Jules Vallès, révolté, avec quelques raisons de l'être, un Restif de la Bretonne, une George Sand non plus seulement l'auteur de romans champêtres mais aussi l'éducatrice féministe dans ce merveilleux livre, Mauprat, l'idéaliste politique et la femme de théâtre. Une Virginia Woolf gaie et fantaisiste dans Orlando, une Colette acide et amoureuse, un Montherlant, colosse aux pieds d'argile, une Yourcenar savante et raffinée. Un Chateaubriand immense dans les Mémoires d'Outre-Tombe, qui a connu tous les régimes politiques et toutes les fortunes, de l'exil aux postes les plus élevés.
Brasillach enfin a considérablement enrichi ma bibliothèque. Quand Pierre Sipriot, avec son sens infaillible des trésors littéraires, choisit le poète écrivain dans sa collection de biographies, entre Montherlant, Claudel et Alain, quand il me choisit pour l'écrire, j'entrai plus avant dans l'ancien monde, celui des siècles passés et découvris le nouveau, celui du 20e siècle. Une chambre à moi, comme disait Virginia Woolf, devint nécessaire pour accueillir tous ces auteurs. Brasillach m'a rendu proche des amis lointains : Virgile et Corneille, en racontant intimement leurs conflits et leurs détresses. Il me donna un autre visage de Péguy et de Bernanos. Je les connaissais priant et les retrouvais tonnant, eux aussi, contre toutes les injustices et tous les conformismes, à la recherche d'une mystique de la politique au-dessus de toute classe ou de parti. Brasillach m'entraîna dans son admiration pour Bainville, cet esprit si lucide qui prévit si tôt les conséquences du Traité de Versailles et le danger hitlérien. Brassillach me fit comprendre les fureurs et les désespoirs d'un Céline dans le Voyage au bout de la nuit ou ses pamphlets et d'un Rebatet dans les Décombres. L'horreur des tranchées de Verdun marquera au fer rouge toutes les générations de cette première moitié du siècle et sera responsable de bien des comportements vingt ans plus tard. Et les générations d'après-guerre ne comprendront jamais rien si, n'ayant jamais souffert de la guerre ou de sa menace, elles ne font pas l'effort de l'imaginer, en s'abstenant de juger.
Brasillach m'a fait aimer Mauriac
Brasillach me fera aimer certaines œuvres de Mauriac, Un adolescent d'autrefois et son journal et celles de Drieu La Rochelle. Il me rappellera que Maurois écrivit de belles biographies, celle de Shelley et celle de George Sand. Je lirais et relirais la correspondance d'Alain Fournier et de Jacques Rivière tant je m'y retrouverais. Brasillach me fera ouvrir les livres de Maurice Bardèche et y découvrir des portraits fascinants d'intelligence, de style et d'humour de Balzac, Flaubert, Stendhal, Proust et Céline et des réflexions irréfutables aujourd'hui sur la guerre et l'après-guerre dans La lettre à François Mauriac, aussi irréfutables que La lettre aux directeurs de la Résistance de Jean Paulhan.
National Hebdo du 12 au 18 novembre 1987 -
Fraction - Nuits blanches
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Pierre Le Vigan: un ouvrage en perspective
Propos recueillis par Jean Pierinot
Jean Pierinot : Vous préparez un nouveau livre. Sur quoi portera-t-il ?
Pierre le Vigan : Sur la pensée politique en Europe depuis le XVème siècle donc sur la constitution de la philosophie politique moderne. Il y sera beaucoup question de la naissance de la forme nation, de l’Etat, de son rôle, de la question de la médiation. L’homme peut-il être présent au monde directement, immédiatement? Je ne le pense pas. Je pense que l’homme est au monde en tant que membre d’une collectivité politique et populaire. L’Etat est l’aspect premier du politique mais il ne résume pas tout le politique. Tout le peuple n’est pas dans l’Etat. L’Etat peut même se retourner contre le peuple. Or l’homme appartient toujours à un peuple et existe en tant qu’acteur politique. L’Etat devrait donc, idéalement, être l’Etat des citoyens.
Jean Pierinot : Vous écrivez beaucoup et sur beaucoup de sujets. Pourquoi et comment ?
Pierre le Vigan : Beaucoup de sujets m’intéressent. Beaucoup de sujets sont liés. Difficile de réfléchir sur la guerre sans s’intéresser, parmi des milliers d’autres exemples possibles, à la théorie des trois cerveaux – qui doit d’ailleurs être discutée et non acceptée sans nuances. Difficile de s’intéresser à la pensée politique sans s’intéresser à la littérature, et bien sûr à l’histoire. Difficile de s’intéresser à la philosophie sans être attentif aux questions de la religion et des religions. En outre, toutes ces questions sont intéressantes par elles-mêmes.
Il se trouve en outre que je suis par tempérament un intellectuel en chemin. J’ai le goût d’arpenter le territoire des idées. Je n’ai jamais été un homme de chapelle, ni un doctrinaire, pas même un théoricien (et pourtant il en faut car les théories sont des appuis pour la réflexion). Je suis un homme de points de vue. C’est assez normal car quand on chemine, on multiplie les points de vue. C’est bien entendu une limite mais les limites sont faites pour être éventuellement déplacées mais pas niées.
Jean Pierinot : Vos thèmes ont-il un rapport avec votre formation ?
Pierre le Vigan : J’ai une formation d’économie, urbanisme et droit public (que j’ai enseigné un temps). Je l’ai complétée en histoire, géographie, et, plus tard, – ce qui est assez éloigné des domaines précédents – en psychopathologie. Ce dernier domaine a bien entendu un lien avec la philosophie, qui est un de mes centres d’intérêts depuis les années 80, n’ayant par ailleurs pas le moindre diplôme en ce domaine.
Jean Pierinot : Comment trouvez-vous le temps de lire et d’écrire ?
Pierre le Vigan : Il se trouve que je travaille dans le domaine du logement social. Je ne suis donc pas un « intellectuel à temps plein ». Je m’occupe notamment de travaux de bâtiment, toutes choses qui ne sont pas très philosophiques (quoi que… je renvoie à l’excellent livre Eloge du carburateur de Matthew B Crawford, sous-titré Essai sur le sens et la valeur du travail. Ed La découverte). Plus jeune, j’ai été, entre autres activités, chargé de cours dans quelques universités et formateur.
Pour écrire et publier, il n’y a pas d’autres recettes que de travailler énormément. Lire, décrire, écrire, se réécrire. Je consacre une bonne partie de mes congés au travail et prends des vacances courtes voire studieuses. Si on n’aime pas le travail on ne produit pas. Je lis surtout en annotant. J’ai quelques milliers de livres tous lus et annotés depuis les années 1970. Les notes servent de support. Elles obligent à une lecture attentive. Il faut user des livres mais ne pas se laisser user par eux. J’écoute aussi des conférences à la radio ou en téléchargement. L’oralité est en fait d’une exigence souvent supérieure à l’écrit. Lire à haute voix un de ses textes est souvent un test redoutable.
Jean Pierinot : Un conseil à donner en matière d’écriture ?
Pierre le Vigan : J’estime avoir encore beaucoup à apprendre. Vous me demandez un conseil, le voilà. : il faut se lancer. Il faut écrire sur des sujets qui vous portent. Il faut à la fois se forcer à écrire assez vite (c’est comme le vélo, si on va trop lentement, on tombe) et s’obliger à se relire maintes fois, à vérifier ses sources, à se faire relire par autrui, à s’assurer qu’on est clair et fluide. Facile à dire, moins facile à faire !Les livres de Pierre Le Vigan se commandent à « La barque d’or »
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Puissance et spiritualité dans le traditionalisme intégral
L'œuvre de René Guénon est indissociable d'un vaste courant philosophico-littéraire qui trahit l'inquiétude européenne devant l'essor technique et industriel. Ce courant regroupe, au mépris des frontières nationales, idéologiques et confessionnelles, Georges Bernanos et Oswald Spengler, Paul Valéry et Nicolas Berdiaev, Gabriel Marcel et Miguel de Unamuno, Simone Weil et José Ortega y Gasset. Ces penseurs lucides traquent les symptômes de déclin spirituel derrière le fallacieux déploiement de puissance économique. À ces courageux prophètes convaincus que l'Occident athée, scientiste et matérialiste n'échappera pas à l'inexorable loi de mortalité des civilisations, il faut joindre la génération des écrivains éprouvés au feu : les Ernst Jünger, Pierre Drieu la Rochelle et autres Henry Barbusse, dont la douloureuse interrogation sur le sens de la vie est née sous les “orages d'acier” de 1914-1918. C'est à cette génération qu'appartient Julius Évola.
Au début des années 20, J. Évola exprime à travers des poèmes d'inspiration dadaïste le drame d'une personnalité forgée dans le vacarme des canons. La Guerre, notre mère : tel est aussi le titre d'un livre d'Ernst Jünger. C'est l'époque où R. Guénon rédige l'Introduction générale aux doctrines hindoues, et où G. Marcel fait incarner par les personnages de ses premières pièces les pôles de sa vision de l'existence : l'Être et l'Avoir. Chez l'auteur du Cœur des Autres (1919), le « procès de l'objectivation » annonce déjà la critique guénonienne du « règne de la quantité ». En 1927 paraît La Crise du monde moderne. Cette année-là, Emmanuel Berl diagnostique la « mort de la pensée bourgeoise » et G. Bernanos, dans une retentissante conférence prononcée à Bruxelles, dénonce la « religion du progrès » comme « une gigantesque escroquerie à l'espérance ». N. Berdiaev appelle de ses vœux « un mouvement vers ce qui est élevé et profond ». Il croira le trouver quelques années plus tard dans le « personnalisme » d'Emmanuel Mounier.
De l'aveu même du fondateur de la revue Esprit, les alternatives doctrinales de ceux qu'on a nommés “les non-conformistes des années 30” ne sont toutefois que des slogans philosophiques exempts de toute rigueur, des cris de guerre et de ralliement, de faciles dichotomies aux assises intellectuelles fragiles. Le mot d'ordre “primauté du spirituel”, les évanescentes approximations de la “personne” que l'on oppose à “l'individu” tout cela laisse sur sa faim l'esprit friand de ces références solides sans lesquelles la révolte antimoderne se dissout en une angoisse opaque de type “existentialiste”, un vague malaise néo-romantique, une “difficulté d'être” dépourvue d'horizon lumineux. On peut en dire autant de l'antagonisme spenglerien culture-civilisation (repris par N. Berdiaev), de la distinction établie par M. de Unamuno entre la « métaphysique vitale » et la « métaphysique rationnelle », de l'opposition développée par S. Weil entre la « pesanteur » et la « grâce », et de tous les spiritualismes mal définis que le bouillonnement spéculatif de l'entre-deux-guerres fait émerger sur la toile de fond d'un obscur sentiment de décadence.
Autant l'historien des idées ne peut qu'épingler la solidarité objective qui lie R. Guénon à tous les essayistes confessant leur anxiété devant la suicidaire “fuite en avant” d'un monde d'où « Dieu s'est retiré » (G. Bernanos), autant le regard critique, soucieux de dégager de cette fermentation intellectuelle une nette hiérarchie, appréhende obligatoirement la distance qui sépare le “guénonisme” non seulement de ce spiritualisme flou et nébuleux, mais aussi d'un certain passéisme politique et religieux qui, sous prétexte d'endiguer la « rébellion des masses » (O. y Gasset), « l'irruption verticale des barbares » (Rathenau), préconise un retour au monarchisme catholique. C'est notamment pour éviter toute confusion avec le traditionalisme à courte vue de Charles Maurras et d'Action Française que le traditionalisme guénonien se dit volontiers “intégral”, ce dernier adjectif soulignant par ailleurs le caractère supra-historique de la référence.
La Tradition dont parle R. Guénon est en effet le dénominateur métaphysique commun à toutes les doctrines, religions et mythologies du passé, le noyau originel dont les croyances et les légendes ne constituent que l'écorce historique, le savoir primordial et universel qui fut révélé à l'homme au début du présent cycle, que l'humanité perdit au fil des âges, qui survécut à travers les vestiges épars des traditions particulières et dont le monde moderne consacre l’ oubli définitif, « pulvérisation de l'acquis » dont Émil Cioran fait à juste titre la caractéristique majeure de la mentalité des derniers temps.
J. Évola a toujours partagé la conception guénonienne des origines de l'humanité, la certitude de l'existence d'une Tradition primordiale, la conviction que son oubli est à la base du développement de la modernité. L'affirmation commune d'un « dualisme de civilisation » et d'un processus involutif conduisant du monde traditionnel au monde moderne explique l'estime réciproque dont R. Guénon et J. Évola ne cessèrent de se témoigner. Le second nommé écrit :
« Parmi les rares écrivains qui, en Occident, non par érudition, mais par un savoir effectif sur base initiatique, ont donné une contribution d'orientation et de clarification dans le domaine des sciences ésotériques et de la spiritualité traditionnelle, René Guénon tient une place de relief » (1).
C'est pourquoi le directeur du Diorama philosophique, expérience journalistique que Pierre Pascal qualifie d'« unique et inimitable pour son originalité et sa vivacité intellectuelle » (2) convia R. Guénon à y écrire aux côtés d'Othmar Spahn, Edmund Dodsworth et Gonzague de Reynold (3).
Réciproquement, il suffit de parcourir les ouvrages posthumes où sont recueillis les comptes rendus de R. Guénon pour s'apercevoir que ce dernier a suivi de près les moindres publications de J. Évola, y compris des articles parus dans Vita Italania et jusqu'à la présentation (préface et annotations) de Il mondo magico degli Heroi de Cesare della Riviera (4). À plus forte raison le chroniqueur du Voile d'Isis se pencha-t-il sur Révolte contre le monde moderne avec une sympathie ne l'empêchant pas de noter que « l'auteur a une tendance très marquée à mettre l'accent sur l'aspect royal au détriment de l'aspect sacerdotal » (5). Que J. Évola soit « séduit par l'assimilation de l'hermétisme â la magie » (6), qu'il tende « presque constamment à établir » cette « assimilation » (7), R. Guénon le déplore d'autant plus que la Tradition hermétique lui semble un livre « intéressant à bien des égards ». Il attribue cette fausse assimilation à une perception erronée des « rapports de l'initiation sacerdotale et de l'initiation royale », et à une volonté d'affirmer « l'indépendance de la seconde » (8).
L'admiration mutuelle des 2 principaux représentants du traditionalisme intégral ne va donc pas sans quelques réserves d'ailleurs bilatérales. Dans l'Arc et la Massue, J. Évola répond à R. Guénon sur la question fondamentale des rapports entre le sacerdoce et la royauté. Il lui reproche d'avoir « affirmé que dans les civilisations traditionnelles normales, on trouve toujours le prêtre au centre et au sommet, comme représentant suprême de l'autorité spirituelle, la royauté étant subordonnée à une caste sacerdotale » (9). Il ajoute que « cela ne se rapporte pas du tout à l'état originel, mais concerne une situation qui n'est déjà plus normale du point de vue traditionnel ».
Les relations entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel ont préoccupé R. Guénon à un point tel qu'un passage d'un de ses livres les présente comme le moteur essentiel du devenir global de l'humanité. Évoquant le conflit des brahmanes et des kshatriyas qui secoua dès la plus haute Antiquité le système hindou des castes, il écrit :
« Il ne serait d'ailleurs que trop facile de constater que la même lutte se poursuit encore de nos jours, quoique, du fait du désordre moderne et du “mélange des castes”, elle se complique d'éléments hétérogènes qui peuvent la dissimuler parfois aux regards d'un observateur superficiel » (10).
Ces lignes capitales ne sont compréhensibles qu'à condition de donner aux mots brahmane et kshatriya une signification ontologique, une acception dépassant le cadre des castes et des fonctions sociales, un sens s'élevant au niveau d'une véritable typologie spirituelle. À cette hauteur, il ne s'agit plus seulement de “prêtres” et de “guerriers”, mais d'une classification naturelle des êtres humains, d'une bipolarité psychique fondamentale dont Raymond Abellio définit très bien les termes lorsqu'il distingue les « hommes de connaissance » et les « hommes de puissance ».
Dans le monde de la Tradition, il y a une parfaite correspondance entre d'une part l'exercice du sacerdoce et de la royauté, et d'autre part l’appartenance à l'une ou l'autre de ces catégories ontologiques. C'est l’homme de connaissance qui est dépositaire de l'autorité spirituelle. C'est l'homme de puissance qui détient le pouvoir temporel. Le « mélange des castes » est notamment illustré par l'intrusion des kshatriyas dans l’Église catholique, par l'irruption d'une “volonté de puissance” sacerdotale qui détermine l'antagonisme médiéval des “Guelfes” et des “Gibelins” (la “Querelle des Investitures”, le conflit de la Papauté et de l'Empire). Dans l'opposition ultérieure, sans cesse renouvelée, de l'Église et de l'État, apparaissent les « éléments hétérogènes » notamment véhiculés par l'ascension des vaishyas. Ceux-ci constituent davantage que la “bourgeoisie marchande”. Pour rester dans la terminologie abellienne, ils forment la classe ontologique des « hommes de gestion ».
L'envahissement de la sphère politique par la mentalité gestionnaire explique par ex. la vision prospective d'un James Burnham annonçant dans les années 1945-1950 « l'ère des organisateurs », métamorphose décisive de la fonction étatique. De cette situation anormale découle le transfert de la “volonté de puissance” dans des domaines autres que la politique (théorie gramsciste de la conquête de pouvoir culturel, objectif commun à la “nouvelle Gauche” et à la “nouvelle Droite”). Parallèlement, les “hommes de connaissance” se réfugient dans des milieux spirituels situés en marge des Églises (d'où la prolifération et le succès des “sectes”). L'ancienne lutte des brahmanes et des kshatriyas se poursuit sur les champs de bataille modernes de la “métapolitique” et de la “nouvelle Gnose”. R. Guénon a raison d'y voir, non seulement un conflit de castes caractéristique des civilisations traditionnelles, mais aussi l'antagonisme de 2 types humains fondamentaux (2 « classes d'hommes », dirait Jean Thiriart) animant la totalité du devenir historique.
R. Guénon n'a pas seulement mis de l'ordre dans le fatras ésotériste du début du siècle. C'est dans le champ de toute la pensée spiritualiste contemporaine que s'exerce son influence clarificatrice. Les actuels “révolutionnaires” de gauche ou de droite qui prônent une “nouvelle culture” contre la “société de consommation” ou la “civilisation marchande” opèrent une régression intellectuelle vers le stade préguénonien de la critique antimoderne. Leur horizon mental ne dépasse pas celui des spiritualistes d'avant-guerre, à qui suffisait la dénonciation polémique du “matérialisme”, alors que s'avère tout aussi importante la distinction des niveaux de spiritualité. Pour R. Guénon, la décadence moderne ne résulte pas d'une « négation pure et simple » du spirituel. Elle provient d'une descente d'un degré supérieur de spiritualité (la connaissance) à un degré inférieur de spiritualité (la puissance). La puissance est donc considérée comme un niveau de conscience spirituelle, ce qui conduit R. Guénon à juger les philosophies vitalistes (Nietzsche, Bergson) infiniment plus dangereuses que le matérialisme grossier qui les précède et contre lequel elles réagissent. La « contre-tradition » est plus redoutable que l'« antitradition », la « parodie » de la spiritualité plus menaçante que sa « négation pure et simple » (11).
On peut citer de nombreux passages de Masques et Visages du spiritualisme moderne et de Chevaucher le Tigre (13) illustrant sur ce point l'accord de J. Évola. Dans le dernier ouvrage cité, et récemment réédité, le penseur italien développe une réfutation de la Weltanschauung nietzschéenne aussi définitive que la critique du bergsonisme à laquelle le métaphysicien français consacre un chapitre du Règne de la quantité. Ainsi, dans leur testament spirituel respectif, R. Guénon et J. Évola dénoncent l'essentiel de l'aberration moderniste comme la réduction de l'homme à un “élan vital”, à une “volonté de puissance”. Une divergence les sépare toutefois et, tout en nous efforçant de la cerner, nous tenterons de déterminer si J. Évola ouvre la voie à une critique post-guénonienne de la civilisation moderne, s'il opère ce nécessaire dépassement du guénonisme que les actuels pseudo-révolutionnaires de tous bords sont incapables de réaliser.
Préfacier de la récente réédition de Chevaucher le Tigre, “évolien” compétent quoique trop souvent inconditionnel, Philippe Baillet analyse la conception que J. Evola se fait de l'Absolu. Après avoir rappelé que, pour l'auteur du Yoga tantrique, « l'Absolu n'est pas une substance fixe et immobile, mais une potestas qui reste éternellement elle-même dans la forme comme dans le sans-forme », il conclut que J. Évola « adhère à une idée de l'Être comme hiérarchie d'états de puissance » (14).
Un des fondements du traditionalisme intégral est la “doctrine de l'identité suprême”, dont R. Guénon et J. Evola parlent à maintes reprises. Selon cette doctrine, le degré le plus élevé de spiritualité est atteint par l'identification à l'Absolu. Il en résulte que, dans la perspective évolienne, la puissance peut se situer à un niveau spirituel supérieur à celui de la connaissance. En d'autres termes, cela revient à dire que le kshatriya peut revendiquer une supériorité spirituelle par rapport au brahmane, à condition que sa “volonté de puissance” ne se confonde pas avec « l'affirmation d'un Moi guidé […] par la convoitise et par l'orgueil » (15), à condition que son “élan vital” soit au contraire animé « par une orientation transfigurante » (16). C'est toute la différence que fait J. Évola entre l'individualisme moderne, qu'il condamne aussi violemment que R. Guénon, et l'héroïsme traditionnel pour lequel il réclame, en opposition avec R. Guénon, une spiritualité et une primordialité plus grandes que celles de la connaissance sacerdotale.
Pour J. Évola, il a existé à l'origine, avant l'âge théocratique des prêtres, un « cycle héroïque » qui constitue la première phase du monde de la Tradition et qui, seul, peut servir de référence et de “mythe mobilisateur” dans la critique et l'action révolutionnaire antimodernes. L'ère de la théocratie sacerdotale constitue déjà un stade involutif par rapport à “l'âge d'or” qui la précède et qui est placé sous le signe de la “royauté initiatique”. Les révoltes des kshatriyas qui ébranlent le monde traditionnel dans sa phase ultime rendent possibles le dépassement du point de vue sacerdotal et le retour à la spiritualité primordiale de type héroïque, à condition que la “volonté de puissance” ne dégénère pas en hypertrophie de l'ego, mais se mue au contraire en une expérience initiatique d'identification avec l'Absolu envisagé comme source inépuisable d'énergie.
De même que l'absence de cette dimension initiatique motive à elle seule les réticences de J. Évola envers le fascisme, ainsi l'auteur de Chevaucher le Tigre donne-t-il parfois l'impression que le vitalisme moderne se justifierait à ses yeux au seul prix d'une orientation intérieure vers ce qu'il nomme l'« impersonnalité active ». Cette ambiguïté pour le moins fâcheuse expose J. Évola à servir de caution spirituelle à ceux qui veulent infléchir la modernité dans le sens d'un élitisme biologique (17).
Un tel risque de récupération idéologique existait dès 1938, date à partir de laquelle J. Evola développa sa métaphysique de la race. Rendant compte d'un article paru dans Vita Italiana, R. Guénon réfute en ces termes la distinction évolienne des « races de nature » et des « races de tradition » :
« Il n'existe point de “races de nature”, car toute race a nécessairement une tradition à l'origine, et elle peut seulement l'avoir perdue plus ou moins complètement par dégénérescence, ce qui est le cas des peuples dits “sauvages” » (18).
N'en déplaise à « ceux qui voudraient tout envisager au point de vue historique », écrit-il ailleurs, la Tradition est « éternelle ». Elle possède le « caractère intemporel » propre à « tout ce qui est métaphysique ». Les doctrines qui la formulent « n'ont pas apparu à un moment quelconque de l'histoire de l'humanité ». Il en résulte qu'« il y a toujours eu des êtres qui ont pu la connaître », transmettre lesdites doctrines, concevoir « réellement et totalement » la « vérité métaphysique » qu'elles contiennent (19).
En conséquence, le substrat humain, dont J. Évola souligne la présence au début du présent cycle, ne constitue nullement une espèce “inférieure” par rapport au “surhomme” primordial d'origine hyperboréenne. Il ne s'agit pas de « races de nature » auxquelles la Tradition n'aurait jamais été révélée, mais de « races de tradition », en déclin spirituel relativement à un cycle antérieur où elles maîtrisaient « réellement et totalement » la vérité métaphysique. Ces races ne méritent donc absolument pas le mépris qui affleure de temps à autre sous la plume de J. Évola, auquel l'ambiance culturelle des années 30 peut servir de circonstance atténuante dans la mesure où les esprits les plus libres échappent difficilement à “l'air du temps”, mais dont il convient de mettre en exergue la parenté de ton avec l'arrogance d'un récent courant de pensée mêlant le social-darwinisme à l'idolâtrie nordique.
Il est exact que la volonté guénonienne de préserver la théocratie sacerdotale contre les usurpations des kshatriyas est susceptible d'inspirer de regrettables erreurs. Ainsi en est-il de la méprise de R. Guénon lui-même en ce qui concerne le bouddhisme sur lequel il ne rectifia son jugement qu'en 1947, grâce à l'influence éclairante de Marco Pallis et d'A. K. Coomaraswamy. Mais il est tout aussi évident que l'incompréhension de J. Évola et des évoliens envers le christianisme (20) dérive de l'inaptitude à concevoir l'« identité suprême » autrement que comme ouverture initiatique à la pure immanence de l'Absolu.
Or, ainsi que le montre Georges Vallin dans une remarquable étude d'inspiration guénonienne (21), l'Absolu est aussi pure transcendance, point central du cosmos échappant à tout devenir, Principe imprimant à l'univers son mouvement sans y participer et sans en être affecté. C'est la doctrine aristotélicienne du “moteur immobile”, écho occidental de “l'agir sans agir” (wei-wu-wei) taoïste. Un tel envisagement de l'Absolu implique une conception de l'« identité suprême » qu'exprime notamment cette parole de Jésus : « Je suis dans le Père et le Père est en moi ». Le degré le plus élevé de la réalisation spirituelle est l'acquisition de cette centralité intérieure, reflet microcosmique de ce que l'ésotérisme islamique appelle la “station divine”. Telle est, selon R. Guénon, la spiritualité primordiale propre à l'initié détenteur de la « fonction suprême » (22).
L'apport guénonien à la critique antimoderne réside pour l'essentiel dans le refus de réduire la modernité au “matérialisme” et de confondre la fin ultime de la civilisation technico-industrielle avec le « règne de la quantité » qui n'en est que la phase préparatoire. C'est ce qui différencie R. Guénon, non seulement des spiritualistes de la première moitié du siècle, mais aussi des “révolutionnaires” d'aujourd'hui, dont le regard myope s'acharne sur le “bourgeoisisme” et la “démonie de l'économie” [affirmation sectaire du nécessaire primat de l'économie].
Ces dernières expressions sont de J. Évola. Cela ne signifie pas pour autant que la dénonciation évolienne du monde moderne épouse le mouvement régressif du gauchisme et de la “nouvelle Droite” vers un spiritualisme préguénonien. En effet, parmi les « manifestations du démonique dans le monde moderne », J. Évola ne cite pas seulement « la civilisation mécanique, l'économie souveraine, la civilisation de la production ». Il épingle aussi « l'exaltation du devenir et du progrès », la glorification de « l'élan vital illimité » (13). J. Évola est donc d'accord avec R. Guénon pour déceler dans la mentalité moderne une composante vitaliste fondamentale, capable d'infléchir la civilisation technico-industrielle vers un néo-élitisme et un néo-spiritualisme douteux, par-delà les phénomènes transitoires de l'égalitarisme et du matérialisme.
Nous ne pensons pas que les évoliens puissent contester la pertinence de ces lignes prophétiques de R. Guénon :
« Ce ne sera certes plus le “règne de la quantité”, qui n'était en somme que l'aboutissement de “l'antitradition” ; ce sera au contraire, sous le prétexte d'une fausse “restauration spirituelle”, une sorte de réintroduction de la qualité en toutes choses, mais d'une qualité prise au rebours de sa valeur légitime et normale » (24).
R. Guénon ajoute qu'« après l'égalitarisme de nos jours, il y aura de nouveau une hiérarchie affirmée visiblement, mais une hiérarchie inversée, c'est-à-dire proprement une contre-hiérarchie, dont le sommet sera occupé par l'être qui, en réalité, touchera de plus près que tout autre au fond même des abîmes infernaux » (25).
La fin dernière du monde moderne n'est pas la victoire du matérialisme et de l'égalitarisme, mais le triomphe d'un type de spiritualité fondant une nouvelle hiérarchie au sommet de laquelle les “hommes de puissance” auront remplacé les “hommes de connaissance”. Les origines lointaines de la modernité se situent donc dans les révoltes des “guerriers” contre les “prêtres”, dans le conflit des kshatriyas et des brahmanes qui ébranla depuis la plus haute Antiquité les théocraties traditionnelles. Ce qui doit être dépassé au sein même du guénonisme, c'est la tentation de proposer, comme remède à la crise du monde moderne, un prétendu modèle théocratique. En indiquant les limites de l'initiation sacerdotale comme degré de réalisation spirituelle, J. Évola offre aux guénoniens l'occasion d'éviter le piège du passéisme religieux. En préconisant une sorte d'alchimie spirituelle qui transmute la “volonté de puissance” en initiation héroïque, en faisant de celle-ci le trait dominant d'un cycle plus originel que l'âge théocratique des prêtres, il oblige les guénoniens à remplacer leur référence traditionnelle par une exigence de primordialité.
On ne peut néanmoins dire que J. Évola ouvre l'accès au stade postguénonien du traditionalisme intégral. L'œuvre de R. Guénon recèle en elle-même les germes de son propre dépassement. J. Évola peut contribuer à transcender le guénonisme en abolissant le facile antagonisme de la puissance et de la spiritualité, en dénonçant la confusion de celle-ci avec la connaissance, en complétant par le haut les degrés de réalisation initiatique, en dotant la “volonté de puissance” d'un niveau spirituel supérieur à celui du point de vue sacerdotal. Mais c'est une plus grande primordialité encore qu'est en droit de revendiquer la conception guénonienne de l'« identité suprême » qui fait de l'initié, non un héros épousant le flux perpétuel du devenir cosmique (aspect immanent de l'Absolu), mais un sage en quête d'une centralité intérieure reflétant l'unité du monde (aspect transcendant de l'Absolu).
Il a sans doute existé à l'origine un cycle de civilisation héroïque. Il n'est pas interdit de le situer au sein de cet “âge d'or” dont parlent toutes les traditions. Mais on aurait tort de croire que “l'âge d'or” fut une époque sans histoire. La mythologie universelle nous suggère même le contraire en nous relatant les tragiques batailles qui déchirèrent le monde des origines : combat des Devas contre les Asuras dans la tradition hindoue, lutte des titans contre les dieux dans la légende hellénique, guerre des anges dans l'hébraïsme, Tuatha de Danann contre Fomoire chez les Celtes, etc. Cet archétype de la bataille primordiale peut être symboliquement interprété comme un conflit survenu au sein de la spiritualité des origines et opposant les adeptes de l'initiation sapientielle à ceux de l'initiation héroïque.
Si l'on s'en tient au plan de l'initiation, on peut trancher la question de la primordialité par une sorte de “jugement de Salomon”, en soutenant que les voies sapientielle et héroïque ont une valeur relative à ce que J. Evola nomme « l'équation personnelle ». Par ex., du point de vue strictement initiatique, le choix de la voix héroïque peut paraître légitime pour un une nature biologiquement privilégiée. Encore ne faut-il pas oublier que, selon certaines doctrines, et notamment dans la tradition hindoue, l'immanence cosmique à laquelle s'identifie le héros est considérée comme l'aspect “non suprême” du Principe, l'aspect “suprême” étant la transcendance métaphysique à laquelle aspire le sage en quête de son unité intérieure.
Si l'on passe à présent au plan de la civilisation, il est évident, d'une part que seul un nouveau cycle sapientiel peut résoudre la crise du monde moderne, d'autre part que l'ouverture d'un nouveau cycle héroïque marquerait, non pas l'aube d'une révolution antimoderne, mais l'actualisation des potentialités les plus profondes du monde technico-industriel. Le traditionalisme intégral ne peut faire l'économie d'une reconsidération des rapports entre la puissance et la spiritualité. C'est en ce sens qu'il doit assumer l'apport de J. Évola. Mais R. Guénon doit demeurer sa référence principale, car loin de n'offrir qu'une exaltation passéiste de la théocratie, loin de ne proposer comme idéal que la connaissance spéculative propre à la fonction sacerdotale, le message guénonien présente la seule alternative valable au culte moderne de la force vitale : la beauté intérieure du sage qui retrouve en lui-même la grande harmonie de l'univers.
► Daniel Cologne, Cahiers de l'Herne n°49 consacré à R. Guénon, 1985.
◘ Notes :
- 1. La Doctrine de l'éveil, Milan, Arché, 1976, p. 285.
- 2. Julius Évola : le Visionnaire foudroyé, Copernic, 1977, p. 17.
- 3. Le Diorama Filosofico était une page spéciale du quotidien Il Regime Fascista, dont la direction fut confiée à J. Évola et à laquelle, selon Pierre Pascal, « collaborèrent quelques-uns des meilleurs représentants du traditionalisme italien et européen ».
- 4. R. Guénon juge « dignes d'intérêt » les notes introductives et explicatives de J. Évola, bien qu'elles « appellent parfois des réserves » et recèlent des « interprétations quelque peu tendancieuses ».
- 5. Comptes rendus, éd. Traditionnelles, 1973, p. 136.
- 6. Ibid., p. 7.
- 7. Formes traditionnelles et Cycles cosmiques, Gal., 1970, p. 123.
- 8. Ibid., p. 119.
- 9. Actuellement inédit en français, ce livre sera publié prochainement par les éd. Pardès (trad. de l'italien par Philippe Baillet).
- 10. Autorité spirituelle et Pouvoir temporel, Paris, Véga, 1976, p. 26.
- 11. Cf. Le Règne de la quantité et les Signes des temps, Gal., 1946.
- 12. Montréal, éd. de l'Homme, 1972.
- 13. Éd. de la Maisnie, 1982.
- 14. Chevaucher le Tigre, Préface, pp. XIII et XXII.
- 15. J. Évola, Le Mystère du Graal, éd. Traditionnelles, 1977, p. 107.
- 16. Ibid., p. 108.
- 17. Sur le sens ultime de la civilisation moderne tel que nous le concevons, cf. notre livre Cyclologie biblique et Métaphysique de l'histoire, Pardès, coll. L'Âge d'Or, 1982.
- 18. Comptes rendus, op. cit., p. 147.
- 19. La Métaphysique orientale, éd. Traditionnelles, 1979, p. 23.
- 20. Cf. notre ouvrage Julius Evola, René Guénon et le Christianisme, Paris, Éric Vatré, 1978 (diffusé par les éd. Pardès).
- 21. La Perspective métaphysique, Paris, Dervy-Livres, 1976.
- 22. Le Roi du Monde, Gal., 1958. C'est la fonction initiatique symbolisée, chez Saint-Yves d'Alveydre, par le personnage du Brahatma, qui « parle à Dieu face-à-face ». Les 2 autres fonctions suprêmes, mais inférieures à la fonction initiatique, sont symbolisées par le Mahatma, qui « connaît les événements de l'avenir » (fonction sacerdotale), et le Mahanga, qui « dirige les causes de ces événements » (fonction royale).
- 23. Révolte contre le monde moderne, Montréal, éd. de l'Homme, 1972, p. 459.
- 24. Le Règne de la quantité..., op. cit., p. 363.
- 25. Pour le commentaire détaillé de ce passage, cf. notre livre Cyclologie biblique et Métaphysique de l'histoire, op. cit., p. 19.
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Fraction - Déesse-Mère
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Le cheval chez les Indo-Européens
Le cheval et les Indo-Européens ont partie liée, à un double titre au moins. D'une part, la domestication du cheval puis son dressage sont un phénomène majeur des cultures indo-européennes. D'autre part, la place du cheval est considérable dans les mythologies de ces peuples.
Aspects linguistiques et archéologiques
[Ci-contre : couverture de In search of the Indo-Europeans écrit par James P. Mallory, 1989 (tr. fr. : À la recherche des Indo-Européens : Langue, archéologie, mythe, Seuil, 1997)]
On appelle “Indo-Européens” les ancêtres de certains peuples de l'Eurasie, partageant une langue et une vision du monde communes.
L'existence des Indo-Européens est une “hypothèse vérifiée”. Au départ, il y a le constat de parentés linguistiques. En 1786, le magistrat britannique William Jones, en poste aux Indes, formule l'hypothèse que le sanscrit, le grec et le latin ont une même origine. En 1813, l'anglais Thomas Young utilise pour la première fois le terme de “langues indo-européennes” pour désigner cette famille d'idiomes, élargie depuis notamment aux langues iraniennes, slaves, celtiques et germaniques. L'allemand Franz Bopp démontre définitivement en 1816 leur parenté. Diverses langues apparentées ont été découvertes depuis, notamment le hittite (parlé vers 1500 av. JC), découvert au début du XXe siècle, et le grec mycénien ou linéaire B (parlé vers 1300 av. JC), déchiffré au milieu du XXe siècle. La découverte de ces parentés linguistiques, rattachables à des racines communes, suggérait l'existence d'une langue-mère commune, “l’indo-européen”, et l'existence d'utilisateurs de cette langue, les “Indo-Européens” en tant que peuple. Si, aux XIXe et XXe siècles, les travaux des linguistes et des archéologues ont été utilisés à des fins politiques, le terme “Aryens” servant à l'époque pour désigner tantôt les Indo-Européens, tantôt les peuples germaniques contemporains (Aryas étant en réalité le nom que se donnaient les fondateurs de la civilisation de l'Iran avestique et de l'Inde védique), il demeure aujourd'hui pertinent d'admettre qu'un peuple indo-européen a existé dans les temps préhistoriques, possédant non seulement une langue, mais une conception du monde commune. L'existence d'une homogénéité ethnique est probable mais ne peut être démontrée.
Par contraction et par convention, on désigne souvent comme “peuples indo-européens” les peuples historiques parlant une des langues héritées des Indo-Européens d'avant la dispersion ; dans ce deuxième sens, les Hittites, les Achéens ou les Celtes sont des peuples indo-européens, au sens de peuples d'origine indo-européenne.
Qui a domestiqué le cheval des steppes ?
[Ci-contre : Hypothèse steppique de diffusion des langues indo-européennes (d'après Patrice Brun, Le cheval, symbole de pouvoirs dans l'Europe préhistorique, catalogue du musée de Préhistoire de Nemours, p. 54)]
Un premier indice d'une domestication du cheval dès avant le temps de la migration des Indo-Européens est fourni par la linguistique. En effet, dérivent notamment, directement ou indirectement, de la racine indo-européenne *ekuo-s (le cheval domestique), les termes suivants : sanscrit aśva-h (¤ aśvamedha, ¤ Aśvin), avestique aspa-, grec (h)ippos, latin equus, vieil irlandais ech, gaulois epo- (¤ Épona), anglo-saxon eoh, norrois ior, vieux saxon ehu-. Une autre racine indo-européenne occidentale *marko- se retrouve dans le germanique *marh(a) (cf. allemand Mähre, anglais mare), le norrois marr, le vieil irlandais marc, le gallois march, le breton marc'h (¤ Marc). Si les héritiers des Indo-Européens utilisent des termes dérivés de la même racine pour désigner le cheval domestique, on suppose que la domestication de cet animal était une réalité à l'époque de leur unité.
Un deuxième indice est de nature archéologique et géographique : le territoire d'origine des Indo-Européens (ou plus exactement leur foyer d'avant la dispersion) est situé par la plupart des spécialistes quelque part dans la vaste steppe comprise entre la région caucasienne et la zone ouralo-altaïque (le territoire de l'actuelle Ukraine, au Nord de la Mer Noire, ou une région plus à l'Est) ; or cette même zone est considérée comme l'espace de la plus ancienne domestication du cheval, peut-être vers le milieu du IVe millénaire avant notre ère.
Il s'agit là par définition d'hypothèses : en comparant la culture des Indo-Européens, reconstruite d'après leur vocabulaire (quels étaient la flore, la faune, les outils et les armes communs ?) et les realia observables sur le terrain (les vestiges des différentes cultures mises au jour par l'archéologie en Eurasie), on ne peut que réunir des indices, mais non établir des faits.
Fondées respectivement sur la chronologie et la géographie des formes linguistiques et sur l'interprétation de vestiges archéologiques, ces reconstitutions sont donc fragiles, dans la mesure où elles reposent sur des données difficiles à interpréter dans les 2 cas. Certains linguistes pensent en effet que le foyer d'où sont partis les Indo-Européens se situait plutôt en Anatolie, et que la diffusion de leur langue aurait suivi celle de l'agriculture. De leur côté, certains archéologues font observer que la faiblesse des fouilles et donc des informations archéologiques dans les steppes de la Sibérie ne démontre pas que les Proto-Turcs n'avaient pas domestiqué de façon autonome le cheval dans leurs territoires d'origine, situés plus à l'Est.
Provisoirement, nous pouvons cependant admettre que le centre de divergence des Indo-Européens correspond plus ou moins au territoire de la “culture des kourganes” (kourgane = tertre funéraire), apparue dans les steppes de la Russie méridionale à partir du Ve millénaire avant notre ère. Si la domestication du cheval est bien attestée dans cette zone, sa date et sa portée sont discutées. Selon David Anthony, le cheval était régulièrement consommé à partir du Ve millénaire av. JC et il était associé à l'homme dans les tombes dès cette époque. Ces 2 données suggèrent une domestication élémentaire. Ultérieurement, vers 3500 à 3000 av. JC, le cheval aurait été monté avec l'aide de mors en matière organique, comme des cordes en chanvre ou en crins. Par ailleurs, on observe la présence de chars à 2 roues dans les tombes des steppes à compter de la même période.
Un des indices du dressage du cheval (pour l'équitation ou l'attelage) a été a été recherché par les archéologues dans la morphologie des dents des chevaux. En effet, l'habitude du mors entraîne chez le cheval une usure caractéristique, en biseau, sur ses prémolaires. Une telle usure a été observée sur le crâne d'un cheval du site néolithique de Dereivka, dans la steppe russe, mais ce cheval avait été inhumé postérieurement et datait seulement de l'âge du fer (700 av. JC) ; en revanche des restes équins retrouvés sur le site de Botai, dans la steppe kazakhe, et datant de la fin du néolithique (âge du cuivre, 3500 av. JC) présentent bien de telles caractéristiques.
Ces éléments archéologiques ont suggéré que les différentes vagues d'expansion des Indo-Européens, qui s'étalent de 4000 à 2000 avant notre ère, ont été le fait de guerriers à cheval, voire de conducteurs de chars. Ce schéma serait cohérent avec ce que nous savons de l'expansion des peuples indo-européens historiques, apparus ultérieurement, comme les Aryas et les Hittites (¤ Kikkuli), conducteurs de chars, ou les cavaliers ¤ Scythes. Mais il n'est pas prouvé pour leurs ancêtres. Le professeur Bernhard Hänsel résume le problème comme suit : « il n'est pas possible aujourd'hui de mettre en relation l'expansion [initiale] des Indo-Européens avec l'émergence de l'usage du cheval comme animal de transport, mais ce fait n'autorise pas non plus à affirmer le contraire ». Des chevaux domestiques ont certainement accompagné les Indo-Européens dans leurs premières migrations, mais ils étaient sans doute utilisés comme animal de transport montés ou attelés, à côté d'autres animaux, et non pas au combat. Seuls certains de leurs successeurs utiliseront intensivement le cheval pour la guerre, plusieurs siècles après la dispersion.
Aspects mythologiques
Une forme de culture équestre commune aux Indo-Européens explique sans doute les nombreuses correspondances observables dans les mythes et rites entourant le cheval chez leurs héritiers. Dès le XIXe siècle et le début de ce qui s'appelait la mythologie comparée, divers parallèles avaient été mis en évidence ; par ex. entre les Dioscures grecs et les Aśvin védiques, ou encore entre les Centaures grecs et les Gandharva védiques.
Dans ce domaine, les travaux de Georges Dumézil ont cependant représenté un tournant. Le grand linguiste et comparatiste a croisé à de nombreuses reprises le cheval dans son enquête visant, par l'établissement de concordances indo-européennes, à écrire “l’ultra-histoire” des civilisations romaine, indienne, iranienne, etc. Dans un essai de 1929 sur les Centaures [Le problème des Centaures, Geuthner], renié par la suite, Dumézil opérait, dans la tradition de James George Frazer et de son Rameau d'Or, divers rapprochements non seulement entre les Centaures grecs et les Gandharva védiques, mais avec d'autres rites et mythes plus ou moins équestres ; Dumézil y voyait des masques-chevaux intervenant dans les fêtes de la fin de l'hiver, porteurs de prospérité (¤ Centaures).
C'est en 1938 qu'il découvre l'axe majeur de ce qu'il appelle “l’idéologie” des Indo-Européens, à savoir une conception du monde organisée en 3 fonctions : une première fonction exprimant la souveraineté dans sa double dimension juridique et magique, une deuxième fonction de nature guerrière, une troisième fonction dispensatrice de prospérité (fécondité, richesse). Si dans un premier temps Dumézil privilégie les fonctions sociales, voire l'organisation sociale réelle, comme celle des classes sociales indiennes ou varna des brahmanes-prêtres, des ksatriya-guerriers et des vaisya-éleveurs-agriculteurs, il souligne à partir des années 1950 la dimension avant tout idéologique de cette tripartition et son caractère dynamique : non seulement la société humaine mais le cosmos tout entier ne peuvent vivre sans la coopération harmonieuse des 3 fonctions, avec la prééminence de la première sur la seconde et de la seconde sur la troisième.
Après cette découverte, Dumézil voit dans le cheval essentiellement un symbole ou un attribut de la deuxième fonction. Il développe cette thèse à partir du rite romain archaïque du sacrifice du cheval d'octobre, en effet de nature guerrière (¤ October equus). S'appuyant dans une moindre mesure sur le sacrifice védique du cheval, il postule une « identité foncière [...] entre une structure indienne et une structure romaine » et considère que « cet accord n'a pas besoin d'être confirmé par le témoignage d'autres peuples indo-européens ».
Il est cependant possible de nuancer cette vision d'un cheval au symbolisme purement guerrier chez les Indo-Européens.
Parmi l'ensemble de leurs mythes et rites équestres, nombreux sont en effet ceux qui se rattachent à la première fonction (¤ souveraineté). Le sacrifice védique du cheval, qui était d'abord un rite de confirmation du pouvoir royal, relève autant de la première, voire de la troisième fonction que de la fonction guerrière (aśvamedha). Relèvent aussi de la sphère juridico-religieuse le sacrifice iranien de chevaux au ¤ Soleil décrit par Xénophon, de même que le rite d'intronisation royal au moyen du hennissement du cheval évoqué par Hérodote (¤ Darius).
D'autres mythes ou rites équestres se rattachent à la troisième fonction. Dumézil avait lui-même souligné une dimension de génie de la fécondité chez les Centaures, dont il n'abordera plus le problème après son essai de jeunesse. Plus déterminant encore, le sacrifice du cheval pratiqué par les Scythes et les Germains était principalement un rite de fécondité, ce que Dumézil admettait dès 1954 pour les Scandinaves. Enfin, le rôle principal des jumeaux cavaliers Castor et Pollux comme “protecteurs”, en particulier des marins, des blessés et des femmes enceintes (¤ Dioscures), et celui de leurs cousins les Aśvin, thaumaturges dispensateurs de santé et de jeunesse, relèvent à l'évidence de la sphère de la fécondité.
Ces diverses incursions du cheval dans la première et la troisième fonction peuvent certes être interprétées comme des signes secondaires d'un excès de la force guerrière, qui s'empare naturellement du pouvoir et qui a pour mission de garantir et de protéger la prospérité. Mais il serait tout aussi cohérent d'y voir la manifestation de la nature plurifonctionnelle du cheval dans l'univers indo-européen.
En résumé, le rôle central du cheval dans la mythologie, les croyances et la pensée des Indo-Européens est un fait établi. En revanche, l'apport exclusif ou décisif des Indo-Européens à la première domestication du cheval n'est que probable, et la portée de leur contribution au développement ultérieur de la civilisation du cheval et du char de guerre de l'âge du bronze est discutée.
► Marc-André Wagner, Dictionnaire mythologique et historique du cheval, Rocher, 2006.
• Ressouces bibliographiques :
- David W Anthony, et Dorcas R. Brown, « Eneolithic horse exploitation in the eurasian steppes : diet, ritual and riding », Antiquity vol. 74, n° 283, mars 2000, pp. 75-86.
- B. Hänsel, et S. Zimmer (éd.), Die Indogermanen und das Pferd (Actes du colloque de Berlin de 1992), Budapest, 1994.
- Julius Pokorny, Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, Munich, 1959.
- Wilhelm Koppers, « Pferdeopfer und Pferdekult der Indogermanen », Wiener Beiträge zur Kulturgeschichte und Linguistik 4 (1936), pp. 279-411.
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Entrevue #7 : Marie Cachet et Varg Vikernes
1) Vous avez été malgré vous exposés médiatiquement suite à votre arrestation du juillet 2013. Comment expliquez-vous cet emballement médiatique ?
Marie: Selon la police les médias ont été mis au courant dès l'intervention, et la fuite venait de très très haut. A priori l'emballement médiatique était donc programmé et souhaité.
2) D’après ce que vous a dit la police, vous auriez été arrêté parce que vous auriez reçu le manifeste d’Anders Breivik. Pourtant, ceux qui suivent Varg depuis plusieurs années, comme nous, savent que ses idées sont très différentes. Comment expliquez-vous ce raccourci grossier entre Breivik et Varg ?
Marie: Pour une perquisition, il faut à la police ce que l'on appelle une commission rogatoire, c'est-à-dire une autorisation d'un juge. Pour une perquisition telle que celle-ci, avec fracturation de l'entrée du domicile et entrée sans permission de l'habitant, il faut une autorisation encore plus particulière. Une telle perquisition ne peut être faite que pour des cas très graves, comme des actes de terrorisme ou leur suspicion.
Pour avoir une telle autorisation, il leur fallait donc lier l'affaire au terrorisme, et donc à M. Breivik. Je tiens à dire qu'il nous a été montré aucune commission rogatoire et nous n'avons donc aucune preuve de cette autorisation, ni de pourquoi elle aurait été donnée. Je précise qu'il n'est pas obligatoire de nous montrer celle-ci, et nous n'avons pour l'instant pas les fonds pour procéder à de telles investigations du fait des autres démarches menées pour retrouver nos enfants et nos droits, et du fait du procès du 17 octobre.
Selon nous il est très étrange que cette autorisation ait été accordée, ou nous le comprenons mal. En effet, selon la police, l'arrestation était basée uniquement sur le lien supposé avec M. Breivik, et plus exactement le fait que M. Vikernes aurait été, sur une autre adresse e-mail, l'un des destinataires du manifeste de M.Breivik avant la tuerie d'Utøya. Cette supposition s'est très vite effacée. Elle était totalement fausse. Cette adresse e-mail n'était pas celle de M. Vikernes et il n'avait pas été le destinataire du manifeste.
Pourquoi ceci n'a-t-il pas été vérifié avant l'arrestation ? J'ose espérer que la police anti-terroriste ou les renseignements généraux de mon pays sont capables de trouver ce que n'importe quel jeune de 25 ans ayant grandi avec l'informatique serait capable de trouver.
Pourquoi une telle vérification n'a-t-elle pas été exigée ?
Évidement, les divergences entre M. Breivik et M. Vikernes sont connues et le fossé entre les deux est immense. M.Vikernes a exprimé ces divergences dès la tuerie d'Utøya. Évidement, ces divergences étaient connues des services de police.
3) Scriptoblog et nous même avons été les deux premiers « blogs » à avoir dénoncés la manipulation vous concernant et à avoir fait un rapprochement avec l’affaire de Tarnac. Vous venez également de répondre à un entretien pour Fortune Fdesouche. En quelle mesure pensez-vous que les blogs ou webradio alternatifs puissent contrer réellement le flot des médias « officiels » ?
Marie: Ces blogs et sites web sont lus par des personnes prêtes à recevoir une information alternative. Évidement, l'on parle aux convertis, pour ainsi dire, mais les autres médias, à peu d'exceptions près, modifient les informations qu'ils reçoivent pour qu'elles correspondent à la commande qu'ils ont eu. Ils n'ont donc aucun intérêt.
Une exception cependant : le journal local La Montagne et deux de ses journalistes que nous avons reçus et qui ont fait un très bon travail, digne de véritables journalistes.
Pour ce qui est des autres médias, ils savaient ce qu'ils devaient dire et la vérité ne les intéressaient pas, ils campaient autour de notre domicile, espérant avoir quelques mots de nous, mots qui auraient augmenté leur crédibilité.
4) Votre histoire est-elle pour vous synonyme de la réduction de nos libertés ? Quelle est votre situation à l’heure actuelle ?
Marie: Oui, il nous a été montré un arrêté d'interdiction de détention d'armes, notamment de 6ème catégorie. Ceci sur le seul motif que nous avions été arrêtés pour suspicion d'associations de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme. Il s'agit d'une décision administrative que nous contestons, cependant la préfecture a refusé de nous remettre les arrêtés, ainsi qu'à notre avocat, de façon à ce que le délai de recours de deux mois passe. Heureusement, notre avocat a fait un bon travail, et nous espérons obtenir gain de cause.
Nous avons eu également quelques soucis pour récupérer nos enfants à la suite de la garde à vue. Heureusement, encore une fois, notre avocat a fait un bon travail et la justice française est bien plus correcte que ce qu'il est dit parfois. Jusqu'à présent, seule l'administration et le pouvoir exécutif semble se permettre les délires les plus fous.
5) Envisagez-vous de porter plainte contre tous ceux qui ont publié sans votre autorisation des photos de vous-même ou de vos enfants ou qui continuent à vous affubler de qualificatifs que la justice elle-même n’a pas retenu ?
Marie: Étant donné les coûts financiers de telles procédures, et les délai de prescription, malheureusement non.
6) Quelles sont les principales différences d’après vous entre la Norvège et la France ?
Marie: Au niveau des médias, les français ont un respect plus grand de la vie privée que les norvégiens, même s'ils n'ont pas eu de peine à bafouer le droit à l'image.
7) Avez-vous des auteurs de prédilection qui forgent votre philosophie de vie ou vos choix de vie ?
Marie: Oui, les philosophes stoïciens, tels que Sénèque, Marc Aurèle et Epictète. Platon/Socrate est également une figure inévitable. Søren Kierkegaard, malgré qu'il soit chrétien, possède une philosophie unique et passionnante (qui en fait est plus païenne que chrétienne...).
8) Vous avez déclaré dans votre entretien paru sur Scriptoblog que vous défendiez des théories anthropologiques « incorrectes », qu’entendez-vous par-là ?
Marie: La théorie que je défend s'oppose à la bien connue théorie « Out of Africa » et se base sur les récentes recherches scientifiques sur l'ADN néandertalien. L'homme européen serait en majeure partie néandertalien. Il se serait hybridé à l'homo sapiens africain, (mais aussi à l'homme de Denisova asiatique) vers -100 000 ans au Moyen-Orient, avant que l'hybride lui-même ne rejoigne l'Europe et s'hybride à nouveau à l'homme de Neandertal.
L'homme de Cro-Magnon serait donc cet hybride. La théorie contredit totalement la fameuse sortie d'Afrique et explique que l'homme de Neandertal avait l'habitude de se diriger plus loin vers le sud, au Moyen Orient et en Afrique du Nord, lors des maximums glaciaires ou des périodes d'ensoleillement minimum. Lors de ces déplacements, il rencontrait l'homo sapiens africain et des hybridations ont probablement eu lieu depuis très longtemps, mais elles étaient si sporadiques qu'elles n'ont pas eu d'effet réel avant -100 000 ans environ. A cette époque, l'hybridation a peu à peu modifié l'homme européen, notamment à cause des formes de la tête et du bassin, différentes chez les deux espèces.
Le bassin de l'homo sapiens étant plus étroit, et certains hybrides femmes héritant de ce trait physique, elles n'ont pu accoucher des bébés possédant la tête néandertalienne, plus large que celle de l'homo sapiens. Le diamètre crânien a diminué, et évidement le cerveau, et de nombreux autres caractères physiques, psychiques et métaboliques se sont modifiés. Le changement du cerveau a changé la vision du monde de cet homme européen, et a déclenché les débuts de la civilisation telle que nous la connaissons.
9) A ce sujet, en quoi consiste votre film « ForeBears » ?
Marie: Les débuts de la civilisation européenne prennent leurs racines dans la culture néandertalienne, peu visible dans l'histoire du fait de leur bien-être. Pour comprendre pourquoi nous, hommes modernes, nous sommes dans le désespoir et dans l'incompréhension, il nous faut remonter aux origines les plus lointaines de notre civilisation, de notre culture, de notre esprit et de notre religion. Pour cela il faut accepter le fait que la théorie de l'évolution n'est sans doute pas tout à fait correcte, et que nos ancêtres les plus lointains n'étaient pas moins intelligents ou primitifs au sens négatif du terme.
Bien au contraire, toutes les recherches que j'ai pu mener semble converger dans un sens : ils avaient une compréhension du monde instinctive et bien supérieure à la notre. Ils connaissaient par exemple les lois du système solaire et la gravitation.
L'apparition de la civilisation « visible » est une marque de la dégradation de cette compréhension. La « religion » la plus ancienne qu'il soit, le culte de l'Ours, la religion néandertalienne, ou la religion de l'hybride ancien, explique cette compréhension du monde que nos ancêtres détenaient; elle est aussi la clé pour comprendre toutes les religions modernes de l'hémisphère Nord, toutes les traditions et tous les contes européens qui ont bercé votre enfance, toute la mythologie européenne et égyptienne.
Le film ForeBears vise a redonner une image positive à notre ancêtre, et à introduire l'explication du culte de l'Ours, lié de près à celui plus récent de l'Atlantide. Mon explication vise simplement à reconstruire le puzzle. Nous avons tous les éléments, ils sont seulement dispersés et nous ne comprenons plus rien, de plus, on nous a appris à ne surtout rien comprendre.
10) La musique de Burzum a beaucoup changé depuis les débuts. Diriez-vous que la musique évolue en même temps que votre état d’esprit ou est-ce simplement l’envie de varier vos compositions ? Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
(Varg) : The music has changed for several reasons, but I guess it all boils down to a desire not to just repeat myself all the time – like some musicians do. If I just make the same music over and over again I should find something else to do instead.
(Varg) : La musique a changé pour plusieurs raisons, mais je pense que tout vient principalement de l'envie de ne pas me répéter - comme c'est le cas pour certains musiciens. Si je devais me contenter de faire la même musique encore et encore, je ferais mieux de trouver autre chose à faire.
11) Quels sont vos projets actuels avec Burzum ?
(Varg) : There are none. Right now I only work with the role-playing game.
(Varg) : Pour l'instant il n'y en a pas. Je travaille seulement sur mon projet de jeu de rôle.
12) Avez-vous actuellement des groupes ou des musiciens qui vous influencent ou que vous appréciez particulièrement ?
(Varg) : Not musically, but in general yes. I currently often enjoy the music of Harald Foss and his band called Legende. I also like much of the music of Daemonia Nymphe a lot, a Greek band playing music in the ancient style.
(Varg) : Pas musicalement parlant, mais en général oui. En ce moment, j'apprécie beaucoup la musique de Harald Foss et de son groupe Legende. J'aime aussi la plupart des morceaux de Demonia Nymphe, un groupe grec dont la musique est jouée selon des styles anciens.
13) Vous développez actuellement un Jeu de rôle « MYFAROG ». Pouvez-vous expliquer brièvement votre projet ?
(Varg) : MYFAROG (an acronym from « Mythic Fantasy Roleplaying Game ») is a pen & paper role-playing game based on European values, geography, (pre-) history, mythology, traditions and morals, and will offer you the opportunity to play a game in accordance with your own European nature. Those willing to read in English can find out more about the game here (http://myfarog.org/).
(Varg) : MYFAROG (un acronyme pour "Jeu de rôle de Fantasy Mythique") est un jeu de rôle crayon-papier basé sur les valeurs , la géographie, la (pré-) histoire, la mythologie, ainsi que les traditions et la morale européennes. Il offrira la possibilité de jouer en accord avec la propre nature européenne du joueur. Les personnes qui savent lire l'anglais peuvent en apprendre davantage ici : (http://myfarog.org/).
14) Nous vous laissons le mot de la fin. Merci d’avoir accepté cet entretien.
(Varg) : Thank you very much for your interest and support. Long live the real France !
(Varg) : Je vous remercie beaucoup pour votre soutien et votre intérêt. Longue vie à la vraie France !
Note du C.N.C.: Toute reproduction éventuelle de ce contenu doit mentionner la source.
NB: Le Blog de Varg Vikernes : Thulean Perspective
Venez soutenir Varg Vikernes à son procès
Le jeudi 17 octobre 2013 de 13h00 à 16h00
Tribunal Correctionnel de Paris 1er (75055), 4 Boulevard du Palais,
17 ème chambre correctionnelle, salle 17 ème chambre.
Métro : Cité (ligne 4)
Plus d'informations sur l'événement Facebook -
Annonce de conférence de Philippe Ploncard d’Assac
Conférence de Philippe Ploncard d’Assac "Les crimes d’États du mondialisme ?"
Paris, 5 octobre 2013, 15 heures, 78A rues de Sèvres, Métro Duroc (lignes 10 &13). PAF - 10 € ; Étudiants et chômeurs - 5 €.