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culture et histoire - Page 1743

  • Programmes d’Histoire : « Au roman national a succédé le fantasme trans-national »

    Quelques extraits d’un article sur les nouveaux programmes d’histoire de Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste.

    L’insistance sur les colonies (en quatrième, en troisième, et à nouveau en première) tient davantage de l’intoxication face aux «nouveaux publics», comme on dit quand on s’interdit de dire «enfants issus de l’immigration», que de l’intérêt bien compris du récit historique.

    La polémique enfle à nouveau. Les programmes d’histoire sont allégés en troisième et en terminale, et aussitôt les discours s’enflamment, les invectives volent. Et d’un aménagement somme toute mineur, divers polémistes tirent des conclusions radicales sur le projet global de décérébration de nos jeunes têtes blondes (ou brunes…). Les uns se font les propagandistes du tout-chronologique, les apologistes du «roman national», les autres s’arc-boutent sur une conception plus critique de l’enseignement de l’histoire. […]

    Le fait même que la polémique soit si vive signifie d’abord que l’histoire est en France un sujet sensible et qu’elle est en danger. Tout comme le manifeste laïque de Vincent Peillon : son existence même témoigne d’une menace. […]

    L’histoire telle qu’elle s’enseignait sous Lavisse, en pleine IIIe République triomphante, n’est plus celle de notre Ve République pourrissante.

     

    Un exemple – mais bien sûr, je ne le prends pas au hasard : l’enseignement de la colonisation (et de la décolonisation). Certitudes du colonisateur qui apporte la civilisation aux barbares en 1880-1930 ; émergence de la parole des colonisés après les années 1960 (2) et culpabilisation rampante des anciens colonisés. […] Bien sûr, il était intéressant d’expliquer les mécanismes de l’esclavage au XVIIIe siècle (actuel programme de quatrième). Mais pourquoi passer sous silence l’immense responsabilité des Arabes dans l’esclavagisme, qu’il s’agisse de fournir des Noirs aux navires européens ou de mettre en esclavage pour eux-mêmes des millions d’êtres humains, y compris, pour le seul XVIIIe siècle, des centaines de milliers d’Européens ? […]

    « L’histoire est le produit le plus dangereux que la chimie de l’intellect ait élaboré », disait avec pertinence Paul Valéry. Chacun, en fonction de ses intérêts idéologiques, s’annexe son enseignement, en se prétendant objectif. Au roman national a succédé le fantasme trans-national. Il est temps de bien former les enseignants et de leur faire confiance pour narrer une histoire qui nous a construits. […]

    Le Point

    http://histoire.fdesouche.com/3321-programmes-dhistoire-au-roman-national-a-succede-le-fantasme-trans-national#more-3321

  • Et si on brisait l’immobilisme ?

    Retrouvez cet article sur http://lorrainenationaliste.wordpress.com/2013/09/21/21092013-communique-et-si-on-brisait-limmobilisme/

    Libres propos de Pierre Petrus recueillis par la section Œuvre française Maurice Barrès.

    Ce n’est plus un fossé, mais un gigantesque gouffre idéologique qui sépare notre aspiration racialiste positive de la politique génocidaire et délirante, appliquée par un gouvernement jouant avec la survie de notre peuple avec un détachement inquiétant. Cette séparation idéologique brutale entraine des réactions qui le sont tout autant de la part d’un pouvoir qui veut notre mort, comme nous voulons résolument la sienne.

    Parallèlement, depuis quelques semaines, nos mouvements de cœur (l’Œuvre française et les Jeunesses nationalistes) ont subi une intensification des menaces qui pesaient sur eux selon le schéma classique : diabolisation, répression puis dissolution. Il n’est pas question ici de polémiquer sur les procédures en appel qui sont établies par les responsables de ces groupes – auquel j’apporte tout mon soutien – afin d’enrayer la machine à dissoudre les peuples qu’est la République française. Nul ne sait combien de temps encore vont durer ces contentieux et ma boule de cristal ne me permet pas d’évaluer avec plus de précision ces recours dont j’espère tout de même une heureuse issue.

    À moins que vous puissiez apporter une aide spécifique pour faciliter l’aboutissement favorable de ces recours, il est totalement inutile de spéculer éternellement sur l’évolution de cette affaire qui ne concerne que les personnes compétentes chargées de traiter ce problème. De la même manière, il est totalement improductif d’attendre sagement, dans un immobilisme complet, le dénouement à suivre sans entreprendre quoi que ce soit. Plusieurs semaines, voire plusieurs mois, peuvent encore s’écouler avant que la lourdeur singulière de la machine judiciaire n’arrive à son terme. D’où ma question : et si on brisait l’immobilisme ?

    Allons-nous mettre à profit ce temps qui nous est imparti pour offrir généreusement ces jours précieux à l’ennemi ? Ou allons-nous nous servir de cet échéancier pour préparer le terrain du mouvement à venir ? Qu’il s’agisse de notre mouvement originel ou d’un autre en devenir, l’ennemi ne va pas patienter tranquillement et arrêter ses méfaits le temps que la justice juive statue sur notre sort.

    Ceci est une réponse à un réflexe défensif que j’entends trop souvent dans la bouche d’une très infime minorité de mes camarades les plus jeunes. Avez-vous besoin d’une structure pour continuer le combat que nous menons ? Fort heureusement, non. Cette structure est un atout précieux que nous devons choyer, mais elle n’est en rien un composant indispensable dont l’absence nous priverait de toute décision. Si dans l’histoire on devait s’en tenir aux desiderata des tribunaux rabbiniques chargés de notre exécution avant d’accomplir chaque geste, nous serions déjà morts.

    La meilleure défense, c’est l’attaque

    Si certains se demandent quoi faire et vers qui se tourner pour continuer notre lutte, il leur suffit d’ouvrir leur fenêtre pour s’apercevoir que plusieurs millions de nos frères ne sont pas encore ouverts à notre idéal bienveillant. Comme dans l’armée, quand le chef s’absente temporairement, c’est vous le chef. Et la guerre ne s’arrêtera pas le temps que les gradés retrouvent leurs postes.

    « Que faire ? Vers qui faut-il se tourner ? » répètent les plus fébriles. Il faut se tourner vers ses voisins, ses amis, ses proches, ses camarades et même des inconnus pour solidifier l’avènement futur de notre ordre nouveau. Vous voulez être plus actif ? Alors, DEVENEZ plus actif. La solution que vous cherchez tant n’est pas aussi éloignée que vous le pensez. Elle est en vous et il vous suffit d’embrasser l’activisme limpide pour hâter le renouveau révolutionnaire.

    N’attendez pas toujours des autres qu’ils vous disent quoi faire et faites ce qui vous semble juste

    Brisez la spirale de l’attentisme, balayez la peur de l’échec, osez l’initiative et le dévouement, augmentez votre force mentale et votre niveau de conscience, multipliez les contacts virtuels et réels avec vos camarades, allez à la rencontre des militants et des sympathisants, stimulez votre entourage sur les questions essentielles, approfondissez votre érudition, nourrissez-vous de l’expérience de vos amis et de vos ennemis, augmentez votre capacité mobilisatrice, déployez vos outils de communication, dynamisez vos projets, etc. Il n’y a aucune raison d’attendre quoi que ce soit. Les tâches ne manquent pas et notre liste d’options est si fournie qu’en comparaison elle en ferait pâlir de jalousie la très clairsemée liste de Schindler.

    Et si par bonheur les structures que nous chérissons obtiennent les réhabilitations qu’elles méritent, nous serions bien heureux de pouvoir leur offrir les fruits de notre travail afin qu’ils nous épaulent dans notre noble quête. Notre but est proche, et plus nous avançons, plus nos ennemis tentent de nous convaincre du contraire. Quelques âmes de bonne volonté supplémentaires offrant leur implication et leur sueur finiront par terrasser les petits clowns décadents qui croupissent apeurés du haut de leur fragile tour d’ivoire. Ils ont raison de nourrir cette peur, car rien ne peut arrêter une poignée d’hommes déterminés et forgés par la vérité. Rien ne pourra arrêter la masse de soldats politiques éclairés et combattifs que nous développons. Technocrates débiles et imprudents, tremblez, car nous arrivons…

    En avant la victoire !

    Pierre Petrus http://pierrepetrus.wordpress.com/2013/09/21/et-si-on-brisait-limmobilisme/

  • Les Veilleurs

    "A côté des grands courants de ce monde, il existe encore des hommes ancrés dans les "terres immobiles". Ce sont généralement des inconnus qui se tiennent à l'écart de tous les carrefours de la notoriété et de la culture moderne. Ils gardent les lignes de crêtes et n'appartiennent pas à ce monde. Bien que dispersés sur la terre, s'ignorant souvent les uns les autres, ils sont invisiblement unis et forment une "chaîne" incassable dans l'esprit traditionnel. Ce noyau n'agit pas ; sa fonction correspond au symbolisme du "feu éternel". Grâce à ses hommes, la Tradition perdure malgré tout, la flamme brûle secrètement, quelque chose rattache encore le monde au supramonde. Ce sont "les Veilleurs"."

    Julius Evola http://www.voxnr.com/cc/dep_interieur/EFZluApkypShtUqRjZ.shtml

  • Guerre de Sécession, le tabou racial tombe

    Alors que débutent aux États-Unis quatre années de commémorations des combats et événements liés à la guerre de Sécession, un débat surprenant prend de l’ampleur : celui du rôle joué par les Noirs dans les troupes confédérées.

    Tout a commencé à l’automne 2010. Le musée de la Confédération de Richmond, qui vendait dans sa boutique de souvenirs des soldats de plomb sudistes de race noire a du les retirer de la vente. Son directeur, John Coski en a expliqué clairement la raison : la présence de ces figurines dans son musée avait été la cause de très nombreuses pressions et menaces exercées tant à son encontre qu’à celle de son personnel. Quelques semaines plus tard, c’est un nouveau manuel scolaire proposé dans quelques écoles de Virginie qui soulevait la ire des tenants du politiquement correct et une vive campagne d’intimidation visait son éditeur pour qu’il mette un terme à la diffusion de l’ouvrage. Quel était donc le crime de Joy Masoff, son auteur ? Elle avait osé écrire que plusieurs milliers de soldats noirs avaient endossé l’uniforme gris.

    Et ce n’est pas tout ! Ces dernières semaines, la mairie de la petite commune de Monroe, en Caroline du Nord, a interdit à une association de défense du patrimoine historique sudiste d’ériger un monument commémoratif. Était-ce au motif que celui-ci risquait de troubler la paix raciale de la ville ? Pas le moins du monde… En effet, la stèle ne que devait témoigner du décès, dans les rangs des confédérés, de dix soldats noirs natifs de Monroe !

    De nombreux exemples tout aussi surprenants pourraient être encore cités. Ils témoignent que la guerre de Sécession n’est plus analysée en termes historiques mais en termes idéologiques voire quasi-religieux. La « vérité révélée », qu’il n’est pas possible de discuter, est simple : les armées de l’Union composées de philanthropes démocrates ont menée contre les Sudistes, une juste guerre qui avait pour unique but de libérer des esclaves martyrisés par des maîtres racistes et bigots.

    Or, une des conséquence du mouvement du Black Power des années 1970 a été la création dans les Universités américaines de nombreuses chaires d’études afro-américaine, dont certains titulaires se sont livrés récemment à des études poussées sur le comportement des Noirs du Sud, qu’ils soient esclaves ou libres.

    Ce qu’ils nous disent est passionnant et met à mal bien des schémas.

    Ainsi, John David Smith, enseignant à l’Université de Nord-Caroline et de Charlotte remarque : « Les causes de la guerre civile ne furent pas, comme on le croit maintenant, l’esclavage et le suprématisme blanc, mais le non-respect par l’État fédéral du droit des États fédérés. » Earl Ijames, conservateur du musée de Raleigh, où il est en charge des collections d’histoire locale et afro-américaines, quant à lui, bien qu’il soit Noir, relève qu’il est stupide d’affirmer qu’aucun afro-américain ne s’est opposé aux armées de l’Union et il affirme que « du fait d’un rapport particulier entre le sol et ses habitants, le patriotisme sudiste s’était développé y compris chez les esclaves des plantations ». Un autre historien Noir, Roland Young, déclare ne pas être surpris par tout cela. Il explique que « la plupart des Noirs du Sud, sinon tous, ont soutenu leur nation. En faisant cela, ils ont montré qu’il était possible de séparer le refus de l’esclave et l’amour de sa patrie. »

    Ed Smith, un universitaire qui a beaucoup travaillé sur le sujet, estime pour sa part qu’il est impossible de juger avec des yeux contemporains de la réalité de la société sudiste de la première moitié du XIXème siècle et de la complexité des liens qui y unissaient les Blancs et les Noirs et qui les rendaient solidaires face aux envahisseurs du Nord.

    Cela étant, la négation de la participation de troupes noires aux armées du Sud n’est pas récente. L’historien Ed Bearrs, la date des années 1910. Quant à Erwin Jordan, un autre universitaire spécialisé sur ce sujet, il affirme que la réécriture de l’histoire a commencée dès la défaite des Confédérés et il relate « Durant mes recherches, j’ai découvert de nombreux listings de prisonniers Noirs rédigés par des officiers nordistes. On se rend compte que ces afro-américain ont déclaré qu’ils étaient des soldats de la Confédération et que dans un second temps, ces mentions ont été biffées et qu’un scripte les a remplacées par serviteur, domestique, etc. »

    En réalité, il y eu environ 65.000 noirs qui servirent dans les rangs des Confédérés et 13.000 d’entre eux participèrent à un ou plusieurs combats. Les unités bi-raciales étaient fréquentes et ce n’est qu’à la fin de la guerre que furent organisés des régiments monochromes. L’historien Ervin Jordan remarque d’ailleurs que si le Sud avait gagné la guerre, il aurait alors disposé de la plus importante armée de couleur du monde et que cela aurait sans aucun doute totalement changé l’avenir des États-Unis en n’y permettant pas l’apparition de la ségrégation et du racisme contemporain.

    Ce racisme fut d’ailleurs totalement absent des rangs des anciens combattants sudistes, comme en témoignent deux exemples. En 1913, lors de la célébration du 50ème anniversaire de la bataille de Gettysburg, un rassemblement d’anciens combattants de l’Union et de la Confédération fut organisé. Les initiateurs - nordistes – de la cérémonie avaient prévu des tentes pour les soldats noirs de l’Union mais avaient omis d’en dresser pour ceux du Sud. Or de nombreux confédérés de race noire se présentèrent sur les lieux et partagèrent les tentes de leurs frères de combats blancs, alors que les nordistes, de leur côté, pratiquaient dans leur campement la ségrégation raciale… De même, en 1914, quand un monument en l’honneur des soldats sudistes tombés au combat fut élevé dans le cimetière militaire national d’Arlington, son sculpteur prit soin d’y représenter plusieurs soldats noirs confédérés mêlés à leur camarades blancs.

    C’était, il y a presque cent ans, à une époque où la police de la pensée n’existait pas ou presque. Maintenant on nous impose ce que nous devons penser, même si cela est contraire à la simple vérité historique.

    Les soldats noirs du Sud mieux traités que ceux du Nord !

    Les soldats noirs de la Confédération recevait exactement la même solde que les soldats blancs, soit 11 dollars mensuels.

    Dans les troupes de l’Union, un soldat afro-américain gagnait 10 dollars par mois, une retenue de 3 dollars était effectuée pour payer son uniforme et son équipement ce qui fait qu’au final il ne touchait de 7 dollars. Les soldats nordistes de souche européenne recevaient quant à eux 13 dollars chaque mois et aucune retenue n’était effectuée sur leur solde.

    De plus, des spécialistes noirs étaient rémunérés à grand frais par l’armée du Sud et ils gagnaient parfois un salaire supérieur à la solde d’un officier sudiste.  

    Christian Bouchet http://www.voxnr.com/

  • Péguy parmi nous par Pierre LE VIGAN

    Il y a cent ans, Péguy publiait Le mystère de la Charité de Jeanne d’Arc, pièce de théâtre qui est toute entière le mystère de la prière de Péguy. Il publiait aussi, cette même année 1911, Le Porche du mystère de la deuxième Vertu (« Ce qui m’étonne, dit Dieu, c’est l’espérance. » Cette « petite fille espérance. Immortelle » que chantera cet autre poète qu’était Brasillach). L’occasion de revenir sur Péguy, l’homme de toutes les passions.

    En 1914 mourrait Charles Péguy, au début d’une guerre qui marqua la fin d’une certaine Europe et d’une certaine France. Péguy représentait précisément le meilleur de l’homme de l’ancienne France, atteint au plus haut point par les ravages du monde moderne. On dit parfois qu’il y eut deux Péguy, le premier socialiste et dreyfusard, et le second, nationaliste, critique du progrès, catholique proclamé (par ailleurs nullement pratiquant) et atypique. Ces deux Péguy ont leur grandeur, et les deux ont été bien vivants c’est-à-dire qu’ils ont écrits comme tout le monde aussi quelques bêtises. Mais c’est le même homme qui a été tour à tour socialiste idéaliste et critique passionné – et bien injuste – de Jean Jaurès. Et c’est le même homme qui fut poète, et qui fut hanté par l’idée de hausser l’homme. C’est pourquoi dans Notre jeunesse (1910), Péguy écrivait : « On peut publier mes œuvres complètes, il n’y a pas un mot que j’y changerais. » Et de dire dans ce texte, en substance : je ne renierais jamais mon engagement (dreyfusard) dans l’affaire Dreyfus et je ne renierais jamais la République.

    Péguy est né à Orléans en 1873. Il sera influencé par Louis Boitier et le radicalisme orléanais. Fils d’un menuisier et d’une rempailleuse de chaises, Péguy peut faire des études grâce à une bourse de la République. Condisciple du grand historien jacobin Albert Mathiez, Péguy échoue à l’agrégation de philosophie. Dans les années 1890, il se range du côté des socialistes par aspiration à la fraternité et un ordre vrai. De même, il défend Dreyfus injustement accusé de trahison. C’est un anticlérical et un homme de gauche. « Les guerres coloniales sont les plus lâches des guerres », écrit-il en 1902. Sa première Jeanne d’Arc qui, parue en 1897, n’aura aucun succès est dédiée à ceux qui rêvent de la République socialiste universelle. Il abandonne la voie du professorat en 1897.

    À partir de 1900, il évolue de manière de plus en plus autonome et inclassable. Il se convertit à un certain réalisme politique. « La paix par le sabre, c’est la seule qui tienne, c’est la seule qui soit digne », écrit-il alors à propos de la colonisation française. Ce qui n’est pas incompatible avec le premier propos mais marque une nette inflexion. C’est l’époque de Notre Patrie (1905) et du raidissement patriotique après l’incident de Tanger. « L’ordre, et l’ordre seul, fait en définitive la liberté. Le désordre fait la servitude », écrit-il alors dans les Cahiers de la Quinzaine. Mais ce ne peut être qu’un ordre vrai, c’est-à-dire un ordre juste.

    L’antisocialisme de Péguy vers 1910 est surtout une protestation contre l’embourgeoisement du socialisme. Mais il faut le dire : il y aussi un profond recul de l’intérêt pour la question sociale. S’il ne fut jamais maurrassien (Daniel Halévy expliquera que ce qui a manqué au débat français c’est un face-à-face Maurras – Péguy), Péguy était par contre proche de Barrès.

    Anticlérical mais chrétien – il trouve la foi en 1908 -, extrêmement patriote (jusqu’à un antigermanisme détestable mais naïf), Péguy était aussi philosémite (à une époque où le sionisme n’existait pas), ainsi grand admirateur de Bernard Lazare. Les amis juifs ne manquèrent pas à Péguy, tels le fidèle Eddy Marix. Sans parler de « Blanche », son dernier amour. Loin d’être attiré par les extrêmes, Péguy est à partir de 1900, en politique, très modéré. Il voue ainsi un grand respect à Waldeck-Rousseau, homme de gauche modéré, voire « opportuniste » au sens du moment, qui mit un terme  aux affres de l’affaire Dreyfus.

    Après avoir ouvert une librairie, vite en faillite, Péguy crée les Cahiers de la Quinzaine, qui n’auront jamais assez d’abonnés pour être rentables (on parle de 1400 abonnés, mais des historiens tels Henri Guillemin indiquent qu’il n’en a jamais eu 1200). Abandonnant le socialisme devenu parlementaire, il s’attache à prôner une République idéale, indépendante des partis et de l’argent, patriote, sociale, apportant à tous l’éducation, la dignité dans le travail et la fraternité. C’est dire que Péguy n’a jamais complètement renié ses idéaux de jeunesse. « Une révolution n’est rien, si elle n’engage pas une nouvelle vie, si elle n’est entière, totale, globale, absolue… » Péguy devient l’homme de toutes les traditions, « des fleurs de lis mais aussi du bonnet phrygien (avec cocarde) ». « Un Michelet dégagé des vapeurs idéologiques », remarque Maurice Reclus. Une fidélité à la République comme continuité de toute notre histoire. C’est ce qu’il résuma par la fameuse formule : « La République c’est notre royaume de France ».

    Ami de Jacques Maritain, de Lucien Herr, de Pierre Marcel-Lévy, de Georges Sorel (qui ne crut jamais à sa conversion catholique), de Léon Blum, avec qui il se fâcha, de Marcel Baudouin dont il épousa la sœur et à qui il vouait une affection fraternelle jusqu’à utiliser le pseudonyme de Pierre Baudouin, sous le nom duquel il publia sa première Jeanne d’Arc, Péguy était en relation avec les plus brillants mais aussi souvent les plus profonds des intellectuels de l’époque. De même qu’il échouera à l’agrégation de philosophie, il ne termina jamais sa thèse sur « l’histoire dans la philosophie au XIXe siècle », ni sa thèse complémentaire qui portait sur le beau sujet « Ce que j’ai acquis d’expérience dans les arts et métiers de la typographie ». Ce qu’il cherchait n’était pas de paraître, c’était de tracer un sillon bien précis : l’éloge des vertus d’une ancienne France, celle des travailleurs, des artisans, des terriens. « C’est toujours le même système en France, on fait beaucoup pour les indigents, tout pour les riches, rien pour les pauvres », écrivait-il dans une lettre du 11 mars 1914.

    Souvent au bord de la dépression, Péguy ne se ménageait guère. « Le suicide est pour moi une tentation dont je me défends avec un succès sans cesse décroissant », écrivait-il à un de ses amis. Il ne cherchait pas le confort pour lui-même : ni le confort moral ni le confort intellectuel. « Il y avait en ce révolutionnaire du révolté, écrivait son ami Maurice Reclus, et, ces jours-là, je ne pouvais m’empêcher de voir en Péguy une manière de Vallès – en beaucoup plus noble, évidemment, en beaucoup moins déclamateur et revendicateur, un Vallès sans bassesse, sans haine et sans envie, mais un Vallès tout de même. » Péguy prétendait être un auteur gai, et s’il n’était pas comique ni léger, il était quelque peu facétieux. Oui, cet homme avait la pudeur de la gaieté. Il ne cherchait jamais à être étincelant, mais il étincelait.

    Ce que récuse Péguy, et là, il n’est pas modéré, c’est le modernisme. Le danger qu’il annonce, c’est « la peur de ne pas paraître assez avancé ». C’est pourquoi sa critique de l’obsession moderniste est souvent associée au regret des temps passés, alors qu’elle témoigne pour un autre avenir possible. « Mais comment ne pas regretter la sagesse d’avant, comment ne pas donner un dernier souvenir à cette innocence que nous ne reverrons plus. […] On ne parle aujourd’hui que de l’égalité. Et nous vivons dans la plus monstrueuse inégalité économique que l’on n’ait jamais vue dans l’histoire du monde. On vivait alors. On avait des enfants. Ils n’avaient aucunement cette impression que nous avons d’être au bagne. Ils n’avaient pas comme nous cette impression d’un étranglement économique, d’un collier de fer qui tient à la gorge et qui se serre tous les jours d’un cran. » (L’Argent). Deux semaines avant d’être tué, le 5 septembre 1914, Péguy était au front à la tête d’une compagnie. Il écrivait : « nous sommes sans nouvelles du monde depuis quatre jours. Nous vivons dans une sorte de grande paix. »

    Pierre Le Vigan http://www.europemaxima.com/

    • Arnaud Teyssier, Charles Péguy, une humanité française, Perrin, 2008.

    • Romain Rolland, Péguy, Albin Michel, deux volumes, 1945.

    • Maurice Reclus, Le Péguy que j’ai connu, Hachette, 1951.

    • Bernard Guyon, Péguy, Hatier, 1960.

    • Charles Péguy, L’Argent (1913), réédité par les éditions des Équateurs.

    • Paru dans Flash, n° 67 du 2 juin 2011.

  • L'IRONIE CONTRE LA “POLITICAL CORRECTNESS”

    Université d'été de "Synergies Européennes", lundi 28 juillet 1997
    Cercle Proudhon, Genève, décembre 1997
    Organiser un atelier de l'Université d'été sur l'ironie comme “arme” contre la “political correctness” est politiquement et métapolitiquement justifié.
    En effet, quelle est l'origine de la “political correctness” (dorénavant en abrégé: PC)?
    Aux Etats-Unis, dès la fin des années 70, le relativisme, la ruine des idéaux et des ressorts communautaires provoquent une réaction qui prend forme dans le livre de John Rawls, A Theory of Justice (1979).
    Pour atteindre l'idéal de la justice, pour le concrétiser, il faut, entre autres choses:
    - une philosophie normative
    - des normes capables de revigorer les ressorts coopératifs et communautaires de la société.
    - Or, la tendance générale de la philosophie anglo-saxonne avait été de dire que les normes n'avaient pas de sens.
    Donc, à la veille de l'accession de Reagan à la présidence des Etats-Unis, on dit: «Il faut des normes».
    Pour avoir des normes, deux solutions:
    1. Adopter les idées de Rawls, et ainsi promouvoir la justice, la coopération, la communauté. Mais c'est incompatible avec le programme néo-libéral de Reagan.
    2. Déclarer indépassables, les “valeurs” du libéralisme telles qu'elles avaient été fixées par Locke à la fin du 17ième siècle. C'est Nozick qui offre cette option dans son livre Anarchy, State, Utopia (1974). Pour Nozick, l'Etat doit protéger ces valeurs libérales anglo-saxonnes contre toutes les autres.
    Toutes les autres? Cela fait beaucoup de choses! Beaucoup de choses à rejeter!
    Avec Hobbes, la philosophie politique anglaise avait rejeté hors de son champs les controverses religieuses parce qu'elles menaient à la guerre civile (ère des neutralisations disait Carl Schmitt).
    Avec les déistes (Charles Blount, John Toland, Matthew Tindal, Thomas Woolston), la raison doit oblitérer les parts obscures de la religion, pour qu'elles ne deviennent pas subitement incontrôlables.
    Comme on est en Europe, les déistes acceptent le christianisme par commoditié (sans y croire), mais ce christianisme signifie:
    - un christianisme raisonnable (sans excès, sans fanatisme, etc.);
    - le déisme a pour objectif de "raisonnabiliser" le christianisme (et toute la sphère religieuse);
    - religion et "bon sens" doivent coïncider;
    - il ne peut pas y avoir d'opposition entre religion et “bon sens ";
    - il faut évacuer les mystères, car ils sont incontrôlables.
    - les institutions religieuses doivent être "tranquilles”;
    - miracles et autres "absurdités" du Nouveau Testament sont purement "symboliques".
    John Butler, issu du filon aristotélo-thomiste médiéval répond à l'époque aux déistes:
    - l'homme est un "être insuffisant", "imparfait", il présente donc ontologiquement des lacunes, il est quelques fois ontologiquement "absurde";
    - l'homme a besoin de béquilles culturelles, dont, surtout, un système de normes, de fins. Ce système doit certes être logique, mais pas complètement accessible à notre raison.
    C'est dans le contexte de cette disputatio  entre les déistes et Butler qu'il faut replacer deux grands maîtres de l'ironie:
    - John Arbuthnot (1667-1735) et
    - Jonathan Swift (1667-1745).
    John Arbuthnot, ami et inspirateur de Swift est médecin et mathématicien. Il n'écrira pas de livre qui fera date, sauf peut-être son Martinus Scliberus, satire exagérant les défauts des hommes réels. Qui souligne l'inadéquation entre la théorie idéale de l'homme et l'homme de chair, de sang, de vice et de stupre.
    L'ironie d'Arbuthnot se retrouvera dans le maître-ouvrage de Swift: Gulliver's Travels  (= Les voyages de Gulliver).
    Première remarque sur les “Voyages de Gulliver": on croit que c'est un livre pour les enfants; effectivement une masse de versions édulcorées de ce livre existent à l'usage des enfants. Mais faisons nôtre cette remarque de Maurice Bouvier-Ajam: «Que d'éditions abêties, mutilées, trahies pour "plaire" au jeune lecteur! Et de quelles joies cette mutilation de l'œuvre ne prive-t-elle pas l'adulte, trompé et blasé prématurément... et frauduleusement...».
    D'Arbuthnot, Swift reprend:
    - la pratique de la physiognomie, c'est-à-dire un mode d'arraisonnement du réel et plus particulièrement du grotesque qui lui est inhérent (à mettre en parallèle avec les “Caractères” de La Bruyère et avec le "regard physiognomique" de Jünger);
    - la pratique de l'humour et du sarcasme;
    - un point de vue physique (physiologique au sens nietzschéen, participant de la “révolte des corps" et de la Leiblichkeit).
    - un rationalisme moqueur et non constructiviste, moralisateur, pédant;
    - l'idée d'un rationalisme comme "humilité de l'intelligence".
    Souvent, la "raison", dans le contexte de la modernité européenne, est "révolutionnaire" parce qu'elle abat les irrationalités stabilisantes de la société en place, pour les remplacer par de nouveaux édifices raisonnables mais rigides (querelle des déistes).
    Face à cette rationalité moderne, la rationalité de Swift:
    - n'est pas un irrationalisme conservateur articulé pour répondre aux déistes ou aux rationalistes
    - mais une moquerie qui fragilise toutes les conventions, y compris anticipativement, celles des rationalistes.


    Swift:
    - raille les fanatismes des catholiques et des sectes protestantes "non conformistes";
    - se révolte contre les ambitions constructivistes des déistes;
    - dresse une pathologie des "Etats mystiques", qui ne camouflent, derrière leurs discours sublimes, que des turpitudes, des désirs inavoués de stupre ou de richesse.
    - démontre que les discours des sectes protestantes (Quakers, Rauters, Huguenots extrémistes) sont des "convulsions", des "fermentations troubles de l'animalité" (Cf. A Tale of a Tub. Discourse Concerning the Mechanical Operation of the Spirit).
    Dans The Battle of Books, on trouve une critique acerbe du rationalisme car celui-ci est:
    - ambitieux;
    - insolent;
    - inacceptablement hostile à l'égard de la "gloire des Anciens";
    - une activité théorique stérile (Cf. le Royaume de Laputa).
    Swift prévoit déjà: «La fièvre de la spéculation, de l'enquête rationnelle, et, déjà, du progrès mécanique, que la société qui lui est contemporaine exhibe déjà; il la présente comme l'ardeur agitée de cerveaux surchauffés, dans lesquels se bousculent toutes sortes de "projets" et d'inventions, autant de chimères sans queue ni tête» (Legouis/Cazamian, p. 762).
    L'homme est par essence vil et corrompu. Pour y remédier:
    - Hobbes avait prévu un contrat et l'érection du Léviathan;
    - Locke avait forgé l'idée du contrat démocratique moderne et préconisé, à la suite des déistes, d'"expurger les mystères";
    - Swift reste un pessimiste fondamental:
    - le contrat ne changera pas la nature humaine;
    - le contrat ne sera toujours que provisoire;
    - ni mystères de la religion ni noirceurs de l'âme humaine ne sont éradicables.
    Chez Swift, nous découvrons un rejet de toutes les affirmations générales [qui prendra ultérieurement des formes très diverses: chez Herder, chez les Romantiques allemands, chez Jünger (cf. sa définition du "nationalisme" comme révolte du particulier contre le général), dans la révolte diffuse depuis Foucault contre les affirmations générales actuelles].
    Avec Swift démarre aussi la tradition littéraire anglaise de la "contre-utopie”.
    - L'utopie est un lieu idyllique, une île merveilleure ou la lune chez Cyrano de Bergerac.
    - Mais la tradition utopique draine en elle-même sa propre réfutation. Le projet idéal de l'utopiste est trop souvent froid et sec, pur projet de législation alternative visant à CORRIGER LE RÉEL. Dans ce cas, écrit le Prof. Raymond Trousson dans Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique:  «il n'est pas possible d'évoquer un possible latéral, mais de peser sur l'histoire».
    Cette tradition contre-utopique trouvera son apogée dans le 1984 d'Orwell, où le futur devient cauchemar (Future as Nightmare). Le futur est alors le fruit, le résultat d'une volonté de transposer dans le réel les idées:
    - des déistes/des rationalistes;
    - de Locke;
    - des projets de sociétés parfaites;
    Nous retrouvons l'intention de Nozick.
    Pour Rainer Zitelmann, la pensée utopique s'articule autour de trois idées majeures:
    - La "fin de l'histoire", après la généralisation planétaire du "projet" ou du "code".
    - La croyance en la possibilité d'émergence d'un "homme nouveau", par dressage ou rééducation.
    - La croyance aux effets "eudémoniques" de l'égalité.
    Ces trois idées marquent fortement la "political correctness" actuelle. C'est contre elles qu'il faut déployer ironie, sarcasmes et moqueries.
    Les recettes de cette stratégie du rire sont multiples.
    Examinons-en deux:
    - L'œuvre de l'Espagnol Eugenio d'Ors.
    - L'œuvre du sociologue néerlandais Anton Zijderveld.
    Puis replaçons leurs arguments dans un contexte philosophique contemporain plus général.

    EUGENIO D'ORS (1881-1954):
    Ce philosophe catalan a été défini comme: un "Socrate nordique", un "Goethe méditerranéen", un "personnage de théâtralité baroque".
    A 25 ans en 1906, il décide: «Je serai ironique». Option première qui ne sera jamais démentie.
    Sa réflexion sur l'ironie part du constat suivant:
    - Présence de l'ironie dans la philosophie grecque, où l'ironie est jugée négative par Aristophane et Platon, mais jugée intéressante par Socrate (qui déploie son "ignorance méthodique" et sa "maïeutique") et par Aristote pour qui l'ironie est une modestie intellectuelle (Butler, Swift).
    D'où d'Ors retient de l'ironie grecque qu'elle est "une sorte d'humilité courtoise qui suscite la confiance, une façon de se comporter qui est altruiste". Retenons cette définition, mais ajoutons-y celle de Cicéron: «L'ironie est une habilité polémique». Dans ce cas, elle est une stratégie du dialogue, de la polémique politique.
    Mais d'Ors va plus loin que le dialogue:
    - La présence de l'interlocuteur finit par n'être plus nécessaire chez lui.
    - d'Ors applique l'ironie au monologue intérieur (Céline) du penseur solitaire.
    - d'Ors prend distance par rapport à son objet;
    - d'Ors dépassionne les débats philosophiques et politiques;
    - d'Ors dévalue ainsi tactiquement son objet (précisons: tactiquement et non pas fondamentalement);
    - d'Ors aborde tout objet de façon oblique (pas d'affrontement frontal: stratégie intelligente de l'esquive qui s'avère bien utile quand on est quantitativement, numériquement inférieur).
    - pour d'Ors, l'ironiste aborde l'objet du débat sans avoir l'air de s'impliquer, ni même de la connaître vraiment.
    - Avec cette position détachée, il va opter pour une stratégie de hit and run; il va soulever tantôt tel aspect, tantôt tel autre, frapper, se retirer, obliger l'ennemi à se fixer sur tel front et alors il attaquera sur un autre front, pour revenir au premier comme par hasard.
    - l'ironie de d'Ors ne vise pas une connaissance globale, totale, mais reste ouverte à toutes les additions et les soustractions; ainsi elle ne divise pas, mais intègre au départ du divers, de la fragmentation.
    - Mieux: l'ironie de d'Ors intègre la contradiction; elle admet qu'il y a des contradictions insurmontables dans le monde.
    Avec Eugenio d'Ors, l'ironie devient synonyme d'"esprit philosophique" et même de "dialectique". Elle cherche à éviter l'écueil d'une philosophie trop préceptive.
    Il y a là un parallèle évident avec notre propre démarche: refuser les préceptes du "nouvel ordre mondial", issu des affirmations de Locke, réactualisées et figées hors contexte  —et anachroniquement—  par Nozick et Buchanan.
    L'objectif de d'Ors est:
    - d'observer la réalité, de l'accepter dans ses diversités;
    - d'éviter l'écueil d'un normativisme sec (que la philosophie relativiste avait jugé dénué de sens);
    - de faire de la philosophie ironique la fidèle interprète de la réalité:
    - de baigner à nouveau la philosophie dans les eaux vives de la curiosité;
    - de s'inscrire dans la tradition vitaliste hispanique (Cf. le "ratiovitalisme" d'Ortega y Gasset).
    - d'affirmer que les contradictions sont toujours déjà là, non comme dans la vulgate hégélienne, où la contradiction est perçue comme une forme ultérieure dans le temps. Eugenio d'Ors affirme la simultanéité du réel et des contradictions, sans vectorialité ni téléologie.
    Ensuite:
    1. L'ironie correspond à la plasticité du monde:
    - mots-clefs: activité, flexibilité, dynamisme, élasticité.
    - l'ironie respecte la "malléabilité" de tout objet (jamais elle ne le pose comme a priori rigide et fermé).
    - l'ironie vise l'adéquation de l'intellect à un monde de lignes "estompées": fluides, fuyantes, diffuses (cf. Hennig Eichberg, in Vouloir n°8).
    2. L'ironie correspond à l'ambigüité du langage:
    Cet aspect de la philosophie de d'Ors est très important dans la lutte contre toute orthoglossie (contre toute prétention à imposer un langage unique, pour une pensée unique).
    Première chose à retenir:
    - Toute langue est la forme nécessaire que doit revêtir le savoir humain.
    - Cependant, dit d'Ors, dans tout lexique, et plus particulièrement dans tout lexique philosophique, il y a toujours un "minimum d'équivoque" ou d'"inévitables imprécisions".
    Pour d'Ors comme pour nous, ce n'est pas une tare mais "une garantie de vivacité, ce qui est hautement désirable", car le langage est alors bien le reflet du dynamisme du monde et du savoir.
    Tout mot, toute parole, est dans une telle optique un ÉVENTAIL de possibilités créatrices ouvertes, un mouvement, une impulsion pour la pensée, une potentialité active d'enchaînements, de sources et de MÉTAPHORES.
    D'Ors s'appuie sur la définition du langage de HUMBOLDT:
    «Le langage n'est pas un résultat, tout de quiétude et de repos, mais une énergie, une création continue».
    L'amphibologie (double sens que revêt ou peut revêtir toute phrase) et l'inexactitude du langage font de celui-ci une RAMPE DE LANCEMENT pour l'innovation: tout vrai écrivain écrit de perpétuels NÉOLOGISMES. (L'écrivain donne des sens nouveaux aux mots, les enrichit, les complète, complète leur champ sémantique, révèle des facettes occultées, oubliées ou refoulées du vocabulaire).
    Par leur ambigüité constitutive, les langues ne résistent pas à l'exactitude quantitative et à la rigueur terminologique des symboles mathématiques. Pour les tentatives de construire une philosophie more geometrico  est condamnée à l'échec (mais aussi de construire une orthoglossie où les mots seraient tous absolument UNIVOQUES).
    - L'ironie consiste à reconnaître cet incontournable fait de la linguistique: l'amphibologie.
    - L'ironie reconnait le caractère irrécusablement métaphorique de toute parole, reconnait la dualité ou la pluralité inhérente à toute formulation. D'Ors: «Ley más laxa, más inteligente».
    Conclusion de ce point 2:
    «L'équivocité polysémique, que la philosophie conventionnelle (et partant, toute orthoglossie ou toute "novlangue" à la Orwell), ont considéré comme une malédiction babelienne, devient par le travail et la grâce, la légèreté, la flexibilité et la souplesse de l'ironie d'orsienne, une chance de comprendre davantage de choses dans ce qui est dit, de ne pas réduire le contenu du discours et de la pensée à des univocités rigides. Et surtout l'ironie d'orsienne nous permet toujours de compter avec la collaboration créatrice de l'autre, de l'interlocuteur potentiel (remarquons que la bonne formule pour désigner le dialogue avec l'Autre, venu d'une autre civilisation ou d'une autre culture est: “dialogue interculturel”).
    Contre toutes les orthoglossistes fanatiques, présents et à venir, d'Ors sanctifie le PÉCHÉ ORIGINEL des langages, c'est-à-dire leur plurivocité. On ne peut pas renoncer aux contradictions et aux ambigüi­tés.
    3. L'ironie correspond à la nature inépuisable de la vérité:
    Comme l'ironie est MODESTIE INTELLECTUELLE, elle accepte qu'il reste des secrets, des mystères, dans le ciel et sur la terre (contrairement aux déistes). Il est impossible d'interpréter de façon EXHAUSTIVE les faits du monde. Ce serait aller à l'encontre de la nature.
    4. L'ironie correspond à un monde où l'on travaille et l'on joue:
    Dès 1911, d'Ors dit: «je vais énoncer la philosophie de l'homme en activité, de l'homme qui travaille et qui joue» (En 1914 paraît son livre: Filosofia del hombre que trabaja y juega).
    L'existence humaine, c'est certes la lutte pour la vie, mais c'est aussi la fête et la joie. Ignorer l'aspect ludique, c'est mutiler cruellement l'humanité. Car le jeu est souvent, plus que le travail, le “lieu de la créativité”.
    5. L'ironie correspond à l'aspect contradictoire du réel:
    6. L'ironie correspond à l'expression catalane de “SENY":
    - Quand les Catalans parlent de "Seny", ils entendent un mélange de sagesse, de savoir, de maturité, de prudence, de bon sens et d'intelligence.
    - Pour le Catalan Eugenio d'Ors, l'ironie est la méthode du philosophe doué de "seny".
    - Eugenio d'Ors replace ainsi l'ironie dans l'éthique, refuse de faire de l'ironie une pure arme de destruction.
    - L'ironie ramène les choses à leurs justes proportions, qui ne sont jamais figées mais toujours en mouvement.
    - L'ironie est donc une "position de liberté" vis-à-vis des axiomes rigides.
    - L'ironie, en tant que position de liberté, donne à celui qui la pratique une position souveraine, libre de toute entrave, indépendante face au monde (mundanus),  aux contingences frivoles ou éphémères.
    - Le philosophe ironique est davantage libre-penseur que le philosophe dogmatique.

    La SOCIOLOGIE D'ANTON ZIJDERVELD:
    Après le philosophe catalan Eugenio d'Ors, abordons la sociologie du Néerlandais Anton Zijderveld (disciple d'Arnold Gehlen).
    Pour lui:
    - L'humour est spontanéité et authenticité;
    - L'humour est une fonction sociale oblitérée et traquée par la modernité;
    - L'humour est une fonction sociale qu'il convient impérativement de réhabiliter. Dans cette optique, il faut, dit-il, retrouver le sens des fêtes, du carnaval, de la Fête des Fous où se conjuguent ébats de toutes sortes, dérision ritualisée du pouvoir et des édiles.
    Le point de vue de Zijderveld n'est pas destructeur ou dissolvant: il dit que l'humour ne détruit pas les institutions (au sens de Gehlen), il les maintient en les remettant en question à intervalles réguliers, il évite qu'elles ne tournent à vide ou dérivent dans l'absurbe de la répétition.
    Zijderveld s'oppose à ce qu'il appelle une “gnose sociale”, ou plus spécifiquement, le “nudisme social”. Selon le “nudisme social”, l'homme moderne est porté par l'obsession consistant à dire que l'homme n'est authentique que s'il a abjuré tous les rôles qu'il a joués, joue ou pourrait jouer au sein des institutions.
    Rôles et institutions sont considérés par les “nudistes sociaux” comme des vecteurs d'aliénation oblitérant le véritable "moi" (fiction).
    La fête médiévale, la Fête des Fous, les esbaudissements des Goliards, les confréries carnavalesques impliquent justement le port du masque: cela signifie qu'un homme authentique, qu'il soit boucher, boulanger, architecte ou médecin, adopte une inauthenticité fictive dans un segment limité du temps, le temps du carnaval, où est restitué brièvement le chaos originel.
    Pour Zijderveld, la “gnose”, le “nudisme social”, l'obsession de l'homme authentique sans rôle ni profession ni béquille institutionnelle, est un apport du christianisme.
    Mais l'histoire du moyen-âge européen, de la Renaissance, nous révèle que ce christianisme n'est qu'un mince vernis.
    Preuve: la persistance des Saturnales ro­maines sous la forme du FESTUM STULTORUM ou du FESTUM FATUUM, pendant lequel blasphèmes et moqueries sont pleinement autorisés: il s'agit ni plus ni moins d'une INVERSION SALUTAIRE DE LA NORMALITÉ QUOTIDIENNE, qui permet de recréer brièvement le chaos originel, pour montrer son impossibilité dans le quotidien, la nécessité des institutions et, en même temps, leur fragilité.
    Autre signe que le christianisme médiéval n'est que vernis: la présence permanente dans cette société médiévale des GOLIARDS et des VAGANTES, qui ne cessent de blasphémer dans leurs chansons et de véhiculer des idées anti-cléricales (Cf. Les Chants de Cambridge  de 1050 et les Carmina Burana  de 1250, mis en musique en ce siècle par Carl Orff).
    A partir du Concile de Bâle en 1431, de la Condamnation des fêtes par la faculté de théologie de Paris en 1444 (Charles VII doit constater que les mesures prises n'ont aucun effet!), à partir de la Renaissance, la Fête des Fous est plus réglementée (Ordonnance du Parlement de Dijon en 1552), de même que les charivaris, dont la fonction devient la moralisation de la société (moqueries contre les adultères, les filles volages, etc.).
    La Bazoche des étudiants juristes de Paris, Lyon et Bordeaux organise des théâtres caricaturants et satiriques, se mue ensuite en club littéraire (dans les Pays-Bas méridionaux, on parle de "Chambre de Rhétorique” ou "Kamers der Rederrijkers", plus audacieuses que dans les grands royaumes modernes).
    Zijderveld cite deux auteurs:
    - Rabelais (nous y revenons)
    - Erasme (Laus Stultitiae: Eloge de la folie).
    Conclusion de Zijderveld:
    - Battre en brèche l'arrogance de l'Aufklärung
    - Démontrer que le moyen-âge est moins "obscurantiste" qu'on ne l'a écrit
    - Démonter que le moyen-âge était bien davantage anti-répressif que la modernité (Foucault), du moins dans les espaces-temps réservés à la fête.
    - Montrer que l'INVERSION des règles quotidiennes doit pouvoir exister dans toute société, pour assurer une convivialité féconde.
    Mais quid de l'humour dans la modernité selon Zijderveld?
    - L'humour de la Fête des Fous, des Saturnales, est régulateur, naturel.
    - L'humour n'y est pas simple "soupape" de sécurité.
    Aujourd'hui:
    - L'humour est rejeté parce qu'il serait AGRESSIF (arguments psychanalytiques). Cette agression latente doit être systématiquement "punie" (“Surveiller et punir” selon Foucault).
    La réponse de Zijderveld:
    - L'humour permet à tous d'entrevoir la fragilité des choses, même les plus sublimes;
    - L'humour permet la communication sociale de manière optimale.
    - L'humour soude la solidarité du groupe.
    - L'humour permet la résistance passive contre la tyrannie ou l'occupation.

    RICHARD RORTY: CONTINGENCE, IRONIE ET SOLIDARITÉ
    Quelle position la philosophie actuelle laisse-t-elle à l'ironie?
    Quelle est la place de l'ironie dans le contexte du "nouvel ordre mondial", après la concrétisation des projets de Nozick et Buchanan?
    Le corpus le plus significatif, le plus souvent évoqué à l'heure actuelle est l'œuvre de RICHARD RORTY (Contingency, Irony and Solidarity).
    Rappelons quelques points essentiels de l'œuvre de Rorty:
    - La philosophie ne peut évoluer si elle s'en tient à des critères délibérément soustraits au temps.
    - Une démarche philosophique doit toujours être replacée dans son contexte historique.
    - Il faut parier pour une philosophie plus formatrice (bildende) que préceptive.
    - Il faut refuser la réduction de tous les discours à un seul discours universel.
    - Il faut proclamer la légitimité des discours "contingents" à deux niveaux: au niveau individuel (autopoiésis; Selbsterschaffung)  et au niveau communautaire (consolider la solidarité).
    La place du philosophe ironique (comme d'Ors) se justifie par:
    - la réponse au double défi qu'il apporte, double défi de l'autopoiésis et de la solidarité.
    - son savoir modeste qui veut que ses convictions, ses espoirs et ses besoins sont toujours CONTINGENTS.
    - son souci d'éviter d'ériger un MÉTA-DISCOURS.
    - sa volonté de comprendre et de faire comprendre que la raison pure de Kant et son avatar actuel “la raison communicationnelle” de Habermas sont devenus obsolètes, dans le sens où elles sont universalistes, métadiscours, se méfient de la contingence et de l'histoire.
    - Nous n'avons plus besoin de "méta-discours" mais d'un RECOURS à la multiplicité des faits contingents.
    - La solidarité ne dérive plus de l'adhésion à un méta-discours partagé par tous obligatoirement, mais par respect "nominaliste" et "historique" des multiples contingences qui font le monde.
    - Rorty réhabilite la PHRONESIS grecque, soit la sagesse et l'intelligence pratiques.
    - Rorty rejette les philosophie, les théories qui se posent comme purement spectatrices (sa différence d'avec d'Ors) et refusent l'IMMERSION dans la contingence concrète d'un contecxte historique qui réclame implicitement la solidarité.
    - Rorty réclame l'abolition des représentations figées.
    - Rorty n'est pas relativiste, puisqu'il ne nie pas les valeurs propres à une contingence particulière.
    - Rorty développe un ethno-centrisme axiologique ET pragmatique qui n'est nullement missionnaire. Il ne cherche pas à imposer ailleurs dans le monde les valeurs (ou les non-valeurs) de la “culture nord-atlantique".
    Conclusion:
    Rorty se base sur NIETZSCHE, FREUD, WITTGENSTEIN et HEIDEGGER (dont il ne reprend pas la définition de l'“Etre”), pour affirmer que les sociétés sont des contingences, pour rejeter le filon philosophique platonicien, pour dire que le philosophe doit se pencher sur la littérature, dont ORWELL et NABOKOV, parce que tous deux nous montrent l'effet de la CRUAUTÉ des métadiscours en acte à l'égard des contingences réelles de la vie et du monde.
    Réel, vous avez dit "réel"?
    Ce qui nous amène à Rabelais, Nietzsche, Foucault et Bataille.


    RABELAIS:
    Rabelais (1494-1553), pourquoi Rabelais?
    Au XXième siècle son exégète le plus intéressant est le Russe Mikhaïl BAKHTINE (1895-1975), linguiste et philosophe, historien des mentalités comme Michel Vovelle en France, Nathalie Davis dans l'espace linguistique anglo-saxon et Carlo Ginzburg en Italie.
    La langue pour Bakhtine comme pour Foucault est:
    - l'atelier où se forgent les instruments et les stratégies du pouvoir;
    - mais elle est AUSSI le socle sur lequel se constitue une nouvelle communauté.
    La langue de Rabelais, dans ses dimensions grotesques, ramène au CORPS, à ses limites et à ses capacités.
    Les sources de l'écriture rabelaisienne sont les RÉCITS POPULAIRES, les CONTES et les LÉGENDES, dont les thèmes sont l'existence de sympathiques canailles, de simplets, de fous.
    L'intérêt de cette écriture, c'est qu'elle hisse au niveau de la littérature universelle la dimension PARODIQUE des récits populaires.
    Rabelais a vécu la rue, les marchés, les auberges et les tavernes de son temps, mais, simultanément, il a occupé de hautes fonctions.
    Il fait ainsi charnière entre la culture populaire (encore largement païenne) et la culture des élites (christianisée).
    Rabelais perçoit la différence entre:
    - la langue des marchés, HÉTÉROGÈNE et NON FIGÉE et la langue des institutions, HOMOGÈNE et FIGÉE. Il perçoit très bien, avant la normalisation moderne, qu'il y a à la base, dans le peuple, pluralité et polysémie, tandis qu'au sommet il n'y a plus qu'univocité.
    Bakhtine parlera de "réalisme grotesque" et pourra développer une critique subtile des rigidités soviétiques sans encourir les foudres du régime.
    rabelais.jpgBakhtine en mettant en parallèle son réalisme grotesque et le réalisme socialiste officiel, revalorisera “LE PEUPLE RIANT SUR LA PLACE DU MARCHÉ”.
    A partir de la Renaissance, l'église, la cour, l'Etat absolutiste, puis l'Etat sans monarque mais porté par l'Aufklärung, vont tenté de réduire au silence ce rire populaire, véhicule d'une formidable polysémie.
    Pour Bakhtine, il s'agit d'une COLONISATION DE LA SPHÈRE VITALE (à mettre en parallèle avec les thèses analogues d'Elias, de Huizinga et de Simmel).
    A la verticalité imposée d'en haut, il oppose la convivialité horizontale de la place publique.
    Cette revalorisation de la convivialité et de l'humour corsé du peuple lui vaudra la critique négative de Tzvetan Todorov (auteur de Nous et les autres). Todorov accuse Bakhtine de “prendre parti pour le peuple sans esprit critique”.
    Simone Périer (professeur à Paris VII) rend hommage, elle, à Bakhtine pour:
    - sa biographie difficile (handicap, refus de lui accorder un doctorat)
    - pour son hymne à la joie, sa profession de foi dans l'énergie collective («La sensation vivante qu'a chaque être humain de faire partie du peuple immortel, créateur de l'histoire»).
    Que veut Bakhtine?
    1. Transcender l'individuel: Bakhtine refuse de réduire l'humain à l'être biologique isolé ou à l'individu bourgeois égoïste.
    2. Restaurer le carnaval (rabelaisien) en tant qu'antidote à l'“individuation malfaisante”.
    3. Restaurer le PARLER HARDI, expression de la conscience nouvelle, libre, critique et historique.
    4. Restaurer “la PROXIMITÉ rude et directe des choses désunies par le mensonge et le pharisaïsme”.
    Il y a donc chez Rabelais une affirmation sans faille de la CORPORÉITÉ (de la LEIBLICHKEIT).


    FOUCAULT:
    Michel-Foucault.jpgNietzsche voit dans le corps le site d'une complexité née de multiples et diverses intersubjectivités et interactions, le lieu de passage de l'expérience, toujours diverse, chaque fois unique.
    Foucault va systématiser ce filon corporel qui part du paganisme, de Rabelais et de Nietzsche.
    Pour Foucault:
    - l'homme est figure de sable, passagère et contingente, créée par des savoirs et des pratiques, tissés de hasard.
    - si l'homme est CORPS, ce corps en tant que surface est lieu, site, évoluant dans un lieu spatial concret. C'est là que l'homme se situe et non dans un monde d'idées: par conséquent, toute lutte réelle est LOCALE.
    - ce lieu doit être connu, sans cesse exploré, par enquête et historia  (= enquête en grec). L'enquête sur le lieu de notre vécu doit équivaloir à l'enquête lors d'un procès en droit. S'il y a enquête, il n'y a pas d'arbitraire, il y a liberté (et démocratie).
    - mais le quadrillage de la modernité surplombe les enquêtes, distrait les hommes concrets de l'attention minutieuse qu'ils doivent apporter à leur lieu, à leur contingence.
    - le quadrillage déclare apporter la démocratie et la transparence, mais pour s'imposer, il doit contrôler, CORRIGER, discipliner les corps (la "political correctness” est l'aboutissement de cette frénésie).
    - dans un tel univers, le droit donne formellement l'égalité et la liberté, mais dans la concrétude quotidienne s'instaurent les micro-pouvoirs disciplinants, essentiellement inégalitaires et dyssimétriques.
    - face à ces micro-pouvoirs, il n'est pas possible d'opérer un renversement global (le "tout ou rien" de la révolution fasciste ou communiste): on ne peut opposer que des résistances à un pouvoir "capillaire", des résistances multiformes, sans totalisation, une série de CONTRE-FEUX.
    - l'objectif de la modernité: le PANOPTISME de l'architecture carcérale. Les grands mythes des Lumières recèlent le danger d'un espace transparent sans échappatoire (cf. 1984 + toute la veine contre-utopique de la littérature anglaise).
    - pour Foucault, la VISIBILITÉ voulue par la modernité panoptique est un PIÈGE (les déistes déjà voulaient éliminer les "mystères"). «NOTRE SOCIÉTÉ N'EST PAS CELLE DU SPECTACLE MAIS DE LA SURVEILLANCE».
    - le droit et la justice modernes sont les instruments de cette surveillance ubiquitaire: d'où la nécessité, pour Foucault, de rejeter radicalement le droit et de se montrer extrêmement sceptique à l'égard de la notion moderne de justice. Foucault développe un ANTIJURIDISME radical.
    Mais la contestation du droit est restée dans l'orbe du droit; ses efforts se sont annulés. Il aurait fallu animer un PÔLE DE RÉTIVITÉ (exemple: les chahuts du 1 mai 96 organisés par les socialistes belges contre leurs dirigeants, les manifestations devant les palais de justice en Belgique en octobre 96, la suite, les "marches blanches" ayant été trop polies).
    Foucault a plutôt parié pour les VIOLENCES MASSIVES, ce qu'on lui reproche aujourd'hui, de même que sa volonté de mettre la Vie au-dessus du droit (cf. Renaut, Ferry et même son biographe Jean-Claude Monod).
    Conclusion:
    La sextuple lecture de Swift, d'Ors, Rorty, Zijderveld, Bakhtine et Foucault doit nous conduire tout d'abord à
    - ORGANISER CE PÔLE DE RÉTIVITÉ réclamé par Foucault.
    Puis:
    - de rejeter tout utopisme construit more geometrico.
    - de tenir compte de l'extrême fragilité du matériel humain;
    - de se maintenir dans la contingence, seul lieu possible de notre action;
    - de chercher à restaurer la fête, comme espace virtuel d'inversion des valeurs;
    - d'organiser une résistance ludique, difficilement dénonçable comme "totalitaire";
    - de dénoncer la modernité et ses institutions politiques et judiciaires, de même que tous ses micro-pouvoirs comme une volonté obsessionnelle de SURVEILLER et PUNIR.
    - de dire que l'orthoglossie obligatoire, la pensée unique et la "political correctness" sont des aboutissements de cette obsession de surveiller et de punir. Elles doivent être considérées puis traitées comme telles.
    En conséquence, sur le plan philosophique qui doit précéder toute démarche pratique, nous devons allumer les CONTRE-FEUX du GRAND REFUS, impulser les synergies du PÔLE DE RÉTIVITÉ voulu par Foucault.
    Bibliographie:
    A. Généralités:
    - ERASME, Eloge de la folie, Garnier-Flammarion, 1964.
    - Julio CARO BAROJA, Le carnaval, Gallimard, Paris, 1979.
    - Jacques HEERS, Fêtes des fous et carnavals, Fayard, Paris, 1983.
    B. Sur Swift:
    - Michael FOOT, «Introduction» to Jonathan Swift's Gulliver's Travels, Penguin, Harmondsworth, 1967.
    - Emile LEGOUIS, Louis CAZAMIAN, Raymond LAS VERGNAS, A History of English Literature, J.M. Dent & Sons Ltd, London, 1971.
    - Ernest TUVESON, Swift. A Collection of Critical Essays, Spectrum/Prentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, N.J., 1964.
    - Ernest TUVESON, «Swift: The dean as Satirist», in E. TUVESON, Swift..., op. cit.
    - Irvin EHRENPREIS, «The Meaning of Gulliver's Last Voyage», in E. TUVESON, op. cit.
    - John TRAUGOTT, «A Voyage to nowhere with Thomas More and Jonathan Swift: Utopia and The Voyage to the Houyhnhnms», in E. TUVESON, op. cit.
    - Maurice BOUVIER-AJAM, «Swift et son temps», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - Robert MERLE, «L'amère et profonde sagesse de Swift», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - M. Louise COUDERT, «Les trois rires: Rabelais, Swift, Voltaire», in Europe, 45ième année, n°463, novembre 1967.
    - Caspar von SCHRENCK-NOTZING, «Jonathan Swift», in: Lexikon des Konservativismus, Stocker Verlag, Graz, 1996.
    C. Sur Eugenio d'Ors:
    - Alfons LOPEZ QUINTAS, El pensamiento filosofico de Ortega y d'Ors. Una clave de interpretación, Ediciones Guadarrama, Madrid, 1972.
    - Gonzalo FERNANDEZ DE LA MORA, Filósofos españoles del siglo XX, Planeta, Madrid, 1987.
    D. Sur Foucault:
    - Michel FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Paris, 1975.
    - Michel FOUCAULT, L'ordre du discours, Gallimard, Paris, 1971.
    - Michel FOUCAULT, Les mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Gallimard, Paris, 1966.
    - Michel FOUCAULT, «Omnes et singulatim. vers une critique de la raison politique», in: Le Débat, n°41, sept.-nov. 1986.
    - Luc FERRY & Alain RENAUT, La pensée 68. Essai sur l'anti-humanisme contemporain, Gallimard, Paris, 1985.
    - Luc FERRY & Alain RENAUT, 68-86. Itinéraires de l'individu, Gallimard, Paris, 1987.
    - Gilles DELEUZE, Foucault, Editions de Minuit, Paris, 1986.
    - Henk OOSTERLING, De opstand van het lichaam. Over verzet en zelfervaring bij Foucault en Bataille, SUA, Amsterdam, 1989.
    - Angèle KREMER-MARIETTI, Michel Foucault. Archéologie et généalogie, Livre de poche, coll. biblio-essais, Paris, 1985.
    - François EWALD, «La fin d'un monde», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - François EWALD, «Droit: systèmes et stratégies», in: Le Débat, n°41, op. cit.
    - François EWALD, «Une expérience foucaldienne: les principes généraux du droit», in: Critique, Tome XLII, n°471-472, août-septembre 1986.
    - Jürgen HABERMAS, «Les sciences humaines démasquées par la critique de la raison: Foucault», In: Le Débat, n°41, op. cit.
    - Jürgen HABERMAS, «Une flèche dans le cœur du temps présent», in Critique, Tome XLII, n°471-472, op. cit.
    - Katharina von BÜLOW, «L'art du dire-vrai», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Pasquale PASQUINO, «De la modernité», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Danièle LOSCHAK, «La question du droit», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Guy LARDREAU, «Une figure politique», in: Le magazine littéraire, n°207, mai 1984.
    - Henri JOLY, «Retour aux Grecs», in Le Débat, n°41, op. cit.
    - Michel de CERTEAU, «Le rire de Michel Foucault», in: Le Débat, n°41, op. cit.
    - Joachim LAUENBURG, «Foucault», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.
    - Frédéric GROS, Michel Foucault, PUF, Paris, 1996.
    - Jean-Claude MONOD, Foucault: la police des conduites, Michalon, coll. «Le bien commun», Paris, 1997.
    E. Sur Rorty:
    - Richard RORTY, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge University Press, Cambridge, 1989-91 (3°ed.).
    - Richard RORTY, La filosofia dopo la filosofia. Contingenza, ironia e solidarietà, Prefazione di Aldo G. Gargani, Editori Laterza, Roma/Bari, 1989.
    - G. HOTTOIS, M. VAN DEN BOSSCHE, M. WEYEMBERGH, Richard Rorty. Ironie, Politiek en Postmodernisme, Hadewijch, Antwerpen/Baarn, 1994.
    - Joachim LAUENBURG, «Rorty», in: J. NIDA-RÜMELIN, Philosophie der Gegenwart, Kröner, Stuttgart, 1991.
    - Walter REESE-SCHÄFER, Richard Rorty, Campus, Frankfurt/New York, 1991.
    F. Sur la problématique utopie/contre-utopie:
    - Richard SAAGE (Hrsg.), Hat die politische Utopie eine Zukunft?, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt, 1992.
    - Ernst NOLTE, «Was ist oder was war die “politische” Utopie?», in R. SAAGE, op. cit.
    - Rainer ZITELMANN, «Träume vom neuen Menschen», in R. SAAGE, op. cit.
    - Iring FETSCHER, «Was ist eine Utopie? Oder: Zur Verwechslung utopischer Ideale mit geschichtsphilosophischen Legitimationsideologien», in: R. SAAGE, op. cit.
    - Raymond TROUSSON, Voyages aux pays de nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, Editions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1975.
    - Mark R. HILLEGAS, The Future as Nightmare. H. G. Wells and the Anti-Utopians, Southern Illinois University Press, Carbondale and Edwardsville, Feffer & Simons, Inc., London/Amsterdam, 1967.
    G. Sur Rabelais et Bakhtine:
    - Anton SIMONS, Het groteske van de taal. Over het werk van Michail Bachtin, SUA, Amsterdam, 1990.
    - Michel ONFRAY, «Reviens, François», in Le magazine littéraire, n°319, mars 1994.
    - Michel RAGON, «Rabelais le libertaire», propos recueillis par J.J. Brochier, in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Michel JEANNERET, «Et tout pour la tripe», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Pascal DIBIE, «Une ethnologie de la Renaissance», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    - Simone PERRIER, «Démesure pour démesure: le Rabelais de Bakhtine», in: Le magazine littéraire, n°319, op. cit.
    H. Ouvrages d'Anton Zijderveld:
    - Anton C. ZIJDERVELD, The Abstract Society. A Cultural Analysis of Our Time, Penguin/Pelican, Harmondsworth,1974.
    - Anton C. ZIJDERVELD, Humor und Gesellschaft. Eine Soziologie des Humors und des Lachens, Styria, Graz, 1971.

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  • La chanson engagée a décampé – par Thierry Bouzard

    PARIS (via Polémia) - Encore une bonne nouvelle ! La chanson engagée a changé de camp. La gauche est aphone, la droite a retrouvé de la voix. Fin connaisseur de la chanson française, Thierry Bouzard fait le point pour Polémia.

    La musique a toujours constitué un réservoir de soutiens pour la gauche française : la fête de l’Huma est un exemple de cette instrumentalisation des artistes, mais il semble que le ressort soit cassé. Pour fêter l’adoption de la loi Taubira, un grand concert gratuit avait été organisé Place de la Bastille et, malgré le plateau de vedettes, à peine quelques centaines de personnes s’étaient déplacées. Depuis quelques mois sont apparues de nouvelles chansons dans le sillage du mouvement d’opposition au mariage homosexuel. Ces chansons ne constituent pas un véritable courant musical, mais elles s’inscrivent dans une tendance plus large qui révèle qu’au-delà des clivages politiques s’est amorcé un profond revirement de société.

    La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68
    La chanson a préparé la « révolution » de Mai-68, puis, à travers les radios « libres », elle a contribué au retour de la gauche en 1981. Les nouvelles modes musicales qui accompagnèrent ces mouvements de contestation étaient issues de multiples courants – dont certains authentiquement traditionnels –, qui furent récupérés par des producteurs et des artistes sachant profiter des occasions commerciales et par des politiques qui opéraient les récupérations idéologiques. Le rôle du rap pour garder le contrôle de la jeunesse des banlieues a été mis en évidence. Les nouvelles compositions issues du courant qui s’oppose au mariage homosexuel procèdent du même processus culturel qui fait de la chanson un moyen d’expression populaire porteur d’un contenu politique. Dans les années soixante, le microsillon permettait cette diffusion du répertoire, en 1980-1981 ce furent les radios de la bande FM qui contournèrent les monopoles étatiques, en 2013, ce sont essentiellement les réseaux sociaux d’internet qui rendent possible leur échange à grande échelle, en s’affranchissant des moyens institutionnels contrôlés par un pouvoir qui fait tout pour les ignorer.

    De Montand à l’underground

    S’il est délicat de faire la part entre l’inspiration ou l’opportunisme qui motive le chansonnier dans les choix de ses textes, rares sont les professionnels qui versent dans le répertoire exclusivement politique. Le talent de l’artiste est une sorte d’antenne qui lui permet de percevoir la sensibilité de son époque et de la transcrire dans la forme d’expression qu’il utilise. Les évolutions des modes artistiques constitueraient ces

    « signaux faibles » qui annonceraient des changements de société. Quand Yves Montand chante la première chanson antimilitariste de l’après-guerre (Quand un soldat) au premier meeting du Mouvement pour la paix en 1952, il joue un rôle de précurseur pour les chanteurs engagés et sa chanson n’a pas la virulence de celle de Boris Vian (Le Déserteur) qui, lui, n’était pas un « chanteur engagé » tout en ayant un réel impact sur un certain public. Conseillé par des cadres du Parti communiste, Montand récidivera en 1955 avec un disque qui sera rapidement interdit d’antenne (3) mais qui exercera une influence aussi considérable que sous-estimée sur le répertoire français puisqu’il s’agit de la première relecture politique de la chanson traditionnelle (4).

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